Language of document : ECLI:EU:T:2008:328

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

10 septembre 2008 (*)

« FEOGA – Section ‘Garantie’ – Dépenses exclues du financement communautaire – Secteur vitivinicole – Aide à la restructuration et à la reconversion – Notion de superficie éligible »

Dans l’affaire T‑370/05,

République française, représentée initialement par M. G. de Bergues et Mme A. Colomb, puis par M. de Bergues et Mme A.-L. During, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. M. Nolin, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2005/579/CE de la Commission, du 20 juillet 2005, écartant du financement communautaire certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie » (JO L 199, p. 84), dans la mesure où elle écarte du financement communautaire certaines dépenses au titre d’une correction portant sur la détermination des superficies éligibles à l’aide à la restructuration et à la reconversion des vignobles au titre de l’exercice 2001/2003,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. O. Czúcz, président, J. D. Cooke et Mme I. Labucka (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mai 2008,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        La réglementation de base relative au financement de la politique agricole commune (PAC) est constituée, en ce qui concerne les dépenses effectuées à partir du 1er janvier 2000, par le règlement (CE) n° 1258/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, relatif au financement de la PAC (JO L 160, p. 103).

2        L’article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1258/1999 énonce ce qui suit :

« La Commission décide des dépenses à écarter du financement communautaire visé aux articles 2 et 3 lorsqu’elle constate que des dépenses n’ont pas été effectuées conformément aux règles communautaires.

Préalablement à toute décision de refus de financement, les résultats des vérifications de la Commission ainsi que les réponses de l’État membre concerné font l’objet de notifications écrites, à l’issue desquelles les deux parties tentent de parvenir à un accord sur les mesures à prendre.

À défaut d’accord, l’État membre peut demander l’ouverture d’une procédure visant à concilier les positions respectives dans un délai de quatre mois, dont les résultats font l’objet d’un rapport communiqué à la Commission et examiné par elle avant qu’elle ne se prononce sur un éventuel refus de financement.

La Commission évalue les montants à écarter au vu, notamment, de l’importance de la non-conformité constatée. La Commission tient compte de la nature et de la gravité de l’infraction, ainsi que du préjudice financier causé à la Communauté […] »

3        L’article 8, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1663/95 de la Commission, du 7 juillet 1995, établissant les modalités d’application du règlement (CEE) n° 729/70 en ce qui concerne la procédure d’apurement des comptes du FEOGA, section « Garantie » (JO L 158, p. 6), dispose :

« 1. Si, à l’issue d’une enquête, la Commission considère que les dépenses n’ont pas été effectuées conformément aux règles communautaires, elle communique les résultats de ses vérifications à l’État membre concerné et indique les mesures correctives à prendre pour garantir à l’avenir le respect des règles précitées.

La communication fait référence au présent règlement. L’État membre répond dans un délai de deux mois et la Commission peut modifier sa position en conséquence. Dans des cas justifiés, la Commission peut accorder une prorogation de ce délai.

Après l’expiration du délai accordé pour la réponse, la Commission convoque une discussion bilatérale et les deux parties essayent d’arriver à un accord sur les mesures à prendre, ainsi que sur l’évaluation de la gravité de l’infraction et du préjudice financier causé à la Communauté européenne. Après cette discussion et après toute date fixée par la Commission, en consultation avec l’État membre, après la discussion bilatérale pour la communication d’informations supplémentaires ou, si l’État membre n’accepte pas la convocation dans un délai fixé par la Commission, après l’échéance de ce délai, cette dernière communique formellement ses conclusions à l’État membre en faisant référence à la décision 94/442/CE de la Commission. Sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa du présent paragraphe, cette communication évaluera les dépenses qu’elle envisage d’exclure au titre de l’article 5, paragraphe 2, [sous] c), du règlement (CEE) n° 729/70.

L’État membre informe la Commission dans les meilleurs délais des mesures correctives prises pour assurer le respect des règles communautaires et de la date effective de leur mise en oeuvre. La Commission adopte, le cas échéant, une ou plusieurs décisions en application de l’article 5, paragraphe 2, [sous] c), du règlement (CEE) n° 729/70 pour exclure jusqu’à la date effective de mise en oeuvre des mesures correctives les dépenses affectées par le non-respect des règles communautaires. »

4        Le règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, portant organisation commune du marché vitivinicole (JO L 179, p. 1, rectificatif JO L 271, p. 47), prévoit notamment :

« Article 11

1. Il est institué un régime de restructuration et de reconversion des vignobles.

2. Le régime a pour objectif d’adapter la production à la demande du marché.

3. Le régime couvre une ou plusieurs des actions suivantes :

a)      la reconversion variétale, y compris par surgreffage ;

b)      la réimplantation de vignobles ;

c)      les améliorations des techniques de gestion des vignobles liées à l’objectif du régime.

Il ne couvre pas le remplacement normal des vignobles parvenus au terme de leur cycle de vie naturel.

[…]

Article 13

1. L’octroi d’un soutien en faveur de la restructuration et de la reconversion nécessite un plan établi et, au besoin, approuvé par l’État membre. Le soutien revêt les formes suivantes :

a)      une indemnisation des producteurs pour les pertes de recettes subies dans le cadre de la mise en oeuvre du plan

et

b)      une participation aux coûts de la restructuration et de la reconversion.

2. L’indemnisation des producteurs pour les pertes de recettes peut revêtir la forme :

a)      d’une autorisation de coexistence des vignes anciennes et nouvelles pendant une période déterminée n’excédant pas trois ans, sans préjudice des dispositions du chapitre I du présent titre

ou

b)      d’une indemnité financée par la Communauté.

3. La participation de la Communauté au financement des coûts de la restructuration et de la reconversion ne dépasse pas 50 % de ces coûts. Toutefois, dans les régions relevant de l’objectif n° 1 conformément au règlement (CE) n° 1260/1999 du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les fonds structurels, la participation de la Communauté peut atteindre 75 %. Sans préjudice de l’article 14, paragraphe 4, les États membres ne peuvent en aucun cas participer au financement. 

[…]

Article 15

Les modalités d’application du présent chapitre sont arrêtées selon la procédure prévue à l’article 75.

Ces modalités peuvent prévoir en particulier :

a)      une dimension minimale pour les vignobles concernés ;

b)      des dispositions régissant l’utilisation des droits de replantation en général et de plantation nouvelle octroyés dans le cadre des plans d’amélioration matérielle et aux jeunes agriculteurs, dans la mise en oeuvre des programmes;

c)      des dispositions visant à empêcher une augmentation du potentiel de production consécutive à l’application des dispositions du présent chapitre ;

d)      des plafonds de soutien par hectare. »

5        Les paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 13 du règlement (CE) nº 1227/2000 de la Commission, du 31 mai 2000, fixant les modalités d’application du règlement nº 1493/1999, en ce qui concerne le potentiel de production (JO L 143, p. 1) énoncent notamment ce qui suit :

« 1. Les autorités compétentes des États membres arrêtent les dimensions d’une superficie minimale pouvant bénéficier d’une aide à la restructuration et à la reconversion et d’une superficie minimale issue de la restructuration et de la reconversion.

2. Les autorités compétentes des États membres arrêtent :

a)      des définitions des mesures à inclure dans les plans ;

b)      des délais d’exécution, qui ne doivent pas excéder cinq ans ;

c)      l’obligation de faire figurer dans tous les plans, pour chaque exercice financier, les mesures à exécuter lors de l’exercice financier en question et la superficie concernée pour chaque mesure ;

d)      des procédures de suivi de cette exécution. […]

4. Les autorités compétentes des États membres arrêtent les dispositions régissant le champ d’application précis et les taux de l’aide à octroyer. Sous réserve des dispositions du chapitre III du titre II du règlement […] nº 1493/1999 et du présent chapitre, ces dispositions peuvent notamment prévoir le paiement de montants forfaitaires, les niveaux maximaux de l’aide par hectare et la modulation de l’aide sur la base de critères objectifs. Ces dispositions prévoient en particulier une augmentation appropriée des niveaux de l’aide à octroyer lorsque les droits de replantation qui résultent de l’arrachage prévu dans le plan sont utilisés dans la mise en oeuvre du plan. »

6        L’article 15 bis du règlement nº 1227/2000, qui a été introduit par le règlement (CE) n° 1342/2002 de la Commission, du 24 juillet 2002 (JO L 196, p. 23), modifiant ledit règlement nº 1227/2000, dispose :

« 1. Par dérogation à l’article 15, les États membres peuvent prévoir que l’aide soit versée après vérification de l’exécution de l’ensemble des mesures figurant dans la demande d’aide. Si, dans le cadre de la vérification, il est constaté que l’ensemble des mesures figurant dans la demande d’aide n’est pas entièrement exécuté mais qu’elle est exécutée sur plus de 80 % des superficies concernées dans les délais prévus, l’aide est versée après déduction d’un montant égal au double de l’aide supplémentaire qui aurait été accordée pour l’exécution de l’ensemble des mesures sur la totalité des superficies.

2. Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre peut prévoir que l’aide soit versée à titre d’avance aux producteurs pour l’ensemble des mesures figurant dans la demande d’aide avant que l’ensemble des mesures n’ait été exécuté à condition que ladite exécution ait commencé et que le bénéficiaire ait constitué une garantie d’un montant égal à 120 % de l’aide. Aux fins du règlement (CEE) n° 2220/85, l’obligation porte sur l’exécution de l’ensemble des mesures en cause pour la fin de la seconde campagne qui suit l’octroi de l’avance.

Cette durée peut être adaptée par l’État membre lorsque :

a)      les superficies concernées sont comprises dans des aires ayant subi une calamité naturelle reconnue par les autorités compétentes de l’État membre concerné ;

b)      des problèmes sanitaires concernant le matériel végétal et empêchant la réalisation de la mesure prévue ont été attestés par un organisme reconnu par l’État membre concerné.

Si, dans le cadre de la vérification, il est constaté que l’ensemble des mesures figurant dans la demande d’aide et ayant fait l’objet d’une avance n’est pas entièrement exécuté mais que ces mesures sont exécutées sur plus de 80 % des superficies concernées dans les délais prévus, la garantie est libérée après déduction d’un montant égal au double de l’aide supplémentaire qui aurait été accordée pour l’exécution de l’ensemble des mesures sur la totalité des superficies.

Lorsque le producteur renonce à l’avance, dans un délai fixé par l’État membre concerné, la garantie est libérée à hauteur de 95 % de la garantie. Les États membres communiquent à la Commission le délai qu’ils ont fixé en application de cet alinéa.

Dans le cas où le producteur renonce à l’exécution de l’ensemble des mesures, figurant dans la demande d’aide dans un délai fixé par l’État membre concerné, il rembourse l’avance si elle a été déjà versée et par la suite la garantie est libérée à hauteur de 90 % de la garantie. Les États membres communiquent à la Commission le délai qu’ils ont fixé en application de cet alinéa.

3. Dans l’application de cet article, une tolérance de 5 % s’applique lors de la vérification des superficies concernées. »

 Antécédents du litige

 Méthode appliquée par la République française pour le calcul de l’aide

7        Des corrections financières ont été imposées à la République française par la décision 2005/579/CE de la Commission, du 20 juillet 2005, écartant du financement communautaire certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie » (JO L 199, p. 84, ci-après la « décision litigieuse »), du fait que la Commission a considéré que la République française avait inclus des superficies inéligibles dans les calculs des coûts des opérations de restructuration et de reconversion des vignobles.

8        Ainsi qu’il ressort du dossier de l’affaire et, en particulier, du rapport de l’organe de conciliation et des arrêtés interministériels relatifs aux conditions d’attribution de l’aide à la restructuration et à la reconversion des vignobles pour les campagnes 2000/2001 et 2001/2002 (voir le Journal officiel de la République française, respectivement, du 24 mai 2001 et du 5 avril 2002), les autorités françaises avaient opté pour le paiement de montants forfaitaires. Les aides étaient versées à l’hectare de superficie parcellaire restructurée (euros par hectare).

9        Le calcul des coûts prend en compte les superficies de vignes qui incluent les tournières, c’est-à-dire des espaces latéraux et en bout de rang qui sont nécessaires au passage et au virage des engins de culture de la vigne, tels que les tracteurs et les machines à vendanger.

10      Ce calcul a ainsi été effectué sur la base d’un descriptif d’une parcelle type définie comme étant une vigne de 1 hectare, de forme rectangulaire et en plaine, qui comprend les tournières nécessaires à l’évolution des machines agricoles à hauteur de 10 % de la superficie, soit 6 mètres en bout de rang.

11      Pour tenir compte des formes de parcelles différentes et des topographies particulières, un abaque, c’est-à-dire un tableau des marges, a été défini pour la procédure de calcul des superficies. Celui-ci fixe un pourcentage maximal admissible de superficies non plantées de vignes, qui est, par exemple, de 30 % pour les parcelles dont la superficie plantée de vignes est inférieure à 35 ares et de 5 % pour les parcelles dont la superficie plantée de vignes est supérieure à 15 hectares.

12      Les différents coûts d’une plantation de vignes ont été individualisés par poste, tels l’achat des plants, les traitements phytosanitaires, la main d’œuvre. Par ailleurs, seuls les coûts systématiques, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas occasionnels, ont été retenus dans le calcul du forfait. Les données sur les coûts ont été transmises par les chambres d’agriculture et réactualisées au besoin.

13      Le taux d’indemnisation a été modulé en fonction de quatre critères : l’appartenance à un groupement de producteurs, la qualité de jeune agriculteur, la souscription d’un contrat territorial d’exploitation (CTE) et l’origine des droits de plantation. Le taux maximal correspond à une plantation réalisée, avec droits nés d’un arrachage sur l’exploitation intervenu postérieurement au 31 juillet 2000, par un jeune agriculteur appartenant à un groupement de producteurs et ayant signé un CTE.

14      Afin d’assurer que, conformément à l’article 13, paragraphe 3, du règlement n° 1493/1999, l’aide ne dépasse pas 50 % des coûts de restructuration, les taux forfaitaires ont été fixés en s’assurant que le taux d’aide le plus élevé retenu ne dépassait pas 50 % du coût le moins élevé d’une plantation.

 Procédure ayant conduit à la décision litigieuse

15      Les services de la Commission ont procédé à une enquête en France, du 23 au 27 septembre 2002, concernant le système d’attribution de l’aide à la restructuration et à la reconversion des vignobles.

16      Le 10 février 2003, à la suite de cette enquête, la Commission a envoyé aux autorités françaises une communication conformément à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1663/95.

17      Le 20 mai 2003, les autorités françaises ont répondu à cette communication.

18      Le 30 septembre 2003, la Commission a organisé une réunion bilatérale avec les autorités françaises.

19      Le 22 juillet 2004, à la suite de cette réunion, la Commission a adressé aux autorités françaises une communication formelle au titre de l’article 8 du règlement n° 1663/95, dans laquelle elle confirmait sa position selon laquelle l’octroi d’aides à la restructuration et à la reconversion du vignoble n’avait pas été effectué en conformité avec les règles communautaires pour les exercices 2001 et suivants. La Commission faisait référence, en particulier, aux résultats du contrôle effectué à sa demande sur un échantillon aléatoire de 50 dossiers ayant fait l’objet d’un paiement au titre de l’exercice 2001, qui a démontré que la superficie réellement porteuse de pieds de vigne ne représentait en moyenne que 90 % de la superficie reconnue éligible. Les services de la Commission ont donc considéré que la différence de superficie de 10 % correspondait à la part non éligible des dépenses engagées pour la restructuration du vignoble. Par conséquent, la Commission a conclu qu’une correction financière de 10 % devait être appliquée en ce qui concerne les dépenses déclarées durant la période ayant fait l’objet de l’audit communautaire.

20      Le 4 octobre 2004, les autorités françaises ont saisi l’organe de conciliation, qui s’est réuni le 2 mars 2005 et a rendu son rapport le 21 mars 2005. L’organe de conciliation a conclu qu’il était possible, surtout dans le cas de petits vignobles, que l’aide ait été allouée à des superficies qui n’avaient pas encouru de dépenses de restructuration. En outre, il a constaté que, dans le temps qui lui était imparti, il n’était pas possible de concilier les positions des deux parties.

21      À la suite de la réunion de l’organe de conciliation, mais de manière trop tardive pour que l’organe de conciliation puisse prendre en compte cette information, les autorités françaises ont communiqué l’information supplémentaire concernant le risque allégué de dépassement du seuil du financement communautaire. Cette information portait, en particulier, sur les résultats de calculs démontrant que, même en partant d’une hypothèse extrême selon le système d’aides français, le montant maximal de dépassement des coûts concernant l’ensemble du territoire français serait de 2 294 euros et, pour la campagne viticole 2000/2001, le taux moyen d’aide serait de 4 751 euros par hectare, soit un montant bien inférieur à 7 716 euros par hectare, ce dernier chiffre correspondant à 50 % du coût d’une opération de restructuration. Pour les campagnes viticoles de 2001 et de 2002, les chiffres seraient, respectivement, de 6 197 euros par hectare et de 8 371 euros par hectare.

22      Le 4 mai 2005, la Commission a adressé une lettre aux autorités françaises, dans laquelle elle exposait sa position finale.

23      Le 20 juillet 2005, la Commission a adopté la décision litigieuse, imposant notamment à la République française une correction ponctuelle de 10 % pour la partie de la superficie restructurée ou reconvertie.

 Procédure et conclusions des parties

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2005, la République française a introduit le présent recours.

25      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

26      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 mai 2008.

27      La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse, en tant qu’elle écarte du financement communautaire la somme de 13 519 122,05 euros, au titre d’une correction portant sur la détermination des superficies éligibles à l’aide à la restructuration et à la reconversion des vignobles au titre de l’exercice 2001/2003 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

28      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la République française aux dépens.

 En droit

 Arguments des parties

29      La République française invoque deux moyens, tirés, le premier, de la violation du règlement n° 1258/1999 et, le second, de la violation de l’obligation de motivation.

30      S’agissant du premier moyen, tiré de la violation du règlement n° 1258/1999, la République française prétend que la Commission a écarté du financement communautaire des dépenses qui avaient pourtant été effectuées conformément aux règles communautaires et que, en tout état de cause, ces dépenses n’avaient porté aucun préjudice au budget communautaire. La Commission aurait, de ce fait, méconnu les dispositions de l’article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1258/1999.

31      Lors de l’audience, et conformément à ce qui avait été constaté par l’organe de conciliation, la Commission a relevé que la question principale qui se posait en l’espèce concernait la méthode de calcul appliquée par la République française, les risques de préjudice encourus par le budget communautaire se limitant à un ou deux cas ponctuels qui pouvaient entraîner le dépassement de la marge de financement communautaire.

 Sur l’allégation selon laquelle les dépenses ont été effectuées conformément aux règles communautaires

32      La République française relève que, selon une jurisprudence constante de la Cour en matière d’apurement des comptes des États membres au titre des dépenses financées par le FEOGA, section « Garantie », s’il appartient à la Commission de prouver l’existence d’une violation des règles communautaires, une fois cette violation établie, il revient à l’État membre de démontrer, le cas échéant, que la Commission a commis une erreur quant aux conséquences financières à en tirer. En l’espèce, la Commission n’aurait pas prouvé l’existence d’une violation des règles communautaires.

33      La République française considère que la définition de la superficie éligible, sur laquelle s’appuie la Commission et selon laquelle la superficie à prendre en compte pour le financement communautaire est la superficie porteuse de pieds de vigne, ne peut se déduire de la réglementation communautaire. Dans ces conditions, la seule obligation incombant à l’État membre serait d’assurer que la participation de la Communauté au financement des coûts de la restructuration et de la reconversion ne dépasse pas 50 % de ces coûts.

34      La République française prétend que l’article 13, paragraphe 4, du règlement n° 1227/2000 autorise les États membres à prévoir le paiement de montants forfaitaires. En outre, la réglementation communautaire ne préciserait pas les modalités de calcul de ces montants, pas plus qu’elle ne définirait la notion de superficie éligible. Il reviendrait donc aux États membres d’établir ces définitions, sous la seule réserve que l’aide à la reconstruction et à la reconversion des vignobles ne dépasse pas 50 % de ces coûts. La République française considère qu’elle a défini la notion de superficie éligible de manière cohérente avec l’ensemble des dispositions régissant l’organisation commune du marché vitivinicole.

35      La République française conteste l’allégation de la Commission selon laquelle elle a diminué le montant d’aide forfaitaire et a compensé cette diminution par une attribution de l’aide à une superficie non éligible, prenant en compte illégalement les tournières alors que seuls les pieds de vigne seraient éligibles. Elle soutient également que le système de financement ne vise pas non plus à établir une quelconque compensation entre bénéficiaires. Au contraire, elle aurait calculé un montant forfaitaire sur la base de coûts réels, qu’elle a appliqués à des superficies qu’elle considérait comme éligibles par référence à l’ensemble des dispositions applicables à l’organisation commune du marché vitivinicole.

36      Quant aux considérations pratiques, la République française relève que, dans les différents postes de dépenses d’une opération de plantation, seule la fourniture de plants de vigne dépend exclusivement de la superficie porteuse de vignes. Les autres postes, tels que la préparation du sol, qui implique le drainage et le terrassement, concernaient également les tournières.

37      Elle ajoute que les mobilisations de moyens techniques et humains, et donc les coûts globaux, ramenés à l’hectare, augmentent au fur et à mesure que la superficie diminue et que la proportion de tournières est d’autant plus importante que la superficie est petite.

38      La République française relève également que, si, au titre de la restructuration des vignobles, seule la superficie porteuse de pieds de vigne était prise en compte, les viticulteurs seraient tentés de réduire au maximum la superficie non porteuse en ajoutant des pieds de vigne, ce qui aurait pour conséquence une augmentation du potentiel de production.

39      Par ailleurs, l’absence de prise en compte des tournières pour l’octroi de l’aide ne se traduirait pas nécessairement par une diminution des dépenses. En effet, le forfait de l’aide, qui est calculé par référence aux coûts de restructuration d’une parcelle d’un hectare, tournières incluses, serait dorénavant affecté à une superficie plus petite. La diminution de la superficie indemnisée serait alors compensée par l’augmentation du taux d’indemnisation.

40      Contrairement à ce que prétendrait la Commission, bien que l’aide à la restructuration revête la forme d’une participation aux coûts de la restructuration, il ne serait pas possible de la dissocier de la notion de « superficie de vigne portant droits de plantation ». En effet, il résulterait des dispositions de l’article 15 du règlement n° 1493/1999 et de l’article 13 du règlement n° 1227/2000 que les États membres sont chargés d’arrêter les dimensions d’une superficie minimale pouvant bénéficier d’une aide à la reconstruction et à la reconversion. L’article 15 bis du règlement n° 1227/2000 définirait les conséquences financières de l’exécution partielle des mesures figurant dans la demande d’aide, établissant un seuil de travaux exécutés sur plus de 80 % du territoire pour exécution des paiements.

41      De la même manière, il existerait clairement un lien entre le régime d’aide et le casier viticole. Tant pour le casier que pour l’attribution de l’aide à la reconversion et à la restructuration des vignobles, il serait tenu compte de la superficie plantée. S’agissant de l’établissement du casier, la parcelle de vignes serait définie à l’article 2, sous f), du règlement (CEE) n° 649/87 de la Commission, du 3 mars 1987, portant modalités d’application relatives à l’établissement du casier viticole communautaire (JO L 62, p. 10), comme « une portion continue de terrain telle que délimitée dans le cadastre foncier ».

42      Selon la République française, il résulte de tout ce qui précède que c’est à tort que la Commission a écarté du financement communautaire la somme de 13 519 122,05 euros, puisque cette somme correspond à des dépenses effectuées conformément aux règles communautaires.

43      La Commission rétorque que la détermination du montant de l’aide répond à des critères autonomes différents des critères pour l’éligibilité des superficies à ladite aide. Elle estime que ce n’est pas parce que les autorités françaises ont diminué le montant de l’aide forfaitaire qu’elles pouvaient augmenter dans la même proportion les superficies éligibles, ces deux phases de la procédure répondant à des critères bien spécifiques et à des « règles différentes ». Pour corroborer cette affirmation, la Commission fait référence, par analogie, à la distinction entre les critères de sélection et les critères d’attribution dans le domaine des marchés publics (arrêt de la Cour du 19 juin 2003, GAT, C‑315/01, Rec. p. I‑6351).

44      Sur le plan pratique, la Commission rappelle que, dans certains cas, l’aide a été octroyée pour la totalité de la superficie revendiquée par le producteur, alors que la superficie effectivement porteuse de vignes ne représentait que 70 % de ladite superficie. Il s’agirait très clairement d’une « surcompensation », qui irait bien au-delà de ce qui a été avancé par les autorités françaises.

45      La Commission conteste également l’assimilation des droits de plantation au régime de restructuration et de reconversion et, dès lors, la comptabilisation selon la même méthode des superficies bénéficiant des droits de plantation et des superficies bénéficiant de l’aide. À cet égard, elle fait référence à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1493/1999, qui établirait que le soutien en faveur de la restructuration et de la reconversion revêt la forme d’une participation aux coûts de la restructuration et de la reconversion, alors que l’aide exprimée en droits de replantation ferait référence à une superficie.

46      Il en irait de même concernant une assimilation du casier viticole informatisé audit régime, d’autant plus que, en vertu de l’article 2, sous f), du règlement n° 649/87, la parcelle serait définie comme une portion continue de terrain telle que délimitée dans le cadastre foncier, les tournières étant donc incluses. La Commission fait référence à l’article 5, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2729/2000 de la Commission, du 14 décembre 2000, portant modalités d’application relatives aux contrôles dans le secteur vitivinicole (JO L 316, p. 16), qui prévoirait, notamment, que l’abandon définitif ainsi que les restructurations et les reconversions bénéficiant d’une participation de la part de la Communauté font l’objet d’une vérification systématique sur place. Selon la Commission, cette disposition a introduit une distinction formelle et explicite entre les aspects généraux du potentiel de production et les mesures spécifiques relatives à l’abandon et à la restructuration et à la reconversion. Pour ces dernières, pour lesquelles il existerait une participation financière communautaire, le contrôle systématique sur place serait obligatoire. Or, ce contrôle porterait sur deux éléments substantiels du régime, à savoir le mesurage des superficies et la réalité des actions bénéficiant d’une participation financière.

47      En ce qui concerne l’argument de la République française relatif aux risques de hausse des quantités effectivement récoltées, la Commission indique que la législation communautaire impose aux États membres d’assurer qu’il n’y a pas d’augmentation globale du potentiel de production. La Commission écarte également l’argument de la République française tiré du risque d’augmentation des dépenses, en faisant valoir qu’elle adopte chaque année une décision portant fixation des allocations financières indicatives aux États membres et que cette attribution initiale limite le remboursement par le FEOGA.

 Sur l’allégation selon laquelle la méthode de calcul retenue par les autorités françaises ne porte pas préjudice au budget communautaire

48      La République française considère que la Commission n’a pas présenté d’indices sérieux établissant que la méthode appliquée en France pouvait causer un préjudice au budget communautaire. La République française conteste l’allégation de la Commission, contenue dans la note du 17 février 2005 présentée à l’organe de conciliation, selon laquelle, dans un cas, l’aide versée aurait atteint 51,6 % et le dépassement aurait donc été de 1,6 %.

49      La République française indique que, pour que l’aide ne puisse en aucun cas dépasser 50 % des coûts de la restructuration et de la reconversion, les taux forfaitaires ont été fixés en s’assurant que le taux de l’aide le plus élevé retenu ne dépasse pas 50 % du coût le moins élevé d’une plantation. Ainsi, pour la campagne viticole 2000/2001, le coût le moins élevé constaté de la reconstruction et de la reconversion étant de 15 432 euros, le plafond à ne pas dépasser se serait élevé à 7 716 euros et le taux d’indemnisation maximal aurait été fixé à 7 170 euros. Pour la campagne 2001/2002, le coût le moins élevé constaté étant de 16 743 euros, le plafond à ne pas dépasser se serait élevé à 8 371 euros et le montant d’indemnisation maximal aurait été fixé à 8 000 euros. Par conséquent, du fait du caractère forfaitaire de l’aide, la grande majorité des viticulteurs qui procèdent à une opération de restructuration ou de reconversion de leur vignoble auraient perçu des aides qui n’ont pas atteint 50 % des coûts engagés.

50      La République française ajoute que, même en partant de l’hypothèse extrême du taux maximal de 7 170 euros par hectare, en le comparant au coût de plantation du Languedoc-Roussillon, lequel a le coût de plantation le plus bas de l’ensemble des régions françaises, et pour une parcelle inférieure à 80 ares dont les tournières seraient de 25 %, le risque de dépassement du plafond de 50 % des coûts de restructuration peut être estimé à 3,2 % en moyenne et ne concerne que 10 hectares pour l’ensemble du territoire français. Par conséquent, le dépassement maximal des coûts pour l’ensemble de ce territoire serait le résultat de la formule suivante : 10 hectares x 0,032 x 7 170 euros par hectare = 2 294 euros.

51      Selon la République française, ce faible montant doit être relativisé par rapport aux aides inférieures à 50 % qui ont pu être versées dans des situations différentes. Par conséquent, elle considère que, même si cette hypothèse extrême retenue par la Commission devait être prise en considération, les conséquences financières sur le budget de la Communauté sont, en tout état de cause, inexistantes.

52      La Commission rétorque qu’il est tout à fait indifférent que le montant d’indemnisation maximal ait été fixé en dessous du coût le moins élevé d’une plantation. Selon elle, ce n’est pas parce que les autorités françaises ont minimisé le montant de l’aide forfaitaire qu’elles pouvaient, par la suite, financer des superficies non éligibles. Au soutien de ses arguments, elle invoque l’arrêt du Tribunal du 25 juillet 2006, Belgique/Commission (T‑221/04, non publié au Recueil), en faisant valoir que, dans cet arrêt, il a été jugé que tout versement irrégulier d’une aide entraînait un trop-perçu, et donc un préjudice pour le FEOGA.

53      La Commission relève que l’exemple qu’elle donnait, prouvant que pour une parcelle le taux de subvention avait été de 51,6 %, était utilisé seulement comme illustration et que, en aucun cas, les autorités françaises ne pouvaient, sur la base de cet exemple, justifier le fait qu’il n’existait pas de préjudice pour le budget communautaire. Par conséquent, la Commission considère que le calcul du préjudice indiqué dans la requête, qui se fonde sur un dépassement de 1,6 %, ne peut être pris en considération.

54      La Commission expose que, en revanche, sur la base de l’échantillon des 50 dossiers dans lesquels chaque parcelle restructurée a été mesurée une nouvelle fois par les autorités françaises à sa demande, il a été constaté qu’environ 10 % des superficies non éligibles ont bénéficié de l’aide. Il serait incontestable que cela a causé un préjudice pour le budget communautaire.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la notion de superficie éligible

55      Il convient de relever que la législation communautaire, à savoir, plus particulièrement, l’article 13 du règlement n° 1227/2000, prévoit expressément qu’il est de la compétence des États membres d’arrêter les dispositions régissant le champ d’application précis et les taux d’aide à octroyer, notamment celles prévoyant le paiement de montants forfaitaires, les niveaux maximaux de l’aide par hectare et la modulation de l’aide sur la base de critères objectifs.

56      Il résulte de la description de la méthode retenue par les autorités françaises pour le calcul de l’aide à la restructuration et à la reconversion (voir points 8 à 15 ci-dessus) que ces dernières ont mis en place un système qui répond entièrement aux critères législatifs susmentionnés. De plus, il y a lieu de relever que la législation communautaire ne définit pas la notion de « superficie éligible », ce que la Commission ne conteste pas.

57      Par conséquent, il n’existe pas de fondement légal pour interdire à la République française d’inclure les tournières dans les superficies de référence afin de déterminer les paiements. Contrairement à ce que prétend en substance la Commission, l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1493/1999 ne réglemente en aucune façon cette question.

58      Il reste donc à examiner si, ce faisant, le système français a effectivement créé un risque de préjudice pour le budget communautaire.

–       Sur le risque de dépassement du seuil du financement communautaire

59      À titre liminaire, s’agissant de la référence faite par la Commission à l’arrêt Belgique/Commission, précité (point 86), dans lequel il a été jugé que tout versement irrégulier d’une aide entraînait un trop payé, et donc un préjudice au titre du FEOGA, il y a lieu de relever que, le système d’attribution d’aides à la restructuration et à la reconversion des vignobles établi en France n’étant pas contraire à la législation communautaire conformément à ce qui a été relevé aux points 56 et 57 ci-dessus, la solution retenue dans cet arrêt ne s’applique pas en l’espèce.

60      De même, s’agissant des résultats du contrôle de l’échantillon aléatoire de 50 dossiers ayant fait l’objet d’un paiement au titre de l’exercice financier de 2001, qui démontraient que la superficie éligible incluant le pas de plantation, c’est-à-dire une largeur équivalente à la moitié de l’écartement entre pieds de vigne, ne représente en moyenne que 90 % de la superficie éligible, il y a lieu de relever que, comme il a été constaté ci-dessus, la législation communautaire n’exige pas que les États membres excluent les tournières des superficies de référence afin de déterminer les paiements. L’argument de la Commission invoquant les résultats du contrôle effectué en vue d’établir un dépassement du seuil du financement communautaire n’est donc, en soi, pas pertinent.

61      Il résulte de ce qui précède qu’une supposition automatique de l’illégalité des dépenses effectuées dans le cadre du système de paiement français étant exclue, il y a lieu d’apprécier le risque réel de dépassement du seuil de financement communautaire encouru par le FEOGA.

62      Pendant l’audience, la Commission a maintenu, principalement, que la législation communautaire envisage le financement des coûts, de sorte que les tournières, qui ne créent pas de dépenses de restructuration et de reconversion, ne sont pas éligibles au financement communautaire.

63      Concernant cet argument, il y a lieu de constater qu’il ne résulte pas du dossier de l’affaire que les parties ont examiné en détail la question de savoir si les tournières pouvaient effectivement engendrer certains coûts indemnisables par les fonds communautaires dans le cadre des opérations de restructuration et de reconversion.

64      Au surplus, dans la communication du 10 février 2003, envoyée conformément à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1663/95 aux autorités françaises (voir point 17 ci-dessus), la Commission a relevé que « [l]’analyse des coûts nécessaires aux opérations de restructuration et de reconversion du vignoble montre que l’aide forfaitaire allouée est principalement liée à la superficie effectivement porteuse de pieds de vigne ». La même constatation est faite dans la lettre du 22 juillet 2004 de la Commission, qui constitue la communication formelle au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1663/95 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 94/442/CE de la Commission, du 1er juillet 1994, relative à la création d’une procédure de conciliation dans le cadre de l’apurement des comptes du FEOGA, section « Garantie » (JO L 182, p. 45).

65      Il résulte donc des deux lettres précitées que, en adoptant la décision litigieuse, la Commission n’a pas exclu que les tournières puissent, en effet, engendrer des dépenses dans le cadre de l’exercice de restructuration et de reconversion.

66      Même si la Commission a défendu pendant l’audience une position différente, en niant que les tournières puissent engendrer des dépenses éligibles à l’aide en question, il ne peut être exclu que les coûts de la préparation du sol, dont le drainage et le terrassement, auxquels fait référence la République française, se rapportent également aux tournières. Ces travaux, et par conséquent les coûts qu’ils impliquent, peuvent être liés aux actions couvertes par le régime de restructuration et de reconversion des vignobles, au sens de l’article 11 du règlement n° 1493/1999.

67      Dès lors que ce n’est qu’au stade de l’audience que la Commission a contesté l’existence de dépenses liées aux tournières, il ne saurait être reproché à la République française de ne pas avoir présenté de preuves détaillées permettant de démontrer le contraire. Compte tenu du fait qu’il ne saurait être exclu que les tournières puissent engendrer des dépenses éligibles à l’aide à la restructuration et à la reconversion, cet argument de la Commission doit, en conséquence, être rejeté.

68      Par ailleurs, sur le plan pratique, il est peu probable que le viticulteur individuel gère son vignoble au regard des diverses fonctions des différentes parcelles. Il est bien plus probable que le montant brut des coûts encourus par le viticulteur soit divisé par le nombre d’hectares dans sa propriété. C’est donc à juste titre que la République française relève que l’exclusion des tournières pour l’octroi de l’aide ne se traduit pas nécessairement par une diminution des dépenses. En effet, le forfait de l’aide, qui est calculé par référence aux coûts de restructuration d’une parcelle d’un hectare, tournières incluses, serait dorénavant affecté à une superficie plus petite. La diminution de la superficie indemnisée serait alors compensée par l’augmentation du taux d’indemnisation.

69      Par conséquent, en préconisant une distinction stricte entre les différentes superficies du vignoble, la Commission vise à créer un concept artificiel et inutile, qui, en outre, ne découle pas de la législation communautaire applicable.

70      Par ailleurs, quant à la question de savoir si le système de paiement français présente les garanties nécessaires afin d’assurer que le seuil du financement communautaire n’est pas dépassé, il convient de relever ce qui suit.

71      Premièrement, il ressort du dossier de l’affaire que les dépenses prises en compte par la République française pour établir les montants à verser aux viticulteurs sont bien réelles, les données respectives étant collectées par des organisations régionales agricoles.

72      Deuxièmement, la République française a adopté deux mesures afin de garantir que la participation de la Communauté au financement des coûts de la restructuration et de la reconversion ne dépasse pas 50 % de ces coûts, à savoir que seuls les coûts systématiques sont retenus dans le calcul du forfait, excluant ainsi tous les coûts occasionnels encourus par les viticulteurs, et que les taux forfaitaires sont fixés en s’assurant que le taux d’aide le plus élevé retenu ne dépasse pas 50 % du coût le moins élevé d’une plantation.

73      Il convient de relever que, en adoptant la méthode du paiement forfaitaire, l’existence d’un certain écart entre les dépenses réelles et l’aide allouée est inévitable. Les tournières ne dépendent pas de la taille de la parcelle, mais de sa forme et des contraintes de culture et de passage des engins agricoles. Il en résulte que plus la parcelle est petite, plus le pourcentage de superficie non porteuse de pieds de vigne est élevé. Il est possible que le propriétaire d’un petit vignoble de forme irrégulière reçoive un montant proportionnellement plus élevé qu’un propriétaire d’un grand vignoble de forme rectangulaire et en plaine, incluant des tournières représentant 5 % ou moins de sa superficie. Néanmoins, le règlement n° 1493/1999 reconnaît expressément la légitimité des paiements forfaitaires, qui impliquent nécessairement une certaine approximation des indemnités payées aux différents viticulteurs qui se trouvent chacun dans une situation différente. Cette imprécision, qui est inévitable dans le cadre de calculs de montants forfaitaires, ne peut, en soi, être interprétée comme causant un préjudice au budget communautaire.

74      S’agissant du risque de dépassement du seuil de financement communautaire, la République française a soumis une information exhaustive qui concerne deux aspects pertinents pour la présente affaire.

75      Premièrement, les autorités françaises avaient informé l’organe de conciliation que, pour la campagne viticole 2000/2001, les taux d’aide pour les opérations de restructuration et de reconversion variaient de 1 680 euros par hectare à 7 170 euros par hectare, en fonction des critères s’appliquant au demandeur et à l’origine des droits de plantation utilisés. Le taux moyen était de 4 751 euros par hectare, soit un montant considérablement inférieur à 7 716 euros par hectare (montant correspondant à 50 % du coût d’une opération de restructuration estimée à 15 432 euros hectare). S’agissant de la campagne viticole 2001/2002, les taux d’aide variaient de 2 170 à 8 000 euros par hectare et le taux moyen s’élevait à 6 197 euros par hectare, soit un montant inférieur à 8 371 euros par hectare (montant correspondant à 50 % du coût d’une opération de restructuration estimée à 16 743 euros par hectare). Par conséquent, selon les données présentées par la République française, le montant moyen de l’aide attribuée est bien inférieur au taux maximal de 50 % prévu par le règlement n° 1493/1999.

76      Deuxièmement, les autorités françaises ont démontré que, dans un cas théorique d’application de paramètres quasi-extrêmes, c’est-à-dire du taux maximal d’aide octroyé pour la campagne 2000/2001, comparé au coût de plantation le plus bas de la région française du Languedoc-Roussillon et pour une parcelle inférieure à 80 ares dans laquelle les tournières représenteraient 25 % de sa superficie, le risque de dépassement maximal des coûts serait excessivement faible, et correspondrait à un montant de 2 294 euros pour l’ensemble du territoire français.

77      S’agissant des objections de la Commission quant à l’admissibilité de cet argument (voir point 53 ci-dessus), il convient de constater que la République française a transmis l’information concernée en réponse à un calcul présenté en tant qu’exemple par la Commission dans une note adressée à l’organe de conciliation. De plus, compte tenu du fait que les paramètres quasi-extrêmes caractérisant le système de paiement français ont été utilisés pour effectuer ce calcul, l’exemple ainsi fourni par les parties est suffisamment révélateur pour être pris en considération.

78      À titre surabondant, il y a lieu de relever que, même si cette information a été communiquée avec retard à l’organe de conciliation, la Commission était en possession de celle-ci au moment de l’adoption de la décision litigieuse. En tout état de cause, selon l’article 1er de la décision 94/442, « la position prise par l’organe de conciliation ne préjuge pas la décision définitive de la Commission ». Dès lors, la Commission était en mesure de prendre en considération cette information.

79      Il convient de constater, en outre, que la Commission elle-même admet que le dépassement du seuil de financement communautaire, s’il a eu lieu, ne concernerait qu’un ou deux cas ponctuels.

80      Enfin, comme il a déjà été démontré à suffisance de droit que le système français est conforme à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1493/1999 et à l’article 13 du règlement n° 1227/2000, les arguments soulevés par les parties concernant la prétendue assimilation des droits de plantation au régime de restructuration et de reconversion ne sont pas pertinents en vue de la résolution de la présente affaire.

81      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de considérer que le système français d’attribution d’aides à la restructuration et à la reconversion des vignobles est conforme à la législation communautaire et qu’il n’existe pas de réel risque de dépassement du seuil du financement communautaire au sens de l’article 13 du règlement n° 1493/1999.

82      En conséquence, en écartant du financement communautaire des dépenses effectuées conformément aux règles communautaires, la Commission a violé les dispositions de l’article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1258/1999.

83      Le présent moyen doit donc être accueilli.

84      Il en résulte que, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second moyen, la décision litigieuse doit être annulée.

 Sur les dépens

85      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la République française.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

déclare et arrête :

1)      La décision 2005/579/CE de la Commission, du 20 juillet 2005, écartant du financement communautaire certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie », est annulée dans la mesure où elle écarte du financement communautaire la somme de 13 519 122,05 euros, au titre d’une correction imposée à la République française portant sur la détermination des superficies éligibles à l’aide à la restructuration et à la reconversion des vignobles au titre de l’exercice 2001/2003.

2)      La Commission est condamnée aux dépens.

Czúcz

Cooke

Labucka

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 septembre 2008.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      O. Czúcz


* Langue de procédure : le français.