Language of document : ECLI:EU:C:2021:886

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 28 octobre 2021 (1)

Affaire C421/20

Acacia Srl

contre

Bayerische Motoren Werke AG

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Dessins et modèles communautaires – Compétence internationale – Droit matériel applicable – Droits dérivés résultant de la contrefaçon d’un dessin communautaire – Lex fori – Lieu où l’acte de contrefaçon initial a été commis »






I.      Introduction

1.        Le noyau dur du droit international privé de l’Union est composé des règles de compétence et des règles de conflit figurant, respectivement, dans le règlement (UE) no 1215/2012 (2) et les deux règlements jumeaux sur la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles, à savoir les règlements (CE) nos 593/2008 (3) et 864/2007 (4).

2.        Ces règlements ont des champs d’application particulièrement larges. Cela étant, l’application des règles de compétence du règlement no 1215/2012 requiert l’existence d’un élément d’extranéité qui se traduit par le caractère international du rapport juridique en cause découlant de l’implication de plusieurs États (5). Pareillement, les règles de conflit des règlements Rome I et Rome II s’appliquent dans les situations comportant un conflit de lois (6).

3.        Par ailleurs, sans préjudice de ces exigences relatives à l’existence d’un élément d’extranéité, les règlements no 1215/2012 et Rome II prévoient des exceptions en faveur des dispositions particulières du droit de l’Union (7) en donnant une priorité, notamment, à celles du règlement (CE) no 6/2002 (8).

4.        Le présent renvoi préjudiciel donne à la Cour l’occasion de clarifier l’articulation entre ces trois règlements en ce qui concerne les situations visées à l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, à savoir celles dans lesquelles une action en contrefaçon est portée devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis.

II.    Le cadre juridique

A.      Le règlement no 6/2002

5.        L’article 82 du règlement no 6/2002, intitulé « Compétence internationale », dispose, à son paragraphe 5 :

« Les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 81, points a) et d), peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis. »

6.        Selon l’article 88 de ce règlement, intitulé « Droit applicable » :

« 1.      Les tribunaux des dessins ou modèles communautaires appliquent les dispositions du présent règlement.

2.      Pour toutes les questions qui n’entrent pas dans le champ d’application du présent règlement, le tribunal des dessins ou modèles communautaires applique son droit national, y compris son droit international privé.

3.      À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, le tribunal des dessins ou modèles communautaires applique les règles de procédure applicables au même type de procédures relatives à un enregistrement de dessin ou modèle dans l’État membre sur le territoire duquel ce tribunal est situé. »

B.      Le règlement Rome II

7.        L’article 1er du règlement Rome II, intitulé « Champ d’application », énonce, à son paragraphe 1 :

« Le présent règlement s’applique, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations non contractuelles relevant de la matière civile et commerciale. [...] »

8.        L’article 8 de ce règlement, intitulé « Atteinte aux droits de propriété intellectuelle », dispose :

« 1.      La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée.

2.      En cas d’obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle communautaire à caractère unitaire, la loi applicable à toute question qui n’est pas régie par l’instrument communautaire pertinent est la loi du pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit.

[...] »

III. Les faits de l’affaire au principal

9.        Acacia Srl est une société de droit italien qui produit, en Italie, des jantes pour véhicules automobiles et les distribue sur l’ensemble du territoire de l’Union.

10.      La société Bayerische Motoren Werke AG (ci‑après « BMW »), estimant que la distribution par Acacia de certaines jantes en Allemagne constitue une contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire enregistré dont elle est titulaire, a introduit en Allemagne une action en contrefaçon devant un tribunal des dessins ou modèles communautaires.

11.      Ce tribunal s’est déclaré compétent en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002.

12.      Par ailleurs, ledit tribunal a jugé qu’Acacia avait commis l’acte de contrefaçon allégué par BMW et a ordonné la cessation de la contrefaçon ainsi constatée. En se référant à l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II, le même tribunal a appliqué le droit allemand aux demandes annexes de BMW visant l’octroi de dommages‑intérêts, la fourniture de renseignements, la fourniture de documents, la remise des produits en vue de leur destruction et la reddition de comptes. Ces demandes ont, pour l’essentiel, été accueillies.

13.      Acacia a interjeté appel devant la juridiction de renvoi. Elle a fait valoir, notamment, que la loi applicable aux demandes annexes de BMW était le droit italien.

14.      La juridiction de renvoi confirme que la compétence des juridictions allemandes découle, en l’occurrence, de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 et qu’Acacia a commis l’acte de contrefaçon allégué par BMW.

15.      Elle nourrit toutefois des doutes sur le droit national applicable aux demandes annexes de BMW et observe que l’issue du litige dépendra, dans une certaine mesure, de cette question. Selon un rapport d’expert portant sur le droit italien présenté par Acacia, les règles du droit allemand sur la fourniture de documents et la reddition de comptes seraient différentes de celles du droit italien. Si le droit italien était celui applicable aux demandes annexes, il conviendrait alors de réformer le jugement de première instance.

16.      La juridiction de renvoi considère qu’il découle de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Nintendo (9), que le droit italien s’applique au cas d’espèce. Elle observe, à cet égard, que, dans la mesure où les produits litigieux livrés en Allemagne ont pour origine l’Italie, le fait générateur du dommage se situe donc en Italie. Selon cette juridiction, le critère du lieu du fait générateur du dommage établi dans l’arrêt Nintendo doit s’appliquer non seulement dans la situation où les actes de contrefaçon reprochés au défendeur ont été commis dans plusieurs États membres, tel que cela était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, mais également dans celle où ils ont été commis dans un seul État membre, comme en l’espèce.

17.      Une telle solution garantirait que la loi applicable au fait dommageable soit la même dans ces deux situations. L’arrêt AMS Neve e.a. (10), invoqué par BMW à l’appui de sa position selon laquelle le droit allemand s’applique aux demandes annexes, ne changerait rien à la nécessité de garantir que la même loi matérielle s’applique à ces deux situations.

IV.    La procédure devant la Cour et les questions préjudicielles

18.      C’est dans ces conditions que l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), par décision du 31 août 2020, parvenue à la Cour le 8 septembre 2020, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      En cas de contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire, le juge de la contrefaçon ayant compétence internationale au titre du lieu de commission du fait de contrefaçon en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 peut-il appliquer la loi nationale de l’État membre de son siège (la lex fori) à des demandes annexes visant le territoire de cet État membre ?

2)      En cas de réponse négative à la première question : pour déterminer la loi applicable aux demandes annexes en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du [règlement Rome II], le « lieu où l’acte de contrefaçon initial [...] a été commis », au sens de l’[arrêt Nintendo], peut-il également se situer dans l’État membre dans lequel se trouvent des consommateurs auxquels s’adresse une publicité en ligne et où sont mis sur le marché des objets portant atteinte aux droits conférés par le dessin ou modèle communautaire au sens de l’article 19 du règlement no 6/2002 lorsque l’action introduite dans cet État membre vise uniquement la proposition à la vente et la mise sur le marché des produits en cause, y compris dans le cas où les offres sur Internet à l’origine de la proposition à la vente et de la mise sur le marché ont été formulées dans un autre État membre ? »

19.      Des observations écrites ont été déposées par BMW et par la Commission européenne. Les mêmes intéressés ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 8 juillet 2021.

V.      Analyse

A.      Sur la première question préjudicielle

20.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à déterminer si l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II ainsi que l’article 88, paragraphe 2, et l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002 doivent être interprétés en ce sens que la situation où un tribunal d’un État membre est saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, de ce second règlement ne comporte pas un conflit de lois, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II, et qu’il convient d’appliquer aux demandes annexes visant le territoire de cet État membre non pas la loi désignée comme applicable par les règles de conflit de ce règlement mais la lex fori.

21.      Avant de procéder à l’examen de cette question, il me semble opportun de rappeler le contexte dans lequel s’inscrit la compétence juridictionnelle d’un tribunal saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 (titre 1). Ensuite, en vue de répondre utilement à cette question, dans un premier temps, je démontrerai qu’il y a lieu d’écarter l’hypothèse selon laquelle les demandes annexes en cause au principal pourraient tomber sous le coup du principe de la lex fori processualis et seraient nécessairement régies par la loi de l’État membre du tribunal saisi d’une action en contrefaçon (titre 2), puis, dans un second temps, j’examinerai si la situation où un tribunal d’un État membre est saisi au titre de cette disposition exige l’application des règles de conflit (titre 3).

1.      L’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002

22.      Eu égard à la compétence juridictionnelle des tribunaux des États membres pour connaître les actions en contrefaçon, le règlement no 6/2002 prévoit, à son article 82, paragraphes 1 à 3, une cascade de points de rattachement, le premier étant le domicile du défendeur dans l’Union et le deuxième, l’établissement du défendeur dans l’Union. Ensuite, dans le cas où le défendeur n’a ni domicile ni établissement sur le territoire de l’Union, ce règlement prévoit la compétence du forum actoris : les troisième et quatrième points de rattachement sont, respectivement, le domicile et le lieu d’établissement d’un demandeur  sur le territoire de l’Union. Enfin, à titre d’ultima ratio, les actions en contrefaçon doivent être portées devant les juridictions du siège de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).

23.      De surcroît, en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, des actions en contrefaçon peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis. Ainsi qu’il ressort de l’article 83 du règlement no 6/2002, à la différence des tribunaux saisis au titre de l’article 82, paragraphes 1 à 3, de celui‑ci, le tribunal saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, de ce règlement est compétent uniquement pour statuer sur les faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé le tribunal saisi.

24.      Une telle cascade de points de rattachement, supplémentée par celui relatif à l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis, figure également dans le règlement (UE) 2017/1001 (11). La jurisprudence de la Cour développée dans le cadre de ce règlement, en particulier celle issue de l’arrêt AMS Neve e.a., est donc transposable au règlement no 6/2002. Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 64 de cet arrêt, les solutions retenues en ce qui concerne les règles de compétence ne sont pas nécessairement applicables aux règles de conflit, qui se trouvent au cœur du présent renvoi préjudiciel. Dès lors, l’arrêt AMS Neve e.a. ne saurait être interprété comme apportant une restriction ou opérant un revirement par rapport à l’arrêt Nintendo.

2.      Le principe de la lex fori processualis

25.      Pour désigner la loi applicable aux sanctions autres que celles visées à l’article 89, paragraphe 1, sous a) à c), du règlement no 6/2002, l’article 89, paragraphe 1, sous d), de ce règlement renvoie à la loi de l’État membre dans lequel les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ont été commis, tout en précisant que ce renvoi concerne également les règles de droit international privé de cette loi. Dans cet ordre d’idées, l’article 88, paragraphe 2, dudit règlement renvoie, à son tour, en ce qui concerne toutes les questions qui n’entrent pas dans le champ d’application de ce même règlement, à la loi de l’État membre du tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi, notamment, d’une action en contrefaçon.

26.      Dans le contexte actuel du droit de l’Union, ces renvois doivent, pour autant qu’ils concernent le droit international privé, être compris comme visant les dispositions du règlement Rome II (12). Dans les États membres qui appliquent les règles de conflit de ce règlement, les renvois qu’opèrent l’article 89, sous d), et l’article 88, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 conduisent donc à ce que la même loi nationale soit désignée comme applicable.

27.      En revanche, eu égard au principe de la lex fori processualis, les divers aspects de la procédure qui ne font pas l’objet de dispositions uniformes du droit de l’Union doivent être régis par la loi nationale de l’État membre de la juridiction saisie d’une action (13). Dans le cadre du règlement no 6/2002, ce principe semble être reconnu à l’article 88, paragraphe 3, de ce règlement (14). Le principe de la lex fori processualis fait, en outre, écho à l’article 89, paragraphe 2, dudit règlement, selon lequel le tribunal des dessins ou modèles communautaires prend, conformément à la loi nationale, les mesures propres à garantir le respect des ordonnances visées à l’article 89, paragraphe 1, du même règlement.

28.      L’arrêt H. Gautzsch Großhandel (15) fournit des repères utiles permettant d’écarter l’hypothèse selon laquelle les demandes annexes en cause au principal tombent sous le coup du principe de la lex fori processualis.

29.      En ce qui concerne, tout d’abord, une demande de destruction des produits de contrefaçon, il ressort de l’arrêt H. Gautzsch Großhandel (16) que celle‑ci fait partie des « autres sanctions », au sens de l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002.

30.      Ensuite, s’agissant des demandes tendant à l’octroi de dommages‑intérêts résultant des activités de l’auteur de la contrefaçon et à l’obtention, aux fins de déterminer ce préjudice, de renseignements sur ces activités, ces demandes ne concernent pas, selon l’arrêt H. Gautzsch Großhandel (17), une sanction au sens de l’article 89 du règlement no 6/2002. Elles sont néanmoins régies, conformément à l’article 88, paragraphe 2, de ce règlement, par le droit national du tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi.

31.      Enfin, dans le prolongement de la logique de l’arrêt H. Gautzsch Großhandel (18), il devrait en aller de même, à mon sens, s’agissant des demandes tendant à la fourniture de documents et à la reddition de comptes. Les caractéristiques de ces demandes ne semblent pas très éloignées de celles d’une demande tendant à obtenir des renseignements sur les activités de l’auteur de la contrefaçon. En effet, la Cour a confirmé, dans l’arrêt Nintendo (19), que les demandes annexes tendant à la fourniture de documents et de comptes sont visées soit à l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002, soit à l’article 88, paragraphe 2, de celui‑ci, chacune de ces dispositions renvoyant au droit national applicable.

32.      Par conséquent, les demandes annexes en cause au principal ne sont pas couvertes par le principe de la lex fori processualis. Il convient donc maintenant de déterminer si la situation où le tribunal d’un État membre est saisi de telles demandes, au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, exige l’application des règles de conflit.

3.      L’application des règles de conflit

33.      Pour pouvoir parvenir à la conclusion que, lorsqu’un tribunal de l’État membre est saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, c’est nécessairement la lex fori qui s’applique aux demandes annexes à une action en contrefaçon, il conviendrait de considérer que, devant ce tribunal, il ne s’agit pas d’un conflit de lois au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II.

34.      En effet, comme je l’ai déjà mentionné au point 3 des présentes conclusions, les règles de conflit du règlement Rome II cèdent la place à celles, notamment, du règlement no 6/2002. Or, le règlement no 6/2002 n’énonce aucune règle de conflit désignant la lex fori comme la loi applicable pour les situations visées à l’article 82, paragraphe 5, de ce règlement. En particulier, contrairement à ce que suggère BMW, l’article 83, paragraphe 2, dudit règlement ne contient pas une telle règle. Comme il ressort de son intitulé, cette disposition détermine l’étendue de la compétence des tribunaux du lieu du fait de la contrefaçon.

35.      En l’absence d’une telle règle de conflit, notamment lorsqu’un tribunal d’un État membre est saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, les demandes annexes en cause au principal doivent a priori être régies par la loi désignée comme applicable en vertu du règlement Rome II. Cela étant, le règlement Rome II ne s’applique que dans les situations comportant un conflit de lois. Dès lors, pour pouvoir répondre à la première question et considérer que les règles de conflit de ce règlement s’appliquent à ces demandes, il convient de vérifier si la situation dans le litige au principal comporte un conflit de lois (20).

a)      Sur la situation comportant un conflit de lois

36.      Le droit de l’Union ne précise pas le sens des termes « situation comportant un conflit de lois », utilisés pour désigner les champs d’application du règlement Rome II, ainsi que du règlement Rome I et de son prédécesseur, à savoir la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (21). Le fait que ces termes sont fréquemment utilisés en droit international privé de l’Union pour circonscrire le champ d’application de ses instruments résulte d’un choix bien mesuré du législateur.

37.      L’existence d’une situation impliquant un conflit de lois constitue une condition d’applicabilité des règles de conflit bien établie en droit international privé (22), malgré le fait que le sens précis de cette exigence n’est pas compris de manière uniforme (23). Selon l’interprétation la moins controversée en ce qui concerne les règles de conflit nationales, et en laissant de côté les nuances qui font l’objet des débats doctrinaux, ladite exigence est considérée comme remplie lorsque la situation en cause présente un caractère transfrontalier, du fait de l’implication de plusieurs États, et peut donc être, à tout le moins potentiellement, soumise à la loi nationale de plus d’un de ces États.

38.      Eu égard à cette interprétation, en l’absence des règles de conflit du règlement Rome II, une juridiction d’un État membre à laquelle il incomberait d’appliquer les règles de conflit nationales ou conventionnelles en vigueur dans cet État membre dans un cas tel que celui en l’espèce devrait à tout le moins envisager la possibilité que des lois autres que la sienne s’appliquent. En effet, les parties au litige au principal sont domiciliées dans des États membres différents. De surcroît, l’acte de contrefaçon initial a eu lieu dans un État membre, à savoir en Italie, et ses conséquences interviennent dans un autre État membre, à savoir l’Allemagne.

39.      Dans ces circonstances, pour interpréter les termes « situation comportant un conflit de lois » au sens du règlement Rome II, il est utile de se référer aux fondements juridiques de celui‑ci. En effet, en vertu de l’article 61, sous c), CE, qui constitue l’un des fondements juridiques de ce règlement, et de l’article 65 CE (devenus, respectivement, l’article 67, paragraphe 3, et l’article 81 TFUE), l’Union arrête des mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile ayant des implications transfrontalières et dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur. L’unification en elle‑même des règles de conflit, opérée par le règlement Rome II, a assurément pour objectif d’éliminer les obstacles au bon fonctionnement du marché intérieur pouvant découler des disparités des législations nationales en la matière (24).

40.      Pour éliminer de tels obstacles, il convient de donner un sens approprié aux termes « situation comportant un conflit de lois », figurant à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II, afin d’assurer que ce soit non pas les règles de conflit nationales ou conventionnelles mais les règles de conflit de ce règlement qui s’appliquent dans toute situation où la juridiction d’un État membre doit à tout le moins envisager, en raison du fait que plusieurs États membres ou tiers sont impliqués, la possibilité que des lois autres que la sienne s’appliquent. Par conséquent, comme le fait valoir la doctrine, le règlement Rome II doit s’appliquer dans les situations où, comme c’est le cas en l’espèce, les parties sont domiciliées dans des États membres différents (25), et cela sans même qu’il soit besoin de mentionner d’autres éléments de la situation au principal qui démontrent son caractère transfrontalier (26).

41.      Une telle interprétation appropriée des termes « situation comportant un conflit de lois » est corroborée par l’interprétation systématique du règlement Rome II. En effet, l’article 14, paragraphe 2, de ce règlement vise les situations où « tous les éléments de la situation étaient, au moment de la survenance du fait générateur du dommage, localisés dans un pays autre que celui dont la loi a été choisie ». Ces situations relèvent donc du champ d’application dudit règlement, bien qu’elles ne soient caractérisées que par la présence d’un seul élément impliquant un autre État, à savoir un choix de la loi de celui‑ci. A fortiori, ce règlement devrait donc s’appliquer dans la situation en cause au principal dans laquelle, comme je l’ai exposé au point 40 des présentes conclusions, de tels éléments sont nombreux.

42.      Enfin, considérer que la situation visée à l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 ne comporte pas de conflit de lois au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II, au motif que l’étendue de la compétence de la juridiction est territorialement limitée, ne serait pas sans conséquence pour le système du droit international privé de l’Union dans son intégralité, en dehors de la matière de dessins ou modèles communautaires, dans les situations autres que celle dans le litige au principal. Cela conduirait, en substance, à ne pas appliquer les règles de conflit, alors que celles‑ci sont conçues pour désigner la loi applicable également dans ces situations en raison de leur caractère transfrontalier.

43.      En effet, d’une part, cela pourrait permettre aux justiciables de contourner les règles de conflit du droit international privé de l’Union et d’éviter l’application de la loi désignée comme applicable par ces règles. Il suffirait de fragmenter artificiellement une situation litigeuse pour lui donner une portée territorialement limitée ou de cibler les demandes litigieuses sur le territoire d’un seul État membre. Dans cet ordre d’idées, si, en vertu des règles procédurales de la lex fori, une juridiction d’un État membre pouvait cibler la procédure sur les faits localisés dans cet État membre, elle serait autorisée à ne pas appliquer les règles de conflit du droit international privé de l’Union.

44.      D’autre part, les règles de conflit du droit international privé de l’Union ne seraient pas non plus applicables aux obligations non contractuelles dans les situations où, en vertu du règlement no 1215/2012 – qui lui‑même ne s’applique qu’aux litiges présentant un élément d’extranéité (27) –, une juridiction d’un État membre serait, selon la jurisprudence de la Cour, compétente pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de cet État membre (28).

45.      Dans ces conditions, l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II ainsi que l’article 88, paragraphe 2, et l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un tribunal d’un État membre est saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, de ce dernier règlement d’une action en contrefaçon d’un titulaire établi dans cet État membre contre un auteur de contrefaçon établi dans un autre État membre, qui vise la proposition à la vente et la mise sur le marché de ce premier État membre des produits en cause, il s’agit d’une situation comportant un conflit de lois au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II et, en conséquence, l’article 8, paragraphe 2, de ce règlement désigne la loi applicable aux demandes annexes visant le territoire de cet État membre.

46.      Les arguments avancés par BMW, qui tiennent surtout à l’effet utile de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, ne sont pas susceptibles de remettre en cause le bien‑fondé de cette interprétation.

b)      Sur l’effet utile de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002

47.      BMW soutient que l’application d’une loi autre que la lex fori dans les situations visées à l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 réduirait l’effet utile du for alternatif qu’établit cette disposition.

48.      Je suis d’avis que cette interprétation compromettrait l’effet utile des règles de conflit du règlement Rome II (29) et, en outre, je doute qu’elle permette d’assurer l’effet utile de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002.

49.      En effet, en premier lieu, en prévoyant un for alternatif à l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, le législateur de l’Union permet au titulaire d’un dessin ou modèle communautaire d’intenter, s’il le souhaite, des actions ciblées dont chacune porte sur les faits de contrefaçon commis sur le territoire d’un seul État membre (30).

50.      La Cour a considéré, dans l’arrêt AMS Neve e.a., que l’effet utile d’une disposition analogue en matière de marque de l’Union consiste en une disponibilité du for alternatif par rapport au for disponible par défaut, à savoir celui du domicile du défendeur. Pour assurer l’effet utile de cette disposition, la Cour l’a interprétée de manière à ce qu’elle ne conduise pas au même résultat qu’une disposition sur le for du domicile du défendeur (31). L’approche ainsi retenue par la Cour est cohérente avec sa jurisprudence en matière de droit international privé de l’Union. En effet, la Cour, dans un arrêt de principe sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (32), avait suivi la même logique lors de l’interprétation d’une disposition sur le for alternatif en matière délictuelle ou quasi délictuelle (33).

51.      Toutefois, la disponibilité d’un for alternatif devant lequel un titulaire peut de manière effective se prévaloir de ses droits ne saurait être confondue avec la possibilité de sélectionner soigneusement la loi applicable aux demandes annexes à une action en contrefaçon (34). Si, dans les situations visées à l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, à l’instar des dispositions du droit international privé en matière de successions (35), le législateur de l’Union avait souhaité assurer la concordance du for et de la loi applicable ou, comme il l’a partiellement fait en matière d’obligations alimentaires (36), un choix indirect de la loi applicable dans de telles situations, il l’aurait fait expressément.

52.      En deuxième lieu, l’argument de BMW selon lequel il convient de ne pas appliquer la loi d’un État membre autre que la lex fori dans le cadre d’une procédure devant un tribunal compétent au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 – et, plus précisément, celle de l’État membre du lieu de l’acte de contrefaçon initial – au motif que l’application de cette loi est accompagnée d’un risque ne saurait prospérer. BMW soutient que l’application de ladite loi, d’une part, permettrait à l’auteur d’une contrefaçon de faire désigner comme applicable aux demandes annexes, en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II, une loi offrant au titulaire d’un modèle ou dessin un moindre niveau de protection et, d’autre part, conduirait généralement à de coûteuses expertises et à un ralentissement considérable de la procédure.

53.      Il y a lieu de rappeler que de tels « risques » sont inhérents au système du règlement no 6/2002 et se présentent de manière plus flagrante devant des juridictions compétentes au titre de l’article 82, paragraphes 1 à 3, du règlement no 6/2002. En vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II, ces juridictions appliquent, par défaut et sans aucune limitation territoriale quant à l’étendue de leur compétence, la loi de l’État membre du lieu de l’acte de contrefaçon initial. Pour la même raison, ne sauraient prospérer les arguments par lesquels BMW fait valoir que l’application de la lex fori assure la prévisibilité et la sécurité juridique optimales ainsi que l’équilibre raisonnable entre les intérêts des parties.

54.      En troisième lieu, en affirmant que l’application, devant un tribunal saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, d’une loi autre que la lex fori risquerait de compromettre l’effet utile du for alternatif, BMW semble ignorer le fait que ce règlement lui‑même contient des dispositions que le législateur de l’Union a considérées comme nécessaires pour assurer qu’un titulaire puisse se prévaloir de manière effective de ses droits devant des tribunaux qui lui sont disponibles. Comme l’énonce le considérant 22 dudit règlement, les mesures destinées à garantir l’exercice de ces droits sont du ressort du législateur national et il est donc nécessaire de prévoir certaines sanctions de base uniformes dans tous les États membres. Cela faisant, l’article 89, paragraphe 1, sous a), du même règlement permet aux tribunaux des États membres d’interdire au défendeur « de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ». Qui plus est, le législateur de l’Union a partiellement harmonisé, à travers la directive 2004/48/CE (37), les mesures, les procédures et les réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété industrielle, tels que ceux conférés par le règlement no 6/2002.

55.      Enfin, en quatrième lieu, ne saurait non plus prospérer l’argument de BMW par lequel celle‑ci soutient que l’effet utile de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 est susceptible d’être compromis, surtout lorsqu’un titulaire doit se prévaloir rapidement de ses droits, notamment, dans une procédure en référé. En effet, cet argument semble ignorer le fait que la compétence juridictionnelle d’un tribunal des dessins ou modèles communautaires d’un État membre pour ordonner des mesures provisoires et conservatoires est visée principalement non pas à l’article 82 de ce règlement, mais à l’article 90, paragraphe 1, de celui‑ci. En vertu de cette dernière disposition, ce tribunal peut ordonner les mesures provisoires et conservatoires prévues par la loi de cet État membre en ce qui concerne des dessins ou des modèles nationaux. L’article 90, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 complète ainsi la liste des dispositions de ce règlement reflétant le principe de la lex fori processualis (38). Or, bien que les mesures provisoires et conservatoires tombent sous le coup de ce principe, elles aussi font l’objet de l’harmonisation réalisée par l’article 9 de la directive 2004/48.

56.      Sans préjudice des remarques qui précèdent, relatives notamment à l’effet utile de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, je maintiens la position que j’ai avancée au point 45 des présentes conclusions.

B.      Sur la seconde question préjudicielle

57.      Par sa seconde question, qui ne se pose que s’il est répondu, comme je le propose, par la négative à la première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II doit être interprété en ce sens que, en ce qui concerne la détermination de la loi applicable en vertu de cette disposition, la notion de « pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit », au sens de celle‑ci, vise l’État membre dans lequel se trouvent des consommateurs auxquels s’adresse une publicité en ligne et où sont mis sur le marché des objets portant atteinte aux droits conférés par le dessin ou modèle communautaire, au sens de l’article 19 du règlement no 6/2002, lorsque l’action introduite dans cet État membre vise uniquement la proposition à la vente ainsi que la mise sur le marché des produits en cause, et les offres sur Internet à l’origine de cette proposition ont été formulées dans un autre État membre.

58.      La seconde question vise le point de savoir si, en ce qui concerne la détermination de la loi applicable aux demandes annexes en cause au principal, il convient d’appliquer l’interprétation de la notion de « pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit » issue de l’arrêt Nintendo. L’alternative consisterait à considérer que, quand il s’agit de l’interprétation de cette notion, il y a lieu de s’inspirer de celle retenue en matière de compétence juridictionnelle dans l’arrêt AMS Neve e.a. en ce qui concerne la notion d’« État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis ». La seconde question fait référence à cette alternative.

59.      Les positions des parties divergent sur ce point. En effet, à l’instar de la juridiction de renvoi, la Commission se prononce en faveur de l’application de l’interprétation issue de l’arrêt Nintendo, ce qui, selon cette institution, devrait conduire à l’application de la loi italienne aux demandes annexes en cause au principal. Pour BMW, il y aurait lieu, s’il était répondu par la négative à la première question préjudicielle, de s’inspirer de l’interprétation issue de l’arrêt AMS Neve e.a. et d’appliquer la loi allemande à ces demandes.

60.      Afin de prendre position sur cette question, il y a lieu d’examiner, d’une part, le sens de la mention faite, dans l’arrêt Nintendo, aux « circonstances où sont reprochés à un même défendeur différents actes de contrefaçon [...], commis dans différents États membres », et, éventuellement (39), si l’interprétation issue de cet arrêt s’applique également dans d’autres circonstances et, d’autre part, dans quelle mesure l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II doit être guidée par la volonté d’éviter l’application de la loi d’un État tiers.

1.      L’arrêt Nintendo

61.      Le point de départ du raisonnement de la Cour sur lequel est fondée l’interprétation issue de l’arrêt Nintendo est l’observation, au point 99 de cet arrêt, selon laquelle le contentieux relatif aux violations des droits de propriété intellectuelle est caractérisé par une complexité particulière : il n’est pas rare que plusieurs actes de contrefaçon soient reprochés à un même défendeur, de sorte que plusieurs lieux pourraient constituer, au titre du lieu où le fait générateur du dommage s’est produit, le point de rattachement pertinent aux fins de déterminer la loi applicable. C’est notamment le cas lorsque, comme il ressort du point 103 dudit arrêt, il s’agit des circonstances où sont reprochés à un même défendeur différents actes de contrefaçon, commis dans différents États membres. Dans de telles circonstances, pour ne pas devoir appliquer plusieurs lois, une juridiction nationale doit, selon la Cour, interpréter la notion de « pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit », au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II, comme renvoyant au « lieu où l’acte de contrefaçon initial, qui est à l’origine du comportement reproché, a été commis ou risque d’être commis » (40).

62.      Plus précisément, dans un premier temps, la Cour a déclaré, au point 103 de l’arrêt Nintendo, que, dans des circonstances où sont reprochés à un même défendeur différents actes de contrefaçon relevant de la notion d’« utilisation », au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, commis dans différents États membres, il convient, pour identifier le fait générateur du dommage, non pas de se référer à chaque acte de contrefaçon reproché, mais d’apprécier, de manière globale, le comportement du défendeur, afin de déterminer le lieu où l’acte de contrefaçon initial, qui est à l’origine du comportement reproché, a été commis ou risque d’être commis.

63.      Toutefois, dans un second temps, en fournissant des clarifications permettant d’identifier le lieu de l’acte de contrefaçon initial, au sens du point 103 de cet arrêt, la Cour a, séparément et de manière isolée (41), distingué les situations où un opérateur a proposé à la vente par l’intermédiaire d’un site Internet des produits violant les droits conférés par les dessins ou modèles communautaires de celles où l’opérateur a fait transporter, dans un État membre autre que celui dans lequel le défendeur est établi, des produits violant prétendument des droits protégés par un dessin ou modèle communautaire par un entrepreneur tiers.

64.      Il s’ensuit que la mention faite, au point 103 de l’arrêt Nintendo, aux « circonstances où sont reprochés à un même défendeur différents actes de contrefaçon » concerne, dans la logique de cet arrêt, non pas l’hypothèse où les actes de contrefaçon constituant les formes différentes d’« utilisation », au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, se sont produits dans plusieurs États membres, mais celle où plusieurs actes de contrefaçon représentant la même forme d’« utilisation » ont été commis dans différents États membres.

65.      Se pose donc la question de savoir s’il s’agit de plusieurs actes de contrefaçon représentant la même forme d’« utilisation », commis dans différents États membres au sens du point 103 de l’arrêt Nintendo, lorsque, comme en l’espèce, le comportement reproché consiste en une proposition à la vente adressée aux consommateurs qui se trouvent dans un État membre (l’Allemagne) ainsi qu’en une mise des produits sur le marché de cet État membre et que les offres sur Internet à l’origine de cette proposition à la vente et de cette mise sur le marché ont été formulées dans un autre État membre (l’Italie).

66.      La Commission fait valoir qu’il convient de répondre par l’affirmative à cette question. En substance, il s’agit, selon elle, de plusieurs actes de contrefaçon commis dans différents États membres également dans le cas d’une offre à la vente de produits portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle sur Internet, même lorsque la juridiction saisie est compétente uniquement pour les actes de contrefaçon concernant un seul État membre.

67.      Cette interprétation a des partisans dans la doctrine. Pour ceux‑ci, en raison du principe de territorialité, il n’est tout simplement pas possible qu’un « dommage », au sens d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle, soit causé dans un pays sans qu’un « fait générateur », au sens d’un acte de contrefaçon, y soit également commis : ces deux éléments coïncident nécessairement en ce qui concerne le territoire où ils se produisent (42). Dans une situation telle que celle en l’espèce, il existe au moins deux actes de contrefaçon commis dans deux États membres différents.

68.      Ladite interprétation est également corroborée par l’arrêt AMS Neve e.a., dans lequel la Cour fait référence, au point 64, à l’arrêt Nintendo.

69.      Certes, en faisant référence à l’arrêt Nintendo, la Cour a déclaré, à ce point de l’arrêt AMS Neve e.a., première phrase, que « [la] détermination de la loi applicable [en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II] peut s’avérer nécessaire lorsqu’une action en contrefaçon, introduite devant une juridiction compétente pour statuer sur des faits de contrefaçon commis sur le territoire de tout État membre, porte sur divers actes de contrefaçon, commis dans différents États membres ». A priori, cette déclaration peut faire penser que l’interprétation issue de l’arrêt Nintendo ne concerne pas les situations dans lesquelles un tribunal est saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 et est compétent uniquement pour statuer sur les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé ce tribunal.

70.      Toutefois, ladite déclaration décrit simplement le litige ayant donné lieu au renvoi préjudiciel dans l’affaire Nintendo, sans pour autant exclure l’application de l’interprétation issue de l’arrêt Nintendo dans les situations visées à l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002.

71.      Plus important encore, la Cour a précisé, au point 64 de l’arrêt AMS Neve e.a., qu’« il convient, dans un tel cas [(43)], afin d’éviter que le juge saisi doive appliquer une pluralité de lois, qu’un seul de ces actes de contrefaçon, à savoir l’acte de contrefaçon initial, soit identifié comme déterminant la loi applicable au litige ». Il en résulte que, en ce qui concerne les comportements reprochés qui faisaient l’objet de l’arrêt Nintendo, et notamment celui d’offrir à la vente des produits prétendument contrefaits en ligne, l’acte de contrefaçon initial (le déclenchement du processus de la mise en ligne de l’offre) est l’un des actes de contrefaçon. À l’exclusion de cet acte de contrefaçon initial, les autres actes de contrefaçon sont, dans un tel cas, commis dans les États membres où se trouvent des consommateurs pour lesquels ce site Internet est accessible.

72.      Il convient donc de considérer que, en l’espèce, en ce qui concerne la détermination de la loi applicable en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II, dans les circonstances où le comportement reproché consiste en une proposition à la vente adressée aux consommateurs qui se trouvent dans un État membre (l’Allemagne) ainsi qu’en une mise des produits sur le marché de cet État membre, et où les offres sur Internet à l’origine de cette proposition à la vente et de cette mise sur le marché ont été formulées dans un autre État membre (l’Italie), il existe au moins deux actes de contrefaçon commis respectivement en Allemagne et en Italie.

73.      Dès lors, conformément à l’interprétation issue de l’arrêt Nintendo, la considération selon laquelle, afin d’éviter que le juge saisi doive appliquer une pluralité de lois, il convient qu’un seul de ces actes de contrefaçon, à savoir l’acte de contrefaçon initial, soit identifié comme déterminant la loi applicable au litige s’applique également en ce qui concerne la détermination de la loi applicable aux demandes annexes en cause au principal. À la lumière du point 108 de cet arrêt, en l’espèce, l’acte de contrefaçon initial est celui du déclenchement du processus de la mise en ligne de l’offre à la vente par un opérateur sur le site lui appartenant.

74.      L’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II doit être donc interprété en ce sens que, en ce qui concerne la détermination de la loi applicable aux demandes annexes à l’action en contrefaçon décrite dans la réponse à la première question, la notion de « pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit », au sens de cette disposition, vise le pays du lieu où l’acte de contrefaçon initial, qui est à l’origine du comportement reproché, a été commis.

75.      Cette considération n’est pas remise en cause par les arguments visant à démontrer que, lorsqu’il s’agit d’un défendeur établi dans un État tiers, l’interprétation issue de l’arrêt Nintendo est susceptible de conduire à désigner la loi d’un État tiers en tant que loi applicable à toute question qui n’est pas régie par le règlement n6/2002.

2.      Le cas d’un défendeur établi dans un État tiers

76.      Dans le cadre du débat qui a eu lieu dans le cadre de la procédure devant la Cour ainsi que du débat doctrinal, l’attention a été attirée sur les implications de l’interprétation issue de l’arrêt Nintendo en ce qui concerne le cas de figure dans lequel le lieu de l’acte de contrefaçon initial, qui est à l’origine du comportement reproché, se situerait dans un État tiers. Il semble que l’avis selon lequel l’interprétation issue de cet arrêt ne s’applique pas dans les situations visées à l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, formulé dans le cadre de ces débats, tient notamment à la volonté d’éviter l’application de la loi d’un État tiers.

77.      Toutefois, interpréter l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II en ce sens que, lorsqu’il s’agit de la détermination de la loi applicable pour des demandes annexes introduites devant un tribunal saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, c’est toujours la lex fori qui s’applique et, dès lors, répondre par l’affirmative à la seconde question ne résoudrait pas, dans des contextes différents de celui du présent renvoi préjudiciel, le problème persistant de l’offre à la vente et de la publicité sur Internet, par les opérateurs établis dans des États tiers, des produits portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle communautaire à caractère unitaire.

78.      En effet, de tels opérateurs établis dans des État tiers peuvent, par principe, être assignés devant les tribunaux du domicile d’un demandeur sur le territoire de l’Union ou, à titre subsidiaire, du lieu de son établissement sur le même territoire ou, à titre plus subsidiaire, devant les juridictions du siège de l’EUIPO (44).

79.      Dans ces situations, d’une part, l’étendue de la compétence d’un tribunal saisi d’une action en contrefaçon ne serait pas ciblée sur le territoire d’un seul État membre. En outre, en reprenant des termes du point 103 de l’arrêt Nintendo, le contentieux porterait sur plusieurs actes de contrefaçon. Il n’existerait donc, a priori, aucune raison de ne pas appliquer l’interprétation issue de cet arrêt qui conduirait à ce que la loi d’un État tiers soit désignée comme applicable aux demandes annexes à une action en contrefaçon.

80.      D’autre part, pour pouvoir se prévaloir de la loi d’un État membre dans la mesure où celle‑ci concerne ces demandes annexes à une action en contrefaçon, le titulaire devrait saisir des tribunaux au titre de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002. De surcroît, pour se prévaloir d’une telle loi et demander la protection en ce qui concerne l’ensemble de territoire de l’Union, ce titulaire devrait saisir des tribunaux dans tous les États membres. Du point de vue du système de ce règlement et compte tenu de la portée territoriale des droits du titulaire d’un dessin ou modèle communautaire, qui ont le caractère unitaire et s’étendent, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union, un tel résultat paraît peu satisfaisant.

81.      Cela étant posé, certes, le règlement Rome II prévoit, à son article 3, que la loi désignée comme applicable par ce règlement s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un État membre.

82.      Toutefois, l’application de la loi d’un État tiers pour supplémenter le règlement de l’Union en ce qui concerne un droit de propriété intellectuelle communautaire à caractère unitaire peut susciter des doutes.

83.      En effet, la portée territoriale des droits du titulaire d’un dessin ou modèle communautaire, conférés en vertu du règlement no 6/2002, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union sur lequel les dessins ou modèles jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets (45). Il ne saurait donc être porté atteinte à un droit de propriété intellectuelle communautaire, au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II, dans un pays qui ne reconnaît pas ce droit. Cette interprétation se fonde sur les considérations pouvant faire penser à celles formulées par la doctrine en ce qui concerne la coïncidence entre une atteinte au droit de propriété intellectuelle et un acte de contrefaçon (46). D’ailleurs, l’harmonisation réalisée par la directive 2004/48 en ce qui concerne les mesures, les procédures et les réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété industrielle conférés, notamment, par le règlement no 6/2002 ne concerne que les États membres.

84.      En conséquence, lorsque les offres sur Internet à l’origine de la proposition à la vente et de la mise sur le marché ont été formulées dans un autre État tiers, cet État ne saurait constituer un « pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit » au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II. En ce qui concerne la détermination de la loi applicable en vertu de cette disposition, il convient de ne prendre en compte que les lois des États membres où se trouvent des consommateurs auxquels s’adresse une publicité en ligne et où sont mis sur le marché les produits en cause. À la différence d’autres règles de conflit de ce règlement, celle de son article 8, paragraphe 2, ne désigne donc que les lois des États membres en tant que loi applicable. Or, cette règle de conflit n’existe pas dans un vide juridique et doit être lue conjointement avec les règlements portant sur les droits de propriété intellectuelle communautaire à caractère unitaire qui jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets à l’ensemble du territoire de l’Union.

85.      Il est certes vrai que cette interprétation peut conduire à ce que plusieurs lois aient vocation à s’appliquer en tant que loi applicable en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II. Pour ne pas devoir appliquer plusieurs lois, il y a lieu de, à tout le moins, essayer d’identifier un acte de contrefaçon initial ou central pour le territoire de l’Union.

86.      Dans cet ordre d’idées, tout en reconnaissant les insuffisances de l’interprétation issue de l’arrêt Nintendo, la doctrine fait valoir que, lorsque l’acte de contrefaçon initial au sens de cet arrêt a eu lieu dans un État tiers, il pourrait être envisagé d’appliquer non pas le droit de cet État mais la loi d’un des États membres où la contrefaçon a produit ses effets ou bien la loi d’un État membre étroitement lié à l’infraction des droits de propriété intellectuelle (47).

87.      Sans préjudice des remarques supplémentaires qui précèdent, je maintiens la position que j’ai avancée au point 74 des présentes conclusions.

VI.    Conclusion

88.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) de la manière suivante :

1)      L’article 1er, paragraphe 1, du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») et l’article 88, paragraphe 2, et l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un tribunal d’un État membre est saisi au titre de l’article 82, paragraphe 5, de ce dernier règlement d’une action en contrefaçon d’un titulaire établi dans cet État membre contre un auteur de contrefaçon établi dans un autre État membre, qui vise la proposition à la vente et la mise sur le marché de ce premier État membre des produits en cause, il s’agit d’une situation comportant un conflit de lois au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 864/2007 et, en conséquence, l’article 8, paragraphe 2, de ce règlement désigne la loi applicable aux demandes annexes visant le territoire de cet État membre.

2)      L’article 8, paragraphe 2, du règlement no 864/2007 doit être interprété en ce sens que, en ce qui concerne la détermination de la loi applicable aux demandes annexes à cette action en contrefaçon, la notion de « pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit », au sens de cette disposition, vise le pays du lieu où l’acte de contrefaçon initial, qui est à l’origine du comportement reproché, a été commis.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6, ci-après le « règlement Rome I »).


4      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») (JO 2007, L 199, p. 40, ci-après le « règlement Rome II »).


5      Voir arrêts du 1er mars 2005, Owusu (C‑281/02, EU:C:2005:120, points 25 et 26), et du 25 février 2021, Markt24 (C‑804/19, EU:C:2021:134, point 32 et jurisprudence citée).


6      Voir, notamment, article 1er, paragraphe 1, première phrase, du règlement Rome II.


7      L’article 67 du règlement no 1215/2012 stipule, en substance, que celui‑ci ne préjuge pas de l’application des dispositions dans des matières particulières qui sont contenues dans les actes de l’Union. L’article 27 du règlement Rome II prévoit que ce règlement n’affecte pas l’application des dispositions du droit de l’Union qui, dans des matières particulières, règlent les conflits de lois en matière d’obligations non contractuelles.


8      Règlement du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).


9      Arrêt du 27 septembre 2017 (C‑24/16 et C‑25/16, ci-après l’« arrêt Nintendo », EU:C:2017:724).


10      Arrêt du 5 septembre 2019 (C‑172/18, ci‑après l’« arrêt AMS Neve e.a. », EU:C:2019:674).


11      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1). Voir mes conclusions dans l’affaire AMS Neve e.a. (C‑172/18, EU:C:2019:276, points 29 à 32).


12      Voir arrêt Nintendo, point 93.


13      Voir, en ce sens, Fawcett, J. J., Torremans, P., Intellectual Property and Private International Law, Oxford University Press, Oxford, 2011, p. 743, point 13.158.


14      Voir, en ce sens, De Miguel Asensio, P., Conflict of Laws and the Internet, Edward Elgar Publishing Limited, Cheltenham, 2020, paragraphe 5.123. Par souci de complétude, je souhaite indiquer que, selon l’une des interprétations doctrinales, l’article 88, paragraphe 3, du règlement no 6/2002 – qui désigne la lex fori comme la loi applicable aux questions visées par cette disposition – constitue une lex specialis par rapport à l’article 88, paragraphe 2, de ce règlement dans la mesure où celui‑ci couvre également les questions de procédure. Voir Späth, A., « Article 88 », Community Design Regulation (EC) N o 6/2002 – A Commentary, sous la direction de Hasselblatt, G. N., C. H. Beck, Munich, 2015, p. 512. Toutefois, dans le cadre du litige en cause au principal, il n’est pas nécessaire d’entrer dans le débat doctrinal sur la portée de l’article 88, paragraphe 2, du règlement no 6/2002. En l’espèce, ce qui importe est de déterminer si les demandes annexes en cause au principal sont couvertes par le principe de la lex fori processualis, qui trouve son expression dans l’article 88, paragraphe 3, de ce règlement.


15      Arrêt du 13 février 2014 (C‑479/12, EU:C:2014:75).


16      Voir arrêt du 13 février 2014 (C‑479/12, EU:C:2014:75, point 52).


17      Arrêt du 13 février 2014 (C‑479/12, EU:C:2014:75, point 53).


18      Arrêt du 13 février 2014 (C‑479/12, EU:C:2014:75).


19      Point 47 de cet arrêt.


20      Certes, l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II indique également que ce règlement s’applique aux obligations non contractuelles relevant de la matière civile et commerciale. Toutefois, rien ne suggère que, en l’espèce, il ne s’agit pas de telles obligations.


21      JO 1980, L 266, p. 1.


22      Voir, notamment, van Calster, G., European Private International Law, Hart Publishing, Oxford, Portland, 2016, p. 240.


23      Sur les différentes interprétations de ces termes données par la doctrine, voir mes conclusions dans l’affaire Vinyls Italia (C‑54/16, EU:C:2017:164, points 97 à 107). Voir, également, Wilke, F. M., « Dimensions of Coherence in EU Conflict-of-Law Rules », Journal of Private International Law, vol. 16, no 1, 2020, p. 179 et 180.


24      Voir, par voie d’analogie, arrêt du 17 octobre 2018, UD (C‑393/18 PPU, EU:C:2018:835, points 38 à 41).


25      Voir Hörnle, J., Internet Jurisdiction Law and Practice, Oxford University Press, Oxford, 2021, p. 269 et 270.


26      Voir van Calster, G., European Private International Law, Hart Publishing, Oxford, Portland, 2016, p. 240, qui explique ces termes en ce sens qu’il doit exister une sorte de lien factuel étranger à l’affaire pour que le forum doive envisager au moins la possibilité que des lois autres que la sienne s’appliquent. Dans cet ordre d’idées, voir le commentaire sur la demande de décision préjudicielle dans la présente affaire de Kur, A., « Easy Is Not Always Good – The Fragmented System for Adjudication of Unitary Trade Marks and Designs », International Review of Intellectual Property and Competition Law, vol. 52, 2021, p. 590. Selon ce commentaire, considérer que l’interprétation selon laquelle l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II ne s’applique pas dans le litige au principal serait possible uniquement si ce litige n’avait pas d’impact transfrontalier. Or, selon cette auteure, un tel impact existe clairement en l’espèce : non seulement le défendeur est une société basée en Italie, mais la violation concerne un droit unitaire qui s’étend à l’ensemble de l’Union.


27      Voir point 2 des présentes conclusions.


28      Voir, en particulier, les hypothèses visées par la Cour dans les arrêts du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335, point 55), et du 21 décembre 2016, Concurrence (C‑618/15, EU:C:2016:976, point 31).


29      Voir point 42 des présentes conclusions.


30      Voir, par voie d’analogie, arrêt AMS Neve e.a., points 42 et 63.


31      Arrêt AMS Neve e.a., points 49 à 52.


32      JO 1972, L 299, p. 32.


33      Voir arrêt du 30 novembre 1976, Bier (21/76, EU:C:1976:166, point 20).


34      Voir, en ce sens, Rosati, E., « Targeting Accepted As a Criterion to Establish International Jurisdiction in Online EU Trade Mark Infringement Cases », Journal of Intellectual Property Law & Practice, vol. 14, no 12, 2019, p. 927, qui semble se focaliser sur la disponibilité du for alternatif devant lequel un titulaire peut se prévaloir de ses droits et la distingue du fond du litige que ce titulaire peut intenter devant ce for. Après avoir mis le focus sur la disponibilité du for alternatif, cette auteure indique : « Pour qu’un demandeur puisse effectivement se fonder sur le paragraphe 5 – et qu’il ait intérêt à engager une procédure dans un certain État membre – il lui faudrait en fait démontrer non seulement que le défendeur a agi sur ce territoire en activant le processus d’affichage pertinent, mais également que l’activité en cause peut être considérée comme ayant été dirigée vers les consommateurs sur ce territoire spécifique. »


35      Voir mes conclusions dans l’affaire Oberle (C‑20/17, EU:C:2018:89, point 104).


36      Voir mes conclusions dans l’affaire KP (C‑83/17, EU:C:2018:46, points 77 à 79).


37      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45).


38      Voir point 27 des présentes conclusions.


39      Pour le cas où il s’avrerait que, en l’espèce, il ne s’agit pas de telles circonstances.


40      Cela faisant, la Cour s’est distanciée de l’interprétation retenue par la juridiction nationale de première instance dans le litige ayant donné lieu au renvoi préjudiciel dans l’affaire Nintendo. Dans ce litige, cette juridiction avait retenu comme droit applicable « celui du lieu de la violation » et avait considéré qu’il s’agissait en l’occurrence du droit allemand, du droit autrichien et du droit français. Voir arrêt Nintendo, point 28.


41      Voir points 106 et 109 de l’arrêt Nintendo. Voir également Azzi, T., « Tribunal compétent et loi applicable en matière de contrefaçon de dessins et modèles communautaires », Revue critique de droit international privé, no 4, 2018, p. 847, qui semble constater une contradiction entre les points précités de cet arrêt et son point 103.


42      Voir Kur, A., op. cit., p. 588.


43      Voir point 69 des présentes conclusions : « lorsqu’une action en contrefaçon, introduite devant une juridiction compétente pour statuer sur des faits de contrefaçon commis sur le territoire de tout État membre, porte sur divers actes de contrefaçon, commis dans différents États membres » (première phrase du point 64 de l’arrêt AMS Neve e.a.).


44      Voir point 22 des présentes conclusions.


45      Voir arrêt Nintendo, point 59.


46      Voir point 67 des présentes conclusions. Voir, également, Kur, A., Maunsbach, U., « Choice of Law and Intellectual Property Rights », Oslo Law Review, vol. 6, no 1, 2019, qui suggère que, lorsqu’un acte de contrefaçon initial au sens de l’arrêt Nintendo a eu lieu dans un État tiers qui ne protège pas les dessins et modèles communautaires, le principe de la lex loci protectionis, qui est largement utilisé en droit international privé pour ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle, plaide contre l’application de la loi de cet État tiers aux demandes annexes à une action en contrefaçon. De Miguel Asensio, P., op. cit., paragraphe 5.128, se prononce de manière plus catégorique et déclare que, compte tenu de la fonction et du contexte de l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome II, il semble incontestable que, en vertu de cette disposition, c’est la loi d’un État membre qui doit s’appliquer à toute question qui ne relève pas du champ d’application du règlement no 6/2002.


47      Voir De Miguel Asensio, P., op. cit., paragraphe 5.128. Voir également, en ce sens, Kur, A., op. cit., p. 591. Cette auteure ne semble cependant pas exclure complètement l’application d’une pluralité de lois.