Language of document : ECLI:EU:T:2013:672

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

28 novembre 2013 (*)

« Intervention – Demande de confidentialité »

Dans l’affaire T‑260/13,

Ryanair Holdings plc, établie à Dublin (Irlande), représentée par Me G. Berrisch, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, A. Biolan, N. Khan et N. von Lingen, en qualité d’agents, et M. D. Bailey, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C(2013) 1106 de la Commission, du 27 février 2013, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE (Affaire COMP/M.6663 – Ryanair/Aer Lingus III),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

rend la présente

Ordonnance

 Sur la justification d’un intérêt à la solution du litige

1        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 août 2013, The Dublin Airport Authority plc (la DAA) a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la partie défenderesse, la Commission européenne. Cette demande a été signifiée aux parties conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

2        Par lettre reçue au greffe du Tribunal le 10 septembre 2013, la partie requérante, Ryanair Holdings plc (Ryanair), a soulevé des objections à ce que cette demande d’intervention soit accueillie.

3        Par lettre reçue au greffe du Tribunal le 11 septembre 2013, la Commission s’en est remise au Tribunal pour décider si les éléments invoqués par la DAA révèlent un intérêt suffisant pour intervenir.

4        En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, toute personne pouvant justifier d’un intérêt à la solution du litige autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union européenne ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir au litige.

5        Conformément à une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre d’un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes. À cet égard, il convient notamment de vérifier que l’intervenant est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain [ordonnance du président de la Cour du 8 juin 2012, Schenker/Deutsche Lufthansa e.a., C‑602/11 P(I), non publiée au Recueil, point 10 et la jurisprudence citée].

6        En l’espèce, le présent litige a pour objet une demande d’annulation de la décision n° C(2013) 1106 de la Commission, du 27 février 2013, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.6663 – Ryanair/Aer Lingus III, ci-après la « décision »). Cette décision a interdit la réalisation de l’acquisition d’Aer Lingus envisagée par Ryanair, laquelle visait à rassembler les deux principales compagnies aériennes opérant depuis l’Irlande.

7        Au soutien de sa demande à intervenir dans la présente affaire, la DAA, une entreprise détenue par l’État irlandais qui assure la gestion des aéroports de Dublin et de Cork en Irlande, fait notamment valoir les deux raisons suivantes pour justifier de son intérêt à la solution du litige.

8        D’une part, la DAA expose différents éléments relatifs à son activité commerciale et à l’impact que la concentration envisagée pourrait avoir si elle était menée à bien. La DAA indique ainsi que Ryanair et Aer Lingus sont ses deux plus gros clients à l’aéroport de Dublin et à l’aéroport de Cork. En ce qui concerne l’aéroport de Dublin, d’où partent plus de 80 % des passagers utilisant les transports aériens en Irlande, la DAA fait valoir que s’il s’avère que l’opération envisagée ne pouvait pas être interdite, Ryanair serait en mesure d’influencer de manière significative tant le développement à venir de cet aéroport que ses activités actuelles. En particulier, du fait du modèle économique épuré pratiqué par Ryanair, son influence serait telle qu’elle rendrait beaucoup plus difficile la possibilité pour la DAA de proposer et de financer des services attractifs pour les concurrents actuels et potentiels de Ryanair, dont les attentes peuvent être considérablement différentes.

9        Dans ses observations sur la demande d’intervention, Ryanair fait observer à cet égard que, par analogie avec la solution exposée au point 15 de l’ordonnance du président de la Cour, Schenker/Deutsche Lufthansa e.a., point 5 supra, aux termes duquel « la qualité de client des entreprises participant à une entente ne suffit pas, à elle seule, pour justifier le droit d’intervenir dans le cadre d’un litige dans lequel les entreprises incriminées mettent en cause la légalité de la décision constatant et sanctionnant l’entente supposée », il devrait être considéré que la qualité de fournisseur des entreprises fusionnées ne suffit pas, à elle seule, à justifier un tel droit. De plus, l’impact de la concentration envisagée sur l’activité commerciale de la DAA serait basé sur des suppositions. En outre, Ryanair souligne également qu’elle ne demande pas l’annulation de la décision parce que la Commission n’aurait pas correctement apprécié la situation de concurrence, mais parce que celle-ci n’aurait pas correctement évalué les engagements proposés pour remédier aux problèmes identifiés. En considération des engagements proposés par Ryanair, la DAA n’aurait pas été confrontée à une entité susceptible d’avoir une influence significative sur le développement et les activités de l’aéroport de Dublin, mais à une entité qui ne représenterait moins de 56 % des créneaux horaires de cet aéroport ; une partie des créneaux de l’entité fusionnée étant redistribuée à d’autres opérateurs.

10      De telles observations ne sauraient toutefois suffire à réfuter l’intérêt qu’il y a pour une entreprise à intervenir dans un litige qui porte sur la légalité de la décision interdisant la réalisation d’une opération de concentration, s’il s’avère, ce qui est le cas s’agissant de la DAA, que la réalisation de l’opération envisagée est susceptible de porter atteinte à son activité commerciale.

11      En effet, en cas de réalisation de l’opération actuellement interdite par la Commission, l’entité fusionnée représenterait alors une partie importante, voire même en l’espèce probablement essentielle, de la clientèle de la DAA. Il convient d’ailleurs de noter que, à supposer même que les engagements proposés par Ryanair aient été de nature à remédier aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission dans la décision, l’entité fusionnée resterait l’un des principaux clients de la DAA avec 56 % des créneaux utilisés sur l’aéroport de Dublin selon ce qui est indiqué par Ryanair (voir point 9 ci-dessus).

12      De plus, en réponse à l’allégation de Ryanair selon laquelle l’impact de l’opération caractérisé par la DAA serait basé sur des suppositions et ne devrait donc pas être pris en compte, il y a lieu de relever que de telles suppositions, inhérentes au contrôle des concentrations, reposent ici sur un scénario qui peut, à tout le moins, être envisageable compte tenu des particularités du modèle économique adopté par Ryanair avancées par la DAA (voir point 8 ci-dessus). Un tel scénario peut ici être pris en considération quand il s’agit d’apprécier l’intérêt à la solution du litige de la DAA.

13      La situation de la DAA dans la présente affaire diffère ainsi, comme cela est indiqué à juste titre par la Commission dans ses observations, de celle de Canonical dans l’affaire T-292/10, Monty Program/Commission. Dans cette affaire, qui a pour objet une demande d’annulation de la décision n° C(2010) 142 de la Commission, du 21 janvier 2010, déclarant une concentration compatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.5529 – Oracle/Sun Microsystems), Canonical souhaitait intervenir au soutien de la Commission au motif que son activité utilisait des produits des parties à la concentration. Pour refuser cette demande d’intervention, le président de la première chambre du Tribunal a indiqué, au point 14 de son ordonnance du 8 avril 2011 dans l’affaire précité, qu’« il n’est pas avéré que l’issue [de ce] litige, en particulier une potentielle annulation par le Tribunal de la décision attaquée […] soit susceptible de porter atteinte à l’activité commerciale de Canonical [… ; en] effet Canonical n’a ni avancé ni établi que cette activité ait été exposée à des interférences avant, durant et après la procédure administrative ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée ». Dès lors, il n’apparait pas plausible pour le président de la première chambre du Tribunal « qu’une éventuelle annulation de la décision attaquée puisse affecter davantage cette activité, même à supposer que, à la suite d’un nouvel examen, la Commission soit amenée à interdire la concentration en cause pour ainsi rétablir le statu quo ex ante ». Ce raisonnement s’applique, a contrario, dans la présente affaire.

14      Dès lors, dans la mesure où la réalisation de l’opération envisagée est susceptible de porter atteinte à l’activité commerciale de la DAA, celle-ci est déjà en droit d’intervenir dans le litige qui a pour objet la légalité de la décision de la Commission qui en interdit la réalisation.

15      D’autre part, la DAA rappelle qu’elle a participé à la procédure administrative devant la Commission. En effet, à cette occasion, DAA a été reconnue en tant que personne morale justifiant d’un intérêt suffisant pour être entendue, au sens de l’article 18, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L. 24, p. 1) et de l’article 11, sous c), du règlement (CE) n° 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 133, p. 1). Dans ce cadre, DAA a pu présenter à la Commission ses commentaires sur la communication des griefs ainsi que ses observations écrites et orales.

16      Dans ses observations sur la demande d’intervention, Ryanair se prévaut à cet égard et par analogie du point 16 de l’ordonnance du président de la Cour, Schenker/Deutsche Lufthansa e.a., point 5 supra, duquel il ressortirait qu’un tel élément ne suffit pas pour établir un « intérêt à agir à la solution du litige ».

17      Contrairement toutefois à ce que fait valoir Ryanair, la participation de la DAA à la procédure administrative constitue un élément à prendre en considération pour déterminer son intérêt à la solution du litige dans la présente affaire.

18      En effet, le point 16 de l’ordonnance du président de la Cour, Schenker/Deutsche Lufthansa e.a., point 5 supra, indique à ce propos et en considération des données propres à cette affaire :

« Enfin, en ce qui concerne la non-participation de Schenker à la procédure administrative ayant abouti à la décision litigieuse, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort des points 14, 16 et 17 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal n’a pas considéré la participation à cette procédure comme une exigence nécessaire afin de justifier d’un intérêt à la solution du litige. Il a, de manière générale, considéré que la participation active à la procédure administrative devant la Commission et le dépôt d’une plainte ayant conduit à l’enquête de la Commission et à l’adoption de la décision attaquée sont des éléments susceptibles d’établir, dans certaines circonstances, l’existence d’un intérêt à la solution du litige. »

19      La Cour valide donc le raisonnement exposé par le Tribunal aux points 14, 16 et 17 de son ordonnance du 25 octobre 2011, Deutsche Lufthansa e.a./Commission, T‑46/11, non publiée au Recueil, aux termes desquels celui-ci indique, tout d’abord, qu’en matière d’ententes, le juge de l’Union a admis l’intervention de certaines entreprises dans les cas où l’intervention concernait, notamment, des parties qui ont participé activement à la procédure administrative devant la Commission et/ou avaient déposé la plainte qui avait conduit à l’enquête de la Commission et à l’adoption de la décision attaquée (ordonnance du président du Tribunal du 7 juillet 1998, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98 R, Rec. p. II‑2641) ; ensuite, que la situation de telles entreprises n’est pas comparable à celle de Schenker dès lors que dans ces affaires, la solution du litige avait directement un impact sur la liberté économique d’action des demanderesses en intervention et, partant, sur leur activité commerciale et que, en outre, la plupart desdites demanderesses en intervention avaient soit déposé une plainte auprès de la Commission, soit participé à la procédure administrative ; pour conclure que, en l’espèce, il n’est pas avéré que l’issue du présent litige soit susceptible de porter atteinte à l’activité commerciale de Schenker, en raison, notamment, du fait que celle-ci n’a jamais déposé de plainte auprès de la Commission au sujet des comportements visés par la décision attaquée et n’a pas participé à la procédure administrative, d’une quelconque manière, devant celle-ci.

20      Or, dans la présente affaire, non seulement la réalisation de l’opération envisagée est susceptible porter atteinte à l’activité commerciale de la DAA, mais encore il ressort clairement du dossier que celle-ci a participé à la procédure administrative de la Commission.

21      Il ressort de ce qui précède que comme, d’une part, l’activité commerciale de la DAA est susceptible d’être affectée par l’opération envisagée, dont la réalisation est actuellement prohibée par la décision qui empêche la constitution de l’entité fusionnée mise en cause par la DAA, et étant donné, d’autre part, que cette entreprise a participé à la procédure administrative qui a abouti à cette décision, la DAA possède un intérêt direct et actuel à la solution du litige et doit donc être admise à intervenir au litige au soutien des conclusions de la Commission.

22      La communication au Journal officiel de l’Union européenne visée à l’article 24, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal ayant été publiée le 26 juin 2013, la demande d’intervention a été présentée dans le délai prévu à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure, et les droits de l’intervenante seront ceux prévus à l’article 116, paragraphes 2 à 4, de ce même règlement.

 Sur la demande de confidentialité

23      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 26 septembre 2013, Ryanair a demandé que, conformément à l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure, certains éléments confidentiels du dossier soient exclus de la communication à la DAA et a produit, aux fins de cette communication, une version non confidentielle des mémoires et pièces en question.

24      À ce stade, la communication à la DAA des actes de procédure doit donc être limitée à une version non confidentielle de ces actes. Une décision sur le bien-fondé de la demande de confidentialité sera, le cas échéant, prise ultérieurement au vu des objections ou des observations qui pourraient être présentées à ce sujet.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Dublin Airport Authority plc (la DAA) est admise à intervenir dans l’affaire T‑260/13 à l’appui des conclusions de la partie défenderesse.

2)      Le greffier communiquera à la DAA une version non confidentielle de chaque acte de procédure signifié aux parties.

3)      Un délai sera fixé à la DAA pour présenter ses observations éventuelles sur la demande de traitement confidentiel. La décision sur le bien-fondé de cette demande est réservée.

4)      Un délai sera fixé à la DAA pour présenter un mémoire en intervention, sans préjudice de la possibilité de le compléter, le cas échéant, ultérieurement, à la suite d’une décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel.

5)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 28 novembre 2013.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      S. Frimodt Nielsen


* Langue de procédure : l’anglais.