Language of document : ECLI:EU:C:2014:2068

Affaire C‑244/13

Ewaen Fred Ogieriakhi

contre

Minister for Justice and Equality e.a.

[demande de décision préjudicielle,
introduite par la High Court (Irlande)]

«Renvoi préjudiciel – Directive 2004/38/CE – Article 16, paragraphe 2 – Droit de séjour permanent des membres de la famille d’un citoyen de l’Union ressortissants de pays tiers – Fin de la vie commune des conjoints – Installation immédiate avec d’autres partenaires pendant la période de séjour ininterrompue de cinq ans – Règlement (CEE) nº 1612/68 – Article 10, paragraphe 3 – Conditions – Violation par un État membre du droit de l’Union – Examen de la nature de la violation en cause – Nécessité d’un renvoi préjudiciel»

Sommaire – Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 10 juillet 2014

1.        Citoyenneté de l’Union – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Directive 2004/38 – Droit de séjour permanent des ressortissants de pays tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union ayant acquis ce droit dans l’État membre d’accueil – Acquisition de ce droit par le ressortissant du pays tiers au terme d’une période de séjour ininterrompue de cinq ans avec le citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil – Périodes accomplies légalement avant la date de transposition de la directive – Inclusion – Séjour soumis aux conditions de la directive 2004/38 ainsi qu’à celles prévues par le droit de l’Union en vigueur au cours de la période où le séjour a été effectué – Conjoints ayant décidé de se séparer et s’étant installés avec d’autres partenaires pendant la période de séjour ininterrompue de cinq ans – Absence d’incidence

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/38, art. 16, § 2)

2.        Libre circulation des personnes – Travailleurs – Droit de séjour des membres de la famille – Membre de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre – Condition relative à la disposition d’un logement considéré comme normal pour les travailleurs nationaux – Absence d’exigence d’unicité de logement familial permanent – Condition s’imposant uniquement comme condition d’accueil

(Règlement du Conseil nº 1612/68, art. 10, § 3)

3.        Questions préjudicielles – Saisine de la Cour – Facteur décisif, dans le cadre d’un recours en indemnité, de l’existence d’une violation manifeste du droit de l’Union – Absence

(Art. 267 TFUE)

1.        L’article 16, paragraphe 2, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui, au cours d’une période continue de cinq ans antérieure à la date de transposition de cette directive, a séjourné dans un État membre, en qualité de conjoint d’un citoyen de l’Union travailleur dans ledit État membre, doit être considéré comme ayant acquis le droit de séjour permanent prévu à cette disposition, alors même que, au cours de ladite période, les époux ont décidé de se séparer et ont entrepris de vivre avec d’autres partenaires, le logement occupé par ledit ressortissant n’ayant plus désormais été fourni ni mis à la disposition de ce dernier par son conjoint citoyen de l’Union.

En effet, lorsque la période de séjour ininterrompue de cinq ans est accomplie en tout ou en partie avant la date limite de transposition de la directive 2004/38, afin de pouvoir se prévaloir du droit de séjour permanent, au titre de l’article 16, paragraphe 2, de cette directive, ladite période doit satisfaire tant aux conditions prévues par ladite directive qu’à celles prévues par le droit de l’Union en vigueur au cours de la période où ce séjour a été effectué. À cet égard, il y a lieu de relever que, lors de l’analyse de l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2004/38, l’acquisition du droit de séjour permanent des membres de la famille du citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre dépend en tout état de cause du fait que, d’une part, ce citoyen remplit lui-même les conditions énoncées à l’article 16, paragraphe 1, de cette directive et que, d’autre part, lesdits membres ont séjourné avec lui pendant la période concernée. Or, dans la mesure où l’article 16, paragraphe 2, de ladite directive subordonne l’acquisition du droit de séjour permanent par les membres de la famille d’un citoyen de l’Union à la condition d’avoir séjourné légalement «avec» ce dernier pendant une période ininterrompue de cinq ans se pose la question de savoir si la séparation des époux au cours de la période concernée, en raison de l’absence non seulement d’une cohabitation mais, surtout, d’une effective communauté de vie conjugale, empêche de considérer que ladite condition est remplie. À cet égard, ainsi qu’il émane des arrêts Diatta (267/83) et Iida (C‑40/11), le lien conjugal ne peut être considéré comme dissous tant qu’il n’y a pas été mis un terme par l’autorité compétente et tel n’est pas le cas des époux qui vivent simplement de façon séparée, même lorsqu’ils ont l’intention de divorcer ultérieurement, de telle sorte que le conjoint ne doit pas nécessairement habiter en permanence avec le citoyen de l’Union pour être titulaire d’un droit dérivé de séjour. Partant, le fait que, les époux aient non seulement cessé de vivre ensemble, mais aient vécu également avec d’autres partenaires, est dénué de pertinence, aux fins de l’acquisition d’un droit de séjour permanent, au titre de l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

(cf. points 32, 34, 36-38, 47, disp. 1)

2.        La condition imposée au travailleur ressortissant d’un État membre, prévue à l’article 10, paragraphe 3, du règlement nº 1612/68, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, de disposer d’un logement pour sa famille, considéré comme normal pour les travailleurs nationaux dans la région où il a été employé, est remplie lorsque le travailleur a quitté le logement familial et que le conjoint est parti vivre avec un autre partenaire dans un nouveau logement qui n’a été ni fourni ni mis à la disposition de ce conjoint par ledit travailleur.

En effet, l’article 10, paragraphe 3, exige non pas que le membre de la famille concerné y habite en permanence, mais, seulement, que le logement dont le travailleur dispose puisse être considéré comme normal pour l’accueil de sa famille, de sorte que l’exigence de l’unicité de logement familial permanent ne saurait donc être admise implicitement.

En outre, la condition de disposer d’un logement considéré comme normal s’impose uniquement comme condition d’accueil de chaque membre de la famille auprès du travailleur, de sorte que, en tout état de cause, le respect de cette disposition ne saurait être apprécié qu’à la date où le ressortissant du pays tiers a débuté une vie commune avec le conjoint de l’Union dans l’État membre d’accueil.

(cf. points 43, 45, 46)

3.        Le fait que, dans le cadre d’un recours en indemnité pour violation du droit de l’Union, une juridiction nationale ait estimé nécessaire de poser une question préjudicielle portant sur le droit de l’Union en cause ne doit pas être considéré comme un facteur décisif afin de déterminer s’il existe une violation manifeste de ce droit par l’État membre.

Le simple fait de poser une question préjudicielle ne saurait limiter la liberté du juge du fond. En effet, la réponse à la question de savoir si une violation du droit de l’Union a été suffisamment caractérisée découle non pas de l’exercice même de la faculté prévue à l’article 267 TFUE, mais de l’interprétation fournie par la Cour. Or, la faculté reconnue aux juridictions nationales de saisir la Cour, si elles le considèrent nécessaire, afin de se voir interpréter une disposition du droit de l’Union, même si la question soulevée a déjà été tranchée, serait sans doute limitée si l’exercice d’une telle faculté était décisif pour la constatation de l’existence ou non d’une violation manifeste du droit de l’Union, afin de déterminer, le cas échéant, la responsabilité de l’État membre concerné pour violation du droit de l’Union. Ainsi, un tel effet mettrait en cause le système, la finalité ainsi que les caractéristiques de la procédure du renvoi préjudiciel.

(cf. points 53-55, disp. 2)