Language of document : ECLI:EU:C:2023:581

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 13 juillet 2023 (1)

Affaire C646/21

K,

L

contre

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank Den Haag, zittingsplaats’s-Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois‑le‑Duc, Pays-Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile et de protection subsidiaire – Demandes ultérieures de protection internationale – Directive 2011/95/UE – Article 10, paragraphe 1, sous d) – Motifs de la persécution – Appartenance à un certain groupe social – Ressortissants de pays tiers ayant résidé sur le territoire d’un État membre pendant une partie importante de la phase de leur vie dans laquelle ils forgent leur identité – Valeurs, normes et comportements européens – Égalité des genres – Femmes et filles transgressant les règles de conduite sociale dans leur pays d’origine – Intérêt supérieur de l’enfant »






I.      Introduction

1.        Les présentes conclusions concernent les demandes de protection internationale de K et L, deux adolescentes irakiennes (2) ayant vécu aux Pays-Bas durant cinq ans, pendant que les demandes initiales de protection internationale de leur famille étaient en cours d’examen. Durant cette période, elles ont vécu dans une société qui prône l’égalité des genres et ont adopté les valeurs, normes et comportements de leurs pairs. Dans leurs demandes ultérieures de protection internationale (3), que le Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) a rejetées comme étant manifestement non fondées (4), les demanderesses affirment que, si elles retournent en Irak, elles seront incapables de se conformer à des valeurs, normes et comportements qui n’accordent pas aux femmes et aux filles les libertés dont celles-ci jouissent aux Pays-Bas et dont l’affirmation les exposerait à un risque de persécution. Les questions posées à titre préjudiciel portent sur le point de savoir si des personnes se trouvant dans la situation des demanderesses peuvent bénéficier d’une protection internationale en raison de leur appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95/UE (5) et sur la manière dont l’intérêt supérieur de l’enfant peut être pris en compte lors de l’examen des demandes de protection internationale.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

2.        L’article 10 de la directive 2011/95, intitulé « Motifs de la persécution », dispose :

« 1.      Lorsqu’ils évaluent les motifs de la persécution, les États membres tiennent compte des éléments suivants :

a)      la notion de race recouvre, en particulier, des considérations de couleur, d’ascendance ou d’appartenance à un certain groupe ethnique ;

b)      la notion de religion recouvre, en particulier, le fait d’avoir des convictions théistes, non théistes ou athées, la participation à des cérémonies de culte privées ou publiques, seul ou en communauté, ou le fait de ne pas y participer, les autres actes religieux ou expressions d’opinions religieuses, et les formes de comportement personnel ou communautaire fondées sur des croyances religieuses ou imposées par ces croyances ;

c)      la notion de nationalité ne se limite pas à la citoyenneté ou à l’inexistence de celle-ci, mais recouvre, en particulier, l’appartenance à un groupe soudé par son identité culturelle, ethnique ou linguistique, ses origines géographiques ou politiques communes, ou sa relation avec la population d’un autre État ;

d)      un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier :

–        ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et

–        ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante.

En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. L’orientation sexuelle ne peut pas s’entendre comme comprenant des actes réputés délictueux d’après la législation nationale des États membres. Il convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe ;

e)      la notion d’opinions politiques recouvre, en particulier, les opinions, les idées ou les croyances dans un domaine lié aux acteurs de la persécution potentiels visés à l’article 6, ainsi qu’à leurs politiques et à leurs méthodes, que ces opinions, idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part du demandeur.

2.      Lorsque l’on évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent qu’il possède effectivement la caractéristique liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou aux opinions politiques à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de la persécution. »

B.      Les circulaires néerlandaises

3.        Conformément au point C7.2.8 (6) de la Vreemdelingencirculaire 2000 (C) [circulaire sur les étrangers de 2000 (C), ci-après la « circulaire sur les étrangers de 2000 (C) »] annexé à la décision de renvoi :

« [l]a règle principale est que le mode de vie occidental développé aux Pays-Bas ne peut pas, à lui seul, déboucher sur le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Une adaptation aux coutumes de l’Afghanistan est requise. Deux exceptions sont possibles :

–        lorsqu’une femme fait valoir de manière plausible que le comportement occidental constitue une manifestation de convictions religieuses ou politiques ;

–        lorsqu’une femme fait valoir de manière plausible qu’elle a des caractéristiques personnelles qu’il est très difficile ou pratiquement impossible de modifier et que, en raison de ces caractéristiques, elle craint d’être persécutée ou risque de subir des traitements inhumains en Afghanistan. »

4.        Le point B8.10 de la Vreemdelingencirculaire 2000 (B) [circulaire sur les étrangers de 2000 (B)], intitulé « Mineures occidentalisées scolarisées », prévoit ce qui suit :

« L’IND [Immigratie- en Naturalisatiedienst (service de l’immigration et de la naturalisation, Pays-Bas ; ci-après l’“IND”)] octroie un permis de séjour d’une durée déterminée [...] à une mineure occidentalisée lorsque celle-ci démontre de manière plausible qu’elle subirait une pression psychosociale disproportionnée si elle retournait en Afghanistan.

L’IND évalue l’existence d’une pression psychosociale disproportionnée sur la base des circonstances, lesquelles doivent inclure les éléments suivants :

a.      le degré d’occidentalisation de la mineure ;

b.      les circonstances humanitaires individuelles, qui doivent inclure la situation médicale (de la mineure ou d’un membre de la famille) et le décès aux Pays-Bas d’un membre de la famille de la mineure ; et

c.      la possibilité de participer à la société afghane, qui inclut une évaluation de la composition de la famille et de la présence d’acteurs puissants (chefs tribaux, seigneurs de la guerre) pour protéger la mineure.

En ce qui concerne le point a, l’IND évalue le degré d’occidentalisation sur la base des circonstances suivantes :

–        la mineure est âgée d’au moins 10 ans ;

–        elle a séjourné aux Pays-Bas pendant au moins huit ans, depuis la date de la première demande d’asile pour une durée déterminée jusqu’à la date de la demande de permis de séjour ordinaire pour une durée déterminée telle que décrite au présent paragraphe ; et

–        elle a été scolarisée aux Pays-Bas.

Si la mineure ne satisfait pas une ou plusieurs de ces conditions, la charge de la preuve qui lui incombe pour faire valoir de manière plausible qu’il y a lieu de lui octroyer un titre de séjour ordinaire d’une durée déterminée au titre de cette politique est plus lourde. [...] »

III. Les faits à l’origine du litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

5.        Les demanderesses ont quitté l’Irak le 29 septembre 2015 avec leur père, leur mère et leur tante. Le 7 novembre 2015, elles ont introduit une demande de protection internationale auprès des autorités néerlandaises. À l’époque, les demanderesses étaient âgées de 10 et 12 ans. Le 31 juillet 2018, le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) a définitivement rejeté leurs demandes. Le 4 avril 2019, les demanderesses ont introduit des demandes ultérieures de protection internationale qui ont été rejetées comme étant manifestement infondées le 21 décembre 2020. Le 28 décembre 2020, elles ont introduit un recours contre ces décisions devant la juridiction de renvoi, que cette dernière a examiné le 17 juin 2021. À la date de cette audience, les demanderesses étaient âgées de 15 et 17 ans et résidaient aux Pays-Bas de manière ininterrompue depuis cinq ans et sept mois et demi.

6.        Les demanderesses font valoir que, en raison de leur séjour de longue durée aux Pays-Bas pendant la phase de leur vie dans laquelle les personnes forgent leur identité, elles ont adopté les valeurs, les normes et les comportements de leurs pairs néerlandais. Aux Pays-Bas, elles ont pris conscience de la liberté qu’elles ont, en tant que filles, de faire leurs propres choix de vie. Les demanderesses indiquent que, comme elles l’ont fait aux Pays-Bas, elles souhaitent pouvoir décider elles-mêmes de fréquenter des jeunes gens, de faire du sport, de poursuivre des études, de se marier, et le cas échéant, avec qui, ou encore de travailler à l’extérieur du foyer. Elles veulent également définir elles-mêmes leurs conceptions politiques et religieuses et pouvoir les exprimer publiquement. Comme elles seraient incapables de renoncer à ces valeurs, normes et comportements après leur retour en Irak, elles demandent la protection internationale.

7.        La juridiction de renvoi considère que les valeurs, normes et comportements auxquels se réfèrent les demanderesses consistent essentiellement en une conception de l’égalité des genres (7). Elle doit décider s’il faut considérer que les demanderesses appartiennent à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95, si une autorité décisionnelle doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans une demande de protection internationale et, le cas échéant, quand et comment le faire, et s’il faut tenir compte du préjudice causé par le stress de vivre dans une incertitude prolongée quant à leur séjour aux Pays-Bas et sous la menace d’un retour forcé dans leur pays d’origine, que les demanderesses affirment avoir subi.

8.        La juridiction de renvoi a donc sursis à statuer et a posé à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Faut-il interpréter l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la [directive 2011/95] en ce sens que des normes, valeurs et comportements effectifs occidentaux que des ressortissantes de pays tiers adoptent au cours du séjour qu’elles passent sur le territoire de l’État membre en participant pleinement à la société durant une partie importante de la phase de leur vie dans laquelle elles forgent leur identité, doivent être considérés comme une histoire commune, qui ne peut être modifiée, ou constituent des caractéristiques à ce point essentielles pour l’identité qu’il ne saurait être exigé des intéressées qu’elles y renoncent ?

2)      Si la première question appelle une réponse affirmative, les ressortissantes de pays tiers qui ont adopté des normes et valeurs occidentales analogues pour quelques motifs que ce soient, en séjournant de facto dans l’État membre durant la phase de leur vie où elles forgent leur identité, doivent-elles être considérées comme étant “membres d’un certain groupe social” au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la [directive 2011/95] ? La question de savoir s’il s’agit d’“un certain groupe social qui a son identité propre dans le pays en question” doit-elle s’apprécier à cet égard en se plaçant du point de vue de l’État membre ou faut-il interpréter cette expression, lue conjointement avec l’article 10, paragraphe 2, de la [directive 2011/95], en ce sens qu’une importance prépondérante revient à la capacité de la personne étrangère à établir à suffisance qu’elle est réputée, dans le pays d’origine, appartenir à un certain groupe social ou à tout le moins qu’on lui attribue cette appartenance ? Est-il conforme à l’article 10 de la [directive 2011/95], lu conjointement avec le principe du non refoulement et le droit d’asile, d’exiger que l’occidentalisation ne puisse déboucher sur le statut de réfugié que si elle est animée par des motifs politiques ou religieux ?

3)      Une pratique juridique nationale dans laquelle une autorité décisionnelle examine une demande de protection internationale en évaluant l’intérêt supérieur de l’enfant sans (faire) déterminer concrètement cet intérêt supérieur de l’enfant au préalable (dans chaque procédure) est-elle conforme au droit de l’Union et plus particulièrement à l’article 24, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la “Charte”) lu conjointement avec l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ? La réponse à cette question est-elle différente si l’État membre doit examiner une demande d’admission au séjour à l’aune de motifs ordinaires et doit statuer sur cette demande en prenant en compte l’intérêt supérieur de l’enfant ?

4)      Compte tenu de l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, de quelle manière et à quel stade de l’examen d’une demande de protection internationale faut-il prendre en compte et évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant et plus particulièrement le dommage qu’une mineure a subi en séjournant de facto depuis longtemps dans un État membre ? La régularité de ce séjour de facto a-t-elle une incidence à cet égard ? Le fait que l’État membre a statué sur la demande de protection internationale dans les délais fixés par le droit de l’Union, qu’une obligation de quitter le territoire, imposée auparavant, n’a pas été respectée et que l’État membre n’a pas procédé à l’éloignement après l’adoption d’un ordre de quitter le territoire en sorte que le séjour de la mineure dans l’État membre a pu se poursuivre de facto, a-t-il une incidence sur l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans ledit examen ?

5)      Une pratique juridique nationale faisant une distinction entre la première demande de protection internationale et les demandes ultérieures en ce sens que les motifs ordinaires ne sont pas pris en considération pour les demandes ultérieures de protection internationale, est-elle conforme au droit de l’Union, compte tenu de l’article 7 de la Charte lu conjointement avec l’article 24, paragraphe 2, de la Charte ? »

9.        Les demanderesses, les gouvernements tchèque, grec, français, hongrois et néerlandais, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Le 18 avril 2023, s’est tenue une audience lors de laquelle ces mêmes parties et le gouvernement espagnol ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par la Cour.

IV.    Analyse

A.      Sur les première et deuxième questions préjudicielles

10.      J’examinerai conjointement les première et deuxième questions préjudicielles qui portent toutes deux sur l’interprétation de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95.

11.      La juridiction de renvoi demande, en substance, si des ressortissants de pays tiers qui ont vécu dans un État membre pendant une partie importante de la phase de leur vie dans laquelle ils forgent leur identité peuvent être considérés comme appartenant à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), parce qu’ils ont « une histoire commune, qui ne peut être modifiée » ou des caractéristiques « à ce point essentielle[s] pour l’identité [...] qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ». Cette disposition implique-t-elle que l’adhésion à certaines valeurs ne peut justifier l’octroi d’une protection internationale que lorsqu’elle repose sur un fondement religieux ou politique ? Comment la juridiction de renvoi doit-elle apprécier si la condition énoncée à l’article 10, paragraphe 1, sous d), second tiret – à savoir, si le groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante – est satisfaite ?

1.      Résumé des observations

12.      Le gouvernement néerlandais relève que, selon les circulaires de l’IND, qui sont fondées sur un arrêt du Raad van State (Conseil d’État) (8), les femmes ayant un mode de vie occidental n’appartiennent pas à un certain groupe social. Elles peuvent néanmoins bénéficier d’une protection internationale si (i) ce mode de vie procède de convictions religieuses ou politiques qui sont essentielles pour leur identité ou leur intégrité morale ; ou (ii) il est plausible qu’elles seront persécutées dans leur pays d’origine en raison de caractéristiques extrêmement difficiles ou pratiquement impossibles à modifier ; ou (iii) elles courent le risque de subir dans leur pays d’origine des traitements inhumains au sens de l’article 15, sous b), de la directive 2011/95. La notion de convictions politiques essentielles pour l’identité ou l’intégrité morale visée par la première condition est interprétée de manière large afin d’inclure la persécution des femmes qui ne se conforment pas aux coutumes, aux règles religieuses ou aux normes culturelles qui établissent une discrimination fondée sur le sexe (9).

13.      Les gouvernements tchèque, grec, hongrois et néerlandais considèrent que les arguments des demanderesses reposent sur une préférence pour un certain mode de vie. Cela ne saurait déboucher sur l’octroi de la protection internationale en vertu des règles nationales transposant la directive 2011/95. L’on pourrait s’attendre à ce que, après s’être adaptées à la vie dans un État membre pendant un séjour de longue durée sur son territoire, les demanderesses se réadaptent à la vie dans leur pays d’origine en s’y conformant aux normes et coutumes, à l’exemple des autres résidents. Souhaiter un certain mode de vie ne constitue pas une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce. Les demanderesses ne partagent pas de caractéristique innée identifiable ni d’histoire commune parce que la catégorie, hypothétique, des femmes et filles ayant adopté un mode de vie occidental est trop vaste, trop hétérogène et trop abstraite pour constituer un groupe social clairement défini aux fins de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95. Les demanderesses n’ont pas non plus tenté de démontrer les raisons pour lesquelles elles seraient persécutées à leur retour dans leur pays d’origine, ni la manière dont elles le seraient.

14.      Les gouvernements espagnol et français ainsi que la Commission ne partagent pas ce point de vue. Ils considèrent que les filles peuvent appartenir à un certain groupe social fondé, notamment, sur le sexe et l’âge, qui constituent des caractéristiques innées.

15.      Dans ses observations orales, le gouvernement espagnol a fait valoir qu’il ressort de la décision de renvoi que les demanderesses n’aspirent pas simplement à une amélioration de leur situation financière ou culturelle ; elles sont plus précisément décrites comme étant des femmes ou des filles qui ont adopté un mode de vie qui reconnaît leurs droits fondamentaux et leur permet d’en jouir. Elles remplissent dès lors la première condition de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95. Quant à savoir si la seconde condition de cette disposition, selon laquelle le groupe doit avoir son identité propre dans le pays en question, est également satisfaite, cela dépend de la situation dans leur pays d’origine.

16.      Le gouvernement français soutient que le fait qu’une personne ait séjourné pendant longtemps dans un État membre implique qu’elle a partagé une histoire commune qui ne peut être modifiée ou une croyance commune à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’elle qu’elle y renonce. Les personnes qui continuent à adhérer aux valeurs, normes et comportements qui prévalent dans cet État membre pourraient être perçues par la société environnante de leur pays d’origine comme appartenant à un groupe distinct. À titre d’exemple, le fait de résister à un mariage forcé pourrait exposer les demanderesses à des persécutions dont les autorités ne les protégeraient pas.

17.      La Commission soutient qu’il peut être considéré que la conviction que les hommes et les femmes sont égaux en droits est une croyance partagée et essentielle. L’existence, dans le pays d’origine, de lois discriminatoires à l’égard des filles et des femmes et visant à les punir de manière disproportionnée lorsqu’elles transgressent certaines normes et coutumes, indique que ces personnes risquent d’être considérées comme un groupe distinct dans ce pays.

2.      Remarque liminaire

18.      La juridiction de renvoi relève que la présente affaire ne concerne pas les « femmes occidentalisées » en tant que telles (10). La décision de renvoi contient toutefois des références au « style de vie occidental » et à des « comportements occidentalisés » qui peuvent faire écho à l’utilisation de ces termes dans la circulaire sur les étrangers de 2000 (C). Les parties qui ont présenté des observations étaient majoritairement d’avis que les termes « occidentalisé » et « occidental » sont trop vagues pour être appliqués dans le contexte des demandes de protection internationale. Je suis du même avis. « L’Est » et « l’Ouest » désignent des régions vastes et diversifiées, avec une multitude de traditions religieuses, de codes moraux et de valeurs. En l’absence de définitions précises analysées devant la Cour, des expressions telles que « style de vie occidental » et « femmes occidentalisées » sont en grande partie privées d’effet utile. De manière plus pernicieuse, l’emploi des termes « Est » et « Ouest » dans le contexte de codes moraux et de valeurs morales perpétue une fausse dichotomie qui s’inscrit dans le cadre d’un dialogue conflictuel. Dès lors, j’éviterai ces termes dans les présentes conclusions.

3.      Analyse

a)      Aperçu du cadre juridique et introduction

19.      La convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 (11) (ci-après la « convention de Genève »), est entrée en vigueur le 22 avril 1954. Elle a été complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, entré en vigueur le 4 octobre 1967 (12). La convention de Genève est la pierre angulaire du régime international de protection des réfugiés (13). Alors que tous les États membres sont parties à la convention de Genève, l’Union européenne ne l’est pas.

20.      La directive 2011/95 guide les autorités compétentes des États membres en établissant des notions communes, qui doivent être interprétées dans le respect de la convention de Genève. Le préambule de cette convention prend acte de ce que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (ci-après le « HCR ») a pour tâche de surveiller l’application des conventions internationales qui assurent la protection des réfugiés. Compte tenu du rôle que la convention de Genève confie au HCR, la Cour a considéré que les documents de ce dernier bénéficient d’une pertinence particulière pour l’interprétation de la directive 2011/95 (14). Cette directive doit également être interprétée dans le respect de la Charte (15).

21.      La protection internationale à laquelle la directive 2011/95 fait référence doit, en principe, être accordée au ressortissant d’un pays tiers qui craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social (réfugié) ou qui court un risque réel de subir des atteintes graves (personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire) s’il était renvoyé dans son pays d’origine (16).

22.      L’article 10 de la directive 2011/95 énonce les motifs de la persécution (17). Tous les éléments énumérés à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2011/95 sont pertinents pour évaluer s’il existe des motifs de persécution ; ces catégories ne s’excluent pas mutuellement (18). L’emploi des termes « en particulier » dans les subdivisions de cette disposition indique que les considérations qui y sont énoncées ne sont pas exhaustives. Enfin, il est de jurisprudence constante que toute décision sur l’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire doit être fondée sur une évaluation individuelle (19).

23.      Le HCR a indiqué que l’interprétation de l’expression « appartenance à un certain groupe social » utilisée à l’article 1A, point 2, de la convention de Genève doit être évolutive et tenir compte de la nature diverse et changeante des groupes dans les différentes sociétés ainsi que du développement des normes internationales en matière de droits de l’homme. Les États ont reconnu que les femmes, les familles, les tribus, les groupes professionnels et les homosexuels constituent autant de « certain groupe social » aux fins de cette convention. En fonction des circonstances particulières d’une société, une femme doit pouvoir introduire une demande fondée sur des opinions politiques (si l’État considère son comportement comme étant une déclaration politique qu’il cherche à supprimer), la religion (si son comportement est fondé sur une conviction religieuse à laquelle l’État s’oppose) ou l’appartenance à un certain groupe social (20).

24.      Deux conditions doivent être cumulativement remplies pour qu’il existe un « certain groupe social » au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95. Premièrement, les membres du groupe doivent partager une « caractéristique innée » ou une « histoire commune qui ne peut être modifiée », ou encore une caractéristique ou une croyance « à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ». Ces éléments portent sur ce qui peut être qualifié d’aspects internes du groupe. Deuxièmement, ce groupe doit avoir son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante (21). Cela suppose un élément de perception sociale ou de ce qui pourrait être décrit comme les aspects externes du groupe. Aux fins de la présente affaire, le « pays en question » est le pays d’origine, en l’espèce l’Irak, et la « société environnante » est celle de ce pays d’origine.

b)      Aspects internes du groupe

25.      Il ressort clairement du libellé de l’article 10, paragraphe 1, sous d), deuxième alinéa, de la directive 2011/95 que le genre (22) et les aspects liés au genre peuvent être pertinents pour établir l’existence d’un certain groupe social. Dans certaines situations, le genre peut être un critère suffisant pour définir un tel groupe (23). Selon le HCR, les femmes constituent un exemple manifeste d’ensemble social, défini par des caractéristiques innées, et sont fréquemment traitées différemment des hommes. Dans certaines sociétés, les femmes en général peuvent constituer un certain groupe social parce qu’elles sont confrontées à une discrimination systémique dans la jouissance de leurs droits fondamentaux par rapport aux hommes (24)

26.      En l’espèce, les demanderesses ne soutiennent pas qu’elles ont droit à la protection internationale uniquement en raison de leur sexe. Elles affirment ne pas pouvoir renoncer aux valeurs, normes et comportements, fondés sur leur croyance en l’égalité des genres, qu’elles ont adoptés aux Pays-Bas. La question qui se pose est donc celle de savoir si une telle croyance peut constituer une caractéristique partagée, ou une croyance partagée, à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce. J’examinerai tout d’abord la signification des termes « caractéristique » et « croyance », avant d’aborder la condition selon laquelle il doit exister une croyance partagée à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce.

1)      La signification des termes « caractéristique » et « croyance »

27.      S’agissant des valeurs, normes et comportements que les demanderesses affirment avoir adoptés au cours de leur séjour aux Pays-Bas, la juridiction de renvoi indique que l’adoption de valeurs, normes et comportements peut constituer une « caractéristique » à ce point essentielle pour l’identité qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce.

28.      La directive 2011/95 ne définit pas les termes « caractéristique innée » et « caractéristique [...] à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce » mentionnés dans son article 10, paragraphe 1, sous d). Les définitions que donnent les dictionnaires d’une « caractéristique » d’une personne incluent « un trait ou une qualité appartenant typiquement à cette personne et servant à l’identifier ». « Inné » signifie « que l’on a en naissant » ou « déterminé par des éléments présents chez l’individu dès la naissance ». La taille, la couleur des yeux et le patrimoine génétique d’une personne sont des exemples de caractéristiques innées. La directive 2011/95 fournit un seul exemple de « caractéristique commune », à savoir l’orientation sexuelle (25).

29.      Ces définitions me portent à conclure que l’adoption de certaines valeurs, normes et comportements ne saurait être qualifiée de « caractéristique » (26). Le terme « croyance », qui signifie « l’acceptation ou le sentiment que quelque chose est vrai », semble mieux adapté dans la situation des demanderesses.

30.      Compte tenu de la position défendue par le gouvernement néerlandais, il convient ensuite de se demander si la croyance partagée visée à l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 doit être interprétée comme étant une référence implicite à une croyance religieuse ou politique. La Commission souligne que l’utilisation du terme « Glaubensüberzeugung » dans la version en langue allemande est susceptible de créer un doute quant à la question de savoir si la croyance en cause doit être de nature religieuse.

31.      L’article 10, paragraphe 1, sous b), de la directive 2011/95, qui traite de la persécution en raison de la religion, fait référence aux « convictions théistes, non théistes ou athées ». Par exemple, les versions en langues allemande, anglaise, française et néerlandaise de cet article de la directive 2011/95 utilisent les termes « religiöse Überzeugung », « religious belief », « croyances religieuses » et « godsdienstige overtuiging ». En revanche, à l’article 10, paragraphe 1, sous d), de cette directive, ce sont respectivement les termes « Glaubensüberzeugung », « belief », « croyance » et « geloof » qui sont utilisés dans ces différentes versions linguistiques.

32.      L’article 10, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/95, qui porte sur les persécutions politiques, fait référence aux opinions, idées ou croyances dans un domaine lié aux acteurs de la persécution potentiels visés à l’article 6, ainsi qu’à leurs politiques et à leurs méthodes.

33.      L’article 10, paragraphe 1, sous b), de la directive 2011/95 mentionne donc les convictions théistes, non théistes ou athées ; l’article 10, paragraphe 1, sous e), de cette directive fait référence aux opinions politiques, tandis que l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la même directive fait référence aux croyances à ce point essentielles pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce (27). Sur cette base, aucune indication textuelle ou contextuelle ne semble soutenir l’idée que le fondement d’une croyance au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 doit être de nature religieuse ou politique (28). Une interprétation contraire ne reconnaît pas, en outre, qu’il peut exister un éventail de points de vue sur des questions fondamentales au sein d’une religion spécifique et qu’une personne peut changer de point de vue sur ces questions sans se convertir à une autre religion (29).

2)      La croyance en question est-elle une croyance partagée à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ?

34.      La croyance en l’égalité des genres détermine une série de choix liés à l’éducation et au choix d’une carrière, à l’étendue et à la nature des activités dans la sphère publique, à la possibilité de parvenir à l’indépendance économique en travaillant à l’extérieur du foyer, à la décision de vivre seul ou en famille, et au libre choix d’un partenaire. Ces questions sont essentielles pour l’identité d’un individu (30).

35.      L’article 2 et l’article 3, paragraphe 3, TUE consacrent l’égalité des genres comme étant l’une des valeurs et des objectifs fondamentaux de l’Union européenne, et la jurisprudence de la Cour la reconnaît en tant que principe fondamental du droit de l’Union. De même, l’article 8 TFUE prévoit que l’Union cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l’égalité, entre les hommes et les femmes pour toutes ses actions. L’article 19 TFUE permet à l’Union de légiférer en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe. L’article 157 TFUE énonce le principe de l’égalité des rémunérations pour un travail de même valeur et fournit une base juridique pour l’adoption d’une législation sur l’égalité entre les hommes et les femmes en matière d’emploi. L’article 157, paragraphe 4, TFUE reconnaît l’action positive comme un moyen de réaliser l’égalité des genres.

36.      Depuis l’adoption des premières directives dans ce domaine dans les années 70, l’Union européenne a adopté une abondante législation sur l’égalité des genres, principalement dans le domaine de l’emploi, y compris sur des questions telles que l’égalité de rémunération, la sécurité sociale, l’emploi, les conditions de travail et le harcèlement (31). Cette législation interdit les discriminations directes et indirectes fondées sur le sexe et crée pour les justiciables des droits opposables dans les ordres juridiques des États membres (32).

37.      Les valeurs, normes et comportements que les demanderesses affirment avoir adoptés pendant leur séjour aux Pays-Bas reflètent également un certain nombre de droits fondamentaux désormais consacrés par la Charte : l’article 21, paragraphe 1, inclut le droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe ; l’article 23 consacre le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération (33) ; l’article 9 fait référence au droit de se marier librement ; l’article 11 prévoit la liberté d’expression ; l’article 14 consacre le droit à l’éducation et à l’accès à la formation professionnelle et continue, et l’article 15 prévoit le droit de travailler et de choisir une profession (34). Les États membres sont également parties à la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui vise à favoriser la reconnaissance, la jouissance et l’exercice en toute égalité des droits des femmes dans le domaine politique, économique, social et culturel, ainsi que dans le champ collectif et privé (35).

38.      Je ne doute pas que de nombreuses personnes ayant vécu aux Pays-Bas soient à ce point influencées par la valeur que représente l’égalité des genres que cette dernière constitue une partie indélébile de leur identité.

39.      À la lumière de ce qui précède, je considère que l’on ne peut attendre des filles et des femmes qui ont adopté des valeurs, normes et comportements reflétant une croyance en l’égalité des genres qu’elles renoncent à cette croyance, pas plus que l’on ne peut attendre d’une personne qu’elle renonce à ses convictions religieuses ou politiques ou qu’elle nie son orientation sexuelle. Dès lors, les États membres ne peuvent pas attendre des filles et des femmes qu’elles adaptent leur comportement en agissant discrètement pour rester en sécurité, d’autant plus que, par nature, les aspects de l’identité façonnés par la croyance en l’égalité des genres se manifestent souvent publiquement (36). La Cour a déjà jugé, s’agissant de personnes homosexuelles, que l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 ne prévoit pas de limitations relatives à l’attitude que les membres du groupe social spécifique peuvent adopter par rapport à leur identité ou leurs comportements (37).

40.      La question qui se pose est dès lors celle de savoir si les demanderesses ont si bien accepté et assimilé une croyance en l’égalité des genres que celle-ci est devenue une partie intégrante de leur identité (38). Compte tenu de l’âge des demanderesses et de la durée de leur séjour aux Pays-Bas, la juridiction de renvoi constate à juste titre qu’elles ont passé dans cet État membre une partie importante de la phase de leur vie dans laquelle elles forgent leur identité (39). Je ne doute pas que l’immersion des demanderesses dans la culture de cet État membre ait été une expérience très forte qui leur a offert des possibilités et ouvert des perspectives dont elles n’auraient peut-être pas eu conscience autrement. Il est donc plausible que, à la différence de leurs pairs en Irak qui n’ont pas connu cette expérience, elles aient adopté un mode de vie qui reflète la reconnaissance et la jouissance de leurs droits fondamentaux, en particulier leur croyance en l’égalité des genres, dans la mesure où elles ont à ce point accepté et assimilé cette croyance que celle-ci est devenue une partie intégrante de leur caractère. Les autorités compétentes, et, en dernier ressort, les juridictions nationales, doivent apprécier dans quelle mesure tel est le cas dans la situation individuelle des demanderesses, en tenant compte, le cas échéant, des considérations énoncées à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2011/95 (40).

c)      Aspects externes du groupe

41.      Malgré une certaine ambiguïté, il semble que la juridiction de renvoi souhaite essentiellement savoir de quelle manière les autorités compétentes et les juridictions nationales doivent déterminer si la condition visée à l’article 10, paragraphe 1, sous d), deuxième tiret, de la directive 2011/95 est remplie, à savoir si un certain groupe social a une identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. Cette question soulève des interrogations sur la charge de la preuve et sur l’appréciation sur le fond des affirmations des demanderesses.

1)      Sur la charge de la preuve

42.      L’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/95 prévoit qu’il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte, notamment, des éléments suivants : a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine, y compris ses lois et règlements et la manière dont ils sont appliqués ; b) les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, et c) le statut individuel et la situation personnelle du demandeur. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale, y compris les raisons justifiant cette demande (41). Les demandeurs doivent donc exposer et étayer les raisons pour lesquelles ils craignent d’être persécutés dans leur pays d’origine.

43.      Cette exigence s’étend-elle à l’obligation de prouver qu’un « certain groupe social », auquel le demandeur affirme appartenir, a une identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante, ainsi que le gouvernement néerlandais semble le soutenir ? Je ne le pense pas. Les déclarations que le demandeur doit soumettre en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2011/95 afin d’étayer sa demande de protection internationale ne sont que le point de départ de l’évaluation, par les autorités compétentes, des faits et des circonstances à l’origine de cette demande. Cette disposition impose également à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de sa demande (42).

44.      La Cour a jugé que, concrètement, l’exigence de coopération à l’évaluation qui est imposée à l’État membre a pour conséquence que si, pour quelque raison que ce soit, les éléments fournis par le demandeur d’une protection internationale ne sont pas complets, actuels ou pertinents, il est nécessaire que l’État membre concerné coopère activement, à ce stade de la procédure, avec le demandeur pour permettre la réunion de l’ensemble des éléments de nature à étayer la demande. Les États membres peuvent être mieux placés que les demandeurs pour avoir accès à certains types de documents (43). La charge d’établir qu’un certain groupe social a son identité propre dans un pays déterminé incombe donc, à parts égales, au demandeur et à l’État membre, et non pas exclusivement au premier. Dans ce contexte, il est également intéressant de rappeler que, aux termes de l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2011/95, les aspects des déclarations du demandeur qui ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres ne nécessitent pas confirmation lorsque, notamment, ces déclarations sont jugées cohérentes et plausibles et ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour la demande.

45.      L’article 10, paragraphe 2, de la directive 2011/95 prévoit que, lorsque l’on évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent qu’il possède effectivement la caractéristique à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de la persécution (44). Le texte de cette disposition indique clairement que celle-ci s’applique une fois que l’existence d’un certain groupe social a été établie. Contrairement à ce que laisse entendre la juridiction de renvoi, l’évaluation de la perception des acteurs de la persécution ne remplace pas, ou ne rend pas moins importante, la détermination de l’existence de l’identité propre d’un groupe dans le pays d’origine. Elle ne porte que sur la mesure dans laquelle il doit être démontré que le demandeur appartient à ce groupe social, dès lors qu’il peut suffire, aux fins de la demande de protection internationale, de démontrer qu’il est simplement perçu comme tel (45).

2)      Sur le fond

46.      La Cour a reconnu que l’existence de lois pénales visant spécifiquement les personnes homosexuelles peut porter à conclure que ces personnes forment un groupe distinct perçu comme étant différent par la société environnante. Par extension, le fait que la société accepte certains comportements des hommes, alors que les mêmes comportements de la part des femmes sont sanctionnés, constitue un indice de ce que les femmes, ou certaines catégories de femmes, sont perçues comme étant différentes par la société environnante. Les autorités compétentes doivent donc prendre en considération les règles juridiques et les mœurs sociales et culturelles du pays d’origine du demandeur (46).

47.      La récente note d’orientation de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (ci-après l’« AUEA ») (47) identifie des groupes de personnes perçues comme étant différentes par la société environnante. Selon cette note d’orientation, les personnes, en particulier les femmes, qui transgressent les codes moraux peuvent être perçues comme étant amorales, sont stigmatisées et courent le risque de subir des atteintes graves (48). De telles transgressions incluraient les relations sexuelles hors mariage, le fait d’être victime d’un viol ou d’autres formes de violence sexuelle, le refus d’épouser un homme choisi par la famille (49), le fait de se marier contre la volonté de la famille, l’apparence ou la tenue vestimentaire inappropriée et des contacts ou des fréquentations inacceptables. Les emplois acceptables pour les femmes seraient limités aux secteurs domestiques et aux services gouvernementaux. La société désapprouve le fait que des femmes et des filles travaillent dans les magasins, les cafés, le secteur du divertissement, les soins infirmiers ou le secteur des transports. L’activité des femmes dans la sphère publique, y compris leur présence et leurs activités sur Internet, peut conduire au harcèlement. Les femmes peuvent être empêchées de participer à des manifestations parce que leurs familles craignent d’être mal perçues. La diffamation sexuelle peut les exposer à la stigmatisation de la société ou à être considérées comme ayant porté atteinte à l’honneur de la famille (50).

48.      Il ressort de ce qui précède que les filles et les femmes qui croient en l’égalité des genres peuvent être perçues comme transgressant les mœurs sociales en Irak en raison des manifestations de cette croyance, par exemple du fait de déclarations ou de comportements associés à des choix sur des questions telles que l’éducation, la carrière et le travail à l’extérieur du foyer, l’étendue et la nature des activités dans la sphère publique, les décisions de vivre seule ou en famille, et le libre choix d’un partenaire. Il appartient aux autorités compétentes et aux juridictions nationales de déterminer si tel est effectivement le cas pour les demanderesses dans les circonstances qui leur sont propres.

d)      Persécution

49.      Certaines parties ayant présenté des observations ont fait valoir que les demanderesses n’ont pas apporté la preuve qu’elles subiraient des actes de persécution à leur retour dans leur État d’origine. Il s’agit d’une question différente, bien que connexe (51), de celle de la détermination de leur appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95. La juridiction de renvoi ne sollicite pas d’orientation pour l’interprétation des dispositions de la directive 2011/95 qui concernent spécifiquement l’appréciation d’une crainte fondée de persécution. Il suffit de rappeler que, aux termes de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2011/95, lorsqu’ils évaluent si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, les États membres tiennent compte, notamment, des conditions générales dans la partie concernée du pays d’origine. À cette fin, ils doivent obtenir des informations précises et actualisées auprès de sources pertinentes telles que le HCR et l’AUEA.

50.      Une récente note d’orientation sur l’Irak indique que les filles et les femmes qui transgressent les mœurs sociales peuvent être exposées à des actes tellement graves qu’ils peuvent être considérés comme des persécutions (52). Il est donc possible que, parce que leur manière d’être serait perçue comme étant différente à cet égard (53), les demanderesses et/ou leur famille proche, fassent l’objet de représailles constitutives de persécution au sens de l’article 9 de la directive 2011/95. À nouveau, il appartient aux autorités compétentes et aux juridictions nationales d’évaluer la plausibilité de ces risques et leur gravité à la lumière de la situation des demanderesses.

B.      Sur la troisième question préjudicielle

51.      La troisième question comporte deux parties. En premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans le cadre d’une demande de protection internationale, le droit de l’Union impose à l’autorité décisionnelle de déterminer, et de prendre en compte, l’intérêt supérieur de l’enfant, tel qu’il est visé à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte. En second lieu, elle souhaite savoir si la réponse à la première partie de la question est différente s’il faut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans ce qu’elle désigne par « une admission au séjour à l’aune de motifs ordinaires ».

52.      Dans ce contexte, il est intéressant de relever que la procédure pendante devant la juridiction de renvoi porte sur des demandes ultérieures de protection internationale, et non sur des demandes initiales (54).

1.      Sur la première partie

53.      L’article 2, sous k), de la directive 2011/95 définit le mineur comme étant « un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride âgé de moins de dix-huit ans ».

54.      L’article 24, paragraphe 2, et l’article 51, paragraphe 1, de la Charte affirment le caractère fondamental des droits de l’enfant et imposent aux États membres de respecter ces droits lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. La directive 2011/95 doit donc être interprétée et appliquée à la lumière de l’article 24, paragraphe 2, de la Charte (55). Cela ressort du considérant 16 de la directive 2011/95, qui affirme que cette directive vise à promouvoir l’application de, notamment, l’article 24 de la Charte, et du considérant 18 de cette directive, selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre ladite directive, conformément à la convention des Nations unies de 1989 relative aux droits de l’enfant (56). Lorsqu’ils évaluent l’intérêt supérieur de l’enfant, les États membres doivent notamment tenir dûment compte du principe de l’unité familiale, du bien-être et du développement social de l’enfant, de considérations tenant à la sûreté et à la sécurité, ainsi que de l’avis de l’enfant, en fonction de son âge et de son niveau de maturité.

55.      L’article 4, paragraphe 3, sous c), de la directive 2011/95 exige que la demande de protection internationale fasse l’objet d’une évaluation individuelle, en tenant compte du statut et de la situation personnelle du demandeur, y compris de facteurs tels que son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de cette situation personnelle, les actes auxquels il a été ou risque d’être exposé peuvent être considérés comme des persécutions ou des atteintes graves. L’article 9, paragraphe 2, sous f), de cette directive précise que les actes de persécution peuvent, notamment, prendre la forme d’actes dirigés contre des enfants (57).

56.      À la lumière des considérations qui précèdent, et comme l’indique la jurisprudence de la Cour (58), je suis d’avis que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être déterminé au cas par cas et qu’il doit être pris en compte dans l’évaluation des demandes de protection internationale, y compris les demandes ultérieures.

57.      Le gouvernement néerlandais a fait valoir que les autorités néerlandaises compétentes tiennent suffisamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dès lors que celui-ci est adéquatement pris en considération dans tous les aspects procéduraux de l’examen d’une demande de protection internationale concernant ou impliquant des enfants, par exemple en recourant à des procédures d’entretien adaptées à l’enfant (59).

58.      Le recours à des garanties procédurales particulières pour les enfants revêt une grande importance pratique. Par ailleurs, rien dans l’article 24 de la Charte, dans les articles 3, 9, 12 et 13 de la convention relative aux droits de l’enfant, sur laquelle cette disposition de la Charte se fonde, dans la directive 2011/95 ou dans la jurisprudence de la Cour n’indique que l’intérêt supérieur de l’enfant ne devrait pas être pris en compte dans l’appréciation sur le fond des demandes concernant des enfants. L’article 24, paragraphe 2, de la Charte indique que l’intérêt supérieur de l’enfant « doit » être pris en considération dans « tous » les actes relatifs aux enfants (60). Selon la jurisprudence de la Cour, il n’est possible d’identifier l’intérêt supérieur de l’enfant qu’en procédant à une appréciation générale et approfondie de la situation de celui-ci (61). Dans ce contexte, des conseils d’experts peuvent être utiles, voire nécessaires. La Commission rappelle à juste titre qu’en vertu de l’article 10, paragraphe 3, de la directive 2013/32, les États membres doivent faire en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié et veiller à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait la possibilité de demander conseil à des experts, le cas échéant, sur des matières liées à l’enfant (62).

59.      J’ajouterai que, en cas de changement substantiel et pertinent de la situation ou de la santé d’un enfant entre la date de l’évaluation de sa demande initiale de protection internationale et celle de toute demande ultérieure, il peut être approprié de procéder à une nouvelle évaluation afin de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant (63).

60.      Les décisions relatives au moment où ces questions doivent être examinées et prises en considération ainsi qu’à la manière de le faire relèvent de l’exercice, par les États membres, de leur autonomie procédurale, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité (64).

61.      Il convient donc d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant pour prendre une décision sur une demande de protection internationale d’un mineur, ou une décision concernant un mineur ou ayant des conséquences importantes pour lui (65) qui soit conforme aux exigences de la directive 2011/95, lue à la lumière de l’article 24, paragraphe 2, et de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Une telle évaluation appropriée peut tenir compte de facteurs tels que l’âge chronologique de l’enfant, son développement, son sexe, sa vulnérabilité particulière, sa situation familiale, son éducation et son état de santé physique et mentale (66).

62.      Dans ce contexte, je souscris aux observations présentées par les gouvernements tchèque, hongrois et néerlandais selon lesquelles l’intérêt supérieur de l’enfant n’est qu’une considération parmi d’autres dans l’évaluation d’une demande de protection internationale, bien qu’elle soit d’une importance primordiale. Il convient de rappeler que l’objectif de la directive 2011/95 est d’identifier les personnes qui, contraintes par les circonstances, ont véritablement et légitimement besoin d’une protection internationale dans l’Union. La protection internationale ne peut être accordée qu’aux réfugiés et aux personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire tels que définis, respectivement, à l’article 2, sous d) et f), de cette directive. Dans ce contexte juridique, les autorités compétentes doivent envisager l’intérêt supérieur de l’enfant comme une considération primordiale (67) et il serait contraire à l’économie générale et aux objectifs de la directive 2011/95 d’accorder le statut de réfugié ou celui conféré par la protection subsidiaire à des ressortissants de pays tiers placés dans des situations dénuées de tout lien avec la logique de protection internationale (68).

63.      À titre d’illustration de demandes de protection internationale dans lesquelles l’intérêt supérieur de l’enfant est particulièrement important, je pense à des situations où les vulnérabilités mentales ou physiques spécifiques d’un enfant indiquent que des actes qui ne seraient pas considérés comme étant des actes de persécution s’ils touchaient un autre enfant ne souffrant pas de ces vulnérabilités ou un adulte, auraient des conséquences plus graves pour cet enfant, à la lumière d’autres circonstances pertinentes telles que la disponibilité d’un soutien familial dans le pays d’origine, dans la mesure où ils constitueraient des actes de persécution au sens de l’article 9 de la directive 2011/95. L’intérêt supérieur de l’enfant est également particulièrement important dans le contexte des formes de persécution spécifiques aux enfants (69).

64.      Une telle situation se distingue nettement des circonstances ayant donné lieu à l’arrêt M’Bodj (70), dans lequel la Cour a jugé que l’absence de soins de santé appropriés dans le pays d’origine d’un demandeur ne constitue un traitement inhumain ou dégradant que si un demandeur atteint d’une grave maladie est intentionnellement privé de soins et qu’un État membre ne peut adopter ou maintenir des dispositions octroyant le statut de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire à un ressortissant de pays tiers atteint d’une grave maladie en raison du risque de détérioration de son état de santé résultant de l’inexistence de traitements adéquats dans son pays d’origine.

65.      À nouveau, il appartient aux autorités compétentes, et, en dernier ressort, aux juridictions nationales, de trancher toutes ces questions dans le cadre des demandes individuelles de protection internationale.

2.      Sur la seconde partie

66.      D’après la formulation utilisée par la juridiction de renvoi dans la seconde partie de la troisième question, je comprends qu’elle n’appelle pas de réponse s’il est répondu à la première partie que le droit de l’Union exige qu’une autorité décisionnelle détermine et prenne en compte l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’elle se prononce sur une demande de protection internationale.

67.      En tout état de cause, il est difficile de comprendre, à la lecture de la décision de renvoi, le lien, factuel ou logique, entre ce qui se passe dans le cadre d’une procédure relative à une « demande d’admission au séjour à l’aune de motifs ordinaires », qui, selon le gouvernement néerlandais, n’est pas régie par le droit de l’Union (71), et les demandes de protection internationale au titre du droit national transposant la directive 2011/95 dans le cadre de l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi. Les gouvernements français et hongrois ainsi que la Commission sont d’avis que la décision de renvoi ne contient pas suffisamment d’informations, notamment en ce qui concerne la signification d’une « demande d’admission au séjour à l’aune de motifs ordinaires », pour que la Cour puisse répondre utilement à la seconde partie de la troisième question. Par ailleurs, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, le représentant des demanderesses a confirmé que la présente procédure ne concerne que des demandes de protection internationale, et non des « [demandes] d’admission au séjour à l’aune de motifs ordinaires ». Cela confirme l’argument du gouvernement néerlandais selon lequel la seconde partie de la troisième question est dénuée de pertinence pour la solution du litige pendant devant la juridiction de renvoi. C’est pourquoi j’invite la Cour à déclarer la seconde partie de la troisième question irrecevable, et je propose de ne pas l’examiner plus avant (72).

C.      Sur la quatrième question préjudicielle

68.      La quatrième question porte spécifiquement sur le préjudice qu’un mineur pourrait subir en raison d’un séjour de longue durée dans un État membre et, le cas échéant, sur le moment où cela doit être pris en compte dans le cadre de l’examen sur le fond d’une demande ultérieure de protection internationale. La juridiction de renvoi estime qu’il peut être pertinent d’examiner si la demande initiale a été traitée dans les délais prévus par le droit de l’Union, si le séjour des demanderesses dans l’État membre était régulier et si une obligation de retour préalablement imposée avait été respectée ou exécutée.

69.      Il ressort de la décision de renvoi que les demanderesses affirment avoir subi un retard de développement ou un préjudice affectant leur développement en raison du stress que leur a causé le fait de vivre dans l’incertitude quant à l’issue des demandes initiales de protection internationale de leur famille et sous la menace d’un retour forcé dans leur pays d’origine ; elles ont produit des pièces justificatives à l’appui de ces affirmations. Hormis le représentant des demanderesses, toutes les parties ayant répondu à la quatrième question soutiennent que l’issue d’une demande ultérieure de protection internationale ne devrait pas dépendre de ce type de préjudice.

70.      Il ne fait aucun doute que le fait de vivre de manière prolongée dans l’incertitude et sous la menace d’un retour forcé provoque un stress susceptible de causer aux enfants des retards de développement ou des dommages (73). Il ne s’agit pas, en soi, d’un facteur susceptible de fonder un droit à la protection internationale au titre de la directive 2011/95 ni de justifier une approche plus souple dans l’examen d’une demande à cette fin, comme semble le laisser entendre la juridiction de renvoi. Les parents des demanderesses ont décidé qu’il était dans l’intérêt supérieur de leurs enfants d’épuiser les voies de recours disponibles dans le cadre de la demande initiale de protection internationale de la famille et d’introduire des demandes ultérieures au nom de leurs enfants. Rien n’indique que le traitement de ces demandes et l’examen de ces recours aient duré plus longtemps que ce qui pouvait raisonnablement être anticipé. Les décisions des parents des demanderesses ont inévitablement eu pour conséquence de prolonger le séjour de la famille aux Pays-Bas. Il y a lieu de considérer que les parents ont pris en considération les conséquences de leurs décisions sur le bien-être de leurs enfants à la lumière de ces circonstances. L’on peut supposer qu’ils ont pris leur décision en pensant qu’il était préférable pour leurs enfants de rester aux Pays-Bas plutôt que de retourner en Irak. Ce choix n’était peut-être pas idéal, mais eu égard à la situation des demanderesses elles-mêmes, il est difficile d’admettre qu’elles ont subi un préjudice plus important que si leurs parents avaient décidé de retourner en Irak avec elles.

71.      Enfin, lorsqu’une décision est prise sur une demande de protection internationale concernant un mineur, il convient de tenir compte de son développement et son état de santé physique et mentale au moment de l’évaluation. Les circonstances susceptibles d’avoir eu une incidence négative sur le développement ou la santé de l’enfant sont, dans ce contexte, dénuées de pertinence.

D.      Sur la cinquième question préjudicielle

72.      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande si une pratique juridique nationale faisant une distinction entre la première demande de protection internationale et les demandes ultérieures, en ce sens que les motifs ordinaires ne sont pas pris en considération pour les demandes ultérieures de protection internationale, est conforme au droit de l’Union, compte tenu de l’article 7 de la Charte, lu conjointement avec l’article 24, paragraphe 2, de la Charte.

73.      Il est difficile d’établir le lien avec le droit de l’Union et la pertinence de cette question dans le cadre de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi, qui concerne des demandes ultérieures de protection internationale, et non des demandes d’octroi de titre de séjour pour des motifs ordinaires, dont le gouvernement néerlandais soutient qu’elles ne sont pas régies par le droit de l’Union. Je suggère donc à la Cour de déclarer cette question irrecevable pour les mêmes raisons que celles exposées au point 67 des présentes conclusions.

V.      Conclusion

74.      À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre en ces termes aux questions posées à titre préjudiciel par le rechtbank Den Haag, zittingsplaats ‘s-Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois-le-Duc, Pays-Bas) :

1)      L’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection

doit être interprété en ce sens que :

–        les filles et les femmes ressortissantes de pays tiers partagent une caractéristique innée en raison de leur sexe biologique et, après avoir vécu dans un État membre durant une partie importante de la phase de leur vie dans laquelle elles forgent leur identité, peuvent partager une croyance en l’égalité des genres à ce point essentielle pour leur identité qu’elles ne devraient pas être contraintes d’y renoncer ;

–        afin de déterminer si un groupe a son identité propre dans un pays d’origine parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante, les États membres sont tenus, en vertu de l’article 4 de la directive 2011/95, de prendre en compte tous les faits pertinents relatifs au pays d’origine au moment de la prise de décision sur une demande de protection internationale, y compris les lois et règlements de ce pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués, ainsi que tout élément pertinent présenté par le demandeur de protection internationale ;

–        un groupe constitué de femmes et de filles qui partagent une croyance en l’égalité des genres a son identité propre dans le pays d’origine si, lorsqu’elles expriment cette croyance par leurs déclarations ou leurs comportements, ces femmes et ces filles sont perçues par la société de ce pays comme transgressant les mœurs sociales ;

–        il n’est pas nécessaire que la croyance partagée en l’égalité des genres ait un fondement religieux ou politique.

2)      La directive 2011/95, lue conjointement avec l’article 24, paragraphe 2, et l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprétée en ce sens que :

–        est incompatible avec le droit de l’Union une pratique nationale dans laquelle, lorsqu’elle procède à l’examen sur le fond d’une demande de protection internationale ou d’une demande ultérieure de protection internationale, l’autorité décisionnelle ne prend pas en compte, en tant que considération primordiale, l’intérêt supérieur de l’enfant, ni ne met en balance l’intérêt supérieur de l’enfant sans déterminer au préalable, dans chaque procédure, quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ;

–        il revient aux États membres d’établir la méthodologie et la procédure de détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant, en tenant pleinement compte du principe d’effectivité ;

–        le préjudice subi par un mineur du fait de son séjour de longue durée dans un État membre est sans incidence sur la décision d’accueillir ou non une demande ultérieure de protection internationale lorsque ce séjour de longue durée dans un État membre résulte de la décision des parents ou des tuteurs de ce mineur d’épuiser les voies de recours disponibles pour contester le rejet de la demande initiale et d’introduire une demande ultérieure de protection internationale.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Dans les présentes conclusions, je les désignerai sous le nom de « demanderesses ».


3      Demandes du 4 avril 2019. L’article 2, sous q), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60) définit la « demande ultérieure » comme une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1, de cette directive.


4      Décisions du 21 décembre 2020, à l’encontre desquelles un recours a été introduit le 28 décembre 2020 et que la juridiction de renvoi a examiné le 17 juin 2021.


5      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9) (ci‑après la « directive 2011/95 »).


6      Ce paragraphe est à lire sous la section intitulée « Orientations par pays » consacrée à l’Afghanistan, alors que la présente affaire concerne des demanderesses ressortissantes d’Irak.


7      Décision de renvoi, point 23.


8      Werkinstructie 2019/1 Het beoordelen van asielaanvragen van verwesterde vrouwen (Instruction de service 2019/1 L’examen des demandes d’asile de femmes occidentalisées).


9      Point C2.3.2. de la circulaire sur les étrangers de 2000 (C).


10      Décision de renvoi, point 25.


11      Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, 1954, p. 150, no 2545.


12      Ce protocole a levé les restrictions temporelles et géographiques de la convention de Genève, afin que cette dernière s’applique de manière universelle, au lieu de ne couvrir que les personnes devenues des réfugiés par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951.


13      Voir article 78 TFUE relatif au développement d’une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire conforme à la convention de Genève et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés. Voir également, notamment, considérants 3, 4, 14 et 22 à 24 de la directive 2011/95.


14      Arrêt du 9 novembre 2021, Bundesrepublik Deutschland (Maintien de l’unité familiale) (C‑91/20, EU:C:2021:898, point 56 et jurisprudence citée).


15      Considérant 16 de la directive 2011/95, et arrêt du 5 septembre 2012, Y et Z (C‑71/11 et C‑99/11, EU:C:2012:518, point 48 et jurisprudence citée).


16      Voir les articles 13 et 18 de la directive 2011/95, lus conjointement avec les définitions de « réfugié » et de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » figurant respectivement à l’article 2, sous d) et f), de cette directive. L’article 5 de cette directive prévoit, notamment, que cela inclut les situations dans lesquelles une crainte fondée d’être persécuté ou un risque réel de subir des atteintes graves s’appuie sur des événements ayant eu lieu depuis le départ du demandeur du pays d’origine. Dans la décision de renvoi, la juridiction a quo ne sollicite pas l’interprétation de cette disposition.


17      Voir point 2 des présentes conclusions.


18      Même si l’article 10, paragraphe 1, sous d), deuxième alinéa, de la directive 2011/95 indique qu’« [i]l convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe », cela n’empêche pas d’examiner les aspects liés au genre dans le contexte des autres motifs de la persécution visés à l’article 10 de cette directive.


19      Article 4 de la directive 2011/95. Voir également arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C‑652/16, EU:C:2018:801, point 48 et jurisprudence citée), et HCR, Principes directeurs sur la protection internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés, 2002, point 7.


20      Voir HCR, Principes directeurs sur la protection internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés, 2002, points 3 et 4.


21      Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces conditions cumulatives sont remplies au regard de la situation factuelle. Voir arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C‑652/16, EU:C:2018:801, point 89 et jurisprudence citée).


22      La directive 2011/95 ne définit pas le genre, un terme qui a été défini ailleurs comme désignant « les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes » [voir article 3, sous c), de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (la « Convention d’Istanbul »), adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 7 avril 2011, qui est entrée en vigueur le 1er août 2014 (Série des Traités du Conseil de l’Europe – no 210)].  Le 9 mai 2023, le Parlement européen a approuvé l’adhésion de l’Union à cette convention [voir, également, avis 1/19 (Convention d’Istanbul), du 6 octobre 2021, EU:C:2021:832].


23      Conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2023:314, point 73).


24      Voir HCR, Principes directeurs sur la protection internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés, 2002, points 30 et 31 ; Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), Guide sur l’appartenance à un certain groupe social, 2020, p. 21, et conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2023:314, point 71).


25      Voir également arrêt du 7 novembre 2013, X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720, point 46).


26      Il est intéressant d’ajouter que l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier tiret, de la directive 2011/95 indique qu’un groupe peut également constituer un certain groupe social lorsque ses membres partagent une histoire commune qui ne peut être modifiée. Je ne suis pas convaincu que cette considération soit pertinente en l’espèce. Il est certes possible de soutenir que des personnes telles que les demanderesses, qui ont passé dans un État membre une partie importante de la phase de leur vie dans laquelle elles forgent leur identité, partagent une histoire commune qui ne peut être modifiée. Toutefois, en l’espèce, il semble que les demanderesses n’aient avancé aucun argument selon lequel elles pourraient craindre avec raison d’être persécutées parce qu’elles partagent une telle histoire commune.


27      Sans préjudice de la possibilité qu’une croyance au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 soit fondée sur ou influencée par des facteurs politiques ou religieux et que ces derniers jouent un rôle dans la perception d’un groupe dans le pays d’origine.


28      Voir, également, considérants 29 et 30 de la directive 2011/95, qui distinguent clairement les motifs de la persécution énumérés à l’article 10, paragraphe 1.


29      En d’autres termes, les édits religieux et les dogmes de la foi n’excluent pas l’existence d’un éventail de croyances religieuses divergentes parmi les fidèles. Par exemple, les catholiques peuvent penser que les femmes devraient être autorisées à devenir prêtres bien que le canon 1024 l’interdise.


30      Erik Erikson a été l’un des premiers psychologues à décrire le concept d’identité dans le contexte du développement de la personnalité. Il considère que l’identité permet à une personne d’avancer avec un but et une direction dans la vie, et avec un sentiment de permanence intérieure et de continuité dans le temps et dans l’espace. L’identité est de nature psychosociale et est formée par l’intersection des capacités biologiques et psychologiques individuelles en combinaison avec les opportunités et les divers soutiens offerts par le contexte social d’une personne. L’identité devient normalement une question centrale pendant l’adolescence, lorsque l’individu se pose des questions sur son apparence, son choix d’orientation professionnelle, ses aspirations de carrière, son éducation, ses relations, sa sexualité, ses opinions politiques et sociales, sa personnalité et ses intérêts. Les préoccupations identitaires essentielles appellent souvent une nouvelle réflexion et une révision plus tard dans la vie. La branche de la psychologie qui s’intéresse à l’identité et au moi a développé et affiné les théories d’Erikson. Voir, par exemple, Branje S, de Moor EL, Spitzer J, Becht A.I. « Dynamics of Identity Development in Adolescence : A Decade in Review », Journal of Research on Adolescence, 2021, Vol. 1(4), p. 908 à 927.


31      Voir, à titre d’exemples, directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23) ; directive 2010/41/UE du Parlement européen et du Conseil, du 7 juillet 2010, concernant l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, et abrogeant la directive 86/613/CEE du Conseil (JO 2010, L 180, p. 1), et directive 2004/113/CE du Conseil, du 13 décembre 2004, mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services (JO 2004, L 373, p. 37).


32      Dès 1976, la Cour a jugé que le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins prévu par le droit de l’Union a un effet direct, de sorte qu’un justiciable peut s’en prévaloir à l’encontre de son employeur (arrêt du 8 avril 1976, Defrenne, 43/75, EU:C:1976:56).


33      Le droit de toute personne à l’égalité devant la loi et à la protection contre la discrimination constitue un droit universel reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme.


34      Voir, également, les dispositions équivalentes de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), dont tous les États membres sont signataires, notamment l’article 14 (interdiction de discrimination), l’article 12 (droit au mariage), et l’article 10 (liberté d’expression), ainsi que l’article 2 du protocole additionnel à la CEDH (droit à l’instruction).


35      L’Assemblée générale des Nations unies a adopté, le 18 décembre 1979, cette convention, qui est entrée en vigueur le 3 septembre 1981 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1249, p. 13). L’Union européenne n’y est pas partie.


36      Arrêt du 7 novembre 2013, X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720, points 70 à 75). Il peut être relevé que l’appréciation de la Cour européenne des droits de l’homme (la « Cour EDH »), dans son arrêt du 28 juin 2011, Sufi et Elmi c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2011:0628JUD000831907, § 275), porte sur la question, différente, de savoir si, dans cette affaire, les requérants courraient un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH et/ou à une violation de l’article 2 de la CEDH. C’est dans ce contexte que la Cour EDH a examiné si ces requérants pourraient éviter ces risques en « jouant le jeu ».


37      Arrêt du 7 novembre 2013, X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720, point 68).


38      Voir HCR, Principes directeurs sur la protection internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés, 2002, point 15. Voir également EASO, Guide sur l’appartenance à un certain groupe social, 2020, p. 16.


39      Voir note en bas de page 30 des présentes conclusions.


40      Voir point 45 des présentes conclusions.


41      Article 4, paragraphe 2, de la directive 2011/95.


42      Arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 52 et jurisprudence citée).


43      Voir, à cet égard, arrêts du 22 novembre 2012, M. (C‑277/11, EU:C:2012:744, points 65 et 66), et du 3 mars 2022, Secretary of State for the Home Department (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑349/20, EU:C:2022:151, point 64 et jurisprudence citée). Voir également Guide pratique de l’EASO : Évaluation des éléments de preuve, 2015.


44      Voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C‑652/16, EU:C:2018:801, point 85).


45      Voir, par analogie, arrêt du 19 juillet 2012, Mahamdia (C‑154/11, EU:C:2012:491, points 31 à 32), et conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Mahamdia (C‑154/11, EU:C:2012:309, points 44 à 59).


46      Voir article 4, paragraphe 3, sous a), de la directive 2011/95, et conclusions de l’avocate générale Sharpston dans les affaires jointes X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:474, point 35) et dans l’affaire Shepherd (C‑472/13, EU:C:2014:2360, point 56). Voir également conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2023:314, points 72 et 73, et jurisprudence citée).


47      Le règlement (UE) 2021/2303 du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2021, relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile et abrogeant le règlement (UE) no 439/2010 (JO 2021, L 468, p. 1) a créé l’Agence de l’Union européenne pour l’asile afin qu’elle remplace et succède à l’EASO.


48      Voir AUEA, Country Guidance : Iraq – Common analysis and guidance note, 2022, en particulier les sections 2.13 et 2.17. Le HCR considère que, en fonction de leur situation individuelle, les personnes perçues comme contrevenant aux règles strictes de l’Islam peuvent avoir besoin d’une protection internationale en tant que réfugiés, fondée sur leur religion ou sur l’appartenance à un certain groupe social : HCR, International Protection Considerations with Regard to People Fleeing the Republic of Iraq, 2019, p. 79 et 80.


49      Le mariage des enfants est un phénomène courant en Irak, où l’âge légal du mariage est de 15 ans avec l’autorisation des parents, et de 18 ans sans cette autorisation (AUEA, Country Guidance : Iraq – Common analysis and guidance note, 2022, section 2.16). Selon le partenariat « Filles, pas épouses » (Girls not Brides), en Irak, 28 % des filles sont mariées avant d’avoir 18 ans et 7 % d’entre elles sont mariées avant l’âge de 15 ans. En ce qui concerne le mariage des enfants en général, voir résolution du Parlement européen du 4 juillet 2018, « Vers une stratégie extérieure de l’Union de lutte contre les mariages précoces et forcés – prochaines étapes » [2017/2275(INI)].


50      Voir, par exemple, le rapport d’information sur le pays d’origine de l’EASO intitulé « Iraq Key socio-economic indicators for Baghdad, Basra and Erbil », 2020, en particulier section 1.4 ; AUEA, Country Guidance : Iraq – Common analysis and guidance note, 2022, en particulier sections 2.13 et 2.16.4, ainsi que le rapport sur l’Irak du 28 octobre 2020 de Humanists International, en particulier la section intitulée « Discrimination against women and minorities ».


51      Conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2023:314, points 74 à 77 et jurisprudence citée).


52      Voir point 47 des présentes conclusions.


53      L’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 requiert qu’il y ait un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 de cette directive et les actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la même directive ou une absence de protection contre de tels actes.


54      La Cour a considéré que l’article 40, paragraphe 2, de la directive 2013/32 n’opérant aucune distinction entre une première demande de protection internationale et une demande ultérieure au regard de la nature des éléments ou des faits susceptibles de démontrer que le demandeur remplit les conditions pour prétendre au statut de bénéficiaire de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95, l’évaluation des faits et des circonstances à l’appui de ces demandes doit, dans les deux cas, être menée conformément à l’article 4 de la directive 2011/95 [arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux) (C‑921/19, EU:C:2021:478, point 40)].


55      Voir, par analogie, arrêts du 9 septembre 2021, Bundesrepublik Deutschland (Membre de la famille) (C‑768/19, EU:C:2021:709, point 38), et du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial avec un mineur réfugié) (C‑273/20 et C‑355/20, EU:C:2022:617, points 36 à 39, et jurisprudence citée).


56      Signée le 20 novembre 1989 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1577, p. 3). Selon les Explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), l’article 24 de la Charte se fonde sur cette convention qui a été ratifiée par tous les États membres, et notamment sur ses articles 3, 9, 12 et 13. Voir, par analogie, arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C‑652/16, EU:C:2018:801, point 64).


57      Un certain nombre d’autres dispositions de la directive 2011/95, ainsi que son considérant 38, reflètent également les exigences de l’article 24 de la Charte. L’article 20, paragraphe 3, de la directive 2011/95 impose aux États membres de tenir compte de la situation spécifique des personnes vulnérables telles que les mineurs. L’article 20, paragraphe 5, indique que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue une considération primordiale pour les États membres lors de la transposition des dispositions du chapitre VII de cette directive qui concernent les mineurs auxquels une protection internationale a été accordée. Les dispositions du chapitre VII concernent, par exemple, l’accès à l’éducation et aux soins de santé (article 27, paragraphe 1, et article 30 de la directive 2011/95, respectivement). Les exigences de l’article 20, paragraphes 3 et 5, ne s’étendent toutefois pas à la transposition des dispositions du chapitre II de la directive 2011/95, à savoir celles qui portent spécifiquement sur l’évaluation des demandes de protection internationale.


58      Arrêt du 9 septembre 2021, Bundesrepublik Deutschland (Membre de la famille) (C‑768/19, EU:C:2021:709, point 38).


59      Conformément à l’article 15, paragraphe 3, sous e), de la directive 2013/32.


60      Voir également Comité des droits de l’enfant, Observation générale n o 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art. 3, par. 1) (CRC/C/GC/14), qui explique que l’intérêt supérieur de l’enfant est un droit de fond, un principe interprétatif et une règle de procédure.


61      Voir, par analogie, arrêt du 14 janvier 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Retour d’un mineur non accompagné) (C‑441/19, EU:C:2021:9, point 46).


62      Voir, en particulier, article 10, paragraphe 3, sous d), de la directive 2013/32.


63      Voir EASO, Guide pratique sur l’intérêt supérieur de l’enfant dans les procédures d’asile, p. 13, qui mentionne qu’accorder une considération primordiale à l’intérêt supérieur de l’enfant est un processus continu qui requiert une évaluation avant toute décision administrative importante.


64      Voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2020, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Rejet d’une demande ultérieure – Délai de recours) (C‑651/19, EU:C:2020:681, points 34 et 35, et jurisprudence citée).


65      Voir, par analogie, arrêts du 11 mars 2021, État belge (Retour du parent d’un mineur) (C‑112/20, EU:C:2021:197, points 33 à 38), et du 17 novembre 2022, Belgische Staat (Réfugiée mineure mariée) (C‑230/21, EU:C:2022:887, point 48 et jurisprudence citée).


66      Voir, par analogie, arrêt du 11 mars 2021, État belge (Retour du parent d’un mineur) (C‑112/20, EU:C:2021:197, point 47).


67      Par exemple, si une autorité décisionnelle suppose raisonnablement que la demande de protection internationale des parents ne sera pas accueillie, il peut être dans l’intérêt supérieur de l’enfant de retourner avec ses parents dans le pays d’origine.


68      Voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2014, M’Bodj (C‑542/13, EU:C:2014:2452, point 44).


69      Voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2012, Y et Z (C‑71/11 et C‑99/11, EU:C:2012:518, points 65 et 66), et, dans le même sens, HCR, Principes directeurs sur la protection internationale n o 8 : les demandes d’asile d’enfants dans le cadre de l’article 1A (2) et de l’article 1F de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, 2009, points 15 à 17. Voir également la section de ces principes directeurs consacrée aux formes de persécution spécifiques aux enfants.


70      Arrêt du 18 décembre 2014 (C‑542/13, EU:C:2014:2452).


71      Dans ses observations sur la cinquième question, qui porte également sur l’admission au séjour à l’aune de motifs ordinaires, le gouvernement néerlandais se réfère à l’article 3.6a du Vreemdelingenbesluit 2000 (arrêté de 2000 sur les étrangers), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, no 497).


72      Arrêt du 14 janvier 2021, The International Protection Appeals Tribunal e.a. (C‑322/19 et C‑385/19, EU:C:2021:11, points 51 à 55, et jurisprudence citée).


73      Voir, par exemple, Kalverboer, M. E., Zijlstra, A. E., et Knorth, E. J., « The developmental consequences for asylum-seeking children living with the prospect for five years or more of enforced return to their home country », European Journal of Migration and Law, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, p. 41 à 67.