Language of document : ECLI:EU:T:2005:457

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

14 décembre 2005 (*)

« Exécution d’un arrêt du Tribunal – Réduction de l’amende infligée à la requérante – Abstention puis refus de la Commission de payer des intérêts sur le montant restitué – Recours en annulation – Principe de sécurité juridique »

Dans l’affaire T-135/02,

Greencore Group plc, établie à Dublin (Irlande), représentée par Me A. Böhlke, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. K. Wiedner, puis par MM. P. Oliver et A. Nijenhuis, et, enfin, par MM. Nijenhuis et M. Wilderspin, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision du 11 février 2002, par laquelle la Commission a refusé de faire droit à la demande de la requérante tendant à ce que des intérêts moratoires soient versés à sa filiale Irish Sugar plc sur le montant en principal remboursé à celle-ci en exécution d’un arrêt du Tribunal,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et S. Papasavvas, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 septembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1       Par décision 97/624/CE, du 14 mai 1997, relative à une procédure d’application de l’article 86 du traité CE (IV/34.621, 35.059/F-3 – Irish Sugar plc) (JO L 258, p. 1), la Commission a infligé à Irish Sugar plc, filiale de Greencore Group plc (ci‑après « Greencore » ou la « requérante »), une amende de 8 800 000 écus. Cette amende a été payée par Irish Sugar le 22 août 1997.

2       Le 4 août 1997, Irish Sugar a saisi le Tribunal d’un recours en annulation de cette décision.

3       Par arrêt du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission (T‑228/97, Rec. p. II‑2969, ci-après l’« arrêt Irish Sugar »), le Tribunal a ramené le montant de cette amende à 7 883 326 euros, rejetant le recours pour le surplus.

4       Le 2 octobre 1999, le recours introduit contre la Commission par British Steel plc dans l’affaire T‑171/99 a fait l’objet d’une communication publiée au Journal officiel C 281.

5       Il ressort de la requête que, dans le courant du mois d’octobre 1999, un fonctionnaire de la Commission a contacté par téléphone l’avocat d’Irish Sugar, qui est également l’avocat de Greencore, afin de préparer le remboursement de la fraction de l’amende qui avait été annulée par l’arrêt Irish Sugar. D’après Greencore, durant cette conversation téléphonique, la question des intérêts sur le montant à rembourser a été évoquée, à l’initiative de l’avocat d’Irish Sugar, et il est apparu qu’il était peu probable que la Commission verse des intérêts sur le montant qu’elle devait à la société, cela n’ayant jamais été fait auparavant.

6       Greencore a également reconnu que tant l’avocat d’Irish Sugar que le fonctionnaire de la Commission étaient conscients que la question de savoir si la Commission était ou non tenue de verser des intérêts lors du remboursement d’un montant en principal était à l’époque pendante devant le Tribunal dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 octobre 2001, Corus UK/Commission (T‑171/99, Rec. p. II‑2967, ci‑après l’« arrêt Corus »).

7       Le 26 octobre 1999, l’avocat de Greencore a envoyé à sa cliente une télécopie l’informant de son entretien téléphonique avec le fonctionnaire de la Commission, de la faible probabilité que la Commission paye des intérêts et du recours introduit par British Steel dans l’affaire T‑171/99, précitée. Il recommandait par ailleurs de ne pas renoncer aux intérêts et d’en demander au contraire expressément le versement.

8       Par télécopie du 27 octobre 1999, Greencore a communiqué à la Commission les informations détaillées relatives au compte bancaire d’Irish Sugar sur lequel devait être effectué le remboursement de la somme principale de 916 674 euros due en vertu de l’arrêt Irish Sugar. Quant au versement d’intérêts sur cette somme, elle s’est exprimée comme suit :

« Nous vous prions également de bien vouloir confirmer que vous paierez des intérêts sur la somme remboursée, pour la période allant du paiement par Irish Sugar […] à la Commission jusqu’à la date du remboursement. Nous vous demandons de nous informer du montant des intérêts. »

9       Le 21 décembre 1999, Irish Sugar a saisi la Cour d’un pourvoi contre l’arrêt Irish Sugar.

10     Le 4 janvier 2000, la Commission a procédé au virement sur le compte d’Irish Sugar de la somme de 916 674 euros, sans verser aucun intérêt.

11     Greencore a reconnu, dans sa requête, que le paiement effectué par la Commission le 4 janvier 2000 était la seule réponse à sa télécopie du 27 octobre 1999 et que, par la suite, elle n’avait pas insisté pour avoir une réponse sur la question des intérêts, préférant attendre l’issue de son pourvoi contre l’arrêt Irish Sugar ainsi que l’issue de la procédure dans l’affaire T‑171/99, précitée, avant de s’adresser de nouveau à la Commission sur ce point.

12     Par ordonnance du 10 juillet 2001, Irish Sugar/Commission (C‑497/99 P, Rec. p. I‑5333), la Cour a rejeté le pourvoi formé par Irish Sugar contre l’arrêt Irish Sugar.

13     L’arrêt Corus a été prononcé le 10 octobre 2001. Aux points 52 et 53 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que, dans le cas d’un arrêt annulant ou réduisant l’amende imposée à une entreprise pour infraction aux règles de concurrence du traité CECA, la Commission est tenue de restituer non seulement le montant en principal de l’amende indûment payée, mais également les intérêts moratoires produits par ce montant.

14     Par lettre recommandée du 1er novembre 2001, en se référant audit arrêt Corus, Greencore a demandé à la Commission de verser à Irish Sugar la somme de 154 892 euros correspondant aux intérêts au taux de 7,13 % produits par le montant en principal de 916 674 euros pour la période courant du 22 août 1997 au 4 janvier 2000.

15     Par lettre du 11 février 2002 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a rejeté cette demande pour les motifs suivants :

« Le paiement du principal sans les intérêts effectué le 4 janvier 2000 signifiait que la Commission refusait de payer les intérêts. Vous n’avez pas attaqué cette décision de ne pas payer d’intérêts dans les deux mois prévus à l’article 230 CE (ex-article 173). Au lieu de cela, vous avez choisi d’attendre l’issue de l’affaire ‘Corus’ avant de revenir sur cette question.

Comme la Cour de justice l’a itérativement jugé, les délais de recours visent à garantir la sécurité juridique, en évitant la remise en cause indéfinie des actes communautaires entraînant des effets de droit, ainsi que les exigences de bonne administration de la justice et d’économie de la procédure (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97, Rec. p. I‑5363, point 61). Comme la Cour de justice l’a également clairement indiqué dans cet arrêt, une décision qui n’a pas été attaquée par le destinataire dans les délais devient définitive à son égard et il ne peut bénéficier d’un arrêt rendu en faveur d’un autre destinataire de la décision.

À cet égard, il est sans importance que l’intéressé cherche à bénéficier d’un arrêt obtenu par un autre destinataire de la même décision, comme c’était le cas dans l’affaire ‘AssiDomän’, ou d’un arrêt obtenu par le destinataire d’une décision distincte ayant le même contenu, comme c’est le cas en l’espèce.

Vous n’avez dès lors plus le droit de vous prévaloir de l’arrêt ‘Corus’ après avoir initialement accepté le paiement du principal sans les intérêts. »

 Procédure et conclusions des parties

16     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 avril 2002, la requérante a introduit le présent recours, dans le cadre duquel elle a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal annuler la décision attaquée et condamner la Commission aux dépens.

17     Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 19 juin 2002, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, concluant à ce qu’il plaise au Tribunal, d’une part, rejeter le recours comme manifestement irrecevable et, d’autre part, condamner la requérante aux dépens.

18     Dans son mémoire, la Commission a contesté que la décision attaquée constitue un acte susceptible d’un recours en annulation, puisqu’elle ne modifierait aucunement la position juridique de la requérante, la Commission ayant déjà refusé de payer des intérêts.

19     Elle a soutenu à cet égard que, la requérante ayant, dans sa télécopie du 27 octobre 1999, fourni à la Commission les informations relatives à son compte bancaire en vue du remboursement du trop-perçu et demandé la confirmation de ce qu’un intérêt serait payé, ce serait le remboursement du principal sans les intérêts, effectué par la Commission le 4 janvier 2000, qui constituerait la décision de ne pas octroyer d’intérêts, laquelle n’a pas été attaquée par la requérante dans les délais prévus à l’article 230 CE.

20     D’après la Commission, la décision attaquée n’a aucun caractère décisionnel et informait simplement la requérante que, en n’ayant pas attaqué la décision antérieure de refus d’octroyer des intérêts, elle avait accepté cette décision et ne pouvait revenir sur la question des intérêts après qu’une autre entreprise eut obtenu gain de cause devant le Tribunal après avoir attaqué le refus de la Commission de verser des intérêts.

21     Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, déposées au greffe du Tribunal le 1er août 2002, la requérante a conclu au rejet de l’exception d’irrecevabilité et maintenu les autres conclusions de son recours.

22     Par ordonnance du 7 janvier 2003, Greencore Group/Commission (T‑135/02, non publiée au Recueil, ci-après l’« ordonnance Greencore »), le Tribunal (deuxième chambre) a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et ordonné la poursuite de la procédure.

23     Au point 14 de ladite ordonnance, le Tribunal a retenu qu’il ressortait des termes mêmes de la décision attaquée que celle-ci n’était pas purement informative, mais exprimait clairement le refus de la Commission de verser les intérêts moratoires demandés par la requérante en faveur de sa filiale, et que ce refus était motivé par le fait que la requérante aurait été déchue de son droit de demander le versement des intérêts, dès lors qu’elle n’avait pas soulevé de contestation à cet égard lors du remboursement du montant en principal de l’amende, intervenu le 4 janvier 2000.

24     Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 mars 2003, la Commission a, en vertu de l’article 56 du statut de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l’ordonnance Greencore.

25     Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 10 juin 2003, la procédure devant le Tribunal a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour sur ce pourvoi.

26     Dans le cadre de son pourvoi, la Commission a fait valoir que le Tribunal avait violé l’article 230 CE en jugeant recevable un recours en annulation formé à l’encontre d’un acte qui n’était pas susceptible de faire l’objet d’un tel recours.

27     À cet égard, citant la jurisprudence de la Cour selon laquelle une lettre qui se borne à confirmer une décision initiale ne constitue pas une décision susceptible de recours en annulation, car elle ne modifie pas de façon caractérisée la situation de son destinataire (voir, notamment, arrêt de la Cour du 25 mai 1993, Foyer culturel du Sart-Tilman/Commission, C‑199/91, Rec. p. I‑2667, point 23), la Commission a fait valoir que tel était le cas de la décision attaquée, qui ne réexaminerait pas le fond de l’affaire et ne contiendrait aucun élément susceptible de modifier de façon caractérisée la situation juridique de la requérante.

28     La Commission a soutenu que la décision initiale rejetant la demande de la requérante tendant au versement des intérêts était constituée par le fait qu’elle avait uniquement remboursé à la filiale de la requérante la somme en principal, en s’abstenant de se prononcer sur le paiement d’intérêts.

29     D’après la Commission, c’est au moment où elle a remboursé uniquement le montant en principal à la requérante que cette dernière aurait dû introduire un recours en annulation dirigé contre le refus de procéder au paiement d’intérêts, ainsi que l’ont fait d’autres entreprises. Au lieu de cela, la requérante aurait préféré attendre l’issue de l’affaire T‑171/99, précitée, et décidé qu’elle agirait seulement si Corus UK Ltd se voyait accorder le droit au paiement d’intérêts.

30     Par ailleurs, la Commission a fait valoir que, si la requérante estimait que le remboursement du montant en principal sans les intérêts ne constituait pas une décision de refus d’octroyer des intérêts, elle aurait dû, conformément à la procédure du recours en carence prévue à l’article 232 CE, inviter la Commission à agir dans un délai raisonnable. Or, ainsi qu’il ressortirait de sa requête devant le Tribunal, la requérante aurait choisi de ne pas exercer ce type de recours.

31     Par arrêt du 9 décembre 2004, Commission/Greencore (C‑123/03 P, Rec. p. I‑11647, ci-après l’« arrêt Greencore »), la Cour a, d’une part, annulé l’ordonnance Greencore et, d’autre part, rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission, les dépens étant réservés.

32     Au point 40 de l’arrêt Greencore, la Cour a constaté que, dans son appréciation de la recevabilité du recours de la requérante, le Tribunal n’avait pas examiné le moyen avancé par la Commission, puisqu’il n’avait pas recherché si le paiement du principal sans les intérêts constituait un refus implicite de payer lesdits intérêts pouvant être qualifié de décision susceptible d’être attaquée au sens de l’article 230 CE.

33     La Cour a jugé (point 41 de l’arrêt Greencore) que, en n’examinant pas ce moyen, le Tribunal avait commis une erreur de droit justifiant l’annulation de l’ordonnance Greencore.

34     Statuant elle-même définitivement sur l’exception d’irrecevabilité, la Cour a d’abord relevé (point 44 de l’arrêt Greencore) que constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9, et du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, point 62).

35     La Cour a ensuite relevé (point 45 de l’arrêt Greencore) que, en principe, le seul silence d’une institution ne saurait s’assimiler à un refus implicite, sauf lorsque cette conséquence est expressément prévue par une disposition du droit communautaire. Sans exclure que, dans certaines circonstances spécifiques, ce principe puisse ne pas trouver application de sorte que le silence ou l’inaction d’une institution puissent être exceptionnellement considérés comme ayant valeur de décision implicite de refus, la Cour a considéré que, en l’espèce, le paiement par la Commission du seul montant en principal sans prise de position explicite de la Commission sur la demande de paiement des intérêts n’était pas constitutif d’une décision implicite de rejet de cette demande. En effet, en l’espèce, de telles circonstances exceptionnelles n’avaient pas été invoquées et ne se présentaient pas.

36     Enfin, la Cour a jugé (point 46 de l’arrêt Greencore) que le fait que la requérante n’ait pas utilisé la procédure prévue à l’article 232 CE afin de contraindre la Commission à payer des intérêts n’avait pas d’incidence sur la recevabilité du recours en annulation qu’elle avait introduit après que l’arrêt Corus eut été prononcé.

37     Dans la mesure où la Cour a rejeté le moyen de la Commission selon lequel la décision attaquée n’était qu’une confirmation d’une décision implicite de rejet déjà prise, elle a constaté (point 47 de l’arrêt Greencore) que cette lettre, par laquelle était refusé à la requérante le droit de réclamer le versement des intérêts sur le montant remboursé, contenait un refus de payer des intérêts et constituait dès lors un acte attaquable au sens de l’article 230 CE.

38     Par conséquent, la Cour a rejeté comme non fondée l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

39     La procédure devant le Tribunal (deuxième chambre) a repris son cours le 9 décembre 2004, au stade où elle se trouvait lors de l’intervention de l’arrêt Greencore, conformément à l’article 119, paragraphe 2, du règlement de procédure.

40     Dans sa duplique, déposée au greffe du Tribunal le 8 avril 2005, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter le recours dans son entièreté et condamner la requérante aux dépens.

41     La requérante n’a pas demandé à pouvoir déposer un mémoire complémentaire d’observations écrites au titre de l’article 119, paragraphe 3, du règlement de procédure.

42     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

43     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 20 septembre 2005.

44     À cette occasion, la requérante a réitéré ses conclusions et a demandé que la Commission soit condamnée aux entiers dépens, en ce compris ceux afférents à l’instance sur pourvoi devant la Cour.

 En droit

 Arguments des parties

45     Au soutien de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 233 CE, interprété à la lumière des points 52 et 53 de l’arrêt Corus.

46     Quant aux motifs invoqués par la Commission, dans la décision attaquée, pour ne pas appliquer en l’espèce le principe consacré aux points 52 et 53 de l’arrêt Corus, la requérante considère qu’ils ont déjà été rejetés, d’abord par le Tribunal dans l’ordonnance Greencore, puis par la Cour dans l’arrêt Greencore. Il s’ensuivrait que la décision attaquée repose sur un raisonnement erroné, fondé, en substance, sur la prétendue existence d’une décision antérieure. Par ailleurs, la Commission ne serait pas autorisée à lui substituer a posteriori un autre raisonnement. Le présent recours ne pourrait, dès lors, qu’être reconnu fondé.

47     Contrairement à ce qu’expose la Commission au dernier alinéa de la décision attaquée, la requérante n’aurait jamais « accepté le paiement du principal sans les intérêts ». En réalité, elle se serait bornée à accepter le paiement du principal. Sa demande initiale du 27 octobre 1999 relative aux intérêts aurait précisément eu pour objet de contrer l’argument selon lequel accepter le paiement du principal sans demander simultanément le paiement des intérêts pourrait être assimilé à une renonciation auxdits intérêts.

48     L’argument selon lequel la requérante serait déchue du droit de demander le versement des intérêts, dès lors qu’elle n’a pas soulevé de contestation à cet égard lors du remboursement du montant en principal, ne saurait davantage être retenu, puisqu’il n’existait pas de décision antérieure susceptible d’être attaquée et, partant, pas de forclusion d’un droit.

49     Dans sa requête, la requérante admet que le silence de la Commission, en réaction à sa demande initiale du 27 octobre 1999, ouvrait la voie du recours en carence prévu par l’article 232 CE, mais qu’elle a choisi de ne pas utiliser cette voie de recours.

50     Dans sa réplique, la requérante ajoute, à cet égard, qu’il ne lui incombait aucune obligation juridique d’inviter la Commission à agir, à la suite du non-paiement des intérêts. Il n’aurait pas été nécessaire de précipiter les choses à l’époque, puisque tant la requérante que la Commission savaient que la question des intérêts faisait l’objet de la procédure en cours dans l’affaire T‑171/99, précitée, et qu’elle serait traitée le moment venu. La requérante relève que la communication relative à l’introduction du recours dans cette affaire avait été publiée au Journal officiel le 2 octobre 1999. En outre, la procédure sur pourvoi dans l’affaire C‑497/99 P aurait été pendante jusqu’au 10 juillet 2001, et la question du règlement des dépens de la Commission dans cette affaire serait demeurée ouverte jusqu’après l’adoption de la décision attaquée.

51     Sans remettre en cause le principe consacré aux points 52 et 53 de l’arrêt Corus et sans plus contester la recevabilité du présent recours, la Commission soutient, dans sa duplique, qu’il serait manifestement contraire au principe de sécurité juridique de l’accueillir.

52     La Commission relève qu’il s’est écoulé près de deux ans entre le remboursement du montant en principal de l’amende, intervenu le 4 janvier 2000, et la demande de la requérante tendant au paiement des intérêts, introduite le 1er novembre 2001. Eu égard aux circonstances de l’espèce, ce délai ne serait pas raisonnable et la requérante n’aurait avancé aucun motif valable pour le justifier.

53     La Commission considère, en particulier, que la décision de la requérante d’attendre le prononcé de l’arrêt du Tribunal dans l’affaire T‑171/99, précitée, était dénuée de toute justification. Par sa nature, en effet, cet arrêt n’aurait pu affecter les droits des tiers à la procédure, tels que la requérante. La Commission invoque, en ce sens, une jurisprudence constante selon laquelle un arrêt d’annulation de la Cour ou du Tribunal n’est susceptible de constituer un fait nouveau permettant la réouverture des délais de recours qu’à l’égard, d’une part, des parties à la procédure et, d’autre part, des autres personnes directement concernées par l’acte annulé (voir arrêt Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., point 15 supra, point 62, et la jurisprudence citée). La requérante ne devrait dès lors pas être autorisée à bénéficier d’un arrêt rendu dans une affaire différente, à la suite d’un recours exercé par le destinataire d’une autre décision ayant le même contenu.

54     La Commission soutient que son argumentation n’est pas remise en cause par l’arrêt Greencore. D’une part, la Cour, dans cet arrêt, ne se serait pas prononcée sur le fond de l’affaire. D’autre part, même si l’acte de la Commission du 4 janvier 2000 ne constituait pas une décision portant refus de payer des intérêts, il n’en demeurerait pas moins que la Commission n’a pas accueilli la demande de payer des intérêts contenue dans la télécopie de la requérante du 27 octobre 1999 et qu’il incombait dès lors à celle-ci de poursuivre cette demande dans un délai raisonnable, par la voie du recours en carence, si telle était son intention. Lors de l’audience, la Commission a invoqué, en ce sens, l’arrêt de la Cour du 6 juillet 1971, Pays-Bas/Commission (59/70, Rec. p. 639).

 Appréciation du Tribunal

55     Au vu de l’arrêt Greencore, la décision attaquée, par laquelle la Commission a refusé à la requérante le droit de réclamer le versement des intérêts moratoires sur le montant en principal de l’amende remboursé (voir arrêt Greencore, point 47), ne peut qu’être annulée.

56     En effet, la motivation de cette décision est essentiellement et exclusivement fondée sur la prémisse selon laquelle Greencore n’avait pas formé de recours en annulation contre une prétendue décision implicite de refus de payer des intérêts, intervenue à un stade antérieur et devenue définitive (voir point 15 ci-dessus).

57     Or, selon la Cour (point 45 de l’arrêt Greencore), le remboursement par la Commission du seul montant en principal, sans prise de position explicite sur la demande de paiement des intérêts, n’était pas constitutif d’une telle décision implicite de rejet de cette demande. La Cour a donc rejeté comme incorrecte la prémisse sur laquelle reposait l’ensemble de la motivation de la décision attaquée. Ladite décision apparaît ainsi entachée d’une erreur de droit.

58     Cette conclusion n’est pas susceptible d’être remise en cause par les nouveaux arguments invoqués par la Commission dans sa duplique. En effet, dans la mesure où ils s’écartent sensiblement des motifs exposés dans la décision attaquée, ces arguments ne sauraient être pris en considération par le Tribunal (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22 ; du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, C‑329/93, C‑62/95 et C‑63/95, Rec. p. I‑5151, points 47 et 48, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P à C‑205/02 P, C‑208/02 P et C‑213/02 P, non encore publié au Recueil, points 462 et 463 ; arrêt du Tribunal du 18 janvier 2005, Confédération nationale du Crédit mutuel/Commission, T‑93/02, non encore publié au Recueil, points 124 à 126).

59     Surabondamment, le Tribunal relève que, bien qu’il soit présenté comme un argument de fond, l’argument principal de la duplique, tiré des exigences de la sécurité juridique et du délai prétendument déraisonnable et injustifié écoulé entre le remboursement du montant en principal de l’amende, le 4 janvier 2000, et la nouvelle demande tendant au paiement des intérêts, introduite le 1er novembre 2001, est identique, en substance, à la fin de non-recevoir invoquée par la Commission au cours de la procédure sur pourvoi devant la Cour et résumée au point 30 ci-dessus (voir point 19 du pourvoi et arrêt Greencore, point 29). La Commission faisait essentiellement valoir que la requérante était forclose à agir en annulation, dès lors qu’elle n’avait pas engagé de procédure en carence dans un délai raisonnable après le 4 janvier 2000. Selon la Commission, admettre la recevabilité du recours en annulation formé par Greencore revenait à permettre à celle-ci de contourner les conditions d’introduction d’un recours en carence.

60     Or, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, la Cour a déjà rejeté cet argument au point 46 de l’arrêt Greencore.

61     Le Tribunal ne pourrait donc faire droit à l’argumentation de la Commission qu’en remettant en cause le point de droit tranché par la Cour au point 46 de l’arrêt Greencore. Le fait que la Cour s’y soit prononcée sur la recevabilité, et non pas sur le fond de l’affaire, est sans pertinence à cet égard, puisque l’argument de la Commission concerne, précisément, une question de recevabilité et non pas de fond, ainsi que le confirment tant son invocation des exigences de la sécurité juridique et de la notion de réouverture de délais de recours expirés que la référence qu’elle a faite, lors de l’audience, à l’arrêt Pays-Bas/Commission, point 54 supra, par lequel la Cour a rejeté le recours des Pays-Bas comme irrecevable au nom de ces mêmes exigences.

62     Une telle remise en cause est cependant interdite au Tribunal par l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour, aux termes duquel le Tribunal est lié, dans le cadre de l’instance de renvoi après cassation, par les points de droit tranchés par la décision de la Cour.

63     En tout état de cause, le Tribunal considère que le délai de vingt-deux mois écoulé entre le paiement du principal sans les intérêts, le 4 janvier 2000, et la demande adressée à la Commission par lettre recommandée du 1er novembre 2001, était raisonnable et justifié dans les circonstances spécifiques de l’espèce, relevées d’office par la Cour aux points 5 à 7 et 10 de l’arrêt Greencore et rappelées aux points 5 à 7 et 11 ci-dessus. Ces circonstances distinguent la présente affaire de celle à l’origine de l’arrêt Pays-Bas/Commission, point 54 supra.

64     En effet, l’inaction de la requérante peut raisonnablement se justifier par la circonstance qu’elle attendait l’issue de la procédure dans l’affaire T‑171/99 avant de reprendre contact avec la Commission au sujet du versement des intérêts. Il convient de relever, à cet égard, que la requérante avait manifestement connaissance de cette procédure (voir la télécopie de son avocat du 26 octobre 1999) et qu’elle a renoué contact avec la Commission dès le 1er novembre 2001, soit une vingtaine de jours seulement après le prononcé de l’arrêt Corus.

65     Il est vrai que la connaissance qu’avait la requérante du recours introduit par British Steel dans l’affaire T‑171/99 ne la dispensait pas de veiller à la sauvegarde de ses propres intérêts et qu’elle aurait pu, comme le relève la Commission, soit poursuivre immédiatement dans la voie du recours en carence soit, à tout le moins, obtenir formellement l’accord de la Commission pour que la question du versement des intérêts en faveur d’Irish Sugar soit laissée en suspens jusqu’au prononcé de l’arrêt Corus.

66     En l’espèce, toutefois, il y a lieu de tenir compte également de la circonstance qu’Irish Sugar avait saisi la Cour, le 21 décembre 1999, soit avant même le remboursement du principal, d’un pourvoi contre l’arrêt Irish Sugar. La requérante était ainsi en droit de considérer que le montant de la créance de sa filiale envers la Commission, aussi bien en principal qu’en intérêts, accessoires et dépens, ne pourrait être définitivement établi qu’après le prononcé de l’arrêt de la Cour dans l’instance sur pourvoi, voire après l’issue de la procédure sur renvoi devant le Tribunal, en cas d’annulation de l’arrêt Irish Sugar. Dans ces conditions, il n’était pas déraisonnable que la requérante préfère attendre l’issue de cette procédure avant de s’adresser à nouveau à la Commission à propos des intérêts moratoires auxquels elle estimait avoir droit sur le montant en principal déjà remboursé.

67     Le pourvoi formé par Irish Sugar a été rejeté par ordonnance de la Cour du 10 juillet 2001. L’arrêt Corus, en délibéré depuis l’audience du 15 novembre 2000, a été prononcé trois mois plus tard exactement et, comme il a déjà été indiqué ci‑dessus, la requérante a invité la Commission à agir vingt jours plus tard seulement, par lettre du 1er novembre 2001.

68     Par ailleurs, la circonstance que la Commission n’avait pas expressément pris position sur la demande de la requérante du 27 octobre 1999 distingue la présente affaire de l’affaire à l’origine de l’arrêt Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., point 15 supra, dans laquelle il existait bien une décision explicite contre laquelle l’entreprise concernée eut pu – et dû – exercer un recours et où, par conséquent, se posait la question d’une éventuelle possibilité de réouverture de délais de recours expirés.

69     Dans ces conditions, le Tribunal considère que les exigences de la sécurité juridique ne font pas obstacle à ce qu’il soit fait droit au présent recours en annulation.

 Sur les dépens

70     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents à l’instance sur pourvoi devant la Cour, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 11 février 2002, par laquelle la Commission a refusé de faire droit à la demande de la requérante tendant à ce que des intérêts moratoires soient versés à sa filiale Irish Sugar plc sur le montant en principal remboursé à celle-ci en exécution d’un arrêt du Tribunal, est annulée.

2)      La Commission est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à l’instance sur pourvoi devant la Cour.

Pirrung

Forwood

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2005.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      J. Pirrung


* Langue de procédure : l’anglais.