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Affaire T357/19

République italienne

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (septième chambre) du 22 juin 2022

« FEDER – Politique régionale – Programmes opérationnels relevant de l’objectif “Investissements en faveur de la croissance et de l’emploi” en Italie – Décision approuvant la contribution financière du FEDER au grand projet “Grand projet national très haut débit – zones blanches” − Inéligibilité des dépenses du bénéficiaire au titre de la TVA – Article 69, paragraphe 3, sous c), du règlement (UE) no 1303/2013 – Notion de “TVA récupérable en vertu de la législation nationale relative à la TVA” »

1.      Cohésion économique, sociale et territoriale – Interventions structurelles – Financement par l’Union – Fonds européen de développement régional (FEDER) – Dépenses exclues – Taxe sur la valeur ajoutée récupérable en vertu de la législation nationale relative à la TVA – Notion

[Art. 174 à 176 et 317 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1303/2013, art. 2, point 10, 65, § 2, et 69, § 3, c)]

(voir points 47-51, 60-67, 69, 70, 74, 82)

2.      Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Assujettis – Notion – Faculté pour les États membres de considérer des personnes étroitement liées comme un assujetti unique – Réglementation nationale n’ayant pas mis en œuvre cette faculté pour les entités concernées

(Directive du Conseil 2006/112, art. 11)

(voir points 97, 98)

Résumé

En 2015, la République italienne a adopté la « Stratégie italienne pour le très haut débit ». Cette stratégie comportait, notamment, l’objectif de garantir sur le territoire italien de hautes vitesses de connexion à Internet. Étaient visées en particulier les zones de défaillance du marché, dans lesquelles les réseaux d’accès à Internet de nouvelle génération étaient inexistants et où les opérateurs privés n’envisageaient pas de déployer prochainement de tels réseaux (ci-après les « zones blanches »).

Une intervention publique directe à hauteur d’environ 4 milliards d’euros a été prévue (1) en vue de déployer les réseaux d’accès à Internet de nouvelle génération dans ces zones blanches.

En 2017, les autorités italiennes ont adressé à la Commission européenne une demande tendant à l’obtention d’une contribution financière du Fonds européen de développement régional (FEDER) en vue de la réalisation du « Grand projet national très haut débit - zones blanches ». Le ministère du Développement économique italien était désigné comme le bénéficiaire de la contribution du FEDER, tandis que la mise en œuvre de ce projet devait incomber à Infratel Italia SpA (ci-après « Infratel »), une société détenue par le ministère de l’Économie et des Finances italien. Ainsi, afin de réaliser l’infrastructure du réseau d’accès à Internet et d’assurer sa maintenance et son exploitation commerciale, Infratel a sélectionné comme concessionnaire la société Open Fiber SpA.

Selon les autorités italiennes, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) liée aux coûts de construction était éligible au financement du FEDER, dans la mesure où elle devait être payée par le ministère du Développement économique sans qu’il puisse la récupérer en vertu de la législation nationale relative à la TVA, dès lors qu’il n’est pas assujetti à la TVA et qu’il ne peut la déduire. En effet, dans le cadre du circuit de facturation, le concessionnaire adressait à Infratel les factures correspondant au coût des travaux réalisés, TVA incluse, et cette dernière adressait ensuite des factures de mêmes montants au ministère du Développement économique, TVA incluse. Ce ministère procédait, d’une part, au paiement de la partie hors taxe des factures adressées par Infratel et, d’autre part, au paiement de la TVA directement au ministère de l’Économie et des Finances italien, selon le dispositif du paiement scindé de la TVA prévu par la législation nationale.

Par la décision attaquée (2), la Commission a estimé que la dépense de TVA afférente au « Grand projet national très haut débit - zones blanches » n’était pas éligible à la contribution financière du FEDER. Selon elle, la TVA exposée par le ministère du Développement économique à l’occasion de la mise en œuvre de ce projet ne constituait pas une charge économique pour le bénéficiaire et ne pouvait pas être considérée comme n’étant pas récupérable en vertu de la législation nationale relative à la TVA, au sens de l’article 69, paragraphe 3, sous c), du règlement no 1303/2013 (3).

Le recours formé par la République italienne contre cette décision est accueilli par le Tribunal.

Cette affaire conduit le Tribunal à interpréter, pour la première fois, l’article 69, paragraphe 3, sous c), du règlement no 1303/2013 qui prévoit l’exclusion de principe de la TVA des coûts éligibles aux subventions des Fonds ESI, à moins qu’elle ne soit pas récupérable « en vertu de la législation nationale relative à la TVA ». Pour de nombreux investissements publics éligibles aux financements de l’Union, le coût de la TVA représente un important enjeu financier pour les collectivités publiques (en l’espèce, le coût total de la TVA représentait plus de 210 millions d’euros, dont 125 millions d’euros susceptibles d’être financés par le FEDER).

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal constate tout d’abord que, en prévoyant que la TVA ne constitue pas un coût éligible à une contribution des Fonds ESI qui revêt le caractère d’une subvention, à moins que cette TVA ne soit pas récupérable en vertu de la législation nationale relative à la TVA, l’article 69, paragraphe 3, sous c), du règlement no 1303/2013 assure le bon fonctionnement des mécanismes de cohésion économique, sociale et territoriale institués par ce règlement.

D’un côté, en effet, l’inclusion de la TVA dans les coûts éligibles à une subvention des Fonds ESI engendrerait au profit du bénéficiaire de cette subvention un enrichissement sans cause si, après avoir acquitté la TVA due sur la livraison de biens ou la prestation de services subventionnée, le bénéficiaire était en mesure de la récupérer en application de la législation nationale. De l’autre, l’exclusion de la TVA des coûts éligibles lorsque cette taxe n’est pas récupérable aurait pour conséquence d’augmenter la part de financement qui incombe au bénéficiaire des Fonds ESI et pourrait, dès lors, faire obstacle à la réalisation d’opérations que ces fonds sont censés financer.

Ensuite, le Tribunal constate, au vu du libellé de l’article 69, paragraphe 3, sous c), du règlement no 1303/2013 et à la lumière des travaux préparatoires, que cette disposition restreint désormais l’inéligibilité de la TVA aux contributions des Fonds ESI à la seule hypothèse dans laquelle cette taxe est récupérable en vertu de la législation nationale relative à la TVA, et non par quelque moyen que ce soit (4).

En outre, le Tribunal précise que l’expression « TVA récupérable en vertu de la législation nationale relative à la TVA » inclut nécessairement la TVA déductible, sans toutefois être limitée à ce seul cas de figure, d’autres possibilités de récupération prévues par le droit national en matière de TVA pouvant également faire obstacle à la prise en compte de la TVA dans le cadre de la contribution des Fonds ESI.

Enfin, le Tribunal, en se fondant sur l’interprétation contextuelle et la jurisprudence, ainsi que sur la genèse de la réglementation antérieure, dont est issu le règlement no 1303/2013 (5), constate que le bénéficiaire de la contribution du FEDER est l’entité ou la personne du point de vue de laquelle le caractère récupérable de la TVA doit être apprécié.

Par conséquent, si la TVA due en raison de la réalisation d’une opération subventionnée par un Fonds ESI est réellement et définitivement supportée par le bénéficiaire de cette subvention et si cette TVA est récupérable par celui-ci en vertu de la législation nationale relative à la TVA, elle ne peut pas être incluse dans les coûts éligibles à cette subvention.

Eu égard à ces considérations, le Tribunal juge que les motifs de la Commission sur lesquels repose la décision attaquée ne justifient pas l’absence de prise en compte, dans les coûts éligibles à la contribution du FEDER, de la TVA afférente aux coûts de réalisation du « Grand projet national très haut débit - zones blanches ».

En premier lieu, en effet, le Tribunal constate que, pour la réalisation du « Grand projet national très haut débit - zones blanches », le ministère du Développement économique détenait la qualité de bénéficiaire au sens du règlement no 1303/2013 et que ce ministère devait supporter la charge de la TVA afférente aux coûts de construction du réseau d’accès à Internet à très haut débit.

Puis, il juge que le motif selon lequel le paiement de la TVA par ce ministère auprès d’un autre ministère, en l’occurrence le ministère de l’Économie et des Finances, ne saurait être considéré comme un coût exposé par l’administration centrale de l’État ne saurait être retenu, notamment parce qu’un tel motif aurait pour conséquence d’exclure systématiquement la TVA des coûts éligibles des contributions du FEDER lorsque le bénéficiaire est une administration centrale d’un État membre, telle qu’un département ministériel, en méconnaissance de l’article 2, point 10, du règlement no 1303/2013 (6).

En deuxième lieu, le Tribunal juge illégal le deuxième motif de la décision attaquée, lequel était tiré, en substance, de ce que la charge de la TVA aurait dû être supportée non par le ministère du Développement économique, mais par Infratel en sa qualité de « société interne » (société in house), cette société pouvant ensuite récupérer la TVA en la déduisant. Outre que les notions de « transaction interne » et de « société interne » ne sont pas prévues par la directive TVA (7), le Tribunal constate, en particulier, que la faculté laissée aux États membres par l’article 11 de cette directive, consistant à considérer des personnes étroitement liées comme un assujetti unique, n’a pas été mise en œuvre dans la réglementation italienne en ce qui concerne des entités telles que le ministère du Développement économique et Infratel, qui constituent deux entités juridiques distinctes.

En troisième et dernier lieu, le Tribunal juge, s’agissant du troisième motif de la décision attaquée, que la seule circonstance selon laquelle les redevances de concession du réseau d’accès à Internet à très haut débit payées par le concessionnaire à Infratel sont soumises à la TVA demeure sans incidence sur l’imputabilité réelle et définitive au ministère du Développement économique de la dépense de TVA afférente à la réalisation du projet concerné. À cet égard, le Tribunal relève notamment qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministère du Développement économique pourrait récupérer indirectement, ne serait-ce qu’en partie, et en application d’une législation nationale relative à la TVA, la TVA due par le concessionnaire sur les redevances de concession lors de la phase d’exploitation du réseau d’accès à Internet à très haut débit, de sorte que ce ministère pourrait être considéré comme ne supportant pas la charge réelle et définitive de la TVA.


1      Par décision C(2016) 3931 final, du 30 juin 2016, la Commission a considéré que ce financement public constituait une aide d’État compatible avec le marché intérieur.


2      Décision d’exécution C(2019) 2652 final de la Commission, du 3 avril 2019, portant approbation de la contribution financière au grand projet « Grand projet national très haut débit - zones blanches », sélectionné dans le cadre des programmes opérationnels « POR Abruzzo FESR 2014-2020 », « Basilicata », « POR Calabria FESR FSE », « Campania », « POR Emilia Romagna FESR », « POR Lazio FESR », « POR Liguria FESR », « POR Lombardia FESR », « POR Marche FESR 2014-2020 », « POR Piemonte FESR », « POR Puglia FESR-FSE », « POR Sardegna FESR », « Sicilia », « Toscana », « POR Umbria FESR », « POR Veneto FESR 2014-2020 » et « Entreprises et compétitivité » en Italie.


3      Règlement (UE) no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320). Le règlement no 1303/2013 arrête, avec effet au 1er janvier 2014, les règles communes applicables aux « fonds structurels et d’investissement européens » (ci-après les « Fonds ESI »), dont le FEDER fait partie, ainsi que les dispositions générales applicables au FEDER.


4      Contrairement à l’état du droit antérieur, dans le cadre duquel la TVA était exclue des Fonds de l’Union lorsqu’elle était récupérable par quelque moyen que ce soit (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2012, Hongrie/Commission T‑89/10, non publié, EU:T:2012:451, et du 20 septembre 2012, Hongrie/Commission, T‑407/10, non publié, EU:T:2012:453).


5      En particulier, le règlement no 1080/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relatif au Fonds européen de développement régional et abrogeant le règlement (CE) no 1783/1999 (JO 2006, L 210, p. 1).


6      Conformément à cette disposition, la notion de « bénéficiaire » inclut les organismes publics, sans considération du fait que ces organismes appartiennent à l’administration centrale d’un État membre ou disposent d’une personnalité juridique distincte et autonome de l’État dont ils relèvent.


7      Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).