Language of document : ECLI:EU:T:2021:638

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

29 septembre 2021 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Coordination des prix dans l’ensemble de l’EEE – Pratique concertée – Échanges d’informations commerciales sensibles – Compétence territoriale de la Commission – Droits de la défense et droit d’être entendu – Intangibilité de l’acte – Infraction unique et continue – Restriction de concurrence par objet – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Valeur des ventes – Obligation de motivation – Proportionnalité – Égalité de traitement – Gravité de l’infraction – Circonstances atténuantes – Paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Compétence de pleine juridiction »

Dans l’affaire T‑363/18,

Nippon Chemi-Con Corporation, établie à Tokyo (Japon), représentée par Mes H.-J. Niemeyer, M. Röhrig, I.-L. Stoicescu et P. Neideck, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes A. Cleenewerck de Crayencour, B. Ernst, M. T. Franchoo, Mmes C. Sjödin et L. Wildpanner, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2018) 1768 final de la Commission, du 21 mars 2018, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40136 – Condensateurs), en tant qu’elle concerne la requérante et, à titre subsidiaire, à l’annulation de l’amende qui lui a été infligée par ladite décision ou à la réduction de son montant,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de Mme M. J. Costeira (rapporteure), présidente, M. D. Gratsias, Mme M. Kancheva, M. B. Berke et Mme T. Perišin, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 23 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt (1)

I.      Antécédents du litige

A.      Requérante et secteur concerné

1        La requérante, Nippon Chemi-Con Corporation, est une société établie au Japon, qui fabrique et vend des condensateurs électrolytiques à l’aluminium. Elle a également fabriqué des condensateurs électrolytiques au tantale jusqu’en mars 2005 et en a vendu jusqu’en janvier 2011, avec des ventes directes, facturées dans l’Espace économique européen (EEE), jusqu’en février 2005. La requérante possède 100 % des parts d’Europe Chemi‑Con (Deutschland) GmbH, une société de droit allemand, ainsi que 100 % des parts d’United Chemi-Con, une société de droit des États-Unis (ci‑après, respectivement, « Europe Chemi‑Con » et « United Chemi-Con » et, prises avec la requérante, le « groupe Nippon Chemi-Con »).

2        L’infraction en cause concerne les condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale. Les condensateurs sont des composants électriques qui stockent de l’énergie de manière électrostatique dans un champ électrique. Les condensateurs électrolytiques sont utilisés dans presque tous les produits électroniques, tels que des ordinateurs personnels, des tablettes, des téléphones, des climatiseurs, des réfrigérateurs, des lave-linges, des produits automobiles et des appareils industriels. La clientèle est donc très diversifiée. Les condensateurs électrolytiques, et plus précisément les condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale, sont des produits dont le prix constitue un paramètre concurrentiel important.

B.      Procédure administrative

3        Le 4 octobre 2013, Panasonic et ses filiales ont saisi la Commission européenne d’une demande d’octroi d’un marqueur au titre des paragraphes 14 et 15 de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17, ci-après la « communication sur la coopération de 2006 »), en fournissant des informations sur l’existence d’une infraction présumée dans le secteur des condensateurs électrolytiques.

4        Le 28 mars 2014, la Commission a, au titre de l’article 18 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), demandé des renseignements à plusieurs entreprises opérant dans le secteur des condensateurs électrolytiques, dont la requérante.

5        Du 3 au 6 mars 2015, la Commission a effectué des inspections au titre de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 dans les locaux d’Europe Chemi-Con.

6        Le 4 novembre 2015, la Commission a adopté une communication des griefs qu’elle a adressée notamment à la requérante.

7        Entre le 12 novembre et le 17 décembre 2015, les destinataires de la communication des griefs ont eu accès à la majeure partie du dossier par le biais d’un « DVD d’accès au dossier ».

8        À la suite de demandes d’accès, introduites par plusieurs destinataires de la communication des griefs, portant sur les noms des clients expurgés de la communication des griefs du 4 novembre 2015, la Commission a mis à la disposition deux nouveaux DVD comportant les noms des clients occultés, dont la requérante a pris connaissance le 7 mars et le 27 avril 2016.

9        Le 4 mai 2016, la Commission a envoyé une lettre d’exposé des faits concernant certains éléments de la communication des griefs aux destinataires de celle-ci (ci-après la « lettre d’exposé des faits »), à laquelle était annexée une nouvelle version non expurgée de la communication des griefs du 4 novembre 2015 et de son annexe 1, et leur a fixé un délai de deux semaines pour répondre, prolongé jusqu’au 20 mai 2016.

10      Le 20 mai 2016, la requérante a présenté une réponse à la communication des griefs ainsi qu’à la lettre d’exposé des faits.

11      Les destinataires de la communication des griefs, dont la requérante, ont été entendus par la Commission lors de l’audition ayant eu lieu du 12 au 14 septembre 2016.

C.      Décision attaquée

12      Le 21 mars 2018, la Commission a adopté la décision C(2018) 1768 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40136 – Condensateurs) (ci-après la « décision attaquée »).

1.      Infraction

13      Par la décision attaquée, la Commission a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE dans le secteur des condensateurs électrolytiques, à laquelle neuf entreprises ou groupes d’entreprises, à savoir Elna, Hitachi AIC, Holy Stone, Matsuo, NEC Tokin, Nichicon, Rubycon, Sanyo (désignant Sanyo et Panasonic ensemble) et la requérante ont participé (ci-après, pris ensemble, les « participants à l’entente ») (considérant 1 et article 1erde la décision attaquée).

14      La Commission a relevé, en substance, que l’infraction en cause s’était déroulée entre le 26 juin 1998 et le 23 avril 2012, sur l’ensemble du territoire de l’EEE, et avait consisté en des accords et/ou pratiques concertées qui avaient pour objet la coordination des politiques de prix en ce qui concerne la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale (considérant 1 de la décision attaquée).

15      L’entente était essentiellement organisée au moyen de réunions multilatérales, qui se tenaient généralement au Japon, tous les mois ou un mois sur deux, au niveau des cadres supérieurs de vente, et tous les six mois, au niveau des dirigeants, y compris des présidents (considérants 63, 68 et 738 de la décision attaquée).

16      Les réunions multilatérales ont été, tout d’abord, organisées, entre 1998 et 2003, sous le nom de « cercle du/des condensateurs électrolytiques » ou de « conférence des condensateurs électrolytiques » (ci-après les « réunions ECC »). Elles ont été, ensuite, organisées, entre 2003 et 2005, sous le nom de « conférence aluminium-tantale » ou « groupe des condensateurs à l’aluminium ou au tantale » (ci-après les « réunions ATC »). Elles ont été, enfin, organisées, entre 2005 et 2012, sous le nom de « groupe d’étude de marché » ou « groupe de marketing » (ci-après les « réunions MK »). Parallèlement aux réunions MK, et en complément de celles-ci, des réunions « augmentation des coûts » ou « augmentation des condensateurs » (ci-après les « réunions CUP »), ont été organisées, entre 2006 et 2008 (considérant 69 de la décision attaquée).

17      Outre ces réunions multilatérales, les participants à l’entente avaient également, selon les besoins, des contacts bilatéraux et trilatéraux ad hoc (considérants 63, 75 et 739 de la décision attaquée) (ci-après, pris ensemble, les « contacts anticoncurrentiels »).

18      Dans le cadre des contacts anticoncurrentiels, les participants à l’entente, en substance, échangeaient des informations sur les prix et les futurs prix pratiqués, sur les futures réductions de prix et les fourchettes de ces réductions, sur l’offre et la demande, y compris sur l’offre et la demande futures, et, dans certains cas, concluaient, appliquaient et suivaient des accords sur les prix (considérants 62, 715, 732 et 741 de la décision attaquée).

19      La Commission a considéré que le comportement des participants à l’entente constituait une forme d’accord et/ou de pratique concertée, qui visait un objectif commun, à savoir éviter la concurrence par les prix et coordonner leur futur comportement concernant la vente de condensateurs électrolytiques, en réduisant ainsi l’incertitude sur le marché (considérants 726 et 731 de la décision attaquée).

20      La Commission a conclu que ce comportement avait un objet anticoncurrentiel unique (considérant 743 de la décision attaquée).

2.      Responsabilité de la requérante

21      La Commission a retenu la responsabilité de la requérante en raison de sa participation directe à l’entente du 26 juin 1998 au 23 avril 2012 [considérant 959 et article 1er, sous g), de la décision attaquée].

3.      Amende infligée à la requérante

22      L’article 2, sous j), de la décision attaquée inflige une amende d’un montant de 97 921 000 euros à la requérante.

4.      Calcul du montantedes amendes

23      Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a suivi la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 ») (considérant 980 de la décision attaquée).

24      En premier lieu, pour déterminer le montant de base de l’amende infligée à la requérante, la Commission a pris en compte la valeur des ventes durant la dernière année complète de participation à l’infraction, conformément au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 (considérant 989 de la décision attaquée).

25      La Commission a calculé la valeur des ventes sur la base des ventes de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale facturées à des clients établis dans l’EEE (considérant 990 de la décision attaquée).

26      En outre, la Commission a calculé la valeur pertinente des ventes séparément pour les deux catégories de produits, à savoir les condensateurs électrolytiques à l’aluminium et les condensateurs électrolytiques au tantale, et leur a appliqué des coefficients multiplicateurs différents en fonction de la durée (considérant 991 de la décision attaquée).

27      En ce qui concerne la requérante, la Commission, tout d’abord, a estimé qu’il y avait lieu de prendre en compte, en tant que période de référence, d’une part, la dernière année complète de participation à l’infraction en ce qui concerne la valeur des ventes des condensateurs électrolytiques à l’aluminium, à savoir l’année 2011-2012, et, d’autre part, la dernière année complète au cours de laquelle la requérante a vendu des condensateurs électrolytiques au tantale, à savoir l’année 2003-2004, étant donné qu’elle avait cessé de les vendre avant la fin de sa participation à l’infraction (considérants 34, 989 à 991 et 1007, tableau 1, et note en bas de page no 1657 de la décision attaquée).

28      Ensuite, la Commission a considéré que la requérante, par l’intermédiaire d’Europe Chemi-Con et d’United Chemi-Con, avait facturé des ventes directes de condensateurs électrolytiques à l’aluminium dans l’EEE pendant toute la durée de sa participation à l’infraction (considérants 990 et 998 de la décision attaquée) et des ventes directes de condensateurs électrolytiques au tantale dans l’EEE jusqu’au 1er février 2005 (considérants 34 et 1006 de la décision attaquée).

29      Enfin, la Commission a retenu à l’encontre de la requérante un coefficient multiplicateur de 13,82 (correspondant à la période comprise entre le 26 juin 1998 et le 23 avril 2012) pour les condensateurs électrolytiques à l’aluminium, et de 5,26 (correspondant à la période comprise entre le 29 octobre 1999 et le 1er février 2005) pour les condensateurs électrolytiques au tantale (considérant 1007, tableau 1, de la décision attaquée).

30      La Commission a fixé la proportion de la valeur des ventes à retenir au titre de la gravité de l’infraction à 16 %. À cet égard, elle a estimé que des « arrangements » horizontaux de coordination des prix comptaient, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE et que l’entente s’étendait à l’ensemble du territoire de l’EEE (considérants 1001 à 1003 de la décision attaquée).

31      La Commission a appliqué un montant additionnel de 16 %, au titre du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, afin de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif de l’amende infligée (considérant 1009 de la décision attaquée).

32      La Commission a, dès lors, fixé à 205 649 000 euros le montant de base de l’amende à infliger à la requérante (considérant 1010 de la décision attaquée).

33      En deuxième lieu, s’agissant des ajustements du montant de base des amendes, la Commission n’a retenu l’existence d’aucune circonstance aggravante ou atténuante à l’égard de la requérante (considérant 1054 de la décision attaquée).

34      En troisième lieu, la Commission a fait application du plafond de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 (considérants 1057 et 1058 de la décision attaquée).

35      La Commission a dès lors fixé à 97 921 000 euros le montant total de l’amende infligée à la requérante (considérant 1139, tableau 3, de la décision attaquée).

[omissis]

II.    Procédure et conclusions des parties

37      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juin 2018, la requérante a introduit le présent recours.

38      Le 19 octobre 2018, le mémoire en défense de la Commission a été déposé au greffe du Tribunal.

39      La réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 27 février et le 5 juin 2019.

40      Sur proposition de la deuxième chambre du Tribunal, celui-ci a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

41      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la neuvième chambre élargie, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

42      Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (neuvième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé aux parties des questions écrites, en les invitant à y répondre lors de l’audience.

43      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 23 octobre 2020.

44      À la suite du décès de M. le juge Berke survenu le 1er août 2021, les trois juges dont le présent arrêt porte la signature ont poursuivi les délibérations, conformément à l’article 22 et à l’article 24, paragraphe 1, du règlement de procédure.

45      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la décision attaquée en ce que celle-ci a constaté qu’elle avait commis une infraction à l’article 101 TFUE ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’amende qui lui a été infligée ou, à titre encore plus subsidiaire, réduire son montant ;

–        condamner la Commission aux dépens.

46      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

[omissis]

B.      Sur le fond

56      À l’appui du recours, la requérante soulève six moyens à l’appui tant de ses conclusions, présentées à titre principal, qui tendent à l’annulation de la décision attaquée, que de ses conclusions, présentées à titre subsidiaire, qui tendent à l’annulation ou à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

57      Par les cinq premiers moyens, la requérante conteste la conclusion de la Commission tenant à l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE dans le secteur des condensateurs électrolytiques sur l’ensemble du territoire de l’EEE pendant une durée de presque quatorze ans. Le premier moyen est tiré de la violation du droit d’être entendu, de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), des droits de la défense et du principe d’intangibilité de l’acte. Le deuxième moyen est tiré d’un défaut de preuves de l’infraction, d’erreurs matérielles de fait et de la prescription. Le troisième moyen est tiré de l’absence d’une infraction unique et continue. Le quatrième moyen est tiré de l’absence d’une infraction par objet. Le cinquième moyen est tiré de l’incompétence territoriale de la Commission pour appliquer en l’espèce l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE.

58      Par le sixième moyen, la requérante conteste l’amende qui lui a été infligée, en demandant son annulation ou la réduction de son montant. Ce moyen est tiré d’erreurs dans le calcul du montant de l’amende et de la violation des lignes directrices de 2006, ainsi que des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.

[omissis]

1.      Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

[omissis]

a)      Sur le cinquième moyen, tiré d’un défaut de compétence territoriale de la Commission

71      La requérante soutient, en substance, que la Commission a erronément conclu, au considérant 660 de la décision attaquée, qu’elle était territorialement compétente pour appliquer en l’espèce l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE au motif que le comportement anticoncurrentiel avait été mis en œuvre à l’échelle mondiale, y compris dans l’EEE, alors que ledit comportement était axé sur l’Asie et n’avait pas été mis en œuvre, ni n’avait eu d’effet significatif, dans l’EEE.

72      La Commission conteste ces arguments.

73      S’agissant de l’applicabilité territoriale de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, il convient de rappeler que la règle de concurrence de l’Union énoncée à l’article 101 TFUE interdit les accords et les pratiques qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence « à l’intérieur du marché intérieur ».

74      Il convient également de relever que les conditions de l’application territoriale de l’article 101 TFUE sont réunies dans deux hypothèses.

75      En premier lieu, l’application de l’article 101 TFUE est justifiée dès lors que les pratiques qu’il vise sont mises en œuvre sur le territoire du marché intérieur, et ce indépendamment du lieu de leur formation. En effet, faire dépendre l’applicabilité des interdictions édictées par le droit de la concurrence du lieu de la formation d’une entente aboutirait à l’évidence à fournir aux entreprises un moyen facile de se soustraire auxdites interdictions (arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447, point 16).

76      Afin de déterminer si le lieu où l’entente est mise en œuvre se situe dans l’EEE, d’une part, il importe peu que les participants à l’entente aient fait appel ou non à des filiales établies dans l’EEE en vue d’établir des contacts entre eux et les acheteurs qui y sont établis (arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447, point 17). D’autre part, ce critère de la mise en œuvre de l’entente en tant qu’élément de rattachement de celle-ci au territoire de l’Union est satisfait par la simple vente dans l’Union du produit cartellisé, indépendamment de la localisation des sources d’approvisionnement et des installations de production (voir arrêt du 9 septembre 2015, LG Electronics/Commission, T‑91/13, non publié, EU:T:2015:609, point 149 et jurisprudence citée).

77      En second lieu, l’application de l’article 101 TFUE est également justifiée au regard du droit international public lorsqu’il est prévisible que les pratiques qu’il vise produisent un effet immédiat et substantiel dans le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 11).

78      En l’espèce, la Commission a conclu au considérant 660 de la décision attaquée qu’elle était l’autorité compétente pour appliquer à la fois l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE sur la base de l’article 56 de l’accord EEE, dans la mesure où le comportement de l’entente avait été mis en œuvre à l’échelle mondiale, y compris dans l’EEE.

79      À cet égard, la Commission a estimé que, tout d’abord, bien que les participants à l’entente fussent des entreprises ayant leur siège au Japon et que les contacts anticoncurrentiels aient eu lieu au Japon, ces derniers soit avaient une portée mondiale, de sorte qu’ils incluaient l’EEE, soit concernaient directement l’EEE. En particulier, la connexion avec l’EEE était justifiée par le fait que les participants à l’entente, y compris la requérante, avaient réalisé des ventes de condensateurs électrolytiques dans l’EEE pendant la période infractionnelle. Ensuite, les participants à l’entente, d’une part, échangeaient des informations concernant des clients ayant leur siège dans l’EEE ou des clients ayant des usines de fabrication dans l’EEE et, d’autre part, coordonnaient leur politique commerciale, en fonction notamment des fluctuations des taux de change des devises, y compris l’euro, et de l’augmentation du prix des matières premières, sans restriction géographique. Enfin, les informations échangées couvraient toutes les ventes, qu’elles soient à destination du Japon ou de l’étranger et que les clients soient japonais ou étrangers (considérants 665 à 672 de la décision attaquée).

80      Il est, certes, vrai que la requérante, d’une part, conteste l’existence d’un lien entre certains contacts anticoncurrentiels et l’EEE, question qui fera l’objet de l’analyse du Tribunal dans le cadre des deuxième et troisième moyens, et, d’autre part, soutient qu’il existait un lien limité entre l’entente et l’EEE, question qui sera examinée dans le cadre des deuxième, troisième et sixième moyens.

81      Toutefois, la requérante ne nie pas que les participants à l’entente, y compris elle-même, ont, directement ou indirectement, réalisé des ventes de condensateurs électrolytiques à l’échelle mondiale, y compris en Europe, même si la requérante affirme que les ventes dans cette zone géographique étaient très limitées et effectuées par ses filiales.

82      Il en résulte que le critère de la mise en œuvre de l’entente en tant qu’élément de rattachement de celle-ci au territoire de l’Union est rempli en l’espèce et que l’infraction visée par la décision attaquée relève donc du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Partant, c’est à bon droit que la Commission a considéré qu’elle était compétente aux fins de l’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE.

83      Le cinquième moyen doit donc être écarté.

[omissis]

d)      Sur le troisième moyen, tiré de l’absence d’une infraction unique et continue

308    Par son troisième moyen, la requérante soutient, en substance, que la Commission n’a pas établi l’existence d’une infraction unique et continue couvrant tous les condensateurs électrolytiques pendant toute la durée de l’infraction alléguée.

309    Ce moyen se divise en trois branches. La première branche est tirée de l’absence de démonstration d’un plan d’ensemble. La deuxième branche est tirée de l’absence de preuve d’un lien de complémentarité entre les contacts anticoncurrentiels. La troisième branche est tirée de ce que la Commission n’aurait pas tenu compte du caractère hétérogène de l’industrie des condensateurs, lequel rendrait impossible l’existence de l’infraction alléguée.

[omissis]

314    En l’espèce, la Commission a considéré que les différents contacts anticoncurrentiels décrits à la section 4.3.6 de la décision attaquée s’inscrivaient dans un plan global avec un but anticoncurrentiel unique. L’objectif poursuivi par les parties, et qui transparaît de ces échanges, était d’éviter la concurrence par les prix et de coordonner leur futur comportement concernant la vente de condensateurs électrolytiques, en réduisant ainsi l’incertitude sur le marché (considérants 730 et 731 de la décision attaquée).

315    Cet objectif anticoncurrentiel unique était poursuivi au moyen de discussions sur les prix, y compris sur les prix futurs, de discussions sur l’offre et la demande, y compris sur l’offre et la demande futures (notamment sur le volume de production ou l’augmentation ou la diminution des expéditions) et, dans certains cas, sur la conclusion, l’application et le suivi d’accords sur les prix (considérants 62 et 715 de la décision attaquée).

316    La Commission a estimé que, bien que l’entente ait évolué avec le temps, l’objectif n’avait pas changé, les 113 contacts anticoncurrentiels décrits dans la décision attaquée présentant des caractéristiques communes en ce qui concerne les participants, la nature et la portée matérielle des discussions, qui se recoupaient. Ainsi, les réunions multilatérales, organisées sous différents noms (réunions ECC de 1998 à 2003, réunions ATC de 2003 à 2005, réunions MK de 2005 à 2012 et réunions CUP de 2006 à 2008), ont été, à des moments différents, suivies par les neuf participants à l’entente et portaient à la fois sur les condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale. En parallèle, des contacts bilatéraux et trilatéraux se déroulaient selon les besoins, couvrant des questions spécifiques. Les mêmes individus, ou leurs successeurs selon le cas, étaient impliqués dans les contacts anticoncurrentiels (considérants 70 à 75, 726, 732, 741, 743 de la décision attaquée).

317    La Commission a conclu que l’infraction s’était poursuivie sans interruption en dépit de l’évolution de la réalité économique, des variations de la structure organisationnelle de certaines des entreprises concernées et des changements intervenus dans le personnel impliqué dans le comportement (considérants 76, 729, 742 et 745 de la décision attaquée).

1)      Sur la première branche du troisième moyen, tirée de l’absence d’un plan d’ensemble

318    La requérante soutient que la Commission n’a pas établi l’existence d’un plan d’ensemble, dans la mesure où, en substance, en premier lieu, la Commission n’aurait pas prouvé que chaque contact anticoncurrentiel avait le même objectif unique, alors que le fait que les réunions CUP aient utilisé un « mécanisme » différent de celui des autres réunions démontrerait la différence d’objectifs entre les différents contacts anticoncurrentiels. En deuxième lieu, la description du plan d’ensemble, tant dans la communication des griefs que dans la décision attaquée, serait trop vague et imprécise, alors que la notion de plan d’ensemble exigerait une référence à des produits, à une zone géographique et à un mécanisme collusoire spécifiques. En troisième lieu, les éléments de preuve invoqués par la Commission ne démontreraient pas qu’un objectif anticoncurrentiel unique ait été poursuivi tout au long de la période infractionnelle.

319    La Commission conteste ces arguments.

320    En l’espèce, il convient de relever que les éléments repérés par la Commission dans la décision attaquée et, notamment, ceux rappelés aux points 314 à 317 ci-dessus, concernant les caractéristiques communes des contacts anticoncurrentiels, dont le but ultime était la coordination des comportements en matière de prix, sont suffisants, à l’égard des exigences qui découlent de la jurisprudence rappelée aux points 150 et 151, 310 et 311 ci-dessus, pour démontrer qu’ils partageaient le même objet et s’inscrivaient dans un plan global visant un objectif unique.

321    L’argumentation de la requérante ne remet pas en cause cette conclusion.

322    En premier lieu, la Commission n’était pas censée vérifier si chacun des différents contacts anticoncurrentiels était destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence et contribuait, par une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. C’est l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par les participants à l’entente qui constitue le plan d’ensemble tel qu’envisagé par la jurisprudence visée au point 313 ci-dessus.

323    En outre, la requérante n’avance aucun élément concret permettant de suggérer que certains comportements avaient des caractéristiques indiquant qu’ils ne partageaient pas le même objet anticoncurrentiel et, partant, qu’ils ne s’inscrivaient pas dans le même plan d’ensemble.

324    À cet égard, c’est à tort que la requérante soutient que les réunions CUP avaient un objectif différent, révélé par le fait que ces réunions utilisaient un « mécanisme » différent de celui des autres réunions. Il est, certes, vrai que la Commission a constaté que les participants aux réunions CUP avaient conclu des accords sur les prix et avaient établi un système de compte rendu des actions des entreprises à des fins de contrôle de leur stratégie pour les augmentations de prix (voir considérant 72 de la décision attaquée). Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 315 ci-dessus, ce « mécanisme » de suivi ou de contrôle de la stratégie pour les augmentations de prix n’était qu’un des moyens de poursuivre l’objectif ultime de la coordination des comportements en matière de prix. De plus, la Commission a également constaté que ce « mécanisme » de contrôle s’inscrivait dans une stratégie globale selon laquelle les entreprises surveillaient leur comportement réciproque de façon générale et, partant, en dehors également des réunions CUP (voir considérant 716 de la décision attaquée).

325    Ainsi, bien que, dans le cadre des réunions CUP, les participants aient poursuivi des accords en matière de prix et un système de contrôle de la stratégie des prix, alors que dans le cadre d’autres réunions ils ont échangé des informations sur les prix ou sur l’offre et la demande, les réunions CUP ne sauraient être perçues comme poursuivant un objectif différent de celui des autres contacts anticoncurrentiels.

326    Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’aurait pas prouvé que les contacts anticoncurrentiels décrits dans la décision attaquée avaient un objectif unique, au regard de l’objectif prétendument différent poursuivi par les réunions CUP.

327    En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la description du plan d’ensemble dans la décision attaquée serait « trop vague et imprécise » et ne serait « rien de plus qu’une référence générale à une distorsion de la concurrence sur le marché ».

328    Il est, certes, vrai que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 312 ci-dessus, la notion d’objectif unique ne saurait être déterminée par la référence générale à la distorsion de la concurrence dans le marché concerné par l’infraction.

329    Toutefois, en l’espèce, les arguments de la requérante, tirés d’une description insuffisante du plan d’ensemble dans le cadre de la communication des griefs, sont inopérants. En effet, l’acte qui fait l’objet du présent recours est la décision attaquée et non la communication des griefs, qui, d’ailleurs, est un acte à caractère purement provisoire. Bien que la communication des griefs doive énoncer tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure, cette indication peut être faite de manière sommaire et la décision ne doit pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs, car cette communication constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire (voir arrêt du 5 décembre 2013, SNIA/Commission, C‑448/11 P, non publié, EU:C:2013:801, points 41 et 42 et jurisprudence citée).

330    En outre, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la description du plan d’ensemble n’est pas « vague » en ce qui concerne les produits, les mécanismes collusoires et les marchés concernés. En effet, tous ces éléments ressortent clairement de la description figurant dans la décision attaquée, telle que résumée à l’article 1er de cette décision, selon lequel l’infraction en cause s’est déroulée entre le 26 juin 1998 et le 23 avril 2012, sur l’ensemble du territoire de l’EEE, et a consisté en des accords et/ou pratiques concertées qui avaient pour objet la coordination des politiques de prix en ce qui concerne la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale (voir point 14 ci-dessus).

331    Enfin, il convient de constater que l’argumentation de la requérante au soutien d’une description « vague » du plan d’ensemble est fondée en grande partie sur les considérants 767, 769 et 770 de la décision attaquée, qui contiennent la réponse de la Commission aux arguments de la requérante développés dans le cadre de sa réponse à la communication des griefs et à la lettre d’exposé des faits (voir point 10 ci-dessus). Ainsi que le fait valoir la Commission, la requérante ignore les considérants 730 à 743 de la décision attaquée, qui contiennent les motifs pour lesquels la Commission a conclu à l’existence d’un plan d’ensemble avec un objectif commun.

332    Or, il résulte desdits considérants 730 à 743 de la décision attaquée, parmi d’autres considérants rappelés aux points 314 à 316 ci-dessus, que, d’une part, la Commission a défini le plan d’ensemble comme consistant à éviter la concurrence par les prix et à coordonner le comportement futur des participants concernant la vente de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale, en réduisant ainsi l’incertitude sur le marché. D’autre part, la Commission a expliqué de quelle manière cet objectif commun était recherché et les raisons pour lesquelles les contacts anticoncurrentiels décrits dans la décision attaquée constituaient un comportement continu dans la poursuite d’un objectif économique unique, au sens de la jurisprudence rappelée au point 310 ci-dessus.

333    En troisième lieu, la requérante fait valoir que les éléments de preuve invoqués par la Commission ne démontreraient pas qu’un objectif anticoncurrentiel unique ait été poursuivi tout au long de la période infractionnelle.

334    À cet égard, l’argument de la requérante selon lequel la Commission invoquerait uniquement des éléments de preuve concernant les réunions ECC et ATC sans préciser l’objectif sous-jacent aux autres réunions est directement contredit par la teneur même de la décision attaquée. En effet, l’argument de la requérante est fondé essentiellement sur le considérant 733 de la décision attaquée, qui ne contient pas une liste exhaustive des éléments démontrant l’objectif des participants, mais se limite à mentionner, à titre d’« exemple », certains éléments tirés de la section 4.3.6 de la décision attaquée.

335    Or, ladite section 4.3.6 de la décision attaquée présente une chronologie complète des contacts anticoncurrentiels, avec des détails concernant chaque réunion multilatérale et chaque contact bilatéral ou trilatéral, ainsi qu’une indication, en notes en bas de page, des éléments de preuve retenus par la Commission. De plus, les considérants 77 à 105 de la décision attaquée contiennent un bref aperçu des contacts anticoncurrentiels en ce qui concerne les dates, les lieux, les participants et les sujets traités lors des différents groupes de réunions et contacts. Les éléments de preuve sur lesquels s’est appuyée la Commission figurent également dans les notes en bas de page relatifs à ces considérants.

336    Au vu de ce qui précède, il convient également d’écarter l’argumentation de la requérante visant à contester l’exactitude des déclarations des parties lors de certaines réunions ATC – en ce que ces déclarations ne figureraient pas dans les procès-verbaux et ne refléteraient pas un objectif plus large – , invoquées par la Commission au considérant 733 de la décision attaquée. En effet, le raisonnement de la requérante est fondé sur l’hypothèse erronée selon laquelle la Commission aurait déterminé l’objectif commun de l’entente sur la seule base desdites déclarations, alors que celles-ci sont indiquées à titre d’exemple et que la conclusion de la Commission sur cet objectif commun a été fondée sur plusieurs autres éléments. Ainsi, même à supposer que l’argumentation de la requérante sur l’exactitude des déclarations des parties lors de certaines réunions ATC soit fondée, elle ne saurait remettre en cause la conclusion de la Commission sur l’existence d’un objectif commun de l’ensemble des contacts anticoncurrentiels.

337    En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 148 et 149 ci-dessus, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqués par la Commission, apprécié globalement, réponde à cette exigence. Ainsi, les indices invoqués par la Commission dans la décision attaquée afin de prouver l’existence d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE par une entreprise doivent être appréciés non isolément, mais dans leur ensemble.

[omissis]

345    En tout état de cause, l’absence d’une référence expresse à l’EEE lors de certaines réunions ne signifie pas pour autant que l’ensemble des contacts anticoncurrentiels, relevés par la Commission dans la décision attaquée, n’établit pas l’existence d’un lien avec l’EEE. En l’espèce, d’une part, ainsi qu’il ressort du point 271 ci-dessus, il y a lieu de constater l’existence d’un faisceau d’indices concordants qui suffit pour inférer un lien entre les contacts contestés, pris dans leur ensemble, et l’EEE. D’autre part, la Commission a considéré à bon droit que les participants à l’entente, y compris la requérante, assuraient des ventes directes de condensateurs électrolytiques dans l’EEE. Dans ce contexte, pour démontrer un lien avec l’EEE, la Commission n’était pas tenue de démontrer que la requérante effectuait des ventes dans l’EEE à tous les clients visés dans les contacts anticoncurrentiels.

346    Il résulte de tout ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission a conclu à l’existence d’un plan d’ensemble.

347    Il y a donc lieu d’écarter la première branche du troisième moyen.

[omissis]

3)      Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée du caractère hétérogène de l’industrie des condensateurs

388    La requérante fait valoir que le caractère hétérogène de l’industrie des condensateurs rendrait impossible une collusion portant sur tous les condensateurs électrolytiques. La requérante soutient, en substance, que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit l’existence d’une infraction unique et continue couvrant l’ensemble des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale en général. En effet, les condensateurs seraient des produits très diversifiés, qui se distingueraient par une multitude de caractéristiques et pour lesquels, compte tenu de leur modèle d’approvisionnement dominant, il n’existerait pas de prix de marché uniforme. En conséquence, l’infraction en cause ne pouvait pas couvrir la totalité des ventes de condensateurs électrolytiques vers l’EEE. En effet, les deux catégories distinctes de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale couvriraient une large variété de types de produits, en ce qui concerne notamment leur prix et la zone géographique concernée. Les échanges d’informations générales, intervenus lors des contacts anticoncurrentiels, seraient insuffisants pour réduire l’incertitude sur le marché et faciliter une coordination des prix entre les concurrents, d’autant plus que tous les types de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale n’auraient pas fait l’objet de ces échanges.

389    La Commission conteste ces arguments.

390    À titre liminaire, il convient de relever que la requérante procède à une lecture erronée de la décision attaquée, lorsqu’elle soutient que la Commission a considéré qu’il existait une infraction unique et continue qui, prise dans son ensemble, couvrirait tous les types de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale.

391    En effet, ce qui ressort de la décision attaquée, et notamment du considérant 736, est que la Commission a constaté, après examen de l’ensemble des réunions et des éléments de preuve s’y rapportant, que tous les contacts anticoncurrentiels concernaient les condensateurs électrolytiques à l’aluminium ou au tantale, en général, voire même les deux.

392    À cet égard, il convient de rappeler que la Commission n’est pas tenue de définir le marché en cause sur la base de critères économiques. Ce sont les membres de l’entente eux-mêmes qui déterminent les produits faisant l’objet de leurs discussions et pratiques concertées (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié, EU:T:2005:220, point 90).

393    En outre, les produits concernés par une entente sont déterminés par référence aux preuves documentaires d’un comportement anticoncurrentiel effectif par rapport à des produits spécifiques (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2003, Adriatica di Navigazione/Commission, T‑61/99, EU:T:2003:335, point 27).

394    Il importe également de souligner que la Commission ne saurait, à cet égard, se fonder sur une présomption qui n’est étayée par aucun élément de preuve (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2019, ABB/Commission, C-593/18 P, EU:C:2019:1027, points 44 et 45).

395    Cependant, en l’espèce, premièrement, la Commission a indiqué, dans la décision attaquée, qu’il ressortait de l’ensemble des contacts anticoncurrentiels, et, notamment, des réunions du 29 août 2002, du 22 décembre 2006, du 25 juin 2008 et du 20 décembre 2010, citées à titre d’exemple, que les informations échangées ne se limitaient pas à certains sous-types de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale, mais qu’elles concernaient les condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale en général (voir considérant 796 de la décision attaquée).

396    Deuxièmement, les informations échangées portaient également sur des considérations spécifiques, mais pertinentes aux fins de la détermination du prix de vente des produits, telles que l’augmentation du coût des matières premières et la fluctuation des taux de change, qui ne se limitaient pas à certains sous-types de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale (voir, notamment, considérant 796 et notes en bas de page nos 1417 et 1418 de la décision attaquée).

397    Troisièmement, les participants à l’entente n’avaient introduit, dans leurs déclarations d’entreprise, aucune limitation quant à la définition des produits couverts par l’entente (voir considérant 797 de la décision attaquée).

398    Quatrièmement, la majorité des représentants des participants à l’entente étaient responsables de la fabrication et/ou de la vente des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale en général et non d’une gamme de condensateurs spécifiques (voir considérant 798 de la décision attaquée).

399    Dans ces circonstances, et à la lumière de la jurisprudence rappelée aux points 151 et 392 à 394 ci-dessus, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir considéré que, prises dans leur ensemble, les informations échangées lors des contacts anticoncurrentiels couvraient l’ensemble des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale et, partant, que l’infraction unique et continue couvrait l’ensemble de ces produits.

400    Il s’ensuit que la troisième branche du troisième moyen doit être écartée et, partant, le troisième moyen dans son intégralité.

[omissis]

f)      Sur le sixième moyen, tiré d’erreurs dans le calcul du montant de l’amende et de la violation des lignes directrices de 2006 ainsi que des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité

[omissis]

1)      Sur la première branche du sixième moyen, tirée d’erreurs dans le calcul de la valeur des ventes

[omissis]

ii)    Sur le deuxième grief de la première branche du sixième moyen, tiré d’une erreur en ce que la valeur des ventes inclut les ventes effectuées par les filiales de la requérante

460    La requérante conteste, en substance, le fait que la Commission ait calculé la valeur des ventes en incluant les ventes du groupe Nippon Chemi-Con et, en particulier, d’Europe Chemi-Con, facturées à tous les clients établis dans l’EEE. En premier lieu, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que la requérante n’aurait pas elle-même réalisé des ventes dans l’EEE et que les comportements décrits dans la décision attaquée ne concerneraient que dans une faible mesure les clients du groupe Nippon Chemi-Con. Parmi les soixante clients mentionnés dans la décision attaquée, seuls deux seraient des clients mondiaux d’United Chemi-Com et seuls quatre seraient des clients mondiaux d’Europe Chemi-Con. En deuxième lieu, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait qu’Europe Chemi-Con et United Chemi-Con jouiraient d’un pouvoir tarifaire autonome à l’égard de leurs clients locaux ainsi que des clients mondiaux ayant un siège en Europe, ce pouvoir étant suffisant pour réfuter la présomption selon laquelle ces filiales, détenues à 100 % par la requérante, feraient partie de la même entreprise. En troisième lieu, la Commission n’aurait pas établi que les ventes du groupe Nippon Chemi-Con à ses clients locaux et mondiaux étaient en relation directe ou indirecte avec l’infraction, ni que celle-ci avait des effets spécifiques dans l’EEE.

461    La Commission conteste ces arguments.

462    Selon une jurisprudence constante, le droit de l’Union en matière de concurrence, notamment l’article 101 TFUE, vise les activités des entreprises et la notion d’« entreprise » désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêts du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 54 et jurisprudence citée, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 140 et jurisprudence citée).

463    Sur ce point, la Cour a précisé, d’une part, que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, devait être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique était constituée de plusieurs personnes physiques ou morales, et, d’autre part, que, lorsqu’une telle entité économique enfreignait les règles de la concurrence, il lui incombait, selon le principe de responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt du 26 octobre 2017, Global Steel Wire e.a./Commission, C‑457/16 P et C‑459/16 P à C‑461/16 P, non publié, EU:C:2017:819, point 82 et jurisprudence citée).

464    S’agissant encore de la notion d’entreprise, placée cette fois-ci dans le contexte du calcul de l’amende, il y a lieu de rappeler qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre, qui provient des produits faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci (voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 145 et jurisprudence citée). En effet, la partie du chiffre d’affaires global provenant de la vente des produits qui font l’objet de l’infraction est la mieux à même de refléter l’importance économique de l’infraction (voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 149 et jurisprudence citée).

465    Par ailleurs, dans le cas particulier où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale (voir arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑516/15 P, EU:C:2017:314, point 54 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 63). Une telle présomption implique, à moins qu’elle ne soit renversée, que l’exercice effectif d’une influence déterminante par la société mère sur sa filiale est considéré comme établi et fonde la Commission à tenir la première responsable du comportement de la seconde, sans avoir à produire une quelconque preuve supplémentaire (voir arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑516/15 P, EU:C:2017:314, point 55 et jurisprudence citée).

466    Certes, la présomption d’absence d’autonomie des filiales a été développée par la jurisprudence afin de permettre d’imputer le comportement d’une entité juridique (la filiale) à une autre (la société mère). Toutefois, cette présomption d’absence d’autonomie des filiales est également valable lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de déterminer la valeur de ventes pertinente pour le calcul du montant de base de l’amende à infliger à une société mère qui a participé directement à l’infraction et qui, pendant la période infractionnelle, a effectué des ventes des produits concernés par cette infraction dans l’EEE par l’intermédiaire de ses filiales.

467    En l’espèce, il est constant que, tout au long de la durée de l’infraction, la requérante possédait 100 % des parts d’Europe Chemi‑Con ainsi que 100 % des parts d’United Chemi-Con (voir point 1 ci-dessus). Il s’ensuit que la requérante et ses filiales constituent une même unité économique et forment ainsi une seule entreprise au sens de l’article 101 TFUE, conformément la jurisprudence rappelée au point 463 ci-dessus. Il s’ensuit également qu’il existe une présomption réfragable d’absence d’autonomie des filiales concernées.

468    Or, la requérante n’avance aucun élément concret permettant de renverser cette présomption d’absence d’autonomie et d’étayer un prétendu pouvoir tarifaire autonome de ses filiales. En revanche, il résulte de l’analyse du deuxième moyen que certains clients d’Europe Chemi-Con et d’United Chemi-Con, qui avaient leur siège ou des usines de fabrication en Europe, ont fait l’objet de discussions lors de certains contacts anticoncurrentiels (voir points 249, 280 et 296 ci-dessus), ce que d’ailleurs la requérante admet elle-même dans la requête.

469    Force est donc de constater que la présomption d’absence d’autonomie des filiales de la requérante n’a pas été renversée en l’espèce.

470    En outre, il convient de relever que la valeur des ventes pertinente pour le calcul du montant de base de l’amende doit correspondre à la valeur des ventes de biens ou de services, réalisées par l’« entreprise » en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans l’EEE (voir point 434 ci-dessus). Cela signifie que, en l’espèce, la valeur des ventes doit inclure les ventes de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale réalisées dans l’EEE par l’unité économique formée par la requérante et par ses filiales détenues à 100 %.

471    Partant, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir pris en compte, pour déterminer la valeur des ventes réalisées par l’entreprise en relation directe ou indirecte avec l’infraction, conformément au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, le montant des ventes des condensateurs électrolytiques que les filiales de la requérante ont facturé à des clients établis en Europe (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 150).

[omissis]

474    Il y a donc lieu d’écarter le deuxième grief de la première branche du sixième moyen.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Nippon Chemi-Con Corporation supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission européenne.

Costeira

Gratsias

Kancheva

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 septembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.