Language of document : ECLI:EU:T:2014:985

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

25 novembre 2014(*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire figurative KAISERHOFF – Marque nationale verbale antérieure KAISERHOFF – Suspension de la procédure administrative – Règles 20 et 50 du règlement (CE) n° 2868/95 – Examen d’office des faits – Article 76, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 207/2009 »

Dans l’affaire T‑556/12,

Royalton Overseas Ltd, établie à Road Town, Îles Vierges britanniques (Royaume-Uni), représentée par Me C. Năstase, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

S.C. Romarose Invest Srl, établie à Bucarest (Roumanie), représentée par Mes R.-G. Dragomir et G.-L. Ilie, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 4 octobre 2012 (affaire R 2535/2011‑1), relative à une procédure d’opposition entre S.C. Romarose Invest Srl et Royalton Overseas Ltd,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, N. J. Forwood et E. Bieliūnas (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 2012,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 15 mars 2013,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 28 mars 2013,

vu les mesures d’organisation de la procédure du 23 mai 2014,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 13 juillet 2010, la requérante, Royalton Overseas Ltd, a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 8 et 21 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        La demande de marque communautaire a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 152/2010, du 17 août 2010.

5        Le 8 octobre 2010, l’intervenante, S.C. Romarose Invest Srl, a formé opposition au titre de l’article 41 du règlement n° 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur la marque roumaine verbale antérieure KAISERHOFF, enregistrée le 4 mai 2010 sous le numéro 110809, désignant des produits et des services relevant des classes 11, 21 et 35.

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

8        Le 13 octobre 2011, la division d’opposition a partiellement fait droit à l’opposition.

9        Le 7 décembre 2011, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

10      Dans son mémoire exposant les motifs du recours, déposé auprès de l’OHMI le 13 février 2012, et dans ses observations supplémentaires soumises par lettre du 15 mars 2012 à l’OHMI, la requérante a également demandé la suspension de la procédure devant la chambre de recours (ci-après la « demande de suspension »), dans l’attente de la décision du Tribunalul Bucureşti (Tribunal de Bucarest, Roumanie) dans l’affaire, enregistrée sous le numéro 5089/3/12, ayant pour objet une action en nullité engagée par la requérante à l’encontre de la marque antérieure.

11      À cet égard, il convient dès à présent de noter que la chambre de recours, induite en erreur par la traduction anglaise fournie par la requérante de l’action en nullité enregistrée sous le numéro d’affaire 5089/3/2012, a elle-même commis une erreur de plume dans la décision du 4 octobre 2012 (ci-après la « décision attaquée »), en indiquant qu’il s’agissait du numéro d’affaire 5080/3/2012, au lieu du numéro d’affaire 5089/3/2012.

12      Par la décision attaquée, la première chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré que, s’agissant de la demande de suspension, il y avait lieu de la rejeter. En effet, d’une part, la requérante n’avait produit aucune copie de l’original de l’action en nullité enregistrée sous le numéro d’affaire 5089/3/12 et, d’autre part, la traduction en anglais de cette prétendue action fournie par la requérante n’était pas suffisante pour déterminer si la marque antérieure faisait actuellement l’objet d’une action en nullité en Roumanie. En tout état de cause, l’action en nullité mentionnée par la requérante ne devait pas être prise en compte, puisqu’elle avait été introduite après le dépôt du recours devant l’OHMI et la présentation du mémoire exposant les motifs du recours. Finalement, il existait, derrière cette demande de suspension, des doutes sérieux quant à l’intention réelle de la requérante, notamment au regard du fait que d’autres actions en nullité introduites par la requérante contre la marque antérieure, clôturées au moment de l’adoption de la décision attaquée, avaient été introduites auparavant devant le Tribunalul Bucureşti.

13      S’agissant de l’opposition au titre de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, la chambre de recours a estimé que, les produits en cause étant, pour partie, identiques et, pour partie, similaires à un degré élevé, alors que les signes en conflit étaient hautement similaires, il existait un risque de confusion. La chambre de recours a ajouté que, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le certificat d’enregistrement de la marque antérieure aurait été établi de façon erronée par l’Oficiul de Stat pentru Invenţii şi Mǎrci [Office d’État pour les inventions et les marques (OSMI)], au regard de la décision n° 262/02.06.2011 de l’OSMI ayant fait partiellement droit à l’opposition d’un tiers à l’enregistrement de la marque antérieure pour les produits et les services relevant des classes 11, 21 et 35, celui-ci n’aurait su prospérer. En effet, d’une part, la requérante n’avait pas produit de copie de la décision originale et, d’autre part, même si la chambre de recours devait tenir compte de la limitation des produits et des services telle que résultant de la décision n° 262/02.06.2011 de l’OSMI, l’issue de la procédure d’opposition devant l’OHMI n’aurait pas été affectée en raison principalement du degré élevé de similitude qui a été constaté entre les signes en conflit.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI et l’intervenante aux dépens, y compris ceux exposés durant la procédure devant la chambre de recours.

15      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

16      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours et confirmer la décision attaquée ;

–        condamner la requérante aux dépens, dont le montant s’élève à 6 000 €.

 En droit

 Sur les pièces présentées pour la première fois devant le Tribunal

17      En annexe à la requête, la requérante a produit une copie certifiée de l’original et de la traduction anglaise d’un certificat délivré par le Tribunalul Bucureşti, le 12 décembre 2012, établissant l’existence de l’action en nullité introduite par la requérante et enregistrée sous le numéro d’affaire 5089/3/2012 (annexe A.3 de la requête). Elle a également joint une copie de l’original de la décision n° 262/02.06.2011, rendue par la chambre de recours de l’OSMI (annexe A.6 de la requête), ainsi qu’une copie des errata de l’OSMI publiés au Boletinul oficial de proprietate industriala, sectiunea mǎrci şi indicatii geografice, Nr. 02/2012, du 29 février 2012, accompagnés de leur traduction en anglais, établissant que le certificat d’enregistrement tel que délivré par l’OSMI, le 30 août 2011, pour la marque antérieure n’était pas valable (annexe A.7 de la requête).

18      L’intervenante a, quant à elle, produit en annexe au mémoire en réponse des copies de correspondances avec l’OSMI, datées des 2 et 4 novembre 2011, relatives à une demande de vérification documentaire sur l’existence au niveau national, communautaire ou international, de la marque KAISERHOFF (annexe n° 1 du mémoire en réponse de l’intervenante), des extraits du registre en ligne des affaires du Tribunalul Bucureşti relatifs aux affaires nos 53083/3/2011, 53567/3/2011, 53568/3/2011 et 5089/3/2012 (annexes nos 2, 4 et 5 du mémoire en réponse de l’intervenante), une copie de la requête, de la réplique et du mémoire en défense sur une demande reconventionnelle de la requérante dans l’affaire n° 5089/3/2012 (annexes nos 3 et 4 du mémoire en réponse de l’intervenante), des extraits du registre en ligne des affaires de la Curtea de Apel București (Cour d’appel de Bucarest, Roumanie) relatifs aux affaires nos 53567/3/2011 et 53568/3/2011 (annexe n° 5 du mémoire en réponse de l’intervenante) et une série de factures devant servir à justifier le montant de 6 000 euros de dépens (annexe n° 6 du mémoire en réponse de l’intervenante), ainsi qu’une traduction en anglais de toutes ces pièces.

19      Toutefois, ces pièces, produites pour la première fois devant le Tribunal par la requérante et l’intervenante, ne peuvent être prises en considération pour les besoins de l’examen par le Tribunal de la validité de la décision attaquée. En effet, le recours devant le Tribunal vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’OHMI au sens de l’article 65 du règlement n° 207/2009, de sorte que la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des documents présentés pour la première fois devant lui. Il convient donc d’écarter les documents susvisés sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur force probante [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 24 novembre 2005, Sadas/OHMI – LTJ Diffusion (ARTHUR ET FELICIE), T‑346/04, Rec. p. II‑4891, point 19, et la jurisprudence citée].

 Sur le fond

20      À l’appui de son recours, la requérante invoque, en substance, deux moyens tirés, le premier, de la violation de la règle 20, paragraphe 7, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO L 303, p. 1), en combinaison avec la règle 50, paragraphe 1, dudit règlement et de la violation de l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 ainsi que des principes d’égalité devant la loi et d’impartialité, en ce que la chambre de recours n’a pas tenu compte des preuves produites à l’appui de la demande de suspension et, le second, de la violation de l’article 42, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 et de la violation de l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 ainsi que des principes d’égalité devant la loi et d’impartialité, en ce que la chambre de recours n’a pas tenu compte des preuves produites aux fins du rejet de l’opposition.

21      Par son premier moyen, la requérante reproche, en substance, à la chambre de recours de ne pas avoir suspendu la procédure d’opposition jusqu’au prononcé de la décision du Tribunalul Bucureşti dans l’affaire n° 5089/3/2012 relative à une procédure de nullité contre la marque antérieure. À cet égard, elle fait valoir que, contrairement à ce qu’a estimé la chambre de recours, elle a bien apporté la preuve de l’existence d’une telle procédure, en annexant à la lettre du 15 mars 2012 adressée à l’OHMI et contenant ses observations supplémentaires une traduction certifiée de l’action en nullité ainsi que la copie de cette action telle que déposée devant le Tribunalul Bucureşti, portant le sceau de cette juridiction.

22      La chambre de recours n’aurait pris en compte que les preuves apportées par l’intervenante, ce qui démontrerait son absence d’impartialité. En ne prenant pas en compte les preuves de la requérante et en refusant d’accorder la suspension de la procédure d’opposition, la chambre de recours aurait violé la règle 20, paragraphe 7, du règlement n° 2868/95, en combinaison avec la règle 50, paragraphe 1, dudit règlement, l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 ainsi que les principes d’égalité devant la loi et d’impartialité.

23      L’OHMI reconnaît que, contrairement à ce que la chambre de recours a indiqué au point 15 de la décision attaquée, la requérante a bien fourni une copie de la demande en nullité de la marque antérieure, revêtue d’un timbre et déposée le 21 février 2012 devant le Tribunalul Bucureşti, ainsi qu’une traduction en anglais de cette demande. Il fait toutefois valoir, premièrement, que le fait qu’une action en nullité ait été introduite contre la marque antérieure devrait être mis en balance avec le fait que deux précédentes actions, également introduites par la requérante sur la même base juridique, ont été, pour l’une, retirée et, pour l’autre, rejetée. Dès lors, la chambre de recours aurait pu légitimement entretenir des doutes sur l’éventuel caractère dilatoire de la troisième action introduite par la requérante.

24      L’OHMI fait valoir, deuxièmement, qu’il ne saurait être déduit de ce constat que l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 a été violé, puisque cet article ne l’obligerait pas à tenir compte de chaque document produit par les parties s’il est sans rapport avec le litige. En outre, en vertu d’une jurisprudence constante, une irrégularité procédurale ne saurait entraîner l’annulation de la décision attaquée que s’il est démontré que, en l’absence d’irrégularité, la décision aurait été substantiellement différente, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

25      L’intervenante considère, en substance, que la chambre de recours a tenu compte de toutes les preuves soumises devant l’OHMI, y compris celles apportées par la requérante. Elle soutient que c’est à juste titre que la chambre de recours a conclu au rejet de la demande de suspension, au vu des circonstances de l’affaire et notamment de la mauvaise foi de la requérante, caractérisée par le fait qu’elle ait tenté, par le biais de ses actions en nullité, de reporter l’issue du recours devant l’OHMI relatif à la procédure d’opposition.

26      S’agissant, en premier lieu, de la question relative à la production, par la requérante, de la preuve de l’existence de l’action en nullité dans l’affaire n° 5089/3/2012, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, l’OHMI procède, au cours de la procédure, à l’examen d’office des faits. Toutefois, dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement, l’examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties.

27      Il ressort de la jurisprudence que l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 est une expression du devoir de diligence, selon lequel l’institution compétente est tenue d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments de fait et de droit pertinents du cas d’espèce [voir arrêt du Tribunal du 21 février 2013, Laboratoire Bioderma/OHMI – Cabinet Continental (BIODERMA), T‑427/11, non publié au Recueil, point 24, et la jurisprudence citée].

28      À cet égard, il y a lieu de noter que, ainsi qu’il ressort du dossier de la procédure devant l’OHMI et ainsi que l’OHMI l’a reconnu dans son mémoire en réponse, c’est à tort que la chambre de recours a considéré que la requérante n’avait pas fourni la preuve de l’existence de l’action en nullité dans l’affaire n° 5089/3/2012. Il en résulte que la chambre de recours n’a pas examiné avec soin les éléments de preuve présents dans le dossier de procédure et, partant, a violé son devoir de diligence et, dès lors, l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009.

29      En second lieu, il y a lieu d’examiner si la chambre de recours pouvait, nonobstant l’existence de l’action en nullité dans l’affaire n° 5089/3/2012, valablement rejeter la demande de suspension. À cet égard, il convient de rappeler que la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 2868/95, applicable aux procédures devant la chambre de recours conformément à la règle 50, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que l’OHMI peut suspendre la procédure d’opposition lorsque les circonstances justifient une telle suspension.

30      Il y a lieu d’observer que le pouvoir d’appréciation de la chambre de recours pour suspendre ou non la procédure est large. La règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 2868/95, rappelée au point précédent, illustre ce large pouvoir d’appréciation. La suspension demeure une faculté pour la chambre de recours qui ne la prononce que lorsqu’elle l’estime justifiée [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 septembre 2004, Metro-Goldwyn-Mayer Lion/OHMI – Moser Grupo Media (Moser Grupo Media), T‑342/02, Rec. p. II‑3191, point 46]. La procédure devant la chambre de recours n’est donc pas automatiquement suspendue à la suite d’une demande en ce sens par une partie devant ladite chambre [arrêt du Tribunal du 16 mai 2011, Atlas Transport/OHMI – Atlas Air (ATLAS), T‑145/08, Rec. p. II‑2073, point 69].

31      La circonstance que la chambre de recours dispose d’un large pouvoir d’appréciation afin de suspendre la procédure en cours devant elle ne soustrait pas son appréciation au contrôle du juge de l’Union. Cette circonstance restreint cependant ledit contrôle quant au fond à la vérification de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir (arrêt ATLAS, précité, point 70).

32      Dans un premier temps, il convient de déterminer si la chambre de recours était tenue de suspendre la procédure dès lors qu’une action en nullité visant la marque antérieure était pendante devant une juridiction roumaine.

33      À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 30 ci-dessus, en matière de suspension de la procédure, la chambre de recours possède un large pouvoir d’appréciation. Ainsi, même s’il a été démontré qu’un recours était pendant devant une juridiction nationale mettant en cause la marque antérieure sur laquelle se fondait la décision attaquée, ladite démonstration ne suffit pas, à elle seule, à qualifier d’erreur manifeste d’appréciation le refus, par la chambre de recours, de suspendre la procédure. En effet, lors de l’exercice de son pouvoir d’appréciation relatif à la suspension de la procédure, la chambre de recours doit respecter les principes généraux régissant une procédure équitable au sein d’une Union de droit. Par conséquent, lors dudit exercice, elle doit non seulement tenir compte de l’intérêt de la partie dont la marque communautaire est contestée, mais également de celui des autres parties. La décision de suspendre ou de ne pas suspendre la procédure doit être le résultat d’une mise en balance des intérêts en cause (arrêt ATLAS, précité, point 76).

34      Il convient d’en conclure que, en l’espèce, même si la chambre de recours avait correctement examiné les éléments de preuve présents dans le dossier de procédure et avait conclu à l’existence d’un recours en nullité visant la marque antérieure et pendant devant une juridiction roumaine, elle pouvait considérer qu’une mise en balance des intérêts en présence appelait, en tout état de cause, au rejet de la demande de suspension.

35      En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la chambre de recours a indiqué les raisons qui l’auraient conduite à rejeter la demande de suspension, même dans le cas où la preuve de l’existence de l’action en nullité dans l’affaire n° 5089/3/2012 avait été rapportée par la requérante.

36      Dans un second temps, il y a ainsi lieu de vérifier si la chambre de recours a correctement mis en balance les intérêts en présence lorsque, dans la décision attaquée, elle a considéré que, en tout état de cause, il y avait lieu de rejeter la demande de suspension.

37      À cet égard, il convient tout d’abord de souligner que la chambre de recours a estimé que, même dans l’hypothèse où la requérante aurait apporté la preuve de l’existence de l’action en nullité dans l’affaire n° 5089/3/2012, celle-ci ne devait pas être prise en compte, puisqu’elle avait été introduite après le dépôt du recours devant l’OHMI et la présentation du mémoire exposant les motifs dudit recours (point 16 de la décision attaquée).

38      Il importe de rappeler que les procédures d’opposition et de nullité sont deux procédures spécifiques et autonomes, aux effets propres à chacune, et qu’il est possible de traiter une procédure de nullité, nonobstant l’introduction préalable d’une opposition toujours pendante, fondée sur la marque visée par la demande en nullité [voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 10 décembre 2009, Stella Kunststofftechnik/OHMI – Stella Pack (Stella), T‑27/09, Rec. p. II‑4481, point 32].

39      Les deux procédures ont chacune un objet et des effets qui leur sont propres. L’opposition vise à faire échec, sous certaines conditions, à une demande d’enregistrement de marque en raison de l’existence d’une marque antérieure et le rejet de ladite opposition n’emporte pas nullité de cette dernière marque. Une telle nullité ne peut être obtenue qu’en raison de l’engagement d’une procédure ayant un tel objet (voir, par analogie, arrêt Stella, précité, point 34).

40      Ainsi, la possibilité offerte à tous d’introduire une demande en nullité d’une marque est entièrement indépendante d’éventuelles procédures d’opposition parallèles dans lesquelles serait impliquée la marque antérieure visée par la demande en nullité. En outre, une procédure de nullité engagée postérieurement à une opposition peut, tout au plus, donner lieu à une suspension de la procédure d’opposition. En effet, dans l’hypothèse où la nullité de la marque antérieure serait prononcée, la procédure d’opposition serait dépourvue de son objet (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Stella, précité, points 37 et 38).

41      En revanche, la poursuite de la procédure d’opposition, sans attendre l’issue de la procédure de nullité, n’apporterait aucun avantage au titulaire de la marque antérieure invoquée dans le cadre de la procédure d’opposition et visée par la demande en nullité. En effet, quand bien même la procédure d’opposition aboutirait au rejet de la demande de marque communautaire, rien n’empêcherait la réintroduction de cette même demande une fois que la nullité de la marque antérieure aura été prononcée (voir, par analogie, arrêt Stella, précité, point 39).

42      Il ressort de tout ce qui précède qu’il ne saurait être considéré que le fait d’introduire une demande en nullité de la marque antérieure, alors qu’une procédure d’opposition sur le fondement de cette marque antérieure est encore pendante, démontre la mauvaise foi de la part du titulaire de la marque demandée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Stella, précité, point 40). Il résulte nécessairement de cette conclusion que la chambre de recours ne pouvait valablement se fonder sur le seul fait que l’action en nullité dans l’affaire n° 5089/3/2012 contre la marque antérieure qui fondait l’opposition avait été introduite postérieurement au dépôt du recours et au mémoire exposant les motifs du recours, autrement dit, alors que la procédure d’opposition était encore pendante, pour rejeter la demande de suspension.

43      Il convient ensuite de noter que la chambre de recours a également relevé que, au cours de la procédure d’opposition, la requérante n’avait pas introduit une seule action en nullité contre la marque antérieure, mais trois actions au total.

44      À cet égard, l’action en nullité dans l’affaire n° 5089/3/2012, sur laquelle était fondée la demande de suspension, était la troisième action introduite par la requérante, après les actions dans les affaires nos 53083/3/2011 et 53568/3/2011, clôturées au moment de l’adoption de la décision attaquée.

45      Ainsi, la chambre de recours a également refusé de faire droit à la demande de suspension en faisant valoir que les différentes actions en nullité engagées en Roumanie contre la marque antérieure ainsi que leur date d’introduction soulevaient des doutes sérieux quant à l’intention réelle de la requérante. En effet, la chambre de recours a considéré que la requérante semblait spéculer sur la possibilité d’intenter une action en nullité contre la marque antérieure afin de retarder l’issue de la procédure d’opposition en cause en l’espèce ou de toute autre procédure impliquant les parties (point 18 de la décision attaquée).

46      S’agissant, d’une part, de la question de la date d’introduction des actions en nullité, il convient, certes, de remarquer que, concernant les actions en nullité dans les affaires nos 53083/3/2011 et 53568/3/2011, la chambre de recours n’a pas indiqué dans la décision attaquée quelle était précisément leur date d’introduction devant la juridiction roumaine et que cette date ne ressort pas davantage des pièces du dossier de la procédure devant l’OHMI. Toutefois, au regard des autres éléments du dossier, en particulier, des observations de l’intervenante sur le mémoire exposant les motifs du recours de la requérante, et au vu du numéro de ces affaires, il était effectivement possible de déduire que ces actions avaient été introduites postérieurement au dépôt de l’acte d’opposition de l’intervenante devant l’OHMI. À cet égard, il convient de noter que la requérante n’a pas contesté que les actions en nullité avaient été introduites alors que la procédure d’opposition devant l’OHMI était pendante. Néanmoins, même dans ce cas, ainsi qu’il a été rappelé au point 42 ci-dessus, le fait qu’une action en nullité ait été introduite alors que la procédure d’opposition était toujours pendante n’est pas un motif suffisant pour rejeter une demande de suspension.

47      S’agissant, d’autre part, de l’intention présumée de la requérante de retarder l’issue de la procédure d’opposition ou de toute autre procédure impliquant les parties, force est de constater que, outre le fait que la chambre de recours n’indique pas ce qu’elle entend par « toute autre procédure impliquant les parties », elle n’explique pas quel serait l’intérêt pour la requérante de retarder l’issue de la procédure d’opposition. Or, tant que la procédure d’opposition est pendante, l’enregistrement de la marque communautaire demandé par la requérante ne saurait avoir lieu, conformément à l’article 45 du règlement n° 207/2009, ce qui la prive du bénéfice de la protection conférée par ladite marque. En outre, une telle prise de position de la part de la chambre de recours suggère que la requérante aurait nécessairement anticipé le résultat, négatif pour elle, de la présente procédure d’opposition et chercherait ainsi à retarder la clôture de celle-ci. Le motif ainsi mis en avant par la chambre de recours revêt non seulement un caractère abstrait, mais ne s’appuie sur aucun indice objectif et, dès lors, ne saurait permettre de justifier le refus de la chambre de recours de faire droit à la demande de suspension.

48      S’agissant, enfin, des autres actions en nullité intentées par la requérante et clôturées avant l’adoption de la décision attaquée, il ressort de l’annexe n° 7 des observations préliminaires de l’intervenante, reçues le 17 mars 2012 par l’OHMI (première partie) et du dossier de procédure devant l’OHMI, que, concernant l’affaire n° 53568/3/2011, le Tribunalul Bucureşti a rejeté, le 6 décembre 2011, l’action comme étant irrecevable au motif que la requérante n’avait pas payé le droit de timbre. Quant à l’action en nullité dans l’affaire n° 53083/3/2011, le Tribunalul Bucureşti a pris acte de ce que la requérante avait procédé à son retrait.

49      Par conséquent, le motif des échecs de ces deux premières actions paraît être d’ordre procédural et le Tribunalul Bucureşti n’avait donc pas, dans ces deux affaires, tranché au fond la question de la nullité de la marque antérieure, ce qui pourrait expliquer le fait que la requérante ait introduit une nouvelle action en nullité, dans l’affaire n° 5089/3/2012. Or, en présumant que la requérante cherchait à ralentir la procédure d’opposition en cause en l’espèce par l’introduction d’une nouvelle action en nullité, sans se prononcer sur les circonstances de la clôture des autres procédures de nullité engagées par elle, la chambre de recours n’a pas tenu compte de tous les éléments caractérisant la situation de la requérante. Ainsi, l’intérêt de la requérante n’a pas été appréhendé par la chambre de recours dans un contexte global, ce qui implique qu’elle n’a pas correctement mis en balance les différents intérêts en présence.

50      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que, en se bornant à indiquer qu’elle avait des doutes sérieux sur l’intention réelle de la requérante en ce qui concerne les actions en nullité introduites par cette dernière devant le Tribunalul Bucureşti, alors qu’aucune de ces actions introduites par la requérante n’avait, au moment de l’adoption de la décision attaquée, abouti à une décision sur le fond et sans expliquer, par ailleurs, quel serait l’intérêt pour la requérante de retarder la décision dans la procédure d’opposition en cause en l’espèce ou de toute autre procédure impliquant les parties, la chambre de recours a erronément refusé de suspendre la procédure d’opposition.

51      Par conséquent, il convient d’accueillir le premier moyen, sans qu’il y ait lieu d’examiner les griefs, soulevés par la requérante, tirés de la violation des principes d’égalité devant la loi et d’impartialité.

52      Par ailleurs, l’examen de la question de la suspension de la procédure, entaché, en l’espèce, d’une erreur manifeste d’appréciation, est préalable à celui de l’existence d’un risque de confusion entre la marque demandée et la marque antérieure, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

53      Dans ces circonstances, le Tribunal ne saurait vérifier le bien-fondé de l’analyse faite par la chambre de recours relative à l’existence d’un risque de confusion entre les marques en cause, telle qu’opérée dans la décision attaquée.

54      Partant, il y a lieu d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin de procéder à l’analyse du second moyen ni à celle de la recevabilité des chefs de conclusions de l’intervenante.

 Sur les dépens

55      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Par ailleurs, aux termes de cette même disposition, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

56      En l’espèce, l’OHMI et l’intervenante ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

57      En outre, la requérante ayant conclu à ce que l’OHMI et l’intervenante soient également condamnés aux dépens exposés par elle durant la procédure devant la chambre de recours, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 136, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme des dépens récupérables.

58      Partant, il y a lieu de condamner l’OHMI et l’intervenante à supporter chacun la moitié de ces dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 4 octobre 2012 (affaire R 2535/2011‑1), relative à une procédure d’opposition entre S.C. Romarose Invest Srl et Royalton Overseas Ltd est annulée.

2)      L’OHMI supportera ses propres dépens ainsi que la moitié de ceux exposés par Royalton Overseas, y compris les frais indispensables exposés par Royalton Overseas aux fins de la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI.

3)      S.C. Romarose Invest supportera ses propres dépens ainsi que la moitié de ceux exposés par Royalton Overseas, y compris les frais indispensables exposés par Royalton Overseas aux fins de la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI.

Papasavvas

Forwood

Bieliūnas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 novembre 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.