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ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

13 décembre 2016 (1)

« Concurrence – Ententes – Marché européen des enveloppes standard sur catalogue et spéciales imprimées – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Coordination des prix de vente et répartition de la clientèle – Procédure de transaction – Amendes – Montant de base – Adaptation exceptionnelle – Plafond de 10 % du chiffre d’affaires total – Article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 – Obligation de motivation – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑95/15,

Printeos, SA, établie à Alcalá de Henares (Espagne),

Tompla Sobre Exprés, SL, établie à Alcalá de Henares,

Tompla Scandinavia AB, établie à Stockholm (Suède),

Tompla France SARL, établie à Fleury-Mérogis (France),

Tompla Druckerzeugnisse Vertriebs GmbH, établie à Leonberg (Allemagne),

représentées par Mes H. Brokelmann et P. Martínez-Lage Sobredo, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme F. Castilla Contreras, MM. F. Jimeno Fernández et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, à titre principal, à l’annulation partielle de la décision C(2014) 9295 final de la Commission, du 10 décembre 2014, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (AT.39780 – Enveloppes), et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de M. M. Prek, président, Mme I. Labucka, M. J. Schwarcz, Mme V. Tomljenović et M. V. Kreuschitz (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 4 juillet 2016,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Par sa décision C(2014) 9295 final, du 10 décembre 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (AT.39780 – Enveloppes) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a constaté que, notamment, les requérantes, Printeos SA, Tompla Sobre Exprés SL, Tompla Scandinavia AB, Tompla France SARL et Tompla Druckerzeugnisse Vertriebs GmbH, avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européenne (EEE) en ayant participé, durant la période allant du 8 octobre 2003 au 22 avril 2008, à une entente conclue et mise en œuvre sur le marché européen des enveloppes standard sur catalogue et des enveloppes spéciales imprimées, y compris au Danemark, en Allemagne, en France, en Suède, au Royaume-Uni et en Norvège. Cette entente visait à coordonner les prix de vente, à répartir la clientèle et à échanger des informations commerciales sensibles. Outre les requérantes, l’entente impliquait la participation du groupe Bong (ci-après « Bong »), du groupe GPV France SAS and Heritage Envelopes Ltd (ci-après « GPV »), du groupe Holdham SA (ci-après « Hamelin ») et du groupe Mayer-Kuvert (ci-après « Mayer-Kuvert »), également destinataires de la décision attaquée.

2        La décision attaquée a été adoptée dans le cadre d’une procédure de transaction au titre de l’article 10 bis du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), et de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente (JO 2008, C 167, p. 1, ci-après la « communication sur la transaction »).

3        Eu égard à l’infraction constatée (article 1er, paragraphe 5, de la décision attaquée), la Commission a infligé aux requérantes, conjointement et solidairement, une amende d’un montant de 4 729 000 euros [article 2, paragraphe 1, sous e), de la décision attaquée].

4        La procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée avait été ouverte par la Commission, de sa propre initiative, sur la base d’informations et de documents transmis par un informateur. Le 14 septembre 2010, elle a effectué des vérifications en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), auprès des requérantes et d’autres sociétés impliquées dans l’entente au Danemark, en Espagne, en France et en Suède. Les 1er octobre 2010 et 31 janvier 2011, d’autres vérifications ont suivi en Allemagne (considérant 16 de la décision attaquée).

5        Le 22 octobre 2010, les requérantes ont introduit auprès de la Commission une demande de clémence au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17, ci-après la « communication sur la coopération ») (considérant 17 de la décision attaquée), ainsi qu’une demande analogue auprès de la Comisión Nacional de la Competencia, ultérieurement renommée Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (Autorité de la concurrence, Espagne, ci-après la « CNC »).

6        Le 15 mars 2011, la CNC a ouvert une procédure visant à instruire l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE et aux règles de concurrence espagnoles analogues commise, notamment, par Tompla Sobre Exprés, y compris ses filiales espagnoles, pour ce qui était du seul marché des enveloppes en papier en Espagne [affaire S/0316/10, Sobres de papel (enveloppes en papier)]. Cette procédure a abouti à l’adoption, par la CNC, le 25 mars 2013, d’une décision infligeant à ces sociétés une amende totale d’un montant de 10 141 530 euros en raison de leur participation sur le marché espagnol, pendant la période allant de 1977 à 2010, à des ententes ayant pour objet la fixation des prix et la répartition des appels d’offres lancés par l’administration espagnole et portant sur la fourniture d’enveloppes préimprimées pour des élections et des référendums aux niveaux européen, national et régional, la répartition de l’offre d’enveloppes préimprimées à usage commercial pour les gros clients, la fixation des prix d’enveloppes vierges et la limitation des technologies.

7        Toutes les parties concernées ayant exprimé leur intérêt à prendre part à des discussions de transaction, la Commission a ouvert, le 10 décembre 2013, la procédure visée à l’article 10 bis du règlement n° 773/2004, dans le cadre de laquelle elle a tenu des réunions bilatérales avec chacune des parties (considérants 19 et 20 de la décision attaquée).

8        Lors d’une réunion du 21 janvier 2014, la Commission a présenté aux requérantes une vue d’ensemble de l’entente, y compris son analyse des éléments de preuve dont elle disposait.

9        Les requérantes ont communiqué, le 24 février 2014, un document informel, dit « non paper », dans lequel elles ont demandé à ce que la Commission tînt compte, aux fins de la détermination du montant de l’amende, premièrement, de l’amende infligée par la CNC, au motif que cette amende équivalait déjà en soi à 10 % de leur chiffre d’affaires total en 2012, deuxièmement, du fait qu’elles formaient un groupe « monoproduit » (c’est-à-dire dédié à la production d’un seul produit) et, troisièmement, du paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices »), permettant à la Commission, eu égard aux particularités de l’affaire en cause, de s’écarter de la méthodologie générale pour la fixation du montant des amendes ou des limites fixées au paragraphe 21 des mêmes lignes directrices.

10      En lieu et place d’une seconde réunion, avec l’accord des requérantes, la Commission a, par courriel du 17 juin 2014, présenté une vue d’ensemble des paramètres essentiels à prendre en considération aux fins de la détermination du montant de l’amende à infliger, tels que la valeur des ventes réalisées par les requérantes en 2007, à savoir 143 316 000 euros, et leur chiffre d’affaires en 2013, à savoir [confidentiel](2) euros, la durée de leur participation à l’infraction, etc. Les requérantes ont répondu par courriel du 18 juin 2014 en confirmant la valeur des ventes et le chiffre d’affaires retenus par la Commission et en affirmant qu’elles n’avaient pas d’observations substantielles à cet égard.

11      Au cours d’une réunion le 24 octobre 2014, la Commission a informé les requérantes des méthodes et des paramètres de calcul du montant de l’amende, à savoir, premièrement, de la proportion (15 %) de la valeur des ventes (143 316 000 euros en 2007) utilisée pour déterminer le montant de base de l’amende, deuxièmement, de la durée de l’infraction commise par les requérantes (quatre ans et six mois), troisièmement, du montant additionnel de 15 %, quatrièmement, de l’absence de circonstances atténuantes ou aggravantes, cinquièmement, de la non-application d’un facteur multiplicateur, sixièmement, de l’amende maximale autorisée de [confidentiel] euros (10 % du chiffre d’affaires total des requérantes en 2013), septièmement, d’une réduction exceptionnelle du montant de l’amende en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices en raison des circonstances particulières de l’affaire, y compris le fait que les montants de base de toutes les parties à l’entente excédaient le plafond de 10 % prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, huitièmement, d’une réduction supplémentaire motivée par le caractère « monoproduit » du groupe des requérantes, neuvièmement, de l’impossibilité d’accorder une réduction en raison de l’existence de l’amende infligée par la CNC, l’entente visée par cette dernière étant distincte de celle instruite par la Commission et devant être sanctionnée indépendamment et conformément aux règles applicables, différentes de celles appliquées par la Commission, dixièmement, d’une réduction envisagée de 50 % au titre des paragraphes 24 et 25 de la communication sur la coopération, onzièmement, d’une réduction envisagée de 10 % au titre du paragraphe 32 de la communication sur la transaction et, enfin, de la fourchette encadrant le montant de l’amende et allant de 4 610 000 à 4 848 000 euros, dont les requérantes devraient accepter le montant maximal dans leur proposition de transaction.

12      Le 7 novembre 2014, les requérantes ont présenté leur proposition de transaction en acceptant la valeur des ventes et le chiffre d’affaires retenus par la Commission ainsi que le montant maximal de l’amende de 4 848 000 euros.

13      Le 18 novembre 2014, la Commission a adopté la communication des griefs.

14      Le 20 novembre 2014, les requérantes ont confirmé, conformément au paragraphe 26 de la communication sur la transaction, que la communication des griefs correspondait à la teneur de leur proposition de transaction et qu’elles restaient engagées à suivre la procédure de transaction.

15      Dans la décision attaquée, s’agissant du calcul des amendes infligées, la Commission a déterminé le montant de base de chacune des entreprises concernées comme cela est résumé dans le tableau suivant (considérants 71 à 84 de la décision attaquée) :

Entreprise

Valeur des ventes EUR

Coefficient de gravité %

Durée

Montant additionnel %

Montant de base EUR

Bong

140 000 000

15

4,5

15

115 500 000

[…] GPV

125 086 629

15

4,5

15

103 196 000

Hamelin

185 521 000

15

4,416

15

150 717 000

Mayer-Kuvert

70 023 181

15

4,5

15

57 769 000

Printeos [...]

143 316 000

15

4,5

15

118 235 000


16      En outre, aux considérants 85 à 87 de la décision attaquée, la Commission a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’ajuster les montants de base en vertu des paragraphes 28 et 29 des lignes directrices, à l’exception du cas de Mayer-Kuvert, qui devait se voir appliquer une réduction de 10 % en raison de sa participation limitée à l’infraction.

17      Sous l’intitulé « Adaptation des montants de base », la Commission a constaté que, étant donné que les ventes de la majorité des parties concernées avaient été effectuées sur un seul marché, sur lequel elles avaient participé à une entente pendant plusieurs années, en pratique, tous les montants des amendes étaient susceptibles d’atteindre le plafond de 10 % du chiffre d’affaires total et que l’application dudit plafond serait la règle plutôt que l’exception (considérant 88 de la décision attaquée). À cet égard, la Commission a rappelé la jurisprudence du Tribunal ayant observé qu’une telle approche pourrait donner lieu à des doutes à la lumière du principe selon lequel une pénalité devait présenter un lien immédiat avec l’infraction ainsi qu’avec son auteur, en tant qu’elle pourrait conduire, dans certaines conditions, à une situation dans laquelle toute différenciation en fonction de la gravité de l’infraction ou de circonstances atténuantes ne serait plus susceptible de se répercuter sur le montant d’une amende (arrêt du 16 juin 2011, Putters International/Commission, T‑211/08, EU:T:2011:289, point 75). Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, la Commission a considéré comme approprié d’exercer son pouvoir d’appréciation et d’appliquer le paragraphe 37 des lignes directrices, lui permettant de s’écarter de la méthodologie des lignes directrices (considérants 89 et 90 de la décision attaquée).

18      Les considérants 91 et 92 de la décision attaquée sont libellés comme suit :

« (91) En l’espèce, le montant de base est adapté d’une manière qui tienne compte de la valeur des ventes du produit cartellisé par rapport au chiffre d’affaires total, ainsi que des différences entre les parties en fonction de leur participation individuelle à l’infraction. Dans l’ensemble, les amendes seront fixées à un niveau qui est proportionné à l’infraction et produit un effet dissuasif suffisant.

(92) En conséquence, une réduction sera appliquée aux amendes calculées pour toutes les parties. Dans les circonstances particulières de l’espèce, au vu du fait que toutes les parties étaient actives, dans une mesure différente, mais importante, dans la vente d’enveloppes standard sur catalogue et d’enveloppes spéciales imprimées, il est proposé d’opérer une réduction de [confidentiel] % de l’amende devant être infligée pour l’infraction commise par GPV, de [confidentiel] % pour Tompla, de [confidentiel] % pour Bong et Mayer-Kuvert, ainsi que de [confidentiel] % pour Hamelin. »

19      Le résultat de cette adaptation des montants de base peut être résumé comme suit (voir également le tableau exposé au considérant 93 de la décision attaquée) :

Entreprise

Montant de base avant adaptation EUR

Réduction 

%

Montant de base après adaptation EUR

Bong

115 500 500

[confidentiel]

[confidentiel]

GPV

103 196 000

[confidentiel]

[confidentiel]

Hamelin

150 717 000

[confidentiel]

[confidentiel]

Mayer-Kuvert

57 769 000

[confidentiel]

[confidentiel]

Printeos

118 235 000

[confidentiel]

[confidentiel]


20      Par ailleurs, la Commission a accordé aux requérantes des réductions supplémentaires du montant de l’amende de 50 % au titre de la communication sur la coopération et de 10 % en vertu du paragraphe 32 de la communication sur la transaction (considérants 99, 102 et 103 de la décision attaquée), dont la légalité n’est pas contestée dans le cadre du présent litige. En vertu des règles pertinentes correspondantes, Hamelin et Mayer-Kuvert se sont vu accorder chacune des réductions du montant de leurs amendes de, respectivement, 25 % et 10 % (coopération) et de 10 % (transaction) (considérants 100 à 103 de la décision attaquée).

21      Enfin, il ressort des considérants 104 à 108 de la décision attaquée, sous l’intitulé « Capacité contributive », que, à la suite de demandes étayées introduites par [confidentiel] et par [confidentiel] en vertu du paragraphe 35 des lignes directrices, la Commission a ramené le montant de leurs amendes à [confidentiel] et à [confidentiel] euros, respectivement. Les requérantes n’ont ni introduit de demande analogue auprès de la Commission, ni obtenu de réduction au titre dudit paragraphe.

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2015, les requérantes ont introduit le présent recours.

23      Sur proposition de la quatrième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

24      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé aux parties des questions écrites concernant le traitement confidentiel à l’égard du public de certains chiffres exposés dans le rapport d’audience. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 4 juillet 2016.

26      Les requérantes demandent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 2, paragraphe 1, sous e), de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, dans un premier temps, fixer le montant de l’amende qui leur a été infligée à un niveau d’au moins 55 % inférieur au plafond de 10 % prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, ou, à défaut, à un pourcentage jugé approprié par le Tribunal pour rétablir son équilibre par rapport aux montants des amendes infligées à Bong et à Hamelin, et, dans un second temps, réduire ce montant en outre d’au moins 33 %, ou, à défaut, à un pourcentage jugé approprié par le Tribunal pour tenir compte de l’amende infligée par la CNC dans sa décision du 25 mars 2013 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le troisième moyen irrecevable ;

–        en tout état de cause, rejeter le recours dans son intégralité comme non fondé ;

–        en tout état de cause, condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Objet du recours et résumé des moyens

28      Les requérantes avancent ne vouloir contester ni leur participation à l’infraction visée à l’article 1er de la décision attaquée, ni les faits constitutifs de ladite infraction, ni leur qualification juridique. Elles se bornent à demander l’annulation de l’article 2, paragraphe 1, sous e), de la décision attaquée dans la mesure où il leur inflige une amende, dont elles contestent le montant tel que cela a été déterminé avant les réductions effectuées au titre des communications sur la coopération et sur la transaction.

29      Par leur premier moyen, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir violé son obligation de motivation s’agissant de l’adaptation du montant de base des amendes en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices et du pourcentage concret de réduction appliqué à chaque entreprise, ainsi que, dans la réplique, d’avoir commis un détournement de pouvoir.

30      Par leur deuxième moyen, les requérantes invoquent une violation du principe d’égalité de traitement commise à leur détriment dans le cadre de l’adaptation exceptionnelle du montant de base des amendes en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices.

31      Par leur troisième moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a enfreint les principes de proportionnalité et de non-discrimination dans le cadre de la détermination du montant de l’amende en ne tenant pas compte de l’amende qui leur avait été infligée par la CNC.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation s’agissant de l’adaptation du montant de base des amendes en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices et du pourcentage concret de réduction appliqué à chaque entreprise, ainsi que d’un détournement de pouvoir

 Arguments des parties

32      Selon les requérantes, aux considérants 88 à 92 de la décision attaquée, ne sont pas précisés, à suffisance de droit, les motifs concrets ayant amené la Commission à décider d’adapter, à titre exceptionnel, en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices, les montants de base des amendes infligées aux entreprises concernées et à leur appliquer, dans ce contexte, des taux de réduction différents, à savoir 85 %, 88 %, 90 % et 98 %, respectivement. En particulier, il ne serait pas possible de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a accordé une réduction de [confidentiel] % à Hamelin. Cette insuffisance de motivation serait d’autant plus grave et, inversement, l’obligation de motivation d’autant plus grande que, en l’espèce, la Commission s’est écartée de la méthodologie générale prévue pour la détermination des amendes en vertu des lignes directrices. Dans la réplique, les requérantes précisent, en substance, que c’est pour la première fois dans le mémoire en défense que la Commission a expliqué les véritables motifs de cette adaptation des montants de base des amendes. Cette explication tardive ne saurait toutefois remédier à l’insuffisance de motivation viciant la décision attaquée, mais démontrerait que, en ayant procédé à cette adaptation, la Commission a également commis un détournement de pouvoir. Ainsi, aux points 28, 64 et 65 du mémoire en défense, la Commission aurait avancé que, alors même que Hamelin ne constituait pas « une entreprise monoproduit, le montant de base la concernant devait également être ajusté, conformément au paragraphe 37 des lignes directrices, et selon la même méthode pour des raisons d’équité, afin de refléter sa participation à l’infraction et de rétablir l’équilibre en ce qui concerne les amendes infligées aux différentes entreprises après les ajustements indiqués ». Or, le raisonnement selon lequel le montant de l’amende infligée à Hamelin a été réduit, en réalité, pour des raisons d’équité et non du fait de son caractère « monoproduit » ne ressortirait pas du considérant 92 de la décision attaquée.

33      La Commission conteste les arguments des requérantes et conclut au rejet du présent moyen.

34      S’agissant du calcul du montant des amendes, et notamment de la détermination des montants de base dans la décision attaquée, la Commission précise que la présente affaire présentait des circonstances exceptionnelles résultant du caractère « monoproduit » des entreprises concernées, à l’exception de Hamelin, comme cela a été examiné aux considérants 88 à 95 de la décision attaquée. Selon la Commission, étant donné que le montant de base dépassait le plafond de 10 % du chiffre d’affaires total, existait « le risque que l’amende [fû]t infligée exclusivement sur la base dudit chiffre d’affaires total et ne reflét[ât] pas la gravité et la durée de l’infraction, ni les particularités de l’affaire ». Autrement dit, conformément à ce qui serait exposé au considérant 89 de ladite décision, en raison du volume du chiffre d’affaires total, l’application du coefficient de gravité et du facteur multiplicateur n’aurait présenté « aucune utilité pratique pour le calcul de l’amende ». La Commission aurait tenu compte du fait que, en l’espèce, la prise en considération de ces circonstances ne pouvait aboutir à une réduction du montant final de l’amende. Ainsi, l’application d’une circonstance atténuante en faveur de Mayer-Kuvert du fait de sa participation moindre à l’infraction (voir considérant 87 de la décision attaquée) n’aurait eu aucun effet sur le montant final de l’amende, dès lors que la réduction aurait été appliquée avant l’application du plafond de 10 %. Dans la duplique, la Commission précise que, avant l’adaptation des montants de base, le taux de dépassement aurait été de 38,98 % pour Bong, de 441,83 % pour GPV, de 30,04 % pour Hamelin, de 36,71 % pour Mayer-Kuvert et de 97,13 % pour les requérantes.

35      La Commission aurait donc appliqué à chaque entreprise la réduction nécessaire pour que le montant de base de l’amende soit inférieur au plafond de 10 % du chiffre d’affaires total en 2013. À cette fin, le montant de base aurait été réduit proportionnellement au ratio « monoproduit » desdites entreprises. S’agissant de Hamelin, la Commission aurait estimé que, « même s’il ne s’agissait pas d’une entreprise monoproduit, le montant de base la concernant devait également être ajusté en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices, et selon la même méthode pour des raisons d’équité, afin de refléter sa participation à l’infraction et de rétablir l’équilibre en ce qui concerne les amendes infligées aux différentes entreprises après les ajustements indiqués ». La Commission n’aurait pas appliqué la réduction de manière linéaire, mais, toujours en respectant le plafond de 10 %, elle aurait assuré que l’amende en résultant soit suffisamment dissuasive eu égard à la gravité et à la durée de l’infraction. Selon la méthode décrite au considérant 91 de la décision attaquée, elle aurait donc appliqué les réductions suivantes aux montants de base : [confidentiel] % pour Bong, [confidentiel] % pour GPV, [confidentiel] % (« équité ») pour Hamelin, [confidentiel] % pour Mayer-Kuvert et [confidentiel] % pour les requérantes.

36      Selon la Commission, le Tribunal doit se limiter à examiner la question du respect de l’obligation de motivation à l’égard des seules requérantes et non à l’égard des autres entreprises concernées n’ayant pas introduit de recours devant le Tribunal et pour lesquelles la motivation de la décision attaquée serait devenue définitive. Ainsi, les requérantes ne sauraient se prévaloir, en l’espèce, d’un caractère prétendument insuffisant de la motivation concernant la réduction du montant des amendes infligées aux autres entreprises destinataires de ladite décision. En tout état de cause, cette motivation serait suffisante, en ce qu’elle aurait permis aux requérantes de connaître les raisons de l’adaptation du montant de l’amende les concernant – raisons qu’elles auraient déjà connues avant, en tant que demanderesses de ladite réduction – et permettrait au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel.

37      Étant donné que la décision attaquée a été adoptée au terme d’une procédure de transaction dans le cadre de laquelle les parties ont été informées, au cours de discussions bilatérales, de tous les éléments pertinents, dont les faits allégués, leur qualification, la gravité et la durée de l’infraction reprochée, l’attribution des responsabilités et une estimation des fourchettes de montants probables d’amendes, sa motivation pourrait être beaucoup plus succincte que celle d’autres décisions adoptées en vertu des articles 7 et 23 du règlement n° 1/2003. Ainsi, en l’espèce, les discussions bilatérales entre la Commission et les requérantes auraient permis aux dernières de connaître chacun de ces éléments et la méthode envisagée pour le calcul du montant des amendes pour décider volontairement de présenter ou non une proposition de transaction. Dans ces circonstances, la motivation de la décision attaquée aurait été amplement suffisante.

38      En effet, le texte de la décision attaquée expliquerait déjà en détail les facteurs dont il a été tenu compte pour déterminer la gravité et la durée de l’infraction ainsi que pour calculer le montant de base de l’amende. Ainsi, aux considérants 72 à 84 de ladite décision, serait exposée la méthode utilisée pour calculer ce montant de base que les requérantes ne remettraient pas en cause. Ce texte apporterait également d’autres précisions, telles que le volume des ventes des entreprises concernées, pris en compte pour calculer le montant de base des amendes (voir le tableau n° 1 au considérant 75), les différents facteurs multiplicateurs au titre de la durée (voir le tableau n° 2 au considérant 81) et les différents montants de base des amendes, avant et après leur adaptation (voir les tableaux nos 3 et 4 figurant aux considérants 84 et 93). Selon la Commission, il a donc été satisfait à l’exigence de motivation s’agissant des éléments permettant de mesurer la gravité et la durée de l’infraction.

39      En outre, lors de la réunion du 24 octobre 2014, la Commission aurait fourni aux requérantes une description détaillée de la méthode de calcul du montant de l’amende envisagée à leur égard, y compris la valeur des ventes utilisée pour calculer le montant de base, la durée de leur participation à l’infraction, le montant supplémentaire ajouté à des fins de dissuasion (facteur multiplicateur), l’absence de circonstances aggravantes ou atténuantes, les réductions effectuées au titre des communications sur la transaction et sur la coopération ainsi que celle effectuée en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices. Les requérantes auraient parfaitement compris ces explications et auraient expressément accepté, dans leur proposition de transaction, le montant maximal de l’amende susceptible de leur être infligée conformément à la fourchette proposée.

40      S’agissant de la réduction du montant de base effectuée en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices, la Commission soutient que la décision attaquée explique à suffisance de droit, dans ses considérants 88 à 92, les raisons pour lesquelles elle a jugé nécessaire une adaptation des montants de base. Les particularités ayant conduit à l’adaptation à l’égard des requérantes auraient déjà été examinées lors de la réunion du 24 octobre 2014, soit avant la présentation de leur proposition de transaction, l’envoi de la communication des griefs et l’adoption de la décision attaquée. Au cours de cette réunion, la Commission aurait expliqué que les montants de base calculés pour toutes les entreprises dépassaient le plafond de 10 %, et ce en raison d’une combinaison de facteurs, tels que la valeur que représentait le pourcentage du volume des ventes concerné par l’infraction, la longue durée de l’entente et le ratio « monoproduit » des entreprises (calculé comme la proportion entre le volume des ventes totales d’enveloppes et le volume total des ventes de l’entreprise concernée). Enfin, s’il est vrai que, au cours de la réunion du 24 octobre 2014, il y aurait eu une certaine confusion au sujet de l’incidence sur le montant final de l’amende de la réduction fondée sur le ratio « monoproduit », cette confusion aurait été dissipée au cours de cette même réunion, à la suite de laquelle les requérantes auraient présenté ladite proposition de transaction.

41      La Commission ajoute que c’étaient les requérantes elles-mêmes qui lui avaient demandé, dans le « non paper » du 24 février 2014 (voir point 9 ci-dessus), d’opérer une réduction du montant de l’amende en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices. Les requérantes auraient expliqué que, étant donné le caractère « monoproduit » de leur groupe, la limitation de la durée de l’infraction n’aurait pas d’incidence sur le montant de l’amende qui leur serait infligée. En effet, vu le fait que la vente d’enveloppes représentait plus de 90 % du volume de leurs ventes totales, l’application d’un montant supplémentaire de plus de 10 % à des fins de dissuasion se traduirait déjà par un montant d’amende dépassant le plafond de 10 % du chiffre d’affaires total prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003. Eu égard aux éléments susmentionnés et, notamment, à la motivation analogue exposée au considérant 91 de la décision attaquée, la Commission en conclut que, en l’espèce, une motivation plus détaillée n’était pas nécessaire.

42      Au sujet des taux précis de réduction attribués à chacune des entreprises concernées, la Commission rappelle les considérants 91 et 92 de la décision attaquée, qui auraient explicité les facteurs dont elle a tenu compte pour déterminer ces taux, complétés par le considérant 87 de ladite décision, qui exposerait que Mayer-Kuvert avait joué un rôle différent et avait participé à l’infraction dans une moindre mesure. Les tableaux nos 3 et 4, figurant aux considérants 84 et 93 de la décision attaquée, exposeraient ainsi les montants de base pour chaque entreprise, avant et après leur adaptation, et un simple calcul arithmétique permettrait de déduire le montant précis de l’adaptation appliquée à chaque amende. Pour les requérantes, le taux d’adaptation mis en œuvre en raison de leur caractère « monoproduit », dont elles avaient elles-mêmes demandé l’application, aurait été de [confidentiel] %. En outre, la jurisprudence n’aurait pas considéré comme nécessaire de fournir un calcul arithmétique ou de préciser tous les facteurs qui auraient conduit à la fixation d’un montant précis d’amende. Dans la duplique, s’agissant de la réduction accordée à Hamelin « pour des raisons d’équité », la Commission précise que cette réduction était justifiée par la nécessité de prendre en considération les circonstances particulières de l’espèce, comme cela est indiqué au considérant 90 de la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

43      Par leur premier moyen, les requérantes invoquent, en substance, une insuffisance de motivation entachant les considérants 88 à 92 de la décision attaquée. Ceux-ci ne préciseraient pas, à suffisance de droit, les motifs ayant amené la Commission à adapter, à titre exceptionnel, en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices, les montants de base des amendes infligées aux entreprises concernées et à leur appliquer, dans ce contexte, des taux de réduction différents, en accordant, notamment, une réduction de [confidentiel] % à Hamelin. Cette approche relèverait en outre d’un détournement de pouvoir. En particulier, la Commission aurait avancé pour la première fois en cours d’instance que Hamelin ne constituait pas une entreprise « monoproduit » et que l’adaptation du montant de base la concernant, en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices, serait justifiée, notamment, pour des raisons d’équité, ce qui ne ressortirait pas du considérant 92 de la décision attaquée.

44      Ainsi qu’il a été reconnu par une jurisprudence constante, l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Dans cette perspective, la motivation exigée doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. S’agissant, en particulier, de la motivation des décisions individuelles, l’obligation de motiver de telles décisions a ainsi pour but, outre de permettre un contrôle judiciaire, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, points 146 à 148 et jurisprudence citée ; du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, points 114 et 115 et jurisprudence citée, et du 5 décembre 2013, Solvay/Commission, C‑455/11 P, non publié, EU:C:2013:796, points 89 et 90 et jurisprudence citée).

45      En outre, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 150 ; du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 116, et du 5 décembre 2013, Solvay/Commission, C‑455/11 P, non publié, EU:C:2013:796, point 91).

46      La jurisprudence a encore précisé que la motivation doit donc, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant les instances de l’Union (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 149, et du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 74).

47      Contrairement à ce qu’allègue la Commission, eu égard aux exigences découlant de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu conjointement avec l’article 263 TFUE, d’une part, et avec l’article 261 TFUE et l’article 31 du règlement n° 1/2003, d’autre part (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, points 52 à 67), tels que rappelés au paragraphe 41 de la communication sur la transaction, ces principes s’appliquent mutatis mutandis à l’obligation de la Commission, au sens de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, de motiver la décision infligeant des amendes qu’elle adopte à l’issue d’une procédure de transaction, dans le cadre de laquelle l’entreprise concernée n’est censée accepter que le montant maximal de l’amende proposée. En effet, c’est au regard des dispositions susmentionnées de droit primaire et secondaire que la Cour a souligné l’importance particulière du devoir de la Commission de motiver ses décisions infligeant des amendes en matière de concurrence et, notamment, d’expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des différents éléments pris en considération aux fins de la détermination du montant des amendes, ainsi que celui du juge de vérifier d’office la présence d’une telle motivation (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 61).

48      Lorsque la Commission décide de s’écarter de la méthodologie générale exposée dans les lignes directrices, par lesquelles elle s’est autolimitée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation quant à la fixation du montant des amendes, en s’appuyant, comme en l’espèce, sur le paragraphe 37 de ces lignes directrices, ces exigences de motivation s’imposent avec d’autant plus de vigueur. À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante ayant reconnu que les lignes directrices énoncent une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont la Commission ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec, notamment, le principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission, C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351, point 53, et du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 60 et jurisprudence citée). Cette motivation doit être d’autant plus précise que le paragraphe 37 des lignes directrices se limite à une référence vague aux « particularités d’une affaire donnée » et laisse donc une large marge d’appréciation à la Commission pour procéder, comme en l’occurrence, à une adaptation exceptionnelle des montants de base des amendes des entreprises concernées. En effet, dans un tel cas, le respect par la Commission des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, dont l’obligation de motivation, revêt une importance d’autant plus fondamentale (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14).

49      Il en résulte que, en l’espèce, la Commission était tenue d’expliquer de façon suffisamment claire et précise la manière dont elle entendait faire usage de son pouvoir d’appréciation, y compris les différents éléments de fait et de droit qu’elle avait pris en considération à cet effet. En particulier, eu égard à son obligation de respecter le principe d’égalité de traitement lors de la détermination des montants des amendes, que les requérantes lui reprochent d’avoir violé à leur détriment (ainsi qu’elles l’invoquent par le deuxième moyen), ce devoir de motivation englobe l’ensemble des éléments pertinents requis pour pouvoir apprécier si les entreprises concernées, qui ont vu les montants de base de leurs amendes être adaptés, se trouvaient dans des situations comparables ou non, si lesdites situations ont été traitées de manière égale ou inégale et si un éventuel traitement égal ou inégal desdites situations était objectivement justifié (voir arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, points 51 et 62 et jurisprudence citée).

50      Afin de vérifier si la Commission a respecté son devoir de motivation de la décision attaquée, il y a lieu de rappeler les différentes étapes des opérations de calcul qu’elle a effectuées pour déterminer et adapter, en vertu du paragraphe 37 des lignes directrices, les montants de base des amendes infligées aux entreprises concernées. Les motifs exposés à ce sujet dans la décision attaquée peuvent être résumés comme suit :

Entreprise

Valeur des ventes EUR en 2007

Coefficient de gravité %

Durée (années)

Montant additionnel %

Montant de base EUR

Adaptation / Réduction %

Montant de base adapté

Bong

140 000 000

15

4,5

15

115 500 000

[confidentiel]

[confidentiel]

[…] GPV

125 086 629

15

4,5

15

103 196 000

[confidentiel]

[confidentiel]

Hamelin

185 521 000

15

4,416

15

150 717 000

[confidentiel]

[confidentiel]

Mayer-Kuvert

70 023 181

15

4,5

15

57 769 000

[confidentiel]

[confidentiel]

Printeos [...]

143 316 000

15

4,5

15

118 235 000

[confidentiel]

[confidentiel]


51      Il convient de rappeler en outre que, d’une part, aux considérants 88 et 89 de la décision attaquée, la Commission a souligné, en substance, que la plupart des entreprises concernées avaient effectué leurs ventes sur un seul marché, de sorte que, en pratique, toutes les amendes étaient susceptibles d’atteindre le plafond de 10 % du chiffre d’affaires total prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, que l’application dudit plafond était la règle plutôt que l’exception et que toute différenciation en fonction de la gravité de l’infraction ou de circonstances atténuantes n’était plus de nature à se répercuter sur le montant des amendes (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Putters International/Commission, T‑211/08, EU:T:2011:289, point 75). D’autre part, aux considérants 90 à 92 de la décision attaquée, la Commission a motivé l’application du paragraphe 37 des lignes directrices ainsi que l’adaptation des montants de base en faveur de « toutes les parties » en se référant, notamment, à « la valeur des ventes du produit cartellisé par rapport au chiffre d’affaires total, ainsi qu[‘aux] différences entre les parties en fonction de leur participation individuelle à l’infraction » et au fait que « toutes les parties étaient actives, dans une mesure différente, mais importante, dans la vente d’enveloppes ». La Commission a ainsi proposé d’opérer, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce et au fait « que toutes les parties étaient actives, dans une mesure différente, mais importante, dans la vente d’enveloppes standard sur catalogue et d’enveloppes spéciales imprimées, [...] une réduction de [confidentiel] % [du montant] de l’amende devant être infligée pour l’infraction commise par GPV, de [confidentiel] % pour [les requérantes], de [confidentiel] % pour Bong et Mayer-Kuvert, ainsi que de [confidentiel] % pour Hamelin ».

52      En premier lieu, comme l’allèguent les requérantes, force est toutefois de constater que, dans la décision attaquée, et notamment son considérant 92, la Commission n’énonce pas les raisons pour lesquelles elle a appliqué ces taux de réduction divergents aux entreprises concernées. En particulier, la variation desdits taux de réduction ne saurait s’expliquer par le seul motif que la Commission visait à réduire tous les montants de base, déjà à ce stade intermédiaire de l’opération de calcul des amendes, à un pourcentage se situant en deçà du plafond de 10 % du chiffre d’affaires total, au sens de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, de chacune desdites entreprises, conformément à l’esprit du point 75 de l’arrêt du 16 juin 2011, Putters International/Commission (T‑211/08, EU:T:2011:289). En effet, comme le font valoir les requérantes à juste titre dans le cadre du deuxième moyen, ces montants de base adaptés présentent des écarts nettement différents, en termes de pourcentage, par rapport audit plafond de 10 %, à savoir, notamment, 4,5 et 4,7 % dans les cas, respectivement, de Hamelin et de Bong, et 9,7 % dans le cas des requérantes.

53      La Commission n’est pas non plus fondée à prétendre que les requérantes auraient été informées à suffisance de droit de l’approche envisagée par elle lors de la procédure administrative ou auraient connu son contexte, assertion qui ne trouve aucun fondement dans le dossier. En réponse à une question orale du Tribunal sur ce point lors de l’audience, la Commission a reconnu le caractère sommaire et succinct de la motivation de la décision attaquée à cet égard et s’est essentiellement limitée à faire valoir que, dans le cadre d’une procédure de transaction, son devoir de motivation était moindre, puisque les parties connaissaient le dossier, y compris les éléments que la Commission visait à prendre en considération, et s’engageaient librement dans des discussions bilatérales aux fins de la conclusion d’une transaction. Au demeurant, s’agissant de l’application de taux de réduction divergents évoquée au considérant 92 de la décision attaquée, le Tribunal a rappelé aux parties son devoir d’examiner, le cas échéant, d’office le caractère suffisant de la motivation, au sens de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

54      En second lieu, le considérant 92 de la décision attaquée omet manifestement de préciser ce que la Commission n’a expliqué, de manière tardive et non susceptible de régulariser une éventuelle insuffisance ou absence de motivation (voir la jurisprudence citée au point 46 ci-dessus), qu’en cours d’instance par un complément de motivation substantiel, à savoir que, à la différence des autres entreprises concernées, Hamelin n’exerçait pas une activité économique « monoproduit » et l’adaptation du montant de base la concernant se justifiait néanmoins par des raisons d’équité et de rétablissement d’un équilibre entre les différentes amendes (voir points 34 et 35 ci-dessus). Ainsi, eu égard à ces explications supplémentaires, contrairement à l’impression que pourrait donner le considérant 91 de la décision attaquée, l’élément décisif d’appréciation pris en compte par la Commission pour adapter les montants de base n’était pas le fait qu’il existait des « différences entre les parties en fonction de leur participation individuelle à l’infraction », qui, dans le cas de Hamelin, était seulement légèrement moindre avec une durée de participation à l’infraction de 4,416 années contre 4,5 années dans le cas des autres entreprises concernées. En outre, contrairement à ce que semblent en avoir compris les requérantes, ce considérant n’est pas non plus susceptible de viser la seule participation moindre à l’infraction de Mayer-Kuvert, puisque celle-ci avait déjà donné lieu à une réduction de 10 % au titre d’une circonstance atténuante au sens du paragraphe 29 des lignes directrices (considérants 85 et 87 de la décision attaquée), c’est-à-dire avant les adaptations contestées des montants de base exposées aux considérants 88 et suivants de la décision attaquée.

55      Il en résulte que, sur le fondement de cette motivation de la décision attaquée, ni les requérantes n’étaient en mesure de contester utilement le bien-fondé de l’approche suivie par la Commission au regard du principe d’égalité de traitement, ni le Tribunal n’aurait été capable d’exercer pleinement son contrôle de la légalité concernant le respect dudit principe (voir le deuxième moyen). Plus précisément, au regard des considérants 91 et 92 de la décision attaquée, il n’est pas possible de comprendre et d’apprécier si Hamelin et les autres entreprises concernées se trouvaient dans des situations comparables ou distinctes et si la Commission leur a accordé un traitement égal ou différent. Sur cette base, il est donc d’autant moins possible de vérifier si un éventuel traitement égal de situations différentes des entreprises concernées, au titre du paragraphe 37 des lignes directrices, essentiellement motivé par le caractère « monoproduit » de leur activité commerciale et, pour partie, par des considérations d’équité, ou un éventuel traitement différent de situations comparables, notamment l’application de taux de réduction divergents, étaient objectivement justifiés. Au contraire, la motivation succincte exposée au considérant 92 de la décision attaquée était de nature à créer l’impression erronée selon laquelle la raison principale de l’adaptation horizontale des montants de base en faveur des entreprises concernées résidait dans le fait que celles-ci se trouvaient toutes dans des situations à tout le moins comparables, liées au caractère « monoproduit » de leur activité commerciale. Tel n’était toutefois pas le cas de Hamelin, comme la Commission l’a reconnu en cours d’instance.

56      Vu que le point 84 de la communication des griefs contenait des informations encore plus vagues quant à la méthode envisagée pour adapter les montants de base et aux justifications qui y étaient sous-jacentes, la Commission n’est pas non plus fondée à avancer que les requérantes avaient reçu suffisamment d’informations à cet égard au cours de la procédure administrative ou disposaient de connaissances suffisantes du contexte pertinent. En tout état de cause, aucun autre élément du dossier n’est susceptible d’établir que tel a été néanmoins le cas et la Commission n’est pas en mesure d’étayer le fait qu’elle aurait communiqué ces éléments aux requérantes, notamment, lors de la réunion du 24 octobre 2014.

57      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de conclure que la décision attaquée est viciée d’une insuffisance de motivation et qu’il convient d’accueillir le premier moyen pour autant qu’il repose sur une violation de l’obligation de motivation au sens de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.

58      Par conséquent, il y a lieu d’annuler l’article 2, paragraphe 1, sous e), de la décision attaquée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le grief tiré d’un détournement de pouvoir et sur les deuxième et troisième moyens, ainsi que sur la recevabilité de ce dernier. En outre, il n’est pas nécessaire de statuer sur le deuxième chef de conclusions, invoqué à titre subsidiaire.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      L’article 2, paragraphe 1, sous e), de la décision C(2014) 9295 final de la Commission, du 10 décembre 2014, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (AT.39780 – Enveloppes) est annulé.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Prek

Labucka

Schwarcz

Tomljenović

 

      Kreuschitz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2016.

Signatures


1 Langue de procédure : l’espagnol.


2 Données confidentielles occultées