Language of document : ECLI:EU:T:2010:481

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

24 novembre 2010 (*)

« Recours en annulation – Marché intérieur du gaz naturel – Article 22 de la directive 2003/55/CE – Lettre de la Commission demandant à une autorité de régulation de modifier sa décision relative à l’octroi d’une dérogation – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑381/09,

RWE Transgas a.s., établie à Prague (République tchèque), représentée initialement par Mes W. Deselaers, D. Seeliger et S. Einhaus, puis par Mes Deselaers, Seeliger, Einhaus et T. Weck, avocats,

partie requérante,

soutenue par

République tchèque, représentée par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Wilms, B. Schima et Mme O. Beynet, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre de la Commission du 12 juin 2009, adressée à la Bundesnetzagentur (autorité allemande de régulation) sur le fondement de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé, lors du délibéré, de MM. N. J. Forwood, président, E. Moavero Milanesi (rapporteur) et J. Schwarcz, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        Selon l’article 22 de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57), les nouvelles grandes infrastructures gazières, c’est-à-dire les interconnexions entre États membres, les installations de gaz naturel liquéfié (GNL) ou de stockage peuvent, sur demande et dans certaines conditions, bénéficier d’une dérogation aux dispositions figurant aux articles 18 à 20 et à l’article 25, paragraphes 2 à 4 de cette même directive. La décision de dérogation est adoptée par l’autorité nationale de régulation visée audit article 25, ou par l’instance compétente de l’État membre, et doit être dûment motivée et publiée.

2        Aux termes de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55 :

« L’autorité compétente notifie sans retard à la Commission la décision de dérogation ainsi que toutes les informations utiles s’y référant. Ces informations sont communiquées à la Commission sous une forme agrégée pour lui permettre de fonder convenablement sa décision.

[…]

Dans un délai de deux mois suivant la réception de la notification, la Commission peut demander à l’autorité de régulation ou à l’État membre concerné de modifier ou d’annuler la décision d’accorder une dérogation. Ce délai de deux mois peut être prolongé d’un mois supplémentaire si la Commission sollicite un complément d’informations.

Si l’autorité de régulation ou l’État membre concerné ne se conforme pas à cette demande dans un délai de quatre semaines, la Commission prend une décision définitive conformément à la procédure visée à l’article 30, paragraphe 2.

La Commission respecte la confidentialité des informations sensibles d’un point de vue commercial. »

 Antécédents du litige

3        La requérante, RWE Transgas a.s., importe du gaz en République tchèque et le vend à des grossistes. Elle fait partie du groupe RWE, qui est contrôlé par le RWE AG, établie à Essen (Allemagne).

4        La distribution du gaz en République tchèque est assurée par quatre entreprises régionales. Les activités de transport du groupe RWE en République tchèque sont concentrées dans RWE Transgas Net, s.r.o., une filiale détenue à 100 % par la requérante. Celle-ci acquiert toutes les prestations de transport dont elle a besoin auprès de RWE Transgas Net.

5        Il est projeté de construire des nouveaux gazoducs, notamment le gazoduc sous-marin Nord Stream, qui vise à relier la Russie à l’Allemagne en passant par les eaux internationales de la mer Baltique et qui approvisionnera l’Union européenne en gaz provenant de gisements russes, ainsi que les gazoducs OPAL et Gazelle, qui visent à recueillir et à acheminer les volumes de gaz transportés par le Nord Stream.

6        Le gazoduc OPAL est destiné à relier Lubmin (Allemagne), terminal portuaire du Nord Stream, à Brandov (République tchèque), en longeant la frontière polonaise à travers l’Allemagne. Le gazoduc Gazelle, construit par la requérante et exploité par RWE Transgas Net, doit relier Brandov à Waidhaus (Allemagne), en traversant la République tchèque en direction du sud-est

7        Les trois projets sont indépendants les uns des autres. Ils ne sont liés entre eux que dans la mesure où les gazoducs du réseau européen actuellement existants ne sont pas suffisants pour recueillir les volumes de gaz apportés par le Nord Stream.

8        Concernant le projet du gazoduc OPAL, en juillet et août 2008, deux exploitants, OPAL NEL Transport GmbH et E.ON Ruhrgas Nord Stream Anbindungsgesellschaft mbH, ont chacun déposé, auprès de la Bundesnetzagentur (autorité de régulation allemande, ci‑après la « BNetzA »), des demandes de dérogation visant à soustraire le projet à la réglementation visée à l’article 28 bis de l’Energiewirtschaftsgesetz (loi allemande sur l’approvisionnement en gaz et en électricité, ci‑après l'« EnWG »), du 7 juillet 2005 (BGBl. 2005 I, p. 1970), qui a transposé en Allemagne la directive 2003/55.

9        Le 25 février 2009, la BNetzA a rendu deux décisions qui accordent, pour une période de 22 ans, les dérogations demandées aux dispositions des articles 20 à 25 de l’EnWG relatives à l’accès réglementé au réseau de tiers et la fixation des tarifs, au motif que, en substance, le gazoduc représentait une interconnexion au sens de la directive 2003/55 et qu’il remplissait les conditions du droit national transposant l’article 22 de ladite directive.

10      Le 13 mars 2009, conformément à l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55, la BNetzA a notifié à la Commission des Communautés européennes les décisions de dérogation en question. Le 26 mars 2009, la Commission a publié une communication relative à la notification de ces décisions de dérogation, invitant les tiers à présenter des observations à ce sujet dans un délai de deux semaines, c’est-à-dire au plus tard le 9 avril 2009.

11      Par lettre du 12 juin 2009 (ci‑après la « lettre attaquée »), la Commission a, au titre de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55, demandé à la BNetzA ce qui suit :

« Afin d’améliorer la concurrence en matière d’approvisionnement en gaz, la BNetzA est invitée à modifier sa décision de dérogation de sorte à prendre en compte les conditions suivantes :

Les commandes de capacité des entreprises dominantes sur le marché doivent être limitées selon les principes suivants :

a)      Une entreprise occupant une position dominante sur l’un ou plusieurs des marchés pertinents du gaz naturel en amont ou en aval qui englobent la République tchèque ou la livraison de gaz dans ce pays ne peut pas, sous réserve de la règle visée [sous b)], commander annuellement plus de 50 % de la capacité de sortie du gazoduc OPAL à la frontière tchèque. Les commandes d’entreprises appartenant au même groupe telles que Gazprom et Wingas sont considérées conjointement. Les commandes d’entreprises ou de groupes d’entreprises dominantes sur le marché et ayant conclu entre elles des contrats de livraison de gaz essentiels et à long terme (comme entre RWE Transgas et Gazprom) sont considérées en bloc, c’est-à-dire que les commandes des deux entreprises ne doivent pas dépasser ensemble 50 %.

b)      Le plafond de 50 % peut être dépassé si l’entreprise concernée (ou les entreprises concernées) offrent sur le marché, via OPAL, une quantité de gaz de 3 milliards m³/a dans le cadre d’une procédure ouverte, transparente et non discriminatoire (‘programme de cession de gaz’). L’exploitant ou l’(les) entreprise(s) qui est (sont) chargée(s) de l’exécution du programme de cession de gaz doit (doivent) garantir la disponibilité de la capacité de transport correspondante avec un point de sortie librement choisi (‘programme de cession de capacité’). L’aménagement du programme de cession de gaz et du programme de cession de capacité doit être autorisé par la BNetzA. »

12      Par décision du 7 juillet 2009, la BNetzA a repris littéralement les clauses accessoires évoquées par la Commission dans la lettre attaquée. Le 16 juillet 2009, la requérante a eu connaissance de la lettre attaquée.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2009, la requérante a introduit le présent recours.

14      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 26 octobre 2009, Concord Power Nordal GmbH a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la partie requérante, mais, par lettre du 14 décembre 2009, elle a retiré sa demande d’intervention.

15      Le 18 décembre 2009, la Commission a soulevé, conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, une exception d’irrecevabilité.

16      Par ordonnance du président de la septième chambre du Tribunal du 1er février 2010, Concord Power Nordal a été rayée de la présente affaire en tant que demanderesse en intervention.

17      La requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité le 18 février 2010.

18      Par ordonnance du président de la septième chambre du Tribunal du 22 février 2010, la République tchèque a été admise à intervenir dans le présent litige au soutien des conclusions de la requérante et, le 31 mars 2010, elle a déposé son mémoire en intervention, limité à la question de la recevabilité du recours.

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le considérant 89, sous a), troisième phrase, de la lettre attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler la lettre attaquée dans son entièreté ;

–        condamner la Commission aux dépens.

20      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante, soutenue par la République tchèque, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        déclarer le recours recevable.

21      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

22      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond.

23      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère qu’il y a lieu d’examiner la fin de non-recevoir soulevée par la Commission, tirée de la nature de la lettre attaquée, sans ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

24      La Commission fait observer que la lettre attaquée ne constitue pas une décision au sens de l’article 230, paragraphe 4, CE, mais une simple demande, adressée à la BNetzA, l’invitant à modifier sa décision du 25 février 2009, conformément aux dispositions de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55.

25      Selon la Commission, la lettre attaquée s’inscrit dans un processus décisionnel en plusieurs étapes, qui débute par une décision de l’autorité nationale de régulation, en l’occurrence la BNetzA, qui décide d’octroyer une dérogation. Cette décision est notifiée à la Commission, qui peut, dans un délai de deux ou trois mois, demander à l’autorité concernée de modifier ou d’annuler la décision. L’autorité nationale de régulation dispose alors d’une certaine marge de manœuvre lui permettant soit de tenter de convaincre la Commission que la décision nationale de dérogation ne doit pas être modifiée ou annulée, soit de se rallier à la position de la Commission. La Commission fait valoir que, dans cette hypothèse, elle ne prend pas de décision définitive, au sens de l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55, un simple dialogue se déroulant entre elle et l’autorité nationale.

26      Selon la Commission, nonobstant certaines différences de détail, la situation juridique visée par la directive 2003/55 est comparable à celle de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO L 108, p. 33). Or, le Tribunal aurait jugé que l’avis rendu par la Commission au titre de l’article 7, paragraphe 3, de cette dernière directive ne constituait pas un acte attaquable (ordonnance du Tribunal du 12 décembre 2007, Vodafone España et Vodafone Group/Commission, T‑109/06, Rec. p. II‑5151).

27      La Commission considère que la circonstance que la demande qu’elle a adressée à l’autorité nationale ne constitue pas un acte attaquable ne crée pas de lacune en matière de protection juridique. En effet, dès son adoption, la décision de l’autorité nationale de régulation pourrait être attaquée par les voies de recours du droit national. Par ailleurs, si la Commission est susceptible d’intervenir au moyen d’une demande de modification ou d’annulation adressée à ladite autorité, cela ne serait qu’une simple possibilité, la décision nationale pouvant également acquérir un caractère définitif vis-à-vis des intéressés. En outre, une modification de la décision de l’autorité de régulation nationale, conformément à la demande de la Commission, rouvrirait les délais pour l’introduction d’un recours national. La Commission fait observer que ce n’est que dans la mesure où elle prend une décision définitive au titre de l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55 que la procédure conduit à l’adoption d’un acte de l’Union produisant des effets juridiques obligatoires et pouvant être attaqué devant les juridictions de l’Union.

28      La requérante invoque la jurisprudence selon laquelle, afin d’évaluer si une mesure peut faire l’objet d’un recours au titre de l’article 230 CE, il importe d’examiner le contenu de l’acte attaqué pour apprécier si, malgré le cadre réglementaire applicable, ledit acte vise néanmoins à produire des effets juridiques contraignants (ordonnance Vodafone España et Vodafone Group/Commission, précitée, point 135). Selon elle, la lettre attaquée contient, par son dispositif, une mesure qui oblige la BNetzA à y donner suite et n’ouvre pas un simple dialogue entre la Commission et l’autorité nationale de régulation.

29      La requérante souligne que les conditions posées par la Commission dans le dispositif de la lettre attaquée ont été reprises à l’identique dans les décisions modificatives de la BNetzA du 7 juillet 2009, dans lesquelles l’autorité de régulation affirme que, « conformément aux dispositions combinées de l’article 28 bis, paragraphe 3, de l’EnWG et de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55, l’autorité de régulation concernée doit se conformer à la demande de modification de la Commission européenne dans un délai de quatre semaines ».

30      Selon la requérante, contrairement à ce que la Commission soutient, la situation juridique découlant de la directive 2003/55 n’est pas comparable à celle résultant de la directive 2002/21, l’ordonnance Vodafone España et Vodafone Group/Commission, précitée, n’étant donc pas transposable à la présente espèce.

31      En effet, en application de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2002/21, l’autorité réglementaire nationale transmettrait à la Commission un simple projet de la mesure envisagée. La Commission pourrait soit adresser des observations à l’autorité réglementaire nationale concernée, dépourvues de caractère contraignant, pour indiquer qu’elle n’a pas de doutes sérieux quant à la compatibilité de la mesure envisagée avec le droit de l’Union, soit demander à ladite autorité de retirer son projet de mesure.

32      En revanche, en l’espèce, la BNetzA a notifié à la Commission, en application de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55, non pas un simple projet, mais sa décision initiale, rendue après consultation des autorités nationales de régulation des autres États membres, conformément à l’article 22, paragraphe 3, sous e), de ladite directive.

33      La requérante, soutenue par la République tchèque, fait observer que, dans le cadre d’une demande de modification fondée sur l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55, la Commission exerce un droit de veto qui ne saurait être ignoré par l’État membre ou l’autorité de régulation, surtout dans le cas où – comme en l’espèce – le contenu de la décision attaquée ne laisse planer aucune ambiguïté quant au fait que la demande de modification est destinée à produire des effets juridiques contraignants. Selon la requérante, si la Commission ouvrait avec l’autorité nationale de régulation un simple dialogue dénué de caractère contraignant, le dispositif de sa décision ne serait pas formulé de sorte à ne laisser aucune marge d’examen ou d’analyse à ladite autorité.

34      Selon la requérante, si la lettre attaquée n’était pas attaquable devant le juge de l’Union, il n’existerait pas de possibilité de contrôler l’action de la Commission. En effet, dès lors que la BNetzA est tenue de se conformer au dispositif de la lettre attaquée, la Commission n’aurait pas besoin d’adopter une décision définitive au sens de l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55. Par ailleurs, au niveau national, un éventuel recours à l’encontre des décisions de la BNetzA serait rejeté comme irrecevable, au motif que lesdites décisions ne font que transposer celle de la Commission, devenue entre-temps définitive.

35      La requérante ajoute que, en présentant sa demande de modification sous la forme d’une décision non encore définitive, la Commission impose non seulement une modification à la BNetzA, mais également une charge qui pèse directement sur la requérante, sans avoir entendu cette dernière au préalable, ce qui serait incompatible avec l’exigence d’une protection juridique effective.

36      La République tchèque considère que le caractère contraignant de la demande de la Commission, adoptée au titre de l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/55, dépend du contenu des actes qui seront ultérieurement adoptés par la BNetzA et par la Commission elle‑même. La directive ne permettrait pas à l’autorité nationale de régulation de ne pas respecter et de ne pas exécuter la demande de la Commission.

 Appréciation du Tribunal

37      Selon une jurisprudence constante, seuls les actes produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique, peuvent faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 230 CE. Plus particulièrement, lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, ne constituent en principe un acte attaquable que les mesures qui fixent définitivement la position de la Commission au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 10, et du 22 juin 2000, Pays-Bas/Commission, C‑147/96, Rec. p. I‑4723, point 26 ; ordonnance du Tribunal du 2 juin 2004, Pfizer/Commission, T‑123/03, Rec. p. II‑1631, point 22).

38      En outre, si des mesures de nature purement préparatoire ne peuvent en tant que telles faire l’objet d’un recours en annulation, les illégalités éventuelles qui les entachent peuvent être invoquées à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte définitif dont elles constituent un stade d’élaboration (arrêts de la Cour IBM/Commission, précité, point 12, et du 14 février 1989, Bossi/Commission, 346/87, Rec. p. 303, 333 ; arrêt du Tribunal du 24 février 1994, Caló/Commission, T‑108/92, RecFP p. I‑A-59 et II‑213, point 13, et ordonnance Pfizer/Commission, précitée, point 24).

39      En l’espèce, il y a lieu de considérer que la directive 2003/55 a voulu attribuer un rôle central aux autorités nationales de régulation qui contribuent au développement du marché intérieur du gaz et à la création de conditions de concurrence équitables en coopérant entre elles et avec la Commission dans la transparence. Il apparaît ainsi que, d’une part, lesdites autorités n’ont pas besoin d’une autorisation de la Commission pour l’exercice de leurs compétences découlant du droit de l’Union et, d’autre part, les possibilités d’intervention de la Commission ont pour objectif d’empêcher que des décisions prises au niveau national puissent avoir des répercussions négatives sur le marché intérieur.

40      L’article 22 de la directive 2003/55 prévoit une participation directe de la Commission lorsqu’il dispose que l’autorité nationale de régulation lui notifie sans retard la décision accordant une dérogation, accompagnée de toutes les informations utiles, afin de lui permettre de fonder convenablement sa décision.

41      L’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55 prévoit, en son troisième alinéa, que la Commission, dans un délai de deux mois, ou de trois mois si des informations complémentaires sont demandées, peut demander à l’autorité de régulation de modifier ou d’annuler la décision d’accorder une dérogation. Ainsi, il ressort expressément de la directive que l’intervention de la Commission, à ce stade, est qualifiée de « demande » et non de « décision ». Selon le quatrième alinéa de ladite disposition, si l’autorité de régulation nationale ne se conforme pas à cette demande dans un délai d’un mois, la Commission prend une décision définitive, selon la procédure dite de « comitologie ».

42      En l’espèce, il est constant que la lettre attaquée a été adoptée par la Commission au titre de l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/55.

43      Par ailleurs, il ressort des termes de la lettre attaquée que, «[a]fin d’améliorer la concurrence en matière d’approvisionnement en gaz, la BNetzA est invitée à modifier sa décision de dérogation de sorte à prendre en compte [certaines] conditions ». Par le dernier paragraphe de cette même lettre, la Commission « invite donc la BNetzA, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, de la directive [2003/55], premièrement, à modifier sa décision dans le sens indiqué dans la présente lettre […] et, deuxièmement, à en informer la Commission, et ce dans les quatre semaines ».

44      Il convient de constater que les termes utilisés par la Commission dans la lettre attaquée soulignent le caractère non contraignant de la demande de modification adressée à la BNetzA. Cette demande ne constitue qu’une phase intermédiaire de la procédure en plusieurs étapes visée à l’article 22 de la directive 2003/55. En effet, il serait encore possible que l’autorité nationale de régulation, à la lecture de la demande de la Commission, entame un dialogue avec cette dernière lui permettant, le cas échéant, de parvenir à la convaincre du fait que la décision nationale d’accorder la dérogation ne doit être ni modifiée ni annulée.

45      Le caractère non contraignant de la lettre attaquée est confirmé par le fait que, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55, ce n’est que dans l’hypothèse où l’autorité nationale de régulation ne se conforme pas à la demande de modification de la Commission que celle-ci adopte une décision définitive.

46      Il convient encore de noter que le fait que la Commission puisse, dans les circonstances visées à l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55, adopter une décision définitive, imposant à l’autorité nationale de régulation la modification ou l’annulation de la décision d’accorder une dérogation, n’implique pas pour autant que des effets juridiques contraignants découlent de la demande formulée par la Commission au titre du troisième alinéa du même article, et ce même si cette demande constitue un préalable nécessaire à l’adoption éventuelle de la décision définitive.

47      Il ressort de ce qui précède que la lettre attaquée, adoptée conformément à l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/55, n’est pas un acte produisant des effets juridiques contraignants et pouvant être attaqué au titre de l’article 230 CE.

48      Par ailleurs, l’argument de la requérante selon lequel la reconnaissance du caractère non attaquable de la lettre attaquée créerait une lacune en matière de droit à une protection juridictionnelle effective ne saurait prospérer.

49      Certes, la demande de la Commission au titre de l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/55 ne conduit pas à l’adoption d’un acte de l’Union pouvant faire l’objet d’un recours direct devant le Tribunal, alors que tel serait le cas si la Commission adoptait une décision au titre du quatrième alinéa de ladite disposition. Toutefois, contrairement à ce que la requérante soutient, le droit à une protection juridictionnelle effective n’implique pas qu’un recours soit ouvert devant le Tribunal contre une demande de la Commission au titre de ladite disposition, mais qu’un système de protection juridictionnelle complet, incluant les voies de recours nationales, soit ouvert aux intéressés.

50      En l’occurrence, la décision de l’autorité nationale de régulation accordant la dérogation peut être soumise au contrôle du juge national, lequel pourrait saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel de la question de l’interprétation de l’article 22 de la directive 2003/55, ou être lui‑même amené à annuler ladite décision nationale au motif que la dérogation ne devait pas être accordée ou devait être accordée d’une manière différente. En outre, à la suite d’une demande de modification adressée par la Commission à l’autorité nationale de régulation, et si cette autorité se conforme à ladite demande, la décision nationale modifiée pourra être attaquée par les voies de recours nationales. Si, en revanche, l’autorité nationale de régulation ne se conforme pas à la demande de la Commission, cette dernière est compétente, au terme de la procédure, pour prendre une décision définitive, qui constitue un acte de l’Union produisant des effets juridiques obligatoires et qui peut être attaqué devant le Tribunal.

51      Il s’ensuit que le contexte dans lequel la lettre attaquée a été adoptée fait apparaître que celle-ci ne produit pas d’effets juridiques contraignants et que l’article 22 de la directive 2003/55 ne viole pas le droit à une protection juridictionnelle effective.

52      La lettre attaquée ne constituant pas une mesure qui fixe définitivement la position de la Commission, elle ne produit pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante et, partant, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE. Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre fin de non-recevoir soulevée par la Commission, le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

53      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

54      En outre, conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres intervenus au litige supportent leurs dépens. Ainsi, la République tchèque supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      RWE Transgas a.s. supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République tchèque supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 24 novembre 2010.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      N. J. Forwood


* Langue de procédure : l’allemand.