Language of document : ECLI:EU:T:2002:306

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

6 décembre 2002(1)

«Procédure de référé - Prorogation de la période d'essai - Recevabilité du recours au principal - Urgence - Absence»

Dans l'affaire T-275/02 R,

D, agent de la Banque européenne d'investissement, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Me J. Choucroun, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Banque européenne d'investissement, représentée par M. J.-P. Minnaert, en qualité d'agent, assisté de Me P. Mousel, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l'exécution des décisions de la Banque européenne d'investissement portant, respectivement, prorogation de la période d'essai et licenciement de la partie requérante,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

rend la présente

Ordonnance

Cadre juridique

1.
    Les statuts de la Banque européenne d'investissement (BEI) sont établis par un protocole annexé au traité CE, dont il fait partie intégrante.

2.
    L'article 9, paragraphe 3, sous h), des statuts de la BEI prévoit l'approbation, par le conseil des gouverneurs, de son règlement intérieur. Ce règlement a été approuvé le 4 décembre 1958 et a subi plusieurs modifications. Son article 29 dispose que les règlements relatifs au personnel de la BEI sont arrêtés par le conseil d'administration.

3.
    Le règlement du personnel de la BEI (ci-après le «règlement du personnel») a été approuvé le 20 avril 1960, puis modifié à diverses reprises. Le personnel de la BEI est assujetti aux obligations prévues par ce règlement.

4.
    L'article 13 du règlement du personnel dispose:

«Les relations entre la BEI et les membres de son personnel sont réglées en principe par les contrats individuels dans le cadre du présent règlement. Le règlement fait partie intégrante de ces contrats.»

5.
    En outre, l'article 41 du règlement du personnel prévoit ce qui suit:

«Les différends de toute nature d'ordre individuel entre la [BEI] et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice des Communautés européennes.

Les différends, autres que ceux découlant de la mise en jeu de mesures prévues à l'article 38, font l'objet d'une procédure amiable devant la commission de conciliation de la [BEI] et ce indépendamment de l'action introduite devant la Cour de justice.

La commission de conciliation se compose de trois membres. Lorsque la commission doit se réunir, l'un des membres est désigné par le Président de la [BEI], le deuxième par l'intéressé — ces deux désignations ayant lieu dans le délai d'une semaine à partir de la demande d'une des parties à l'autre; le troisième membre, qui préside la commission, est désigné par les deux premiers dans un délai d'une semaine après la désignation des deux premiers membres; il peut être choisi en dehors de la [BEI]. Si les deux premiers membres ne peuvent, dans la semaine suivant leur désignation, se mettre d'accord sur la désignation du président, il y est procédé par le Président de la Cour de justice des Communautés européennes.»

Faits et procédure

6.
    La requérante a été engagée par la BEI en qualité de juriste pour un contrat à durée déterminée de trois ans commençant le 16 octobre 2001. La lettre d'engagement du 2 octobre 2001 (ci-après la «lettre d'engagement») précisait l'existence d'une période d'essai de six mois, jusqu'au 15 avril 2002, date avant laquelle chacune des parties pouvait mettre fin au contrat, sans obligation de motivation, moyennant un préavis de quinze jours. La lettre d'engagement précisait, en outre, que, à l'expiration de la période d'essai, la requérante serait considérée comme ayant été employée pour la durée de son contrat.

7.
    Le 18 janvier 2002, la BEI a établi un rapport intermédiaire sur l'activité de la requérante.

8.
    La BEI a, par un document intitulé «appréciation à la fin de la période d'essai», signé les 21 et 26 mars 2002 par les supérieurs hiérarchiques de la requérante et par un membre du département des ressources humaines, informé la requérante de la prorogation de sa période d'essai pour une durée de quatre mois (ci-après la «décision de prorogation»). Un premier exemplaire de ce document a été signé par la requérante le 9 avril 2002 et le second le 10 avril 2002.

9.
    Par lettre du 25 juin 2002, la BEI a informé la requérante de la résiliation du contrat avec effet au 15 juillet 2002 (ci-après la «décision de résiliation»).

10.
    Le 1er juillet 2002, la BEI a remis à la requérante la copie d'un document intitulé «appréciation à la fin de la période d'essai», signé les 13 et 17 juin 2002 par les mêmes agents que ceux ayant signé la décision de prorogation.

11.
    Selon les observations de la BEI, non contestées à cet égard par la requérante, cette dernière a proposé le 2 juillet 2002 un règlement amiable prévoyant qu'elle serait considérée par les services de la BEI comme étant membre du personnel jusqu'au 15 octobre 2003.

12.
    Également selon les observations de la BEI, non contestées à cet égard par la requérante, à la suite du rejet par la BEI de cette proposition de règlement amiable, la requérante a, par lettre du 22 juillet 2002, demandé la réunion de la commission de conciliation prévue à l'article 41 du règlement du personnel.

13.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 septembre 2002, la requérante a introduit un recours tendant, d'une part, à l'annulation de la décision de prorogation et à celle de la décision de résiliation et, d'autre part, à l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 45 000 euros.

14.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, elle a demandé le sursis à l'exécution des deux décisions litigieuses.

15.
    Le 4 octobre 2002, la BEI a présenté ses observations écrites sur la présente demande en référé.

16.
    À l'invitation du juge des référés, la requérante a, le 21 octobre 2002, réagi aux observations de la BEI et a répondu à deux questions écrites.

17.
    Le 8 novembre 2002, la BEI a présenté ses observations sur les observations de la requérante et a répondu à une question écrite posée par le juge des référés.

18.
    Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de sursis à exécution, sans qu'il soit utile d'entendre les parties en leurs explications orales.

En droit

19.
    En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 4 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué.

20.
    L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit qu'une demande en référé doit spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elle conclut. Ces conditions sont cumulatives, de sorte qu'une demande de sursis à exécution doit être rejetée dès lors que l'une d'elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK etFNK/Commission, C-268/96 P(R), Rec. p. I-4971, point 30; ordonnances du président du Tribunal du 15 juillet 1998, Prayon-Rupel/Commission, T-73/98 R, Rec. p. II-2769, point 25, et du 4 avril 2002, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T-198/01 R, Rec. p. II-2153, point 50].

Sur la recevabilité de la demande en référé

21.
    Selon une jurisprudence constante, le problème de la recevabilité du recours devant le juge du fond ne doit pas, en principe, être examiné dans le cadre d'une procédure en référé sous peine de préjuger l'affaire au principal. Il peut, néanmoins, s'avérer nécessaire, lorsque, comme en l'espèce, l'irrecevabilité manifeste du recours au principal sur lequel se greffe la demande en référé est soulevée, d'établir l'existence de certains éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité d'un tel recours (ordonnances du président de la Cour du 27 janvier 1988, Distrivet/Conseil, 376/87 R, Rec. p. 209, point 21, et du président du Tribunal du 25 novembre 1999, Martinez et de Gaulle/Parlement, T-222/99 R, Rec. p. II-3397, point 60).

22.
    En l'espèce, le juge des référés estime qu'il y a lieu de vérifier s'il existe des éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité du recours au principal.

Arguments des parties

23.
    En ce qui concerne la décision de prorogation, la BEI fait valoir que la demande en référé est irrecevable, puisque, avant l'introduction du recours en annulation, la commission de conciliation n'a pas été saisie conformément à l'article 41 du règlement du personnel. Au contraire, la requérante aurait accepté cette décision, ainsi qu'en attesterait un courrier électronique du 9 avril 2002. La demande de réunion de la commission de conciliation formée le 22 juillet 2002 par la requérante aurait uniquement eu pour objet la décision de résiliation.

24.
    La BEI fait également valoir que le recours en annulation est irrecevable parce qu'il a été introduit cinq mois après l'adoption de l'acte et, ainsi, très largement au-delà du «délai raisonnable» de trois mois.

25.
    En ce qui concerne la décision de résiliation, la BEI soutient que, si la requérante a demandé la convocation de la commission de conciliation, elle n'a pas attendu la tenue de la réunion de cette commission et les conclusions qui auraient pu être prises par celle-ci. La requérante n'ayant pas suivi la procédure précontentieuse jusqu'à son terme, le recours introduit contre la décision de résiliation devrait dès lors être déclaré irrecevable (arrêts du Tribunal du 17 octobre 1990, Hettrich e.a./Commission, T-134/89, Rec. p. II-565; du 16 juillet 1992, Della Pietra/Commission, T-1/91, Rec. p. II-2145; du 16 décembre 1993, Moat/Commission, T-58/92, Rec. p. II-1443, et du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T-7/98, T-208/98 et T-109/99, RecFP p. I-A 49 et II-185).

26.
    À titre subsidiaire, la BEI relève qu'elle aurait dû être saisie d'une réclamation.

27.
    La requérante fait valoir que, en ce qui concerne la décision de prorogation, la demande en référé «vise exclusivement la décision en tant que la défenderesse la considère [comme] une prorogation de son droit de résilier le contrat avec un préavis de quinze jours». Le courrier électronique du 9 avril 2002 ne constituerait pas une acceptation de sa part de la décision de prorogation.

28.
    En ce qui concerne la décision de résiliation, elle conteste qu'il y ait une obligation d'épuiser la procédure précontentieuse avant d'introduire un recours en annulation.

Appréciation du juge des référés

29.
    En ce qui concerne la décision de prorogation, il y a lieu de relever, d'abord, que la procédure de conciliation prévue à l'article 41 du règlement du personnel est purement facultative et se déroule indépendamment du recours formé devant la Cour (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal De Nicola/BEI, précité, points 96, 101 et 102, et du 6 mars 2001, Dunnett e.a./BEI, T-192/99, Rec. p. II-813, point 54). Ainsi, contrairement à ce que soutient la BEI, l'éventuelle absence d'une saisine préalable de la commission de conciliation n'est pas de nature à rendre irrecevable le recours en annulation de la décision de prorogation.

30.
    En ce qui concerne le délai dans lequel les litiges entre la BEI et ses employés doivent être portés devant le juge communautaire, il convient d'observer que le traité et le règlement du personnel de la BEI ne contiennent aucune disposition à cet égard. En l'absence de toute indication dans le traité et dans le règlement du personnel, en ce qui concerne le délai de recours dans les litiges entre la BEI et ses agents, il appartient au Tribunal de combler une lacune dans le régime des voies de recours (arrêts De Nicola/BEI, précité, point 97, et Dunnett e.a./BEI, précité, point 51).

31.
    À cet égard, le Tribunal doit mettre en balance, d'une part, le droit du justiciable à une protection juridictionnelle effective, qui compte parmi les principes généraux du droit communautaire (ordonnance du Tribunal du 30 mars 2000, Méndez Pinedo/BCE, T-33/99, RecFP p. I-A-63 et II-273, point 32) et qui implique que le justiciable doit pouvoir disposer d'un délai suffisant pour évaluer la légalité de l'acte lui faisant grief et préparer, le cas échéant, sa requête, ainsi que, d'autre part, l'exigence de la sécurité juridique qui veut que, après l'écoulement d'un certain délai, les actes pris par les instances communautaires deviennent définitifs (arrêt Dunnett e.a./BEI, précité, point 52).

32.
    La conciliation de ces différents intérêts exige que les litiges entre la BEI et ses agents soient portés devant le juge communautaire dans un délai raisonnable. Pour apprécier si un recours a été introduit dans un délai raisonnable, il convient de s'inspirer des conditions relatives aux délais de recours définies par les articles 90et 91 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (arrêts De Nicola/BEI, précité, point 101; Dunnett e.a./BEI, précité, point 54; voir aussi, en ce qui concerne les litiges entre la BCE et ses agents, ordonnance Méndez Pinedo/BCE, précitée, point 33, et ordonnance du Tribunal du 11 décembre 2001, Cerafogli e.a./BCE, T-20/01, RecFP p. I-A-235 et II-1075, point 63).

33.
    Ainsi, le Tribunal a estimé qu'un délai de trois mois doit, en principe, être considéré comme raisonnable (arrêt De Nicola/BEI, précité, points 107 et 119, et ordonnance Mendez Pinedo/BCE, précitée, point 34).

34.
    Dans le cas où la commission de conciliation a été saisie, ce délai commence à courir le jour de la notification à l'employé concerné, le cas échéant, de l'échec de la procédure de conciliation (arrêt de Nicola/BEI, précité, point 107).

35.
    Dans le cas où la commission de conciliation n'a pas été saisie, le juge des référés estime que le délai de recours dans les litiges entre la BEI et ses agents commence à courir à la date de notification au requérant de la décision de la BEI ou en tout cas au plus tard le jour où l'intéressé en a connaissance (voir, par analogie, l'article 90, paragraphe 2, du statut).

36.
    En l'espèce, il est constant que la commission de conciliation n'a pas été saisie d'une réclamation contre la décision de prorogation. En effet, la BEI fait observer, sans que cela soit contesté par la requérante dans ses observations présentées ultérieurement, que la demande de convocation de la commission de conciliation formée le 22 juillet 2002 par la requérante portait uniquement sur la décision de résiliation.

37.
    En l'absence d'une saisine de la commission de conciliation, le délai pour former un recours en annulation a commencé à courir le 9 avril 2002, jour où la décision de prorogation a été notifiée à la requérante.

38.
    Le recours en annulation a été introduit le 9 septembre 2002, soit cinq mois après que la décision de prorogation a été notifiée à la requérante.

39.
    À cet égard, la requérante n'a invoqué aucune circonstance particulière qui pourrait contrebalancer l'impératif de sécurité juridique (voir, ci-dessus, point 31). En particulier, elle n'a pas démontré que le délai dont elle a disposé a été insuffisant pour évaluer la légalité de la décision de prorogation et préparer sa requête. Au contraire, il est constant que la décision de prorogation a mis la requérante en mesure d'adresser, le 9 avril 2002, un courrier électronique à ses supérieurs hiérarchiques, contenant une réponse détaillée aux critiques contenues dans la décision de prorogation. En outre, il est constant que la requérante a demandé la convocation de la commission de conciliation le 22 juillet 2002 sans pour autant contester devant celle-ci la décision de prorogation. Il convient d'ajouter à cet égard que la saisine de la commission de conciliation, dans un délai raisonnable, d'une réclamation dirigée contre la décision de prorogation auraitpermis à la requérante d'avoir un délai supplémentaire pour rédiger, le cas échéant, sa requête en annulation (voir, ci-dessus, point 34).

40.
    Dans ces circonstances, sans qu'il soit nécessaire d'apprécier si la décision de prorogation constitue un acte faisant grief à l'égard de la requérante, le juge des référés estime que le recours a été introduit au-delà d'un délai raisonnable (voir, en ce sens, ordonnance Méndez Pinedo/BCE, précitée, point 34).

41.
    En ce qui concerne la déclaration de la requérante selon laquelle la demande en référé vise seulement la prorogation du droit de la BEI de résilier le contrat avec un préavis de quinze jours, il suffit d'observer que la requérante n'a soulevé aucun argument permettant au juge des référés de considérer que le délai raisonnable devrait expirer plus tard pour cette partie de l'acte que pour le reste de la décision.

42.
    Il s'ensuit que le recours en annulation de la décision de prorogation, dans son entièreté, est, à première vue, irrecevable. La demande de sursis à l'exécution de la décision de prorogation doit, dès lors, être déclarée irrecevable.

43.
    En ce qui concerne la décision de résiliation, il est rappelé que le Tribunal a déjà jugé, dans l'arrêt De Nicola/BEI, précité, point 96, que l'épuisement de la procédure de conciliation prévue par l'article 41 du règlement du personnel n'est nullement requis pour qu'un recours en annulation soit recevable. Cette constatation suffit pour rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée à l'égard du recours en annulation de la décision de résiliation.

44.
    Le recours en annulation ayant été introduit dans le délai de trois mois à compter du jour de la notification à la requérante de la décision de résiliation, le 25 juin 2002, il doit, à première vue, être déclaré recevable.

45.
    Il s'ensuit que la demande de sursis à l'exécution de la décision de résiliation doit être déclarée recevable.

Sur le fond de la demande en référé

Arguments des parties

— Sur le fumus boni juris

46.
    L'argumentation de la requérante est composée de trois moyens, respectivement tirés de la violation du principe «pacta sunt servanda», de la violation du devoir de sollicitude et de la violation du principe de protection de la confiance légitime.

47.
    En ce qui concerne le premier moyen, la requérante fait observer que la résiliation unilatérale par la BEI du contrat d'emploi est contraire à l'exécution de bonne foi de celui-ci. Or, à l'exception des cas prévus par l'article 38 du règlement dupersonnel, aucune décision unilatérale de la BEI ne pourrait modifier les termes d'un contrat conclu entre deux parties. La BEI n'ayant pas exercé pendant la période d'essai le droit qu'elle avait de résilier le contrat sans obligation de motivation moyennant un préavis de quinze jours, la requérante devrait être considérée comme ayant été employée pour la durée de son contrat.

48.
    Dans le cadre de son deuxième moyen, la requérante relève que, avant la réception, le 9 avril 2002, de la décision de prorogation, la BEI n'a fait état à aucun moment, oralement ou par écrit, de reproches professionnels et/ou d'éléments de fait susceptibles de justifier des mesures défavorables à son égard. De plus, l'appréciation de ses supérieurs hiérarchiques à cette date et celle, intermédiaire, du 18 janvier 2002 ne feraient état ni de problèmes de relations humaines ni de difficultés professionnelles relatives aux connaissances spécialisées exigées et vérifiées dans le cadre strict de la procédure de recrutement.

49.
    Enfin, au soutien de son troisième moyen, la requérante fait observer que les membres du personnel doivent pouvoir s'attendre à ce que les modalités de résiliation des contrats engageant la BEI soient scrupuleusement respectées par celle-ci. Or, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s'étendrait à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire a fait naître chez lui des espérances fondées. En l'espèce, la confiance légitime de la requérante découlerait du fait qu'elle n'aurait commis aucune violation du contrat conclu avec la BEI ou du règlement du personnel.

50.
    La décision de résiliation constituerait également une violation du principe de sécurité juridique et une méconnaissance des droits acquis de la requérante.

51.
    La BEI estime que l'argumentation de la requérante est dénuée de tout fondement.

— Sur l'urgence et la mise en balance des intérêts

52.
    Pour démontrer que la condition relative à l'urgence est remplie, la requérante fait observer que la fin abrupte de son contrat, le recours en justice formé contre la BEI devant le juge communautaire ainsi que l'impossibilité de fournir des références honorables de son précédent employeur porteraient atteinte à sa réputation professionnelle, faisant naître chez des employeurs potentiels des présomptions défavorables concernant sa personnalité et ses capacités professionnelles. Ce préjudice serait aggravé par l'impossibilité pour elle, à l'avenir, de donner une explication acceptable à sa période d'inactivité professionnelle. Ainsi, tout retard entraînerait une aggravation progressive de sa situation personnelle et de son préjudice tant moral que matériel.

53.
    Elle se verrait également contrainte de résider en situation irrégulière à Luxembourg, puisque son autorisation de séjour était accordée dans le cadre desobligations imposées au pays membre par le protocole sur les privilèges et immunités.

54.
    Enfin, elle indique qu'elle se trouvera à court terme sans moyens de subsistance et qu'elle ne pourra pas faire face au paiement de son loyer et à certains engagements financiers. En outre, ajoute-t-elle, à partir du 15 janvier 2003, elle ne bénéficiera plus de la couverture maladie-accidents et se trouvera alors dans une situation particulièrement délicate en cas de maladie ou d'accident.

55.
    En ce qui concerne la mise en balance des intérêts, la requérante soutient que l'intérêt général de la BEI à voir ses décisions appliquées ne peut prévaloir sur son intérêt spécifique, pressant et immédiat.

56.
    La BEI, s'agissant de la situation personnelle de la requérante, fait observer que cette dernière est âgée de 28 ans, qu'elle a, selon ses propres dires, réussi avec succès des études juridiques avancées et qu'elle est célibataire, sans charge de famille.

57.
    Elle fait également valoir qu'un dommage de caractère purement pécuniaire ne peut, en règle générale, être considéré comme irréparable, ou même difficilement réparable, puisqu'il peut faire l'objet par la suite d'une compensation financière (ordonnances du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C-213/91 R, Rec. p. I-5109, point 24, et du président du Tribunal du 20 juillet 2000, Esedra/Commission, T-169/00 R, Rec. p. II-2951, point 44).

58.
    En ce qui concerne la mise en balance des intérêts, la BEI soutient que les intérêts de la requérante à éviter un préjudice immédiat, réparable, ne doit pas primer l'intérêt de la BEI à ne pas réintégrer un ancien agent qui, selon son appréciation, a effectué un travail manifestement insuffisant et a refusé d'adopter l'attitude qu'elle est en droit d'attendre de la part de ses fonctionnaires ou agents.

Appréciation du juge des référés

59.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C'est à cette dernière qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnances du président du Tribunal du 1er juillet 1999, Samper/Parlement, T-111/99 R, RecFP p. I-A-111 et II-609, point 38, et du 29 avril 2002, De Nicola/BEI, T-300/01 R, non publiée au Recueil, point 52).

60.
    S'il est exact que, pour établir l'existence d'un tel dommage, il n'est pas nécessaire d'exiger que la survenance du préjudice soit établie avec une certitude absolue et qu'il suffit que celui-ci soit prévisible avec un degré de probabilitésuffisant, il n'en reste pas moins que le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un dommage grave et irréparable (ordonnance du président du Tribunal du 7 décembre 2001, Lior/Commission, T-192/01 R, Rec. p. II-3657, point 49).

61.
    Les préjudices allégués par la requérante sont constitués, premièrement, par la difficulté de trouver un nouvel emploi à la suite de son licenciement par la BEI, deuxièmement, par sa situation prétendument irrégulière à Luxembourg et, troisièmement, par l'absence de moyens de subsistance et l'absence d'une couverture maladie-accidents à partir du 15 janvier 2003.

62.
    S'agissant, en premier lieu, du préjudice constitué par la difficulté de trouver un emploi à la suite du licenciement de la requérante, il suffit de constater que cette dernière se limite à faire des déclarations générales quant à la difficulté de trouver un nouvel emploi correspondant à ses qualifications sans étayer celles-ci de la moindre preuve.

63.
    En deuxième lieu, en ce qui concerne le préjudice qui serait constitué par sa situation prétendument irrégulière à Luxembourg, il convient de relever que les affirmations de la requérante ne sont aucunement étayées de preuves. En particulier, elle n'a pas démontré qu'elle ne pourrait maintenir sa résidence à Luxembourg au cas où elle trouverait un nouvel emploi dans ce pays. En tout état de cause, la requérante n'a invoqué aucune circonstance de nature à démontrer que son droit de résidence à Luxembourg ne sera pas préservé à la suite de la décision de résiliation, au moins pendant une période suffisamment longue pour lui permettre de trouver un nouvel emploi.

64.
    En ce qui concerne la troisième catégorie de préjudices, constituée par l'absence de moyens de subsistance et l'absence de couverture maladie-accidents à partir du 15 janvier 2003, il y a lieu de constater que l'un comme l'autre revêtent un caractère purement pécuniaire. En effet, le fait que l'assurance maladie-accidents ne sera plus couverte par la BEI aura pour effet d'obliger la requérante à engager des dépenses supplémentaires sans remboursement, aux fins de bénéficier d'un accès aux services de santé.

65.
    S'agissant d'un préjudice de cette nature, il convient de relever que, selon une jurisprudence bien établie (ordonnances du président du Tribunal du 23 novembre 1990, Speybrouck/Parlement, T-45/90 R, Rec. p. II-705, point 23, et du 31 janvier 2001, Tralli/BCE, T-373/00 R, RecFP p. I-A-19 et II-83, point 24), un préjudice d'ordre purement pécuniaire ne peut, en principe, être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut faire l'objet d'une compensation financière ultérieure.

66.
    En l'espèce, il convient d'observer que, en cas d'annulation au principal de la décision de résiliation, la requérante aura droit au versement de toutes les sommes qu'elle aurait dû percevoir à partir de la date de son licenciement jusqu'à saréintégration ou jusqu'à la date de fin de contrat prévue dans la lettre d'engagement si l'arrêt au principal est rendu après cette date.

67.
    Il appartient, toutefois, au juge des référés d'apprécier, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, si l'exécution immédiate de la décision faisant l'objet de la demande de sursis peut causer à la requérante un préjudice grave et imminent que même l'annulation de la décision au terme de la procédure au principal ne pourrait plus réparer (ordonnance Tralli/BCE, précitée, point 26).

68.
    Dans le cadre de la présente procédure, il suffit de relever que la requérante n'a produit aucune donnée économique pour démontrer qu'elle ne sera pas en mesure de subvenir à ses besoins jusqu'au prononcé de l'arrêt au principal. À cet égard, il y a lieu de souligner qu'il n'incombe pas au juge des référés, d'office, de pallier un tel défaut de preuve.

69.
    Il découle de ce qui précède que la requérante n'est pas parvenue à établir à suffisance de droit que, à défaut de sursis à l'exécution de la décision de résiliation, elle subira un préjudice grave et irréparable.

70.
    En tout état de cause, à supposer même que, par hypothèse, l'existence d'un préjudice grave et irréparable ait été établie, l'intérêt de la BEI de ne pas se voir imposer le maintien d'une relation de travail avec un agent dont les aptitudes, à la suite d'une période d'essai et d'évaluation prolongée, ont été estimées insuffisantes pour le poste offert doit, dans les circonstances de l'espèce, l'emporter sur l'intérêt de la requérante à obtenir le sursis à l'exécution de la décision de résiliation (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal Speybrouck/Parlement, précitée, point 36, et du 14 août 2002, N/Commission, T-198/02 R, non encore publiée au Recueil, point 60).

71.
    La condition relative à l'urgence n'étant pas satisfaite et la balance des intérêts penchant en faveur de l'absence de suspension de la décision litigieuse, il y a lieu de rejeter la présente demande, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

Par ces motifs,

ordonne:

1)     La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 6 décembre 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français