Language of document : ECLI:EU:T:2014:226

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

3 avril 2014 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur sous certaines conditions – Syndicat de travailleurs – Défaut d’affectation individuelle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑2/13,

CFE-CGC France Télécom-Orange, établie à Paris (France), représentée par Mes A.‑L. Lefort des Ylouses et A.‑S. Gay, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, D. Grespan et B. Stromsky, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2012/540/UE de la Commission, du 20 décembre 2011, concernant l’aide d’État C 25/08 (ex NN 23/08) – Réforme du mode de financement des retraites des fonctionnaires de l’État rattachés à France Télécom mise à exécution par la République française en faveur de France Télécom (JO 2012, L 279, p. 1),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, O. Czúcz (rapporteur) et A. Popescu, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, CFE-CGC France Télécom-Orange, est une organisation syndicale fondée conformément au droit du travail français. Elle est représentative au sein de France Télécom, devenue Orange, et participe aux négociations collectives menée dans cette entreprise en tant que représentant de ses membres, salariés de France Télécom.

2        France Télécom a été créée en 1990, en tant qu’entreprise distincte de l’administration de l’État, comme exploitant public doté de la personnalité juridique. Elle a continué cependant à recruter des fonctionnaires jusqu’en 1997.

3        La loi n° 90 568, du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORF du 8 juillet 1990, p. 8069, ci-après la « loi de 1990 »), a repris la pratique antérieure en ce qui concerne le financement des retraites des anciens fonctionnaires de France Télécom.

4        Selon ladite pratique, entre 1991 et 1996, en application de l’article 30 de la loi de 1990, la contribution « employeur » qui incombait à France Télécom au titre de l’emploi de ses fonctionnaires était fixée par différence entre le montant total des pensions versées par l’État français aux anciens fonctionnaires de France Télécom et la part acquittée par les fonctionnaires en activité de France Télécom sur leurs traitements. Eu égard au nombre croissant des anciens fonctionnaires de France Télécom partis à la retraite, la contribution « employeur » payée par France Télécom a connu une tendance croissante continue entre 1991 et 1996 pour atteindre 1 151 millions d’euros en 1996.

5        En 1996, dans le contexte de l’ouverture totale à la concurrence des marchés des télécommunications, la loi n° 96-660, du 26 juillet 1996, relative à l’entreprise nationale France Télécom (JORF du 27 juillet 1996, p. 11398, ci-après la « loi de 1996 »), a transformé France Télécom en société anonyme de droit français. À la suite de cette transformation, en 1997, France Télécom a mis fin au recrutement de fonctionnaires. Le nombre et le pourcentage de ceux-ci par rapport à l’effectif total de France Télécom a baissé de 165 200 personnes (94,1 %) en 1996 à 69 892 fonctionnaires (47 %) en 2007.

6        L’article 6, sous c) et d), de la loi de 1996, qui modifie l’article 30 de la loi de 1990, impose désormais à France Télécom de verser au Trésor public, en contrepartie de la liquidation et du service, par l’État, des pensions allouées au personnel fonctionnaire de France Télécom, ce qui suit :

« c)      […] une contribution employeur à caractère libératoire, due à compter du 1er janvier 1997, en proportion des sommes payées à titre de traitement soumis à retenue pour pension. Le taux de la contribution libératoire est calculé de manière à égaliser les niveaux de charges sociales et fiscales obligatoires assises sur les salaires entre France Télécom et les autres entreprises du secteur des télécommunications relevant du droit commun des prestations sociales, pour ceux des risques qui sont communs aux salariés de droit commun et aux fonctionnaires de l’État […] ;

d)      […] une contribution forfaitaire exceptionnelle, dont le montant et les modalités de versement seront fixés en loi de finances avant le 31 décembre 1996. »

7        La contribution employeur de France Télécom, prévue par l’article 6, sous c), de la loi de 1996, recalculée chaque année, est exprimée en pourcentage des traitements indiciaires bruts des fonctionnaires en service. En raison de la cessation de l’embauche de fonctionnaires à partir de 1997, qui a causé la diminution du nombre de fonctionnaires en service, la contribution employeur payée par France Télécom a connu une tendance à la baisse après 1997, malgré l’augmentation du nombre des anciens fonctionnaires de France Télécom déjà partis à la retraite. Ladite contribution équivalait à 744 millions d’euros en 2010, c’est-à-dire 407 millions d’euros de moins que la contribution de 1 151 millions d’euros payée par France Télécom en 1996.

8        Le 4 octobre 2002, la Commission des Communautés européennes a été saisie d’une plainte selon laquelle la République française avait mis à exécution une aide en faveur de France Télécom qui aurait allégé partiellement ses charges financières, notamment celles liées au financement des retraites de son personnel.

9        Par décision du 20 mai 2008, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE.

10      Dans sa décision 2012/540/UE, du 20 décembre 2011, concernant l’aide d’État C 25/08 (ex NN 23/08) – Réforme du mode de financement des retraites des fonctionnaires de l’État rattachés à France Télécom mise à exécution par la République française en faveur de France Télécom (JO 2012, L 279, p. 1, ci-après la « décision attaquée »), la Commission a conclu que France Télécom était bénéficiaire d’une aide d’État qui était compatible avec le marché intérieur sous certaines conditions.

11      Selon les articles 1er et 2 de la décision attaquée, il est prévu ce qui suit :

« Article premier

L’aide d’État résultant de la réduction de la contrepartie à verser à l’État pour la liquidation et le service des pensions allouées, en application du code des pensions civiles et militaires de retraite, aux fonctionnaires de France Télécom en application de la [loi de 1996] modifiant la [loi de 1990] est compatible avec le marché intérieur, aux conditions prévues à l’article 2.

Article 2

La contribution employeur à caractère libératoire, due par France Télécom au titre de l’article 30, point c), de la [loi de 1990], est calculée et prélevée de manière à égaliser les niveaux de l’ensemble des charges sociales et fiscales obligatoires assises sur les salaires entre France Télécom et les autres entreprises du secteur des télécommunications relevant du droit commun des prestations sociales.

Pour remplir cette condition, au plus tard dans les sept mois suivant la notification de la présente décision, la République française :

a)      modifie l’article 30 de la [loi de 1990] et les textes règlementaires ou autres pris pour son application de sorte que l’assiette de calcul et le prélèvement de la contribution employeur à caractère libératoire, due par France Télécom, ne soient pas limités aux seuls risques communs aux salariés de droit privé et aux fonctionnaires de l’État, mais incluent également les risques non communs ;

b)      prélève sur France Télécom, à partir du jour où les montants de la contribution exceptionnelle instaurée par la [loi de 1996] capitalisés au taux d’actualisation résultant de l’application de la communication de la Commission concernant la méthode de fixation des taux de référence et d’actualisation applicable en l’espèce égalent le montant des contributions et charges que France Télécom aurait continué de payer au titre de l’article 30 de la [loi de 1990] dans sa rédaction initiale, une contribution employeur à caractère libératoire calculée selon les modalités précisées au point a), en prenant en considération les risques communs et non communs aux salariés de droit privé et aux fonctionnaires de l’État. »

12      Selon l’article 4 de la décision attaquée, la République française est destinataire de la décision attaquée.

 Procédure et conclusion des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 janvier 2013, la requérante a introduit le présent recours.

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 21 mars 2013, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 7 mai 2013.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 mai 2013, la République française a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante.

16      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

17      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

18      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces versées au dossier et considère qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale. 

19      La Commission fait valoir, dans son exception d’irrecevabilité, que la requérante n’est ni directement ni individuellement concerné par la décision attaquée. En particulier, s’agissant de l’affectation individuelle, la position sur le marché de la requérante ne serait pas substantiellement affectée par l’aide en cause. De même, la requérante n’aurait pas participé activement à la procédure menant à l’adoption de la décision attaquée en tant que négociateur. Enfin, elle ne saurait davantage être individuellement concernée par la décision attaquée en raison de l’affectation individuelle de ses membres.

20      La requérante fait valoir, en premier lieu, qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée en sa qualité de négociateur au sein de France Télécom et en tant que représentant des salariés de celle-ci.

21      La requérante soulève que l’effet entraîné par la décision attaquée est la réduction du résultat net de France Télécom d’une somme annuelle substantielle, de l’ordre de 150 millions d’euros pour 2012. Or, le résultat net annuel de l’entreprise constituerait un élément majeur dans les négociations salariales et la répartition du résultat au sein de l’entreprise (notamment en matière de rémunération, d’intéressement et de participation) subirait durablement une diminution substantielle. Dès lors, la qualité de négociateur de la requérante serait très largement amoindrie.

22      En second lieu, la requérante fait valoir qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée, puisque celle-ci modifie substantiellement les éléments de rétribution des personnels de France Télécom.

23      Premièrement, la charge supplémentaire affecterait les négociations annuelles obligatoires entre France Télécom et les syndicats et visant à déterminer le montant des augmentations collectives du salaire de base.

24      Deuxièmement, la décision attaquée aurait aussi un impact sur l’application de l’accord d’intéressement du 29 juin 2012 qui a été négocié et conclu par la requérante. L’intéressement serait calculé en fonction de deux indicateurs : un indicateur de qualité du service rendu au client (IQSC) et un indicateur de performance opérationnelle (IPO). Ce serait le fait d’atteindre un seuil de réalisation de l’objectif fixé par l’IPO qui déclencherait automatiquement l’attribution d’un pourcentage d’intéressement. Or, les charges supplémentaires découlant de la décision attaquée réduiraient l’IPO.

25      Troisièmement, la décision attaquée aurait également un effet direct sur l’application de l’accord de participation conclu le 19 novembre 1997 et tel que modifié par les avenants du 29 juin 2001 et du 10 février 2012, avenants qui ont été négociés et signés par la requérante. En effet, les sommes allouées aux personnels de France Télécom au titre de la participation résulteraient de la réserve spéciale de participation du groupe, calculée en fonction des résultats de France Télécom.

26      Quatrièmement, des parts variables managériales seraient indexées sur la performance de l’entreprise. De même, l’attribution gratuite d’actions en faveur des personnels de France Télécom n’interviendrait que si un objectif en termes de capacité d’autofinancement (« cash-flow ») opérationnelle cumulée de 27 milliards d’euros sur la période allant de 2011 à 2013 était atteint. Dès lors, étant donné que la décision attaquée a pour conséquence la détérioration de la performance de France Télécom, elle affecterait négativement les personnels de celle-ci, représentés par la requérante.

27      À titre liminaire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, « [t]oute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ».

28      En l’espèce, il est constant que la décision attaquée a pour unique destinataire la République française et concerne une aide individuelle dont le bénéficiaire était France Télécom.  La décision attaquée ayant ainsi une portée individuelle, il ne peut s’agir d’un acte règlementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE , cette notion d’« acte règlementaire » devant être comprise comme visant tout acte de portée générale à l’exception des actes législatifs (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, T‑18/10, Rec. p. II‑5599, point 56). 

29      Il s’ensuit que, la requérante n’étant pas destinataire de la décision attaquée, son recours est recevable à condition qu’elle soit directement et individuellement concernée par la décision attaquée.

30      Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, des tiers ne sauraient être concernés individuellement par une décision adressée à une autre personne que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire de la décision (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 36).

31      En ce qui suit, eu égard à l’argumentation de la requérante et à la jurisprudence en la matière, l’affectation individuelle de la requérante sera examinée, premièrement, dans le contexte de sa qualité de négociateur, deuxièmement, du point de vue de l’éventuelle affectation substantielle de sa position concurrentielle, et, troisièmement, du point de vue de la question de savoir si ses membres sont individuellement concernés.

 Sur la position de négociateur de la requérante

32      Selon la jurisprudence, certaines associations d’opérateurs économiques ayant participé activement à la procédure en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE ont été reconnues comme individuellement concernées par une telle décision, dans la mesure où elles étaient affectées en leur qualité de négociatrices (arrêts de la Cour du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, points 21 à 24, et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, Rec. p. I‑1125, points 28 et 30).

33      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kwekerij Van der Kooy e.a./Commission, point 32 supra, le Landbouwschap avait négocié avec le fournisseur le tarif préférentiel du gaz contesté par la Commission et figurait, en outre, parmi les signataires de l’accord ayant établi ce tarif. De même, à ce titre, il avait été obligé d’entamer de nouvelles négociations tarifaires avec le fournisseur et de conclure un nouvel accord pour mettre à exécution la décision de la Commission.

34      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CIRFS e.a./Commission, point 32 supra, le comité international de la rayonne et des fibres synthétiques avait été l’interlocuteur de la Commission au sujet de l’instauration de la discipline en matière d’aides dans le secteur des fibres synthétiques ainsi que de la prorogation et de l’adaptation de celle-ci et avait poursuivi activement des négociations avec la Commission pendant la procédure administrative, notamment en lui soumettant des observations écrites et en se maintenant en contact étroit avec les services compétents.

35      Les arrêts Kwekerij Van der Kooy e.a./Commission, point 32 supra, et CIRFS e.a./Commission, point 32 supra, concernaient ainsi des situations particulières dans lesquelles les parties requérantes occupaient une position de négociateur clairement circonscrite et intimement liée à l’objet même de la décision, les mettant dans une situation de fait qui les caractérisait par rapport à toute autre personne (arrêt de la Cour du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C‑106/98 P, Rec. p. I‑3659, point 45).

36      Cependant, en l’espèce, la requérante se réfère à sa qualité de négociateur au sein de France Télécom, et n’allègue pas qu’elle était l’interlocuteur de la Commission dans les négociations avec celle-ci durant la procédure administrative, ce qui est un aspect important qui différencie sa situation de celle du CIRFS.

37      De même, il convient de souligner que l’avantage de France Télécom qualifié d’aide d’État en l’espèce n’était pas la conséquence des accords conclus par la requérante avec France Télécom, ni n’était aucunement lié à ceux-ci, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kwekerij Van der Kooy e.a./Commission, point 32 supra. En outre, quant à l’accord d’intéressement du 29 juin 2012 et l’accord de participation du 19 novembre 1997, la requérante n’allègue pas que, afin de mettre à exécution la décision attaquée, elle serait obligée de renégocier lesdits accords, mais se limite à faire valoir que la décision attaquée a un impact sur l’application desdits accords, en raison de l’affectation de la performance de France Télécom. Il en va de même pour les négociations annuelles obligatoires sur l’augmentation annuelle des salaires, qui, par leur nature, se déroulent chaque année, c’est-à-dire que ce n’est pas l’exécution de la décision attaquée qui les nécessite.

38      Par ailleurs, force est de constater que, à la différence du CIRFS et du Landbouwschap, la requérante n’a pas participé activement à la procédure menant à l’adoption de la décision attaquée.

39      Au demeurant, la Cour a déjà jugé, dans le contexte d’un recours introduit par un syndicat contre une décision de la Commission déclarant illégale une aide d’État, que la seule qualité de négociateur en ce qui concerne les aspects sociaux au sein de l’entreprise concernée, tels que la structure des effectifs et des salaires de l’entreprise, ne suffit pas à individualiser la partie requérante de manière analogue à celle du destinataire de la décision litigieuse (arrêt Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, point 35 supra, points 51 et 52).

40      Il y a lieu d’observer à cet égard que, dans la décision attaquée, la Commission a examiné l’impact sur la situation concurrentielle de la réduction de la contrepartie à verser par France Télécom à l’État pour la liquidation et le service des pensions allouées aux anciens fonctionnaires de France Télécom, et a conclu que ladite réduction constituait un avantage sélectif, susceptible de fausser la concurrence, par rapport aux entreprises actives dans le même secteur qui ne comptaient pas, parmi leurs personnels, de fonctionnaires. Ensuite, lors de la définition de la condition rendant l’aide compatible avec le marché unique, la Commission s’est focalisée, aux considérants 191 à 193 de la décision attaquée, sur les modalités permettant d’assurer la neutralité concurrentielle du régime applicable aux contributions employeur payées par France Télécom avec celui de ses concurrents.

41      En revanche, la rétribution des employés et fonctionnaires en service de France Télécom n’a fait l’objet d’aucune analyse dans la décision attaquée. De même, la requérante n’allègue pas qu’elle a participé aux négociations menées en vue de déterminer le niveau de la contribution employeur payé par France Télécom en vertu de la loi de 1996.

42      Il s’ensuit que la position de négociateur de la requérante n’était pas intimement liée à l’objet même de la décision attaquée, de sorte que ladite position ne saurait l’individualiser sur la base de la jurisprudence citée aux points 32 et 39 ci-dessus.

 Sur l’affectation de la position concurrentielle

43      S’agissant du domaine des aides d’État, ont été reconnues comme individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, outre l’entreprise bénéficiaire, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché ait été substantiellement affectée par la mesure d’aide faisant l’objet de la décision attaquée (arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391, point 25 ; arrêt Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, point 35 supra, point 40).

44      Premièrement, en l’espèce, il y a lieu de relever que la requérante n’allègue pas avoir déposé des observations ou avoir conduit des négociations dans la procédure menant à l’adoption de la décision attaquée. Elle se réfère uniquement à deux affirmations qu’elle a faites dans la presse le 20 décembre 2011, jour de l’adoption de la décision attaquée, portant sur le prétendu impact de la décision attaquée sur « le coût de la masse salariale pour France Télécom » et « le blocage des salaires en 2012 ». Or, de telles déclarations commentant la décision attaquée ne sauraient être assimilées à un rôle actif joué dans la procédure administrative.

45      Deuxièmement, il convient de relever que, dans son arrêt du 9 juillet 2009, 3F/Commission (C‑319/07 P, Rec. p. I‑5963, points 52 et 54), la Cour a examiné la situation du syndicat 3F ayant porté plainte contre une mesure étatique, et, en particulier, l’affectation individuelle de 3F par une décision de la Commission dans laquelle celle-ci a mis fin à la procédure administrative sans soulever d’objections et sans initier la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, qualifiant la mesure étatique d’aide d’État compatible avec le marché commun. La Cour a considéré que l’affectation de la position concurrentielle du syndicat 3F vis-à-vis des autres syndicats pouvait être pertinente lors de l’appréciation de l’affectation individuelle dudit syndicat par ladite décision.

46      Cependant, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt 3F/Commission, point 45 supra, en l’espèce, la Commission a adopté la décision attaquée, déclarant l’aide en cause compatible avec le marché intérieur sous certaines conditions, à la suite de la procédure formelle d’examen ouverte en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE. Or, les critères de l’affectation individuelle sont sensiblement différents quant au recours introduit par une partie tierce contre une décision prise sans l’ouverture de ladite procédure formelle d’examen, d’une part, et contre une décision prise à la fin de ladite procédure formelle d’examen, d’autre part (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, points 34 à 37).

47      En tout état de cause, il y a lieu de souligner que la requérante n’allègue pas que la condition imposée dans la décision attaquée à la République française affecterait sa position concurrentielle vis-à-vis d’autres syndicats. De même, il ne ressort pas du dossier devant le Tribunal que ladite condition créerait un quelconque déséquilibre entre les syndicats.

48      Il s’ensuit que l’affectation individuelle du requérant ne saurait être établie sur la base de la jurisprudence citée aux points 43 et 45.

 Sur l’affectation individuelle des membres de la requérante

49      Selon la jurisprudence, le recours introduit par une association est recevable lorsque, en introduisant son recours, elle s’est substituée à l’un ou à plusieurs de ses membres, qu’elle représente, à la condition que ses membres eux-mêmes aient été en situation d’introduire un recours recevable (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFASS et AKT/Commission, T‑380/94, Rec. p. II‑2169, point 50, et ordonnance du Tribunal du 18 septembre 2006, Wirtschaftskammer Kärnten et best connect Ampere Strompool/Commission, T‑350/03, non publiée au Recueil, point 25).

50      En l’espèce, la requérante fait valoir que la baisse de performance de France Télécom en raison de la condition prévue dans la décision attaquée affecte ses membres, en substance, puisqu’elle change un indicateur dans le calcul de l’intéressement et des parts variables managériales, fait baisser la réserve spéciale de participation, réduit la chance de l’attribution gratuite d’actions aux personnels de France Télécom et, en général, met sous pression le prix des actions.

51      À cet égard, même à supposer que la décision attaquée exerce l’effet allégué par la requérante, il suffit de relever que la prétendue affectation de la performance de France Télécom est, selon les décisions prises par celle-ci quant à sa politique commerciale et à l’allocation de ses ressources, susceptible d’affecter les intérêts de tous ses actionnaires, voire de ses fournisseurs, clients et créanciers. Il s’agit ainsi d’un ensemble indéterminé d’opérateurs économiques, dont le cercle peut s’agrandir après l’adoption de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, point 16).

52      Les opérateurs économiques appartenant à un tel groupe indéterminé et indéterminable ne sont pas individuellement concernées par un acte adressé à une tierce partie. Il s’ensuit que la qualité pour agir de la requérante ne saurait davantage être déduite de celle de ses membres.

53      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la requérante n’est pas individuellement concernée par la décision attaquée.

54      Dès lors, il convient de rejeter son recours comme irrecevable sans qu’il soit nécessaire d’examiner son affectation directe.

 Sur la demande en intervention de la République française

55      Selon la jurisprudence, dans le cas où le recours au principal est d’une telle nature qu’il doit être déclaré irrecevable sans que soit engagé le débat au fond, il ne saurait être admis qu’une tierce personne puisse utilement intervenir au soutien des conclusions de l’une des parties. Dès lors, rien ne s’oppose à ce que le Tribunal mette fin à un litige en le déclarant irrecevable avant qu’une demande d’intervention ne soit admise (ordonnance de la Cour du 5 juillet 2001, Conseil national des professions de l’automobile e.a./Commission, C‑341/00 P, Rec. p. I‑5263, points 36 et 37).

56      En l’espèce, eu égard aux exigences de la bonne administration de la justice, le recours doit être rejeté comme irrecevable, sans qu’il y ait lieu de statuer sur la demande en intervention de la République française. 

 Sur les dépens

57      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

58      La requérante ayant succombé en son recours, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

59      En vertu de l’article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, la République française, demandeur en intervention, supportera ses propres dépens. 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

Ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention de la République française.

3)      CFE-CGC France Télécom-Orange supportera ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

4)      La République française supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 3 avril 2014.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      G. Berardis


* Langue de procédure : le français.