Language of document : ECLI:EU:T:2012:355

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

10 juillet 2012 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Relations extérieures – Appel d’offres émis par l’AER concernant des travaux au poste‑frontière de Preševo (Serbie), le financement de ces travaux et d’autres mesures connexes – Absence de lien de causalité »

Dans l’affaire T‑587/10,

Holding kompanija Interspeed a.d., établie à Belgrade (Serbie), représentée par Me M. Bošnjak, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Erlbacher et Mme B. Rous, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant à la réparation de dommages résultant prétendument de travaux réalisés au poste‑frontière de Preševo (Serbie) conformément à un contrat financé par l’AER,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias (rapporteur), juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 février 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Contexte juridique dans lequel s’inscrivent les activités de l’AER

1        À compter de 1996, l’assistance communautaire en faveur de la Bosnie‑Herzégovine, de la Croatie, de la République fédérale de Yougoslavie et de l’ancienne République yougoslave de Macédoine a été mise en œuvre dans le cadre du règlement (CE) n° 1628/96 du Conseil, du 25 juillet 1996, relatif à l’aide à la Bosnie‑Herzégovine, à la Croatie, à la République fédérale de Yougoslavie et à l’ancienne République yougoslave de Macédoine (JO L 204, p. 1).

2        Afin d’assurer la coordination, sur place, de l’assistance communautaire, l’Agence européenne pour la reconstruction (AER) a été instituée par le règlement (CE) n° 2454/1999 du Conseil, du 15 novembre 1999, portant modification du règlement nº 1628/96, notamment par la création de l’AER (JO L 299, p. 1). Son champ d’action était initialement limité au Kosovo.

3        En 2000, les textes sur lesquels reposait l’assistance communautaire ont été refondus.

4        D’une part, le règlement n° 1628/96 a été abrogé par le règlement (CE) nº 2666/2000 du Conseil, du 5 décembre 2000, relatif à l’aide à l’Albanie, à la Bosnie‑et‑Herzégovine, à la Croatie, à la République fédérale de Yougoslavie et à l’ancienne République yougoslave de Macédoine et abrogeant le règlement nº 1628/96 ainsi que modifiant les règlements (CEE) nº 3906/89 et (CEE) nº 1360/90 et les décisions 97/256/CE et 1999/311/CE (JO L 306, p. 1).

5        D’autre part, les dispositions relatives à l’AER introduites par le règlement n° 2454/1999 ont été reprises et modifiées par le règlement (CE) nº 2667/2000 du Conseil, du 5 décembre 2000, relatif à l’AER (JO L 306, p. 7).

6        Le règlement nº 2667/2000 définit les règles portant sur l’organisation et le fonctionnement de l’AER. En particulier, l’article 1er de ce règlement, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que la Commission des Communautés européennes peut notamment déléguer à l’AER l’exécution de l’assistance communautaire prévue à l’article 1er du règlement n° 2666/2000 en faveur de la Communauté d’États de Serbie‑et‑Monténégro. L’article 2, paragraphe 1, sous b) et c), du même règlement ajoute, d’une part, que l’AER assure la mise en oeuvre de cette assistance en s’appuyant chaque fois que nécessaire sur des opérateurs sélectionnés par appel d’offres, d’autre part, qu’elle élabore, suivant les orientations fournies par la Commission, des projets de programmes pour la reconstruction de la Communauté d’États de Serbie‑et‑Monténégro, et, enfin, qu’elle peut être chargée par la Commission de toutes les opérations nécessaires à la mise en œuvre de ces programmes. Quant à l’article 3 dudit règlement, il précise que l’AER est dotée de la personnalité juridique.

7        Enfin, aux termes de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 2667/2000 :

« En matière de responsabilité non contractuelle, l’[AER] doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par l’[AER] ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

La Cour de justice est compétente pour connaître des litiges relatifs à la réparation de tels dommages. »

8        À la date de fin de validité du règlement n° 2667/2000, c’est‑à‑dire le 1er janvier 2009, la Communauté, représentée par la Commission, est devenue titulaire des droits et sujet des obligations de l’AER (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 septembre 2011, CMB et Christof/Commission, T‑407/07, non publié au Recueil, point 40).

 Choix par les autorités serbes d’un « investisseur » au poste‑frontière de Preševo

9        Le 15 février 1995, la République fédérale de Yougoslavie a conclu avec la requérante, Holding kompanija Interspeed a.d., deux contrats, portant les références D‑1477 et D‑1477/1, dans lesquels cette dernière était qualifiée d’« investisseur ».

10      Par le contrat D‑1477, la requérante s’est engagée, en particulier, à concevoir et à construire un terminal destiné aux poids lourds au poste‑frontière de Preševo (Serbie). En contrepartie, elle a obtenu le droit d’y exercer des activités à but lucratif durant une période de 20 ans (article 4).

11      Par le contrat D‑1477/1, la requérante a consenti à concevoir et à construire divers bâtiments, pour le compte de la République fédérale de Yougoslavie, sur le site du poste‑frontière de Preševo. En contrepartie, elle s’est vue reconnaître le droit de construire, pour son propre usage, quatre magasins proposant des produits hors‑taxes qu’il lui était loisible d’exploiter pendant une durée de 20 ans (article 4).

12      En juillet 2003, le gouvernement de la République de Serbie a adopté un texte dénommé par les parties « ordonnance », et portant le numéro 351‑4462/2003‑1 (ci-après l’« ordonnance de juillet 2003 »). Celle‑ci visait en particulier, en son article 1er, des « projets de construction » au poste‑frontière de Preševo et prévoyait, en son article 2, d’intégrer au patrimoine de la République de Serbie les biens immobiliers situés, notamment, à ce poste‑frontière. En outre, elle précisait, en ce même article, que le gouvernement serbe y interviendrait dorénavant en tant qu’« investisseur » et assumerait les droits et obligations attachés à cette qualité. Enfin, en vertu de son article 3, la société GDS était chargée, pour le compte de la République de Serbie, de reprendre les droits et obligations de l’« investisseur » visé à son article 2.

 Financement communautaire de travaux d’amélioration du poste‑frontière de Preševo

13      Le 14 mai 2004, la Commission a établi, au titre de l’année 2004, le programme d’action prévu par l’article 3 du règlement n° 2666/2000 relatif à la Communauté d’États de Serbie‑et‑Monténégro et à la République de Serbie. Il y était indiqué, au point 5.1.5, que la Communauté européenne continuerait à fournir une assistance destinée à l’amélioration des plus importants points de passage transfrontaliers, et notamment de celui de Preševo.

14      Le 30 juillet 2004, a pris effet un accord de financement, conclu entre la Communauté, représentée par la Commission, d’une part, et la Communauté d’États de Serbie‑et‑Monténégro ainsi que la République de Serbie, d’autre part.

15      Le 24 septembre 2004, l’AER a conclu le contrat 04SER01/05/001 avec la société B., lequel avait pour objet la vérification de la conception, l’assistance dans le cadre d’un appel d’offres et la supervision de travaux relatifs au poste‑frontière de Preševo.

16      Sur le fondement de l’accord de financement mentionné au point 14 ci‑dessus, l’AER a publié, le 19 décembre 2006, l’appel d’offres 04SER01/05/004, lequel portait sur la construction d’infrastructures et de bâtiments au point de passage frontalier de Preševo (phase « Ia »). Il y était indiqué que l’AER assurait le financement du projet et était responsable du lancement de l’appel d’offres, de l’évaluation des offres et de l’attribution du marché. En outre, il était précisé que la société GDS serait la bénéficiaire du financement et agirait comme autorité contractante.

17      Au mois de mai 2007, l’autorité contractante, à savoir la société GDS, a conclu le contrat 04SER01/05/004 avec le candidat retenu à l’issue de l’appel d’offres, à savoir la société PU. Il y était précisé que l’AER, en tant qu’organisme responsable du paiement, contresignait (endorsed) ce contrat. En outre, l’article 5 du contrat indiquait, d’une part, que la contribution de l’AER n’excéderait pas 4 980 696,99 euros et, d’autre part, que l’AER n’aurait aucune obligation ou responsabilité au titre de ce contrat au-delà de cette contribution.

18      Le 4 septembre 2008, l’AER a signé, au nom et pour le compte de la République de Serbie, les contrats relatifs aux lots nos 1 et 2 du contrat 06SER01/02/009, dont l’objet était la fourniture d’équipements destinés à être utilisés à certains postes frontaliers par l’administration des douanes et la police aux frontières serbes. Ces contrats ont été ultérieurement modifiés par voie d’avenants. Antérieurement, l’AER avait signé, au nom et pour le compte de la République de Serbie, deux contrats à caractère technique, à savoir le contrat 05SER01/06/11/001 ayant pour objet l’ « assistance technique pour le contrôle de l’installation des fournitures pour les équipements vétérinaires et sanitaires au poste d’inspection frontalier de Preševo » ainsi que le contrat 05SER01/06/10/001 intitulé « Résolution des défauts de la chromatographie par perméation de gel ».

19      Le 16 décembre 2008, la Communauté, représentée par la Commission, a conclu, au nom et pour le compte de la République de Serbie, le contrat 06SER01/02/008, dont l’objet était la « supervision additionnelle » des travaux relatifs au poste‑frontière de Preševo.

20      Le 15 septembre 2010, les travaux de construction prévus par le contrat 04SER01/05/004, mentionné au point 17 ci‑dessus (à savoir ceux portant sur la phase « Ia » du projet de poste‑frontière), ont été achevés et réceptionnés par la société GDS.

 Démarches réalisées par la requérante auprès de l’AER

21      Par lettre du 21 février 2005, la requérante a signalé à l’AER l’existence d’un différend l’opposant aux autorités serbes au sujet du poste‑frontière de Preševo. Elle y indiquait que les contrats D‑1477 et D‑1477/1 (visés aux points 9 à 11 ci‑dessus) lui avaient conféré des droits pendant une période de 20 ans. Elle ajoutait qu’une violation de ceux‑ci imposerait qu’une indemnisation lui soit versée. La requérante concluait en indiquant que, en l’absence d’accord amiable avec les autorités serbes s’agissant du montant de cette indemnisation, elle demanderait, devant les tribunaux nationaux, à ces mêmes autorités de lui verser une indemnité en réparation de l’intégralité des dommages subis.

22      Par lettre du 28 juin 2005, la requérante a rappelé à l’AER la teneur de sa précédente lettre, datée du 21 février 2005.

23      Par lettre du 8 juillet 2005, l’AER a répondu à la requérante, d’une part, que le litige dont elle lui avait fait part ne la concernait pas et, d’autre part, que la question était « dans les mains du gouvernement de Serbie ». Une copie de cette lettre a été adressée aux autorités serbes.

24      Par lettres des 4 et 19 février 2007, la requérante a rappelé à l’AER que les autorités serbes ne lui avaient versé aucune indemnisation en réparation des dommages qu’elle avait subis. Elle a ajouté qu’il lui apparaissait inenvisageable que les travaux mentionnés dans l’appel d’offres 04SER01/05/004 puissent commencer en l’absence de résolution du litige l’opposant aux autorités serbes.

25      Par lettre du 12 octobre 2007, la requérante a rappelé à l’AER les termes de ses courriers antérieurs. En outre, elle a demandé à l’AER de s’investir directement dans la résolution du litige l’opposant à la République de Serbie.

26      Par lettre du 16 novembre 2007, l’AER a indiqué à la requérante qu’elle avait transmis son courrier aux autorités compétentes. Elle a ajouté que la société GDS était l’autorité contractante s’agissant du projet prévu à Preševo et a précisé que le ministère chargé des infrastructures avait octroyé à cette société un permis de construire ainsi qu’une autorisation de travaux. Enfin, l’AER a fait valoir qu’elle n’avait pas compétence pour résoudre le litige dont la requérante lui faisait état.

27      Par lettre du 13 mars 2008, la requérante a, en particulier, demandé à l’AER de faire son possible afin de convaincre les autres parties au litige qu’il était nécessaire de suivre une procédure conforme au droit (« in order to show the need for the legal procedure »). À cette fin, elle a suggéré à l’AER d’organiser une réunion de concertation avec des représentants de la société GDS et des autorités serbes.

28      Par lettre du 19 mars 2008, l’AER a rappelé à la requérante les termes de sa précédente correspondance et a précisé que son rôle consistait uniquement à fournir un financement et une assistance technique pour le projet prévu à Preševo.

29      Par lettre du 5 novembre 2008, la requérante a indiqué qu’elle avait proposé à la société GDS de la rencontrer, mais que celle‑ci n’avait pas répondu à sa proposition. Elle a en outre demandé à l’AER d’user de son influence pour convaincre ladite société du bien‑fondé d’une telle rencontre.

 Conséquences des démarches réalisées par la requérante auprès de l’AER

30      Il n’est pas contesté que l’AER entendait financer l’intégralité du projet portant sur la reconstruction du poste‑frontière de Preševo. Ainsi, il était initialement prévu qu’elle finance non seulement la phase « Ia » de ce projet, mais également la phase « Ib ». Ainsi qu’il ressort du point 17 ci‑dessus, l’AER a effectivement décidé de financer le contrat 04SER01/05/004, relatif à la phase « Ia » du projet. En revanche, par lettre du 18 avril 2008, l’AER a informé les autorités serbes de ce qu’elle avait décidé d’« annuler » la procédure d’appel d’offres concernant la phase « Ib » du projet. Cette décision faisait suite à une réunion ayant rassemblé des représentants de la société GDS et de l’AER le 27 juillet 2006, au cours de laquelle il lui avait été indiqué que l’exécution de la phase « Ia » du projet n’était pas de nature à causer préjudice à la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 décembre 2010, la requérante a introduit le présent recours. Elle y conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à verser, à titre de dommages‑intérêts, une somme de 131 879 601 euros, assortie d’intérêts de retard au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement, majoré de deux points de pourcentage, à compter de la date d’introduction de la requête ;

–        désigner un expert, procéder à une descente sur les lieux et entendre son représentant légal ;

–        condamner la Commission aux dépens.

32      Le 5 avril 2011, la Commission a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense. Elle y conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens ou, à titre subsidiaire, pour le cas où il n’aurait pas été fait droit à sa demande en indemnité, statuer conformément à l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal et condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.

33      Contrairement à ce que prétend la requérante, le mémoire en défense est parvenu au greffe du Tribunal avant que n’expire le délai imparti pour ce faire à la Commission en vertu des dispositions combinées de l’article 46, paragraphe 1, et de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, lequel correspond à un délai de deux mois augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours. En effet, la requête étant parvenue, ainsi qu’il ressort de l’accusé de réception, à la Commission le 27 janvier 2011, ce délai courait jusqu’au 6 avril 2011.

34      Quant à la réplique et à la duplique, elles ont été, respectivement, déposées au greffe du Tribunal le 30 mai et le 14 septembre 2011.

35      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 16 novembre 2011, la requérante a présenté une demande tendant à ce que le président du Tribunal ordonne que l’affaire soit traitée par priorité, laquelle a été rejetée par décision du 13 décembre 2011.

36      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité la Commission à produire divers documents et l’ensemble des parties à répondre par écrit à diverses questions.

37      Lors de l’audience du 28 février 2012, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.

 En droit

38      Selon la jurisprudence, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir, premièrement, l’imputabilité du comportement reproché à une institution ou à un organe de l’Union, deuxièmement, l’illégalité de ce comportement, troisièmement, l’existence d’un préjudice réel et certain et, quatrièmement, l’existence d’un lien direct de causalité entre ledit comportement et le préjudice allégué. Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions sont satisfaites (voir arrêt du Tribunal du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, Rec. p. II‑1291, points 76 et 77, et la jurisprudence citée).

39      S’agissant de la condition tenant à l’existence d’un lien de causalité, il convient de rappeler qu’un tel lien est admis lorsqu’il existe une relation de cause à effet suffisamment directe entre le comportement reproché et le préjudice allégué, relation dont il appartient au requérant d’apporter la preuve. Le comportement reproché doit ainsi être la cause déterminante du préjudice allégué (voir arrêt du Tribunal du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission, T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, Rec. p. II‑4883, point 85, et la jurisprudence citée).

40      En particulier, lorsque, d’une part, le comportement reproché à une institution ou à un organe de l’Union s’insère dans un processus plus vaste, auquel des tiers ont participé, et, d’autre part, le préjudice allégué a pour cause immédiate une intervention d’un de ces tiers, il incombe au juge de l’Union de vérifier si cette intervention était rendue inévitable du seul fait de l’adoption du comportement reproché, ou si, au contraire, elle constituait la manifestation d’une volonté autonome. Dans ce dernier cas, il lui appartient de constater la rupture du lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice allégué, le premier ne pouvant être la cause déterminante du second (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 30 avril 2009, CAS Succhi di Frutta/Commission, C‑497/06 P, non publié au Recueil, points 61 et 62 ; du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission, C‑419/08 P, Rec. p. I‑2259, point 59 ; du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, points 56 et 57 ; du 25 juin 1997, Perillo/Commission, T‑7/96, Rec. p. II‑1061, point 42, et Arizmendi e.a./Conseil et Commission, point 39 supra, points 92 et 93).

41      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les conclusions en indemnité présentées par la requérante.

 Sur l’engagement de la responsabilité de l’Union à raison des travaux de reconstruction du poste‑frontière de Preševo, de leur financement et du choix de leur exécutant

 Motifs pour lesquels, selon la requérante, la responsabilité de l’Union est engagée

42      Par le présent recours, la requérante invoque la responsabilité non contractuelle de l’Union.

43      À l’appui de ce recours, la requérante expose que, dans les contrats D‑1477 et D‑1477/1, il lui est reconnu la qualité d’« investisseur » sur le site du poste‑frontière de Preševo. En cette qualité, elle aurait réalisé différentes constructions pour le compte de la République fédérale de Yougoslavie et aurait disposé, en contrepartie, de droits spécifiques : le contrat D‑1477 l’aurait autorisée à tirer des revenus du terminal douanier destiné aux poids lourds, et ce pendant 20 ans ; quant au contrat D‑1477/1, il lui aurait permis de construire et d’exploiter, pendant 20 ans également, quatre magasins ; toutefois, un seul aurait été construit à ce jour.

44      En outre, la requérante indique que, par une décision du 15 mai 2007 prise en conformité avec le « plan d’aménagement pour le poste‑frontière de Preševo » publié dans le Journal officiel de la République de Serbie n° 26/02, l’autorisation de construire un centre commercial à proximité dudit poste‑frontière lui a été accordée. En 2009, la construction de ce centre commercial aurait été presque entièrement achevée. En outre, des baux commerciaux auraient été conclus.

45      Après avoir rappelé ces éléments, la requérante fait valoir, en premier lieu, que les travaux exécutés en application du contrat 04SER01/05/004 ont porté atteinte aux droits qu’elle tirait des contrats D‑1477 et D‑1477/1 ainsi que de la décision du 15 mai 2007 (citée au point 44 ci-dessus). Cette atteinte constitue, selon elle, une méconnaissance du principe de sécurité juridique et du droit au respect des biens, lequel est consacré à l’article 1er du protocole n° 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et est reconnu en tant que principe général commun aux États membres de l’Union. En outre, ladite atteinte présenterait un caractère excessif au regard de l’objet des travaux et n’aurait pas donné lieu à une compensation pécuniaire appropriée, de sorte que cette atteinte constituerait une violation du principe de proportionnalité.

46      En deuxième lieu, la requérante allègue que les travaux en cause lui ont causé trois chefs de préjudice.

47      D’une part, les opérations matérielles de construction l’auraient empêchée, à compter du mois de décembre 2007, de continuer à exploiter un magasin, alors qu’elle était en droit de le faire, en vertu du contrat D‑1477/1, pendant une durée de 20 ans.

48      D’autre part, elles lui auraient interdit de continuer à exercer les activités à but lucratif qu’elle devait pouvoir pratiquer pendant 20 ans, en vertu du contrat D‑1477, au sein du terminal douanier destiné aux poids lourds. En effet, elles auraient conduit à la fermeture, le 7 mai 2009, de ce terminal douanier  : à cette date, des barrières en béton auraient été installées, afin que la circulation soit déviée vers le terminal douanier dédié aux voyageurs.

49      Enfin, du fait desdites opérations matérielles de construction, la requérante n’aurait pas pu tirer de revenus du centre commercial qu’elle avait eu l’autorisation de construire à proximité du poste‑frontière, par décision du 15 mai 2007 (mentionnée au point 44 ci‑dessus). En effet, ce centre commercial serait dorénavant coupé de la voie de circulation principale. Les voyageurs venant de Belgrade (Serbie) ne pourraient pas y accéder. Quant aux véhicules assurant l’approvisionnement dudit centre commercial, ils ne pourraient pas y parvenir, un échangeur prévu par le « plan d’aménagement pour le poste‑frontière de Preševo » n’ayant pas été construit.

50      En troisième lieu, la requérante prétend que les trois chefs de préjudice qu’elle invoque ont pour cause le comportement de l’AER.

51      En effet, selon la requérante, la République de Serbie a désigné l’AER comme nouvel « investisseur » au poste‑frontière de Preševo par l’ordonnance de juillet 2003. Cela serait confirmé par son activité contractuelle.

52      Or, précisément, en sa qualité d’investisseur, l’AER aurait, d’abord, lancé un appel d’offres portant sur un marché de construction d’infrastructures et de bâtiments au point de passage frontalier de Preševo (phase « Ia ») et attribué ce marché à la société PU.

53      Ensuite, l’AER aurait conclu le contrat 04SER01/05/004, relatif audit marché, et financé les travaux que ce contrat prévoyait, alors même qu’elle savait qu’ils étaient de nature à porter atteinte à ses droits.

54      Ultérieurement, l’AER aurait signé les contrats relatifs à la conception et à la surveillance desdits travaux.

55      Enfin, l’AER aurait acheté l’équipement pour le poste‑frontière par le biais du contrat 06SER01/02/009, visé au point 18 ci‑dessus.

 Examen, par le Tribunal, des conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union

56      Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union étant cumulatives (voir point 38 ci‑dessus), il suffit de constater qu’une seule d’entre elles n’est pas remplie pour que la responsabilité de l’Union ne soit pas engagée.

57      En l’espèce, le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord la condition tenant à l’existence d’un lien de causalité entre, d’une part, chacun des quatre comportements reprochés à l’AER (voir points 52 à 55 ci‑dessus), et, d’autre part, l’ensemble des préjudices allégués, lesquels résultent immédiatement, d’après la requérante, des opérations matérielles de construction entreprises en vertu du contrat 04SER01/05/004 au poste‑frontière de Preševo (voir points 46 à 49 ci‑dessus).

58      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 39 ci‑dessus, pour que cette condition soit remplie, encore faut-il que les comportements reprochés constituent la cause déterminante des préjudices allégués.

–       S’agissant du lien de causalité entre les premier et deuxième comportements reprochés, d’une part, et les préjudices allégués, d’autre part

59      Ainsi qu’il ressort du point 52 ci‑dessus, le premier comportement reproché à l’AER est, d’une part, le lancement d’un appel d’offres portant sur un marché de construction d’infrastructures et de bâtiments au point de passage frontalier de Preševo (phase « Ia »), et d’autre part, l’attribution de ce marché à la société PU. Quant au deuxième comportement reproché, il s’agit de la « conclusion » du contrat 04SER01/05/004 et du financement des travaux que ce contrat prévoyait (voir point 53 ci‑dessus).

60      À cet égard, il y a, tout d’abord, lieu de relever que, contrairement aux allégations de la requérante, l’AER n’a pas conclu le contrat 04SER01/05/004, mais s’est contentée de le contresigner, en sa qualité de financeur.

61      Ensuite, il convient, certes, de relever que, sur la base de l’accord de financement mentionné au point 14 ci‑dessus, l’AER a accepté d’être responsable du lancement de l’appel d’offres, de l’évaluation des offres, ainsi que de l’attribution et du financement du marché mentionné au point 59 ci‑dessus (voir points 16 et 17 ci‑dessus).

62      Toutefois, force est de constater que ces comportements de l’AER s’insèrent dans le cadre de la reconstruction du passage frontalier de Preševo, menée pour le compte des autorités serbes.

63      Ainsi qu’il ressort des articles 1er à 3 de l’ordonnance de juillet 2003, ce sont les autorités serbes qui ont librement décidé d’intégrer au patrimoine de la République de Serbie les biens immobiliers situés au poste‑frontière de Preševo, d’y intervenir, dans le cadre d’un « projet de construction », en tant qu’« investisseur » au sens que ce terme prend en droit serbe, et de charger la société GDS d’assumer, pour leur compte, les droits et obligations attachés à cette qualité. Quant à elle, l’AER n’a, contrairement aux allégations formulées au point 20 de la requête, pas même été citée par l’ordonnance de juillet 2003. Ainsi, c’est pour le compte des autorités serbes, et non pour celui de l’AER, que la société GDS a conclu le contrat 04SER01/05/004 et que les travaux prévus par ce contrat ont été menés. Par ailleurs, ainsi qu’il a été relevé au point 13 ci‑dessus, ce n’est que postérieurement à l’ordonnance de juillet 2003 que la Commission a établi, le 14 mai 2004, un programme d’action indiquant, en son point 5.1.5, que la Communauté entendait fournir une assistance destinée à l’amélioration des plus importants points de passage transfrontaliers, et notamment de celui de Preševo.

64      Dans un tel contexte, même à supposer que les comportements de l’AER visés au point 61 ci‑dessus figurent parmi les facteurs ayant rendu possible la survenue des préjudices allégués, définis au point 57 ci‑dessus, ils ne sauraient en être la cause déterminante.

65      En tout état de cause, entre ces comportements et les préjudices s’interpose un acte juridique, à savoir le contrat 04SER01/05/004. Or, ce contrat est l’expression de la libre volonté de personnes morales autres que l’AER, et non la conséquence inévitable d’un comportement imputable à cette agence. Ainsi qu’il a été indiqué au point 17 ci‑dessus, l’AER n’était pas partie à ce contrat, mais était simple contresignataire de celui‑ci, aux fins d’en garantir le financement. Par ailleurs, il ne ressort d’aucun des règlements mentionnés aux points 1 à 8 ci‑dessus, ni d’aucune autre norme relevant du droit communautaire que la circonstance que ledit contrat a été financé par la Communauté obligeait la société GDS ou l’entreprise retenue au terme de l’appel d’offres à contracter. Une telle obligation ne résulte pas plus de l’accord de financement mentionné au point 14 ci‑dessus ou de ce contrat. Au demeurant, la requérante n’en a pas même fait état.

–       S’agissant du lien de causalité entre le troisième comportement reproché et les préjudices allégués

66      Ainsi qu’il a été dit au point 54 ci‑dessus, le troisième comportement reproché à l’AER est la passation de deux contrats relatifs, notamment, à la « conception » et à la « surveillance » des travaux réalisés au poste‑frontière de Preševo.

67      Force est de constater que, entre ce comportement et les préjudices allégués, tels que définis au point 57 ci‑dessus, s’interpose le contrat 04SER01/05/004, duquel procèdent les opérations matérielles de construction litigieuses. Dans ces conditions, et eu égard aux considérations énoncées au point 65 ci‑dessus, le troisième comportement reproché ne peut pas constituer la cause déterminante des préjudices allégués.

–       S’agissant du lien de causalité entre le quatrième comportement reproché et les préjudices allégués

68      Quant au quatrième comportement reproché, il s’agit, comme il est rappelé au point 55 ci‑dessus, de l’achat d’équipements destinés au poste‑frontière de Preševo.

69      Or, en signant, le 4 septembre 2008, « au nom et pour le compte de la République de Serbie », les lots nos 1 et 2 du contrat 06SER01/02/009, dont l’objet était la fourniture d’équipements tels que des bâtiments préfabriqués ou du matériel de bureau, l’AER ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme ayant contribué à la survenue des préjudices définis au point 57 ci‑dessus. Ceux‑ci résultent en effet, d’après les termes mêmes de la requête, d’interventions distinctes, à savoir les opérations matérielles de construction résultant du contrat 04SER01/05/004.

70      Par suite, la responsabilité non contractuelle de l’Union ne saurait se voir engagée à raison des quatre comportements reprochés à l’AER par la requérante, la condition tenant à l’existence d’un lien de causalité entre lesdits comportements et les préjudices allégués n’étant pas remplie.

 Sur l’engagement de la responsabilité de l’Union à raison de comportements constituant une violation du droit à une « procédure équitable » et du principe de transparence

71      En sus de son argumentation principale, la requérante allègue que la responsabilité de l’Union est engagée à raison de comportements constituant une violation du droit à une « procédure équitable » et du principe de transparence.

 En ce qui concerne l’engagement de la responsabilité de l’Union à raison d’un comportement constituant une violation du droit à une « procédure équitable »

72      La requérante fait valoir qu’elle a informé l’AER de la teneur de ses droits contractuels et que, nonobstant cette circonstance, « il ne lui a jamais été permis d’influencer d’une quelconque manière ou de collaborer activement […] au règlement de la situation dans la zone du poste‑frontière de Preševo ». Cela indique, selon elle, que l’AER a méconnu le droit à une « procédure équitable ».

73      Par cet argument, la requérante doit être regardée comme faisant valoir que, en raison du comportement de l’AER, elle n’a pu engager de procédure, notamment juridictionnelle, visant à la préservation des droits qui lui avaient été reconnus au poste‑frontière de Preševo.

74      Toutefois, la requérante, à qui incombe la charge de la preuve, ne présente, en tout état de cause, devant le Tribunal aucun élément tendant à démontrer que le comportement de l’AER l’a empêchée « d’influencer d’une quelconque manière ou de collaborer activement […] au règlement de la situation dans la zone du poste‑frontière de Preševo ». En particulier, elle ne fait état d’aucun élément tendant à indiquer que, au cours de ses échanges avec l’AER, cette dernière ait pu la dissuader, voire l’empêcher d’initier une procédure administrative ou juridictionnelle tendant à la défense de ses droits.

75      Au contraire, la requérante a, elle‑même, reconnu au point 51 de sa requête qu’elle avait « introduit des procédures administratives et judiciaires devant les organes étatiques de la République de Serbie avec pour objectif que cesse l’atteinte illégale à ses droits et obtenir le retour à l’état antérieur ». Cela tend à démontrer que, contrairement à ses allégations, elle a pu effectivement engager des procédures, notamment juridictionnelles, visant à la préservation de ses droits.

76      Par suite, la réalité du comportement reproché au point 72 ci‑dessus n’est pas prouvée. Il s’ensuit que celui‑ci ne saurait engager la responsabilité de l’Union.

 En ce qui concerne l’engagement de la responsabilité de l’Union à raison d’un comportement constituant une violation du principe de transparence

77      La requérante prétend que le principe de transparence a été méconnu dès lors qu’elle « n’a jamais été correctement informée des événements et des procédures qui la concernaient » et n’a pu « accéder à toutes les informations pertinentes » que « de manière indirecte ».

78      Par cet argument, la requérante doit être regardée comme reprochant à l’AER de ne l’avoir pas informée, d’une part, des comportements de l’AER visés au point 61 ci‑dessus, et d’autre part, de l’évolution des travaux au poste‑frontière de Preševo.

79      Toutefois, cet argument doit être rejeté. En effet, un éventuel défaut d’information relatif à la procédure d’appel d’offres, aux travaux ou à leur financement, à le supposer avéré, n’est pas de nature à avoir causé directement, à lui seul, les préjudices invoqués par la requérante, lesquels sont exposés aux points 46 à 49 ci‑dessus. Il ne peut donc engager la responsabilité de l’Union.

80      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en indemnité formée par la requérante doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur les mesures d’instruction sollicitées par la requérante

81      Il ressort de l’article 66, paragraphe 1, du règlement de procédure que le Tribunal est seul compétent pour apprécier l’utilité de mesures d’instruction, telles qu’une expertise, une descente sur les lieux ou une comparution de témoins, aux fins de la solution du litige (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 27 avril 2006, L/Commission, C‑230/05 P, non publiée au Recueil, point 47).

82      En l’espèce, il convient de relever qu’il n’est nécessaire ni de prescrire la mesure d’expertise sollicitée par la requérante, ni de procéder à une descente sur les lieux, ni d’entendre le représentant légal de la requérante.

83      En effet, en premier lieu, la mesure d’expertise sollicitée vise à déterminer l’étendue du préjudice supposément causé à la requérante. Elle est donc, en tout état de cause, dépourvue d’utilité, dès lors qu’en particulier les actes reprochés par la requérante à l’AER ne sont, selon les cas, soit pas la cause déterminante des préjudices allégués, soit pas même établis.

84      En deuxième lieu, une descente sur les lieux, c’est‑à‑dire un déplacement au poste‑frontière de Preševo, n’aurait d’autre objet que de faire constater l’étendue du préjudice supposément subi par la requérante. Pour les raisons exposées au point précédent, elle apparaît donc, en tout état de cause, inutile.

85      En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de l’article 59 du règlement de procédure que les parties ne peuvent plaider que par l’intermédiaire de leur agent, conseil ou avocat. Ainsi, en demandant à ce que son représentant légal soit entendu, la requérante ne peut qu’avoir fait valoir qu’il convenait d’auditionner ce dernier en tant que témoin. Cependant, l’utilité d’une telle audition ne ressort d’aucune des pièces du dossier.

86      Il ressort de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son entièreté.

 Sur les dépens

87      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Holding kompanija Interspeed a.d. supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Czúcz

Labucka

Gratsias

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 juillet 2012.

Signatures


* Langue de procédure : le slovène.