Language of document : ECLI:EU:C:2024:18

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 11 janvier 2024 (1)

Affaires C662/22 à C667/22

Airbnb Ireland UC (C662/22)

Expedia Inc. (C663/22)

Google Ireland Limited (C664/22)

Amazon Services Europe Sàrl (C665/22 et C667/22)

Eg Vacation Rentals Ireland Limited (C666/22)

contre

Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni

[demandes de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) 2019/1150 – Directive 2000/31/CE – Article 3 – Réglementations techniques relatives aux services de la société de l’information – Réglementation nationale imposant aux prestataires de services d’intermédiation en ligne et de moteurs de recherche en ligne l’obligation de s’inscrire à un registre des opérateurs de communications et de payer une contribution financière »






Table des matières


I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Le règlement 2019/1150

2. La directive 2015/1535

3. La directive 2000/31

4. La directive 2006/123

B. Le droit italien

1. La loi no 249/1997 et les modifications apportées à celle-ci par la loi no 178/2020 ainsi que la décision no 666/2008 et les modifications apportées à celle-ci par la décision no 200/2021 

2. La décision du président de l’AGCOM no 14/2021

3. La décision no 397/2013 et les modifications apportées à celle-ci par la décision no 161/2021

III. Les faits à l’origine des litiges au principal et les questions préjudicielles

A. Les affaires jointes C662/22 et C667/22

B. Les affaires jointes C664/22 et C666/22

C. L’affaire C663/22

D. L’affaire C665/22

IV. Les procédures devant la Cour

V. Analyse

A. Sur la recevabilité

1. Dans l’affaire C663/22

2. Dans l’affaire C665/22

B. Sur le règlement 2019/1150

1. La mise en œuvre d’un règlement

2. Le règlement 2019/1150 et son objectif

3. La collecte des informations et la mise en œuvre du règlement 2019/1150

4. Appréciation

5. Observations supplémentaires

C. Sur la libre prestation des services au regard de l’article 56 TFUE et des directives 2000/31 et 2006/123

1. Sur la directive 2000/31

a) Remarques liminaires sur les questions préjudicielles portant sur la libre prestation des services

b) Les exigences relevant du domaine coordonné

1) Exposé du problème

2) Remarques générales sur l’étendue du domaine coordonné

3) Appréciation

c) La restriction à la libre circulation des services

1) La non-applicabilité du courant jurisprudentiel relatif à l’article 56 TFUE

2) Restriction à la libre circulation des services de la société de l’information à la lumière de la jurisprudence

3) Jurisprudence relative à la libre prestation des services

d) Les conditions de fond prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31

1) La nature des mesures de dérogation

2) L’objectif des mesures nationales en cause

3) Mesure prise à l’encontre d’un service portant effectivement atteinte à l’un des objectifs visés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31 ou constituant un risque d’atteinte à ces objectifs

4) Proportionnalité

e) Conclusion liminaire

2. Sur la directive 2006/123

3. Sur l’article 56 TFUE

4. Sur l’incidence du règlement 2019/1150

5. Conclusion

D. Sur les obligations de notification préalable des mesures nationales prévues par les directives 2000/31 et 2015/1535

1. Remarques liminaires sur la pertinence des questions préjudicielles

2. Exposé du problème

3. L’obligation de notification au regard de la directive 2000/31

4. L’obligation de notification au regard de la directive 2015/1535

VI. Conclusion


I.      Introduction

1.        Les questions préjudicielles posées dans les affaires sur lesquelles portent les présentes conclusions concernent l’interprétation du règlement (UE) 2019/1150 (2) et des directives 2000/31/CE (3), 2006/123/CE (4) et (UE) 2015/1535 (5). Ces questions trouvent leur origine dans la contestation par des prestataires de services d’intermédiation en ligne et de moteurs de recherche en ligne (ci-après les « prestataires de services en ligne ») de la réglementation adoptée par la République italienne leur imposant, notamment, l’obligation de s’inscrire à un registre et de transmettre des informations relatives à leur structure et à leur situation économique.

2.        Lesdites questions donnent à la Cour l’occasion, d’une part, de se prononcer, pour la première fois, sur l’interprétation du règlement 2019/1150 et sur la marge de manœuvre dont disposent les États membres lors de sa mise en œuvre.

3.        Elles permettent à la Cour, d’autre part, de préciser si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale par laquelle un État membre applique les obligations en cause aux prestataires établis dans d’autres États membres que ceux de leur établissement. J’indique, quitte à anticiper sur mes développements ultérieurs, que l’article 3 de la directive 2000/31 établit un mécanisme qui s’oppose à l’application de ces obligations à de tels prestataires.

4.        Certes, on pourrait soutenir que le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 confère une protection particulièrement étendue aux prestataires des services de la société de l’information établis dans l’Union contre les mesures adoptées par les États membres autres que celui dans lequel ils sont établis. Toutefois, je suis d’avis que l’intention du législateur de l’Union lors de l’adoption de cette directive, qui est le fruit de son époque, était d’établir un régime de base qui protège de manière spécifique la libre circulation des services de la société de l’information au sein de l’Union.

5.        Dans cette perspective, la directive 2000/31 vise à adapter les solutions prévues par le traité aux défis portés par le développement de l’internet. En même temps, cette directive a servi de point de départ à l’évolution du droit de l’Union dans le domaine des services en ligne (6). Au besoin, le législateur peut, voire doit, intervenir et introduire des solutions harmonisées adaptées à la réalité socio-économique (7). De telles interventions ont eu lieu au cours des années (8) et le Digital Services Act (9) en est une parfaite illustration récente.

6.        Par ailleurs, la nature économique des informations que doivent fournir les prestataires de services en ligne en vertu des obligations en cause peut donner à penser que celles-ci sont utiles pour vérifier si ces prestataires respectent leurs obligations fiscales. Toutefois, le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 n’est pas applicable dans le domaine de la fiscalité (10). Du point de vue du droit de l’Union, la légalité des mesures exclues du champ d’application de cette directive devrait être examinée au regard de l’article 56 TFUE (11). Toutefois, ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement italien ne font valoir que les obligations en cause sont liées à la nécessité d’assurer l’exécution d’obligations fiscales.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement 2019/1150

7.        L’article 15 du règlement 2019/1150, intitulé « Contrôle de l’application », dispose :

« 1.      Chaque État membre veille à l’application adéquate et effective du présent règlement.

2.      Les États membres déterminent les règles établissant les mesures applicables aux infractions au présent règlement et en assurent la mise en œuvre. Les mesures prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives. »

8.        L’article 16 de ce règlement, intitulé « Contrôle », prévoit :

« La Commission [européenne], en étroite collaboration avec les États membres, surveille étroitement les effets du présent règlement sur les relations entre les services d’intermédiation en ligne et leurs entreprises utilisatrices et entre les moteurs de recherche en ligne et les utilisateurs de sites internet d’entreprise. À cette fin, la Commission recueille des informations pertinentes pour surveiller l’évolution de ces relations, y compris en réalisant les études appropriées. Les États membres aident la Commission en fournissant, sur demande, toute information pertinente recueillie, y compris à propos de cas spécifiques. Aux fins du présent article et de l’article 18, la Commission peut chercher à recueillir des informations auprès de fournisseurs de services d’intermédiation en ligne. »

2.      La directive 2015/1535

9.        L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2015/1535 dispose :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      “service”, tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

[...]

e)      “règle relative aux services”, une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services au sens du point b) et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis audit point.

[...]

f)      “règle technique”, une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 7, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.

[...] »

10.      L’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive prévoit :

« Sous réserve de l’article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. »

11.      Selon l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les articles 5 et 6 ne s’appliquent pas aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres ou aux accords volontaires par lesquels ces derniers :

a)      se conforment aux actes contraignants de l’Union qui ont pour effet l’adoption de spécifications techniques ou de règles relatives aux services ;

[...] »

3.      La directive 2000/31

12.      La directive 2000/31 définit, à son article 2, sous a), la notion de « services de la société de l’information » par renvoi à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2015/1535 (12).

13.      L’article 2, sous h), de la directive 2000/31 définit le « domaine coordonné » comme « les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux ».

14.      L’article 3 de cette directive, intitulé « Marché intérieur », est libellé comme suit :

« 1.      Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné.

2.      Les État[s] membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.

3.      Les paragraphes 1 et 2 ne sont pas applicables aux domaines visés à l’annexe.

4.      Les États membres peuvent prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures qui dérogent au paragraphe 2 si les conditions suivantes sont remplies :

a)      les mesures doivent être :

i)      nécessaires pour une des raisons suivantes :

–        l’ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l’incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine,

[...]

ii)      prises à l’encontre d’un service de la société de l’information qui porte atteinte aux objectifs visés au point i) ou qui constitue un risque sérieux et grave d’atteinte à ces objectifs ;

iii)      proportionnelles à ces objectifs ;

b)      l’État membre a préalablement et sans préjudice de la procédure judiciaire, y compris la procédure préliminaire et les actes accomplis dans le cadre d’une enquête pénale :

–        demandé à l’État membre visé au paragraphe 1 de prendre des mesures et ce dernier n’en a pas pris ou elles n’ont pas été suffisantes,

–        notifié à la Commission et à l’État membre visé au paragraphe 1 son intention de prendre de telles mesures.

5.      Les États membres peuvent, en cas d’urgence, déroger aux conditions prévues au paragraphe 4, point b). Dans ce cas, les mesures sont notifiées dans les plus brefs délais à la Commission et à l’État membre visé au paragraphe 1, en indiquant les raisons pour lesquelles l’État membre estime qu’il y a urgence.

6.      Sans préjudice de la faculté pour l’État membre de prendre et d’appliquer les mesures en question, la Commission doit examiner dans les plus brefs délais la compatibilité des mesures notifiées avec le droit communautaire ; lorsqu’elle parvient à la conclusion que la mesure est incompatible avec le droit communautaire, la Commission demande à l’État membre concerné de s’abstenir de prendre les mesures envisagées ou de mettre fin d’urgence aux mesures en question. »

4.      La directive 2006/123

15.      L’article 16 de la directive 2006/123, intitulé « Libre prestation des services », prévoit :

« 1.      Les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis.

[...]

Les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants :

a)      la non-discrimination : l’exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en raison de la nationalité ou, dans le cas de personnes morales, en raison de l’État membre dans lequel elles sont établies ;

b)      la nécessité : l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement ;

c)      la proportionnalité : l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

2.      Les États membres ne peuvent pas restreindre la libre prestation de services par un prestataire établi dans un autre État membre en imposant l’une des exigences suivantes :

[...]

b)      l’obligation pour le prestataire d’obtenir une autorisation de leurs autorités compétentes, y compris une inscription dans un registre [...] ;

[...] »

B.      Le droit italien

16.      Dans l’ordre juridique italien, les mesures visant à mettre en œuvre le règlement 2019/1150 – à savoir, en particulier, les décisions nos 14/2021 (13) et 200/2021 (14), ainsi que, vraisemblablement, la décision no 161/2021 (15) – ont été adoptées sur le fondement de l’article 1er, paragraphes 515 à 517, de la legge n. 178 – Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2021 e bilancio pluriennale per il triennio 2021-2023 (loi no 178, du 30 décembre 2020 – Budget prévisionnel de l’État pour l’exercice 2021 et budget pluriannuel pour la période triennale 2021 à 2023) (16) (ci-après la « loi no 178/2020 »), qui a modifié la legge n. 249 – « Istituzione dell'Autorita’ per le garanzie nelle comunicazioni e norme sui sistemi delle telecomunicazioni e radiotelevisivo » (loi no 249, du 31 juillet 1997, instituant l’Autorité de tutelle des communications et portant normes relatives aux systèmes des télécommunications et de la radiotélévision)(17) (ci-après la « loi no 249/1997 »), laquelle avait institué l’AGCOM

1.      La loi no 249/1997 et les modifications apportées à celle-ci par la loi no 178/2020 ainsi que la décision no 666/2008 et les modifications apportées à celle-ci par la décision no 200/2021 (18)

17.      L’article 1er, paragraphe 6, de la loi no 249/1997 a été modifié par l’article 1er, paragraphe 515, de la loi no 178/2020, qui prévoit :

« Afin de promouvoir l’équité et la transparence en faveur des entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, notamment par l’adoption de lignes directrices, la promotion de codes de conduite et la collecte d’informations pertinentes, l’article 1er de la loi [no 249/1997] est modifié comme suit :

a)      au paragraphe 6 :

[...]

2)      sous c), [...] est ajouté le [texte] suivant :

“14-bis [le conseil de l’AGCOM] veille à l’application adéquate et effective du règlement [2019/1150], notamment par l’adoption de lignes directrices, la promotion de codes de conduite et la collecte d’informations pertinentes” ;

[...] »

18.      Les dispositions de la loi no 178/2020 ont imposé certaines obligations aux prestataires de services en ligne proposant des services en Italie, même s’ils ne sont pas établis sur le territoire de cet État membre, à savoir, notamment, en premier lieu, l’obligation de s’inscrire au registro degli operatori di comunicazione (registre des opérateurs de communications, ci-après le « ROC ») et, en second lieu, l’obligation de payer une contribution annuelle à l’AGCOM.

19.      Ainsi, en premier lieu, en ce qui concerne l’obligation de s’inscrire au ROC, le 26 novembre 2008, l’AGCOM a adopté la delibera n. 666/08/CONS, Regolamento per l’organizzazione e la tenuta del [ROC] (décision no 666/08/CONS, règlement régissant l’organisation et la tenue du [ROC]) (19) (ci-après la « décision no 666/2008 »). L’article 2 de l’annexe A de la décision no 666/2008 énumère les catégories d’entités tenues de s’inscrire au ROC.

20.      Le 17 juin 2021, l’AGCOM a adopté la décision no 200/2021. Par cette décision, l’AGCOM a modifié l’annexe A de la décision no 666/2008, en incluant dans la liste des catégories d’entités tenues de s’inscrire au ROC les prestataires de services en ligne, tels que définis par le règlement 2019/1150, qui, même s’ils ne sont pas établis ou résidents sur le territoire national, fournissent ou proposent de fournir de tels services aux entreprises utilisatrices établies ou résidentes en Italie. L’AGCOM a également modifié l’annexe B de la décision no 666/2008, en étendant aux prestataires de services en ligne l’obligation de produire, lors de la présentation de leur demande d’inscription au ROC, des déclarations sur leur structure sociale et sur l’activité exercée, ainsi que l’obligation de produire des déclarations annuelles subséquentes.

21.      La décision no 666/2008 prévoit que l’inscription au ROC est soumise à des exigences en matière de procédure et de communication. Ainsi, les prestataires de services en ligne doivent, notamment, rassembler puis communiquer à l’AGCOM une série d’informations sur leur structure sociale, notifier à l’AGCOM, dans des délais stricts (30 jours), tout changement de contrôle et de propriété, voire tout transfert de 10 % ou plus (ou de 2 % dans le cas des sociétés cotées) de leurs actions (20), fournir à l’AGCOM des notifications annuelles et la tenir informée à tout moment de toute modification des informations communiquées (21). En outre, la juridiction de renvoi indique que, selon elle, il est fait interdiction aux sociétés inscrites au ROC « de percevoir, directement ou par l’intermédiaire d’autres entités qu’elles contrôlent ou auxquelles elles sont liées [...] des recettes supérieures à 20 % des recettes globales réalisées dans le système intégré des communications » (22).

22.      Les prestataires de services en ligne ne s’acquittant pas de ces obligations sont passibles de sanctions que la juridiction de renvoi qualifie d’« importantes ». Si cette juridiction ne fournit pas d’informations détaillées à cet égard, il y a lieu de relever que, dans un tel cas, les sanctions appliquées sont celles prévues à l’article 1er, paragraphes 29 à 32, de la loi no 249/1997 (23). Ces sanctions incluent des amendes et, dans certains cas, la suspension des activités du prestataire en Italie, voire des sanctions pénales. L’AGCOM peut également ordonner l’inscription d’office d’un prestataire au ROC.

23.      En second lieu, en ce qui concerne l’obligation de verser une contribution annuelle à l’AGCOM, l’article 1er, paragraphe 517, de la loi no 178/2020 prévoit, « pour couvrir le montant total des coûts administratifs occasionnés par l’exercice des fonctions de régulation, de surveillance, de règlement des litiges et de sanction conférées à l’[AGCOM] par la loi dans les matières visées au paragraphe 515 », l’ajout, à l’article 1er de la legge n. 266 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2006) (loi no 266, du 23 décembre 2005, dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances 2006) (24) (ci-après la « loi no 266/2005 »), du paragraphe suivant : « 66 bis. Dans le cadre de la première application, au titre de l’année 2021, le montant de la contribution à charge des prestataires de services en ligne visés à l’article 1er, paragraphe 6, sous a), point 5, de la loi no 249/1997 est fixé à 1,5 pour mille des recettes réalisées sur le territoire national, même si elles sont comptabilisées dans les bilans des sociétés ayant leur siège à l’étranger, et qui sont liées à la valeur de la production figurant au bilan de l’exercice précédent, ou, pour les entités qui ne sont pas tenues d’établir ce bilan, des postes équivalents d’autres écritures comptables attestant la valeur totale de la production. Pour les années suivantes, d’éventuelles variations du montant et des modalités de la contribution pourront être adoptées par l’[AGCOM] conformément au paragraphe 65, dans la limite de 2 pour mille des recettes évaluées conformément à la phrase précédente. »

2.      La décision du président de l’AGCOM no 14/2021

24.      La décision no 14/2021 (25) a précisé le montant et les modalités du versement, par les prestataires de services en ligne, de la contribution prévue à l’article 1er, paragraphe 66 bis, de la loi no 266/2005.

3.      La décision no 397/2013 et les modifications apportées à celle-ci par la décision no 161/2021 

25.      Le 25 juin 2013, l’AGCOM a adopté la delibera n. 397/13/CONS, Informativa economica di sistema (décision no 397/13/CONS, déclaration économique systématique) (ci-après la « décision no 397/2013 »). L’article 2, paragraphe 1, de cette décision énumère les catégories de personnes qui sont obligées de transmettre à l’AGCOM un document intitulé « Informativa economica di sistema » (déclaration économique systématique) (ci-après l’« IES »).

26.      Par la décision no 161/2021 (26), l’AGCOM a étendu aux prestataires de services en ligne l’obligation de lui communiquer l’IES lorsqu’ils opèrent sur le territoire italien, en invoquant la nécessité de « recueillir chaque année des informations pertinentes et de prendre les mesures visant à garantir l’application adéquate et effective du [règlement 2019/1150] » ainsi que l’« exercice des fonctions attribuées à l’[AGCOM] par la [loi no 178/2020] ».

27.      Selon cette décision, l’IES est une « déclaration annuelle que les opérateurs de communications doivent présenter et qui concerne les données personnelles et économiques relatives à l’activité exercée par les entités concernées, visant à recueillir les éléments nécessaires à l’accomplissement d’obligations légales précises, parmi lesquelles figurent la valorisation du système intégré de communications (SIC) et la vérification des seuils en matière de concentration dans le cadre de celui-ci, les analyses du marché et des éventuelles positions dominantes ou qui sont en tout cas préjudiciables au pluralisme, le rapport annuel et les enquêtes, ainsi qu’à permettre la mise à jour de la base statistique des opérateurs de communications ».

28.      En pratique, ladite décision impose aux prestataires de services en ligne l’obligation de transmettre des informations importantes et précises inhérentes à leur situation économique. À titre d’exemple, les entités qui prestent des services d’intermédiation sur un site de vente en ligne doivent indiquer les recettes totales provenant de ce site, les frais d’abonnement et les frais fixes (inscription, affiliation, souscription, etc.) au titre de l’utilisation de la plateforme de vente en ligne par des utilisateurs établis en Italie pour proposer des biens et services aux consommateurs, ainsi que les commissions fixes et variables prélevées sur les ventes (ou la part nette des ventes) réalisées via cette plateforme.

29.      Le défaut de transmission de l’IES ou la communication de données inexactes entraîne l’application des sanctions prévues à l’article 1er, paragraphes 29 et 30, de la loi no 249/1997.

III. Les faits à l’origine des litiges au principal et les questions préjudicielles

A.      Les affaires jointes C662/22 et C667/22

30.      Airbnb Ireland UC (ci-après « Airbnb »), dont le siège social se trouve en Irlande, gère le portail télématique d’intermédiation immobilière éponyme qui permet de mettre en relation, d’une part, des bailleurs disposant de lieux d’hébergement et, d’autre part, des personnes recherchant un hébergement, en percevant du client le paiement afférent à la mise à disposition du logement avant le début de la location et en transférant ce paiement au bailleur après que la location a débuté, s’il n’y a pas eu de contestation de la part du locataire.

31.      Amazon Services Europe Sàrl (ci-après « Amazon »), dont le siège social se situe au Luxembourg, gère une plateforme en ligne visant à mettre en relation des vendeurs tiers et des consommateurs afin de permettre la réalisation de transactions entre eux portant sur la vente de biens.

32.      Les modifications du cadre juridique national résultant de la loi no 178/2020 et des décisions nos 200/2021 et 14/2021 ont eu pour effet de soumettre Airbnb et Amazon, en leur qualité de prestataires de services d’intermédiation en ligne, à l’obligation de s’inscrire au ROC et de communiquer, en conséquence, une série d’informations à l’AGCOM, ainsi que de verser à cette dernière une contribution financière.

33.      Airbnb et Amazon ont chacune formé un recours auprès du Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie) tendant, notamment, à l’annulation des décisions nos 200/2021 et 14/2021. Ces sociétés font valoir que la loi no 178/2020 et ces décisions sont contraires au règlement 2019/1150 ainsi qu’aux directives 2000/31, 2006/123 et 2015/1535.

34.      À cet égard, en premier lieu, la juridiction de renvoi rappelle que, d’une part, l’article 15 du règlement 2019/1150 confie aux États membres la mission de veiller à son application « adéquate » et « effective ». En outre, les États membres déterminent les règles établissant les mesures applicables aux infractions à ce règlement et en assurent la mise en œuvre. Ces mesures doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. D’autre part, l’article 16 dudit règlement ajoute que la Commission surveille étroitement les effets de celui-ci et recueille des informations pertinentes pour surveiller l’évolution des relations entre les services d’intermédiation en ligne et leurs entreprises utilisatrices et entre les moteurs de recherche en ligne et les utilisateurs de sites Internet d’entreprise, y compris en réalisant les études appropriées.

35.      Bien que, selon le législateur national, l’obligation d’inscription au ROC constitue une mise en œuvre du règlement 2019/1150, la juridiction de renvoi observe que cette obligation vise à renseigner l’AGCOM, principalement, sur la structure de propriété et l’organisation administrative des entités qui y sont soumises, sans fournir la moindre indication quant au respect des obligations prévues par le règlement 2019/1150 ni à la transparence et à l’équité des relations avec les entreprises utilisatrices. Ce faisant, le législateur national introduit un contrôle qui est totalement différent et contraire à celui prévu pour la mise en œuvre de ce règlement et qui est inadapté à l’objectif poursuivi, puisque ce contrôle porte non pas sur le respect effectif par les prestataires de services en ligne des obligations prévues par ledit règlement pour garantir la transparence et l’équité des relations contractuelles avec les entreprises utilisatrices, mais sur des éléments subjectifs inhérents à ces prestataires.

36.      En deuxième lieu, d’une part, la juridiction de renvoi considère que les dispositions relatives à l’inscription au  ROC introduisent spécifiquement une exigence générale pour la prestation de services de la société de l’information et qu’elles auraient donc dû être communiquées à la Commission, conformément aux obligations prévues par la directive 2015/1535. D’autre part, compte tenu du fait que, selon elle, les mesures nationales en cause semblent susceptibles de restreindre la libre circulation des services d’un prestataire de la société de l’information établi dans un autre État membre, cette juridiction n’exclut pas que ces mesures auraient dû être notifiées à la Commission, conformément à l’obligation prévue à l’article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31.

37.      En troisième lieu, la juridiction de renvoi fait référence au principe de la libre prestation des services visé à l’article 56 TFUE, tel que défini par les directives 2000/31 et 2006/123, et estime que l’obligation d’inscription au ROC peut constituer une restriction injustifiée à la libre circulation des services de la société de l’information.

38.      Plus concrètement, cette juridiction note que, compte tenu des solutions prévues par la directive 2000/31 pour les services de la société de l’information, l’obligation d’inscription au ROC prévue par la loi no 178/2020 et la décision no 200/2021 ainsi que l’imposition d’une contribution financière semblent susceptibles de constituer une restriction à la libre circulation des services de la société de l’information dans la mesure où elles sont imposées par un État membre autre que celui d’établissement du prestataire.

39.      Par ailleurs, cette juridiction indique, toujours dans le contexte du principe de la libre prestation des services, que la directive 2006/123 prévoit, pour l’essentiel, que les États membres ne peuvent pas restreindre la libre prestation des services d’un prestataire établi dans un autre État membre. En faisant référence à l’arrêt Schnitzer (27), elle observe que l’imposition à un tel prestataire des obligations de s’inscrire au ROC et de verser une contribution financière est susceptible de violer ce principe, dans la mesure où ces obligations entraînent des charges financières et administratives qui peuvent entraver le fonctionnement du marché commun et retarder, compliquer ou rendre plus onéreuse la prestation des services dans l’État membre d’accueil.

40.      C’est dans ces circonstances que le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a, par ordonnances du 10 octobre 2022, parvenues au greffe de la Cour, respectivement, les 19 et 21 octobre 2022, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [règlement 2019/1150] s’oppose-t-il à une disposition nationale qui, afin de promouvoir l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, notamment par l’adoption de lignes directrices, la promotion de codes de conduite et la collecte d’informations pertinentes, impose aux [prestataires de services en ligne] une obligation d’inscription à un registre, impliquant la transmission d’informations importantes sur leur organisation et le paiement d’une contribution financière, ainsi que l’application de sanctions en cas de non-respect ?

2)      La [directive 2015/1535] impose-t-elle aux États membres de communiquer à la Commission les mesures qui font peser sur les [prestataires de services en ligne] une obligation d’inscription à un registre, impliquant la transmission d’informations importantes sur leur organisation et le paiement d’une contribution financière, ainsi que l’application de sanctions en cas de non-respect ? Dans l’affirmative, [cette] directive permet-elle à un particulier de s’opposer à l’application à son égard des mesures non notifiées à la Commission ?

3)      L’article 3 de la directive 2000/31 s’oppose-t-il à l’adoption, par des autorités nationales, de dispositions qui, afin de promouvoir l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, notamment par l’adoption de lignes directrices, la promotion de codes de conduite et la collecte d’informations pertinentes, imposent aux opérateurs établis dans un autre pays européen des charges supplémentaires de nature administrative et pécuniaire, telles que l’inscription à un registre, impliquant la transmission d’informations importantes sur leur organisation et le paiement d’une contribution financière, ainsi que l’application de sanctions en cas de non-respect ?

4)      Le principe de la libre prestation des services énoncé à l’article 56 TFUE et l’article 16 de la directive 2006/123 s’opposent-ils à l’adoption, par des autorités nationales, de dispositions qui, afin de promouvoir l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, notamment par l’adoption de lignes directrices, la promotion de codes de conduite et la collecte d’informations pertinentes, imposent aux opérateurs établis dans un autre pays européen des charges supplémentaires de nature administrative et pécuniaire, telles que l’inscription à un registre, impliquant la transmission d’informations importantes sur leur organisation et le paiement d’une contribution financière, ainsi que l’application de sanctions en cas de non-respect ?

5)      L’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31 impose-t-il aux États membres de communiquer à la Commission les mesures qui font peser sur les [prestataires de services en ligne] une obligation d’inscription à un registre, impliquant la transmission d’informations importantes sur leur organisation et le paiement d’une contribution financière, ainsi que l’application de sanctions en cas de non-respect ? Dans l’affirmative, [cette] directive permet-elle à un particulier de s’opposer à l’application à son égard des mesures non notifiées à la Commission ? »

B.      Les affaires jointes C664/22 et C666/22

41.      Google Ireland Limited (ci-après « Google »), dont le siège social se trouve en Irlande, propose des services de publicité en ligne et exploite le moteur de recherche éponyme dans tout l’Espace économique européen (EEE).

42.      Par décision du 25 juin 2019, l’AGCOM a procédé à l’inscription d’office de Google au ROC, au motif que cette entreprise était un opérateur exerçant l’activité de régie publicitaire sur le web et que, bien que son siège fût à l’étranger, elle percevait des recettes en Italie.

43.      En conséquence de cette inscription, par décision du 9 novembre 2020, l’AGCOM a imposé à Google le paiement d’une contribution financière à ses coûts de fonctionnement au titre de l’année 2020.

44.      Google a attaqué ces décisions de l’AGCOM devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium).

45.      À la suite des modifications du cadre juridique national résultant de la loi no 178/2020 et de la décision no 200/2021, adoptées par le législateur italien et par l’AGCOM, notamment en vue d’assurer le respect du règlement 2019/1150, Google a modifié ses conclusions afin de demander également l’annulation de cette décision en ce qu’elle a étendu l’obligation de s’inscrire au ROC aux prestataires de services en ligne.

46.      Eg Vacation Rentals Ireland Limited (ci-après « EGVR »), dont le siège social se trouve en Irlande, gère et exploite une plateforme en ligne ainsi que divers outils et fonctions disponibles par l’intermédiaire de cette plateforme qui permettent, d’une part, aux propriétaires et aux gestionnaires de biens immobiliers de publier des annonces concernant des biens et, d’autre part, aux voyageurs de sélectionner ces biens ainsi que d’interagir avec ces propriétaires et ces gestionnaires en vue de leur location.

47.      Les modifications du cadre juridique national mentionnées au point 45 des présentes conclusions ont eu pour effet de soumettre EGVR à l’obligation de s’inscrire au ROC et de communiquer, en conséquence, une série d’informations à l’AGCOM, ainsi que de verser à cette dernière une contribution financière. EGVR a formé un recours auprès du Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) tendant à l’annulation de la décision no 200/2021.

48.      Devant la juridiction de renvoi, Google et EGVR ont fait valoir que la loi no 178/2020 et la décision no 200/2021, en ce qu’elles leur imposent les obligations en cause, sont contraires au principe de la libre prestation des services, au règlement 2019/1150 et à plusieurs directives.

49.      À cet égard, la juridiction de renvoi fait valoir, en premier lieu, en invoquant les directives 2000/31 et 2006/123, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 37 à 39 des présentes conclusions, que la libre circulation des services que ces directives visent à assurer est susceptible d’être remise en cause par les obligations en cause dans les procédures au principal.

50.      En deuxième lieu, estimant que les dispositions relatives à l’inscription au  ROC introduisent une exigence générale pour la prestation de services de la société de l’information et semblent susceptibles de restreindre la libre circulation des services d’un prestataire de la société de l’information établi dans un autre État membre, pour les mêmes raisons que celles indiquées au point 36 des présentes conclusions, la juridiction de renvoi se demande si les obligations de notification prévues par les directives 2000/31 et 2015/1535 s’appliquent aux mesures en cause dans les affaires au principal.

51.      En troisième lieu, en présentant la même argumentation que celle figurant au point 35 des présentes conclusions, la juridiction de renvoi observe que le règlement 2019/1150 introduit un ensemble de règles afin de garantir un environnement équitable, prévisible, durable et inspirant confiance pour les opérations commerciales en ligne au sein du marché intérieur. Elle rappelle que ce règlement prévoit, à son article 15, que chaque État membre veille à l’application adéquate et effective dudit règlement et détermine les mesures applicables aux infractions à celui-ci, lesquelles mesures doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Elle note que, selon le législateur national, les obligations imposées aux requérantes au principal sont justifiées par la mission de l’AGCOM, qui est de déterminer et de collecter auprès des opérateurs du secteur de marché placé sous sa surveillance les données comptables et extracomptables jugées pertinentes pour l’exercice de ses fonctions institutionnelles. Pour la juridiction de renvoi se pose la question de savoir si cette finalité justifie l’inscription au ROC ainsi que les obligations et les interdictions qui en découlent et si les obligations et les interdictions imposées aux requérantes au principal respectent le  principe de proportionnalité.

52.      C’est dans ces circonstances que le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a, par ordonnances du 10 octobre 2022, parvenues au greffe de la Cour le 21 octobre 2022, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le droit de l’Union s’oppose-t-il à l’application de dispositions nationales telles que celles de l’article 1er, paragraphes 515 [à] 517, de la loi no 178/2020, imposant aux opérateurs établis dans un autre pays européen, mais qui opèrent en Italie, des charges supplémentaires de nature administrative et pécuniaire, telles que l’inscription à un registre spécifique et le paiement d’une contribution financière ? En particulier, une telle disposition nationale est-elle contraire à l’article 3 de la directive 2000/31 qui prévoit qu’un prestataire de services de la société de l’information [...] est soumis à la législation de l’État membre dans lequel le prestataire est établi ?

2)      Le droit de l’Union s’oppose-t-il à l’application de dispositions nationales telles que celles de l’article 1er, paragraphes 515 [à] 517, de la loi no 178/2020, imposant aux opérateurs établis dans un autre pays européen, des charges supplémentaires de nature administrative et pécuniaire ? En particulier, le principe de libre prestation des services prévu à l’article 56 [TFUE] ainsi que les principes analogues résultant des directives 2006/123 et 2000/31 s’opposent-ils à une mesure nationale imposant aux intermédiaires opérant en Italie, mais qui n’y sont pas établis, l’inscription à un registre entraînant des charges supplémentaires par rapport à celles qui sont prévues dans leur pays d’origine pour l’exercice de la même activité ?

3)      Le droit de l’Union, et en particulier la directive 2015/1535, imposait-il à l’État italien de communiquer à la Commission l’introduction de l’obligation d’inscription au ROC, mise à la charge des [prestataires de services en ligne] ? En particulier, l’article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31 doit-il être interprété en ce sens qu’un particulier, établi dans un État membre autre que l’Italie, peut s’opposer à l’application à son égard des mesures adoptées par le législateur italien (à l’article 1er, paragraphes 515 [à] 517, de la loi no 178/2020), qui sont susceptibles de restreindre la libre circulation d’un service de la société de l’information, dès lors que ces mesures n’ont pas été notifiées conformément à cette disposition ?

4)      Le règlement 2019/1150, et en particulier son article 15, ainsi que le principe de proportionnalité s’opposent-ils à une réglementation d’un État membre ou à une mesure adoptée par une autorité nationale indépendante qui impose aux prestataires de services d’intermédiation en ligne opérant dans un État membre une obligation d’inscription au ROC, suivie d’une série d’obligations formelles et procédurales, d’obligations de contribution et d’interdictions de réaliser des bénéfices dépassant un certain montant ? »

C.      L’affaire C663/22

53.      Expedia Inc. est une société ayant son siège à Seattle (États-Unis d’Amérique) qui gère des plateformes informatiques permettant de prester des services de réservation d’hébergements et de voyages en ligne.

54.      Par la décision no 161/2021, l’AGCOM a étendu aux prestataires de services d’intermédiation en ligne – catégorie dont Expedia relève incontestablement, selon la demande de décision préjudicielle – l’obligation de lui communiquer l’IES lorsqu’ils opèrent sur le territoire italien.

55.      Cette décision a été expressément adoptée dans l’exercice de la fonction conférée à l’AGCOM à l’article 1er, paragraphe 6, sous c), point 14 bis, de la loi no 249/1997, consistant à garantir l’application adéquate et effective du règlement 2019/1150, notamment par la collecte annuelle d’informations pertinentes.

56.      Expedia a formé un recours auprès du Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) tendant à l’annulation de la décision no 161/2021. Cette société fait valoir que le règlement 2019/1150 ne prévoit pas sa mise en œuvre par la décision no 161/2021. Dans la mesure où ce règlement introduit une mesure d’harmonisation inspirée du principe de proportionnalité, il ne permettrait pas un alourdissement des exigences procédurales imposées aux opérateurs, qu’ils soient établis au sein de l’Union ou non.

57.      La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la compatibilité de l’obligation de transmission de l’IES prévue par la réglementation nationale avec le règlement 2019/1150.

58.      En faisant référence aux articles 15 et 16 du règlement 2019/1150, cette juridiction observe que l’IES, qui a été étendue aux prestataires de services en ligne précisément dans le but de recueillir chaque année des informations pertinentes et de prendre les mesures visant à garantir l’application adéquate et effective de ce règlement, implique la transmission d’informations portant principalement sur les recettes de ces prestataires. Or, ces informations ne comportent pas la moindre indication quant au respect des obligations prévues par ledit règlement ni quant à la transparence et à l’équité des relations entre les prestataires et les entreprises utilisatrices. L’ordre juridique interne semble ainsi introduire un contrôle qui est totalement différent et contraire à celui prévu pour la mise en œuvre du même règlement et qui est inadapté à l’objectif poursuivi, dans la mesure où ce contrôle porte non pas sur le respect effectif par lesdits prestataires des obligations prévues par le règlement 2019/1150 pour garantir la transparence et l’équité des relations contractuelles avec les entreprises utilisatrices, mais sur leur situation économique.

59.      C’est dans ces circonstances que le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a, par ordonnance du 10 octobre 2022, parvenue au greffe de la Cour le 19 octobre 2022, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [règlement 2019/1150] et, en particulier, son article 15, ainsi que le principe de proportionnalité s’opposent-ils à une réglementation d’un État membre ou à une mesure adoptée par une autorité nationale indépendante – telles que celles exposées dans la partie consacrée aux motifs – qui oblige les [prestataires] de services d’intermédiation en ligne établis à l’étranger à présenter une déclaration contenant des informations étrangères aux objectifs [de ce] règlement ?

2)      En tout état de cause, les informations demandées par le biais de la transmission de [l’IES] peuvent-elles être considérées comme pertinentes et utiles à la mise en œuvre adéquate et effective du [règlement 2019/1150] ? »

D.      L’affaire C665/22

60.      Amazon gère une plateforme en ligne visant à mettre en relation des vendeurs tiers et des consommateurs afin de permettre la réalisation de transactions entre eux portant sur la vente de biens.

61.      Les modifications du cadre juridique national résultant de la loi no 178/2020 et de la décision no 161/2021, adoptées, respectivement, par le législateur italien et par l’AGCOM, notamment en vue d’assurer le respect du règlement 2019/1150, ont eu pour effet de soumettre Amazon, en sa qualité de prestataire de services d’intermédiation en ligne, à l’obligation de transmettre l’IES à l’AGCOM.

62.      Amazon a formé un recours auprès du Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) tendant, notamment, à l’annulation de la décision no 161/2021. Devant la juridiction de renvoi, Amazon a fait valoir que la décision no 161/2021, en ce qu’elle lui impose l’obligation de transmettre l’IES à l’AGCOM, est contraire au principe de la libre prestation des services, au règlement 2019/1150 et à plusieurs directives.

63.      Les requérantes dans les affaires C‑663/22 et C‑665/22 demandent l’annulation de la décision no 161/2021. Il y a lieu de relever que, à la différence de la requérante dans la première affaire, celle dans la seconde affaire est établie dans un État membre et fait valoir que cette décision est contraire non seulement au règlement 2019/1150, mais également au principe de la libre prestation des services et à plusieurs directives.

64.      À cet égard, en premier lieu, en ce qui concerne le règlement 2019/1150 et son interprétation, la juridiction de renvoi émet des doutes semblables à ceux qu’elle soulève dans l’affaire C‑663/22 (28).

65.      En deuxième lieu, en ce qui concerne le principe de la libre circulation des services de la société de l’information, cette juridiction considère que l’obligation de communiquer l’IES à l’AGCOM prévue par la décision no 161/2021 peut constituer, à la lumière de la directive 2000/31, une restriction allant à l’encontre de ce principe. Elle ajoute qu’il ne semble pas que soient remplies les conditions, énoncées à l’article 3, paragraphe 4, de cette directive, qui permettent à l’État membre d’introduire des limitations, y compris au regard du principe de proportionnalité. Ainsi, selon elle, même en considérant que la communication de l’IES à l’AGCOM a été prévue dans le cadre de la mise en œuvre du règlement 2019/1150 et, donc, pour protéger indirectement les consommateurs, la demande d’informations relatives aux recettes est tout à fait disproportionnée à l’objectif poursuivi, dans la mesure où ces informations ne concernent pas la mise en œuvre de ce règlement ni le respect des obligations qu’il prévoit.

66.      Par ailleurs, s’agissant dudit principe, la juridiction de renvoi fait valoir que, indépendamment de l’applicabilité de la directive 2000/31, la directive 2006/123, plus générale, dispose, à son article 16, paragraphe 1, que les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis et ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes  énoncés à cette disposition.

67.      En troisième lieu, la juridiction de renvoi considère, d’une part, que, compte tenu des obligations des États membres prévues par la directive 2015/1535, les dispositions relatives à la transmission de l’IES introduisent une exigence générale pour la prestation de services de la société de l’information et auraient donc dû être communiquées à la Commission. Elle fait valoir que la décision no 161/2021 vise principalement à réglementer les services de la société de l’information et, en particulier, les services d’intermédiation en ligne et les moteurs de recherche en ligne. D’autre part, cette juridiction relève que l’article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31 prévoit que l’intention de prendre des mesures constituant des restrictions à la libre circulation des services de la société de l’information doit être notifiée à la Commission et à l’État membre où l’entreprise est établie.

68.      C’est dans ces circonstances que le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a, par ordonnance du 10 octobre 2022, parvenue au greffe de la Cour le 21 octobre 2022, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le règlement 2019/1150 s’oppose-t-il à une disposition nationale qui, dans le but spécifique de garantir la mise en œuvre adéquate et effective de ce [...] règlement, notamment par la collecte d’informations pertinentes, impose aux [prestataires de services en ligne] une obligation de transmettre périodiquement des informations importantes sur leurs recettes ?

2)      Aux termes du règlement 2019/1150, les informations à fournir dans [l’IES], qui portent principalement sur les recettes réalisées, peuvent-elles être considérées comme pertinentes et utiles à la réalisation de l’objectif poursuivi par ce règlement ?

3)      La directive 2015/1535 impose-t-elle aux États membres de communiquer à la Commission les mesures qui font peser sur les [prestataires de services en ligne] une obligation de transmettre une déclaration contenant des informations importantes sur leurs recettes, dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires ? Dans l’affirmative, cette directive permet-elle à un particulier de s’opposer à l’application à son égard des mesures non notifiées à la Commission ?

4)      L’article 3 de la directive 2000/31 s’oppose-t-il à l’adoption, par des autorités nationales, de dispositions qui, dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre du règlement 2019/1150, imposent aux opérateurs établis dans un autre pays européen, mais qui opèrent en Italie, des charges supplémentaires de nature administrative et pécuniaire, telles que l’obligation de transmettre une déclaration contenant des informations importantes sur leurs recettes, dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires ?

5.      Le principe de la libre prestation des services énoncé à l’article 56 TFUE, à l’article 16 de la directive 2006/123 et dans la [directive] 2000/31 s’oppose-t-il à l’adoption, par des autorités nationales, de dispositions qui, dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre du règlement 2019/1150, imposent à des opérateurs établis dans un autre pays européen des charges supplémentaires de nature administrative et pécuniaire, telles que l’obligation de transmettre une déclaration contenant des informations importantes sur leurs recettes, dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires ?

6)      L’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31 impose-t-il aux États membres de communiquer à la Commission les mesures qui font peser sur les [prestataires de services en ligne] une obligation de transmettre une déclaration contenant des informations importantes sur leurs recettes, dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires ? Dans l’affirmative, cette directive permet-elle à un particulier de s’opposer à l’application à son égard des mesures non notifiées à la Commission ? »

IV.    Les procédures devant la Cour

69.      Des observations écrites ont été déposées dans toutes les affaires par les requérantes au principal et par les gouvernements italien, tchèque et irlandais ainsi que par la Commission. Il n’a pas été tenu d’audience dans ces affaires.

70.      Par décisions du président de la Cour du 7 décembre 2022, les affaires C‑662/22 et C‑667/22, d’une part, et les affaires C‑664/22 et C‑666/22, d’autre part, ont été jointes aux fins de la phase écrite et de la phase orale de la procédure ainsi que de l’arrêt. Les affaires C‑663/22 et C‑665/22 n’ont pas fait l’objet d’une décision similaire.

71.      Conformément à la demande de la Cour et compte tenu des points communs existant entre ces affaires, il est apparu opportun de présenter des conclusions communes à leur sujet.

V.      Analyse

72.      Les présentes affaires trouvent leur origine dans les demandes d’annulation, présentées par les requérantes au principal, de mesures nationales leur imposant certaines obligations. En substance, les obligations en cause dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22 et dans les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22 concernent l’inscription au ROC, qui implique la transmission d’informations importantes sur la structure des prestataires concernés (29) et le paiement d’une contribution annuelle à l’AGCOM, tandis que celles en cause dans les affaires C‑663/22 et C‑665/22 concernent la communication de l’IES. Ces obligations sont imposées par la réglementation nationale qui, à tout le moins en partie, est pertinente pour toutes ces affaires (30).

73.      Par ailleurs, la plupart des questions préjudicielles soumises à la Cour dans les présentes affaires se résument, en substance, en trois questions interdépendantes.

74.      La première est de savoir si le règlement 2019/1150 s’oppose à des mesures nationales par lesquelles le législateur d’un État membre impose, dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre de ce règlement, certaines obligations aux prestataires de services en ligne (titre B).

75.      La deuxième est de savoir si, au regard du principe de la libre circulation des services énoncé à l’article 56 TFUE, ainsi que des directives 2000/31 et 2006/123, les obligations en cause dans toutes ces affaires peuvent être imposées à un prestataire de services en ligne établi dans un État membre autre que celui ayant prévu ces obligations (titre C).

76.      La troisième est de savoir si des mesures nationales introduisant les obligations en cause auraient dû être notifiées à la Commission, conformément aux obligations énoncées par les directives 2000/31 et 2015/1535 (titre D).

77.      Je précise que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑663/22 concerne uniquement la première de ces trois questions. En effet, la requérante au principal dans cette affaire n’est pas établie dans un État membre et je tends à penser que c’est la raison pour laquelle les questions posées par la juridiction de renvoi concernent uniquement le règlement 2019/1150. En effet, les mécanismes de l’article 56 TFUE ainsi que des directives 2000/31 et 2006/123 relatifs à la libre circulation des services ne sont pas applicables aux prestataires établis dans un État tiers à l’Union (31). La juridiction de renvoi ne pose pas non plus de question sur la directive 2015/1535.

78.      Avant d’analyser ces trois questions, il convient de se pencher sur la recevabilité des questions préjudicielles dans les affaires C‑663/22 et C‑665/22 (titre A).

A.      Sur la recevabilité

1.      Dans l’affaire C663/22

79.      Le gouvernement italien met en question la recevabilité des questions préjudicielles dans l’affaire C‑663/22. En effet, selon ce gouvernement, les deux questions posées sont contradictoires en ce que la juridiction de renvoi, d’une part, affirme, sans en expliquer les raisons, que l’obligation de transmettre l’IES à l’AGCOM est sans lien avec la mise en œuvre du règlement 2019/1150 et, d’autre part, demande à la Cour d’examiner la pertinence et l’utilité des informations à fournir dans l’IES au regard de l’objectif de ce règlement, ce qui impliquerait d’effectuer des appréciations factuelles, lesquelles relèvent non pas du ressort de la Cour mais de celui de la juridiction de renvoi.

80.      À cet égard, en premier lieu, je comprends la position du gouvernement italien en ce sens que la contradiction qu’il relève résulte du fait que la juridiction de renvoi, d’une part, indique que les informations contenues dans une IES sont « étrangères aux objectifs du règlement 2019/1150 » (première question préjudicielle) et, d’autre part, cherche à savoir si ces informations peuvent être pertinentes et utiles à la mise en œuvre « adéquate et effective » de ce règlement (seconde question préjudicielle), ce que la Cour devrait déterminer sur la base de ses propres appréciations factuelles.

81.      Certes, on pourrait lire la seconde question préjudicielle en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si, indépendamment de la réponse à donner à la première question, la décision no 161/2021 relève des compétences de l’AGCOM. En effet, dans les motifs de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi relève que la loi no 178/2020 attribue à l’AGCOM exclusivement la fonction de veiller à la mise en œuvre adéquate et effective du règlement 2019/1150. Toutefois, la même terminologie est utilisée à l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement, invoqué dans la première question, selon lequel chaque État membre veille à l’application adéquate et effective dudit règlement. À supposer même que la contradiction en cause existe, on peut arguer qu’elle trouve son origine dans les doutes qu’éprouve la juridiction de renvoi quant à l’interprétation correcte du même règlement.

82.      Dans ces circonstances, je propose d’analyser ensemble les deux questions préjudicielles du seul point de vue pertinent en droit de l’Union, à savoir celui du règlement 2019/1150, en examinant si ce règlement s’oppose à des mesures telles que celles résultant de la loi no 178/2020. Dans ce cas, la contradiction relevée par le gouvernement italien ne se présente pas et, en tout état de cause, ne saurait conduire à l’irrecevabilité des questions préjudicielles.

83.      En second lieu, en ce qui concerne la considération du gouvernement italien selon laquelle la formulation des questions préjudicielles invite la Cour à effectuer des appréciations factuelles, il y a lieu d’observer que, si la Cour ne saurait interpréter les règles du droit interne d’un État membre, elle peut donner à la juridiction de renvoi les clarifications requises quant aux dispositions du droit de l’Union susceptibles de s’opposer à ces règles.

2.      Dans l’affaire C665/22

84.      Le gouvernement italien fait valoir que la deuxième question préjudicielle dans l’affaire C‑665/22 est irrecevable au motif que, par celle-ci, la juridiction de renvoi inviterait la Cour à se prononcer sur l’utilité des obligations en cause pour l’application correcte du règlement 2019/1150. Or, selon ce gouvernement, cet exercice d’interprétation, parce qu’il implique des constatations de fait, relèverait de la compétence de la juridiction nationale, qui omet totalement d’expliquer pourquoi la demande d’informations devrait être considérée comme non pertinente et non utile.

85.      À cet égard, il y a certes lieu d’observer que la Cour ne saurait interpréter les règles du droit interne d’un État membre. Toutefois, comme je l’ai rappelé au point 83 des présentes conclusions, elle peut donner à la juridiction de renvoi les clarifications requises quant aux dispositions du droit de l’Union susceptibles de s’opposer à ces règles.

86.      Il s’ensuit que les questions préjudicielles dans l’affaire C‑663/22 et la deuxième question préjudicielle dans l’affaire C‑665/22 sont recevables.

B.      Sur le règlement 2019/1150

87.      Plusieurs des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi dans les présentes affaires concernent le règlement 2019/1150 (32).

88.      Bien qu’elles ne soient pas formulées de manière identique et ne portent pas sur les mêmes mesures nationales, les questions concernées portent sur le point de savoir, en substance, si le règlement 2019/1150 s’oppose à des mesures nationales adoptées dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre de ce règlement.

89.      Plus concrètement, les obligations en cause dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22 et les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22, à savoir celles relatives à l’inscription au ROC et au paiement d’une contribution annuelle à l’AGCOM, ont été étendues aux prestataires de services en ligne au motif de la mise en œuvre du règlement 2019/1150, « afin de promouvoir l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne » (33). De même, l’obligation en cause dans les affaires C‑663/22 et C‑665/22, à savoir celle de transmettre l’IES à l’AGCOM (aux autorités italiennes), a été imposée aux prestataires de services en ligne dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre du règlement 2019/1150 (34).

90.      Certes, compte tenu des autres questions posées à la Cour dans les présentes affaires, il est opportun de se demander avant tout si les dispositions visant à mettre en œuvre le règlement 2019/1150 priment sur les mécanismes retenus par les directives 2000/31 et 2006/123 en ce qui concerne la libre circulation des services ainsi que sur ceux retenus par cette première directive et la directive 2015/1535 en ce qui concerne les obligations de notification prévues par ces dernières. En effet, ces trois directives sont susceptibles d’empêcher un État membre d’imposer ses propres règles aux prestataires de services établis dans un autre État membre. Dès lors, si, d’une part, les mesures nationales en cause dans les procédures au principal tombent dans le champ d’application de l’une desdites directives et que celle-ci empêche un État membre d’imposer ces mesures à un prestataire établi dans un État membre et si, d’autre part, les mêmes directives ne prévoient pas d’exception pour le règlement 2019/1150 et les mesures nationales le mettant en œuvre, il importe peu que les obligations en cause dans les procédures au principal résultent ou non des mesures d’application de ce règlement.

91.      Toutefois, les directives 2000/31 et 2006/123 ne semblent pas être applicables dans l’affaire C‑663/22 (35), de sorte que la juridiction de renvoi, pour statuer dans la procédure au principal dans cette affaire, ne doit appliquer que le règlement 2019/1150. En effet, ce règlement s’applique également aux prestataires de services d’intermédiation en ligne établis dans un État tiers, pour autant que leurs utilisateurs professionnels soient établis dans l’Union et proposent leurs biens ou services à des consommateurs situés dans l’Union (36).

92.      Dans ces conditions, premièrement, en ce qui concerne les affaires autres que l’affaire C‑663/22, la question est avant tout de savoir si les instruments du droit de l’Union relatifs à la libre circulation des services, tels que, notamment, la directive 2000/31, ou ceux relatifs à l’obligation de notification, tels que, notamment, la directive 2015/1535, empêchent un État membre d’imposer des obligations telles que celles en cause au principal à un prestataire établi dans un autre État membre. Deuxièmement, dans l’affirmative, il conviendrait de se pencher sur la question de savoir si ces directives réservent un traitement différent aux mesures d’application du règlement 2019/1150. Si cette dernière question appelle une réponse négative, il n’y aurait pas lieu de se demander si les obligations en cause dans toutes les affaires résultent des mesures d’application de ce règlement. J’analyserai ces questions dans les parties des présentes conclusions consacrées, respectivement, à la libre circulation des services (titre C) et aux obligations de notification (titre D).

93.      En ce qui concerne l’affaire C‑663/22, la question est de savoir si le règlement 2019/1150 et, notamment, ses articles 15 et 16 doivent être interprétés en ce sens qu’ils justifient l’adoption d’une réglementation nationale qui impose aux prestataires de services en ligne l’obligation de présenter périodiquement une déclaration contenant des informations sur leur situation économique et qui prévoit l’application de sanctions en cas de manquement. La présente première partie de ces conclusions (titre B) est consacrée à cette question.

1.      La mise en œuvre d’un règlement

94.      Il y a lieu de rappeler qu’un règlement est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tout État membre, de telle sorte que ses dispositions ne requièrent, en principe, aucune mesure d’application des États membres. Néanmoins, certaines de ses dispositions peuvent nécessiter, pour leur mise en œuvre, l’adoption de telles mesures (37). Un État membre peut donc adopter des mesures nationales d’application d’un règlement alors même que celui-ci ne l’y habilite pas expressément (38).

95.      C’est en se référant aux dispositions pertinentes du règlement en cause, interprétées à la lumière des objectifs de celui-ci, qu’il convient de déterminer si celles-ci interdisent, imposent ou permettent aux États membres d’arrêter certaines mesures d’application et, notamment, dans cette dernière hypothèse, si la mesure concernée s’inscrit dans le cadre de la marge d’appréciation reconnue à chaque État membre (39).

96.      Par les mesures d’application, les États membres ne peuvent pas entraver l’applicabilité directe d’un règlement, dissimuler sa nature d’acte de droit de l’Union ou dépasser les limites de ses dispositions (40). Lorsque la mise en œuvre d’un règlement incombe aux autorités nationales, le recours aux règles nationales n’est possible que dans la mesure nécessaire à l’application correcte de ce règlement et pour autant que cela ne porte atteinte ni à sa portée ni à son efficacité (41).

97.      À l’occasion d’une telle mise en œuvre, les États membres se trouvent tenus d’assurer le respect des principes généraux du droit de l’Union (42), tels que, notamment, le principe de proportionnalité. En effet, ce principe, qui s’impose notamment aux autorités législatives et réglementaires des États membres lorsqu’elles appliquent le droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition soient propres à réaliser l’objectif visé par la réglementation de l’Union en cause et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

98.      C’est à la lumière de ces observations qu’il convient, dans un premier temps, d’examiner l’objectif du règlement 2019/1150 et d’en identifier les dispositions pertinentes pour sa mise en œuvre par les États membres et, sur cette base, dans un second temps, de fournir à la juridiction de renvoi des indications plus précises lui permettant de vérifier si les mesures par lesquelles le législateur national a imposé les obligations en cause constituent effectivement des mesures d’application de ce règlement et sont propres et nécessaires à la réalisation de l’objectif visé.

2.      Le règlement 2019/1150 et son objectif

99.      L’objectif du règlement 2019/1150 est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur par la mise en place d’un environnement équitable, prévisible, durable et inspirant confiance pour l’activité économique en ligne au sein du marché intérieur (43). À cette fin, ce règlement fixe les règles régissant les relations entre, d’une part, les prestataires de services en ligne et, d’autre part, les entreprises utilisatrices de ces services ainsi que les utilisateurs de sites Internet d’entreprise en relation avec des moteurs de recherche en ligne, afin que lesdits services soient prestés de manière transparente et équitable et que de tels utilisateurs professionnels puissent ainsi avoir confiance dans les mêmes services (44).

100. Plus concrètement, le règlement 2019/1150 établit des obligations ciblées en ce qui concerne le contenu des conditions générales et leur modification (article 3), la restriction, la suspension et la résiliation d’un service (article 4), la transparence des classements (article 5), les biens et services accessoires (article 6), le traitement différencié (article 7), les clauses contractuelles particulières abusives (article 8), l’accès aux données (article 9) et les plaintes et la médiation (articles 11 à 14).

101. La majorité de ces obligations concerne les prestataires de services d’intermédiation. Les prestataires de moteurs de recherche en ligne ne sont visés que par les dispositions du règlement 2019/1150 relatives au classement (article 5), au traitement différencié (article 7) et aux procédures judiciaires relatives aux actions portant sur des manquements aux exigences prévues par ce règlement (article 14).

102. À cet égard, selon les informations contenues dans les demandes de décisions préjudicielles, seule la requérante au principal dans l’affaire C‑664/22, à savoir Google, semble relever de la catégorie des prestataires de moteurs de recherche en ligne. Cela étant, la juridiction de renvoi ne semble pas accorder d’importance particulière à la distinction qu’opère le règlement 2019/1150 entre les prestataires de services d’intermédiation en ligne et les prestataires de moteurs de recherche en ligne. Cela peut s’expliquer par le fait que la réglementation nationale en cause semble imposer des obligations identiques, ou à tout le moins analogues, à ces deux catégories de prestataires. Plus important encore, dans le contexte des présentes affaires, les enjeux juridiques soulevés par les interactions entre cette réglementation nationale et le droit de l’Union sont en tout état de cause identiques.

103. S’agissant des dispositions du règlement 2019/1150 pertinentes pour sa mise en œuvre par les États membres, la juridiction de renvoi attire à juste titre l’attention de la Cour sur les articles 15 et 16 de celui-ci.

104. En effet, dans un premier temps, l’article 16 du règlement 2019/1150, intitulé « Contrôle » (« Überwachung » en langue allemande, « Monitoring » en langue anglaise, « Monitoraggio » en langue italienne et « Monitorowanie » en langue polonaise), lu en combinaison avec l’article 18 de celui-ci, répartit les rôles entre la Commission et les États membres en ce qui concerne la surveillance des effets de ce règlement et son réexamen.

105. S’agissant de la Commission, elle est chargée des tâches de suivi et de réexamen. En effet, cette institution, en étroite collaboration avec les États membres, surveille étroitement les effets du règlement 2019/1150 sur les relations entre les services d’intermédiation en ligne et leurs entreprises utilisatrices et entre les moteurs de recherche en ligne et les utilisateurs de sites Internet d’entreprise (45). En outre, la Commission devrait également réexaminer périodiquement ce règlement et surveiller de près son incidence sur l’économie des plateformes en ligne (46).

106. Plus concrètement, la Commission recueille des informations pertinentes pour surveiller l’évolution de ces relations (47). Cette institution peut chercher à recueillir de telles informations ainsi que celles nécessaires pour effectuer un réexamen du règlement 2019/1150 auprès des prestataires de services en ligne (48).

107. S’agissant des États membres, leur rôle consiste à « aide[r] la Commission [dans ses tâches de suivi] en fournissant, sur demande, toute information pertinente recueillie, y compris à propos de cas spécifiques » (49). Le rôle des États membres ainsi défini fait écho au considérant 47, deuxième phrase, du règlement 2019/1150, qui énonce que « [l]es États membres devraient quant à eux communiquer, sur demande, toutes les informations pertinentes dont ils disposent à cet égard à la Commission ». Une formulation similaire est employée à l’article 18, paragraphe 3, de ce règlement, qui prévoit que les États membres communiquent toutes les informations pertinentes « dont ils disposent » que la Commission pourrait solliciter aux fins de sa tâche de réexamen.

108. Dans un second temps, l’article 15 du règlement 2019/1150, intitulé « Contrôle de l’application » (« Durchsetzung » en langue allemande, « Enforcement » en langue anglaise, « Applicazione » en langue italienne et « Egzekwowanie » en langue polonaise), lu à la lumière du considérant 46 de celui-ci (50), prévoit, à son paragraphe 1, que les États membres sont tenus de veiller à l’application adéquate et effective de ce règlement et, à son paragraphe 2, que les États membres déterminent les règles établissant les mesures (effectives, proportionnées et dissuasives) applicables aux infractions audit règlement et en assurent la mise en œuvre. Ainsi, la mission consistant à surveiller et à réexaminer le règlement 2019/1150 est principalement confiée à la Commission, et celle consistant à veiller à l’application adéquate et effective de ce règlement est confiée aux États membres.

109. Ce faisant, les États membres, d’une part, ont « la possibilité de confier le contrôle de l’application du [règlement 2019/1150] à des autorités existantes, y compris à des juridictions » et, d’autre part, ne sont pas obligés de prévoir « une application d’office ni [d’]infliger des amendes » (51).

110. Indépendamment des droits des entreprises utilisatrices et des utilisateurs de sites Internet d’entreprise d’engager toute action devant les juridictions nationales compétentes, conformément aux règles du droit de l’État membre, dans le but de remédier à tout manquement aux exigences applicables du règlement 2019/1150 (52), afin de garantir l’application efficace de ce règlement, les organisations, les associations représentant les entreprises utilisatrices et les utilisateurs de sites Internet d’entreprise, ainsi que, éventuellement, certains organismes publics établis dans les États membres (53), devraient avoir la possibilité de saisir les juridictions nationales, conformément au droit national, des actions en cessation ou en interdiction des infractions aux règles dudit règlement (54). Chaque État membre doit collecter les informations relatives à ces organismes et les communiquer à la Commission (55).

111. Pour renforcer l’efficacité des mécanismes mis en place, les États membres peuvent confier aux organismes publics compétents ou aux autorités compétentes la création de registres d’actes illicites ayant fait l’objet d’injonctions de cessation devant les juridictions nationales (56).

112. Il s’ensuit que le règlement 2019/1150 ne préjuge pas de manière catégorique du mécanisme par lequel sa mise en œuvre doit être assurée par les États membres, qui peuvent opter pour le mécanisme de mise en œuvre par la sphère privée (private enforcement) (57) et le compléter par celui reposant sur l’action des autorités publiques (public enforcement).

3.      La collecte des informations et la mise en œuvre du règlement 2019/1150

113. Dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre d’un acte du droit de l’Union, tel que le règlement 2019/1150, un État membre ne peut recueillir que des informations concernant les obligations qui lui sont imposées par ce règlement et les objectifs de celui-ci. En effet, comme il ressort des points 96 et 97 des présentes conclusions, les mesures d’application d’un règlement dont la mise en œuvre incombe aux autorités nationales d’un État membre doivent être propres (adéquates) et nécessaires (n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire) à réaliser l’objectif visé par la réglementation de l’Union.

114. Le règlement 2019/1150 mentionne, à ses articles 16 et 18, que les États membres sont susceptibles de « disposer » de certaines informations pertinentes pour la surveillance des effets de ce règlement et son réexamen. Toutefois, un État membre ne saurait collecter des informations choisies de manière arbitraire au motif qu’elles pourraient être demandées ultérieurement par la Commission dans l’exercice de sa mission de suivi et de réexamen. En effet, collecter des informations sous un tel prétexte permettrait à un État membre de contourner les exigences mentionnées au point précédent. Par ailleurs, ledit règlement n’impose pas d’obligation active aux États membres de collecter les informations dont la Commission pourrait avoir besoin pour mener ses tâches. De telles informations ne sont présentées que « sur demande » de cette institution. D’ailleurs, la Commission peut chercher à recueillir des informations auprès des prestataires de services d’intermédiation en ligne.

115. En revanche, un État membre peut disposer de certaines informations recueillies dans le cadre de l’exercice de son obligation de mise en œuvre du règlement 2019/1150.

116. En effet, si, pour s’acquitter de l’obligation que lui impose l’article 15 du règlement 2019/1150, un État membre a opté également pour un mécanisme de mise en œuvre de ce règlement par la sphère publique, il doit être en mesure de fournir à l’autorité chargée de cette mission les informations lui permettant de prévenir ou de sanctionner les violations des obligations que ledit règlement fait peser sur les prestataires de services en ligne ou, à tout le moins, d’identifier de telles violations et, éventuellement, de les enregistrer.

117. Dans le prolongement de ce raisonnement, dans la mesure où tout État membre est tenu de prévoir un mécanisme de mise en œuvre adéquate et effective du règlement 2019/1150 (par la sphère privée ou également par la sphère publique), ainsi que, le cas échéant, de modifier ou d’aménager le mécanisme existant, compte tenu de l’évolution de la situation sur le marché, chaque État membre devrait avoir la possibilité de recueillir les informations nécessaires à ces fins auprès des opérateurs économiques actifs sur son territoire.

118. À titre d’illustration, dans les deux cas de figure visés aux points 116 et 117 des présentes conclusions, de telles informations peuvent concerner les conditions sous lesquelles les acteurs économiques prestent leurs services (pertinentes pour identifier et, le cas échéant, pour poursuivre les violations du règlement 2019/1150 et évaluer l’ampleur du risque associé à ces violations) ainsi que la taille du marché et le nombre d’acteurs économiques qui y sont actifs (en particulier, pour déterminer les ressources nécessaires à la mise en œuvre du mécanisme d’application de ce règlement). Par ailleurs, la collecte systématique de telles informations permettrait de suivre certaines tendances ainsi que, d’une part, de décider comment modifier des mécanismes existant en droit national afin d’assurer l’efficacité du règlement 2019/1150 et, d’autre part, de soutenir la Commission dans ses tâches de suivi et de réexamen.

4.      Appréciation

119. En l’occurrence, les informations que doivent fournir les prestataires de services en ligne dans l’IES concernent essentiellement leur situation économique.

120. À cet égard, dans l’affaire C‑663/22, le gouvernement italien fait valoir, dans un premier temps, que les informations contenues dans l’IES sont « incontestablement utiles aux missions de surveillance active [et] préventive à l’égard d’éventuelles distorsions de concurrence, qui ne peuvent être exercées sans une connaissance complète et ciblée de toutes les entités qui exercent l’activité ». Ce gouvernement indique, dans un second temps, que ces informations servent à appréhender globalement la valeur du marché italien, à déterminer le poids de chaque opérateur sur ce marché et à comprendre la dynamique économique de celui-ci ainsi qu’à vérifier la véracité et l’exhaustivité des données fournies (58).

121. À cet égard, en premier lieu, ainsi que je l’ai mentionné au point 118 des présentes conclusions, un État membre peut avoir un intérêt à déterminer la taille du marché des services en ligne. Toutefois, la valeur du marché et l’importance des opérateurs sur ce marché ne constituent pas des données aisées à exploiter pour obtenir des informations pertinentes pour atteindre l’objectif du règlement 2019/1150, à savoir établir un environnement équitable, prévisible, durable et inspirant confiance pour l’activité économique en ligne au sein du marché intérieur. En tout état de cause, la détection d’éventuelles « distorsions de concurrence », à laquelle le gouvernement italien fait référence, ne semble pas s’inscrire dans l’objectif de ce règlement. En effet, celui-ci est sans préjudice du droit de l’Union applicable dans le domaine de la concurrence (59).

122. En deuxième lieu, les informations requises des prestataires de services en ligne sur le fondement du règlement 2019/1150 sont pertinentes plutôt pour les utilisateurs, notamment en ce qui concerne les conditions du service presté. En revanche, ces prestataires ne sont nullement dans l’obligation d’informer les utilisateurs de leur situation économique, de sorte que, du point de vue de ce règlement, la question de la véracité de telles informations ne se pose pas.

123. En troisième lieu, je dois avouer que j’ai du mal à voir le lien entre, d’une part, la situation économique d’un prestataire de services en ligne et, d’autre part, les modalités de prestation de ses services aux entreprises utilisatrices. Si un tel lien existe, il ne peut être qu’indirect. En effet, d’une part, le gouvernement italien lui-même estime que la finalité du règlement 2019/1150 est de connaître et d’évaluer le caractère équitable des conditions contractuelles fixées par les plateformes aux entreprises utilisatrices au sein de l’Union. D’autre part, on ne voit pas clairement comment des informations pertinentes pour la mise en œuvre adéquate et effective de ce règlement peuvent être déduites d’informations sur la situation économique d’un prestataire de services en ligne.

124. Dès lors, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le principe de proportionnalité, je considère que le règlement 2019/1150 ne saurait être interprété en ce sens qu’il justifie l’adoption des mesures nationales en cause dans l’affaire C‑663/22. Ces mesures nationales ne constituent pas des mesures d’application de ce règlement. En effet, comme il ressort des questions préjudicielles dans cette affaire, l’objectif desdites mesures est étranger à celui dudit règlement, de sorte qu’on ne saurait considérer qu’elles s’inscrivent dans les limites dans lesquelles un État membre peut adopter des mesures d’application de celui-ci.

125. Je propose donc de répondre aux questions préjudicielles dans l’affaire C‑663/22, reformulées au point 93 des présentes conclusions, en ce sens que le règlement 2019/1150 et, notamment, ses articles 15 et 16 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne justifient pas l’adoption d’une réglementation nationale qui impose aux prestataires de services en ligne une obligation de présenter périodiquement une déclaration contenant des informations sur leur situation économique et qui prévoit l’application de sanctions en cas de manquement à cette obligation. Dans la mesure où une telle réglementation ne relève pas du champ d’application de ce règlement, celui-ci ne s’oppose pas à cette réglementation.

5.      Observations supplémentaires

126. La réponse que je viens de proposer ne signifie pas que le règlement 2019/1150 s’oppose aux mesures nationales concernées. Toutefois, il reviendra à la juridiction de renvoi de tirer les conséquences du fait que, d’une part, la loi no 178/2020 a confié à l’AGCOM la tâche de « veille[r] à l’application adéquate et effective [de ce] règlement, notamment par [...] la collecte d’informations pertinentes » et que, d’autre part, ainsi qu’il résulte du préambule de la décision no 161/2021, c’est sur cette base que l’AGCOM a étendu aux prestataires de services en ligne l’obligation de lui transmettre l’IES.

127. En revanche, si, compte tenu des clarifications qu’apportera la Cour dans l’arrêt à venir, la juridiction de renvoi parvenait à la conclusion qu’il existe un lien entre l’objectif du règlement 2019/1150 et les mesures nationales en question, il lui appartiendra de vérifier si celles-ci sont appropriées et nécessaires.

128. Personnellement, je ne pense pas que tel soit le cas. Compte tenu des considérations formulées aux points 121 à 123 des présentes conclusions, on peut nourrir des doutes quant au caractère approprié des informations que doivent fournir les prestataires de services en ligne au sujet de leur situation financière pour atteindre l’objectif de ce règlement. En tout état de cause, il existe d’autres informations dont la collecte est moins contraignante pour les opérateurs du marché et qui permettraient d’atteindre cet objectif.

C.      Sur la libre prestation des services au regard de l’article 56 TFUE et des directives 2000/31 et 2006/123

129. Plusieurs des questions préjudicielles portent sur le point de savoir si les obligations en cause dans les affaires au principal se heurtent au principe de la libre prestation des services. Ces questions préjudicielles visent l’article 56 TFUE (60) ainsi que les directives 2000/31 et 2006/123 (61).

130. Les obligations en cause dans les affaires au principal sont, d’une part, l’inscription au ROC, impliquant la transmission d’informations importantes sur l’organisation du prestataire et le paiement d’une contribution financière ainsi que l’application de sanctions en cas de manquement, et, d’autre part, la transmission de l’IES, obligations dont la violation entraîne l’application de sanctions pécuniaires.

131. Toutefois, du point de vue des mécanismes prévus par le droit de l’Union afin d’assurer la libre circulation des services, il convient d’analyser ces obligations de manière indépendante (62). En l’occurrence, l’analyse doit porter sur les obligations d’inscription au ROC, de transmission des informations sur la structure du prestataire de services en ligne, de transmission des informations sur sa situation économique sous la forme de l’IES et de paiement d’une contribution financière.

132. La question qui se pose au préalable est de savoir si les mesures nationales en cause doivent être appréciées à la lumière de la directive 2000/31, à la lumière de la directive 2006/123 ou à la lumière des deux. Pour répondre à cette question, il y a lieu de vérifier tout d’abord si les mesures nationales en cause relèvent des champs d’application respectifs de ces directives.

1.      Sur la directive 2000/31

a)      Remarques liminaires sur les questions préjudicielles portant sur la libre prestation des services

133. La notion de « services de la société de l’information » constitue un concept central de la directive 2000/31, bien que celle-ci ne la définisse pas. Cette directive renvoie en effet à la définition donnée par la directive 2015/1535.

134. À cet égard, selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, la qualification des services fournis par les requérantes au principal en tant que « services de la société de l’information » est évidente (63) ou, à tout le moins, semble être incontestée dans les affaires portant sur la directive 2000/31 (64). Étant donné que la juridiction de renvoi ne fournit pas d’informations détaillées permettant de vérifier cette qualification et que celle-ci semble justifiée à la lumière des descriptions générales des services présentées par cette juridiction (65), je pars de la prémisse que les services des requérantes au principal relèvent de la notion de « services de la société de l’information ».

135. Un autre concept central de la directive 2000/31 est celui de « domaine coordonné ». Celui-ci couvre les exigences relatives à l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information et à l’exercice de cette activité qui revêtent un caractère général ainsi que celles spécifiquement conçues pour les prestataires des services de la société de l’information ou pour de tels services (66).

136. Un prestataire de tels services est soumis aux exigences relevant du domaine cordonné édictées par l’État membre de son établissement (l’État membre d’origine) (67). Un autre État membre dans lequel ce prestataire opère (l’État membre de destination) ne peut pas, en principe, restreindre la libre circulation de ces services « pour des raisons relevant du domaine coordonné » (68). Le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 introduit donc le principe de l’État membre d’origine et la reconnaissance mutuelle entre États membres des conditions d’accès à l’activité des services de la société de l’information (et de son exercice) (69).

137. À titre d’exception, un État membre de destination peut déroger à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31 par des mesures prises « à l’égard d’un service donné de la société de l’information » et remplissant les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a) et b), de cette directive.

138. Dans ces conditions, il convient de considérer que, par ses questions portant sur la libre prestation des services dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22, les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22 ainsi que l’affaire C‑665/22, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 3, paragraphes 2 et 4, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des mesures nationales de caractère général et abstrait par lesquelles un État membre impose au prestataire d’un service de la société de l’information établi dans un autre État membre a) une obligation d’inscription à un registre, b) une obligation de transmettre des informations importantes sur son organisation, c) une obligation de transmettre des informations importantes sur sa situation économique et d) une obligation de paiement d’une contribution financière, ainsi que l’application de sanctions en cas de manquement à ces obligations. Dans l’affirmative, et compte tenu de la précision relative au règlement 2019/1150 figurant au point 92 des présentes conclusions, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le fait que ces mesures nationales ont été adoptées dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre du règlement 2019/1150 peut affecter le résultat de l’application du mécanisme établi à l’article 3 de cette directive.

139. Pour répondre à ces questions, dans un premier temps, il y a lieu d’établir, tout d’abord, si les obligations en cause dans les affaires au principal imposent des exigences relevant du domaine coordonné, au sens de la directive 2000/31, ensuite, si l’imposition de ces obligations déroge à la libre circulation des services de la société de l’information et, enfin, si les mesures prises pour imposer lesdites obligations remplissent les conditions énoncées à l’article 3, paragraphe 4, sous a) et b), de cette directive. Dans un second temps, il faut se pencher sur l’incidence du règlement 2019/1150 sur le résultat de l’analyse relative à la directive 2000/31.

b)      Les exigences relevant du domaine coordonné

1)      Exposé du problème

140. La juridiction de renvoi considère que les obligations en cause dans les affaires au principal constituent des exigences relevant du domaine coordonné, au sens de la directive 2000/31.

141. En revanche, le gouvernement italien soutient que les obligations d’inscription au ROC et de transmission de l’IES reviennent à une simple obligation d’information. Ces obligations n’empêcheraient pas un prestataire de services en ligne d’exercer régulièrement son activité. Ce gouvernement souligne que les requérantes au principal dans les affaires C‑662/22 et C‑665/22 continuent d’exercer leurs activités alors qu’elles ne sont pas inscrites au ROC.

142. À cet égard, il est constant que le manquement aux obligations en cause donne lieu à des sanctions importantes. En outre, il semble que l’AGCOM peut ordonner la suspension des activités d’un prestataire de services en ligne et, en ce qui concerne l’inscription au ROC, procéder d’office à celle-ci (70). Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier l’exactitude de ces affirmations. En revanche, il appartient à la Cour de fournir à cette juridiction les clarifications lui permettant de déterminer si ces obligations relèvent du domaine coordonné.

2)      Remarques générales sur l’étendue du domaine coordonné

143. Le concept de « domaine coordonné », défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, couvre les exigences auxquelles un prestataire de services en ligne doit satisfaire et qui concernent « l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information » ou « l’exercice [d’une telle] activité » (ci-après, respectivement, les « exigences d’accès » et les « exigences d’exercice »).

144. Du point de vue du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31, la distinction entre les exigences d’accès et les exigences d’exercice n’a pas d’implications pratiques. Toutefois, j’estime opportun de me pencher sur cette dichotomie pour fournir à la juridiction de renvoi des clarifications sur l’étendue du domaine coordonné.

145. À cet égard, en premier lieu, on ne saurait perdre de vue que les exigences d’accès et d’exercice sont imposées pratiquement sans exception par l’État membre d’origine.

146. En effet, selon la logique du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31, satisfaire aux exigences relevant du domaine coordonné établies par l’État membre d’origine permet au prestataire d’opérer tant sur le marché de cet État membre que sur le marché de tout autre État membre. L’État membre d’origine veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné (71). Ce contrôle, effectué à la source, doit assurer une protection efficace des objectifs d’intérêt général, et cela non seulement pour les utilisateurs de l’État membre d’origine, mais aussi pour l’ensemble des utilisateurs de l’Union (72).

147. Ainsi, tout État membre est investi d’une responsabilité particulière en ce qui concerne la détermination des exigences relevant du domaine coordonné. Ces exigences doivent être conçues de manière à prendre en compte les intérêts en jeu non seulement dans l’État membre d’origine, mais aussi dans tout autre État membre. Dans le cas contraire, l’État membre d’origine pourrait déclencher dans un État membre de destination la réaction prévue à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31. L’étendue du domaine coordonné doit donc être suffisante pour garantir à la source la légalité et le contrôle efficace des activités de la société de l’information non seulement dans l’intérêt de l’État membre d’origine, mais également dans l’intérêt de tout État membre (73).

148. En deuxième lieu, l’article 2, sous h), i), de la directive 2000/31 clarifie que les exigences d’accès comprennent, notamment, « [celles] en matière de qualification, d’autorisation ou de notification », tandis que les exigences d’exercice comprennent, notamment, « [celles] portant sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, y compris en matière de publicité et de contrat, ou sur la responsabilité du prestataire ». En revanche, le domaine coordonné ainsi défini « ne couvre que les exigences relatives aux activités en ligne » (74), à l’exclusion de celles applicables aux biens en tant que tels, à la livraison de ceux-ci et aux services qui ne sont pas fournis par voie électronique (75).

149. Il en résulte que seul le « composant en ligne » est pertinent du point de vue du domaine coordonné. On ne saurait donc ignorer la nature non territoriale de l’activité à laquelle s’imposent les exigences couvertes par ce domaine.

150. Les services en ligne ne se prêtent guère au concept de territorialité : un prestataire établi dans un État membre peut opérer de manière durable et continue sur le territoire d’un autre État membre sans s’y établir ou même s’y rendre.

151. Ainsi que j’ai eu l’occasion de l’observer dans un autre contexte (76), comme dans beaucoup d’autres domaines, l’internet a fortement bouleversé des catégories établies dans le monde « réel ». En effet, si le traité associe, d’une part, l’exercice durable de l’activité dans un État membre avec un établissement stable dans ce même État membre et, d’autre part, l’exercice temporaire d’une activité avec l’absence d’un tel établissement, l’internet permet néanmoins d’exercer durablement une activité dans un État membre sans y disposer d’un établissement stable.

152. Suivre la logique de la liberté d’établissement dans un tel cas mènerait au résultat absurde qu’un prestataire qui ne serait pas établi dans l’État membre de destination de son service serait toutefois considéré comme y étant établi et devrait se conformer à la législation de cet État membre non seulement en ce qui concerne son activité proprement dite, mais également en ce qui concerne la constitution et le fonctionnement de son entreprise. Cela devient encore plus absurde si l’on songe que les activités exercées sur l’internet sont souvent destinées à plusieurs, voire à tous les États membres.

153. En rassemblant les dispositions pertinentes sous l’enseigne « Marché intérieur » (77), la directive 2000/31 ne prend pas ouvertement position sur la distinction entre liberté d’établissement et libre prestation des services. Toutefois, compte tenu du principe du contrôle à la source ainsi que pour les raisons présentées aux points 149 à 152 des présentes conclusions, on ne saurait considérer que le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 repose sur la logique selon laquelle un prestataire d’un service de la société de l’information doit remplir les conditions pour opérer sur le marché établies par chaque État membre dans lequel il est actif. Au contraire, dans la mesure où ce mécanisme cherche à prévenir une telle situation, le domaine coordonné doit couvrir également les conditions qui déterminent la régularité de l’activité menée sur un marché.

154. En troisième lieu, l’étendue du domaine coordonné doit englober les conditions qui déterminent la régularité de l’activité d’un service de la société de l’information. En effet, la nature « non territoriale » d’une telle activité permet souvent, d’une manière ou d’une autre, de cibler de facto la clientèle d’un État membre sans se heurter aux limitations résultant du concept de « territoire ». Le fait qu’un prestataire peut, sans remplir l’une de ces exigences, poursuivre son activité sur le territoire d’un État membre ne saurait exclure cette exigence du domaine coordonné.

155. Dans ces conditions, bien que le domaine coordonné couvre tant les exigences d’accès que celles d’exercice et que la directive 2000/31 n’attache pas de conséquences juridiques à cette dichotomie, on peut néanmoins les distinguer. En effet, d’une part, les exigences d’exercice, « telles que les exigences portant sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service [ou] la responsabilité du prestataire »(78), ont pour objet d’indiquer comment mener, de manière régulière, l’activité d’un service de la société de l’information vis-à-vis du public, des consommateurs et d’autres opérateurs économiques. Elles constituent donc des modalités de l’exercice d’une telle activité dans son aspect horizontal. D’autre part, les exigences d’accès visent les conditions que le prestataire doit remplir, principalement vis-à-vis d’un État membre et de ses autorités, pour pouvoir commencer et mener l’activité d’un service de la société de l’information, de manière régulière, dans l’État membre d’origine et, par extension, sur le marché de tout autre État membre.

156. C’est à la lumière de ces observations qu’il convient de déterminer si les obligations en cause dans les affaires au principal relèvent du domaine coordonné.

3)      Appréciation

157. En premier lieu, s’agissant de l’obligation d’inscription au ROC, dont la violation donne lieu à des sanctions importantes et à laquelle l’État membre de destination peut procéder d’office, elle constitue une exigence relevant du domaine coordonné.

158. En effet, contrairement à ce que soutient le gouvernement italien, le fait que, sans satisfaire à l’obligation d’inscription au ROC, un prestataire peut de facto commencer et continuer l’activité d’un service de la société de l’information n’implique pas que cette exigence ne concerne pas l’accès à cette activité au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31. Par ailleurs, s’agissant d’une inscription à un registre, il ne suffit pas, en principe, d’y procéder lors du commencement de l’activité : elle doit être maintenue au cours de cette activité pour que celle-ci soit régulière.

159. En deuxième lieu, s’agissant de l’obligation de transmettre des informations sur la structure et la situation économique de l’entreprise, le gouvernement italien affirme que ces informations sont utiles, voire nécessaires, pour que l’AGCOM puisse exercer sa mission de régulation, de surveillance, de règlement des litiges et de sanction. À cet égard, conformément au principe de contrôle de l’activité d’un service de la société de l’information à la source, une telle mission est accomplie, dans l’intérêt de tout État membre, par l’État membre d’origine. L’obligation de communiquer des informations permettant d’exercer un tel contrôle doit donc relever du domaine coordonné.

160. En troisième lieu, s’agissant de la contribution financière, selon le gouvernement italien, elle est censée couvrir le montant total des coûts administratifs occasionnés en Italie par l’exercice des fonctions de régulation, de surveillance, de règlement des litiges et de sanction conférées à l’AGCOM. Son montant est déterminé en fonction des recettes réalisées dans cet État membre.

161. L’obligation de paiement d’une telle contribution constitue elle aussi une exigence qui relève du domaine coordonné. En effet, elle conditionne la régularité de l’accès durable d’un prestataire au marché d’un État membre. Par ailleurs, conformément au principe du contrôle à la source de l’activité d’un service de la société de l’information, cette contribution devrait être réclamée par l’organisme qui, conformément à ce principe, doit exercer le contrôle sur le prestataire dans l’intérêt de l’État membre de son établissement et de tout autre État membre.

162. Compte tenu de l’interprétation de la directive 2000/31 que je propose, les obligations en cause dans les affaires au principal constituent des exigences relevant du domaine coordonné au sens de cette directive.

c)      La restriction à la libre circulation des services

163. Se pose encore la question de savoir si l’imposition des obligations en cause dans les affaires au principal à un prestataire d’un service de la société de l’information établi dans un autre État membre constitue une restriction de la libre circulation de tels services et, de ce fait, déroge à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31. Pour répondre à cette question, il convient de déterminer dans quelle situation une mesure prise par un État membre de destination restreint la libre circulation des services de la société de l’information. En l’occurrence, la question est également de savoir si la jurisprudence relative à l’article 56 TFUE a vocation à s’appliquer dans le cadre du mécanisme établi par cette directive.

1)      La non-applicabilité du courant jurisprudentiel relatif à l’article 56 TFUE

164. Les parties font référence, dans leurs observations, à un courant jurisprudentiel relatif à l’article 56 TFUE selon lequel une législation nationale opposable à tous les opérateurs exerçant des activités sur le territoire national qui n’a pas pour objet de régler les conditions concernant l’exercice de la prestation des services des entreprises concernées et dont les éventuels effets restrictifs sur la libre prestation des services seraient trop aléatoires et trop indirects pour que l’obligation qu’elle édicte puisse être considérée comme étant de nature à entraver cette liberté ne constitue pas une restriction au sens de cet article (79).

165. Toutefois, j’estime que cette jurisprudence ne s’applique pas dans le cadre du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31.

166. En effet, d’une part, les exigences d’exercice relevant du domaine coordonné ne sont pas susceptibles de tomber sous le coup de ladite jurisprudence dans la mesure où elles ont, par excellence, « pour objet de régler les conditions concernant l’exercice de la prestation des services des entreprises concernées ».

167. D’autre part, et plus important encore, en ce qui concerne toute exigence relevant du domaine coordonné, y compris les exigences d’accès, on ne saurait perdre de vue que, par une directive, le législateur de l’Union peut préciser les modalités d’exercice d’une liberté fondamentale du marché intérieur et établir des conditions encore plus favorables au bon fonctionnement de ce marché que celles prévues par le droit primaire.

168. Tel est le cas du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31, qui repose sur l’idée du contrôle à la source et introduit le principe de l’État membre d’origine ainsi que la reconnaissance mutuelle entre États membres des conditions d’accès et d’exercice (80). Imposer des exigences allant au-delà de celles en vigueur dans l’État membre d’origine se heurte à ce principe. Cette interprétation trouve son expression dans la jurisprudence de la Cour relative à ce mécanisme.

2)      Restriction à la libre circulation des services de la société de l’information à la lumière de la jurisprudence

169. Dans l’arrêt eDate Advertising e.a. (81), la Cour a clarifié que la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres est assurée sur la base du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 par l’assujettissement de tels services au régime juridique de l’État membre d’établissement de leurs prestataires. Ces prestataires ne peuvent donc pas être soumis à des exigences plus strictes que celles prévues par le droit matériel en vigueur dans leurs États membres d’origine respectifs (82).

170. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Airbnb Ireland (83), la juridiction de renvoi est partie de la prémisse selon laquelle les mesures nationales en cause prévoyant l’obligation de détenir une carte professionnelle avaient un caractère restrictif de la libre prestation des services de la société de l’information. Cette prémisse a été expressément confirmée par la Cour (84). Ainsi, la Cour a affirmé que, lorsqu’une exigence de détenir une carte professionnelle s’applique, notamment, aux prestataires établis dans des États membres autres que l’État membre de destination, cette exigence rend, de ce fait, la prestation des services dans ce dernier État membre plus difficile (85). Je suis d’avis que, par cette affirmation, la Cour a voulu indiquer, dans le sillage de l’arrêt eDate Advertising e.a. (86), que ladite exigence rend la prestation des services dans l’État membre de destination plus difficile qu’elle ne l’est dans l’État membre d’origine conformément aux dispositions nationales relevant du domaine coordonné applicables dans cet État membre.

171. Dans l’arrêt A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (87), la Cour a considéré, s’agissant de quatre exigences introduites par l’État membre de destination, en substance, qu’une interdiction de nature à restreindre la possibilité pour un prestataire de services de la société de l’information de se faire connaître auprès de sa clientèle potentielle dans l’État membre de destination ou d’attirer cette clientèle et de promouvoir le service de vente de ses produits en ligne doit être considérée comme comportant une restriction à la libre prestation des services de la société de l’information.

172. Bien que la formulation employée par la Cour diffère de celles utilisées dans les arrêts eDate Advertising e.a. (88) et Airbnb Ireland (89), la Cour s’est fondée, dans l’arrêt A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (90), sur la même logique que celle sous-tendant ces arrêts. En effet, il n’était pas contesté que le prestataire concerné menait son activité conformément aux exigences relevant du domaine coordonné applicables dans l’État membre d’origine (91). Dès lors, une exigence imposant des conditions plus restrictives en ce qui concerne le comportement du prestataire violait nécessairement l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31. En outre, pour établir si les mesures nationales en cause comportaient une restriction à la libre prestation des services de la société de l’information au sens de l’article 3, paragraphes 2 et 4, de cette directive, la Cour ne s’est pas référée à sa jurisprudence relative à l’article 56 TFUE (92).

173. Je déduis de ces trois arrêts que soumettre, sur le territoire d’un État membre, l’activité d’un service de la société de l’information à des exigences relevant du domaine coordonné allant au-delà de celles en vigueur dans l’État membre d’origine restreint la libre circulation de ce service et, de ce fait, ne peut résulter que d’une mesure prise sur le fondement de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31.

174. Par ailleurs, la considération selon laquelle le courant jurisprudentiel relatif à l’article 56 TFUE, mentionné au point 164 des présentes conclusions, ne saurait être appliqué dans le cadre du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 semble être corroborée par la jurisprudence relative à cette disposition du droit primaire, dans le cadre de laquelle la Cour a pris en compte le fait qu’une exigence donnée faisait déjà l’objet d’une vérification dans l’État membre d’origine.

3)      Jurisprudence relative à la libre prestation des services

175. Ainsi, tout d’abord, la Commission a fait valoir, dans une procédure en constatation d’un manquement (93), qu’une obligation d’inscription à un registre et les graves sanctions prévues en cas de violation de cette obligation faisaient de l’inscription à ce registre une condition essentielle de l’exercice d’activités sur le territoire de l’État membre ayant prévu ladite obligation. Après avoir attiré l’attention sur le fait que l’obligation en cause serait également applicable à un prestataire de services établi dans un autre État membre qui satisferait déjà, conformément à la législation de celui-ci, à des formalités équivalentes à celles requises en vertu de cette obligation, la Cour a conclu que ladite obligation ne respectait pas l’article 56 TFUE (94).

176. Ensuite, la Cour a déjà jugé, dans une affaire préjudicielle relative à l’article 56 TFUE et à une directive prévoyant essentiellement un système de reconnaissance mutuelle de l’expérience professionnelle acquise dans le pays d’origine, que la procédure d’autorisation instaurée par l’État membre d’accueil ne doit ni retarder ni compliquer l’exercice du droit d’une personne établie dans un autre État membre de fournir ses services sur le territoire du premier État, dès lors que l’examen des conditions d’accès aux activités concernées a été effectué et qu’il a été établi que ces conditions sont remplies. Une fois lesdites conditions remplies, une éventuelle exigence d’inscription au registre des métiers de l’État membre d’accueil ne peut être autre qu’automatique, elle ne peut ni constituer une condition préalable à la prestation de services, ni conduire à des frais administratifs pour le prestataire concerné, ni engendrer une obligation de cotisations à la chambre des métiers (95).

177. Enfin, la Cour a considéré qu’une réglementation d’un État membre imposant à l’établissement qui opère sur le territoire de celui-ci une obligation de fournir des déclarations d’opérations « suspectes » et des informations « demandées » directement à une autorité de l’État membre d’accueil constitue une restriction à la libre prestation des services, en ce qu’elle entraîne des difficultés et des coûts additionnels pour les activités réalisées sous le régime de la libre prestation des services et est susceptible de s’ajouter aux contrôles déjà effectués dans l’État membre où se trouve l’établissement en cause, dissuadant ainsi ce dernier de se livrer à ces activités (96).

178. Pour conclure, compte tenu de la considération présentée au point 173 des présentes conclusions, l’imposition des obligations en cause dans les affaires au principal à un prestataire d’un service de la société de l’information établi dans un autre État membre constitue une restriction de la libre circulation de tels services et ne peut donc avoir lieu que sur le fondement de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31.

d)      Les conditions de fond prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31

179. Les mesures dérogeant au principe de libre circulation des services de la société de l’information doivent remplir tant les conditions de fond que les conditions de forme prévues par la directive 2000/31. Ces conditions sont cumulatives (97).

180. Dans la mesure où les conditions formelles concernent l’obligation de notification, je les analyserai, avec l’obligation de notification prévue par la directive 2015/1535, dans la dernière partie de mes conclusions et je me concentrerai ici sur les seules conditions de fond. Toutefois, avant de les analyser, je souhaite formuler une remarque sur la nature des mesures de dérogation.

1)      La nature des mesures de dérogation

181. Dans un contexte différent, j’ai déjà privilégié l’interprétation selon laquelle des dispositions générales et abstraites ne sauraient être qualifiées de « mesures », au sens de l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31. Je renvoie donc à l’analyse figurant dans les conclusions concernées (98), dans lesquelles j’ai considéré, en substance, que les mesures visées par cette disposition doivent être suffisamment ciblées. Les arguments principaux de cette analyse ont été suivis par la Cour dans l’arrêt Google Ireland e.a. (99), selon lequel ladite disposition doit être interprétée en ce sens que des mesures générales et abstraites visant une catégorie de services donnés de la société de l’information décrite en des termes généraux et s’appliquant indistinctement à tout prestataire de cette catégorie de services ne relèvent pas de la notion de « mesures prises à l’encontre d’un service donné de la société de l’information », au sens de la même disposition.

182. En l’occurrence, les mesures par lesquelles le législateur national impose les obligations en cause dans les affaires au principal visent tout prestataire de services en ligne, sans même cibler un secteur spécifique ou l’État membre de provenance de ces services. Par conséquent, ces mesures ne relèvent pas de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 et le législateur national ne peut pas, par lesdites mesures, déroger au principe énoncé à l’article 3, paragraphe 2, de cette directive.

183. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner si les mesures nationales en cause remplissent les conditions de fond prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31. Néanmoins, je poursuivrai mon analyse par souci de complétude et pour répondre pleinement aux préoccupations de la juridiction de renvoi ainsi qu’aux arguments des parties.

184. Pour rappel, en application de l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31, la mesure restrictive concernée doit être nécessaire pour garantir l’ordre public, la protection de la santé publique, la sécurité publique ou la protection des consommateurs, être prise à l’encontre d’un service de la société de l’information qui porte effectivement atteinte à ces objectifs ou constitue un risque sérieux et grave d’atteinte à ces derniers et être proportionnée auxdits objectifs. J’examinerai ces conditions dans cet ordre.

2)      L’objectif des mesures nationales en cause

185. Selon la juridiction de renvoi, les mesures nationales en cause ont été adoptées dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre du règlement 2019/1150. Le gouvernement italien partage cet avis et ajoute que les obligations résultant de ces mesures visent à identifier et à gérer les distorsions de concurrence (100).

186. Pour rappel, le règlement 2019/1150 a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur par la mise en place d’un environnement équitable, prévisible, durable et inspirant confiance pour l’activité économique en ligne au sein de ce marché. À supposer même que les mesures nationales en cause visent à garantir cet objectif, j’ai du mal à identifier les raisons permettant de considérer qu’elles poursuivent l’un des objectifs visés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31.

187. En effet, on peut facilement exclure les objectifs relatifs à l’ordre public, à la protection de la santé publique et à la sécurité publique. En revanche, on pourrait se demander si ces mesures nationales ne poursuivent pas l’objectif lié de protection des consommateurs.

188. Toutefois, la protection des consommateurs ne comprend pas la protection des entreprises et le règlement 2019/1150 ne fixe que les règles relatives aux relations entre les prestataires de services en ligne et les utilisateurs professionnels.

189. Certes, pour déterminer son champ d’application, le règlement 2019/1150 prend en compte la localisation des consommateurs visés par les activités des utilisateurs professionnels (101). En outre, ce règlement reconnaît, à son considérant 3, l’existence d’un lien entre « la transparence et la confiance au sein de l’économie des plateformes en ligne dans les relations entre entreprises » et le renforcement de la confiance des consommateurs dans l’économie des plateformes en ligne.

190. Toutefois, ainsi que l’énonce ce considérant, ce lien n’est qu’indirect. Plus important encore, le règlement 2019/1150 confirme que « [l]es répercussions directes du développement de l’économie des plateformes en ligne sur les consommateurs relèvent cependant d’autres branches du droit de l’Union, en particulier de l’acquis en matière de protection des consommateurs » (102).

191. Dans ces circonstances, les obligations en cause dans les affaires au principal ne semblent poursuivre aucun des objectifs visés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31.

3)      Mesure prise à l’encontre d’un service portant effectivement atteinte à l’un des objectifs visés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31 ou constituant un risque d’atteinte à ces objectifs

192. Ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement italien ne fournissent d’informations quant à la condition de fond prévue à l’article 3, paragraphe 4, sous a), ii), de la directive 2000/31.

193. La Cour ne dispose donc pas d’informations lui permettant de clarifier utilement le contenu normatif de cette disposition. En tout état de cause, en l’absence d’éléments indiquant qu’un service en cause porte effectivement atteinte à l’un des objectifs visés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31 ou risque d’y porter atteinte, un État membre de destination ne peut pas déroger au principe de la libre circulation des services de la société de l’information.

4)      Proportionnalité

194. Ainsi qu’il ressort de mon analyse, les mesures nationales en cause ne satisfont pas aux exigences de l’article 3, paragraphe 4, sous a), i) et ii), de la directive 2000/31. Il n’est donc pas nécessaire de se pencher sur la proportionnalité de ces mesures. Toutefois, par souci d’exhaustivité, j’analyserai brièvement la condition de proportionnalité prévue à l’article 3, paragraphe 4, sous a), iii), de cette directive.

195. En vertu de cette dernière disposition, une mesure de dérogation doit être proportionnelle à l’un des objectifs mentionnés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31. Par ailleurs, une telle mesure doit également être, ainsi que l’exige cette disposition, « nécessaire » pour atteindre l’objectif concerné.

196. C’est dans cet esprit que la Cour a clarifié que, s’agissant de ces deux conditions, il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence relative aux articles 34 et 56 TFUE aux fins d’apprécier la conformité au droit de l’Union de la réglementation nationale en cause, dans la mesure où lesdites conditions recoupent largement celles au respect desquelles est subordonnée toute entrave aux libertés fondamentales garanties par ces articles du traité FUE (103).

197. Le principe de proportionnalité exige que les mesures adoptées par les États membres ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés.

198. À cet égard, il ressort du règlement 2019/1150 que le lien entre l’objectif de ce règlement et la protection des consommateurs n’est qu’indirect et que « [l]es répercussions directes du développement de l’économie des plateformes en ligne sur les consommateurs relèvent [...] d’autres branches du droit de l’Union » (104). Ainsi, le législateur de l’Union lui-même considère que les dispositions dudit règlement ne sont pas appropriées à la réalisation de l’objectif de la protection des consommateurs. Il doit en être de même en ce qui concerne les mesures d’application du même règlement.

e)      Conclusion liminaire

199. Pour conclure mon analyse relative à la directive 2000/31, les mesures nationales en cause dans les affaires au principal ne constituent pas des mesures de dérogation, au sens de l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31 (105) et, en tout état de cause, ne remplissent pas les conditions de fond prévues à cette disposition. Ces mesures nationales ne peuvent donc pas être appliquées aux prestataires de services de la société de l’information établis dans des États membres autres que celui les ayant adoptées.

200. Toutefois, il convient encore de vérifier si ce résultat n’est pas remis en cause par la directive 2006/123 ni, à supposer que les obligations en cause résultent des mesures d’application du règlement 2019/1150, par ce règlement.

2.      Sur la directive 2006/123

201. La juridiction de renvoi fait référence à la directive 2006/123 dans plusieurs de ses questions préjudicielles (106).

202. Ainsi qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle, toutes ces questions concernent l’article 16 de cette directive. Selon cette disposition, les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis. Ladite directive détermine également les conditions sous lesquelles un État membre peut déroger à la libre prestation des services. Ces conditions diffèrent de celles prévues à l’article 3, paragraphes 2 et 4, de la directive 2000/31.

203. Il résulte de mon analyse que cette dernière disposition s’oppose à ce que les obligations en cause dans les affaires au principal soient imposées à un prestataire établi dans un autre État membre. Se pose donc la question de savoir si la directive 2006/123 est susceptible d’affecter le résultat de l’application du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31.

204. À cet égard, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2006/123 prévoit que les dispositions des actes régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques prévalent sur celles de cette directive en cas de conflit. Le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 ne concerne que les services de la société de l’information et leur libre circulation dans l’Union. Cette dernière disposition concerne alors tant l’accès à une activité de services dans un secteur spécifique que l’exercice d’une telle activité. Elle constitue donc une lex specialis par rapport à l’article 16 de la directive 2006/123 et prévaut sur celui-ci (107).

205. À titre surabondant, certes, à l’instar des parties, on pourrait se demander si, en l’espèce, il existe un « conflit », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2006/123. Toutefois, en tout état de cause, cette directive ne saurait remettre en cause le résultat de l’application du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 ni conduire à imposer les obligations résultant des mesures nationales en cause à un prestataire établi dans un autre État membre.

206. En effet, en présence d’un « conflit », l’article 16 de la directive 2006/123 devrait céder le pas à l’article 3 de la directive 2000/31. En l’absence de « conflit », à supposer que ces deux dispositions soient susceptibles de s’appliquer concurremment, la première ne saurait éclipser le fait que les mesures nationales en cause ne remplissent pas les conditions de fond énoncées à la seconde.

207. Il n’est donc pas nécessaire de répondre aux questions préjudicielles qui portent sur la directive 2006/123.

3.      Sur l’article 56 TFUE

208. Comme je l’ai indiqué au point 129 des présentes conclusions, les questions préjudicielles portant sur la libre prestation des services visent tant les directives 2000/31 et 2006/123 que l’article 56 TFUE.

209. L’interprétation de ces directives sera toutefois suffisante pour résoudre les litiges au principal au regard du droit de l’Union. En effet, toute mesure nationale prise dans un domaine qui a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive en droit de l’Union doit être appréciée à la lumière non pas du droit primaire, mais de cette mesure d’harmonisation (108). Dans la mesure où lesdites directives précisent les principes régissant le fonctionnement du marché intérieur établis par le droit primaire, il n’y a pas lieu de se pencher sur ce dernier. Il n’est donc pas nécessaire de répondre aux questions relatives à l’article 56 TFUE pour statuer au principal.

4.      Sur l’incidence du règlement 2019/1150

210. Reste encore la question de savoir si, dans le cadre du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31, il convient de réserver un traitement différent aux mesures d’application du règlement 2019/1150. L’analyse de cette question présente un double intérêt.

211. En effet, d’une part, comme je l’ai déjà indiqué dans la première partie des présentes conclusions, les mesures nationales en cause dans l’affaire C‑663/22 et, par extension, dans l’affaire C‑665/22 ne constituent pas des mesures d’application du règlement 2019/1150 (109). Toutefois, pour le cas où la Cour ne partagerait pas mes considérations dans l’affaire C‑665/22, qui concerne un prestataire établi dans un État membre, la juridiction de renvoi devrait déterminer si l’inapplicabilité de ces mesures à un tel prestataire n’est pas remise en cause par le fait que celles-ci constituent des mesures d’application de ce règlement.

212. D’autre part, la réponse à ladite question peut se révéler utile pour la juridiction de renvoi dans d’autres affaires couvertes par les présentes conclusions, dans la mesure où celles-ci concernent l’obligation d’inscription au ROC et de paiement d’une contribution financière.

213. À cet égard, d’une part, l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2000/31 énonce que celle-ci complète le droit de l’Union applicable aux services de la société de l’information sans préjudice du niveau de protection, notamment en matière de santé publique et des intérêts des consommateurs, établi par les instruments de l’Union et la législation nationale les mettant en œuvre « dans la mesure où cela ne restreint pas la libre prestation de services de la société de l’information ». D’autre part, il ressort de l’article 1er, paragraphe 5, du règlement 2019/1150 que celui-ci est sans préjudice du droit de l’Union applicable, notamment, dans le domaine du commerce électronique.

214. Il est évident que la directive 2000/31 est applicable dans ce domaine. Une mesure d’application du règlement 2019/1150 ne prévaut donc pas sur le mécanisme établi à l’article 3 de cette directive. En conséquence, le fait que des mesures nationales ont été adoptées dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre de ce règlement ne peut pas affecter leur inapplicabilité résultant de ce mécanisme.

5.      Conclusion

215. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22, les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22 et l’affaire C‑665/22, reformulées au point 138 des présentes conclusions, que l’article 3, paragraphes 2 et 4, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux mesures nationales de caractère général et abstrait par lesquelles un État membre impose au prestataire d’un service de la société de l’information établi dans un autre État membre a) une obligation d’inscription à un registre, b) une obligation de transmettre des informations importantes sur son organisation, c) une obligation de transmettre des informations importantes sur sa situation économique et d) une obligation de paiement d’une contribution financière, ainsi que l’application de sanctions en cas de manquement à ces obligations. Le fait que ces mesures nationales ont été adoptées dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre du règlement 2019/1150 ne saurait affecter leur inapplicabilité à un tel prestataire.

D.      Sur les obligations de notification préalable des mesures nationales prévues par les directives 2000/31 et 2015/1535

1.      Remarques liminaires sur la pertinence des questions préjudicielles

216. Plusieurs questions préjudicielles dans les présentes affaires relatives aux prestataires établis dans leurs États membres d’origine respectifs concernent les obligations de notification préalable prévues par les directives 2000/31 et 2015/1535 (110).

217. D’un point de vue pragmatique, une analyse de ces questions serait redondante si la Cour partageait ma position quant à l’interprétation de la directive 2000/31.

218. En effet, les mesures nationales en cause semblent imposer des exigences relevant du domaine coordonné, au sens de la directive 2000/31, et restreignent la libre circulation des services de la société de l’information. Du point de vue de cette directive, elles ne peuvent donc pas être appliquées aux prestataires établis dans les États membres autres que celui ayant adopté ces mesures.

219. Par ailleurs, les mesures nationales en cause dans les affaires au principal ne sont pas susceptibles de relever de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, au motif que ces mesures ont un caractère général et abstrait (111). En tout état de cause, cette considération est sans conséquence sur le constat formulé au point 217 des présentes conclusions. Un État membre ne saurait contourner le mécanisme prévu à l’article 3 de cette directive et imposer des exigences relevant du domaine coordonné par une mesure générale et abstraite.

220. Toutefois, par souci de complétude, et pour le cas où la Cour ne partagerait pas mon analyse relative à la directive 2000/31, je me pencherai ci-après sur les obligations de notification prévues par cette directive et par la directive 2015/1535.

2.      Exposé du problème

221. Le manquement d’un État membre aux obligations de notification prévues par les directives 2000/31 et 2015/1535 emporte l’inopposabilité des mesures concernées aux particuliers (112).

222. Certes, la méconnaissance de l’obligation de notification prévue par la directive 2000/31 conduit à l’inopposabilité de la mesure nationale aux prestataires établis dans d’autres États membres que celui d’origine, tandis que la méconnaissance de l’obligation de notification prévue par la directive 2015/1535 conduit à l’inopposabilité de cette mesure aux prestataires établis dans tout État membre. Néanmoins, toutes les affaires dans lesquelles la juridiction de renvoi pose une question relative à l’obligation de notification (sauf l’affaire C‑663/22) visent des prestataires établis dans des États membres autres que l’Italie.

223. Rien n’indique que les obligations en cause dans les affaires au principal ont fait l’objet de la notification prévue par la directive 2000/31 ou de celle prévue par la directive 2015/1535.

224. Toutefois, le gouvernement italien fait valoir, en substance, en premier lieu, que les mesures nationales en cause ne constituent pas des règles techniques qui doivent être notifiées en vertu de la directive 2015/1535. J’ajoute que, dans le contexte des présentes affaires, cette argumentation soulève une nouvelle question relative à la délimitation des portées respectives des obligations de notification prévues par les directives 2000/31 et 2015/1535.

225. En second lieu, le gouvernement italien soutient que les mesures nationales en cause ne sont pas soumises à l’obligation de notification au motif qu’elles constituent des mesures d’application du règlement 2019/1150.

226. Il convient donc d’analyser ces deux arguments qui concernent, respectivement, la portée de l’obligation de notification prévue tant par la directive 2000/31 que par la directive 2015/1535 et l’incidence éventuelle du règlement 2019/1150 sur l’existence de cette obligation.

3.      L’obligation de notification au regard de la directive 2000/31

227. En vertu de l’article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31, l’État membre concerné doit avoir préalablement et sans préjudice de la procédure judiciaire, y compris la procédure préliminaire et les actes accomplis dans le cadre d’une enquête pénale, notifié son intention de prendre les mesures restrictives concernées à la Commission et à l’État membre sur le territoire duquel le prestataire du service visé est établi.

228. La portée de l’obligation de notification prévue à l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31 est déterminée, d’une part, par le champ d’application de cette directive ainsi que par la notion centrale de celle-ci, à savoir celle de « domaine coordonné » et, d’autre part, par la nature des mesures par lesquelles un État membre peut déroger au principe de la libre prestation des services de la société de l’information.

229. En effet, le domaine coordonné, au sens de la directive 2000/31, couvre les exigences qui revêtent un caractère général et celles qui sont spécifiquement conçues pour les prestataires des services de la société de l’information ou pour de tels services [article 2, sous h)]. Un État membre de destination ne peut pas, sous réserve des dérogations prévues à l’article 3, paragraphe 4, de cette directive, restreindre la libre circulation de ces services pour des raisons relevant du domaine coordonné (article 3, paragraphe 2). L’obligation de notification prévue à l’article 3, paragraphe 4, sous b), de ladite directive ne couvre donc que des mesures relevant du domaine coordonné qui restreignent la libre circulation des services de la société de l’information.

230. Par ailleurs, la portée de l’obligation de notification est déterminée par la nature des mesures par lesquelles un État membre peut déroger au principe de la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un État membre. Il ressort des présentes conclusions que des mesures générales et abstraites visant une catégorie de services donnés de la société de l’information décrite en des termes généraux et s’appliquant indistinctement à tout prestataire de cette catégorie de services ne sauraient être qualifiées de « mesures », au sens de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 (113). En conséquence, ainsi qu’il découle de l’arrêt Google Ireland e.a.(114), de telles mesures nationales ne sont pas soumises à l’obligation de notification prévue à l’article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de cette directive. Les mesures nationales en cause ont un tel caractère général et abstrait et semblent s’appliquer indistinctement à tout prestataire de certaines catégories de services.

231. En conséquence, d’une part, la République italienne n’était pas dans l’obligation de notifier les mesures nationales en cause de caractère général et abstrait en vertu de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31. D’autre part, plus important encore, ces mesures ne peuvent nullement être appliquées aux prestataires de services de la société de l’information établis dans des États membres autres que celui les ayant adoptées (115). À supposer même que lesdites mesures nationales constituent des mesures d’application du règlement 2019/1150, cette circonstance ne serait pas susceptible d’affecter leur inapplicabilité (116).

232. Mon analyse pourrait s’arrêter ici. Toutefois, compte tenu du fait que, par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi vise également la directive 2015/1535, j’examinerai encore la question de savoir si les mesures nationales en cause auraient dû être notifiées en vertu de cette directive. Je précise que la réponse à cette question n’affecte pas la conclusion relative à l’inopposabilité de ces mesures nationales aux prestataires de services de la société de l’information établis dans des États membres autres que celui les ayant adoptées.

4.      L’obligation de notification au regard de la directive 2015/1535

233. L’obligation de notification est établie à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/1535 qui prévoit, en substance, qu’un État membre doit communiquer immédiatement à la Commission tout projet de règle technique.

234. La notion de « règle technique » se trouve donc au cœur de la directive 2015/1535 et détermine la portée de l’obligation de notification imposée par cette directive. La définition de cette notion est donnée à l’article 1er, paragraphe 1, sous f), de ladite directive. Conformément à cette définition, pour qu’une réglementation nationale affectant un service de la société de l’information puisse être qualifiée de « règle technique », elle doit non seulement relever de la qualification de « règle relative aux services », définie à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la même directive, mais également être obligatoire de jure ou de facto, notamment, pour la prestation du service concerné ou son utilisation dans un État membre ou une partie importante de celui-ci (117).

235. Une règle relative aux services constitue, selon l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la directive 2015/1535, une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services de la société de l’information et à leur exercice, « notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement [de tels] services » (118).

236. À cet égard, les mesures nationales en cause dans les affaires au principal visent explicitement les services d’intermédiation en ligne et des moteurs de recherche en ligne. De tels services constituent, par excellence, des services de la société de l’information (119).

237. Certes, les mesures nationales en cause se bornent à étendre des obligations préexistantes à ces deux catégories de prestataires. Toutefois, il n’y a pas lieu de se demander si, avant les modifications introduites par ces mesures, ces obligations pesaient sur les prestataires de services de la société de l’information. En effet, la définition de la notion de « règle relative aux services » ne requiert pas qu’une mesure nationale vise exclusivement les services de la société de l’information. Il suffit que la mesure en cause vise un tel service de manière explicite et ciblée, même dans certaines dispositions ponctuelles (120). Ainsi que je l’ai indiqué au point 236 des présentes conclusions, tel est le cas en l’espèce.

238. Les mesures nationales en cause constituent donc des « règles relatives aux services », au sens de la directive 2015/1535. Par ailleurs, il est constant qu’elles ont un caractère obligatoire et elles doivent donc être considérées comme des « règles techniques ». Dès lors, elles auraient dû faire l’objet d’une notification au titre de cette directive. À défaut, un particulier peut invoquer l’inopposabilité de ces règles à son égard.

239. Enfin, il reste encore à déterminer si les mesures nationales en cause pourraient néanmoins être opposées à un particulier dans l’hypothèse où elles constitueraient des mesures d’application du règlement 2019/1150.

240. Certes, l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 2015/1535 prévoit que l’obligation de notification ne s’applique pas aux « dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres ou aux accords volontaires par lesquels ces derniers [...] se conforment aux actes contraignants de l’Union qui ont pour effet l’adoption [...] de règles relatives aux services ».

241. L’exception prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 2015/1535 couvre les dispositions nationales qui peuvent être considérées comme étant adoptées aux fins de la mise en conformité avec un acte contraignant du droit de l’Union (121). Toutefois, lorsqu’un acte du droit de l’Union laisse aux États membres une marge de manœuvre importante, les mesures nationales d’application ne peuvent pas être tel acte contraignant (122).

242. L’unique disposition du règlement 2019/1150 contenant des indications plus précises quant à la marge de manœuvre des États membres est l’article 15. Selon celui-ci, tout État membre doit veiller à l’application adéquate et effective de ce règlement ainsi que déterminer les règles établissant les mesures (effectives, proportionnées et dissuasives) applicables aux infractions à celui-ci et en assurer la mise en œuvre. En revanche, aucune disposition dudit règlement ne donne d’indication sur la marge de manœuvre dont disposent les États membres lors de la collecte des informations pertinentes pour la mise en œuvre du même règlement.

243. Il y a lieu donc de considérer que les mesures nationales en cause ne relèvent pas de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 2015/1535. Dès lors, elles auraient dû faire l’objet d’une notification au titre de cette directive. À défaut, un particulier peut invoquer l’inopposabilité de ces règles à son égard.

VI.    Conclusion

244. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie) de la manière suivante :

1)      Dans l’affaire C‑663/22 :

Le règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne et, notamment, les articles 15 et 16 de celui-ci

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne justifient pas l’adoption d’une réglementation nationale qui impose aux prestataires de services d’intermédiation en ligne et de moteurs de recherche en ligne une obligation de présenter périodiquement une déclaration contenant des informations sur leur situation économique et qui prévoit l’application de sanctions en cas de manquement à cette obligation.

Dans la mesure où une telle réglementation ne relève pas du champ d’application de ce règlement, celui-ci ne s’oppose pas à cette réglementation.

2)      Dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22 ainsi que dans les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22 et dans l’affaire C‑665/22 :

L’article 3, paragraphes 2 et 4, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »)

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à des mesures nationales de caractère général et abstrait par lesquelles un État membre impose au prestataire d’un service de la société de l’information établi dans un autre État membre a) une obligation d’inscription à un registre, b) une obligation de transmettre des informations importantes sur son organisation, c) une obligation de transmettre des informations importantes sur sa situation économique et d) une obligation de paiement d’une contribution financière, et prévoit l’application de sanctions en cas de manquement à ces obligations.

Le fait que ces mesures nationales ont été adoptées dans le but déclaré de garantir la mise en œuvre du règlement 2019/1150 ne saurait affecter leur inapplicabilité à un tel prestataire.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (JO 2019, L 186, p. 57).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).


5      Directive du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1).


6      Voir considérant 21 de la directive 2000/31 qui énonce que celle-ci « est sans préjudice d’une future harmonisation communautaire concernant les services de la société de l’information et de futures législations adoptées au niveau national conformément au droit communautaire ».


7      Bien évidemment, la Cour ne perd pas non plus de vue la réalité socio-économique, notamment, lors de l’interprétation du traité [voir mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2017:397, points 1 à 5)]. Toutefois, dans un domaine harmonisé, il est plus difficile de prendre en compte cette réalité au cas par cas et l’intervention du législateur européen est d’autant plus nécessaire.


8      Voir, à titre d’illustration, directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil (JO 2011, L 335, p. 1, et rectificatif JO 2012, L 18, p. 7) et règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2021, relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne (JO 2021, L 172, p. 79).


9      Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JO 2022, L 277, p. 1).


10      Voir article 1er, paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31.


11      Voir arrêt du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK (C‑83/21, EU:C:2022:1018, point 38).


12      Dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2015/1535, l’article 2, sous a), de la directive 2000/31 définissait les « services de la société de l’information » comme les « services au sens de l’article 1er, premier alinéa, point 2, de la directive [98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO 1998, L 217, p 18) (ci-après la « directive 98/34 »)] ». Depuis l’entrée en vigueur de la directive 2015/1535, cette référence doit être comprise comme étant faite à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de celle-ci.


13      Provvedimento presidenziale n. 14/21/PRES, recante « Misura e modalità di versamento del contributo dovuto all’[Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (AGCOM)] per l’anno 2021 dai soggetti che operano nel settore dei servizi di intermediazione online e dei motori di ricerca online » (décision du président no 14/21/PRES, portant « Montant et modalités de versement de la contribution due à l’[Autorité garante en matière de communications (AGCOM)] pour l’année 2021 par les personnes qui opèrent dans le secteur des services d’intermédiation en ligne et des moteurs de recherche en ligne »), du 5 novembre 2021 (GURI no 304, du 23 décembre 2021) (ci-après la « décision no 14/2021 »), ratifiée par l’AGCOM par la delibera n. 368/21/CONS (décision no 368/21/CONS).


14      Delibera n. 200/21/CONS – Modifiche alla delibera n. 666/08/CONS recante « regolamento per la tenuta del [ROC] » a seguito dell’entrata in vigore della legge 30 dicembre 2020, n. 178, recante Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2021 e bilancio pluriennale per il triennio 2021-2023 (décision no 200/21/CONS portant modifications de la décision no 666/08 à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 178/2020) (ci-après la « décision no 200/2021 »).


15      Delibera n. 161/21/CONS. Modifiche alla delibera n. 397/13 (décision no 161/21/CONS, portant modifications de la décision no 397/13) (ci-après la « décision no 161/2021 »).


16      Supplément ordinaire à la GURI no 322, du 30 décembre 2020.


17      Supplément ordinaire à la GURI no 169, du 25 août 1997.


18      Cette partie du cadre juridique est pertinente pour les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22, les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22 ainsi que, dans la mesure où elle concerne la loi no 178/2020, les affaires C‑663/22 et C‑665/22.


19      GURI no 25, du 31 janvier 2009.


20      Voir articles 8 et 9 de l’annexe A de la décision no 666/2008.


21      Voir annexe B et articles 10 et 11 de l’annexe A de la décision no 666/2008.


22      Sur la pertinence de cette interdiction pour les présentes conclusions, voir note en bas de page 27.


23      Voir annexe A de la décision no 666/2008 et, plus précisément, son article 8, paragraphe 5, et son article 9, paragraphe 7.


24      Supplément ordinaire à la GURI no 211, du 29 décembre 2005.


25      Cette partie du cadre juridique est pertinente pour les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22.


26      Cette partie du cadre juridique est pertinente pour les affaires C‑663/22 et C‑665/22.


27      Arrêt du 11 décembre 2003 (C‑215/01, EU:C:2003:662).


28      Voir point 58 des présentes conclusions.


29      La juridiction de renvoi constate, ainsi qu’il ressort de ses quatrièmes questions dans les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22, qu’il est fait interdiction aux sociétés inscrites au ROC de générer des bénéfices dépassant un certain montant (voir point 21 des présentes conclusions). Le gouvernement italien conteste cette constatation. La Commission observe que cette interdiction a été invoquée par EGVR dans la procédure au principal. À l’instar du gouvernement italien, cette institution indique que le cadre juridique national ne prévoit plus une telle interdiction. En tout état de cause, dans la mesure où, d’une part, la juridiction de renvoi n’indique pas la raison pour laquelle elle considère ladite interdiction comme étant incompatible avec le droit de l’Union et n’attire pas l’attention de la Cour sur celle-ci dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22 et où, d’autre part, il n’est pas nécessaire de prendre en compte la même interdiction pour répondre aux questions préjudicielles de manière utile à la juridiction de renvoi, je me concentrerai sur la circonstance que l’inscription au ROC implique la transmission d’informations importantes sur la structure des prestataires en cause.


30      À cet égard, je précise que la référence faite par la juridiction de renvoi, dans les questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22, à l’article 1er, paragraphe 516, de la loi no 178/2020 me semble dépourvue de toute pertinence. Cette disposition, dont le libellé n’est même pas reproduit dans les demandes de décision préjudicielle, ne semble pas avoir de lien avec les interrogations de la juridiction de renvoi. En effet, elle prévoit que « [l]es dispositions qui précèdent sont sans préjudice de l’article 27, paragraphe 1-bis, du code de la consommation [...] ». Or, cet article dudit code concerne la compétence pour agir contre les pratiques commerciales déloyales.


31      Voir, en ce sens, en ce qui concerne la directive 2000/31 et l’article 56 TFUE, arrêt du 27 avril 2023, Viagogo (C‑70/22, EU:C:2023:350, points 25 à 31 et 33). En ce qui concerne la directive 2006/123, voir article 2, paragraphe 1, de celle-ci, lu à la lumière de son considérant 36, troisième phrase, selon lequel « la notion de prestataire ne devrait pas viser le cas des succursales de sociétés de pays tiers dans un État membre car, conformément à l’article [56 TFUE], la liberté d’établissement et la libre prestation des services ne bénéficient qu’aux sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de [l’Union] ».


32      À savoir les premières questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22, les quatrièmes questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22, les deux questions préjudicielles dans l’affaire C‑663/22, ainsi que les première et deuxième questions préjudicielles dans l’affaire C‑665/22.


33      Voir formulation des premières, troisièmes et quatrièmes questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22.


34      Voir formulation des première, quatrième et cinquième questions préjudicielles dans l’affaire C‑665/22. Dans cet ordre d’idées, la décision no 161/2021, en cause dans les affaires C‑663/22 et C‑665/22, par laquelle l’obligation de transmettre l’IES a été étendue aux prestataires de services en ligne, a été adoptée « afin de recueillir chaque année des informations pertinentes et de prendre les mesures visant à garantir l’application adéquate et effective du [règlement 2019/1150] » ainsi que l’« exercice des fonctions attribuées à l’[AGCOM] par la [loi no 178/2020] ». Voir point 55 des présentes conclusions.


35      Voir point 77 des présentes conclusions.


36      Voir article 1er, paragraphe 2, et considérant 9 du règlement 2019/1150.


37      Voir arrêt du 15 juin 2021, Facebook Ireland e.a. (C‑645/19, EU:C:2021:483, points 109 et 110).


38      Voir arrêt du 12 avril 2018, Commission/Danemark (C‑541/16, EU:C:2018:251, points 31 à 33).


39      Voir arrêt du 22 janvier 2020, Ursa Major Services (C‑814/18, EU:C:2020:27, point 35).


40      Voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2021, Finanzamt Österreich (Allocations familiales pour coopérant) (C‑372/20, EU:C:2021:962, point 48).


41      Voir arrêt du 14 octobre 1999, Adidas (C‑223/98, EU:C:1999:500, point 25 et jurisprudence citée).


42      Voir arrêt du 12 avril 2018, Commission/Danemark (C‑541/16, EU:C:2018:251, points 49 et 50). Voir également, en ce sens, ordonnance du 16 janvier 2014, Dél-Zempléni Nektár Leader Nonprofit (C‑24/13, EU:C:2014:40, point 17 et jurisprudence citée).


43      Voir considérant 6 du règlement 2019/1150.


44      Voir article 1er, paragraphe 1, et considérants 7 et 51 du règlement 2019/1150.


45      Voir article 16, première phrase, du règlement 2019/1150


46      Voir article 18, paragraphe 1, du règlement 2019/1150.


47      Voir article 16, deuxième phrase, du règlement 2019/1150.


48      Voir article 16, quatrième phrase, du règlement 2019/1150.


49      Voir article 16, troisième phrase, du règlement 2019/1150.


50      Le considérant 46 du règlement 2019/1150 énonce que « [l]es États membres devraient être tenus de veiller à l’application adéquate et effective du présent règlement. Différents systèmes de contrôle de l’application existent déjà dans les États membres, et ces derniers ne devraient pas être tenus de mettre en place de nouveaux organismes nationaux chargés de ce contrôle. Les États membres devraient avoir la possibilité de confier le contrôle de l’application du présent règlement à des autorités existantes, y compris à des juridictions. Le présent règlement ne devrait pas obliger les États membres à prévoir une application d’office ni à infliger des amendes ».


51      Voir considérant 46, troisième et quatrième phrases, du règlement 2019/1150.


52      Voir article 14, paragraphe 9, du règlement 2019/1150.


53      Voir article 14, paragraphe 5, du règlement 2019/1150.


54      Voir article 14, paragraphe 1, du règlement 2019/1150, lu à la lumière du considérant 45 de celui-ci.


55      Voir considérant 45, première et deuxième phrases, du règlement 2019/1150.


56      En effet, l’article 14, paragraphe 2, du règlement 2019/1150 prévoit que « [l]a Commission encourage les États membres à échanger de bonnes pratiques et des informations avec d’autres États membres au moyen de registres d’actes illicites ayant fait l’objet d’injonctions de cessation devant les juridictions nationales lorsque ces registres ont été créés par les organismes publics compétents ou les autorités compétentes ».


57      Voir, en ce sens, Franck, J.-U., « Individual Private Rights of Action under the Platform-to-Business Regulation », European Business Law Review, 2023, vol. 34, no 4, p. 528.


58      Par souci de complétude, une argumentation analogue est réitérée en ce qui concerne l’obligation des prestataires de services en ligne de s’inscrire dans un registre impliquant la transmission d’informations importantes sur leur organisation, visée dans d’autres affaires couvertes par les présentes conclusions.


59      Voir article 1er, paragraphe 5, du règlement 2019/1150.


60      L’article 56 TFUE est visé par les quatrièmes questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22, par les deuxièmes questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22, ainsi que par la cinquième question préjudicielle dans l’affaire C‑665/22.


61      Il est certes vrai que les quatrièmes questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22 font référence uniquement à l’article 56 TFUE et à l’article 16 de la directive 2006/123, sans mentionner la directive 2000/31. Toutefois, certaines questions préjudicielles dans ces affaires visent cette dernière directive.


62      Cette approche est conforme à celle retenue par la Cour dans le contexte de l’article 56 TFUE [voir arrêt du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK (C‑83/21, EU:C:2022:1018, point 41)] et de l’article 3 de la directive 2000/31 [voir arrêt du 1er octobre 2020, A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (C‑649/18, EU:C:2020:764, point 46)].


63      Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, c’est le cas dans les affaires C‑665/22 et C‑666/22.


64      Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, c’est le cas dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22 et l’affaire C‑664/22.


65      Voir, en ce qui concerne les prestataires de services d’intermédiation en ligne, à titre d’illustration, arrêt du 27 avril 2022, Airbnb Ireland (C‑674/20, EU:C:2022:303, point 31), et, en ce qui concerne les services fournis par les exploitants commerciaux de moteurs de recherche sur Internet, arrêt du 12 septembre 2019, VG Media (C‑299/17, EU:C:2019:716, point 30).


66      Voir article 2, sous h), de la directive 2000/31.


67      Voir article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31.


68      Voir article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31.


69      Voir mes conclusions dans l’affaire LEA (C‑10/22, EU:C:2023:437, point 49).


70      C’est ce qu’a fait l’AGCOM dans l’affaire C‑664/22. Voir point 42 des présentes conclusions.


71      Voir article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31.


72      Voir considérant 22 de la directive 2000/31.


73      Voir également, en ce sens, Crabit, E., « La directive sur le commerce électronique : le projet “Méditerranée” », Revue du droit de l’Union européenne, 2000, nº 4, p. 767.


74      Voir considérant 21, seconde phrase, de la directive 2000/31.


75      Voir article 2, sous h), ii), de la directive 2000/31.


76      Voir mes conclusions dans l’affaire LEA (C‑10/22, EU:C:2023:437, points 61, 63 et 64).


77      Titre de l’article 3 de la directive 2000/31. Cette ambiguïté se manifeste dans la base juridique de cette directive, qui concerne tant la liberté d’établissement que la libre prestation de services, ainsi que dans les considérants 1, 5 et 6 de celle-ci.


78      Voir article 2, sous h), i), second tiret, de la directive 2000/31.


79      Voir, récemment, arrêt du 27 octobre 2022, Instituto do Cinema e do Audiovisual (C‑411/21, EU:C:2022:836, point 29), qui porte sur une taxe visant à financer la promotion et la diffusion d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Voir également, en ce qui concerne les obligations relatives au domaine de la fiscalité exclu du champ d’application de la directive 2000/31, arrêts du 27 avril 2022, Airbnb Ireland (C‑674/20, EU:C:2022:303, point 42), et du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK (C‑83/21, EU:C:2022:1018, point 45).


80      Voir point 136 des présentes conclusions.


81      Arrêt du 25 octobre 2011 (C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685, point 66). Voir également arrêt du 15 mars 2012, G (C‑292/10, EU:C:2012:142, point 70).


82      Voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685, points 66 et 67).


83      Arrêt du 19 décembre 2019 (C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 71).


84      Arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 81).


85      Arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 82).


86      Voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011 (C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685, point 66).


87      Arrêt du 1er octobre 2020 (C‑649/18, EU:C:2020:764, points 61 et 62).


88      Arrêt du 25 octobre 2011 (C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685).


89      Arrêt du 19 décembre 2019 (C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 71).


90      Arrêt du 1er octobre 2020 (C‑649/18, EU:C:2020:764).


91      Voir point 7 de la demande de décision préjudicielle dans cette affaire, selon lequel « il n’est pas contesté que la société [concernée] est légalement habilitée à vendre des médicaments au public au[x] Pays[-]Bas où elle est régulièrement installée ».


92      Voir également, en ce sens, mes conclusions dans l’affaire Google Ireland e.a. (C‑376/22, EU:C:2023:467, point 55).


93      Voir arrêt du 9 mars 2000, Commission/Italie (C‑358/98, EU:C:2000:114, point 11).


94      Voir arrêt du 9 mars 2000, Commission/Italie (C‑358/98, EU:C:2000:114, points 13 et 14).


95      Voir arrêt du 11 décembre 2003, Schnitzer (C‑215/01, EU:C:2003:662, points 36 et 37).


96      Voir arrêt du 25 avril 2013, Jyske Bank Gibraltar (C‑212/11, EU:C:2013:270, point 59).


97      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, points 83 et 99).


98      Voir mes conclusions dans les affaires Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:336, points 134 et 135), LEA (C‑10/22, EU:C:2023:437, point 51), et Google Ireland e.a. (C‑376/22, EU:C:2023:467, point 54).


99      Arrêt du 9 novembre 2023 (C‑376/22, EU:C:2023:835, point 60).


100      Voir point 120 des présentes conclusions.


101      Voir article 1er, paragraphe 2, et considérant 9 du règlement 2019/1150.


102      Voir considérant 3 du règlement 2019/1150.


103      Voir arrêt du 1er octobre 2020, A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (C‑649/18, EU:C:2020:764, point 64).


104      Voir point 190 des présentes conclusions.


105      Voir points 181 et 182 des présentes conclusions.


106      La directive 2006/123 est visée par les quatrièmes questions préjudicielles dans les affaires jointes C-662/22 et C-667/22, par les deuxièmes questions préjudicielles dans les affaires jointes C-664/22 et C-666/22, ainsi que par la cinquième question préjudicielle dans l’affaire C-665/22.


107      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, points 40 à 42). Voir également mes conclusions dans l’affaire Star Taxi App (C‑62/19, EU:C:2020:692, point 90).


108      Voir, en ce qui concerne la directive 2000/31, arrêt du 1er octobre 2020, A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (C‑649/18, EU:C:2020:764, point 34), et, en ce qui concerne la directive 2006/123, arrêt du 16 juin 2015, Rina Services e.a. (C‑593/13, EU:C:2015:399, points 23 et suiv.).


109      Voir point 125 des présentes conclusions.


110      En effet, ces obligations sont visées par les deuxième et cinquième questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22, les troisièmes questions préjudicielles dans les affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22, ainsi que par les troisième et sixième questions préjudicielles dans l’affaire C‑665/22.


111      Voir points 181 et 182 des présentes conclusions.


112      Voir, en ce qui concerne les directives 2000/31 et 2015/1535, respectivement, arrêts du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 100), et du 3 décembre 2020, Star Taxi App (C‑62/19, EU:C:2020:980, point 57).


113      Voir points 181 et 182 des présentes conclusions.


114      Arrêt du 9 novembre 2023 (C‑376/22, EU:C:2023:835, point 37).


115      Voir point 219 des présentes conclusions.


116      Voir point 214 des présentes conclusions.


117      Voir arrêt du 3 décembre 2020, Star Taxi App (C‑62/19, EU:C:2020:980, point 61).


118      L’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la directive 2015/1535 fournit, à son second alinéa, deux clarifications supplémentaires à cet égard. Ainsi, d’une part, une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblée ces services. D’autre part, une règle n’est pas considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information si elle ne concerne ces services que d’une manière implicite ou incidente.


119      Voir point 134 des présentes conclusions.


120      À cet égard, la Cour a jugé, dans l’arrêt du 20 décembre 2017, Falbert e.a. (C‑255/16, EU:C:2017:983, points 35 et 36), rendu sous l’empire de la directive ayant précédé la directive 2015/1535, à savoir la directive 98/34, qu’une règle nationale qui a pour finalité et pour objet d’étendre une règle existante à des services de la société de l’information doit être qualifiée de « règle relative aux services », au sens de cette directive.


121      Voir, en ce sens, en ce qui concerne l’article 10, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 98/34, qui prévoyait une exception similaire, arrêt du 8 septembre 2005, Commission/Portugal (C‑500/03, EU:C:2005:515, point 33).


122      Voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2000, Unilever (C‑443/98, EU:C:2000:496, point 29).