Language of document : ECLI:EU:T:2015:128

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

3 mars 2015 (*) (1)

« Marque communautaire – Demandes de marques communautaires figuratives représentant des plateaux de jeux de société – Motifs absolus de refus – Défaut de caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), et article 7, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 207/2009 »

Dans les affaires jointes T‑492/13 et T‑493/13,

Schmidt Spiele GmbH, établie à Berlin (Allemagne), représentée par Me T. Sommer, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Schifko, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre les décisions de la première chambre de recours de l’OHMI du 3 juillet 2013 (affaires R 1767/2012‑1 et R 1768/2012‑1), concernant des demandes d’enregistrement de signes figuratifs représentant des plateaux de jeux de société comme marques communautaires,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mme I. Pelikánová (rapporteur) et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu les requêtes déposées au greffe du Tribunal le 13 septembre 2013,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 29 novembre 2013,

vu la décision du 9 janvier 2014 refusant d’autoriser le dépôt d’un mémoire en réplique,

vu l’ordonnance du 11 novembre 2013 portant jonction des affaires T‑492/13 et T‑493/13 aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans un délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 26 janvier 2012, la requérante, Schmidt Spiele GmbH, a présenté deux demandes d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1).

2        Les marques dont l’enregistrement a été demandé sont les signes figuratifs suivants :

–        affaire T‑492/13 :

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–        affaire T‑493/13 :

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3        Les produits et services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent notamment des classes 9, 16, 28 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié et correspondent notamment, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 9 : « Appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; équipement pour le traitement des données et ordinateurs ; son, musique et enregistrements vidéo ; fichiers musicaux, MP3, graphiques et vidéo pour appareils de communication sans fil ; (programmes de) jeux informatiques ; programmes de jeu vidéo enregistrés sur des cartouches, disquettes, CD-ROM, cassettes, bandes et minidisques ; lecteurs de disques compacts ; disques compacts [audio-vidéo] ; lecteurs de DVD ; logiciels [programmes enregistrés] ; programmes d’ordinateurs (téléchargeables) ; logiciels [programmes enregistrés] ; supports d’enregistrements de sons » ;

–        classe 16 : « Produits en papier et cartons (compris dans la classe 16) ; imprimés en couleur, photographies, images, représentations graphiques » ;

–        classe 28 : « Jeux [y compris jeux électroniques et jeux vidéo], excepté en tant qu’appareils périphériques pour écrans ou moniteurs externes ; jouets ; cartes à jouer ; jeux d’adresse d’action ; figurines d’action et leurs accessoires ; jeux de société ; jeux de cartes ; jouet à activités multiples pour enfants ; jeux d’échec ; figurines [jouets] à collectionner ; jouets d’action électriques ; appareils portatifs pour jeux électroniques ; jeux de manipulation ; jouets mécaniques ; jeux de société ; cotillons sous forme de petits jouets ; jeux de fêtes ; jeux de tir sur cibles ; figurines d’action ; sets de seaux et de pelles (jouets) ; figurines [jouets] ; tirelires [jouets] ; jouets à remonter ; appareils de divertissement conçus pour être utilisés avec un récepteur de télévision ; jeux vidéo en tant que périphériques pour écran ou moniteur externe » ;

–        classe 41 : « Divertissement, activités culturelles ; organisation et conduite de manifestations culturelles, de divertissement et sportives, services en matière de loisirs ».

4        Le 20 avril 2012, l’examinateur a rejeté les demandes de marque s’agissant des produits et des services visés au point 3 ci-dessus au motif qu’elles n’étaient pas conformes à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. Le 21 septembre 2012, la requérante a formé des recours contre lesdites décisions auprès de l’OHMI.

5        Par deux décisions du 3 juillet 2013, la première chambre de recours de l’OHMI a rejeté les recours dans leur intégralité (ci-après les « décisions attaquées »). En particulier, elle a considéré que le public pertinent était constitué par le large public ayant une attention moyenne, dans l’ensemble de l’Union européenne. Les signes demandés consisteraient en une représentation graphique typique d’un plateau de jeu de société et donc d’une simple reproduction de l’apparence extérieure des produits. Puisque les signes demandés ne se distingueraient pas suffisamment des formes de plateaux de jeux habituelles dans le commerce et puisque tous les éléments des signes seraient nécessaires au déroulement du jeu, ni les signes dans leur ensemble ni leurs éléments isolés ne présenteraient de caractère distinctif et le public pertinent ne percevra pas les signes demandés comme des marques indiquant l’origine commerciale des produits et des services désignés par elles, mais uniquement comme une indication objective de leur contenu. Enfin, la chambre de recours a considéré que les documents produits par la requérante pour prouver le caractère distinctif acquis par l’usage étaient insuffisants, notamment en raison du fait qu’ils étaient limités au territoire allemand.

 Conclusions des parties

6        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

7        L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’absence de demande de fixation d’une audience

8        En vertu de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal, après la présentation des mémoires visés à l’article 135, paragraphe 1, le cas échéant, à l’article 135, paragraphes 2 et 3, le Tribunal, sur rapport du juge rapporteur, les parties entendues, peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure, sauf si une des parties présente une demande en indiquant les motifs pour lesquels elle souhaite être entendue. Cette demande est présentée dans un délai d’un mois à compter de la signification à la partie de la clôture de la procédure écrite.

9        Dans les requêtes, la requérante a demandé au Tribunal de fixer une audience, compte tenu notamment de la nouveauté de la question de savoir si un plateau de jeu est susceptible d’être enregistré en tant que marque. Or, en raison de son caractère prématuré au regard des dispositions de l’article 135 bis du règlement de procédure, cette demande ne pouvait être prise en compte.

10      En effet, il ressort de la lettre et de l’économie dudit article que les demandes d’audience, ainsi que l’examen par le Tribunal de l’utilité d’une telle audience, ne peuvent intervenir qu’après que, la procédure écrite ayant pris fin, les parties et le Tribunal disposent de tous les éléments du dossier et de l’argumentation de toutes les parties pour se prononcer sur cette utilité. Par ailleurs, des raisons d’économie de procédure ne sauraient justifier le dépôt, avant la signification de la clôture de la procédure écrite, d’une demande d’audience de plaidoirie, puisque, conformément à l’article 135 bis du règlement de procédure, le Tribunal ne peut, en tout état de cause, ultérieurement à la clôture de la procédure écrite, décider de statuer sans phase orale de la procédure qu’après avoir laissé aux parties le bénéfice de cette disposition.

11      Enfin, il convient de relever que, par lettre du 13 janvier 2014 signifiant à la requérante le rejet de sa demande de pouvoir déposer une réplique et la clôture de la procédure écrite, le greffe du Tribunal a appelé son attention sur les dispositions de l’article 135 bis du règlement de procédure et indiqué que le délai pour le dépôt d’une telle demande ne courait qu’une seule fois, et ce à partir de ladite signification. Toutefois, la requérante n’a pas déposé de nouvelle demande de fixation d’une audience dans le délai d’un mois prévu par ladite disposition.

12      C’est dans ces circonstances que le Tribunal a décidé, en application de l’article 135 bis du règlement de procédure, de statuer sans phase orale de la procédure.

 Sur le fond

13      Au soutien de son recours, dans les affaires T-492/13 et T-493/13, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, et, le second, de la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009

14      La requérante fait valoir que c’est à tort que la chambre de recours a refusé de reconnaître le caractère distinctif des marques demandées.

–       Sur le public pertinent

15      La chambre de recours a constaté à juste titre, et sans être contredite par les parties, que les produits et les services désignés par les signes en cause, tels que visés au point 3 ci-dessus, s’adressaient au large public et que le public pertinent était donc composé des consommateurs moyens normalement informés et raisonnablement attentifs dans l’ensemble du territoire de l’Union.

–       Sur les signes demandés

16      La chambre de recours a constaté que les signes demandés étaient exclusivement constitués par l’apparence extérieure d’un plateau de jeu.

17      La requérante souligne que les demandes de marque ne portent pas sur des « plateaux de jeux » ou sur des « tablettes de jeux », mais sur des signes figuratifs désignant une série de produits et de services, parmi lesquels figurent des « jeux ».

18      L’OHMI réfute les arguments de la requérante.

19      Il convient de relever, à cet égard, qu’il est certes vrai, ainsi que le souligne la requérante, que les demandes de marque litigieuses portent sur des signes figuratifs, désignant une série de produits et de services, parmi lesquels, notamment, les « jeux » relevant de la classe 28. Néanmoins, dans l’appréciation de l’aptitude à remplir la fonction de marque de ces signes, composés d’un cadre carré dans lequel s’inscrit une figure en forme d’étoile ou de croix, formée de cercles et de flèches, il ne saurait être fait abstraction du fait que les configurations concrètes de ces formes et de ces cercles représentent dans leur ensemble les plateaux de deux variantes d’un jeu de table, à savoir, le jeu « Mensch ärgere Dich nicht », ce que la requérante a admis.

20      Le jeu « Mensch ärgere Dich nicht » est particulièrement répandu dans les pays à population germanophone (Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg), ainsi que dans d’autres pays d’Europe centrale, tels que la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie et la Slovénie. Le consommateur moyen dans ces pays reconnaîtra donc sans difficulté les signes en cause comme représentation des plateaux des variantes à six et à quatre joueurs dudit jeu, nonobstant le fait qu’ils soient représentés en noir et blanc et non dans leurs couleurs habituelles.

21      En outre, ledit jeu ne constitue lui-même qu’une variante des jeux de table populaires dans de nombreux pays, dont le but est de ramener ses propres pions dans une zone d’arrivée, après avoir accompli un tour du plan de jeu lors duquel il est possible de renvoyer les pions des autres joueurs et d’être soi-même renvoyé. Dans ce contexte, il convient de rejeter l’argument de la requérante tiré du fait qu’il n’existe pas de combinaison typique pour des plateaux de jeux. En effet, s’il est vrai qu’il existe des jeux qui sont joués sans plateau et que les signes en cause ne présentent donc pas l’apparence extérieure d’un jeu en général, ils sont en tout état de cause typiques pour les plateaux des jeux de table du type susvisé, généralement connu du large public.

22      Dans ces circonstances, le consommateur moyen de l’Union percevra directement ces signes comme représentant des plateaux de jeux de table du type décrit ci-dessus, nonobstant le fait qu’ils soient représentés en noir et blanc.

23      Dès lors, c’est à bon droit que la chambre de recours a pu constater, au point 15 des décisions attaquées, que les signes demandés étaient exclusivement constitués par l’apparence extérieure d’un plateau de jeu.

24      Cette constatation n’est pas susceptible d’être remise en cause par les arguments de la requérante.

25      Ainsi, la question de savoir si les différents éléments graphiques qui composent les signes en cause sont nécessaires au déroulement du jeu, comme la chambre de recours l’a constaté au point 20 des décisions attaquées, ou s’ils sont simplement utiles à cette fin, comme le soutient la requérante, n’est pas déterminante. En effet, étant donné que le public pertinent percevra sans difficulté lesdits signes comme représentant des plateaux de jeux, la question de savoir si leurs différents éléments pourraient être supprimés ou remplacés par d’autres sans modifier le caractère du jeu concerné ne change rien à cette perception.

26      Par conséquent, le fait, invoqué par la requérante, que le jeu « Mensch ärgere Dich nicht » pourrait être joué sur un plateau présentant un agencement totalement différent par rapport aux signes demandés ne change rien au fait que lesdits signes sont directement identifiables, pour le public pertinent, comme des plateaux de jeux.

–       Sur le caractère distinctif des signes demandés

27      La chambre de recours a considéré que le public pertinent ne percevrait pas les signes demandés comme des marques indiquant l’origine commerciale des produits et des services désignés, mais uniquement comme une indication objective de leur contenu. Elle en a conclu que les signes demandés n’étaient pas susceptibles, du point de vue du public pertinent, de servir d’indication de la provenance des produits et des services concernés.

28      La requérante fait valoir que les signes en cause possèdent déjà un caractère distinctif par leurs éléments constitutifs, tels que les lettres, les flèches et l’agencement des cercles et des autres éléments. Elle ajoute que la chambre de recours s’est limitée, pour les produits et services autres que les « jeux », à refuser l’enregistrement des signes demandés en raison de leur prétendu lien avec les jeux, sans même citer en détail lesdits produits et services, ce qui ne lui permet pas de comprendre pourquoi le raisonnement appliqué aux « jeux » devrait également s’appliquer aux autres produits et services.

29      L’OHMI soutient que si les signes demandés étaient identifiés par le public pertinent comme représentant les plateaux du jeu « Mensch ärgere Dich nicht », comme le laisse entendre la requérante, cela ne signifierait pas pour autant que ledit public les comprend comme indiquant que les produits et les services désignés proviennent de la requérante, au sens du droit des marques. Au contraire, tel un signe générique, ils ne seraient pas compris comme indiquant l’origine commerciale du jeu, mais seulement comme la configuration d’un jeu. L’OHMI en conclut que, en ce qui concerne les produits et les services en cause, les signes demandés ne donnent qu’une information sur leur nature et leur espèce, raison pour laquelle ils n’ont pas de caractère distinctif intrinsèque.

30      Il y a lieu de rappeler d’emblée que, selon l’article 4 du règlement n° 207/2009, tous les signes susceptibles d’une représentation graphique peuvent constituer des marques communautaires à condition qu’ils soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.

31      Toutefois, l’aptitude générale d’un signe à constituer une marque n’implique pas que ce signe possède nécessairement un caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, par rapport à un produit ou à un service déterminé (arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, Rec, EU:C:2004:258, point 32).

32      En effet, aux termes de cette disposition, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif.

33      Il résulte d’une jurisprudence constante que le caractère distinctif d’une marque au sens de ladite disposition signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (arrêts Henkel/OHMI, EU:C:2004:258, point 34 ; du 8 mai 2008, Eurohypo/OHMI, C‑304/06 P, Rec, EU:C:2008:261, point 66, et du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, Rec, EU:C:2010:29, point 33).

34      Or, il est de jurisprudence constante que ce caractère distinctif doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception que le public pertinent en a (arrêts du 22 juin 2006, Storck/OHMI, Rec, EU:C:2006:422, point 25 ; Henkel/OHMI, EU:C:2004:258, point 35, et Eurohypo/OHMI, EU:C:2008:261, point 67).

35      Ainsi, l’exigence d’une appréciation concrète de l’aptitude du signe concerné à distinguer les produits ou les services visés de ceux d’autres entreprises permet de concilier le motif de refus prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, avec la reconnaissance, par l’article 4 dudit règlement, de l’aptitude générale d’un signe à constituer une marque (arrêt du 9 septembre 2010, OHMI/Borco-Marken-Import Matthiesen, C‑265/09 P, Rec, EU:C:2010:508, point 36).

36      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que, si l’OHMI doit examiner une demande de marque communautaire par rapport à tous les produits ou services figurant sur la liste des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé, toujours est-il que, lorsque cette liste inclut une ou plusieurs catégories de produits ou de services, l’OHMI n’a pas l’obligation de procéder à une analyse de chacun des produits ou des services faisant partie de chaque catégorie, mais doit porter son examen sur la catégorie en question, en tant que telle [voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2008, Reber/OHMI – Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Mozart), T‑304/06, Rec, EU:T:2008:268, points 22 et 23, et la jurisprudence citée]. Toutefois, l’OHMI ne peut procéder à un examen global, par catégorie de produits ou de services, que pour autant que les produits ou services concernés présentent entre eux un lien suffisamment direct et concret, au point qu’ils forment une catégorie ou un groupe de produits ou de services d’une homogénéité suffisante [arrêt du 5 septembre 2012, Euro-Information/OHMI (EURO AUTOMATIC PAIEMENT), T‑497/11, EU:T:2012:402, point 40].

37      En l’espèce, étant donné les constatations faites aux points 22 à 26 ci-dessus, il convient de considérer que les signes demandés sont en tout état de cause dépourvus de caractère distinctif lorsqu’ils désignent des « jeux » ou des « jeux de société », relevant de la classe 28. En effet, par rapport à ces produits, le public pertinent percevra les signes demandés comme une indication objective du contenu des produits désignés et non comme une indication de leur origine commerciale, ainsi que la chambre de recours l’a considéré au point 25 des décisions attaquées.

38      À cet égard, il convient de rejeter l’argument de la requérante, selon lequel une marque figurative n’est normalement dépourvue de caractère distinctif que lorsqu’elle se réduit à de simples formes géométriques de base ou à des éléments de présentation simples, usuels dans la publicité, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. En effet, s’il est vrai que, selon la jurisprudence, un signe d’une simplicité excessive et constitué d’une figure géométrique de base, telle qu’un cercle, une ligne, un rectangle ou un pentagone conventionnel, n’est pas susceptible, en tant que tel, de transmettre un message dont les consommateurs peuvent se souvenir, de sorte que ces derniers ne le considéreront pas comme une marque, à moins qu’il ait acquis un caractère distinctif par l’usage [arrêts du 12 septembre 2007, Cain Cellars/OHMI (Représentation d’un pentagone), T‑304/05, EU:T:2007:271, point 22 ; du 29 septembre 2009, The Smiley Company/OHMI (Représentation de la moitié d’un sourire de smiley), T‑139/08, Rec, EU:T:2009:364, point 26, et du 13 juillet 2011, Evonik Industries/OHMI (Rectangle pourpre avec un côté convexe), T‑499/09, EU:T:2011:367, point 25], cela n’implique pas pour autant que tout autre signe figuratif présenterait nécessairement un caractère distinctif intrinsèque. Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 37 ci-dessus, les signes demandés ne présentent en tout état de cause pas le caractère distinctif requis par rapport à une partie importante des produits et des services pour lesquels leur enregistrement a été demandé.

39      De même, contrairement à ce qu’affirme la requérante, le fait qu’une partie du public concerné puisse reconnaître le jeu « Mensch ärgere Dich nicht » ne démontre pas le caractère distinctif des signes demandés en tant que marques, mais témoigne uniquement de la notoriété dudit jeu.

40      Il y a toutefois lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée aux points 34 et 36 ci-dessus, il convient d’apprécier le caractère distinctif, notamment, par rapport aux produits et aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé, et qu’un examen par catégories n’est admissible que pour autant que les catégories retenues sont suffisamment homogènes. Or, force est de constater que l’examen effectué par la chambre de recours ne respectait pas ces conditions.

41      En effet, dans les décisions attaquées, la chambre de recours s’est limitée à examiner l’absence de caractère distinctif des signes demandés globalement par rapport aux produits et aux services relevant de chacune des classes 9, 16, 28 et 41, en citant certains des produits et des services concernés, mais sans examiner un par un chacun d’entre eux. Il convient de constater, à cet égard, que, certes, d’une part, le raisonnement de la chambre de recours est fondé, en substance, sur la proximité aux « jeux » des produits et des services désignés par les signes demandés, et, d’autre part, le constat d’absence de caractère distinctif pour les « jeux » et « jeux de société », relevant de la classe 28 (voir point 37 ci-dessus), peut également être étendu aux produits et aux services présentant un rapport étroit avec eux ou impliquant la pratique de jeux ou de jeux de société.

42      Toutefois, le degré de cette proximité diffère sensiblement selon les produits et les services désignés par les marques demandées et, pour certains d’entre eux, semble de prime abord plutôt faible, voire inexistant. Dans ces conditions, les produits et services désignés par les signes demandés dans les classes 9, 16, 28 et 41 ne forment pas entièrement, respectivement, des catégories ou des groupes d’une homogénéité suffisante, au sens de la jurisprudence citée au point 36 ci-dessus, pour permettre à la chambre de recours de les examiner par référence à seulement quelques-uns des produits ou des services par classe.

43      Ainsi, s’agissant, premièrement, des produits relevant de la classe 9, la chambre de recours a expliqué que le public confronté aux signes demandés comprendrait immédiatement qu’il s’agit d’appareils ainsi que d’ordinateurs et de logiciels permettant de jouer, sous une forme électronique, à un jeu de société au moyen du plateau faisant l’objet de la demande, et que les supports de données comme les CD et les DVD permettaient de stocker des jeux auxquels il est possible de jouer sur leur lecteur.

44      Au regard des considérations exposées aux points 37 et 41 ci-dessus, ces explications justifient le constat d’absence de caractère distinctif pour les « ordinateurs », les « (programmes de) jeux informatiques ; programmes de jeu vidéo enregistrés sur des cartouches, disquettes, CD-ROM, cassettes, bandes et minidisques », les « logiciels [programmes enregistrés] ; programmes d’ordinateurs (téléchargeables) ; logiciels [programmes enregistrés] », relevant de la classe 9.

45      Or, les produits relevant de la classe 9 désignés par les signes demandés incluent également d’autres produits dont la proximité avec les jeux n’est pas évidente et pour lesquels le constat de l’absence de caractère distinctif des signes demandés nécessitait donc un examen et une justification spécifiques.

46      Concernant, deuxièmement, les produits relevant de la classe 16, la chambre de recours a constaté qu’ils consistaient en les matériaux, en l’espèce le papier ou le carton, à partir desquels les plateaux de jeu faisant l’objet des demandes sont fabriqués.

47      Au regard des considérations exposées aux points 37 et 41 ci-dessus, ces explications justifient le constat d’absence de caractère distinctif pour les « produits en papier et cartons (compris dans la classe 16) ; imprimés en couleur », relevant de la classe 16.

48      Or, les produits relevant de la classe 16 désignés par les signes demandés incluent également les « photographies, images, représentations graphiques » qui ne sont pas nécessairement des matériaux à partir desquels les plateaux de jeu sont fabriqués et pour lesquels le constat de l’absence de caractère distinctif des signes demandés nécessitait donc un examen et une justification spécifiques.

49      S’agissant, troisièmement, des produits relevant de la classe 28, désignés par les signes demandés, la chambre de recours a constaté qu’ils incarnaient concrètement différents types de jeux ou leurs accessoires qui peuvent tous être joués sous la forme des plateaux de jeux faisant l’objet des demandes.

50      Au regard des considérations exposées aux points 37 et 41 ci-dessus, ces explications justifient le constat d’absence de caractère distinctif pour les « jeux [y compris jeux électroniques et jeux vidéo] excepté en tant qu’appareils périphériques pour écrans ou moniteurs externes », les « cartes à jouer », les « jeux de société ; jeux de cartes », les « appareils portatifs pour jeux électroniques », les jeux de société » et les « jeux vidéo en tant que périphériques pour écran ou moniteur externe », relevant de la classe 28.

51      Or, les produits relevant de la classe 28 désignés par les signes demandés incluent également d’autres produits qui ne semblent a priori pas susceptibles d’être utilisés en rapport avec des plateaux de jeux faisant l’objet des demandes et pour lesquels le constat de l’absence de caractère distinctif des signes demandés nécessitait donc un examen et une justification spécifiques.

52      S’agissant, quatrièmement, des services relevant de la classe 41, la chambre de recours a constaté qu’ils concernaient des activités qui peuvent toutes comprendre l’exécution de jeux.

53      Au regard des considérations exposées aux points 37 et 41 ci-dessus, ces explications justifient le constat d’absence de caractère distinctif pour le « divertissement », l’« organisation et [la] conduite de manifestations de divertissement » et les « services en matière de loisirs », relevant de la classe 41.

54      Or, les services relevant de la classe 41 désignés par les signes demandés incluent également les « activités culturelles ; organisation et conduite de manifestations culturelles […] et sportives » qui, a priori, ne comprennent pas l’exécution de jeux et en tout état de cause pas de jeux pouvant impliquer l’utilisation des plateaux de jeux faisant l’objet des demandes. Dès lors, pour ces services, le constat de l’absence de caractère distinctif des signes demandés nécessitait un examen et une justification spécifiques.

55      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la chambre de recours a violé l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, dès lors qu’elle n’a pas, conformément à la jurisprudence citée aux points 34 et 36 ci-dessus, effectué son examen du caractère distinctif des signes demandés par rapport à des catégories de produits et de services d’une homogénéité suffisante. Par conséquent, il y a lieu d’annuler les décisions attaquées dans la mesure où la chambre de recours a constaté une absence de caractère distinctif des signes demandés pour les produits et pour les services autres que ceux identifiés aux points 44, 47, 50 et 53 ci-dessus.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009

56      La requérante fait valoir que la chambre de recours a interprété de manière erronée l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009, en exigeant que la preuve de l’acquisition d’un caractère distinctif acquis par l’usage soit apportée pour tout le territoire de l’Union.

57      Selon elle, la preuve d’un caractère distinctif acquis par l’usage doit être apportée uniquement pour les États membres germanophones, dans lesquels les signes demandés n’ont pas de caractère distinctif intrinsèque. Or, dans lesdits États membres, les signes demandés jouiraient d’une notoriété élevée.

58      L’OHMI s’oppose à ces arguments. Notamment, l’OHMI demande que, en l’absence d’allégation suffisamment fondée, le second moyen de la requérante soit rejeté comme irrecevable, au sens de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

59      En premier lieu il convient de relever, à cet égard, que le raisonnement de la requérante repose sur la prémisse que les signes demandés présentent effectivement un caractère distinctif intrinsèque en dehors des États membres germanophones. Or, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’examen du premier moyen, un tel caractère distinctif intrinsèque est exclu pour ceux des produits et des services visés au point 3 ci-dessus qui présentent un rapport étroit avec les « jeux » et les « jeux de société », relevant de la classe 28.

60      En second lieu, la chambre de recours a fondé son refus d’appliquer l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009 non seulement sur le fait que les éléments invoqués par la requérante ne concernaient que l’Allemagne, mais également et essentiellement sur le fait que, si lesdits éléments étaient susceptibles de prouver la notoriété du jeu « Mensch ärgere Dich nicht » et de son plateau de jeu en Allemagne, ils ne démontraient pas que ledit plateau avait été utilisé en tant que marque possédant une fonction d’indication de l’origine commerciale.

61      La requérante n’ayant avancé aucun argument de nature à remettre en cause ce raisonnement de la chambre de recours, il convient de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la fin de non-recevoir invoquée par l’OHMI à l’égard du second moyen.

62      Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de partiellement faire droit aux recours et d’annuler les décisions attaquées, pour violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, dans la mesure où elles ont rejeté les recours de la requérante pour les produits et les services autres que les « ordinateurs », les « (programmes de) jeux informatiques ; programmes de jeu vidéo enregistrés sur des cartouches, disquettes, CD-ROM, cassettes, bandes et minidisques », les « logiciels [programmes enregistrés] ; programmes d’ordinateurs (téléchargeables) ; logiciels [programmes enregistrés] », relevant de la classe 9, les « produits en papier et cartons (compris dans la classe 16) ; imprimés en couleur », relevant de la classe 16, les « jeux [y compris jeux électroniques et jeux vidéo] excepté en tant qu’appareils périphériques pour écrans ou moniteurs externes », les « cartes à jouer », les « jeux de société ; jeux de cartes », les « appareils portatifs pour jeux électroniques », les « jeux de société » et les « jeux vidéo en tant que périphériques pour écran ou moniteur externe », relevant de la classe 28, et le « divertissement », l’« organisation et [la] conduite de manifestations de divertissement » et les « services en matière de loisirs », relevant de la classe 41. Pour le surplus, il y a lieu de rejeter les recours.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Par ailleurs, aux termes du paragraphe 3, premier alinéa, du même article, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

64      En l’espèce, la requérante et l’OHMI succombent partiellement, dans la mesure où il y a lieu d’annuler partiellement les décisions attaquées. Dans ces circonstances, il convient de décider que chaque partie supportera la moitié des dépens de l’autre.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 3 juillet 2013 (affaires R 1767/2012‑1 et R 1768/2012‑1) sont annulées, dans la mesure où elles ont rejeté les recours de Schmidt Spiele GmbH pour les produits et les services autres que les « ordinateurs », les « (programmes de) jeux informatiques ; programmes de jeu vidéo enregistrés sur des cartouches, disquettes, CD-ROM, cassettes, bandes et minidisques », les « logiciels [programmes enregistrés] ; programmes d’ordinateurs (téléchargeables) ; logiciels [programmes enregistrés] », relevant de la classe 9, les « produits en papier et cartons (compris dans la classe 16) ; imprimés en couleur », relevant de la classe 16, les « jeux [y compris jeux électroniques et jeux vidéo] excepté en tant qu’appareils périphériques pour écrans ou moniteurs externes », les « cartes à jouer », les « jeux de société ; jeux de cartes », les « appareils portatifs pour jeux électroniques », les « jeux de société » et les « jeux vidéo en tant que périphériques pour écran ou moniteur externe », relevant de la classe 28, et le « divertissement », l’« organisation et [la] conduite de manifestations de divertissement » et les « services en matière de loisirs », relevant de la classe 41.

2)      Les recours sont rejetés pour le surplus.

3)      Schmidt Spiele est condamnée à supporter la moitié des dépens de l’OHMI, ainsi que la moitié de ses propres dépens. L’OHMI est condamné à supporter la moitié des dépens de Schmidt Spiele, ainsi que la moitié de ses propres dépens.

Kanninen

Pelikánová

Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 mars 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.


1 Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.