Language of document : ECLI:EU:C:2009:191

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

26 mars 2009 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Article 82 CE – Notion d’entreprise – Activité économique – Organisation internationale – Abus de position dominante»

Dans l’affaire C‑113/07 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 23 février 2007,

SELEX Sistemi Integrati SpA, établie à Rome (Italie), représentée par Mes F. Sciaudone, R. Sciaudone et D. Fioretti, avvocati,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Di Bucci et F. Amato, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), représentée par Mes F. Montag et T. Wessely, Rechtsanwälte,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. K. Schiemann, P. Kūris (rapporteur), L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 mai 2008,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 juillet 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, SELEX Sistemi Integrati SpA (ci-après «Selex») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati/Commission (T‑155/04, Rec. p. II‑4797, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel ce dernier a rejeté une demande d’annulation ou de modification de la décision de la Commission des Communautés européennes du 12 février 2004 rejetant la plainte de la requérante relative à une prétendue violation par l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol) des dispositions du traité CE en matière de concurrence (ci-après la «décision litigieuse»).

I –  Les antécédents du litige

2        Selex opère depuis 1961 dans le secteur des systèmes de gestion du trafic aérien. Le 28 octobre 1997, elle a saisi la Commission d’une plainte au titre de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), par laquelle elle dénonçait un abus de position dominante et des distorsions de concurrence dont Eurocontrol aurait été responsable.

3        Ladite plainte faisait état de ce que le régime des droits de propriété intellectuelle relatifs aux contrats de développement et d’acquisition des prototypes des nouveaux systèmes et équipements destinés à des applications dans le domaine de la gestion du trafic aérien, conclus par Eurocontrol, était de nature à créer des monopoles de fait dans la production des systèmes qui font ensuite l’objet d’une normalisation par cette organisation. Elle indiquait que cette situation était d’autant plus grave que les principes de transparence, d’ouverture et de non-discrimination, dans le cadre de l’acquisition de ces prototypes, n’étaient pas observés par Eurocontrol. En outre, la plainte exposait que, du fait des activités d’assistance aux administrations nationales, exercées par Eurocontrol sur demande de celles-ci, les entreprises ayant fourni des prototypes étaient dans une situation particulièrement avantageuse par rapport à leurs concurrents lors des procédures d’appel d’offres ouvertes par les autorités nationales en vue de l’acquisition d’équipements.

4        Par la décision litigieuse, la Commission a rejeté la plainte. Après avoir considéré que les règles communautaires de concurrence s’appliquaient en principe aux organisations internationales à la condition que les activités visées puissent être qualifiées d’activités économiques, elle a d’abord affirmé que les activités faisant l’objet de la plainte ne revêtaient pas une telle nature, de sorte qu’Eurocontrol ne pouvait être qualifiée d’entreprise au sens de l’article 82 CE et que, en tout état de cause, ces activités n’étaient pas contraires aux dispositions de cet article. Elle a ensuite précisé que les activités de réglementation, de normalisation et de validation exercées par Eurocontrol ne constituaient pas des «activités d’entreprise», qu’aucune violation des règles de concurrence n’était établie concernant les activités de cette organisation liées à l’acquisition de prototypes et à la gestion des droits de propriété intellectuelle et, enfin, que les activités d’assistance aux administrations nationales n’étaient pas de nature économique.

II –  La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

A –  La procédure devant le Tribunal

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 avril 2004, Selex a introduit un recours tendant à l’annulation ou à la modification de la décision litigieuse.

6        En application de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, Eurocontrol a été admise, par ordonnance du 25 octobre 2004, à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission en présentant ses observations lors de la procédure orale.

7        Le 5 avril 2005, Eurocontrol a été invitée, au titre de l’article 64 du même règlement de procédure, à déposer un mémoire en intervention. Le 4 mai 2005, elle a en outre été autorisée à recevoir copie des actes de procédure.

8        À la suite d’une demande de la requérante visant à ce que la défenderesse soit priée, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, de produire, notamment, une lettre du 3 novembre 1998 par laquelle cette dernière a invité Eurocontrol à présenter ses observations sur la plainte (ci-après la «lettre du 3 novembre 1998»), la Commission a produit ladite lettre et a indiqué qu’elle ne disposait pas d’autres documents utiles. La requérante a alors, par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 avril 2005, d’une part, introduit une demande de mesures d’instruction ayant pour objet l’audition de témoins et la production de documents par la Commission et, d’autre part, soulevé de nouveaux moyens.

B –  L’arrêt attaqué

9        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours.

10      Le Tribunal a d’abord, aux points 28 et 29 de l’arrêt attaqué, déclaré irrecevable la demande de Selex visant à une modification de la décision litigieuse. Aux points 33 à 40 de cet arrêt, il a déclaré également irrecevables, sur le fondement de l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, les moyens nouveaux soulevés par Selex, en rejetant à cet égard l’argument de celle-ci selon lequel la lettre du 3 novembre 1998 constituait un élément nouveau qui aurait été révélé en cours d’instance par une lettre du directeur d’Eurocontrol en date du 2 juillet 1999 annexée au mémoire en défense.

11      Le Tribunal a, en outre, aux points 41 à 44 de l’arrêt attaqué, déclaré irrecevable le moyen soulevé par Eurocontrol par lequel celle-ci entendait voir juger que les règles de l’Union européenne ne lui étaient pas applicables en raison de l’immunité dont elle bénéficie en vertu du droit international public, au motif que, en vertu de l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable au Tribunal, et de l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, l’intervenante n’avait pas qualité pour soulever ce moyen qui n’avait pas été avancé par la Commission.

12      Au fond, pour rejeter le recours, le Tribunal a, ensuite, écarté les trois moyens présentés par Selex, tirés, respectivement, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’applicabilité des dispositions communautaires en matière de concurrence à Eurocontrol, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence d’une violation des dispositions communautaires en matière de concurrence et d’une violation des formes substantielles, et ce pour les motifs résumés ci-après.

13      À titre liminaire, le Tribunal a énoncé que l’annulation de la décision litigieuse supposait que soient accueillis les deux premiers moyens de la requérante. Il a relevé à cet égard, aux points 47 à 49 de l’arrêt attaqué, d’une part, que, «dès lors que le dispositif d’une décision de la Commission repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder le dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité» et, d’autre part, que la décision litigieuse était fondée sur la double constatation de ce qu’Eurocontrol n’est pas une entreprise et de ce que les comportements mis en cause n’étaient pas contraires à l’article 82 CE.

14      Examinant le premier moyen, le Tribunal, aux points 50 à 55 de l’arrêt attaqué, a rappelé la jurisprudence de la Cour relative aux notions d’entreprise et d’activité économique et a écarté l’argumentation de la Commission qui, se référant à l’arrêt de la Cour du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft (C‑364/92, Rec. p. I‑43), avait fait valoir qu’Eurocontrol ne pouvait en aucun cas être qualifiée d’entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence. Il a en effet relevé que, les dispositions du traité en cette matière étant applicables aux activités d’un organisme qui sont détachables de celles qu’il exerce en tant qu’autorité publique, les différentes activités d’une entité étaient à examiner individuellement et que, dès lors, l’arrêt invoqué n’excluait pas qu’Eurocontrol soit qualifiée, concernant d’autres activités que celles visées dans cet arrêt, d’entreprise au sens de l’article 82 CE.

15      Partant, le Tribunal a distingué, dans le cadre de l’examen de ce moyen, les différentes activités en cause dans la présente affaire, à savoir l’activité de normalisation technique, l’activité de recherche et de développement et l’activité d’assistance aux administrations nationales.

16      S’agissant, premièrement, de l’activité de normalisation technique, le Tribunal a considéré, aux points 59 à 62 de l’arrêt attaqué, que, tandis que l’adoption de normes par le conseil d’Eurocontrol relevait du domaine législatif et donc de la mission publique de cette organisation, la préparation ou l’élaboration des normes techniques pouvait être dissociée de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne, mais ne pouvait cependant pas être qualifiée d’activité économique, la requérante n’ayant pas démontré que cette activité consistait à offrir des biens ou des services sur un marché donné.

17      Dans ce contexte, a été écartée, aux points 63 à 68 de l’arrêt attaqué, l’argumentation de la requérante selon laquelle, d’une part, le caractère économique de l’activité de normalisation technique se déduisait du caractère économique de l’activité d’acquisition de prototypes et, d’autre part, la solution dégagée dans l’arrêt du Tribunal, du 4 mars 2003, FENIN/Commission (T‑319/99, Rec. p. II‑357) n’était pas transposable à la présente affaire. Citant cet arrêt, le Tribunal a relevé, en substance, que le caractère économique ou non de l’activité d’achat dépendait de l’utilisation ultérieure du produit acquis, de sorte que, en l’espèce, le caractère non économique de l’activité de normalisation technique impliquait le caractère non économique de l’acquisition des prototypes effectuée dans le cadre de cette activité.

18      Concernant, deuxièmement, l’activité de recherche et de développement, le Tribunal, au point 74 de l’arrêt attaqué, a d’abord relevé que l’affirmation de la requérante selon laquelle le caractère économique de celle-ci n’avait pas été contesté par la Commission ne trouvait pas de fondement dans la décision litigieuse. Il a ensuite considéré, aux points 75 à 77 de l’arrêt attaqué, notamment, que l’acquisition de prototypes dans ce cadre et la gestion des droits de propriété intellectuelle s’y rapportant n’étaient pas de nature à conférer à cette activité un caractère économique, puisque ladite acquisition n’impliquait pas l’offre de biens ou de services sur un marché donné. Relevant, à cet égard, que ladite activité consistait à octroyer des subventions publiques aux entreprises du secteur concerné et à acquérir la propriété des prototypes et les droits de propriété résultant des recherches subventionnées pour mettre gratuitement les résultats de ces recherches à la disposition du secteur intéressé, il a considéré qu’il s’agissait d’«une activité accessoire à la promotion du développement technique, s’inscrivant dans le cadre de l’objectif d’intérêt général de la mission d’Eurocontrol et n’étant pas poursuivie dans un intérêt propre de l’organisation qui serait dissociable dudit objectif».

19      En ce qui concerne, troisièmement, l’activité d’assistance aux administrations nationales, le Tribunal a estimé, en revanche, au point 86 de l’arrêt attaqué, qu’elle était dissociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne d’Eurocontrol au motif qu’elle présentait une relation très indirecte avec la sécurité de la navigation aérienne, relevant à cet égard que l’assistance d’Eurocontrol ne couvrait que les spécifications techniques lors de la mise en œuvre de procédures d’appel d’offres, qu’elle n’était offerte que sur demande des administrations nationales et qu’il ne s’agissait donc nullement d’une activité essentielle ou indispensable à la garantie de la sécurité de la navigation aérienne.

20      En outre, le Tribunal a considéré, au point 87 de l’arrêt attaqué, à propos de cette activité d’assistance aux administrations nationales, qu’il s’agissait d’une offre de services sur le marché des conseils, sur lequel pourraient tout aussi bien agir des entreprises privées spécialisées. Dans ce contexte, le Tribunal, aux points 88 à 91 de cet arrêt, a énoncé que le fait qu’une activité puisse être exercée par une entreprise privée constitue un indice supplémentaire permettant de qualifier l’activité en cause d’activité d’entreprise, que la circonstance que des activités sont normalement confiées à des offices publics ne saurait nécessairement affecter la nature économique de ces activités, que le fait que ladite activité d’assistance ne soit pas rémunérée peut constituer un indice de l’existence d’une activité d’ordre non économique, mais n’est pas en soi décisif, de même que le fait que cette activité soit poursuivie dans un but d’intérêt général. Le Tribunal a dès lors considéré que cette activité constituait une activité économique et qu’Eurocontrol était donc, dans l’exercice de celle-ci, une entreprise au sens de l’article 82 CE.

21      Cependant, examinant à l’égard de cette activité le deuxième moyen soulevé par la requérante, le Tribunal a rejeté celui-ci en relevant, d’abord, au point 104 de l’arrêt attaqué, que seules les administrations nationales détiennent le pouvoir adjudicateur et sont donc responsables du respect des dispositions pertinentes concernant les procédures de passation de marchés, l’intervention d’Eurocontrol n’étant ni obligatoire ni systématique. Il a relevé, ensuite, aux points 105 à 108 de cet arrêt, que la requérante n’avait apporté aucun élément concernant la définition du marché pertinent et la position dominante ni démontré l’existence d’un comportement répondant aux critères d’une exploitation abusive d’une telle position. Il a, enfin, aux points 111 et 112 dudit arrêt, écarté les allégations de la requérante selon lesquelles la lettre du 3 novembre 1998 prouverait que la Commission était elle-même persuadée qu’Eurocontrol avait commis un abus de position dominante.

22      Enfin, après avoir rejeté, aux points 117 à 120 et 124 à 127 de l’arrêt attaqué, les griefs tirés d’un défaut de motivation et d’une violation des droits de la défense formulés par la requérante dans le cadre du troisième moyen, le Tribunal, aux points 132 et 133 de cet arrêt, a également rejeté les demandes de mesures d’instruction présentées par la requérante.

III –  Les conclusions des parties

23      Selex demande à la Cour:

–        de déclarer irrecevable l’exception d’immunité soulevée par Eurocontrol;

–        de rejeter les demandes de substitution de motifs formulées par la Commission;

–        d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens de la présente instance ainsi qu’à ceux exposés en première instance.

24      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter intégralement le pourvoi, éventuellement en procédant à une substitution partielle de motifs à ceux retenus par le Tribunal, et

–        de condamner la requérante aux dépens.

25      Eurocontrol demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi, et

–        de condamner la requérante aux dépens, y compris ceux liés à son intervention.

IV –  Sur le pourvoi

26      À l’appui de son pourvoi, Selex avance quatre moyens relatifs à la procédure devant le Tribunal ainsi que douze moyens relatifs au fond. Ces derniers sont tirés d’erreurs de droit que le Tribunal aurait commises en ce qui concerne, d’une part, l’applicabilité de l’article 82 CE aux activités d’Eurocontrol en cause dans la présente affaire, à savoir les activités d’assistance aux administrations nationales, de normalisation technique ainsi que de recherche et de développement, et, d’autre part, la violation par cette organisation de cet article.

27      La Commission conclut au rejet du pourvoi, mais sollicite une substitution de motifs à ceux par lesquels l’arrêt attaqué a rejeté les moyens de la requérante portant sur l’activité d’assistance aux administrations nationales ainsi que sur l’activité de normalisation technique.

28      Tout en concluant également au rejet du pourvoi, Eurocontrol fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré irrecevable le moyen tiré de l’immunité dont elle bénéficie en vertu du droit international public. Elle soutient par ailleurs que cette immunité, qui exclurait l’application du droit communautaire de la concurrence aux activités en cause, constitue une exception qui doit être examinée d’office par le juge communautaire et qui devrait être retenue par la Cour pour rejeter le pourvoi.

A –  Sur les moyens relatifs à la procédure devant le Tribunal

29      Les quatre moyens relatifs à la procédure devant le Tribunal, soulevés par Selex, sont tirés respectivement d’une violation de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, d’une violation de l’article 48, paragraphe 2, de ce règlement (deuxième et troisième moyens), ainsi que de l’article 66, paragraphe 1, du même règlement.

1.     Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal

30      Par ce moyen, Selex fait valoir que, en autorisant Eurocontrol à déposer un mémoire et à recevoir copie des actes de procédure alors qu’il avait constaté que sa demande d’intervention avait été présentée après le délai de six semaines prévu à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier a violé l’article 116, paragraphe 6, du même règlement. Elle soutient que le Tribunal ne pouvait utiliser les dispositions de l’article 64 de son règlement de procédure pour «contourner les forclusions liées à l’échéance des délais de procédure».

31      La Commission et Eurocontrol font valoir, en réponse, que le Tribunal dispose d’une large marge de manœuvre dans l’exercice du pouvoir conféré par l’article 64 de son règlement de procédure, dont les dispositions sont indépendantes de celles de l’article dont la violation est alléguée, et que la requérante n’a pas démontré que ce pouvoir avait été exercé en l’espèce dans un but différent de celui énoncé au paragraphe 2 de cet article 64 ni, au vu de l’article 58 du statut de la Cour de justice, que l’irrégularité de procédure alléguée avait concrètement porté atteinte à ses intérêts. Elles soulignent qu’il n’a pas été démontré en particulier que cette irrégularité, de même que les autres irrégularités alléguées, avait pu avoir une influence sur l’issue de la procédure.

32      Il convient de rappeler à cet égard que, selon l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la demande d’intervention doit être présentée au plus tard soit avant l’expiration d’un délai de six semaines qui prend cours à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis relatif à l’introduction du recours, soit, sous réserve de l’article 116, paragraphe 6, de ce règlement, avant la décision d’ouvrir la procédure orale.

33      L’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que, si une demande d’intervention présentée dans le délai de six semaines prévu à l’article 115, paragraphe 1, de ce règlement est admise, l’intervenant reçoit communication de tous les actes de procédure signifiés aux parties.

34      L’article 116, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal précise que, dans les cas visés au paragraphe 2 de cet article, le président fixe le délai dans lequel l’intervenant peut présenter un mémoire en intervention contenant ses conclusions tendant au soutien ou au rejet, total ou partiel, des conclusions d’une des parties, ses moyens et arguments, ainsi que ses offres de preuve, s’il y a lieu.

35      En vertu du paragraphe 6 du même article, si la demande d’intervention a été présentée après l’expiration du délai de six semaines prévu à l’article 115, paragraphe 1, du même règlement, l’intervenant peut, sur la base du rapport d’audience qui lui est communiqué, présenter ses observations lors de la procédure orale.

36      Il résulte de ces dispositions que les droits procéduraux de l’intervenant sont différents selon que celui-ci a présenté sa demande d’intervention avant l’expiration du délai de six semaines prévu à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal ou après l’expiration de ce délai mais avant la décision d’ouvrir la procédure orale. En effet, lorsque l’intervenant a présenté sa demande avant l’expiration de ce délai, il est en droit de participer tant à la procédure écrite qu’à la procédure orale, de recevoir communication des actes de procédure et de présenter un mémoire en intervention. En revanche, lorsque l’intervenant a présenté sa demande après l’expiration dudit délai, il est uniquement en droit de participer à la procédure orale, de recevoir communication du rapport d’audience et de présenter ses observations sur la base de celui-ci lors de l’audience.

37      En l’espèce, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué et du dossier que, bien qu’Eurocontrol ait été admise, par ordonnance du 25 octobre 2004, à intervenir devant le Tribunal à l’appui des conclusions de la Commission, en application de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, et qu’elle n’ait été ainsi autorisée qu’à présenter ses observations lors de la procédure orale au vu du rapport d’audience, elle a ensuite été invitée, par décision du 5 avril 2005, prise sur le fondement des articles 49 et 64 de ce règlement, à déposer un mémoire en intervention. Par décision du 4 mai 2005, elle a, en outre, été autorisée à recevoir communication de la requête, du mémoire en défense, de la réplique ainsi que de la duplique. Il apparaît donc que, nonobstant le fait qu’Eurocontrol est intervenue à la procédure devant le Tribunal après l’expiration du délai de six semaines prévu à l’article 115, paragraphe 1, dudit règlement, elle a été admise en définitive à participer tant à la procédure écrite qu’à la procédure orale.

38      Or, si, en application de l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut notamment, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, inviter les parties, y inclus la partie intervenante, à se prononcer par écrit sur certains aspects du litige, cette disposition n’envisage nullement la possibilité d’inviter un intervenant, intervenu postérieurement au délai susmentionné, à déposer un mémoire en intervention et de lui donner accès aux pièces de procédure, de telles mesures ne répondant d’ailleurs pas à l’objet des mesures d’organisation de la procédure tel qu’indiqué au paragraphe 2 de cet article.

39      Il s’ensuit que, en invitant Eurocontrol à déposer un mémoire en intervention et en l’autorisant à recevoir communication des pièces de procédure, le Tribunal n’a pas observé les dispositions de l’article 116, paragraphe 6, de son règlement de procédure et que l’arrêt attaqué est, ainsi, entaché d’une irrégularité.

40      Toutefois, en vertu de l’article 58 du statut de la Cour de justice, le pourvoi ne peut prospérer que si l’irrégularité de procédure commise par le Tribunal a porté atteinte aux intérêts de la partie requérante. Or, en l’espèce, Selex est demeurée en défaut de démontrer que l’irrégularité invoquée par elle a porté atteinte à ses intérêts. Il n’apparaît d’ailleurs nullement que cette irrégularité ait pu avoir une influence quelconque sur l’issue de la procédure.

41      En conséquence, ce moyen ne peut pas prospérer.

2.     Sur les deuxième et troisième moyens, tirés d’une violation de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal

42      Par son deuxième moyen, Selex soutient que le Tribunal a enfreint l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal en dénaturant gravement et de façon manifeste les éléments de fait qui l’ont conduit à déclarer irrecevables les moyens nouveaux présentés par elle, fondés sur la teneur de la lettre du 3 novembre 1998 déposée par la Commission en cours de procédure. Le Tribunal aurait en effet, aux points 12, 35 et 38 de l’arrêt attaqué, dénaturé le contenu d’une lettre du 12 novembre 1998 adressée par la Commission à la requérante, qui ne ferait nullement référence à la lettre du 3 novembre 1998, pour affirmer qu’elle n’était pas fondée à soutenir que seule la lecture de la lettre du directeur d’Eurocontrol du 2 juillet 1999 annexée au mémoire en défense lui avait permis de savoir que la lettre du 3 novembre 1998 n’était pas une simple note de transmission de sa plainte, mais contenait également une analyse de celle-ci, signée par deux directeurs généraux.

43      Par son troisième moyen, Selex fait grief au Tribunal d’avoir rejeté ces moyens nouveaux sans prendre en considération le comportement qu’a eu la Commission lors de la procédure administrative et de la procédure contentieuse alors que la production de moyens nouveaux était la conséquence du refus de celle-ci de produire loyalement tous les documents pertinents, en particulier la lettre du 3 novembre 1998. Le Tribunal aurait ainsi fait une interprétation et une application restrictives de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

44      Cependant, il apparaît, à la lecture de la lettre du 12 novembre 1998 susmentionnée, que, par celle-ci, la Commission a informé la requérante que, à la suite de la plainte et d’une lettre du 29 septembre 1998 de cette dernière, les services de la Commission avaient procédé à un examen des aspects juridiques et économiques soulevés dans la plainte et que, sans préjudice de l’application des règles communautaires en matière de concurrence, des contacts avaient été pris avec Eurocontrol pour l’inviter à présenter ses observations quant aux faits et aux déductions énoncés dans ladite plainte. Cette lettre précisait que, par lettre signée par deux directeurs généraux, respectivement celui de la direction générale «Concurrence» et celui de la direction générale «Transport», la Commission avait attiré l’attention d’Eurocontrol sur certains aspects de sa politique de normalisation et qu’Eurocontrol avait, en particulier, été invitée à définir, en relation avec les services de la Commission, une approche neutre et cohérente quant à ses relations avec les entreprises.

45      Si la lettre du 12 novembre 1998 ne précise pas la date de la lettre adressée à Eurocontrol et des contacts pris avec cette dernière, de sorte que la requérante ne pouvait savoir en la lisant qu’il s’agissait d’une lettre du 3 novembre 1998, et si ladite lettre du 12 novembre 1998 ne vise que l’activité de normalisation technique d’Eurocontrol, il ressort toutefois clairement de cette dernière lettre que la Commission, après avoir procédé à un examen de la plainte, avait invité Eurocontrol à présenter ses observations sur l’ensemble des éléments contenus dans celle-ci et lui avait fait part, par lettre, de certains éléments d’analyse.

46      Dès lors, c’est sans dénaturer le contenu de la lettre du 12 novembre 1998 ni aucun autre élément de fait que le Tribunal, après avoir notamment fait état des différents éléments énoncés aux points 35 à 37 de l’arrêt attaqué, a considéré que la requérante n’était pas fondée à soutenir que seule la lecture de ladite lettre du 2 juillet 1999 lui avait permis de savoir que la lettre adressée par la Commission à Eurocontrol n’était pas une simple note de transmission de sa plainte, mais contenait également une analyse de celle-ci, signée par deux directeurs généraux.

47      En l’absence d’éléments de droit ou de fait révélés pendant la procédure, c’est donc à bon droit que le Tribunal a rejeté comme irrecevables, en application de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les moyens soulevés par la requérante suivant acte déposé au greffe du Tribunal le 27 avril 2005, c’est-à-dire postérieurement à la clôture de la procédure écrite.

48      En outre, en l’absence de tels éléments, il ne saurait être soutenu que la production de nouveaux moyens en cours d’instance était la conséquence d’un refus ou d’une omission de la Commission de communiquer auparavant les lettres des 2 juillet 1999 et 3 novembre 1998 ou tout autre document. Il ne saurait davantage être fait grief au Tribunal d’avoir fait une stricte application de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les règles de procédure ayant un caractère impératif.

49      Partant, il y a lieu de rejeter, ensemble, les deuxième et troisième moyens.

3.     Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 66, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal

50      Selex soutient, dans le cadre de ce quatrième moyen, que, en se prononçant non pas par voie d’ordonnance, mais seulement par l’arrêt attaqué sur les mesures d’instruction demandées par elle dans la requête et par l’acte déposé le 27 avril 2005, le Tribunal a violé l’article 66, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

51      À cet égard, il suffit de rappeler que cette disposition exige le prononcé d’une ordonnance pour fixer des mesures d’instruction que le Tribunal juge utiles, mais non pour rejeter les demandes tendant à voir ordonner de telles mesures, sur lesquelles le Tribunal peut donc statuer dans ce cas dans l’arrêt mettant fin au litige (voir, en ce sens, ordonnance du 12 janvier 2006, Entorn/Commission, C‑162/05 P, points 54 et 55).

52      Il s’ensuit que le quatrième et dernier moyen relatif à la procédure devant le Tribunal doit également être écarté.

B –  Sur l’exception d’immunité d’Eurocontrol

1.     Sur l’irrecevabilité de l’exception d’immunité

53      Eurocontrol soutient que, contrairement à l’appréciation faite par le Tribunal, l’exception d’immunité qu’elle a soulevée ne constitue pas un moyen nouveau qui modifie le cadre du litige et qu’elle respecte donc les articles 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice et 116, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal. Elle indique, d’abord, qu’elle avait déjà soulevé cette exception dans ses observations du 2 juillet 1999 sur la plainte et que la Commission s’est elle-même référée au principe d’immunité dans la décision litigieuse. Ensuite, elle fait valoir en substance que l’exception d’immunité et la discussion sur sa qualité d’entreprise ont le même objet et se fondent sur les mêmes éléments de fait et de droit, son immunité n’étant qu’un argument juridique qui s’ajoute à ceux avancés par la Commission pour soutenir que l’article 82 CE ne s’applique pas aux activités en question et pour conclure au rejet du recours.

54      Mais, ainsi que l’a rappelé le Tribunal dans l’arrêt attaqué, l’intervenant doit, en vertu de l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, accepter le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention et les conclusions de sa requête ne peuvent, en vertu de l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice, avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties. Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’un intervenant présente des arguments nouveaux ou différents de ceux de la partie qu’il soutient, pourvu qu’il vise à soutenir les conclusions de cette partie (voir arrêts du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30/59, Rec. p. 1, 37, et du 8 juillet 1999, Chemie Linz/Commission, C‑245/92 P, Rec. p. I‑4643, point 32).

55      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que les conclusions de la Commission devant le Tribunal tendaient au rejet du recours de Selex. D’autre part, la décision litigieuse s’est prononcée, aux points 21 à 24, en faveur de l’applicabilité du droit communautaire à Eurocontrol et a rejeté la plainte au motif, principalement, que les activités faisant l’objet de la plainte n’étaient pas de nature économique de sorte qu’Eurocontrol ne pouvait être considérée comme une entreprise au sens de l’article 82 CE. Les moyens avancés par la Commission pour conclure devant le Tribunal au rejet du recours formé par Selex contre cette décision reposaient sur la même considération.

56      Dans ces conditions, force est de constater que l’exception d’immunité soulevée par Eurocontrol ne peut être considérée comme visant à soutenir les conclusions de la Commission, puisque, en réalité, une telle exception tend à voir juger que les activités d’Eurocontrol ne sont pas soumises au droit communautaire et que cette organisation internationale bénéficie, en particulier, d’une immunité à l’égard des enquêtes menées par la Commission en matière de concurrence. Or, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 30 de ses conclusions, il en résulterait, si ladite exception était accueillie, que la décision litigieuse est illégale, ce qui serait susceptible de conduire à son annulation, mais non au rejet du recours auquel avait conclu la Commission devant le Tribunal.

57      Les motifs qui précèdent suffisent à justifier la solution retenue par le Tribunal au point 44 de l’arrêt attaqué et consistant à déclarer le moyen soulevé par Eurocontrol irrecevable au regard des articles 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice et 116, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal.

2.     Sur les conclusions d’Eurocontrol selon lesquelles l’immunité de celle-ci constitue une exception qui doit être examinée d’office par le juge communautaire et qui devrait être retenue par la Cour pour rejeter le pourvoi

58      Eurocontrol estime que la plainte de la requérante devait en toute hypothèse être rejetée, car, en vertu du droit international public, ses activités ne sont pas soumises au droit communautaire et bénéficient, en particulier, de l’immunité à l’égard des enquêtes menées par une quelconque partie contractante en matière de concurrence. Elle souligne que la Communauté européenne et elle-même sont toutes deux des organisations internationales, ayant pour membres des États en partie différents et opérant au sein de deux ordres juridiques autonomes et distincts, de sorte que, en vertu du principe général par in parem non habet imperium, il n’est pas possible à la Communauté de la soumettre à ses propres règles.

59      La Communauté, qui a approuvé le protocole d’adhésion à Eurocontrol par la décision 2004/636/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la conclusion par la Communauté européenne du protocole relatif à l’adhésion de la Communauté européenne à l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (JO L 304, p. 209), et qui est convenue avec les autres parties contractantes d’appliquer à titre provisoire les articles 1 à 7 de ce protocole d’adhésion, devrait, en vertu du principe général de bonne foi reconnu par l’article 18 de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, s’abstenir de tout acte qui pourrait priver la convention internationale de coopération pour la sécurité de la navigation aérienne «Eurocontrol», signée à Bruxelles le 13 décembre 1960, telle que révisée et coordonnée par le protocole du 27 juin 1997 (ci-après la «convention pour la sécurité de la navigation aérienne») de son objet et de son but. La Communauté ne pourrait, en outre, exercer ses compétences que dans les limites fixées par le droit international public.

60      La même conclusion découlerait de la norme coutumière de droit international public prévoyant l’immunité des organisations intergouvernementales, qui la protégerait d’une manière absolue et qui protégerait, à tout le moins, les activités en cause dans la présente affaire, ces activités constituant des éléments essentiels des objectifs institutionnels d’Eurocontrol et non, en tout état de cause, des actes de nature commerciale. Elle souligne que, si la Communauté avait le droit d’engager des enquêtes en matière de concurrence à propos de l’exercice des fonctions publiques d’Eurocontrol, elle pourrait en fait déterminer unilatéralement la façon dont Eurocontrol exerce ses activités institutionnelles, éluder les principes fixés par la convention pour la sécurité de la navigation aérienne en matière de décision et méconnaître les droits des autres parties contractantes.

61      Eurocontrol considère que la question de son immunité, ainsi exposée, relève de la même catégorie que celle des questions fondamentales d’ordre public qui doivent être soulevées d’office par le juge communautaire. À l’audience, elle a explicitement présenté cette question sous l’angle d’un défaut de compétence de la Commission pour se prononcer au fond sur les mesures demandées par la requérante.

62      À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt SAT Fluggesellschaft, précité, la Cour s’est déclarée compétente pour statuer sur l’interprétation des dispositions du traité, en application de l’article 234 CE, dans une affaire relative à un litige opposant devant une juridiction nationale une société privée à Eurocontrol et concernant, notamment, l’application des règles communautaires de la concurrence. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que la question de savoir si les règles du droit communautaire peuvent être opposées à Eurocontrol se rattache au fond et reste sans incidence sur la compétence de la Cour.

63      La Commission étant chargée, en vertu de l’article 211 CE, de veiller à l’application des dispositions du traité, c’est également dans le cadre de ses compétences qu’elle a examiné la plainte de Selex et a rejeté celle-ci en estimant que l’article 82 CE n’était pas applicable à Eurocontrol.

64      Dans ces conditions, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner d’office les conclusions d’Eurocontrol relatives à son immunité.

C –  Sur les moyens relatifs au fond

65      Selex soulève au fond une série de moyens tirés d’erreurs de droit que le Tribunal aurait commises, afférentes à l’applicabilité de l’article 82 CE aux activités d’Eurocontrol en cause, à savoir les activités d’assistance aux administrations nationales, de normalisation technique ainsi que de recherche et de développement, ou à la violation de cet article. La Commission conclut au rejet du pourvoi, mais sollicite une substitution de motifs à ceux de l’arrêt attaqué en ce qui concerne les deux premières activités.

1.     Sur les moyens relatifs à l’applicabilité de l’article 82 CE à l’activité d’assistance aux administrations nationales et à la violation de cet article

66      Selex avance, concernant l’activité d’assistance aux administrations nationales exercée par Eurocontrol, cinq moyens à l’appui de son pourvoi, tirés, le premier, d’une dénaturation du contenu de la décision litigieuse, les deuxième et troisième, du caractère contradictoire de la motivation, le quatrième, d’une violation de la jurisprudence communautaire relative aux limites du contrôle juridictionnel et le cinquième, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la violation de l’article 82 CE. Estimant que le Tribunal a commis une erreur de droit en qualifiant cette activité d’activité économique, la Commission sollicite à titre principal une substitution de motifs à ceux de l’arrêt attaqué, rendant inutile l’examen des moyens du pourvoi, et conclut à titre subsidiaire au rejet desdits moyens.

67      Force est de constater que, à supposer une telle erreur de droit avérée, c’est la prémisse même se trouvant à la base des développements de l’arrêt attaqué, dénoncés dans le cadre des cinq moyens du pourvoi susmentionnés, qui se trouverait anéantie. En pareil cas, lesdits développements manqueraient de tout fondement et les cinq moyens susdits seraient alors sans objet.

68      Dans ces conditions, la Cour ne saurait se prononcer sur les cinq moyens susdits en faisant abstraction du caractère éventuellement erroné de la motivation au terme de laquelle le Tribunal a considéré que l’activité d’assistance aux administrations nationales exercée par Eurocontrol devait être qualifiée d’activité économique.

69      Il convient de rappeler à cet égard que, ainsi que l’a énoncé le Tribunal au point 87 de l’arrêt attaqué, constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêts du 16 juin 1987, Commission/Italie, 118/85, Rec. p. 2599, point 7; du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C‑180/98 à C‑184/98, Rec. p. I‑6451, point 75, ainsi que du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, non encore publié au Recueil, point 22).

70      Il convient également de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, ne présentent pas de caractère économique, justifiant l’application des règles de concurrence du traité, les activités qui se rattachent à l’exercice de prérogatives de puissance publique (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1985, Commission/Allemagne, 107/84, Rec. p. 2655, points 14 et 15; SAT Fluggesellschaft, précité, point 30, ainsi que MOTOE, précité, point 24).

71      Dans l’arrêt SAT Fluggesellschaft, précité, la Cour, sans se prononcer spécialement sur l’activité d’assistance aux administrations nationales exercée par Eurocontrol, a considéré, au point 30, que prises dans leur ensemble, les activités d’Eurocontrol, par leur nature, par leur objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l’exercice de prérogatives, relatives au contrôle et à la police de l’espace aérien, qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique et qu’elles ne présentent pas un caractère économique. En conséquence, la Cour a dit pour droit que les articles 86 et 90 du traité (devenus articles 82 CE et 86 CE) doivent être interprétés en ce sens qu’une organisation internationale comme Eurocontrol ne constitue pas une entreprise au sens de ces articles.

72      Contrairement à ce que soutient Selex, cette conclusion vaut également pour l’activité d’assistance qu’Eurocontrol exerce au profit des administrations nationales, lorsqu’elles en font la demande, à l’occasion des procédures d’appel d’offres menées par celles-ci pour l’acquisition, notamment, d’équipements et de systèmes dans le domaine de la gestion du trafic aérien.

73      En effet, il ressort de l’article 1er de la convention pour la sécurité de la navigation aérienne qu’Eurocontrol a pour objet, afin de réaliser l’harmonisation et l’intégration nécessaires à la mise en place d’un système européen uniforme de gestion de la circulation aérienne, de renforcer la coopération entre les parties contractantes et de développer leurs activités communes dans le domaine de la navigation aérienne, en tenant dûment compte des nécessités de la défense, tout en assurant à tous les usagers de l’espace aérien le maximum de liberté compatible avec le niveau de sécurité requis.

74      À cette fin, Eurocontrol a pour vocation, entre autres, selon ledit article 1er, sous e), f) et h), d’adopter et d’appliquer des normes et spécifications communes, d’harmoniser les réglementations applicables aux services de la circulation aérienne et de favoriser l’acquisition commune de systèmes et d’installations de la circulation aérienne.

75      L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la convention pour la sécurité de la navigation aérienne prévoit qu’Eurocontrol peut, à la demande d’une ou de plusieurs parties contractantes, et sur la base d’un ou de plusieurs accords particuliers conclus entre elle et les parties contractantes intéressées, assister lesdites parties contractantes dans la planification, la spécification et la création de systèmes et de services de la circulation aérienne.

76      Il s’infère de la convention pour la sécurité de la navigation aérienne que cette activité d’assistance est l’un des instruments de coopération confiés par cette convention à Eurocontrol et participe directement à la réalisation de l’objectif d’harmonisation et d’intégration techniques dans le domaine de la circulation aérienne qui est poursuivi pour contribuer au maintien et à l’amélioration de la sécurité de la navigation aérienne. Prenant, notamment, la forme d’une assistance offerte aux administrations nationales lors de la mise en œuvre de procédures d’appel d’offres pour l’acquisition d’équipements ou de systèmes de gestion de la circulation aérienne, ladite activité vise à intégrer dans les cahiers des charges relatifs à ces procédures les normes et spécifications techniques communes élaborées et adoptées par Eurocontrol aux fins de la réalisation d’un système européen harmonisé de gestion de la circulation aérienne. Elle est ainsi étroitement liée à la mission de normalisation technique confiée par les parties contractantes à Eurocontrol dans le cadre d’une coopération entre États visant au maintien et au développement de la sécurité de la navigation aérienne, de sorte qu’elle se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique.

77      C’est, dès lors, en procédant à une appréciation erronée en droit que le Tribunal a jugé que l’activité d’assistance aux administrations nationales était dissociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne d’Eurocontrol en considérant que la relation entre ladite activité d’assistance et la sécurité de la navigation aérienne était indirecte, motif pris de ce que l’assistance offerte par Eurocontrol ne couvrait que les spécifications techniques lors de la mise en œuvre de procédures d’appel d’offres et ne se répercutait donc sur la sécurité de la navigation aérienne que par le biais de ces procédures.

78      Les autres motifs de l’arrêt attaqué énoncés à cet égard, selon lesquels Eurocontrol n’offre son assistance aux administrations nationales que sur demande de celles-ci et qu’il ne s’agit donc pas d’une activité essentielle ou indispensable à la garantie de la sécurité de la navigation aérienne, ne sont pas de nature à démontrer que l’activité en cause ne se rattache pas à l’exercice de prérogatives de puissance publique.

79      En effet, le fait que l’assistance d’Eurocontrol soit optionnelle et que, le cas échéant, certains États membres seulement y ont recours ne permet pas d’exclure un tel rattachement ni ne modifie la nature de cette activité. De plus, le rattachement à l’exercice de prérogatives de puissance publique ne requiert pas que l’activité concernée soit essentielle ou indispensable à la garantie de la sécurité de la navigation aérienne, ce qui importe étant qu’elle se rattache au maintien et au développement de la sécurité de la navigation aérienne qui constituent des prérogatives de puissance publique.

80      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le Tribunal a commis une erreur de droit en qualifiant l’activité d’assistance aux administrations nationales d’Eurocontrol d’activité économique et qu’il a, en conséquence, par des motifs erronés en droit, considéré qu’Eurocontrol, dans l’exercice de ladite activité, était une entreprise au sens de l’article 82 CE. Par conséquent, c’est à tort qu’il a accueilli, dans cette mesure, le premier moyen développé devant lui par la requérante et tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’applicabilité de l’article 82 CE à Eurocontrol.

81      Il convient cependant de rappeler que, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit communautaire, mais que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit être rejeté (voir arrêts du 9 juin 1992, Lestelle/Commission, C‑30/91 P, Rec. p. I‑3755, point 28; du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, Rec. p. I‑5843, point 58, ainsi que du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 57).

82      En l’occurrence, il découle des motifs exposés aux points 72 à 79 du présent arrêt que l’activité d’assistance aux administrations nationales d’Eurocontrol se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique et que, en tout état de cause, elle n’est pas en elle-même de nature économique, de sorte que cette organisation, dans l’exercice de cette activité, n’est pas une entreprise au sens de l’article 82 CE. La décision litigieuse n’est, dès lors, entachée d’aucune erreur à cet égard.

83      Il s’ensuit que le dispositif de l’arrêt attaqué, qui rejette le recours, demeure fondé en droit et, partant, que l’erreur de droit commise dans la motivation de l’arrêt attaqué n’entraîne pas l’annulation de ce dernier.

84      S’agissant des cinq moyens avancés par Selex, il convient de constater que ceux-ci visent les motifs de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal, après avoir considéré que l’activité d’assistance aux administrations nationales d’Eurocontrol constituait une activité économique et que, par conséquent, Eurocontrol, dans l’exercice de celle-ci, était une entreprise au sens de l’article 82 CE, a rejeté le deuxième moyen invoqué par la requérante à l’appui de son recours, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission quant à l’existence d’une violation de l’article 82 CE.

85      Or, il résulte des motifs énoncés précédemment que, Eurocontrol n’étant pas, dans l’exercice de son activité d’assistance aux administrations nationales, une entreprise au sens de l’article 82 CE, cet article n’est pas applicable à ladite activité. Dès lors, doivent être écartés comme étant sans objet les cinq moyens avancés par Selex critiquant les motifs de l’arrêt attaqué se rapportant à la violation alléguée de l’article 82 CE.

2.     Sur les moyens relatifs à l’applicabilité de l’article 82 CE à l’activité de normalisation technique

86      Selex avance, concernant l’activité de normalisation technique exercée par Eurocontrol, quatre moyens à l’appui de son pourvoi, tirés d’une dénaturation du contenu de la décision litigieuse, de l’adoption d’une notion d’activité économique contraire à celle dégagée par la jurisprudence communautaire, de l’application erronée de la jurisprudence en matière de prestations sociales ainsi que d’une violation de l’obligation de fournir une motivation suffisante. Estimant qu’est erronée la distinction opérée par l’arrêt attaqué entre l’activité d’adoption des normes techniques, qui relèverait de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne, et celle de préparation et d’élaboration de telles normes, qui n’en relèverait pas, la Commission sollicite une substitution de motifs sur ce point et conclut pour le reste au rejet des moyens du pourvoi.

87      Force est de constater que, à supposer une telle erreur avérée, c’est la prémisse même se trouvant à la base de certains développements de l’arrêt attaqué, dénoncés dans le cadre du moyen tiré de l’adoption d’une notion d’activité économique contraire à celle dégagée par la jurisprudence communautaire, qui se trouverait anéantie. En pareil cas, lesdits développements manqueraient de tout fondement et le moyen concerné serait alors sans objet.

88      Dans ces conditions, et ainsi qu’il est relevé au point 68 du présent arrêt, la Cour ne saurait se prononcer sur le moyen susdit en faisant abstraction du caractère éventuellement erroné de la motivation au terme de laquelle le Tribunal a considéré en substance que, à la différence de l’activité d’adoption des normes techniques, l’activité de préparation et d’élaboration de telles normes était dissociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne, de sorte qu’elle était susceptible d’être qualifiée d’activité économique.

89      À cet égard, pour effectuer la distinction critiquée, le Tribunal a d’abord énoncé, au point 59 de l’arrêt attaqué, que l’adoption, par le conseil d’Eurocontrol, des normes établies par l’organe exécutif de cette organisation relève du domaine législatif, ledit conseil étant composé des directeurs de l’administration de l’aviation civile de chaque État contractant, mandatés par leurs États respectifs pour adopter des spécifications techniques qui auront force contraignante dans tous ces États. Cette activité relève directement, selon les motifs de l’arrêt attaqué, de l’exercice, par ces États, de leurs prérogatives de puissance publique, le rôle d’Eurocontrol s’apparentant ainsi à celui d’un ministère qui, au niveau national, prépare les mesures législatives ou réglementaires qui seront ensuite adoptées par le gouvernement. Il s’agit donc d’une activité relevant de la mission publique d’Eurocontrol.

90      Le Tribunal a ensuite énoncé, au point 60 de l’arrêt attaqué, que l’activité de préparation et d’élaboration des normes techniques par Eurocontrol pouvait en revanche être dissociée de sa mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne. Pour fonder cette appréciation, il a considéré que les arguments invoqués par la Commission pour démontrer que l’activité de normalisation d’Eurocontrol se rattachait à la mission de service public de cette organisation ne se référaient, en fait, qu’à l’adoption de ces normes et non à leur élaboration, la nécessité d’une adoption de normes au plan international n’impliquant pas nécessairement que l’entité qui élabore ces normes doive aussi être celle qui, ensuite, les adopte.

91      Toutefois, il convient d’observer que l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la convention pour la sécurité de la navigation aérienne prévoit qu’Eurocontrol est chargée d’élaborer, d’adopter et de tenir à l’étude des normes, des spécifications et des pratiques communes pour les systèmes et les services de gestion de la circulation aérienne. Force est, dès lors, de constater que les États contractants ont confié à Eurocontrol tant la préparation et l’élaboration des normes que leur adoption, sans dissocier ces fonctions.

92      En outre, la préparation et l’élaboration de normes techniques participent directement à la réalisation de l’objet d’Eurocontrol, défini à l’article 1er de la convention pour la sécurité de la navigation aérienne et rappelé au point 73 du présent arrêt, qui est de réaliser l’harmonisation et l’intégration nécessaires à la mise en place d’un système européen uniforme de gestion de la circulation aérienne. Elles sont inhérentes à la mission de normalisation technique confiée par les parties contractantes à Eurocontrol dans le cadre d’une coopération entre États visant au maintien et au développement de la sécurité de la navigation aérienne, lesquels constituent des prérogatives de puissance publique.

93      Il s’ensuit que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit en ce qu’il affirme que l’activité de préparation ou d’élaboration des normes techniques par Eurocontrol peut être dissociée de sa mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne. Cette erreur n’affecte cependant pas la conclusion du Tribunal, fondée sur d’autres motifs, selon laquelle la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les activités de normalisation technique d’Eurocontrol n’étaient pas des activités économiques et que les règles de concurrence du traité n’étaient donc pas applicables à celles-ci. Il convient donc encore de constater que l’erreur de droit commise dans la motivation de l’arrêt attaqué n’entraîne pas l’annulation de ce dernier.

a)     Sur le moyen tiré de l’adoption d’une notion d’activité économique contraire à celle dégagée par la jurisprudence communautaire

94      Selex affirme, à l’appui de ce moyen, que l’appréciation du Tribunal selon laquelle elle n’aurait pas démontré l’existence d’un marché pour les services de normalisation technique est sans rapport avec l’appréciation de la nature économique de cette activité et n’est pas exacte, la définition du marché en cause proposée par elle ayant été accueillie par la Commission dans la décision litigieuse. Elle soutient que, contrairement à l’appréciation du Tribunal, Eurocontrol offre bien aux États un service autonome consistant en l’élaboration de normes techniques. En tout état de cause, la circonstance que l’activité en cause ne donne pas lieu à une offre de biens ou de services sur un marché donné ne serait pas pertinente au regard de la jurisprudence et de la pratique de la Commission. Ce qui importerait serait que cette activité puisse intrinsèquement et objectivement être qualifiée d’activité économique.

95      Par ailleurs, les motifs retenus au point 61 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a exclu la nature économique de l’activité d’élaboration des normes en raison du fait que ces normes sont ensuite adoptées par le conseil d’Eurocontrol, seraient contradictoires avec ceux énoncés aux points 59 et 60 de cet arrêt, dans lesquels le Tribunal a distingué l’élaboration des normes techniques de leur adoption.

96      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il résulte des motifs retenus aux points 91 et 92 du présent arrêt que l’activité de normalisation technique d’Eurocontrol, dans son ensemble, se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique et, par conséquent, ne présente pas de caractère économique.

97      Il s’ensuit qu’est sans objet le présent moyen par lequel Selex critique les motifs de l’arrêt attaqué ayant conduit le Tribunal à considérer que la requérante n’avait pas démontré que l’activité de normalisation technique consistait à offrir des biens ou des services sur un marché donné.

b)     Sur le moyen tiré de la dénaturation du contenu de la décision litigieuse

98      Selex soutient, par ce moyen, que le Tribunal, en affirmant, aux points 15 et 48 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse reposait sur la double constatation de ce qu’Eurocontrol n’était pas une entreprise et de ce que, en tout état de cause, les comportements mis en cause n’étaient pas contraires à l’article 82 CE, a dénaturé le contenu de ladite décision qui est fondée exclusivement sur l’appréciation de la nature économique de l’activité considérée et ne révèle aucune appréciation quant à l’existence d’un abus de position dominante. Le Tribunal aurait en réalité reproduit une formule de style employée par la Commission sans examiner si celle-ci était assortie d’une motivation, même minime, et aurait substitué sa propre motivation à celle que la Commission avait réellement développée.

99      Il suffit de constater, à cet égard, que ce moyen est inopérant, puisque le Tribunal a rejeté le recours au motif que les règles de concurrence du traité n’étaient pas applicables à l’activité de normalisation technique d’Eurocontrol et n’a, dès lors, pas examiné le deuxième moyen avancé par la requérante, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence d’une violation de l’article 82 CE par Eurocontrol.

100    Il y a lieu, en conséquence, de rejeter ce moyen.

c)     Sur le moyen tiré de l’application erronée de la jurisprudence communautaire en matière de prestations sociales

101    Selex soutient, par ce moyen, que le Tribunal a rejeté à tort son argumentation selon laquelle le raisonnement suivi dans l’arrêt FENIN/Commission, précité, ne pouvait être transposé à la présente affaire dans laquelle aucun élément de solidarité ne caractérise l’activité en cause. Il ressortirait pourtant de la jurisprudence que cet élément est, selon son degré, déterminant pour affirmer ou nier que l’activité concernée est celle d’une entreprise.

102    Mais, d’une part, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a énoncé, au point 65 de l’arrêt attaqué, en se référant à l’arrêt FENIN/Commission, précité, que, aux fins d’apprécier si une activité a ou non un caractère économique, il n’y a pas lieu de dissocier l’activité d’achat du produit de l’utilisation ultérieure qui en est faite et que le caractère économique ou non de l’utilisation ultérieure du produit détermine nécessairement le caractère de l’activité d’achat (voir arrêt du 11 juillet 2006, FENIN/Commission, C‑205/03 P, Rec. p. I‑6295, point 26). Le Tribunal en a justement tiré la conséquence en l’espèce que le caractère non économique de l’activité de normalisation technique impliquait le caractère non économique de l’acquisition des prototypes dans le cadre de ladite normalisation.

103    D’autre part, c’est également à bon droit que l’arrêt attaqué a écarté l’argument de la requérante selon lequel ce raisonnement ne serait pas transposable en l’espèce. En effet, le même raisonnement peut à l’évidence s’appliquer à d’autres activités que celles ayant un caractère social ou fondées sur la solidarité, ces éléments ne constituant pas une condition du caractère non économique d’une activité, mais seulement des données à prendre en considération, le cas échéant, pour qualifier une activité conformément à la jurisprudence rappelée aux points 69 et 70 du présent arrêt.

104    Il s’ensuit que ce moyen doit être écarté.

d)      Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de fournir une motivation suffisante

105    Selex fait grief à l’arrêt attaqué de ne pas être suffisamment motivé, aux points 59 à 62 de celui-ci, en ce qui concerne la détermination du marché de la normalisation. Elle observe que, en présence d’une définition du marché en cause proposée par elle et non contestée par la Commission dans la décision litigieuse, le Tribunal s’est écarté de cette définition sans fournir d’arguments à l’appui de son appréciation divergente et sans faire référence aux éléments techniques et juridiques exposés par les parties.

106    À cet égard, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient Selex, la Commission ne s’est nullement prononcée, dans la décision litigieuse, sur la définition du marché qui serait pertinent, mais a considéré, comme elle l’a ensuite également soutenu devant le Tribunal, que l’activité de normalisation technique n’était pas de nature économique. Parvenant à la même conclusion, le Tribunal a exposé, aux points 59 à 62 de l’arrêt attaqué, les motifs l’ayant conduit à considérer que la requérante n’avait pas démontré que l’activité de normalisation technique consistait à offrir des biens ou des services sur un marché donné.

107    Ce faisant, le Tribunal a, sans qu’il fût nécessaire de reprendre tous les éléments techniques et les arguments avancés par les parties, assorti sa conclusion d’une motivation suffisante, permettant aux parties d’en connaître les raisons et à la Cour d’exercer son contrôle, ce dont il résulte que le moyen doit être rejeté.

3.     Sur les moyens relatifs à l’applicabilité de l’article 82 CE à l’activité de recherche et de développement

108    Selex avance, concernant l’activité de recherche et de développement exercée par Eurocontrol, trois moyens à l’appui de son pourvoi, tirés d’une dénaturation du contenu de la décision litigieuse, de l’adoption d’une notion d’activité économique contraire à celle dégagée par la jurisprudence communautaire et d’une dénaturation des éléments de preuve produits par elle en ce qui concerne la nature économique de la gestion du régime de propriété intellectuelle.

a)     Sur le moyen tiré de la dénaturation du contenu de la décision litigieuse

109    Selex soutient, par ce moyen, que l’arrêt attaqué comporte une dénaturation manifeste du contenu de la décision litigieuse en ce qu’il y est relevé que l’affirmation selon laquelle la Commission n’a pas contesté la nature économique de l’activité d’acquisition de prototypes et de gestion des droits de propriété intellectuelle ne trouve pas de fondement dans ladite décision, alors qu’une simple lecture de celle-ci montre que la Commission n’a jamais contesté ce point, mais a contesté uniquement l’existence d’un abus de position dominante. Ainsi, le Tribunal aurait attribué à la décision litigieuse un contenu qui n’est pas le sien et substitué sa propre motivation à celle de ladite décision.

110    Il suffit de constater, à cet égard, que ce moyen est dépourvu de fondement, puisque la Commission a indiqué expressément, aux points 28 et 29 de la décision litigieuse, qu’elle estimait que les activités d’Eurocontrol faisant l’objet de la plainte n’étaient pas de nature économique. Cette appréciation ressort également du point 32 de la décision litigieuse relatif à la gestion des droits de propriété intellectuelle.

111    À supposer que ce moyen vise en réalité un défaut de motivation de la décision litigieuse, comme l’observe la Commission, ce moyen est irrecevable comme ayant été soulevé pour la première fois au stade du pourvoi.

112    Il y a lieu, en conséquence, de rejeter ce moyen.

b)     Sur le moyen tiré de l’adoption d’une notion d’activité économique contraire à celle dégagée par la jurisprudence communautaire

113    Par ce moyen, Selex critique, d’abord, les énonciations contenues au point 76 de l’arrêt attaqué selon lesquelles l’acquisition de prototypes est une activité annexe à leur développement exercé par des tiers. Elle souligne que l’activité qui est en cause est bien celle de l’acquisition de prototypes, qui se situe en amont de la définition de spécifications techniques, et qu’il importe donc peu que le développement des prototypes soit le fait de tiers.

114    À cet égard, force est de constater que ce n’est pas pour ce dernier motif que le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’activité de recherche et de développement financée par Eurocontrol ne constituait pas une activité économique et que les règles de concurrence ne lui étaient pas applicables. En effet, il ressort du point 75 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que l’acquisition de prototypes effectuée dans le cadre de cette activité et la gestion des droits de propriété intellectuelle s’y rapportant ne conféraient pas à celle-ci un caractère économique, puisque ladite acquisition n’impliquait pas l’offre de biens ou de services sur un marché donné. Une telle analyse est, du reste, pour les motifs exposés au point 102 du présent arrêt, exempte d’erreur de droit.

115    Selex fait, ensuite, grief à l’arrêt attaqué d’avoir relevé, au point 77, que l’acquisition des droits de propriété intellectuelle n’était pas destinée à leur exploitation commerciale et que les licences étaient octroyées à titre gratuit. Ces constatations, en les supposant exactes, seraient en contradiction avec la jurisprudence selon laquelle le fait qu’une entité ne poursuive pas un but lucratif n’est pas un élément pertinent pour la qualifier ou non d’entreprise.

116    Contrairement à ce qui est ainsi soutenu, il résulte de la jurisprudence que l’absence de but lucratif est un critère pertinent pour apprécier si une activité a ou non un caractère économique, mais qu’il n’est pas suffisant (voir notamment, en ce sens, arrêts du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurance e.a., C‑244/94, Rec. p. I‑4013, point 21; du 21 septembre 1999, Albany, C‑67/96, Rec. p. I‑5751, point 85, ainsi que du 23 mars 2006, Enirisorse, C‑237/04, Rec. p. I‑2843, point 31).

117    Ainsi, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, après avoir rappelé que, dans le cadre de l’examen du caractère économique d’une activité, le critère de l’absence de rémunération ne constitue qu’un indice parmi d’autres et ne saurait, en soi, exclure le caractère économique de cette activité, pris en considération le fait qu’Eurocontrol octroyait gratuitement les licences sur les prototypes comme un indice du caractère non économique de l’activité de gestion des droits de propriété intellectuelle, cet indice s’ajoutant à d’autres éléments.

118    Enfin, selon Selex, est contraire à la jurisprudence l’énonciation contenue au point 77 de l’arrêt attaqué selon laquelle la gestion des droits de propriété intellectuelle est accessoire à la promotion du développement technique, s’inscrivant dans le cadre de l’objectif d’intérêt général de la mission d’Eurocontrol et n’étant pas poursuivie dans un intérêt propre de l’organisation qui serait dissociable dudit objectif, ce qui exclut le caractère économique d’une activité. Selex fait valoir, d’une part, en se référant à l’arrêt Enirisorse, précité, qu’il a déjà été jugé que la tâche de développer de nouvelles technologies peut être de nature économique et, d’autre part, en se référant à cet arrêt et à l’arrêt du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner (C‑475/99, Rec. p. I‑8089, point 21), que la circonstance que des obligations de service public pèsent sur un opérateur ne saurait empêcher que l’activité en cause soit considérée comme une activité économique.

119    Sur ce point, il convient d’observer que les motifs critiqués de l’arrêt attaqué n’excluent nullement qu’une activité de développement technologique puisse avoir un caractère économique, de même qu’ils n’excluent pas qu’une entité soumise à des obligations de service public puisse exercer une activité ayant ce caractère. Le Tribunal n’a procédé qu’à une appréciation des éléments propres à l’espèce et a déduit, sans commettre d’erreur de droit ni s’inscrire contre la jurisprudence invoquée, du caractère gratuit de l’activité de gestion des droits de propriété intellectuelle et du but d’intérêt général exclusivement poursuivi par la mission d’Eurocontrol dans laquelle elle s’inscrit, exercée accessoirement à celle de promotion du développement technique, que ladite activité n’avait pas de caractère économique.

120    Aucun des arguments avancés n’étant fondé, il y a lieu de rejeter également ce moyen.

c)     Sur le moyen tiré d’une dénaturation des éléments de preuve produits par la requérante en ce qui concerne la nature économique de la gestion du régime de propriété intellectuelle

121    Selex, par ce moyen, reproche au Tribunal d’avoir déformé, au point 79 de l’arrêt attaqué, des propos qu’elle a tenus lors de l’audience au sujet des rémunérations d’Eurocontrol en affirmant que ces propos se fondaient sur un document interne de cette dernière, intitulé «ARTAS Intellectual Property Rights and Industrial Policy» (Droits de propriété intellectuelle et politique industrielle dans le cadre du système ARTAS), en date du 23 avril 1997, et tendaient à démontrer qu’Eurocontrol percevait une rémunération pour la gestion des licences. Elle n’aurait en réalité invoqué ledit document dans sa requête que pour souligner la variété des rôles assumés par Eurocontrol et la contradiction existant entre le système de gestion des droits de propriété intellectuelle développé par Eurocontrol et le contenu dudit document. En revanche, à l’audience, elle aurait fait état de la dernière version publique de ce document, intitulé «ARTAS Industrial Policy» (Politique industrielle ARTAS) pour souligner seulement que le caractère économique de l’activité en question était devenu manifeste. Ainsi, le Tribunal aurait attribué à la requête un contenu qu’elle n’avait pas.

122    Il suffit d’observer à cet égard que, si le Tribunal a compris que l’affirmation de la requérante selon laquelle les licences octroyées par Eurocontrol n’étaient pas gratuites était fondée sur le document invoqué dans la requête et non sur celui mentionné pour la première fois à l’audience, cela ne remet nullement en cause l’appréciation qu’il a faite du caractère gratuit desdites licences ni, en définitive, la conclusion qu’il a tirée de son examen de l’ensemble des éléments concernant l’activité de recherche et de développement.

123    Ce moyen doit, dès lors, être rejeté.

124    En conséquence de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

V –  Sur les dépens

125    Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Selex succombant en son pourvoi, elle supportera ses propres dépens et ceux exposés par la Commission conformément aux conclusions de cette dernière.

126    Selon l’article 69, paragraphe 3, premier alinéa, du même règlement, également applicable à la procédure de pourvoi, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Cour décide en l’espèce que Selex supportera la moitié des dépens exposés par Eurocontrol, laquelle supportera donc la moitié de ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      SELEX Sistemi Integrati SpA supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission des Communautés européennes et la moitié de ceux exposés par l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol).

3)      L’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne supporte la moitié des dépens qu’elle a exposés.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.