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Affaire T757/21

(publication par extraits)

Activa - Grillküche GmbH

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle

 Arrêt du Tribunal (septième chambre) du 26 avril 2023

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un appareil pour griller – Divulgation du dessin ou modèle antérieur – Article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) no 6/2002 »

Dessins ou modèles communautaires – Motifs de nullité – Absence de nouveauté – Absence de caractère individuel – Exception – Divulgation par le créateur ou son ayant droit dans les douze mois avant la demande d’enregistrement – Prise en compte d’accords de cession avec effets rétroactifs

[Règlement du Conseil no 6/2002, art. 7, § 2)]

(voir points 18, 20-33)

Résumé

Le 5 avril 2016, Targa GmbH a demandé l’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire représentant un appareil pour griller (1) en vertu du règlement no 6/2002 (2).

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Le 14 novembre 2018, Activa - Grillküche GmbH a introduit une demande en nullité, en faisant valoir que le dessin ou modèle était dépourvu de nouveauté et de caractère individuel et en invoquant notamment un modèle d’utilité antérieur publié en Chine le 24 juin 2015 par Guangzhou Hungkay (ci-après le « modèle d’utilité chinois »).

Postérieurement à sa publication, le modèle d’utilité chinois a fait l’objet de deux accords de cession. Par un premier accord conclu le 26 novembre 2016, Guangzhou Hungkay a transféré à Targa GmbH tous les droits de propriété intellectuelle concernant le modèle d’utilité chinois pour le territoire de l’Union européenne, incluant le Royaume-Uni, à compter du 7 octobre 2014. Par un second accord conclu le 28 novembre 2016, A, créateur initial du modèle d’utilité chinois et employé de Guangzhou Hungkay, a transféré à cette dernière l’ensemble des droits de propriété intellectuelle afférents audit modèle d’utilité chinois à compter également du 7 octobre 2014.

Cette demande en nullité a été rejetée par la division d’annulation de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). De même, le recours introduit par Activa - Grillküche GmbH à l’encontre de cette décision a été rejeté par la chambre de recours. Activa - Grillküche GmbH a alors introduit un recours auprès du Tribunal tendant à l’annulation de la décision de la chambre de recours.

Le Tribunal rejette ce recours et examine, pour la première fois, notamment les effets des accords de cession à titre rétroactif dans le cadre de l’examen de l’applicabilité de l’exception selon laquelle il n’est pas tenu compte d’une divulgation d’un dessin ou modèle prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 (3).

Appréciation du Tribunal

Tout d’abord, le Tribunal rappelle que pour que l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 soit applicable dans le cadre d’une procédure de nullité, le titulaire du dessin ou du modèle visé par la demande en nullité doit établir qu’il est soit le créateur du dessin ou du modèle invoqué pour fonder ladite demande, soit l’ayant droit du créateur. En l’espèce, le créateur du modèle d’utilité chinois a transféré ses droits de propriété intellectuelle par un accord de cession avec effet rétroactif à Guangzhou Hungkay. Cette dernière a divulgué au public le modèle d’utilité chinois par voie de publication à la suite de l’enregistrement de ce dernier en Chine, lequel est identique au dessin ou modèle contesté. Elle a en outre cédé à Targa GmbH une partie des droits de propriété intellectuelle sur le dessin ou modèle correspondant au modèle d’utilité chinois.

Ensuite, s’agissant de la question de savoir si l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 s’applique en l’espèce, le Tribunal précise que les accords de cession sont régis par le droit national applicable et rappelle, d’une part, le rôle du principe de la liberté contractuelle dans le droit de l’Union et, d’autre part, les objectifs du règlement no 6/2002.

En effet, le droit des parties de conclure des contrats opérant des transferts de droits de propriété repose sur le principe de la liberté contractuelle et ne saurait, dès lors, être limité en l’absence d’une réglementation de l’Union instaurant des restrictions spécifiques à cet égard. Il s’ensuit que, pour autant qu’une stipulation contractuelle opérant un tel transfert ne s’oppose pas à l’objectif visé par la réglementation de l’Union applicable et n’entraîne pas de risque de fraude, une telle stipulation ne peut être considérée comme illicite.

En l’occurrence, en premier lieu, s’agissant du contenu de la réglementation de l’Union applicable, le règlement no 6/2002 n’interdit pas de prendre en compte, dans le cadre d’une demande en nullité, des contrats signés postérieurement à la date de dépôt d’une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle et opérant un transfert à titre rétroactif de droits de propriété intellectuelle concernant un dessin ou modèle antérieur régi par un droit national.

En deuxième lieu, en ce qui concerne l’objectif de la réglementation de l’Union applicable, le but de l’exception prévue à l’article 7 du règlement no 6/2002 est d’offrir au créateur ou à son ayant droit la possibilité de présenter un dessin ou modèle sur le marché, pendant une période de douze mois, avant d’avoir à procéder aux formalités de dépôt. Ainsi, pendant cette période, le créateur ou son ayant droit peut s’assurer du succès commercial du dessin ou modèle concerné avant d’engager les frais liés à l’enregistrement, sans craindre que la divulgation qui a lieu à cette occasion puisse être invoquée avec succès au cours d’une procédure de nullité intentée après l’enregistrement éventuel du dessin ou modèle concerné. Par conséquent, l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 vise à protéger les intérêts du créateur et de son ayant droit. En l’espèce, ces intérêts sont protégés par la prise en compte des accords de cession conclus.

En troisième lieu, s’agissant du risque de fraude, le Tribunal constate qu’il n’existe aucune indication de fraude ou de comportement collusif dans le transfert des droits de propriété au moyen des accords de cession.

Il s’ensuit que le droit de l’Union ne s’opposait pas à ce que, en l’espèce, les parties donnent un effet rétroactif à leurs accords.

Enfin, le Tribunal conclut que, étant donné que Guangzhou Hungkay a divulgué le modèle d’utilité chinois en le publiant en Chine le 24 juin 2015 et que Targa GmbH, agissant en qualité d’ayant droit de Guangzhou Hungkay, a déposé une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle identique en tant que dessin ou modèle communautaire le 5 avril 2016, soit moins de douze mois plus tard, l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 était applicable en l’espèce.


1      Le dessin ou modèle a été enregistré pour des « Grils », relevant de la classe 07.02 au sens de l’arrangement de Locarno instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, du 8 octobre 1968, tel que modifié.


2      Règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).


3      Conformément à l’article 7, paragraphe a 2, du règlement no 6/2002, aux fins des articles 5 et 6 dudit règlement, il n’est pas tenu compte d’une divulgation si un dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée au titre de dessin ou modèle communautaire enregistré a été divulgué au public : a) par le créateur ou son ayant droit ou par un tiers sur la base d’informations fournies ou d’actes accomplis par le créateur ou son ayant droit, et ce, b) pendant la période de douze mois précédant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou la date de priorité, si une priorité est revendiquée.