Language of document : ECLI:EU:T:2016:457

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

9 septembre 2016 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative représentant un félin bondissant – Marques internationales figuratives antérieures représentant un félin bondissant – Motif relatif de refus – Bonne administration – Preuve de la renommée des marques antérieures – Article 8, paragraphe 5, du règlement (CE) no 207/2009 » 

Dans l’affaire T‑159/15,

Puma SE, établie à Herzogenaurach (Allemagne), représentée par Me P. González-Bueno Catalán de Ocón, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté initialement par M. P. Bullock, puis par M. D. Hanf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Gemma Group Srl, établie à Cerasolo Ausa (Italie),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 19 décembre 2014 (affaire R 1207/2014-5), relative à une procédure d’opposition entre Puma et Gemma Group,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : Mme A. Lamote, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 1er avril 2015,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 22 juin 2015,

à la suite de l’audience du 12 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 14 février 2013, Gemma Group Srl a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif de couleur bleue suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 7 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Machines pour travailler le bois ; machines pour le traitement de l’aluminium ; machines pour le traitement du PVC ».

4        La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 66/2013, du 8 avril 2013.

5        Le 8 juillet 2013, la requérante, Puma SE, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits visés au point 3 ci-dessus. Le motif de l’opposition était celui énoncé à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009.

6        L’opposition était fondée notamment sur les marques antérieures suivantes (ci-après les « marques antérieures ») :

–        la marque internationale figurative représentée ci-après, enregistrée le 30 septembre 1983 sous le numéro 480105 et renouvelée jusqu’en 2023, produisant des effets en Autriche, au Benelux, en Croatie, en France, en Hongrie, en Italie, au Portugal, en République tchèque, en Roumanie, en Slovaquie et en Slovénie, et désignant des produits relevant des classes 18, 25 et 28 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 18 : « Sacs à porter en bandoulière et sacs de voyage, malles et valises, en particulier pour appareils et vêtements de sport » ;

–        classe 25 : « Vêtements, bottes, souliers et pantoufles » ;

–        classe 28 : « Jeux, jouets ; appareils pour exercices physiques, appareils de gymnastique et de sport (non compris dans d’autres classes), y compris balles de sport » :

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–        la marque internationale figurative représentée ci-après, enregistrée le 17 juin 1992 sous le numéro 593987 et renouvelée jusqu’en 2022, produisant des effets en Autriche, au Benelux, en Bulgarie, à Chypre, en Croatie, en Espagne, en Estonie, en Finlande, en France, en Grèce, en Hongrie, en Italie, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne, au Portugal, au Royaume-Uni, en République tchèque, en Roumanie, en Slovénie et en Slovaquie, et désignant notamment les produits relevant des classes 18, 25 et 28 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 18 : « Produits en cuir et/ou en imitations du cuir (compris dans cette classe) ; sacs à main et autres étuis non adaptés aux produits qu’ils sont destinés à contenir ainsi que petits articles en cuir, notamment bourses, portefeuilles, étuis à clefs ; sacs à main, serviettes pour documents, sacs à rangement et à provisions, sacs d’écoliers et cartables, sacs de campeurs, sacs à dos, sachets, sacs pour matchs, sacs de transport et de rangement et sacs de voyage en cuir et en imitation du cuir, en matières synthétiques, en étoffes et tissus textiles ou en succédanés du cuir ; trousses de voyage (maroquinerie) ; bandoulières (courroies) ; peaux d’animaux ; malles et valises ; parapluies, parasols et cannes ; fouets, sellerie » ;

–        classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie ; parties et composants de chaussures, semelles, fausses semelles et semelles de redressement, talons, tiges de bottes ; antidérapants pour chaussures, crampons et spikes ; triplures, poches confectionnées de vêtements ; articles de corsetterie ; bottes, chaussons, mules et pantoufles ; articles finis de chaussures, chaussures de ville, de sport, de loisirs, d’entraînement, de jogging, de gymnastique, de bain et physiologiques (comprises dans cette classe), chaussures de tennis ; jambières et guêtres, jambières et guêtres en cuir, leggings, bandes molletières, guêtres pour souliers ; tenues d’entraînement, culottes et tricots de gymnastique, culottes et tricots de football, chemises et shorts de tennis, vêtements et tenues de bain et de plage, caleçons et slips de bain et maillots de bain, y compris les deux-pièces, vêtements et tenues de sport et de loisirs (y compris les vêtements et tenues tricotés et en jersey), aussi pour l’entraînement physique, le jogging ou les courses d’endurance et de gymnastique, culottes et pantalons de sport, tricots, pulls, tee-shirts, sweat-shirts, vêtements et tenues de tennis et de ski ; survêtements et tenues de loisirs, survêtements et tenues tous temps, bas (bonneterie), chaussettes de football, gants, y compris les gants en cuir, aussi en imitation du cuir ou en cuir synthétique, bonnets et casquettes, bandeaux de coiffure, bandeaux frontaux et bandeaux absorbant la sueur, écharpes, fichus, foulards, cache-nez ; ceintures, anoraks et parkas, cabans et imperméables, manteaux, blouses, vestes et vestons, jupes, culottes et pantalons, pull-overs et ensembles coordonnés combinés de plusieurs pièces de vêtements et de sous-vêtements ; linge de corps » ;

–        classe 28 : « Jeux, jouets, y compris chaussures miniatures et balles miniatures (en tant que jouets) ; appareils et engins d’entraînement physique, de gymnastique et de sport (compris dans cette classe) ; équipements de ski, de tennis et de pêche ; skis, fixations de skis, bâtons de skis ; arêtes de skis, peaux pour skis ; balles et ballons de jeux, y compris les balles et ballons de sport et de jeux ; haltères, boules, disques, javelots à lancer ; raquettes de tennis, raquettes de ping-pong ou tennis de table, de badminton et de squash, battes de cricket, clubs et crosses de golf et de hockey ; balles de tennis et volants ; patins à roulettes et patins, chaussures pour combinés de patinage à roulettes, aussi avec semelles renforcées ; tables pour le tennis de table ; massues de gymnastique, cerceaux de sport, filets pour le sport, filets de buts et filets pour balles ; gants de sport (accessoires de jeux) ; poupées, vêtements de poupées, chaussures de poupées, casquettes et bonnets pour poupées, ceintures de poupées, tabliers pour poupées ; genouillères, protège-coudes, protège-chevilles et jambières pour le sport ; décorations pour arbres de Noël » :

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7        Au soutien de son opposition fondée sur l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, la requérante s’est prévalue de la renommée des marques antérieures dans l’ensemble des États membres et pour tous les produits énumérés au point 6 ci-dessus.

8        Le 10 mars 2014, la division d’opposition a rejeté l’opposition dans son intégralité. Concernant la renommée de la marque antérieure no 593987, elle a considéré que, pour des raisons d’économie de procédure, il n’y avait pas lieu d’examiner les preuves soumises par la requérante afin de démontrer son usage extensif et sa renommée et que l’examen serait fait sur la base de l’hypothèse selon laquelle ladite marque antérieure avait un « caractère distinctif accru ».

9        Le 7 mai 2014, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 19 décembre 2014 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. Premièrement, elle a considéré que les marques antérieures et la marque demandée présentaient un certain degré de similitude visuelle et véhiculaient la même notion de « félin bondissant évoquant un puma ». Deuxièmement, la chambre de recours a rejeté l’argument de la requérante selon lequel la division d’opposition avait confirmé l’existence de la renommée des marques antérieures, au motif que la division d’opposition s’était en fait contentée d’affirmer, pour des raisons d’économie de procédure, qu’il n’était pas nécessaire, en l’espèce, d’apprécier les éléments de preuve de la renommée produits par la requérante et que l’examen serait effectué en partant de l’hypothèse que la marque antérieure no 593987 était dotée d’un « caractère distinctif accru ». La chambre de recours a ensuite examiné et rejeté les éléments de preuve de la renommée des marques antérieures concernant les produits visés au point 6 ci-dessus. Troisièmement, la chambre de recours a considéré que, même à supposer que la renommée des marques antérieures dût être considérée comme établie, l’opposition fondée sur l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 devait être rejetée, car les autres conditions, à savoir l’existence d’un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures ou d’un préjudice porté à ceux-ci, n’étaient pas non plus satisfaites.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

12      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité des pièces produites pour la première fois devant le Tribunal

13      À titre liminaire, l’EUIPO considère que les images reproduites au point 56 de la requête, qui sont extraites du site Internet d’un tiers, constituent de « nouveaux documents » qui sont irrecevables.

14      Ces images, produites pour la première fois devant le Tribunal, ne peuvent être prises en considération. En effet, le recours devant le Tribunal vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO au sens de l’article 65 du règlement no 207/2009, de sorte que la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des documents présentés pour la première fois devant lui. Il convient donc d’écarter les images susvisées sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur force probante [voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2005, Sadas/OHMI – LTJ Diffusion (ARTHUR ET FELICIE), T‑346/04, EU:T:2005:420, point 19 et jurisprudence citée].

 Sur le fond

15      La requérante soulève en substance trois moyens à l’appui de son recours, tirés, le premier, d’une violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration en ce que la chambre de recours a rejeté les preuves relatives à la renommée des marques antérieures et conclu que la renommée de celles-ci n’était pas démontrée, le deuxième, d’une violation des articles 75 et 76 du règlement no 207/2009 en ce que la chambre de recours a examiné les éléments de preuve relatifs à la renommée des marques antérieures alors que la division d’opposition n’avait pas procédé à un tel examen et, le troisième, d’une violation de l’article 8, paragraphe 5, dudit règlement.

16      S’agissant du premier moyen, tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration, la requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours, en rejetant les éléments de preuve de la requérante relatifs à la renommée des marques antérieures et en s’écartant de sa pratique décisionnelle relative à la renommée des marques antérieures, a violé les principes de sécurité juridique et de bonne administration. À l’appui de ce moyen, la requérante fait donc valoir deux arguments, l’un relatif au refus de la chambre de recours de prendre en considération les éléments de preuve qui n’avaient pas été traduits dans la langue de procédure et l’autre concernant la circonstance que la chambre de recours se serait écartée de sa pratique décisionnelle.

17      En l’espèce, la chambre de recours a énuméré dans la décision attaquée les éléments de preuve suivants : deux études de marché concernant la France (2008) et la Suède (2011), quinze décisions d’offices de marques nationaux, à savoir trois de l’Urząd Patentowy Rzeczypospolitej Polskiej (Office des brevets polonais), quatre de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), une de l’Instituto nacional da propriedade industrial (INPI, Institut portugais de la propriété industrielle) et sept de l’Oficina Española de Patentes y Marcas (Office des brevets et des marques espagnol), ainsi que l’arrêt du 7 novembre 2013, Budziewska/OHMI – Puma (Félin bondissant) (T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584). Elle a constaté que l’étude de marché relative à la Suède était dénuée de pertinence dans la mesure où l’opposition n’était pas fondée sur des droits antérieurs en Suède et que l’étude de marché relative à la France n’avait pas été fournie dans la langue de procédure qui était l’anglais, en méconnaissance de la règle 19, paragraphes 1, 3 et 4, du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1). Elle a relevé que, au surplus, cette dernière étude avait été réalisée cinq ans avant le dépôt de la demande de marque, qu’il était difficile de savoir sur quelle base cette étude de marché avait été effectuée et à quels produits se rapportait la prétendue renommée. De manière similaire, la chambre de recours a relevé que deux des trois décisions de l’Office des brevets polonais et les décisions de l’Office des brevets et des marques espagnol n’avaient pas été traduites dans la langue de procédure et devaient donc être rejetées. Concernant la décision de 2008 de l’Office des brevets polonais et les décisions de l’INPI français qui avaient été traduites, la chambre de recours a constaté qu’il était difficile de savoir sur quels éléments de preuve s’étaient fondés ces offices nationaux pour conclure à la renommée des marques antérieures. Elle a expliqué, à titre d’exemple, que la décision de l’INPI français du 13 novembre 2012 faisait simplement mention de documents produits pour attester du fait que l’élément figuratif de la marque antérieure – consistant en la représentation d’un puma – était notoirement connu du public dans le domaine des vêtements, mais qu’il était impossible de vérifier l’exactitude de cette affirmation sans les preuves de la renommée qui avaient été produites dans le cadre de cette procédure nationale. Elle a rappelé à cet égard devoir apprécier la renommée sur la base des éléments de preuve produits par l’opposante en conformité avec la règle 19, paragraphes 1 et 4, du règlement no 2868/95 et a souligné que les documents produits dans d’autres procédures ne pouvaient être pris en considération que s’ils étaient expressément cités et identifiés par la partie les invoquant. Enfin, la chambre de recours a rappelé que, en tout état de cause, la légalité des décisions de l’EUIPO ne devait être appréciée que sur la base du règlement no 207/2009, tel qu’interprété par le juge de l’Union européenne, et pas sur la base d’une pratique décisionnelle antérieure de l’EUIPO ou des offices nationaux. En conclusion, la chambre de recours a considéré que, dans leur ensemble, les éléments de preuve étaient insuffisants pour démontrer la renommée des marques antérieures à l’égard des produits concernés dans l’un quelconque des États membres.

18      Avant d’examiner les deux arguments de la requérante, il convient de rappeler que, selon l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le droit à une bonne administration comporte notamment l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

19      Il ressort d’une jurisprudence constante que l’obligation de motivation des décisions de l’EUIPO a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision [arrêts du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, EU:C:2004:649, points 64 et 65, et du 28 novembre 2013, Herbacin cosmetic/OHMI – Laboratoire Garnier (HERBA SHINE), T‑34/12, non publié, EU:T:2013:618, point 42].

20      Il y a également lieu de relever que la Cour a jugé que, eu égard aux principes d’égalité de traitement et de bonne administration, l’EUIPO devait, dans le cadre de l’instruction d’une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y avait lieu ou non de décider dans le même sens. Toutefois, elle a ajouté que les principes d’égalité de traitement et de bonne administration devaient se concilier avec le respect de la légalité. Par conséquent, la personne qui demande l’enregistrement d’un signe en tant que marque ne saurait invoquer à son profit une illégalité éventuelle commise en faveur d’autrui afin d’obtenir une décision identique. Au demeurant, pour des raisons de sécurité juridique et, précisément, de bonne administration, l’examen de toute demande d’enregistrement doit être strict et complet afin d’éviter que des marques ne soient enregistrées de manière indue. Cet examen doit avoir lieu dans chaque cas concret. En effet, l’enregistrement d’un signe en tant que marque dépend de critères spécifiques, applicables dans le cadre des circonstances factuelles du cas d’espèce, destinés à vérifier si le signe en cause ne relève pas d’un motif de refus (arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, points 74 à 77).

21      S’agissant de son premier argument, relatif au refus de la chambre de recours de prendre en considération certains éléments de preuve qui n’avaient pas été traduits, la requérante fait valoir que l’étude de marché relative à la France est certes rédigée en français, mais qu’il n’était pas nécessaire de la traduire, dans la mesure où cette étude était « absolument éloquente » quant à la renommée des marques antérieures. En outre, la même étude aurait été déposée dans le cadre d’autres procédures d’opposition sans la moindre objection de la part des instances de l’EUIPO.

22      L’EUIPO conteste cet argument en se référant en substance à la règle 19 du règlement no 2868/95.

23      La règle 19, paragraphe 3, du règlement no 2868/95 prévoit que « [l]es informations et les preuves visées aux paragraphes 1 et 2 [du même article] sont présentées dans la langue de procédure ou accompagnées d’une traduction », laquelle « est produite dans le délai fixé pour la production du document original ». La règle 19, paragraphe 4, du règlement no 2868/95 prévoit que « l’[EUIPO] ne prend pas en considération les observations écrites ou documents ou parties de ceux-ci qui ne sont pas présentés ou qui ne sont pas traduits dans la langue de procédure, dans le délai imparti par l’[EUIPO] ».

24      La règle 19 du règlement no 2868/95 est claire et précise et permettait à la requérante de savoir dès le début de la procédure d’opposition ce qu’elle devait faire concernant les preuves existant dans une langue différente de celle de la langue de procédure, conformément au principe de sécurité juridique.

25      Il y a donc lieu de constater que c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que les pièces qui n’avaient pas été traduites dans la langue de procédure ne pouvaient pas être prises en considération. Le fait que l’étude de marché relative à la France était en tout état de cause « absolument éloquente » ou qu’elle aurait été admise sans traduction dans de précédentes procédures ne saurait remettre en cause une telle conclusion. La règle 19 du règlement no 2868/95 se justifie en effet par la nécessité de respecter le principe du contradictoire ainsi que l’égalité des armes entre les parties dans les procédures inter partes [voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2007, SAEME/OHMI – Racke (REVIAN’s), T‑407/05, EU:T:2007:329, point 35 et jurisprudence citée].

26      En outre, il ressort de la jurisprudence citée au point 20 ci-dessus que les principes d’égalité de traitement et de bonne administration doivent se concilier avec le respect de la légalité. Le fait que la règle 19 du règlement no 2868/95 ait pu éventuellement être enfreinte dans d’autres affaires est donc sans incidence en l’espèce.

27      Il convient dès lors de rejeter le premier argument que la requérante a fait valoir à l’appui de son premier moyen.

28      S’agissant de son second argument, la requérante se prévaut d’une erreur de droit que la chambre de recours aurait commise en s’écartant de la pratique décisionnelle de l’EUIPO, pourtant invoquée par elle, ainsi que de plusieurs décisions d’offices nationaux et de l’arrêt du 7 novembre 2013, Félin bondissant (T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584). Toutes ces décisions concluraient à l’existence d’une renommée des marques antérieures. Il s’agirait en effet d’un élément de fait propre aux marques dont la renommée a été reconnue qui ne saurait dépendre des marques qui font l’objet de l’opposition. Or, la chambre de recours n’aurait pas expliqué en quoi un tel écart par rapport aux décisions invoquées était justifié.

29      L’EUIPO conteste cet argument. Premièrement, il estime que la requérante ne peut pas reprocher à la chambre de recours de ne pas avoir pris en compte les preuves de la renommée, en invoquant la pratique décisionnelle antérieure. Il renvoie, en substance, à la motivation, au point 20 de la décision attaquée, selon laquelle la légalité des décisions de l’EUIPO doit être appréciée uniquement sur la base du règlement no 207/2009 tel qu’interprété par le juge de l’Union, et non sur la base d’une pratique décisionnelle antérieure de l’EUIPO ou des offices nationaux, sa pratique décisionnelle ne s’imposant pas automatiquement, chaque affaire se caractérisant par des circonstances factuelles et juridiques spécifiques pouvant aboutir à des conclusions différentes.

30      En l’espèce, il y a lieu de relever que la requérante avait mis en avant dans ses écritures devant la division d’opposition une pratique décisionnelle récente de l’EUIPO ayant conclu à la renommée et à la large connaissance par le public des marques antérieures. En effet, il ressort de la décision de l’EUIPO du 30 mai 2011 (opposition B1291618) que la marque antérieure no 480105 avait été considérée, sur la base d’un grand nombre de preuves, comme jouissant d’une grande renommée, à tout le moins en France, compte tenu de son usage sur le marché, concernant les produits de la classe 25 (vêtements, bottes, chaussures et chaussons). Les preuves suivantes avaient notamment été énumérées dans cette décision : un historique de l’entreprise et des coupures de presse, des extraits de son site Internet, des images d’une joueuse de tennis mondialement connue portant les produits de la requérante, des coupures de presse montrant des équipes de football célèbres portant les produits de la requérante, des catalogues de chaussures et de vêtements datant de 1996 à 1998 avec des images des produits de la requérante, des documents montrant les activités de parrainage de la requérante dans le domaine des sports motorisés, des copies de la revue Sporting Goods intelligence entre 2002 et 2007 comportant des informations dans le secteur du sport et mentionnant la marque de la requérante ou le nom de l’entreprise Puma, des copies d’articles et de publicités de nombreux magazines en France, en Allemagne, en Espagne, au Benelux, en Italie, au Royaume-Uni, en Roumanie et en Grèce, le rapport annuel 2007 montrant que les dépenses de marketing étaient passées de 29 millions d’euros en 1997 à 424,9 millions d’euros en 2007. L’EUIPO a expliqué qu’il ressortait des preuves fournies que ladite marque antérieure avait été utilisée « de manière prolongée et intensive » et était généralement connue sur les marchés en cause, où elle détenait une « position consolidée » parmi les « marques leaders », ainsi qu’il en ressortait de « sources diverses et indépendantes ». En outre, l’EUIPO a mentionné diverses références dans la presse (par exemple Votre Beauté, Maximal, Femme Actuelle, Le Point, Têtu, Paris Match, Biba, Vogue, Glamour, etc.) qui, entre autres éléments, démontraient que la marque bénéficiait d’un degré élevé de reconnaissance dans le public pertinent. D’après la décision de l’EUIPO du 30 août 2010 concernant l’opposition B1287178, la marque antérieure no 593987 avait également été considérée, au vu des nombreuses preuves fournies, comme ayant acquis une grande renommée par l’usage dans l’Union, concernant les vêtements, les chaussures, la chapellerie, les articles de sport non inclus dans d’autres classes. Dans sa décision du 20 août 2010, sur l’opposition B1459017, l’EUIPO a aussi conclu que la marque antérieure no 593987 bénéficiait d’un caractère distinctif élevé résultant de son usage « prolongé et intensif » et de son « fort degré de reconnaissance ».

31      Ces décisions antérieures de l’EUIPO, pourtant dûment invoquées par la requérante, ne sont ni examinées, ni même mentionnées, dans la décision attaquée, la chambre de recours s’étant contentée de rappeler que l’EUIPO n’était pas tenu par sa pratique décisionnelle antérieure.

32      En outre, les conclusions auxquelles ces décisions sont arrivées quant à la renommée des marques antérieures étaient corroborées par les décisions des offices nationaux fournies. Ainsi, contrairement aux constatations de la chambre de recours, la décision de l’Office des brevets polonais du 4 juillet 2008 était en elle-même particulièrement détaillée sur les éléments de preuve sur lesquels elle avait fondé son appréciation de la renommée des marques antérieures (dont la marque antérieure no 593987). L’Office des brevets polonais avait ainsi notamment détaillé les campagnes globales de marketing et de publicité de la requérante et ses actions de parrainage de personnalités du sport. Il avait notamment constaté que l’entreprise était présente sur le marché depuis 1948, soit depuis 60 ans à la date de sa décision, et que la marque représentant un félin bondissant était connue en Pologne depuis de nombreuses années. Sur la base d’éléments de preuve qu’il a jugé « fiables, logiques et cohérents », démontrant de manière crédible les efforts de la requérante en matière de promotion de sa marque, il a considéré que les marques de la requérante montrant un félin bondissant avaient été utilisées de manière intensive dans le commerce et avaient acquis de ce fait une renommée. En outre, les décisions de l’INPI français, notamment celles des 10 avril 2013, 25 octobre et 13 novembre 2012, et la décision de l’INPI portugais du 10 mars 2009, bien qu’elles ne détaillent pas les éléments de preuve ayant fondé leurs conclusions, sont toutes concordantes quant à l’existence d’une large connaissance par le public pertinent (notamment dans le domaine des vêtements) ou d’une notoriété des marques antérieures de la requérante. Enfin, il ressort de l’arrêt du 7 novembre 2013, Félin bondissant (T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584, point 36), invoqué par la requérante, que le « dessin ou modèle [correspondant aux marques antérieures est] renommé ». Certes, il s’agissait d’une procédure en nullité de dessin et modèle, mais la demande en nullité était fondée sur des dessins ou modèles antérieurs « divulgués » dans des enregistrements internationaux de marques de la requérante, y compris dans les marques antérieures.

33      Il convient ainsi de relever que, d’une part, la renommée des marques antérieures avait été constatée par l’EUIPO dans trois décisions récentes, lesquelles ont été corroborées par plusieurs décisions nationales, et que ces décisions concernaient les mêmes marques antérieures, des produits identiques ou semblables à ceux en cause et certains des États membres concernés dans la présente espèce. D’autre part, le constat de la renommée des marques antérieures est un constat d’ordre factuel qui ne dépend pas de la marque demandée, ainsi que le fait observer la requérante.

34      Dans ces circonstances, force est de constater que, au regard de la jurisprudence rappelée au point 20 ci-dessus, selon laquelle l’EUIPO doit prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens, et eu égard à son obligation de motivation, la chambre de recours ne pouvait pas s’écarter de la pratique décisionnelle de l’EUIPO sans fournir la moindre explication quant aux raisons qui l’avaient amenée à considérer que les constats de fait sur la renommée des marques antérieures, effectués dans ces décisions, ne seraient pas ou plus pertinents. En effet, la chambre de recours ne fait aucunement état d’une diminution de cette renommée depuis les décisions récentes susmentionnées, ni d’une éventuelle illégalité de cette pratique décisionnelle.

35      Deuxièmement, l’EUIPO fait valoir que ces décisions ne devaient pas être prises en compte au motif qu’aucune d’entre elles n’était accompagnée des preuves de la renommée des marques antérieures produites dans le cadre de ces procédures. Il souligne que la requérante aurait dû déposer à nouveau les éléments de preuve de la renommée qu’elle avait déjà produits dans le cadre de ces procédures antérieures, ou y renvoyer de manière précise.

36      Aux termes de la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 2868/95, lorsque le recours est dirigé contre une décision d’une division d’opposition, la chambre de recours limite l’examen du recours aux faits et aux preuves présentés dans les délais fixés ou précisés par la division d’opposition, à moins qu’elle ne considère que des faits et des preuves nouveaux ou supplémentaires doivent être pris en compte conformément à l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009. Le règlement no 2868/95 prévoit donc, expressément, que la chambre de recours dispose, lors de l’examen d’un recours dirigé contre une décision d’une division d’opposition, du pouvoir d’appréciation découlant de la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 2868/95 et de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 à l’effet de décider s’il y a lieu ou non de prendre en compte des faits et des preuves nouveaux ou supplémentaires qui n’ont pas été présentés dans les délais fixés ou précisés par la division d’opposition (arrêt du 3 octobre 2013, Rintisch/OHMI, C‑120/12 P, EU:C:2013:638, points 31 et 32).

37      Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, eu égard à sa pratique décisionnelle antérieure récente, corroborée par un nombre relativement élevé de décisions nationales et un arrêt du Tribunal, la chambre de recours aurait dû, conformément au principe de bonne administration tel qu’explicité aux points 18 à 20 ci-dessus, soit demander à la requérante de soumettre des preuves supplémentaires de la renommée des marques antérieures – ne serait-ce que pour les réfuter –, ainsi que le lui permettait la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 2868/95, soit fournir les raisons pour lesquelles elle estimait que les constats effectués dans ces décisions antérieures quant à la renommée des marques antérieures devaient être écartés en l’espèce. Cela était d’autant plus nécessaire que certaines de ces décisions mentionnaient de façon très détaillée les preuves sous-tendant leur appréciation de la renommée des marques antérieures, ce qui aurait dû attirer son attention sur leur existence.

38      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater une violation du principe de bonne administration, notamment de l’obligation de l’EUIPO de motiver ses décisions.

39      Dès lors, il y a lieu d’accueillir le premier moyen.

40      Toutefois, cette seule conclusion ne saurait suffire pour annuler la décision attaquée. En effet, il convient de noter que la chambre de recours s’est également prononcée, à titre surabondant, sur la question de savoir si l’autre condition indispensable au regard de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 était satisfaite, à savoir l’existence d’un préjudice porté au caractère distinctif ou à la renommée des marques antérieures ou d’un profit indûment tiré de ceux-ci.

41      À cet égard, il y a lieu de considérer que l’erreur commise par la chambre de recours est susceptible d’avoir une influence déterminante quant au résultat de l’opposition. Il est vrai que la chambre de recours a fondé son appréciation de l’existence d’un préjudice, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, sur l’hypothèse que la renommée des marques antérieures était établie. Toutefois, l’intensité de la renommée des marques antérieures est prise en compte dans l’appréciation globale de l’existence d’un préjudice, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, tant en ce qui concerne l’appréciation d’un lien entre les marques que celle d’une atteinte au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, qui sont des conditions distinctes et indispensables.

42      En effet, l’existence d’un lien entre les marques doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, parmi lesquels l’intensité de la renommée de la marque antérieure et le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure (arrêts du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, points 41, 42 et 53, et du 12 mars 2009, Antartica/OHMI, C‑320/07 P, non publié, EU:C:2009:146, point 45). À l’instar de l’existence d’un lien entre les marques en conflit, l’existence de l’une des atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 ou d’un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, au nombre desquels figurent l’intensité de la renommée de la marque antérieure et le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure (arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, points 42 et 68). En outre, plus le caractère distinctif et la renommée de cette marque seront importants, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise (voir arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, point 69 et jurisprudence citée).

43      Or, la chambre de recours n’ayant pas procédé à un examen complet de la renommée des marques antérieures, le Tribunal n’est pas en mesure de statuer sur le moyen tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 [voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, points 72 et 73 ; du 14 décembre 2011, Völkl/OHMI – Marker Völkl (VÖLKL), T‑504/09, EU:T:2011:739, point 63, et du 29 mars 2012, You-Q/OHMI – Apple Corps (BEATLE), T‑369/10, non publié, EU:T:2012:177, point 75 et jurisprudence citée].

44      Par conséquent, il convient d’accueillir le premier moyen et, partant, d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle a rejeté l’opposition de la requérante, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante.

 Sur les dépens

45      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

46      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 19 décembre 2014 (affaire R 1207/2014-5) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens, y compris ceux de Puma SE.

Van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 septembre 2016.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.