Language of document : ECLI:EU:T:2009:90

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

31 mars 2009 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché communautaire des poutrelles – Décision constatant une infraction à l’article 65 CA, après l’expiration du traité CECA, sur le fondement du règlement (CE) n° 1/2003 – Compétence de la Commission – Imputabilité du comportement infractionnel – Prescription – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑405/06,

ArcelorMittal Luxembourg SA, anciennement Arcelor Luxembourg SA, établie à Luxembourg (Luxembourg),

ArcelorMittal Belval & Differdange SA, anciennement Arcelor Profil Luxembourg SA, établie à Esch-sur-Alzette (Luxembourg),

ArcelorMittal International SA, anciennement Arcelor International SA, établie à Luxembourg,

représentées par Me A. Vandencasteele, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. X. Lewis et F. Arbault, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2006) 5342 final de la Commission, du 8 novembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 65 [CA] concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (affaire COMP/F/38.907 – Poutrelles en acier),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, D. Šváby et L. Truchot, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 novembre 2008,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

 Dispositions du traité CECA

1        Aux termes de l’article 65 CA :

« 1.      Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence, et en particulier :

a)      à fixer ou à déterminer les prix ;

b)      à restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou les investissements ;

c)      à répartir les marchés, produits, clients ou sources d’approvisionnement.

[…]

4.      Les accord ou décisions interdits en vertu du paragraphe 1 du présent article sont nuls de plein droit et ne peuvent être invoqués devant aucune juridiction des États membres.

La Commission a compétence exclusive, sous réserve des recours devant la Cour, pour se prononcer sur la conformité avec les dispositions du présent article desdits accords ou décisions.

5.      La Commission peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d’appliquer, par voie d’arbitrage, dédit, boycott ou tout autre moyen, un accord ou une décision nuls de plein droit ou un accord dont l’approbation a été refusée ou révoquée, ou qui obtiendraient le bénéfice d’une autorisation au moyen d’informations sciemment fausses ou déformées, ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au double du chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet de l’accord, de la décision ou de la pratique contraires aux dispositions du présent article, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d’un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne l’amende, et de 20 % du chiffre d’affaires journalier, en ce qui concerne les astreintes. »

2        Conformément à l’article 97 CA, le traité CECA a expiré le 23 juillet 2002.

 Dispositions du traité CE

3        Aux termes de l’article 305, paragraphe 1, CE :

« Les dispositions du présent traité ne modifient pas celles du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, notamment en ce qui concerne les droits et obligations des États membres, les pouvoirs des institutions de cette Communauté et les règles posées par ce traité pour le fonctionnement du marché commun du charbon et de l’acier. »

 Communication de la Commission sur certains aspects du traitement des affaires de concurrence résultant de l’expiration du traité CECA

4        Le 18 juin 2002, la Commission a adopté une communication sur certains aspects du traitement des affaires de concurrence résultant de l’expiration du traité CECA (JO C 152, p. 5, ci-après la « communication du 18 juin 2002 »).

5        Au point 2 de la communication du 18 juin 2002, il est précisé que l’objet de celle-ci est :

« –      de récapituler, à l’intention des opérateurs économiques et des États membres dans la mesure où ils sont concernés par le traité CECA et son droit dérivé, les modifications les plus importantes du droit matériel et procédural découlant de la transition vers le régime du traité CE […],

–        d’expliquer comment la Commission entend régler les problèmes spécifiques posés par la transition du régime CECA au régime CE dans le domaine des ententes et des abus de position dominante […], du contrôle des concentrations […] et du contrôle des aides d’État ».

6        Le point 31 de la communication du 18 juin 2002, qui figure dans la section consacrée aux problèmes spécifiques posés par la transition du régime CECA au régime CE, est libellé comme suit :

« Si, dans l’application des règles communautaires de la concurrence à des accords, la Commission constate une infraction dans un domaine relevant du traité CECA, le droit matériel applicable est, quelle que soit la date d’application, celui en vigueur au moment où les faits constitutifs de l’infraction se sont produits. En tout état de cause, sur le plan procédural, le droit applicable après l’expiration du traité CECA sera le droit CE […] »

 Règlement (CE) n° 1/2003

7        Aux termes de l’article 4 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), « [p]our l’application des articles 81 [CE] et 82 [CE], la Commission dispose des compétences prévues par le présent règlement ».

8        Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 :

« Si la Commission, agissant d’office ou saisie d’une plainte, constate l’existence d’une infraction aux dispositions de l’article 81 [CE] ou 82 [CE], elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d’entreprises intéressées à mettre fin à l’infraction constatée […] Lorsque la Commission y a un intérêt légitime, elle peut également constater qu’une infraction a été commise dans le passé. »

9        Aux termes de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 CE ou 82 CE.

 Dispositions relatives à la prescription en matière de poursuites

10      Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision n° 715/78/CECA de la Commission, du 6 avril 1978, relative à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (JO L 94, p. 22), et de l’article 25, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, le pouvoir de la Commission de prononcer des amendes pour infractions aux dispositions du droit de la concurrence est soumis, en principe, à un délai de prescription de cinq ans.

11      Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise. Toutefois, pour les infractions continues ou répétées, la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin.

12      Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, la prescription est interrompue par tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. L’interruption de la prescription prend effet le jour où l’acte est notifié à au moins une entreprise ayant participé à l’infraction. Constituent notamment des actes interrompant la prescription :

–        les demandes de renseignements écrites de la Commission, ainsi que les décisions de la Commission exigeant les renseignements demandés ;

–        les mandats écrits d’inspection ou de vérification délivrés à ses agents par la Commission, ainsi que les décisions de la Commission ordonnant des vérifications ;

–        l’engagement d’une procédure par la Commission ;

–        la communication des griefs retenus par la Commission.

13      Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, l’interruption de la prescription vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction.

14      Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption. Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration, sans que la Commission ait prononcé une amende ou une sanction. Ce délai est prorogé de la période pendant laquelle la prescription est suspendue.

15      Aux termes de l’article 3 de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, la prescription en matière de poursuites est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant le juge communautaire.

 Antécédents du litige

16      À l’époque des faits à l’origine du présent litige, ARBED SA était active dans la fabrication de produits sidérurgiques. Depuis lors, ARBED SA a changé de dénomination sociale pour devenir successivement Arcelor Luxembourg SA, puis ArcelorMittal Luxembourg SA (ci-après « ARBED »).

17      À la même époque, TradeARBED SA, constituée en tant que filiale à 100 % d’ARBED, avait pour activité la distribution des produits sidérurgiques fabriqués par ARBED. Depuis lors, TradeARBED SA a changé de dénomination sociale pour devenir successivement Arcelor International SA, puis ArcelorMittal International SA (ci-après « TradeARBED »).

18      ProfilARBED SA a été constituée le 27 novembre 1992, en tant que filiale à 100 % d’ARBED, pour poursuivre à partir de cette date les activités économiques et industrielles d’ARBED dans le secteur des poutrelles. Depuis lors, ProfilARBED SA a changé de dénomination sociale pour devenir successivement Arcelor Profil Luxembourg SA, puis ArcelorMittal Belval & Differdange SA (ci‑après « ProfilARBED »).

19      En 1991, la Commission a, sur la base de décisions adoptées au titre de l’article 47 CA, effectué des vérifications dans les bureaux de diverses entreprises, dont TradeARBED. Le 6 mai 1992, elle a adressé une communication des griefs aux entreprises concernées, parmi lesquelles TradeARBED, mais pas à ARBED. TradeARBED a également participé à une audition qui s’est tenue du 11 au 14 janvier 1993.

20      Par décision 94/215/CECA, du 16 février 1994, relative à une procédure d’application de l’article 65 [CA] concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1, ci-après la « décision initiale »), la Commission a constaté la participation de 17 entreprises sidérurgiques européennes, parmi lesquelles TradeARBED, à une série d’accords, de décisions et de pratiques concertées de fixation des prix, de répartition des marchés et d’échange d’informations confidentielles sur le marché communautaire des poutrelles, en violation de l’article 65, paragraphe 1, CA, et a infligé des amendes à quatorze entreprises de ce secteur, parmi lesquelles ARBED (11 200 000 écus), pour des infractions commises entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990.

21      Selon le considérant 322 de la décision initiale :

« Seule TradeARBED a pris part aux divers accords et pratiques, mais TradeARBED est une société de vente qui distribue notamment des poutrelles moyennant une commission pour sa société mère ARBED. TradeARBED perçoit un faible pourcentage du prix de vente pour ses services. Pour assurer l’égalité de traitement, la présente décision est adressée à ARBED, la société productrice des poutrelles du groupe ARBED, et le chiffre d’affaires des produits en cause est celui d’ARBED, et non de TradeARBED. »

22      Par arrêt du 11 mars 1999, ARBED/Commission (T‑137/94, Rec. p. II‑303), le Tribunal a en grande partie rejeté le recours en annulation formé par ARBED contre la décision initiale, tout en réduisant à 10 000 000 euros le montant de l’amende infligée à celle-ci par l’article 4 de cette décision.

23      Par arrêt du 2 octobre 2003, ARBED/Commission (C‑176/99 P, Rec. p. I‑10687), la Cour a annulé ledit arrêt du Tribunal ainsi que la décision initiale, pour autant qu’elle concernait ARBED. Selon les points 21 à 24 de cet arrêt :

« 21      Eu égard à son importance, la communication des griefs doit préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et être adressée à cette dernière (voir arrêt du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C‑395/96 P et C‑396/96 P, Rec. p. I‑1365, points 143 et 146).

22      Il est constant que, en l’espèce, la communication des griefs ne précisait pas que des amendes pourraient être infligées à [ARBED]. En outre, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 101 de l’arrêt attaqué, [ARBED] n’était pas destinataire de la communication des griefs et s’est vu refuser, pour ce motif, un droit d’accès au dossier.

23      S’il n’est pas contesté que [ARBED] a eu connaissance de la communication des griefs adressée à sa filiale TradeARBED et de la poursuite de la procédure contre cette dernière, il ne peut être déduit de cet élément que les droits de la défense de [ARBED] n’ont pas été violés. En effet, une équivoque, que seule une nouvelle communication des griefs régulièrement adressée à [ARBED] aurait pu dissiper, a persisté jusqu’à la fin de la procédure administrative quant à la personne juridique à laquelle seraient infligées les amendes.

24      Il résulte de ces considérations que c’est à tort que, au point 102 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu des circonstances de l’espèce que l’absence de communication des griefs adressée à [ARBED] n’était pas de nature à entraîner l’annulation, en ce qui concerne celle-ci, de la décision litigieuse pour violation des droits de la défense. »

24      À la suite de cette annulation, la Commission a décidé d’engager une nouvelle procédure visant les comportements anticoncurrentiels qui avaient fait l’objet de la décision initiale. Le 8 mars 2006, elle a adressé à ARBED, à TradeARBED et à ProfilARBED (ci-après, prises ensemble, les « requérantes ») une communication des griefs les informant de son intention d’adopter une décision les tenant pour solidairement responsables des infractions en cause. Les requérantes ont répondu à cette communication des griefs le 20 avril 2006.

 Décision attaquée

25      Le 8 novembre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 5342 final, relative à une procédure d’application de l’article 65 [CA] concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (affaire COMP/F/38.907 – Poutrelles en acier) (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé est publié au Journal officiel du 13 septembre 2008 (JO C 235, p. 4).

26      Le préambule de la décision attaquée se lit comme suit :

« vu le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, et notamment son article 65,

vu le traité instituant la Communauté européenne,

vu le règlement [n° 1/2003], et notamment son article 7, paragraphe 1, et son article 23, paragraphe 2,

[…] »

27      Quant aux conséquences juridiques de l’expiration du traité CECA, le 23 juillet 2002, la Commission a indiqué, au considérant 292 de la décision attaquée, que celle-ci n’emportait pas l’extinction de sa compétence pour sanctionner les infractions aux règles de concurrence dans les secteurs concernés par ce traité. Aux considérants 293 à 295 de la décision attaquée, elle a justifié cette affirmation par la circonstance que le traité CECA et le traité CE appartenaient à un ordre juridique unique, fondé sur les traités établissant l’Union européenne et les différentes Communautés. Elle s’est référée, en particulier, à l’avis 1/91 de la Cour, du 14 décembre 1991 (Rec. p. I‑6079, point 21), ainsi qu’à l’article 305, paragraphe 1, CE, disposition qui établirait une « relation de lex generalis/lex specialis » entre les traités CE et CECA. Elle a ainsi relevé que, depuis l’expiration du traité CECA, les secteurs qui relevaient de ce traité étaient soumis aux normes du traité CE.

28      Quant à sa compétence pour appliquer les règles de concurrence du traité CECA, après l’expiration de celui-ci, à des infractions commises avant cette date, en particulier dans les circonstances de l’espèce, la Commission s’est référée, aux considérants 297 et 298 de la décision attaquée, au point 31 de la communication du 18 juin 2002, pour souligner qu’une distinction devait être faite, à cet égard, entre les règles de procédure et les règles de fond. Elle a poursuivi, aux considérants 299 à 301 de la décision attaquée :

« 299. Tout d’abord, en ce qui concerne les questions de procédure, il résulte d’un principe général du droit communautaire tel que repris par la communication [du 18 juin 2002] et reconnu par la Cour dans les [arrêts du 12 novembre 1981, Salumi e.a., 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 9, et du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C‑121/91 et C‑122/91, Rec. p. I‑3873, point 22], que les règles de procédure applicables sont celles en vigueur au moment où la mesure en question est adoptée. Aussi, ce principe commande que les règles de procédure du traité CE actuellement en vigueur sont applicables depuis l’expiration du traité CECA. La [décision attaquée] a donc été adoptée conformément aux règles de procédure du traité CE, en particulier le règlement [n° 1/2003]. L’article 7, paragraphe 1, dudit règlement prévoit […] que la Commission est compétente pour la constatation d’infractions par les entreprises aux règles de concurrence. L’article 23, paragraphe 2, dudit règlement lui permet d’imposer des sanctions en présence de telles infractions.

300.      Quant à la compétence de la Commission d’adopter la présente décision, une telle compétence découle de la succession, à l’intérieur de l’ordre juridique unique, de l’article 81 CE, en tant que lex generalis, à l’article 65 [CA], en tant que lex specialis, lors de l’expiration de ce dernier traité. Compte tenu de l’équivalence substantielle de ces règles matérielles à l’intérieur de la limite juridictionnelle posée par le critère de l’affectation du commerce entre États membres prévu à l’article 81 CE et de l’identité de l’organe, à savoir la Commission, compétent pour l’application de ces deux règles sous l’empire des deux traités respectifs […], la succession des normes implique que la Commission est également compétente, au titre de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement [n° 1/2003], pour engager une procédure d’application de l’article 65 [CA], pour constater une infraction audit article, pour mettre fin à l’infraction ainsi constatée et pour imposer une amende afin de sanctionner ladite infraction.

301.      Ensuite, en ce qui concerne les règles de fond, il est un principe général de droit, tel que repris par la communication [du 18 juin 2002] et reconnu par la Cour dans les [arrêts Salumi e.a, précité, point 9, et CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, précité, point 22], que le droit matériel applicable demeure celui en vigueur au moment où l’infraction a été commise, quelle que soit la date d’application, dans la limite du principe lex mitior reconnu par la Cour dans [l’arrêt du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C‑387/02, C‑391/02 et C‑403/02, Rec. p. I‑3565, point 69], dans l’hypothèse où il est applicable aux procédures d’imposition d’amendes administratives pour des infractions aux règles de concurrence […] »

29      Aux considérants 302 à 304 de la décision attaquée, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles elle considérait, en l’espèce, que l’application de l’article 65 CA était conforme au principe lex mitior.

30      Enfin, aux considérants 305 et 306 de la décision attaquée, la Commission a rejeté les arguments avancés par les requérantes, dans leur réponse à la communication des griefs, aux fins de contester sa compétence pour adopter ladite décision.

31      Quant à la détermination des trois personnes morales destinataires de la décision attaquée, telles qu’identifiées aux considérants 1 et 455, la Commission a exposé ce qui suit, au considérant 2 :

« Parmi les sociétés mentionnées au considérant 1, [TradeARBED] a participé, en violation de l’article 65, paragraphe 1, [CA], à une série d’accords et de pratiques concertées […] [ARBED] et [ProfilARBED] sont quant à elles tenues pour solidairement responsables avec [TradeARBED] de ces infractions, dans la mesure où ces sociétés appartiennent toutes à l’entreprise chapeautée dans un premier temps par [ARBED] puis par Arcelor SA. »

32      La Commission a par ailleurs rappelé, au considérant 453 de la décision attaquée, qu’elle avait adressé une communication des griefs « non seulement à l’entité juridique qui avait directement participé à l’infraction, à savoir [TradeARBED], mais aussi à deux autres entités juridiques membres de la même unité économique, à savoir [ARBED] et [ProfilARBED], à qui le comportement de [TradeARBED pouvait] être imputé ».

33      S’agissant plus particulièrement d’ARBED, la Commission a justifié l’imputation de l’infraction comme suit, aux considérants 458 et 460 à 468 de la décision attaquée :

« 458. À titre liminaire, il convient de noter que, depuis la concentration d’[ARBED], d’Usinor et d’Aceralia au sein du groupe Arcelor en 2001 […], le groupe chapeauté par [ARBED] n’existe plus aujourd’hui sous la forme qui était la sienne à l’époque des faits reprochés.

[…]

460.      Selon une jurisprudence constante de la Cour [arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, point 29)], en présence d’une détention par une société mère de la totalité du capital de sa filiale, la Commission est en droit de considérer que la société mère a exercé effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

461.      S’agissant des conditions de fond justifiant une telle imputation de responsabilité, il convient de relever tout d’abord qu’à l’instar de l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, [CE], celle de l’article 65, paragraphe 1, [CA] s’adresse notamment à des ‘entreprises’. Or, il résulte de la jurisprudence du Tribunal [voir arrêt du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757] que la notion d’entreprise au sens de l’article 81 [CE] doit être comprise comme désignant une entité économique consistant en une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à la commission d’une infraction visée par cette disposition (voir également arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, point 11, et arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T‑102/92, Rec. p. II‑17, point 50, confirmé par arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Viho/Commission, C‑73/95 P, Rec. p. I‑5457, points 15 à 18).

462.      En l’espèce, [TradeARBED] est une filiale à 100 % d’[ARBED]. Lors de l’audience devant le Tribunal dans l’affaire T‑137/94, l’avocat de la requérante a précisé que [TradeARBED] est une société de vente qui distribue les produits sidérurgiques, et notamment les poutrelles, produits par [ARBED] […] En outre, le siège social d’[ARBED] était situé à la même adresse que celle de [TradeARBED], et les deux sociétés disposaient du même standard téléphonique et du même numéro de télex. L’avocat de [TradeARBED] s’est indifféremment présenté comme étant le conseil d’[ARBED] et de [TradeARBED]. Deux représentants d’[ARBED] ont assisté [TradeARBED] à l’audition administrative qui a eu lieu du 11 au 14 janvier 1993 [arrêt du 11 mars 1999 ARBED/Commission, précité, points 96 et 97]. Le comportement de [TradeARBED] sur le marché des poutrelles dépendait par conséquent de sa société mère, [ARBED]. Au moment où les infractions ont été commises, les installations de production de poutrelles en acier, qui sont le produit en cause dans la présente affaire, appartenaient à [ARBED]. Il ne fait donc pas de doute qu’[ARBED] exerçait une influence déterminante sur [TradeARBED].

463.      Dans leurs réponses respectives à la communication des griefs du 8 mars 2006, les personnes morales destinataires de la présente décision soutiennent que la Commission ne rapporte pas la preuve de la participation d’[ARBED], qui justifierait que cette dernière soit sanctionnée. En outre, elles considèrent que sanctionner [TradeARBED] et [ARBED] dans la présente décision conduirait à formuler des conclusions ‘totalement opposées et irréconciliables’ avec celles tirées par la Commission dans la [décision initiale].

464.      À cet égard, il suffit de rappeler que le seul fait que [TradeARBED] ait participé de façon directe et concrète à l’infraction n’exclut pas la responsabilité de sa société mère qui exerçait une influence déterminante sur elle. Ensuite, il convient de souligner que la Commission conclut dans la présente décision que si seule [TradeARBED] a directement participé auxdites infractions, il n’en demeure pas moins que, comme elle l’a déjà conclu dans la [décision initiale], le comportement de [TradeARBED] peut être imputé à [ARBED] en raison de l’influence déterminante qu’[ARBED] a exercée sur elle. Aussi, les conclusions de la Commission dans la présente décision ne sont nullement opposées ou irréconciliables avec celles de la [décision initiale].

465.      Les personnes morales destinataires de la présente décision considèrent en outre que la Commission enfreindrait le principe d’égalité de traitement si, pour déterminer l’imputabilité de l’infraction dans la présente décision, elle substituait au critère de la participation à l’infraction qu’elle a utilisé à l’égard des entreprises membres de l’entente sanctionnée dans la [décision initiale] celui de l’exercice d’une influence déterminante par la société mère.

466.      À ce sujet, il convient de rappeler tout d’abord que la Commission a déclaré, au considérant 322 de sa [décision initale], que : ‘Seule TradeARBED a pris part aux divers accords et pratiques, mais TradeARBED est une société de vente qui distribue notamment des poutrelles moyennant une commission pour sa société mère [ARBED]. TradeARBED perçoit un faible pourcentage du prix de vente pour ses services. Pour assurer l’égalité de traitement, la présente décision est adressée à [ARBED], la société productrice des poutrelles du groupe ARBED, et le chiffre d’affaires des produits en cause est celui d’ARBED, et non de TradeARBED’. Quant aux autres entreprises sanctionnées dans la [décision initiale], la Commission a imputé la responsabilité selon le critère suivant : ‘dans le cas où plus d’une société d’un groupe a pris part aux infractions décrites ci‑dessus, ce sont les entreprises de production qui sont destinataires de la présente décision étant donné que ce sont elles qui ont le plus à gagner d’informations anticipées sur les prix et les volumes’ [décision initiale, considérant 319].

467.      Selon une jurisprudence bien établie [arrêts de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307), et du 13 avril 2000, Karlsson e.a. (C‑292/97, Rec. p. I‑2737, point 39) ; arrêts du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission (T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 272), et du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission (T‑351/02, Rec. p. II‑1047)], ‘le principe d’égalité de traitement interdit de traiter d’une façon différente des situations comparables, entraînant un désavantage pour certains opérateurs par rapport à d’autres, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié’.

468.      En l’occurrence, il ne fait aucun doute que c’est en conformité avec le principe d’égalité de traitement que la Commission applique un critère objectif, à savoir le critère de production par les sociétés de poutrelles en acier, aux fins de déterminer les entreprises auxquelles les infractions sont imputables. Il pourrait ainsi être souligné a contrario que, si la Commission entendait imputer l’amende en fonction du seul critère de la participation directe et donc calculer l’amende en fonction du chiffre d’affaires de [TradeARBED], qui ne perçoit qu’un faible pourcentage du prix de vente pour ses services contrairement aux autres entreprises sanctionnées dans sa [décision initiale], elle créerait alors une discrimination à l’encontre de ces dernières. Les entreprises destinataires de la présente décision ne peuvent donc valablement se prévaloir d’une rupture de l’égalité de traitement des entreprises sanctionnées. »

34      S’agissant plus particulièrement de ProfilARBED, la Commission a justifié l’imputation de l’infraction comme suit, aux considérants 470 à 472 de la décision attaquée :

« 470. [ProfilARBED] a été créée en novembre 1992, en tant que filiale à 100 % d’[ARBED], et les installations de production de produits longs en acier au carbone, y compris les poutrelles […], ont été transférées d’[ARBED] à [ProfilARBED]. Par conséquent, [ProfilARBED] a poursuivi les activités industrielles et économiques d’[ARBED], qui a cessé de produire de l’acier au carbone à la suite de ce transfert […]

471.      Dans la mesure où [ProfilARBED] est le successeur économique d’[ARBED] en ce qui concerne ses activités industrielles et commerciales dans le domaine des poutrelles, au sein du groupe chapeauté par [ARBED] (devenu par la suite le groupe Arcelor), la Commission est habilitée à engager une procédure à l’encontre de [ProfilARBED] au titre de sa responsabilité pour les infractions en cause dans la présente décision.

472.      En effet, dans l’affaire ‘Ciment’ [arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 354 à 361)], la Cour a jugé que la Commission avait à juste titre tenu une société pour responsable des activités infractionnelles d’une autre société, qui appartenait au même groupe et dont les activités économiques dans le secteur du ciment avaient été transférées à la première société. Selon la Cour, le fait que la seconde société ait continué à exister en tant que personne morale après le transfert n’invalidait en rien cette conclusion. Conformément à l’arrêt rendu dans l’affaire ‘Ciment’, [ProfilARBED] ayant succédé à [ARBED] pour ce qui est des activités industrielles et économiques de cette dernière dans le secteur de la production de poutrelles, la responsabilité des infractions en cause dans la présente affaire peut lui être imputée. Le fait qu’[ARBED] existe encore en tant que personne morale n’invalide pas cette conclusion. En outre, toute autre conclusion reviendrait à permettre de contourner les règles du droit communautaire de la concurrence, puisque des entreprises pourraient ainsi éviter d’assumer la responsabilité d’infractions qu’elles ont commises en transférant les activités litigieuses à une autre société du même groupe. C’est pourquoi la présente décision est également adressée à [ProfilARBED]. »

35      Quant à l’éventuelle prescription de son pouvoir de prononcer des amendes, la Commission a relevé ce qui suit, aux considérants 446 à 452 de la décision attaquée :

« 446. Afin de déterminer les règles de prescription applicables à la présente affaire en matière d’imposition d’amendes, il n’est pas nécessaire d’établir si les règles de prescription sont de procédure, avec pour conséquence que les dispositions en la matière du règlement [n° 1/2003] seraient applicables, ou si les règles de prescription sont de fond, avec pour conséquence que les dispositions de la [décision n° 715/78] seraient applicables, dans la mesure où elles sont identiques en substance […]

447.      […] [L]a Commission a entrepris des vérifications dans le secteur des poutrelles en acier les 16, 17 et 18 janvier 1991, date à laquelle elle considère que l’infraction a pris fin. Le 6 février 1992, la Commission a adressé à [TradeARBED] une communication des griefs. Des lettres de demandes de renseignements ont été envoyées à [TradeARBED] et au service juridique d’[ARBED] notamment le 26 novembre 1993 demandant à [ARBED] de lui communiquer le chiffre des ventes réalisé par [ARBED] dans la CECA de janvier à septembre 1993. Le 16 février 1994, la Commission a adopté la [décision initiale] infligeant une amende à [ARBED] pour la participation de [TradeARBED] aux infractions à l’article 65 du traité CECA. Le 8 avril 1994, [ARBED] a introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal. Le 11 mars 1999, le Tribunal a rendu son arrêt dans l’affaire T‑137/94, ARBED/Commission. Le 11 mai 1999, [ARBED] a formé un pourvoi contre cet arrêt auprès de la Cour. Le 20 octobre 2003, la Cour a annulé l’arrêt T‑137/94. Le 8 mars 2006, la Commission a décidé d’ouvrir une nouvelle procédure à l’encontre du comportement anticoncurrentiel qui avait fait l’objet de la [décision initiale] en adressant à [ARBED, à TradeARBED et à ProfilARBED] une nouvelle communication des griefs qui a conduit à l’adoption de la présente décision.

448.      Au vu de ce qui précède, la Commission constate qu’[ARBED] ne peut se prévaloir de la prescription dans la mesure où l’adoption de la présente décision n’intervient pas en dehors du délai dans lequel la Commission peut infliger une amende conformément aux dispositions rappelées au considérant 446. En effet, sans parler des actes d’instruction et de poursuite adressés à d’autres entreprises, les lettres de demande d’information envoyées à [ARBED] le 26 novembre 1993 et la [décision initiale] constituent chacun des actes interruptifs de prescription faisant courir à nouveau le délai de prescription à l’égard de toutes les sociétés qui composent l’unité économique chapeautée par [ARBED]. Ensuite, le délai de prescription a été suspendu, conformément à l’article 3 de la décision [n° 715/78], une première fois par l’introduction, le 11 mai 1994, d’un recours par [ARBED] contre la [décision initiale] devant le Tribunal, qui a rendu son arrêt le 11 mars 1999, puis, une seconde fois, par l’introduction, le 11 mai 1999, d’un pourvoi devant la Cour, qui a rendu son arrêt le 20 octobre 2003. Postérieurement à cette suspension, la prescription de cinq ans a de nouveau été interrompue lorsque la Commission a adopté la communication des griefs le 8 mars 2006. Ensuite, il convient de constater que la présente décision est adoptée dans le délai de prescription de dix années qui court à compter de la fin de l’infraction en 1990, celui-ci ayant été suspendu pendant les dix années qu’ont duré les procédures successivement engagées par [ARBED] devant le Tribunal et la Cour. En conséquence, et contrairement à ce que les parties soutiennent dans leurs réponses respectives à la communication des griefs du 8 mars 2006, il ne fait pas de doute qu’[ARBED] ne peut se prévaloir de la prescription en matière d’imposition d’amendes.

449.      En outre, les règles en matière de prescription ne font pas non plus obstacle à l’imposition d’une amende à [TradeARBED] dans la mesure où les recours exercés par [ARBED] devant le Tribunal et la Cour contre la [décision initiale] ont aussi suspendu le délai de prescription à l’égard de [TradeARBED]. En l’espèce, le dernier acte interruptif de prescription à l’égard de [TradeARBED] est la communication des griefs adressée le 8 mars 2006, après que le délai de prescription eut été suspendu pendant toute la durée des procédures engagées par [ARBED] devant le Tribunal et la Cour.

450.      En effet, ainsi que l’article 3 de la décision [n° 715/78] et l’article 25 du règlement [n° 1/2003] le prévoient, la prescription en matière de poursuites est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant la Cour.

451.      La Commission considère donc que la suspension de la prescription résultant de l’engagement par une entreprise de procédures devant le Tribunal et la Cour s’applique tant à l’entité juridique partie à l’instance qu’à toutes les autres entités juridiques qui font partie de la même unité économique, quelle que soit l’entité juridique qui a engagé ces procédures. À cet égard, il convient tout d’abord de remarquer que l’article 3 de la décision [n° 715/78] ne s’oppose pas à une telle interprétation. Ensuite, il convient de souligner que, s’il en était autrement, la Commission ne serait pas en mesure de corriger les erreurs de procédure qu’elle pourrait commettre en dépit du droit d’adopter une nouvelle décision que la Cour lui a expressément reconnu dans l’affaire PVC II. En effet, dès lors que la [décision initiale] faisait l’objet d’un recours devant le Tribunal, puis devant la Cour, la Commission aurait été malvenue, en vertu du principe de bonne administration, d’adopter une nouvelle décision afin de sanctionner [TradeARBED] alors que les procédures engagées par [ARBED] étaient pendantes. Cela est d’autant plus flagrant qu’au cours de la procédure [ARBED] ne s’est pas contentée de soulever uniquement des moyens de procédure mais a également soulevé des moyens de fond quant à la participation de [TradeARBED] aux infractions reprochées. Il ne fait donc pas de doute que [TradeARBED] ne peut, pour les mêmes raisons qu’[ARBED], bénéficier de la prescription en matière d’imposition d’amendes.

452.      Enfin, il convient de relever que les arguments exposés aux considérants 449 et suivants concernant [ARBED] s’appliquent nécessairement à [ProfilARBED], qui est le successeur économique d’[ARBED]. »

36      Aux termes de l’article 1er de la décision attaquée :

« L’entreprise composée de [ARBED, de TradeARBED et de ProfilARBED] a participé, en violation de l’article 65, paragraphe 1, [CA], à une série d’accords et de pratiques concertées qui ont eu pour objet ou pour effet de fixer les prix, d’attribu[er] des quotas et d’échanger, à grande échelle, des informations sur le marché communautaire des poutrelles. La participation de l’entreprise ainsi composée à ces infractions est établie du 1er juillet 1988 au 16 janvier 1991. »

37      Aux termes de l’article 2 de la décision attaquée, « [u]ne amende de 10 millions d’euros est infligée à [ARBED, à TradeARBED et à ProfilARBED] à titre solidaire pour les infractions visées à l’article 1er ».

 Procédure et conclusions des parties

38      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 décembre 2006, les requérantes ont introduit le présent recours sur le fondement, d’une part, des articles 33 CA et 36 CA et, d’autre part, des articles 229 CE et 230 CE.

39      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

40      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

41      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 5 novembre 2008.

42      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à tout le moins, annuler l’article 2 de ladite décision, en ce qu’il leur impose une sanction pécuniaire, ou réduire celle-ci de manière drastique ;

–        condamner la Commission aux dépens.

43      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

44      Au soutien de leurs conclusions, les requérantes invoquent, en substance, quatre moyens. Le premier moyen est tiré de l’absence de base juridique de la décision attaquée et d’un détournement de pouvoir. Le deuxième moyen est tiré de la violation des règles relatives à l’imputation des infractions, en ce que la décision attaquée imputerait à trois sociétés affiliées la responsabilité du comportement de l’une d’elles, sans que les deux autres y aient participé. Le troisième moyen est tiré de la violation des règles en matière de prescription. Le quatrième moyen, soulevé à titre subsidiaire, est tiré de la violation des droits de la défense, en ce que la décision attaquée aurait été arrêtée dans un délai excessif.

 Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base juridique de la décision attaquée et d’un détournement de pouvoir

 Arguments des parties

45      Les requérantes subdivisent leur moyen en deux branches.

46      Dans le cadre de la première branche du moyen, elles soutiennent que la Commission a violé l’article 97 CA et commis un détournement de pouvoir en faisant application de l’article 65 CA après la date d’expiration du traité CECA. Selon elles, en effet, l’expiration dudit traité, le 23 juillet 2002, a nécessairement entraîné l’extinction de la compétence de la Commission pour appliquer cette disposition, contrairement à ce qui est affirmé au considérant 292 de la décision attaquée.

47      La circonstance, invoquée au considérant 293 de la décision attaquée, que les traités CE et CECA appartiennent à un ordre juridique unique, fondé sur les traités établissant l’Union européenne et les différentes Communautés, serait sans pertinence à cet égard. Les institutions auraient, certes, l’obligation de développer une interprétation cohérente des différents traités. Toutefois, cela ne saurait en aucun cas justifier que la Commission assure une « survie » du traité CECA au‑delà de son terme, dès lors que les dispositions de ce traité ne le prévoient pas. Les requérantes invoquent, notamment, en ce sens, l’avis 1/91 de la Cour, précité, point 29.

48      Dans le cadre de la deuxième branche du moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a violé le règlement n° 1/2003 et commis un détournement de pouvoir en fondant sa compétence pour arrêter une décision d’application de l’article 65 CA sur un règlement qui ne lui confère de pouvoirs qu’au titre de la mise en œuvre des articles 81 CE et 82 CE.

49      Pour ce qui est des règles de procédure applicables en l’espèce, les requérantes critiquent, en particulier, l’affirmation énoncée au considérant 299 de la décision attaquée, selon laquelle l’article 7, paragraphe 1, et l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 conféreraient des pouvoirs à la Commission pour constater et sanctionner des « infractions aux règles de concurrence ». Il ressortirait, au contraire, de l’article 4 de ce règlement que les pouvoirs que celui‑ci confère à la Commission le sont uniquement en vue de permettre à cette dernière de poursuivre les infractions aux articles 81 CE et 82 CE.

50      Les requérantes font également observer que le règlement n° 1/2003 a été adopté après l’expiration du traité CECA. En n’étendant pas, dans ce règlement, les compétences de la Commission à la mise en œuvre de l’article 65 CA, le Conseil aurait probablement conclu, à juste titre selon elles, qu’il n’était pas compétent pour prolonger la durée de ce traité, cette prérogative appartenant exclusivement aux auteurs dudit traité et non aux institutions créées par celui-ci.

51      Quant à l’argument tiré par la Commission de la communication du 18 juin 2002, les requérantes soulignent qu’il ne suffit pas de répéter une position de principe pour la justifier.

52      Dans leur réplique, les requérantes ajoutent que, à supposer même que le règlement n° 1/2003 puisse être interprété comme visant également les procédures au titre de l’article 65 CA, cela ne saurait entraîner une modification de la portée du traité CECA et, plus particulièrement, de son article 97. Il découlerait, en effet, de la hiérarchie des normes qu’un règlement du Conseil ne peut pas modifier un traité. Il en irait d’autant plus ainsi que l’article 95 CA prévoyait une procédure spécifique à respecter au cas où une modification du traité CECA serait jugée nécessaire afin de couvrir des cas non prévus par celui-ci.

53      Pour ce qui est des règles de fond, les requérantes estiment inapplicable, en l’espèce, le principe général de droit invoqué au considérant 301 de la décision attaquée, selon lequel le droit matériel applicable demeure celui en vigueur au moment où l’infraction a été commise, quelle que soit la date d’application. En effet, il ne s’agirait pas en l’espèce d’une modification d’un texte législatif par son auteur, mais d’une initiative prise par l’institution chargée de mettre en œuvre la règle de droit et visant à prolonger l’existence de cette règle au-delà de la date d’expiration expressément déterminée par son auteur. En l’occurrence, le traité CECA aurait expiré le 23 juillet 2002, conformément à son article 97, sans que ses auteurs aient pris une quelconque mesure visant à maintenir certaines de ses dispositions en vigueur. Quels que soient les regrets que cette situation peut causer à la Commission, celle-ci ne serait pas autorisée à se substituer auxdits auteurs en maintenant l’article 65 CA en vigueur.

54      Les requérantes ajoutent, dans leur réplique, que, si les comportements antérieurs au 23 juillet 2002 restent régis par le traité CECA, ils le sont par toutes les dispositions de ce traité, en ce compris son article 97 qui empêche toute application de celui-ci après cette date.

55      La Commission conteste les arguments des requérantes en développant une argumentation analogue à celle figurant dans la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

56      Il convient d’examiner ensemble les deux branches du moyen.

57      Le Tribunal rappelle que les traités communautaires ont institué un ordre juridique unique (voir, en ce sens, avis 1/91 de la Cour, précité, point 21 ; arrêt du Tribunal du 27 juin 1991, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission, T‑120/89, Rec. p. II‑279, point 78), dans le cadre duquel, ainsi que cela est reflété à l’article 305, paragraphe 1, CE, le traité CECA constituait un régime spécifique dérogeant aux règles à vocation générale établies par le traité CE.

58      En vertu de son article 97, le traité CECA est venu à expiration le 23 juillet 2002. En conséquence, le 24 juillet 2002, le champ d’application du régime général issu du traité CE s’est étendu aux secteurs qui étaient régis initialement par le traité CECA.

59      Si la succession du cadre juridique du traité CE à celui du traité CECA a entraîné, à compter du 24 juillet 2002, une modification des bases juridiques, des procédures et des règles de fond applicables aux situations anciennement régies par le traité CECA, celle-ci s’inscrit dans le contexte de l’unité et de la continuité de l’ordre juridique communautaire et de ses objectifs (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, González y Díez/Commission, T‑25/04, Rec. p. II‑3121, point 55).

60      À cet égard, il y a lieu de relever que l’instauration et le maintien d’un régime de libre concurrence, au sein duquel les conditions normales de concurrence sont assurées et qui est notamment à l’origine des règles en matière d’ententes entre entreprises, constituent l’un des objectifs essentiels tant du traité CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, point 31) que du traité CECA (voir, en ce sens, avis 1/61 de la Cour, du 13 décembre 1961, Rec. p. 505, 519, et arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, points 265, 299 à 304).

61      Dans ce contexte, quoique les règles des traités CECA et CE régissant le domaine des ententes entre entreprises divergent dans une certaine mesure, il convient de souligner que les notions d’accords et de pratiques concertées au sens de l’article 65, paragraphe 1, CA répondent à celles d’ententes et de pratiques concertées au sens de l’article 81 CE et que ces deux dispositions ont été interprétées de la même manière par le juge communautaire (voir, en ce sens, arrêt Thyssen Stahl/Commission, précité, points 262 à 272 et 277). Ainsi, la poursuite de l’objectif d’une concurrence non faussée dans les secteurs relevant initialement du marché commun du charbon et de l’acier n’est pas interrompue du fait de l’expiration du traité CECA, cet objectif étant également poursuivi dans le cadre du traité CE, par la même institution, à savoir la Commission, autorité administrative chargée de la mise en œuvre et du développement de la politique de la concurrence dans l’intérêt général de la Communauté (voir, en ce sens et par analogie, arrêt González y Díez/Commission, précité, point 55).

62      Par ailleurs, conformément à un principe commun aux systèmes juridiques des États membres, dont les origines peuvent être retracées jusqu’au droit romain, il y a lieu, en cas de changement de législation, d’assurer, sauf expression d’une volonté contraire par le législateur, la continuité des structures juridiques (arrêt de la Cour du 25 février 1969, Klomp, 23/68, Rec. p. 43, point 13). Le Tribunal observe, que, dans ledit arrêt, la Cour a fait application de ce principe alors qu’était en cause une modification du droit communautaire primaire, opérée par l’effet du traité de fusion.

63      La continuité de l’ordre juridique communautaire et des objectifs qui président à son opération exige ainsi que, en tant qu’elle succède à la Communauté européenne du charbon et de l’acier, et dans le cadre procédural qui est le sien, la Communauté européenne assure, à l’égard des situations nées sous l’empire du traité CECA, le respect des droits et des obligations qui s’imposaient eo tempore tant aux États membres qu’aux particuliers en vertu du traité CECA et des règles prises pour son application. Cette exigence s’impose d’autant plus dans la mesure où la distorsion de la concurrence résultant du non‑respect des règles en matière d’ententes entre entreprises est susceptible d’étendre ses effets dans le temps après l’expiration du traité CECA, sous l’empire du traité CE (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, Rec. p. I‑6199, point 41, et la jurisprudence citée, et arrêt González y Díez/Commission, précité, point 56).

64      Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la requérante, le règlement n° 1/2003 et, plus particulièrement, son article 7, paragraphe 1, et son article 23, paragraphe 2, doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent à la Commission de constater et de sanctionner, après le 23 juillet 2002, les ententes entre entreprises réalisées dans les secteurs relevant du champ d’application du traité CECA ratione materiae et ratione temporis (voir, par analogie, arrêt González y Díez/Commission, précité, point 57), et ce quand bien même les dispositions précitées dudit règlement ne mentionnent pas expressément l’article 65 CA.

65      En outre, il convient de relever que l’application des règles du traité CE à un domaine initialement régi par le traité CECA doit intervenir dans le respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps. À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que, si les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, il n’en est pas de même des règles de fond. En effet, ces dernières doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu’un tel effet doit leur être attribué (arrêts de la Cour Salumi e.a., précité, point 9, et du 10 février 1982, Bout, 21/81, Rec. p. 381, point 13 ; arrêt du Tribunal du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission, T‑42/96, Rec. p. II‑401, point 55).

66      Dans cette perspective, s’agissant de la question des dispositions matérielles applicables à une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l’expiration du traité CECA, la continuité de l’ordre juridique communautaire et les exigences relatives aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime imposent l’application des dispositions matérielles prises en application du traité CECA aux faits relevant de leur champ d’application ratione materiae et ratione temporis. La circonstance selon laquelle, en raison du fait que le traité CECA a expiré, le cadre réglementaire en question n’est plus en vigueur au moment où l’appréciation de la situation factuelle est opérée ne modifie pas cette considération, dès lors que cette appréciation porte sur une situation juridique définitivement acquise à une époque où étaient applicables les dispositions matérielles prises en application du traité CECA (arrêt González y Díez/Commission, précité, point 59).

67      En l’espèce, la décision attaquée a été adoptée sur la base de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, à la suite d’une procédure conduite conformément audit règlement. Les dispositions relatives à la base juridique et à la procédure suivie jusqu’à l’adoption de la décision attaquée relèvent des règles de procédure au sens de la jurisprudence visée au point 65 ci-dessus. Dès lors que la décision attaquée a été adoptée après l’expiration du traité CECA, c’est à bon droit que la Commission a fait application des règles contenues dans le règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens et par analogie, arrêt González y Díez/Commission, précité, point 60, et, a contrario, arrêt du Tribunal du 25 octobre 2007, SP e.a./Commission, T‑27/03, T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03, T‑80/03, T‑97/03 et T‑98/03, Rec. p. II‑4331).

68      S’agissant des règles de fond, il convient d’observer que la décision attaquée concerne une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l’expiration du traité CECA, la période infractionnelle allant du 1er juillet 1988 au 16 janvier 1991 (voir point 140 ci-après). En l’absence de tout effet rétroactif du droit matériel de la concurrence applicable depuis le 24 juillet 2002, il y a lieu de constater que l’article 65, paragraphe 1, CA constitue la règle de fond applicable et effectivement appliquée par la Commission dans la décision attaquée, étant rappelé qu’il résulte précisément de la nature de lex generalis du traité CE par rapport au traité CECA, consacrée à l’article 305 CE, que le régime spécifique du traité CECA et des règles prises pour son application est, en vertu du principe lex specialis derogat legi generali, seul applicable aux situations acquises avant le 24 juillet 2002.

69      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le premier moyen doit être rejeté en ses deux branches.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des règles relatives à l’imputation des infractions

 Arguments des parties

70      Les requérantes contestent que la responsabilité des infractions constatées dans la décision attaquée puisse être imputée à ARBED et à ProfilARBED.

71      S’agissant d’ARBED, et en réponse au considérant 460 de la décision attaquée, les requérantes font valoir, en se référant au point 28 de l’arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité, que la Cour n’a jamais confirmé qu’un contrôle à 100 % suffisait pour considérer une société mère comme responsable du comportement de sa filiale. Elle aurait jugé que, dans une situation où la société mère avait accepté d’assumer la responsabilité du comportement de sa filiale au cours de la procédure administrative, la Commission était en droit de présumer qu’elle en était bien responsable. Tel ne serait pas le cas en l’espèce, la Commission n’ayant d’ailleurs jamais notifié à ARBED, au cours de la première procédure administrative, son intention de lui imputer la responsabilité du comportement de TradeARBED.

72      Les requérantes ajoutent que, dans l’affaire à l’origine de l’arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité, la Commission avait adopté une approche consistant à adresser la décision en cause à la société mère lorsqu’il existait des preuves précises impliquant celle-ci dans la participation de sa filiale à l’entente [voir considérant 143 de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/C/33.833 – Carton) (JO L 243, p. 1)]. Tel ne serait pas le cas en l’espèce.

73      Dès lors que les conditions particulières identifiées par la Cour dans l’arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité, ne sont pas réunies en l’espèce, les requérantes font valoir que les principes généraux d’individualisation des peines et de charge de la preuve requièrent que la Commission démontre que des reproches spécifiques peuvent être adressés à chacune des entreprises destinataires de la communication des griefs. Elles invoquent, en ce sens, l’arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, Hoek Loos/Commission (T‑304/02, Rec. p. II‑1887, point 118, et la jurisprudence citée).

74      Or, en l’espèce, la Commission aurait constaté, tant dans la décision attaquée (considérants 444 et 464) que dans la décision initiale (considérant 322), que seule TradeARBED avait pris part aux divers accords et pratiques en cause.

75      Enfin, les requérantes font valoir que l’imputation de l’infraction commise par TradeARBED à ARBED, au seul motif que celle-ci détient 100 % du capital de sa filiale, aboutirait en l’espèce à une discrimination par rapport aux autres entreprises concernées. En effet, contrairement à ce que la Commission affirmerait au considérant 468 de la décision attaquée, la décision initiale aurait retenu, à l’égard de ces entreprises, un test d’imputabilité fondé non pas sur la production de poutrelles, mais sur la participation effective aux infractions en cause. Ce ne serait que lorsque deux sociétés d’un même groupe ont participé à l’entente que la Commission aurait pris une décision uniquement à l’encontre de la société de production (voir considérants 320 et 321 de la décision initiale). Selon les requérantes, la Commission ne peut s’écarter en l’espèce de ce test d’imputabilité sans se rendre coupable d’une discrimination contraire au principe d’égalité de traitement.

76      Dans leur réplique, les requérantes ajoutent que, en l’espèce, la Commission a choisi de ne pas se fonder sur la présomption réfragable de participation des sociétés mères dans les actions de leurs filiales à 100 %, mais d’examiner plutôt, sur la base des faits et des informations collectés par elle, si ces sociétés avaient effectivement participé à l’infraction. Or, en l’espèce, la Commission aurait conclu de son examen des faits, dans la décision initiale, que, pour ce qui concernait le groupe ARBED, seule TradeARBED avait participé à l’infraction. Il en résulterait deux conséquences.

77      D’une part, dès lors que la Commission avait décidé, dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision initiale, de ne pas se fonder sur la présomption réfragable en question, les requérantes estiment qu’elle ne saurait retenir une approche différente, dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée, sans violer le principe d’égalité de traitement.

78      D’autre part, le recours à ladite présomption serait rendu impossible, en l’espèce, par l’autorité de la chose jugée qui s’attache, selon les requérantes, à la décision initiale dans laquelle la Commission aurait conclu que seule TradeARBED avait participé à l’infraction. En effet, cet aspect de la décision initiale n’aurait jamais été contesté ni a fortiori annulé par une décision de justice.

79      S’agissant de ProfilARBED, les requérantes font valoir que, à supposer même que la Commission puisse imputer à la société de production du groupe ARBED la responsabilité de l’infraction commise par TradeARBED, encore faut-il qu’elle choisisse de poursuivre soit ARBED, en tant que société de production active à l’époque des faits litigieux, soit ProfilARBED, en tant que successeur économique d’ARBED dans le domaine de la production de poutrelles.

80      Selon les requérantes, la Commission ne saurait, sans violer le principe de l’individualité des peines, imputer une même infraction à la fois à l’entreprise qui a participé à l’infraction et à l’entreprise qui a subséquemment exercé l’activité concernée par l’infraction. L’approche défendue par la Commission aboutirait en effet à poursuivre et à condamner deux entreprises pour les mêmes faits.

81      En tout état de cause, dans la mesure où ProfilARBED est tenue pour responsable du comportement d’ARBED en tant que successeur de celle-ci pour ce qui est de l’activité de production de poutrelles, elle entend invoquer, mutatis mutandis, les arguments développés aux points 71 à 78 ci-dessus.

82      La Commission conteste les arguments des requérantes en développant une argumentation analogue à celle figurant dans la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

83      Il convient de distinguer la situation particulière de chacune des trois requérantes.

–       TradeARBED

84      Sous réserve de leur argumentation développée dans le cadre des premier et troisième moyens, les requérantes ne contestent pas que la décision attaquée ait pu être adressée à TradeARBED, en tant que société identifiée, dans la décision initiale, comme étant la seule société du groupe ARBED à avoir « participé aux divers accords et pratiques ».

85      Il y a dès lors lieu de considérer que le deuxième moyen n’est pas invoqué par TradeARBED au soutien de ses conclusions en annulation de la décision attaquée.

–       ARBED

86      L’argumentation développée par les requérantes, dans le cadre du présent moyen, ne permet pas d’établir que l’imputation à ARBED de la responsabilité du comportement infractionnel de TradeARBED et l’imposition d’une amende à ces deux sociétés, à titre solidaire, sont entachées d’une erreur de droit.

87      À cet égard, il y a lieu de rappeler tout d’abord que la notion d’entreprise au sens de l’article 81 CE inclut des entités économiques consistant chacune en une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à ce qu’une infraction visée par cette disposition soit commise (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, actuellement sous pourvoi, point 57 ; voir, aussi, arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 54, et la jurisprudence citée).

88      Ce n’est donc pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens susmentionné, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés. En effet, le droit communautaire de la concurrence reconnaît que différentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une entité économique, et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE, si les sociétés concernées ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58 ; voir, aussi, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 290).

89      Dans le cas particulier où une société mère contrôle à 100 % sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption réfutable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 60 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG‑Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 50, et arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, points 961 et 984) et constitue donc avec celle‑ci une seule entreprise au sens de l’article 81 CE (arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, point 59). Il incombe, dès lors, à la société mère contestant devant le juge communautaire une décision de la Commission de lui infliger une amende en raison du comportement de sa filiale de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer l’autonomie de cette dernière (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 136 ; voir également, en ce sens, arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité, point 29).

90      À cet égard, il est vrai que, comme le font valoir les requérantes, la Cour a évoqué aux points 28 et 29 de l’arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d’autres circonstances, telles que l’absence de contestation, par la société mère, de l’influence exercée par celle‑ci sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative. Cependant, lesdites circonstances n’ont été relevées par la Cour que dans le but d’exposer l’ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement pour conclure que celui-ci n’était pas fondé uniquement sur la détention de la totalité du capital de la filiale par sa société mère. Partant, le fait que la Cour a confirmé l’appréciation du Tribunal dans cette affaire ne saurait avoir pour conséquence de modifier le principe consacré au point 50 de l’arrêt AEG‑Telefunken/Commission, précité (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 61).

91      Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour que la présomption que cette dernière exerce une influence déterminante sur le comportement de la filiale sur le marché soit établie. La Commission sera en mesure, par la suite, de tenir la société mère solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, quand bien même il est constaté que ladite société mère n’a pas participé directement aux accords, sauf si cette société prouve que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêt du Tribunal du 18 décembre 2008, General Química e.a./Commission, T‑85/06, non publié au Recueil, point 62).

92      Quant à la régularité de l’imputation de responsabilité opérée en l’espèce par la Commission, il convient d’emblée de relever que, à l’instar de l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, CE, celle de l’article 65, paragraphe 1, CA s’adresse, notamment, à des « entreprises ». Il a déjà été jugé, par ailleurs, que la notion d’entreprise a le même sens dans ces deux dispositions (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Unimétal/Commission, T‑145/94, Rec. p. II‑585, point 600). Par conséquent, les règles relatives à l’imputation de la responsabilité des infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE valent également pour ce qui est des infractions à l’article 65, paragraphe 1, CA (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005, point 96).

93      En l’espèce, il est constant qu’ARBED détient 100 % du capital de sa filiale TradeARBED.

94      Partant, la Commission était en droit de considérer, comme elle l’a fait au considérant 460 de la décision attaquée, qu’ARBED avait exercé une influence déterminante sur le comportement de TradeARBED, dès lors qu’il n’avait pas été démontré, ni même allégué, que ladite filiale déterminait sa politique commerciale de façon autonome de sorte à ne pas constituer, avec elle, une entité économique unique et, donc, une seule entreprise au sens de l’article 65 CA.

95      L’argumentation développée à cet égard par les requérantes, dans le cadre du présent recours, sur la base du point 28 de l’arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité, procède d’une lecture erronée de cet arrêt et doit être rejetée pour les motifs indiqués au point 90 ci-dessus.

96      En tout état de cause, c’est à bon droit que la Commission relève qu’elle a apporté, au considérant 462 de la décision attaquée, des éléments de preuve additionnels, qui, par-delà la présomption tirée de la détention par la société mère de la totalité du capital de sa filiale, sont venus confirmer non pas la participation matérielle effective d’ARBED aux infractions en cause, mais l’influence déterminante de celle-ci sur le comportement de TradeARBED et l’usage effectif de ce pouvoir.

97      Au point 92 de son arrêt ARBED/Commission, précité, non remis en cause dans le cadre du pourvoi devant la Cour, le Tribunal a d’ailleurs déjà constaté, sur la base des précisions apportées par l’avocat d’ARBED lors de l’audience, que TradeARBED était une société de vente qui distribuait les produits sidérurgiques, et notamment les poutrelles, produits par ARBED, en intervenant soit comme commissionnaire, auquel cas la vente était facturée directement par ARBED au client, soit comme commissionnaire mandataire, auquel cas la vente était facturée au client par TradeARBED, pour le compte d’ARBED, TradeARBED percevant dans les deux cas une commission sur le produit de la vente. Le Tribunal a, par ailleurs, considéré comme établi que TradeARBED ne déterminait pas de façon autonome son comportement sur le marché communautaire des poutrelles, mais appliquait, pour l’essentiel, les instructions qui lui étaient imparties par ARBED.

98      Il ressort également des points 96 et 97 de l’arrêt ARBED/Commission, précité, non remis en cause dans le cadre du pourvoi, que : a) tout au long de la procédure administrative ayant mené à la décision initiale, ARBED ou TradeARBED, selon le cas, avaient indifféremment répondu aux demandes de renseignements adressées par la Commission à TradeARBED ; b) ARBED considérait simplement TradeARBED comme son « organisme » ou « organisation » de vente, et c) ARBED s’était même spontanément considérée comme destinataire de la communication des griefs formellement notifiée à TradeARBED, et avait mandaté un avocat pour défendre ses intérêts.

99      Il découle de ce qui précède qu’ARBED et sa filiale TradeARBED doivent être considérées comme constituant une seule et même entreprise au sens de l’article 65, paragraphe 1, CA et que la Commission était en droit d’imputer à la première la responsabilité du comportement de la seconde.

100    Pour le surplus, l’argumentation des requérantes procède d’une confusion entre l’imputation directe à une société mère de l’infraction commise par celle-ci de concert avec sa filiale, en raison de sa propre participation effective à cette infraction, et l’imputation à ladite société mère de la responsabilité de l’infraction commise par sa seule filiale, en raison de l’influence déterminante exercée par la première sur le comportement de la seconde.

101    Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, c’est sur cette dernière règle d’imputabilité que la Commission s’est fondée pour adresser à ARBED tant la décision initiale (voir son considérant 322) que la décision attaquée (voir, notamment, son considérant 462).

102    Dans ces conditions, l’argument des requérantes fondé sur la prétendue autorité de chose jugée qui s’attacherait au constat, opéré par la décision initiale, de la participation de la seule TradeARBED aux infractions en cause doit être rejeté comme inopérant.

103    Quant à l’argument que les requérantes prétendent tirer d’une soi-disant discrimination dont elles auraient été victimes, par rapport aux autres entreprises destinataires de la décision attaquée, il est dénué de tout fondement. Ainsi qu’il ressort des considérants 466 à 468 de la décision attaquée (et, déjà, du considérant 322 de la décision initiale), c’est précisément afin de tenir compte de la situation particulière de l’entreprise constituée par ARBED et TradeARBED, laquelle, en tant que société de vente distributrice des poutrelles d’ARBED, ne percevait qu’un faible pourcentage du prix de vente pour ses services, et en vue d’assurer l’égalité de traitement entre toutes les entreprises productrices de poutrelles impliquées dans les infractions en cause, que la Commission a entendu imputer à ARBED la responsabilité des infractions commises par sa filiale TradeARBED. Loin d’entraîner une discrimination à l’encontre d’ARBED, cette imputation de responsabilité est pleinement conforme au principe général d’égalité de traitement, qui, selon une jurisprudence constante, requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêts de la Cour du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld, C‑303/05, Rec. p. I‑3633, point 56, et du Tribunal du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission, T‑351/02, Rec. p. II‑1047, point 137, et la jurisprudence citée).

104    Enfin, le Tribunal estime que, en application du concept d’« entreprise », ARBED et TradeARBED pouvaient être considérées comme solidairement responsables du comportement qui leur a été reproché, les actes commis par l’une étant imputables à l’autre et, dès lors, censés avoir été commis par elle (voir, en ce sens, arrêts HFB e.a./Commission, précité, points 524 et 525 ; Tokai Carbon e.a./Commission, précité, point 62, et Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 62 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 41, et du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C‑294/98 P, Rec. p. I‑10065, points 26 à 28).

105    Il découle des considérations qui précèdent que le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé en tant qu’il est invoqué par ARBED.

–       ProfilARBED

106    L’argumentation développée en l’espèce par les requérantes, dans le cadre du présent moyen, ne permet pas non plus d’établir que l’imputation de la responsabilité du comportement infractionnel d’ARBED/TradeARBED à ProfilARBED et l’imposition d’une amende à ces trois sociétés, à titre solidaire, seraient entachées d’erreur de droit.

107    Tout d’abord, le Tribunal considère que la Commission était en droit d’imputer à ProfilARBED, en tant que successeur économique d’ARBED dans le domaine de la production de poutrelles au sein du groupe ARBED, la responsabilité du comportement infractionnel d’ARBED et dès lors, par ricochet, la responsabilité du comportement infractionnel de TradeARBED.

108    Cette imputation de responsabilité apparaît en effet justifiée au regard du critère de la continuité économique développé par la jurisprudence, notamment dans les cas de restructurations ou autres changements à l’intérieur d’un groupe d’entreprises (voir, à cet égard, arrêt de la Cour du 11 décembre 2007, ETI e.a., C‑280/06, Rec. p. I‑10893, points 40 à 49, et conclusions de l’avocat général Mme Kokott sous cet arrêt, Rec. p. I‑10896, points 65 à 84).

109    Selon cette jurisprudence, en cas de transfert de tout ou partie des activités économiques d’une entité juridique à une autre, la responsabilité de l’infraction commise par l’exploitant initial, dans le cadre des activités en question, peut être imputée au nouvel exploitant si celui-ci constitue avec celui-là une même entité économique aux fins de l’application des règles de concurrence, et ce même si l’exploitant initial existe encore en tant qu’entité juridique (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 354 à 359, et ETI e.a., précité, point 48 ; arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, points 131 à 133).

110    La Cour a précisé qu’une telle mise en œuvre de la sanction est en particulier admissible lorsque ces entités ont été sous le contrôle de la même personne et ont, eu égard aux liens étroits qui les unissent sur le plan économique et organisationnel, appliqué pour l’essentiel les mêmes directives commerciales (arrêt ETI e.a., précité, point 49). Cela concerne tout particulièrement les cas de restructurations à l’intérieur d’un groupe d’entreprises, lorsque l’exploitant initial ne cesse pas nécessairement d’avoir une existence juridique, mais qu’il n’exerce plus d’activité économique notable sur le marché concerné. En effet, s’il existe, entre l’exploitant initial et le nouvel exploitant de l’entreprise impliquée dans l’entente, un lien structurel, les intéressés peuvent se soustraire – que ce soit ou non leur intention – à leur responsabilité au regard du droit des ententes en tirant parti des possibilités de reconfiguration juridique dont ils disposent. Ainsi l’exploitant initial pourrait-il par exemple devenir une « coquille vide » à la suite d’une restructuration interne au groupe (arrêt ETI e.a., précité, point 41, et conclusions de l’avocat général Mme Kokott sous cet arrêt, précitées, point 79).

111    En l’occurrence, la constitution de ProfilARBED, en 1992, en tant que filiale à 100 % d’ARBED, pour poursuivre les activités économiques et industrielles d’ARBED dans le secteur des poutrelles, constitue un cas d’espèce analogue à ceux ayant donné lieu aux arrêts Aalborg Portland e.a./Commission et Jungbunzlauer/Commission, précités.

112    La possibilité d’imputer à ProfilARBED la responsabilité du comportement infractionnel d’ARBED/TradeARBED n’est d’ailleurs pas sérieusement contestée par les requérantes. Ce que celles-ci font essentiellement valoir dans leurs écritures, en effet, c’est que, à supposer même qu’une telle imputation de responsabilité soit possible, question sur laquelle elles ne prennent pas expressément position, encore eût-il fallu que la Commission choisît de poursuivre soit ARBED, en tant que société de production de poutrelles active à l’époque de l’infraction, soit ProfilARBED, en tant que successeur économique d’ARBED dans ce secteur.

113    Cet argument n’est toutefois pas susceptible de prospérer, eu égard au concept fondamental d’unité économique qui sous-tend toute la jurisprudence communautaire relative à l’imputabilité de la responsabilité des infractions aux entités juridiques constituant une même entreprise.

114    Il ressort en effet de cette jurisprudence que le droit communautaire de la concurrence vise les activités des entreprises (voir arrêt ETI e.a., précité, point 38, et la jurisprudence citée). En interdisant à celles-ci, notamment, de conclure des accords et de participer à des pratiques concertées restrictifs de la concurrence, l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 65, paragraphe 1, CA s’adressent à des entités économiques constituées d’un ensemble d’éléments matériels et humains pouvant concourir à la commission d’une infraction visée par ces dispositions. Une entreprise au sens de ces dispositions peut donc comprendre plusieurs sujets de droit (voir arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, précité, point 54, et la jurisprudence citée).

115    Plus spécifiquement, après avoir relevé que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] du traité (JO 1962, 13, p. 204), ne précise pas expressément si une société qui n’est pas directement et formellement tenue pour responsable du comportement infractionnel constaté par la Commission peut être déclarée solidairement responsable avec une autre société, auteur du comportement infractionnel constaté et sanctionnée, à ce titre, du paiement d’une amende infligée à cette dernière, le Tribunal a jugé que ladite disposition doit être interprétée en ce sens qu’une société peut être déclarée solidairement responsable avec une autre société du paiement d’une amende infligée à celle-ci, qui a commis une infraction de propos délibéré ou par négligence, à condition que la Commission démontre, dans le même acte, que cette infraction aurait pu être également constatée dans le chef de la société devant répondre solidairement de l’amende (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Metsä-Serla e.a./Commission, T‑339/94 à T‑342/94, Rec. p. II‑1727, points 42 et 43).

116    L’interprétation ainsi faite par le Tribunal de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 a été expressément confirmée sur pourvoi par la Cour dans son arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, précité (points 27 et 28). La Cour a notamment relevé que cette interprétation n’était pas contraire au principe de légalité, dès lors que les requérantes, auxquelles avaient été imputés les agissements anticoncurrentiels d’un autre sujet de droit, avaient été condamnées, au titre de cet article, à une amende pour une infraction qu’elles étaient censées avoir commise elles-mêmes du fait de cette imputation.

117    La solidarité apparaît ainsi comme une conséquence normale de l’imputation de responsabilité du comportement d’une société à une autre, en particulier lorsque ces deux sociétés constituent une même entreprise.

118    Quant à l’argument des requérantes tiré d’une prétendue violation du principe de l’individualité des peines, il est adéquatement réfuté par la circonstance, relevée par la Commission, qu’en l’espèce les trois requérantes, qui constituent ensemble une même entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence, ont été condamnées à une amende unique qu’elles sont tenues de payer solidairement, et non pas à trois amendes individuelles.

119    Il découle des considérations qui précèdent que le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé en tant qu’il est invoqué par ProfilARBED.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation des règles en matière de prescription des poursuites

 Arguments des parties

120    Pour ce qui est de l’interruption de la prescription, au sens de l’article 2 de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, les requérantes font valoir que la seule d’entre elles qui soit susceptible de répondre à la définition d’entreprise ayant participé à l’infraction est TradeARBED. En tout état de cause, cette définition ne saurait, d’après elles, s’appliquer à des entreprises auxquelles la Commission n’a pas adressé de communication des griefs.

121    Dans leur réplique, les requérantes ajoutent que les entreprises ayant participé à l’infraction, au sens de ces dispositions, sont uniquement celles qui ont été identifiées comme telles, au cours de la procédure dans le cadre de laquelle l’acte interruptif de la prescription s’est inscrit.

122    Pour ce qui est de la suspension de la prescription, au sens de l’article 3 de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, les requérantes font par ailleurs valoir qu’un recours introduit devant le juge communautaire par l’un des destinataires d’une décision de la Commission est sans effet juridique à l’égard des autres destinataires qui ne sont pas parties à la procédure. Elles invoquent, en ce sens, le principe général selon lequel le juge communautaire ne peut statuer ultra petita, l’effet inter partes des procédures judiciaires et les conséquences attachées à ces principes par l’arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a. (C‑310/97 P, Rec. p. I‑5363, points 52 et 53). Un tel recours serait, a fortiori, sans effet à l’égard des personnes qui, telles TradeARBED et ProfilARBED en l’espèce, ne sont pas destinataires de la décision en question et ne peuvent, pour cette raison, l’attaquer en justice.

123    S’agissant d’une éventuelle « application transversale » des délais de suspension de la prescription, telle qu’envisagée par la Commission au considérant 451 de la décision attaquée, les requérantes ajoutent que, si, formellement, les décisions d’application de l’article 65 CA prennent généralement la forme d’un seul document adressé à plusieurs entreprises, elles n’en constituent pas moins, en droit, un faisceau de décisions individuelles. Dans ce contexte, tout recours introduit par l’un des destinataires serait en principe sans effet sur la situation juridique des autres destinataires et, a fortiori, sur celle des entreprises non destinataires de la décision en question.

124    À cet égard, les requérantes relèvent encore que, contrairement à ce qui est expressément prévu pour l’interruption de la prescription à l’article 2, paragraphe 2, de la décision n° 715/78 et à l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, l’article 3 de la décision n° 715/78 et l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 ne prévoient pas que la suspension de la prescription à l’égard d’une entreprise vaut également à l’égard de toutes les autres entreprises ayant participé à l’infraction. Ces dispositions viseraient donc une suspension applicable uniquement aux parties à la procédure.

125    Dans leur réplique, les requérantes font valoir que cette interprétation stricte est confortée par l’arrêt de la Cour du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission (C‑282/05 P, Rec. p. I‑2941).

126    Appliquant ces principes aux circonstances de l’espèce, les requérantes font valoir, en ce qui concerne TradeARBED, que le dernier acte interruptif de la prescription est l’audition qui s’est déroulée du 11 au 14 janvier 1993 ou, le cas échéant, l’adoption même de la décision initiale, le 16 février 1994. Aucun acte interruptif de la prescription n’aurait pu, par hypothèse, être pris après cette dernière date et, en fait, aucun acte d’instruction ne lui aurait été adressé jusqu’à l’envoi de la communication des griefs, le 8 mars 2006. Le pouvoir de la Commission de lui imposer une amende serait par conséquent prescrit depuis janvier 1998 ou, le cas échéant, depuis février 1999. En tout état de cause, l’infraction qui lui est reprochée serait prescrite depuis janvier 2001, soit dix ans à compter du jour où l’infraction a pris fin.

127    En ce qui concerne ARBED, les requérantes font observer que celle-ci n’a reçu aucune demande d’information, qu’elle n’a pas été rendue destinataire de la communication des griefs du 6 mai 1992 et qu’elle s’est vu, pour cette raison, refuser l’accès au dossier (arrêt du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, précité, point 22). Les seules demandes d’information qui lui auraient été adressées, en septembre et en novembre 1993, ne l’auraient pas été en tant qu’entreprise ayant participé à l’infraction, ce que confirmerait la décision initiale. Les requérantes en déduisent qu’ARBED n’a pas été considérée par la Commission comme étant une entreprise ayant participé à l’infraction, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision initiale. Elles estiment, en conséquence, que la prescription n’a pas pu être interrompue à son égard.

128    Quant à la décision initiale elle-même, les requérantes soutiennent qu’elle n’est de toute évidence pas un acte d’« instruction », au sens des dispositions précitées, et qu’elle n’est dès lors pas susceptible d’interrompre la prescription. En tout état de cause, cette décision aurait été annulée par la Cour et elle ne saurait dès lors produire un effet quelconque.

129    Le recours en annulation de la décision initiale aurait été introduit le 8 avril 1994, soit environ trois ans et trois mois à compter du jour où l’infraction alléguée a pris fin. La prescription aurait été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour, le 2 octobre 2003. À compter de cette date, il serait resté à la Commission un an et un peu moins de neuf mois pour prendre un acte interruptif de la prescription à l’égard d’ARBED. Or, le premier acte susceptible d’interrompre la prescription, à savoir la décision d’engager la procédure et l’envoi de la communication des griefs, par courrier du 8 mars 2006, serait intervenu deux ans et cinq mois à compter de ladite date.

130    Les requérantes admettent que, à partir du début de l’année 2004, la Commission a adressé diverses demandes de renseignements à Arcelor SA, qui était à l’époque la société faîtière du groupe. Elles font toutefois observer que cette société était une entité juridique distincte d’ARBED et qu’elle n’a jamais été identifiée comme ayant participé aux infractions, ni même comme étant une société à laquelle ces infractions pourraient être imputées. Dans ces conditions, les requérantes estiment que les demandes de renseignements en question n’ont pas pu interrompre la prescription à l’égard de quelque entreprise que ce soit.

131    Enfin, en ce qui concerne ProfilARBED, les requérantes font valoir que le premier acte interruptif de la prescription, à savoir la communication des griefs du 8 mars 2006, lui a été adressé plus de quinze ans après la fin des infractions. Quant aux actes interruptifs adressés à d’autres participants aux infractions, ils seraient tous antérieurs à la date d’adoption de la décision initiale, le 16 février 1994, soit plus de douze ans avant l’envoi de ladite communication des griefs.

132    La Commission estime que l’argumentation développée par les requérantes sur la base de l’arrêt Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., précité (voir points 122 à 124 ci-dessus), n’est pas transposable au cas de la suspension de la prescription. En effet, cette jurisprudence ne concernerait, par hypothèse, que des entreprises déjà destinataires d’une décision devenue définitive, et à l’égard desquelles la question de la suspension de la prescription ne se poserait pas. Elle ne consacrerait donc pas l’effet relatif de la suspension de la prescription à l’égard de la seule partie à la procédure judiciaire.

133    En tout état de cause, cette argumentation serait contredite par le libellé et l’économie des dispositions pertinentes de la décision n° 715/78 et du règlement n° 1/2003. Il ressortirait en effet de ces dispositions que la prescription concerne la possibilité pour la Commission de poursuivre une infraction au droit de la concurrence, et non la possibilité pour elle d’engager une action contre une entreprise déterminée.

134    S’agissant en particulier de l’article 2, paragraphe 2, de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, il en découlerait que la prescription est interrompue à l’égard non seulement des entreprises qui ont fait l’objet d’un acte de procédure, mais aussi de celles qui, ayant participé à l’infraction, sont encore inconnues de la Commission et, partant, n’ont fait l’objet d’aucune mesure d’instruction ou ne sont destinataires d’aucun acte de procédure. De même, l’article 2, paragraphe 3, de la décision n° 715/78 et l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 concerneraient toutes les entreprises ayant participé à l’infraction.

135    En outre, selon la Commission, il serait illogique et incohérent d’interpréter l’article 3 de la décision n° 715/78 et l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 comme signifiant que la prescription court à l’égard de toutes les entreprises, sauf celles qui sont parties à une procédure judiciaire. Elle estime que, si le législateur avait souhaité un tel résultat, il aurait précisé que la suspension de la prescription n’a d’effet qu’à l’égard de l’entreprise partie à la procédure judiciaire. Ainsi, l’introduction d’un recours contre une décision constatant une infraction, par quelque destinataire que ce soit, aurait pour effet de suspendre la prescription à l’égard de toutes les autres entreprises ayant participé à l’infraction, qu’elles aient été ou non destinataires d’une décision identique.

136    Dans sa duplique, la Commission ajoute que l’expression « ayant participé à l’infraction » implique un fait objectif, à savoir la participation à l’infraction, qui se distingue nettement d’un élément subjectif et contingent tel que l’identification d’une entreprise comme ayant participé à l’infraction. Ainsi, une entreprise pourrait avoir participé à l’infraction sans que la Commission le sache au moment où elle pose un acte interruptif de la prescription.

137    La Commission estime, par ailleurs, que l’arrêt Holcim (Deutschland)/Commission, précité, est dénué de pertinence en l’espèce, dès lors que la Cour ne s’y est pas prononcée sur la question de savoir à l’égard de qui un acte interrompant ou suspendant la prescription peut produire des effets.

138    Enfin, la Commission rappelle que, au considérant 451 de la décision attaquée, elle a affirmé que la suspension de la prescription résultant de la participation d’une société à une procédure judiciaire s’applique nécessairement à toutes les autres entités juridiques qui font partie de la même unité économique et, donc, de la même « entreprise », au sens du droit communautaire de la concurrence.

 Appréciation du Tribunal

139    Il convient d’examiner, d’une part, si le délai de prescription quinquennale a été respecté, en prenant en compte toute interruption éventuelle de la prescription, et, d’autre part, si la Commission a également respecté le délai de la prescription décennale, en distinguant la situation particulière de chacune des trois requérantes.

–       ARBED

140    Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 1er de la décision attaquée, la participation de l’entreprise composée d’ARBED, de TradeARBED et de ProfilARBED aux infractions en cause est établie du 1er juillet 1988 au 16 janvier 1991. Les requérantes ne remettent pas en cause cette constatation relative à la période infractionnelle. S’agissant d’infractions continues, il convient donc de considérer que le délai de prescription a commencé à courir, au plus tôt, le 17 janvier 1991.

141    S’agissant, en premier lieu, du délai de prescription quinquennale, il ressort de la décision attaquée (considérants 447 et 448) que ce dernier a été interrompu, notamment, par les vérifications effectuées par la Commission auprès des entreprises concernées les 16, 17 et 18 janvier 1991, par la communication des griefs adressée le 6 février 1992 à TradeARBED, par les demandes de renseignements envoyées à TradeARBED et au service juridique d’ARBED le 26 novembre 1993, demandant à ARBED de communiquer à la Commission le chiffre des ventes réalisé par ARBED dans la CECA de janvier à septembre 1993, et par l’adoption de la décision initiale, le 16 février 1994. Postérieurement à la suspension de la prescription tout au long de la procédure pendante devant les juridictions communautaires, la prescription a de nouveau été interrompue par la communication des griefs adressée à ARBED le 8 mars 2006.

142    ARBED ne conteste pas ces données mais soutient que la prescription n’a pas pu être interrompue à son égard dès lors qu’elle ne serait pas une « entreprise ayant participé à l’infraction », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la décision n° 715/78 et de la disposition équivalente du règlement n° 1/2003. Premièrement, elle invoque le considérant 2 de la décision attaquée, duquel il ressortirait que seule TradeARBED répond à cette définition. Deuxièmement, cette définition ne saurait, selon elle, s’appliquer à une entreprise à laquelle la Commission n’a pas adressé une communication des griefs. Troisièmement, cette définition s’appliquerait uniquement aux entreprises qui ont été identifiées comme telles, au cours de la procédure administrative dans le cadre de laquelle l’acte interruptif de la prescription s’est inscrit.

143    Aucun de ces arguments ne saurait prospérer. Par « entreprise ayant participé à l’infraction », il y a en effet lieu d’entendre, au sens de ces dispositions, toute entreprise identifiée comme telle dans une décision de la Commission sanctionnant une infraction. À cet égard, la circonstance qu’une entreprise n’a pas été identifiée comme « ayant participé à l’infraction », dans la communication des griefs initiale ou, plus généralement, au cours de la procédure administrative dans le cadre de laquelle l’acte interruptif de la prescription s’est inscrit, n’est pas pertinente si cette entreprise est ultérieurement identifiée comme telle (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 1er juillet 2008, Compagnie maritime belge/Commission, T‑276/04, non encore publié au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

144    En effet, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la décision n° 715/78 et à l’article 25, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, la prescription est interrompue par tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction, notifié à au moins une entreprise ayant participé à l’infraction, et, conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la décision n° 715/78 et à l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, l’interruption de la prescription vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction en cause.

145    Comme le souligne la Commission à bon droit, il découle de ces dispositions que la prescription est interrompue non seulement à l’égard des entreprises qui ont fait l’objet d’un acte d’instruction ou de poursuite, mais aussi à l’égard de celles qui, ayant participé à l’infraction, sont encore inconnues de la Commission et, partant, n’ont fait l’objet d’aucune mesure d’instruction ou ne sont destinataires d’aucun acte de procédure. Ainsi que la Commission le relève également à juste titre, l’expression « ayant participé à l’infraction » implique un fait objectif, à savoir la participation à l’infraction, qui se distingue d’un élément subjectif et contingent tel que l’identification d’une telle entreprise au cours de la procédure administrative. Ainsi, une entreprise pourrait avoir participé à l’infraction sans que la Commission le sache au moment où elle pose un acte interruptif de la prescription.

146    En tout état de cause, il doit être jugé que, en l’espèce, ARBED a bien « participé à l’infraction », dès lors que, conformément à la jurisprudence citée au point 116 ci‑dessus, le comportement infractionnel de TradeARBED peut lui être imputé, de sorte qu’elle est censée avoir commis elle-même cette infraction.

147    Quant aux actes interruptifs de la prescription accomplis en l’espèce, il est constant que constituent de tels actes les vérifications des 16, 17 et 18 janvier 1991, la communication des griefs du 6 février 1992 et la communication des griefs du 8 mars 2006. Il en va de même des demandes de renseignements envoyées à TradeARBED et au service juridique d’ARBED le 26 novembre 1993. À cet égard, il a déjà été jugé qu’une demande de renseignements visant à obtenir les données relatives aux chiffres d’affaires des entreprises faisant l’objet d’une procédure d’application des règles communautaires de concurrence est susceptible de constituer un acte nécessaire à la poursuite de l’infraction, puisqu’elle permet à la Commission de vérifier que les amendes qu’elle a l’intention d’infliger à ces entreprises n’excèdent pas le montant maximal des amendes autorisé par les règlements précités en cas d’infraction aux règles communautaires de concurrence (arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 490).

148    Quant à la computation du délai de prescription quinquennale, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si la décision initiale peut être considérée comme ayant interrompu la prescription à l’égard d’ARBED dès lors qu’elle a été annulée par l’arrêt du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, précité, ce délai a couru sans interruption, au plus, du 26 novembre 1993 au 8 avril 1994, soit environ quatre mois et demi, puis, après la suspension résultant de la procédure engagée devant le Tribunal puis devant la Cour, du 20 octobre 2003 au 8 mars 2006, soit environ deux ans et quatre mois et demi. Il s’ensuit que la décision attaquée a été adoptée dans le délai de prescription quinquennale. Le même constat s’imposerait s’il fallait tenir compte de la période de deux mois allant du prononcé de l’arrêt du 11 mars 1999, ARBED/Commission, précité, à la saisine de la Cour sur pourvoi, point que les requérantes n’ont pas soulevé et qu’il n’est pas nécessaire de trancher.

149    S’agissant, en second lieu, du délai de prescription décennale, celui-ci a couru, au plus, du 17 janvier 1991 au 8 avril 1994, soit environ trois ans et trois mois, puis, après suspension, du 20 octobre 2003 au 8 novembre 2006, soit environ trois ans et un mois. Il s’ensuit que la décision attaquée a été adoptée dans le délai de prescription décennale. Le même constat s’imposerait s’il fallait tenir compte de la période de deux mois allant du prononcé de l’arrêt du 11 mars 1999, ARBED/Commission, précité, à la saisine de la Cour sur pourvoi, point que les requérantes n’ont pas soulevé et sur lequel il n’est pas nécessaire de se prononcer.

150    Il découle des considérations qui précèdent que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé en tant qu’il est invoqué par ARBED.

–       TradeARBED

151    S’agissant de TradeARBED, la question décisive est celle de savoir si l’introduction d’un recours devant le juge communautaire a un effet relatif, auquel cas la suspension de la prescription pendant toute la durée de la procédure ne vaut qu’à l’égard de l’entreprise requérante, ou erga omnes, auquel cas la suspension de la prescription pendant la procédure vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction, qu’elles aient ou non formé un recours.

152    Dans le premier cas, le délai de prescription décennale serait à considérer comme largement dépassé en l’espèce à la date d’adoption de la décision attaquée, puisqu’il a commencé à courir le 17 janvier 1991. Dans le second cas, TradeARBED se trouverait dans une situation identique à celle d’ARBED, examinée ci-dessus, et elle ne pourrait se prévaloir ni de la prescription décennale, ni de la prescription quinquennale.

153    À la différence de ce qui est expressément prévu en matière d’interruption de la prescription par l’article 2, paragraphe 2, de la décision n° 715/78 et par l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 (effet erga omnes), cette question n’est, s’agissant de la suspension, pas tranchée par lesdits actes. Les requérantes tirent argument de ce silence législatif, en faisant valoir que, si le législateur communautaire avait entendu conférer un effet erga omnes à la suspension de la prescription, il l’aurait prévu expressément. Selon la Commission, au contraire, il serait illogique et incohérent d’interpréter ce silence comme signifiant que la prescription court à l’égard de toutes les entreprises, à l’exception de celles qui sont parties à une procédure judiciaire. Elle estime que, si le législateur avait souhaité un tel résultat, il aurait précisé que la suspension de la prescription n’a d’effet qu’à l’égard de l’entreprise partie à la procédure judiciaire. Il ressortirait par ailleurs de l’économie des règlements en question que la prescription concerne la possibilité pour la Commission de poursuivre une infraction au droit de la concurrence, et non la possibilité pour elle d’engager une action contre une entreprise déterminée.

154    À cet égard, le Tribunal considère que, tout comme l’interruption de la prescription [arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, point 484 ; voir, également, arrêt de la Cour du 24 juin 2004, Handlbauer, C‑278/02, Rec. p. I‑6171, point 40, et, pour ce qui concerne la prescription de l’action en responsabilité de la Communauté, arrêt Holcim (Deutschland)/Commission, précité, point 36], la suspension de la prescription, qui constitue une exception au principe de la prescription quinquennale, doit être interprétée de manière restrictive.

155    Ce principe s’oppose à ce que le silence du législateur puisse être interprété dans le sens préconisé par la Commission.

156    Il en va d’autant plus ainsi que, à la différence de l’interruption de la prescription, qui vise à permettre à la Commission de poursuivre et de sanctionner efficacement les infractions aux règles de concurrence, la suspension de la prescription concerne, par définition, une hypothèse dans laquelle la Commission a déjà adopté une décision. Normalement, il n’est plus nécessaire, à ce stade, d’attacher un effet erga omnes à l’introduction, par l’une des entreprises sanctionnées, d’une procédure devant la juridiction communautaire. Dans cette hypothèse, au contraire, l’effet inter partes des procédures judiciaires et les conséquences attachées à cet effet par la Cour, notamment dans l’arrêt Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., précité (points 49 et suivants), s’opposent en principe à ce que le recours introduit par une entreprise destinataire de la décision attaquée ait une quelconque incidence sur la situation des autres destinataires.

157    Dans la décision attaquée, la Commission a toutefois développé également une argumentation plus spécifique, qu’elle a reprise au stade de la duplique. Au considérant 451 de cette décision, elle fait ainsi valoir que la suspension de la prescription résultant de l’engagement par une entreprise de procédures devant le Tribunal et la Cour s’applique tant à l’entité juridique partie à l’instance qu’à toutes les autres entités juridiques qui font partie de la même unité économique, quelle que soit l’entité juridique qui a engagé ces procédures.

158    Cette argumentation, fondée sur le concept d’« entreprise » entendue comme unité économique, doit toutefois être rejetée elle aussi. S’il est vrai que les règles de concurrence du traité s’adressent à des entreprises, il n’en demeure pas moins que, aux fins de l’application et de l’exécution des décisions de la Commission en la matière, il est nécessaire d’identifier, en tant que destinataire, une entité dotée de la personnalité juridique (voir, en ce sens, arrêt PVC II, précité, point 978). À cet égard, la Cour a déjà jugé, dans l’arrêt du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, précité (point 21), que la communication des griefs doit préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et être adressée à cette dernière. Cette personne juridique est seule à même d’introduire un recours contre la décision adoptée à l’issue de la procédure administrative et, dès lors, elle est seule susceptible de se voir opposer la suspension de la prescription.

159    Il découle des considérations qui précèdent que le troisième moyen est fondé en tant qu’il est invoqué par TradeARBED. En conséquence, la décision attaquée doit être annulée, pour ce qui la concerne.

–       ProfilARBED

160    Les considérations exprimées ci-dessus pour ce qui concerne TradeARBED sont également valables, mutatis mutandis, pour ce qui concerne ProfilARBED.

161    Le troisième moyen est ainsi fondé en tant qu’il est invoqué par ProfilARBED, ce qui ne peut qu’entraîner l’annulation de la décision attaquée, pour ce qui la concerne.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

 Arguments des parties

162    À titre subsidiaire, les requérantes soutiennent que la durée particulièrement longue de la procédure a entraîné une violation de leurs droits de la défense à ce point fondamentale qu’elle doit entraîner l’annulation de la décision attaquée ou, à tout le moins, celle de l’article 2 de ladite décision, en ce qu’il leur impose une sanction financière, ou une réduction drastique de celle‑ci. Elles invoquent, en ce sens, l’arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission (C‑113/04 P, Rec. p. I‑8831, point 55).

163    En l’espèce, il serait fait obstacle à la possibilité pour les entreprises concernées de réfuter la présomption de responsabilité fondée sur l’existence de liens capitalistiques entre la société ayant participé seule à l’infraction et les deux autres requérantes, invoquée pour la première fois après seize ans de procédure. Selon les requérantes, les éléments de preuve susceptibles d’avoir été à leur disposition en 1990 ont disparu après un tel laps de temps.

164    La Commission réfute cette argumentation.

 Appréciation du Tribunal

165    Ce moyen, invoqué à titre subsidiaire par les requérantes, ne sera examiné qu’en tant qu’il est invoqué par ARBED, puisque le troisième moyen a déjà été accueilli en tant qu’il est invoqué par TradeARBED et par ProfilARBED.

166    S’agissant du principe du respect des droits de la défense, la Cour a jugé, au point 55 de l’arrêt Technische Unie/Commission, précité, invoqué par les requérantes, que le respect des droits de la défense, principe dont le caractère fondamental a été souligné à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour, revêtant une importance capitale dans les procédures telles que celle en l’espèce, il importe d’éviter que ces droits puissent être irrémédiablement compromis en raison de la durée excessive de la phase d’instruction et que cette durée soit susceptible de faire obstacle à l’établissement de preuves visant à réfuter l’existence de comportements de nature à engager la responsabilité des entreprises concernées. Pour cette raison, l’examen de l’éventuelle entrave à l’exercice des droits de la défense ne doit pas être limité à la phase même dans laquelle ces droits produisent leur plein effet, à savoir la seconde phase de la procédure administrative. L’appréciation de la source de l’éventuel affaiblissement de l’efficacité des droits de la défense doit s’étendre à l’ensemble de cette procédure en se référant à la durée totale de celle-ci.

167    Par ailleurs, la charge de la preuve d’une éventuelle violation des droits de la défense, résultant de ce qu’une entreprise aurait éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations de la Commission, en conséquence de la durée excessive de la procédure administrative, incombe à l’intéressée (arrêt Technische Unie/Commission, précité, point 61).

168    Or, en l’espèce, ARBED reste en défaut d’établir en quoi la durée de la procédure administrative, particulièrement longue il est vrai s’il est tenu compte également de la procédure judiciaire en annulation de la décision initiale, a pu nuire à l’exercice de ses droits de la défense et, plus particulièrement, à la possibilité pour elle de « réfuter la présomption de responsabilité fondée sur l’existence de liens capitalistiques entre la société ayant participé seule à l’infraction et [elle-même], invoquée pour la première fois après seize ans de procédure ». ARBED s’est à cet égard bornée à alléguer que « les éléments de preuve susceptibles d’avoir été à [sa] disposition en 1990 ont disparu après un tel laps de temps ».

169    Il convient d’ajouter que, contrairement à ce que soutient ARBED, la présomption de responsabilité en question n’a pas été invoquée « pour la première fois après seize ans de procédure », mais dès le stade de la décision initiale, adoptée en février 1994 (voir son considérant 322 et point 101 ci-dessus).

170    En dépit de cela, ARBED n’a pas démontré, ni même allégué, au cours de la première procédure devant le Tribunal, que sa filiale TradeARBED déterminait sa politique commerciale de façon autonome de sorte à ne pas constituer, avec elle, une entité économique et, donc, une seule entreprise au sens de l’article 65 CA (voir point 94 ci-dessus).

171    Enfin, cette présomption simple de responsabilité, dont le principe a été énoncé dès 1983 par la Cour dans l’arrêt AEG‑Telefunken/Commission, précité, a été amplement corroborée, en l’espèce, par les éléments de preuve additionnels déjà invoqués par la Commission dans la décision initiale (voir point 96 ci-dessus) et retenus par le Tribunal dans l’arrêt du 11 mars 1999, ARBED/Commission, précité (voir points 97 et 98 ci‑dessus).

172    Dans ces conditions, le quatrième moyen doit être rejeté comme non fondé en tant qu’il est invoqué par ARBED.

173    Il découle de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté comme non fondé en ce qui concerne ARBED, mais qu’il doit être accueilli en ce qui concerne TradeARBED et ProfilARBED.

 Sur les dépens

174    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

175    Eu égard aux conclusions des parties, il convient donc de décider que, pour autant que la présente affaire les oppose, la Commission supportera, outre ses propres dépens, les dépens exposés par TradeARBED et par ProfilARBED. Par ailleurs, pour autant que la présente affaire les oppose, ARBED supportera, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2006) 5342 final de la Commission, du 8 novembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 65 [CA] concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (affaire COMP/F/38.907 – Poutrelles en acier), est annulée pour autant qu’elle concerne ArcelorMittal Belval & Differdange SA et ArcelorMittal International SA.

2)      Le recours est rejeté comme non fondé pour le surplus.

3)      Pour autant que la présente affaire les oppose, la Commission est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par ArcelorMittal Belval & Differdange et ArcelorMittal International.

4)      Pour autant que la présente affaire les oppose, ArcelorMittal Luxembourg SA est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission.

Forwood

Šváby

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 mars 2009.

Signatures

Table des matières


Cadre juridique

Dispositions du traité CECA

Dispositions du traité CE

Communication de la Commission sur certains aspects du traitement des affaires de concurrence résultant de l’expiration du traité CECA

Règlement (CE) n° 1/2003

Dispositions relatives à la prescription en matière de poursuites

Antécédents du litige

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base juridique de la décision attaquée et d’un détournement de pouvoir

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des règles relatives à l’imputation des infractions

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

– TradeARBED

– ARBED

– ProfilARBED

Sur le troisième moyen, tiré de la violation des règles en matière de prescription des poursuites

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

– ARBED

– TradeARBED

– ProfilARBED

Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.