Language of document : ECLI:EU:T:2018:279

Affaire T584/13

BASF Agro BV e.a.

contre

Commission européenne

« Produits phytopharmaceutiques – Substance active fipronil – Réexamen de l’approbation – Article 21 du règlement (CE) no 1107/2009 – Interdiction d’utilisation et de vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active en cause – Article 49, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 – Principe de précaution – Analyse d’impact »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (première chambre élargie) du 17 mai 2018

1.      Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Affectation directe – Critères – Règlement de la Commission imposant aux États membres ayant accordé des autorisations pour des produits phytopharmaceutiques contenant une certaine substance active de les modifier ou de les retirer – Recours d’une entreprise produisant et commercialisant cette substance – Recevabilité

(Art. 263, al. 4, TFUE ; règlements de la Commission no 540/2011 et no 781/2013)

2.      Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Affectation individuelle – Critères – Règlement de la Commission imposant aux États membres ayant accordé des autorisations pour des produits phytopharmaceutiques contenant une certaine substance active de les modifier ou de les retirer – Recours d’une entreprise produisant et commercialisant cette substance – Recevabilité

(Art. 263, al. 4, TFUE ; règlements de la Commission no 540/2011 et no 781/2013)

3.      Recours en annulation – Conditions de recevabilité – Personnes physiques ou morales – Recours introduit par plusieurs requérants à l’encontre de la même décision – Qualité pour agir de l’un d’entre eux – Recevabilité du recours dans son ensemble

(Art. 263, al. 4, TFUE)

4.      Protection de la santé publique – Évaluation des risques – Application du principe de précaution – Portée – Notions de risque et de danger – Détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société – Compétence de l’institution de l’Union désignée par la réglementation pertinente

(Art. 191, § 2, TFUE)

5.      Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Réexamen de l’approbation d’une substance active – Retrait ou modification de l’approbation pour non-satisfaction des critères d’approbation – Charge de la preuve incombant à la Commission

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1107/2009, art. 4 et 21, § 3 ; directive du Conseil 91/414)

6.      Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Adoption de mesures restrictives d’utilisation et de vente de produits contenant une certaine substance active – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Portée

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1107/2009)

7.      Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Réexamen de l’approbation d’une substance active – Engagement de la procédure en présence d’études nouvelles soulevant des doutes quant à la satisfaction des critères d’approbation – Admissibilité – Notion d’études nouvelles

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1107/2009, art. 4 et 21, § 1)

8.      Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Réexamen de l’approbation d’une substance active – Demande de réexamen de la part d’un État membre au regard des nouvelles connaissances scientifiques et techniques et des données de contrôle – Notion de données de contrôle

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1107/2009, art. 21, § 1)

9.      Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Réexamen de l’approbation d’une substance active – Demande de réexamen de la part d’un État membre au regard des nouvelles connaissances scientifiques et techniques et des données de contrôle – Pouvoir d’appréciation de la Commission quant à la nécessité d’un réexamen

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1107/2009, art. 21, § 1)

10.    Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Adoption de mesures restrictives d’utilisation et de vente de produits contenant une certaine substance active – Évaluation préalable des risques pour la santé humaine et l’environnement – Application du principe de précaution – Portée

(Art. 191, § 2, TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1107/2009, considérant 8 et art. 1er, § 4, 4, 21, § 3, 69 et 70)

11.    Droit de l’Union européenne – Principes – Principe de précaution – Portée – Lignes directrices pour le recours au principe – Modalités de l’examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action

(Art. 191, § 2, TFUE ; communication de la Commission COM(2000)1 final, point 6.3.4)

12.    Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Adoption de mesures restrictives d’utilisation et de vente de produits contenant une certaine substance active – Évaluation préalable des risques pour la santé humaine et l’environnement – Obligation pour la Commission de réaliser une analyse d’impact – Manquement – Violation du principe de précaution

(Art. 11 TFUE, 114, § 3, TFUE et 191, § 2, TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1107/2009 ; communication de la Commission COM(2000)1 final, point 6.3.4)

1.      Voir le texte de la décision.

(voir points 33, 35-42)

2.      Voir le texte de la décision.

(voir points 44, 45)

3.      Voir le texte de la décision.

(voir point 49)

4.      Voir le texte de la décision.

(voir points 58, 59, 61, 62, 64-75)

5.      Il ressort de la formulation et de l’économie des dispositions pertinentes du règlement no 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, que c’est en principe sur l’auteur de la demande d’approbation que pèse la charge de la preuve qu’il est satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 dudit règlement, comme cela était expressément prévu dans la directive 91/414, concernant la mise sur le marché des produits pharmaceutiques.

Toutefois, dans le cadre d’un réexamen intervenant avant la fin de la période d’approbation, il appartient à la Commission de démontrer que les conditions d’approbation ne sont plus réunies. En effet, c’est la partie qui se prévaut d’une disposition légale – ici l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 – qui doit prouver que les conditions d’application de celle-ci sont remplies. À cet égard, le fait d’admettre que, en cas d’incertitude scientifique, des doutes raisonnables concernant l’innocuité d’une substance active approuvée au niveau de l’Union sont susceptibles de justifier une mesure de précaution ne saurait être assimilé à un renversement de la charge de la preuve. Néanmoins, la Commission satisfait à la charge de la preuve si elle établit que la conclusion, lors de l’approbation initiale, qu’il était satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009 est invalidée par des développements ultérieurs en matière réglementaire ou technique.

Ainsi, la Commission s’acquitte à suffisance de droit de la charge de la preuve lui incombant au regard de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, si elle parvient à démontrer que, au regard d’une modification du contexte réglementaire, ayant entraîné un renforcement des conditions d’approbation, les données générées par les études effectuées aux fins de l’approbation initiale étaient insuffisantes pour rendre compte de la totalité des risques pour les abeilles liés à la substance active en cause, s’agissant par exemple de certaines voies d’exposition. Le principe de précaution impose en effet de retirer ou de modifier l’approbation d’une substance active en présence de données nouvelles invalidant la conclusion antérieure selon laquelle cette substance satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009. Dans ce contexte, la Commission peut se limiter à fournir, conformément au régime commun du droit de la preuve, des indices sérieux et concluants, qui, sans écarter l’incertitude scientifique, permettent raisonnablement de douter du fait que la substance active en cause satisfait auxdits critères d’approbation.

(voir points 86, 89-91)

6.      Afin de pouvoir poursuivre efficacement les objectifs qui lui sont assignés par le règlement no 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et en considération des évaluations techniques complexes qu’elle doit opérer, un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu à la Commission. Cela vaut, notamment, pour les décisions en matière de gestion du risque qu’elle doit prendre en application dudit règlement.

L’exercice de ce pouvoir n’est toutefois pas soustrait au contrôle juridictionnel. À cet égard, dans le cadre de ce contrôle, le juge de l’Union doit vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus par la Commission, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou l’absence de détournement de pouvoir. Afin d’établir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation de l’acte attaqué, les éléments de preuve apportés par le requérant doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans l’acte. Sous réserve de cet examen de plausibilité, il n’appartient pas au juge de l’Union de substituer son appréciation de faits complexes à celle de l’auteur de l’acte.

En outre, dans le cas où une institution dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le contrôle du respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance fondamentale. Parmi ces garanties figurent notamment pour l’institution compétente l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce et celle de motiver sa décision de façon suffisante. Ainsi, l’accomplissement d’une évaluation scientifique des risques aussi exhaustive que possible sur la base d’avis scientifiques fondés sur les principes d’excellence, de transparence et d’indépendance constitue une garantie procédurale importante en vue d’assurer l’objectivité scientifique des mesures et d’éviter la prise de mesures arbitraires.

(voir points 92-96)

7.      Il est suffisant, pour que la Commission puisse procéder à un réexamen de l’approbation d’une substance active, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qu’il existe des études nouvelles (à savoir des études qui n’ont pas encore été prises en compte par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ou la Commission dans le cadre d’une évaluation précédente de la substance en cause) dont les résultats soulèvent, par rapport aux connaissances disponibles lors de l’évaluation précédente, des préoccupations quant à la question de savoir s’il est toujours satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009, sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, de vérifier si ces préoccupations sont réellement fondées, cette vérification étant réservée au réexamen lui-même.

En effet, afin de pouvoir constater s’il n’est plus satisfait aux conditions de l’article 4 du règlement no 1107/2009, compte tenu, notamment, de l’objectif de protection poursuivi par ce règlement, la Commission doit pouvoir lancer un examen même si le degré de doute suscité par les nouvelles connaissances scientifiques et techniques n’est que relativement faible. Pour autant, cela ne saurait impliquer que la Commission serait totalement libre dans son appréciation. En effet, la notion de « nouvelles connaissances scientifiques et techniques » ne saurait être comprise exclusivement de manière temporelle, mais elle comprend également une composante qualitative, qui se rattache d’ailleurs tant au qualificatif « nouveau » qu’à celui de « scientifique ». Il s’ensuit que le seuil d’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009 n’est pas atteint si les « nouvelles connaissances » ne concernent que de simples répétitions de connaissances antérieures, des nouvelles suppositions sans fondement solide ainsi que des considérations politiques sans lien avec la science. En fin de compte, les « nouvelles connaissances scientifiques et techniques » doivent donc revêtir une réelle pertinence aux fins de l’appréciation du maintien des conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009.

En outre, s’agissant de la définition du niveau des connaissances scientifiques et techniques antérieures, le niveau antérieur des connaissances ne saurait être celui précédant immédiatement la publication des nouvelles connaissances, mais plutôt celui de la date de la précédente évaluation des risques de la substance concernée. En effet, d’une part, cette précédente évaluation constitue un seuil de référence stable puisqu’elle contient un récapitulatif des connaissances disponibles à l’époque. D’autre part, si la nouveauté des connaissances se rapportait au niveau de connaissances précédant directement leur publication, il ne serait pas possible de tenir compte d’une évolution graduelle des connaissances scientifiques et techniques, dont chaque étape ne suscite pas nécessairement en soi des préoccupations, mais qui peut donner lieu à des préoccupations dans son ensemble.

(voir points 110-112, 114)

8.      Les « données de contrôle » au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, sont des données recueillies à la suite de l’application réelle sur le terrain des produits phytopharmaceutiques contenant une substance approuvée au titre de ce règlement. De telles données, qu’elles aient été recueillies dans le cadre d’un programme de surveillance ou en dehors, ne sauraient être assimilées à des données générées par des études de terrain en ce qui concerne leur aptitude à servir de fondement à des conclusions spécifiques sur l’existence ou sur l’absence de relations de cause à effet. En effet, les études de terrain sont des études scientifiques expérimentales, clairement paramétrées et comportant un groupe de contrôle, alors que les études de surveillance sont des études d’observation (non interventionnelles) dont les paramètres ne sont pas définis. Par conséquent, la qualité des données générées par ces deux types d’études est différente, en ce qui concerne en particulier leur aptitude à fonder des conclusions relatives à des relations entre causes et effets d’un phénomène observé ou relatives à une absence de causalité, en l’absence de phénomène observé.

Il s’ensuit que si les études de surveillance peuvent révéler des indices de l’existence d’un risque, elles ne sauraient, contrairement aux études sur le terrain, servir à démontrer l’absence d’un risque.

(voir points 128, 132, 134, 136)

9.      Il ressort de l’article 21, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, que, même si la Commission doit tenir compte de la demande d’un État membre visant à réexaminer l’approbation d’une substance active, elle reste libre dans son appréciation de la question de savoir si un tel réexamen doit être entrepris, compte tenu des nouvelles connaissances scientifiques disponibles. Cela constitue d’ailleurs une protection des producteurs de substances actives approuvées contre des demandes de réexamen non fondées, voire abusives, qui pourraient être présentées par des États membres.

S’agissant du rôle des données de contrôle dans le cadre de la décision de procéder à un réexamen, de telles données sont mentionnées audit alinéa, deuxième phrase, uniquement pour décrire les conditions dans lesquelles les États membres peuvent demander un réexamen d’une approbation, et non celles régissant la décision de la Commission d’ouvrir une procédure de réexamen. Ces dernières sont en effet fixées à l’article 21, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1107/2009, qui ne prévoit que la prise en compte des nouvelles connaissances scientifiques et techniques.

(voir points 137, 138)

10.    L’application du principe de précaution n’est pas limitée à des cas de figure où l’existence d’un risque est incertaine, mais peut également intervenir dans l’hypothèse où l’existence d’un risque est avérée et où la Commission doit apprécier si ce risque est acceptable ou non, voire apprécier de quelle manière il convient d’y faire face dans le cadre de la gestion du risque.

S’agissant de l’application de ce principe dans le cadre du règlement no 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’il ressort du considérant 8 de celui-ci et de son article 1er, paragraphe 4, l’ensemble des dispositions de ce règlement se fonde sur le principe de précaution, en vue d’assurer que des substances actives ou des produits phytopharmaceutiques ne portent pas atteinte, notamment, à l’environnement. Il en découle que tout acte adopté sur le fondement dudit règlement est ipso jure fondé sur le principe de précaution. Ce fondement ne se limite pas aux articles 69 et 70 du règlement no 1107/2009, concernant les procédures d’urgence. Or, le principe de précaution doit s’appliquer pour l’évaluation des critères d’approbation de l’article 4 dudit règlement, auquel renvoie l’article 21, paragraphe 3, de celui-ci.

(voir points 153, 154, 156)

11.    Le point 6.3.4 de la communication de la Commission sur le recours au principe de précaution prévoit que soit effectué un examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action. En revanche, le format et l’envergure de cet examen ne sont pas précisés. Notamment, il n’en découle nullement que l’autorité concernée serait obligée de lancer une procédure d’évaluation spécifique et aboutissant par exemple à un rapport formel d’évaluation écrit. En outre, il découle du texte que l’autorité appliquant le principe de précaution jouit d’une marge d’appréciation considérable quant aux méthodes d’analyse. En effet, si la communication indique que l’examen devrait inclure une analyse économique, l’autorité concernée doit en tout état de cause également intégrer des considérations non économiques. De plus, il est expressément souligné qu’il se peut, dans certaines circonstances, que des considérations économiques doivent être considérées comme moins importantes que d’autres intérêts reconnus comme majeurs ; sont expressément mentionnés, à titre d’exemple, des intérêts tels que l’environnement ou la santé.

Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’analyse économique des coûts et des bénéfices soit faite sur le fondement d’un calcul exact des coûts respectifs de l’action envisagée et de l’inaction. De tels calculs exacts seront dans la plupart des cas impossibles à effectuer, étant donné que, dans le contexte de l’application du principe de précaution, leurs résultats dépendent de différentes variables par définition inconnues. En effet, si toutes les conséquences de l’inaction comme de l’action étaient connues, il ne serait pas nécessaire de recourir au principe de précaution, mais il serait possible de décider sur le fondement de certitudes. En conclusion, il est satisfait aux exigences de la communication sur le principe de précaution dès lors que l’autorité concernée a effectivement pris connaissance des effets, positifs et négatifs, économiques et autres, susceptibles d’être induits par l’action envisagée ainsi que par l’abstention d’agir, et qu’elle en a tenu compte lors de sa décision. En revanche, il n’est pas nécessaire que ces effets soient chiffrés avec précision, si cela n’est pas possible ou nécessiterait des efforts disproportionnés.

(voir points 162, 163)

12.    Il est certes vrai qu’il a été reconnu, sur le fondement de l’article 11 TFUE et de l’article 114, paragraphe 3, TFUE, que, dans le cadre de l’application du règlement no 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, la protection de l’environnement a une importance prépondérante par rapport aux considérations économiques, de sorte qu’elle est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs, formule d’ailleurs reprise par le point 6.3.4 de la communication de la Commission sur le recours au principe de précaution.

Toutefois, on ne saurait voir dans l’affirmation générale d’un tel principe l’exercice anticipé d’un pouvoir d’appréciation par le législateur, de nature à dispenser la Commission d’effectuer une analyse des avantages et des charges d’une mesure concrète. En effet, une analyse d’impact concerne une mesure concrète de gestion du risque ; une telle analyse ne peut donc être effectuée qu’en tenant compte des circonstances pertinentes spécifiques prévalant dans le cas particulier et non de manière générale et par avance, pour tous les cas d’application d’une norme. Dès lors, lorsqu’il n’existe aucune preuve documentaire de cette analyse, il ne suffit pas que le collège des commissaires de la Commission ait eu connaissance d’une autre analyse d’impact effectuée aux fins d’une décision antérieure. Or, l’absence de l’analyse d’impact constitue une violation du principe de précaution.

Par ailleurs, l’obligation, formulée au point 6.3.4 de la communication sur le principe de précaution, de procéder à une analyse d’impact ne constitue, in fine, qu’une expression spécifique du principe de proportionnalité. Dès lors, il ne saurait être valablement soutenu que la Commission serait dispensée, dans le cadre de l’application du règlement no 1107/2009, de respecter ce principe, à tout le moins pour ce qui concerne son volet économique. Or, affirmer dans un domaine où la Commission dispose d’une large marge d’appréciation qu’elle serait en droit de prendre des mesures sans devoir en évaluer les avantages et les inconvénients n’est pas compatible avec le principe de proportionnalité. En effet, le fait de reconnaître à l’administration un pouvoir d’appréciation a pour corollaire nécessaire et indispensable une obligation d’exercer ce pouvoir et de prendre en compte toutes les informations pertinentes à cet effet. Cela vaut d’autant plus dans le cadre de l’application du principe de précaution, où l’administration prend des mesures restreignant les droits des administrés, non sur le fondement d’une certitude scientifique, mais sur le fondement d’une incertitude : si l’administré doit supporter le fait qu’une activité économique puisse lui être interdite, alors qu’il n’est même pas certain qu’elle comporte un risque inacceptable, il doit au moins être exigé de l’administration qu’elle mesure pleinement, autant que faire se peut, les conséquences de son action, comparées aux possibles conséquences de son inaction, pour les différents intérêts en jeu.

(voir points 168-170, 173)