Language of document : ECLI:EU:T:2007:268

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

12 septembre 2007 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché européen des produits de mercerie (aiguilles) – Répartition du marché de produits – Répartition du marché géographique – Appréciation des preuves – Participation aux réunions – Accord tripartite – Amende – Gravité et durée de l’infraction – Circonstances atténuantes »

Dans l’affaire T‑36/05,

Coats Holdings Ltd, établie à Uxbridge, Middlesex (Royaume-Uni),

J & P Coats Ltd, établie à Uxbridge,

représentées par M. W. Sibree et Mme C. Jeffs, solicitors,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. F. Castillo de la Torre et Mme K. Mojzesowicz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision C (2004) 4221 final de la Commission, du 26 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/F-1/38.338 – PO/Needles), et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction de l’amende infligée aux requérantes,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et S. Papasavvas, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 novembre 2006,

rend le présent

Arrêt

 Objet et faits à l’origine du litige

I –  Objet du litige

1        Par décision C (2004) 4221 final, du 26 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/F-1/38.338 – PO/Needles ; ci-après la « Décision »), la Commission a constaté que pendant la période allant du 10 septembre 1994 jusqu’au 31 décembre 1999, Coats Holdings Ltd et J & P Coats Ltd (ci-après, prises ensemble, les « requérantes » ou « Coats ») ont participé à une série d’accords, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, dans le secteur des aiguilles, conjointement avec deux autres entreprises et leurs filiales respectives, à savoir, d’une part, William Prym GmbH & Co. KG (ci-après « Prym ») et Prym Consumer GmbH & Co. KG et, d’autre part, Entaco Group Ltd et Entaco Ltd.

2        Sur la base des constatations factuelles et des appréciations juridiques effectuées dans la Décision, la Commission a infligé une amende de 30 millions d’euros aux requérantes.

II –  Requérantes et autres entreprises en cause

A –  Coats Holdings et J & P Coats

3        Jusqu’en février 1991, Coats Viyella plc (actuellement dénommée « Coats Holdings ») était active en tant que fabricant d’aiguilles par l’intermédiaire de sa filiale à 100 %, Needles Industries Ltd (ci-après « NIL »). En avril 1991, Coats Viyella a cédé NIL, dans le cadre d’un rachat de l’entreprise réalisé par les anciens salariés de NIL (premier management buy-out), à une nouvelle entreprise, Entaco. Cette dernière a acquis les installations de production et les matériaux d’emballage de NIL, tandis que Coats Viyella a conservé les activités de finissage et d’emballage des aiguilles de NIL. Coats Viyella est restée active dans ce domaine jusqu’à ce que ces activités soient également acquises par Entaco, le 10 septembre 1994, dans le cadre d’un second management buy-out.

4        Depuis 1994, Coats Holdings exerce des activités de distribution d’aiguilles dans les secteurs du commerce de gros et de détail. En 2002, dernière année pour laquelle la Commission dispose de comptes publiés, le chiffre d’affaires de Coats Holdings s’élevait à 1 156 millions de livres sterling (GBP).

5        J & P Coats est une filiale à 100 % de Coats Holdings, qui est active sur le marché du Royaume-Uni et est chargée de l’ensemble des activités de Coats Holdings sur le marché des articles de mercerie métalliques et plastiques (ci-après les « articles de mercerie durs ») dans l’Espace économique européen (EEE).

B –  Prym et Prym Consumer

6        Prym est une entreprise allemande, qui se présente comme une des premières marques européennes d’articles de mercerie durs et d’articles de couture. Elle comprend trois divisions principales, à savoir Prym Tec GmbH & Co. KG, Prym Fashion GmbH & Co. KG et Prym Consumer. Prym a réalisé un chiffre d’affaires de 337 millions d’euros en 2003. En 2002, la part du chiffre d’affaires réalisée par Prym Consumer s’élevait à environ 126 millions d’euros.

7        En janvier 1977, Coats Patons Ltd (le prédécesseur légal de Coats Holdings) a acquis une participation de 24,9 % dans William Prym-Werke KG (le prédécesseur légal de Prym). Coats Holdings a détenu cette participation jusqu’en 1994.

8        Prym Consumer commercialise une gamme d’aiguilles à coudre à la main, d’aiguilles à tricoter, d’épingles de sûreté et d’articles de mercerie destinée aux marchés de la consommation. Prym Consumer est la société mère à 100 % de Newey Group plc, sa filiale anglaise. Par l’intermédiaire de cette filiale, Prym Consumer a détenu 10,1 % du capital social d’Entaco entre septembre 1994 et mars 1997.

C –  Entaco et Entaco Group

9        Entaco a pour activité principale la fabrication d’aiguilles à coudre à la main, de dispositifs médicaux, de systèmes de pêche commerciale et de fils destinés à cette activité.

10      Entaco Group est devenue la société mère d’Entaco à partir de mars 1997 et elle en est propriétaire à 100 %.

III –  Procédure administrative

11      Les 7 et 8 novembre 2001, la Commission a effectué des vérifications, en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), dans les locaux de plusieurs producteurs et distributeurs communautaires d’articles de mercerie (dont Entaco, Coats et Prym). Ces vérifications faisaient suite à des renseignements fournis par M. E., directeur du marketing et des ventes d’Entaco à l’époque des faits, entre le 23 août 2000 et le 6 août 2001. La Commission a considéré que la fourniture de ces renseignements constituait une demande de mesures de clémence présentée par Entaco.

12      Les 14 avril et 15 mai 2003, la Commission a envoyé des demandes de renseignements, en application de l’article 11 du règlement n° 17, aux entreprises concernées. Le 15 mars 2004, la Commission a adressé une communication des griefs à Prym, à Entaco et à Coats. Les entreprises ont transmis leurs réponses à cette communication des griefs dans les délais fixés. La Commission leur a donné accès au dossier sous forme électronique. Une audition a eu lieu le 18 juin 2004.

13      Le 26 octobre 2004, la Commission a adopté la Décision.

IV –  Décision

14      Selon la Décision, les trois entreprises en cause et leurs filiales respectives ont conclu, entre le 10 septembre 1994 et le 31 décembre 1999, une série d’accords écrits, formellement bilatéraux mais équivalant, dans la pratique, à des accords tripartites, en vertu desquels ces entreprises ont procédé ou contribué à une répartition des marchés de produits (en segmentant le marché européen des articles de mercerie durs) et des marchés géographiques (en segmentant le marché européen des aiguilles).

A –  Marchés en cause

15      L’industrie concernée est celle de la fabrication et de l’emballage d’aiguilles et d’autres articles de mercerie durs.

16      Selon la Décision, Prym, Entaco et Coats sont les principaux fournisseurs d’aiguilles en Europe. Prym Consumer et Entaco dominent le secteur de la fabrication des aiguilles dans l’Union européenne et sur le marché mondial. Par ailleurs, la distribution des aiguilles et des épingles en Europe serait dominée par Coats et il existerait des accords globaux entre Coats et Prym concernant la distribution des articles de mercerie durs dans l’ensemble de l’Union européenne.

1.     Marchés de produits en cause

17      La Commission considère que les aiguilles à coudre à la main et les aiguilles artisanales font partie du même marché et que les aiguilles pour machine peuvent être considérées distinctement. En conclusion, aux fins de la Décision, la Commission a défini trois marchés de produits en cause :

–        le marché européen des aiguilles à coudre à la main et des aiguilles artisanales (comprenant en particulier les aiguilles spéciales) ;

–        le marché européen des « autres articles de couture et de tricot, y compris les épingles et les aiguilles à tricoter » ;

–        le marché européen des autres articles de mercerie durs, y compris les fermetures à glissière et les autres systèmes de fermeture.

Sur le premier de ces marchés elle a constaté une répartition du marché de produits et du marché géographique entre le 10 septembre 1994 et le 31 décembre 1999, tandis que les deux derniers auraient fait l’objet d’une répartition des marchés de produits entre le 10 septembre 1994 et le 13 mars 1997.

2.     Marché géographique en cause

18      La Commission explique que, contrairement à ce qui est le cas pour les fermetures, les frais de transport des aiguilles et des épingles sont très faibles. Les aiguilles et les épingles vendues en Europe sont cependant, en majeure partie, produites dans l’Union européenne, par des fabricants européens. Elle en a conclu que le marché des aiguilles est au moins de dimension européenne.

3.     Dimension économique des marchés en cause

19      Selon les constatations de la Commission, en 2002, le chiffre d’affaires du marché des aiguilles à l’échelle de l’Union européenne s’est élevé à environ 30 millions d’euros. Elle considère que, s’agissant du commerce en gros, la valeur du marché des aiguilles doit être considérée comme étant très proche de 30 millions d’euros. Quant au commerce au détail, la valeur du seul marché des aiguilles à coudre à la main devrait également être estimée à environ 30 millions d’euros. Toutefois, dans la présente affaire, selon la Commission, il convient de s’appuyer sur un marché plus large que le marché des aiguilles à coudre à la main. Elle a donc pris en considération les marchés des accessoires, ceux des systèmes de fermeture autres que les fermetures à glissière et le marché des autres articles de couture et de tricot, y compris les épingles et les aiguilles à tricoter. La valeur de ce dernier marché à l’échelle de l’Union européenne s’élève également à 30 millions d’euros. La Commission est d’avis qu’une estimation prudente du marché total des autres systèmes de fermeture dans l’Union européenne doit être supérieure à 1 milliard d’euros et inférieure à 1,5 milliard d’euros.

B –  Description des événements

20      La Commission relève que, déjà en 1975, les prédécesseurs de Prym et de Coats Holdings avaient conclu un protocole d’accord contenant des clauses de répartition des marchés. Ce protocole ne fait cependant pas l’objet de la Décision.

1.     Réunions et accords conclus entre 1993 et 1994

21      Les événements faisant l’objet du présent recours se sont déroulés principalement au cours des années 1993 et 1994.

a)     Réunions et correspondance

22      Dans la Décision, la Commission identifie cinq réunions tripartites entre Prym, Coats (ou NIL) et Entaco, dont quatre ont eu lieu en 1993 et une en 1995. Le compte rendu de la première, la réunion du 11 février 1993, que Prym a adressé à Entaco par télécopie du 18 février 1993, indiquait :

« Historique de la relation Coats/Prym – Prym semble être responsable des articles de mercerie durs. [Prym] a estimé que Coats était moralement tenue de mettre de l’ordre dans la situation actuelle de [NIL] pour pouvoir parvenir à ce qui était initialement prévu, à savoir la production des autres articles de mercerie revenant à Coats et la fourniture des articles de mercerie durs revenant à Prym. »

23      Dans une lettre du 10 mai 1993, adressée à Prym, Entaco indiquerait la raison pour laquelle les trois entreprises avaient intérêt à se répartir le marché européen et exposerait les propositions initiales suivantes :

« Le principal objectif de Prym consiste en réalité à annuler ou neutraliser l’entrée d’Entaco sur le marché des articles de mercerie. Nous vous faisons la proposition suivante, qui à notre sens tient compte de cet objectif : […] »

24      Dans une lettre du 30 juin 1993, adressée à Coats, Prym expliquerait en détail pourquoi Entaco, Prym et Coats avaient intérêt à s’engager les unes envers les autres :

« Un nouveau concurrent sur le marché des articles de mercerie durs en Europe est bien la dernière chose dont nous ayons besoin ! Il serait donc judicieux pour les trois parties en présence – Coats/NIL, Entaco et Prym – de coopérer afin de veiller à ce que le marché européen des aiguilles ne souffre pas de nouvelles blessures infligées à lui-même ! »

25      Lors d’une réunion entre Coats, Prym et Entaco qui s’est tenue le 6 octobre 1993 et qui portait sur la possible acquisition des activités d’emballage de NIL, Prym a informé Coats de l’abandon du projet initial de création d’une entreprise commune entre Prym et Entaco et du fait que cette dernière préférait que Prym réalise un investissement direct dans Entaco, car elle était d’avis qu’il était plus acceptable pour le marché qu’Entaco présente un « visage indépendant ». Le représentant de Coats a alors déclaré qu’« il ne voyait pas d’objection à cette nouvelle approche si 1) Entaco ne vendait pas de produits concurrentiels à la concurrence à un prix inférieur à celui appliqué à Coats et si 2) M. F. [président-directeur général de Coats] était d’accord ».

b)     Aperçu des accords conclus en 1994

26      Le 10 septembre 1994, les accords énumérés ci-après, illicites selon la Commission, ont été conclus entre les entreprises suivantes.

27      Les accords conclus entre Prym (ou Prym Consumer) et Entaco sont les suivants :

–        accord-cadre (signé le 15 ou 16 juin 1994, mais entré en vigueur le 10 septembre 1994) ;

–        accord relatif à la vente et à l’achat de 10,1 % de l’ensemble du capital émis d’Entaco ainsi qu’aux futures relations d’actionnaires (ci-après l’« accord de 10,1 % ») ;

–        accord d’achat ;

–        accord de distribution.

28      Les accords conclus entre Coats et Entaco sont les suivants :

–        accord relatif à la vente et à l’achat d’activités ;

–        accord de fourniture et d’achat.

c)     Accords conclus entre Prym (ou Prym Consumer) et Entaco

 Accord-cadre

29      En juin 1994, Entaco et Prym ont signé un accord-cadre qui est entré en vigueur le 10 septembre 1994. Cet accord a été passé par les parties aux fins du rachat des activités d’emballage et de finissage de NIL (anciennement détenue par Coats Holdings) et a pris effet à la date de ce rachat. L’accord, comme le stipule son préambule, devait rester applicable tant que Prym détiendrait au moins 10,1 % des actions ordinaires d’Entaco.

30      Aux termes de cet accord, Prym s’est engagée à aider Entaco à devenir un producteur d’aiguilles spéciales. Elle a ainsi demandé à sa filiale américaine Prym-Dritz Inc. de se procurer toutes les aiguilles à coudre dont elle avait besoin auprès d’Entaco. En contrepartie, Entaco a accepté, « pendant la durée de l’accord, de restreindre ses activités de production et de distribution dans le secteur de la mercerie aux seules aiguilles, et de ne pas les étendre aux épingles, aux épingles de sûreté, aux fermetures en quatre parties, aux aiguilles à tricoter ou à tout autre article de mercerie, sans l’accord préalable de Prym », et « de désigner Prym comme son distributeur exclusif pour toutes les aiguilles à coudre à la main emballées autres que celles portant une marque de Coats, en Europe, à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande ».

 Accord de 10,1 %

31      Cet accord prévoyait l’achat par Prym Consumer de 10,1 % du capital émis d’Entaco à 3i Group plc, participation qui a été détenue par la filiale de Prym Consumer, Newey Group, de septembre 1994 à mars 1997.

 Accords d’achat et de distribution

32      Conformément à l’accord d’achat, Prym Consumer ne devait pas entrer en concurrence avec Entaco et s’engageait à couvrir la totalité de ses besoins en produits figurant à l’annexe 1 de l’accord exclusivement auprès d’Entaco (clauses 2.2 et 2.3 de l’accord d’achat).

33      En vertu de l’accord de distribution, Entaco s’est engagée à ne vendre des produits sur le « territoire » (l’Europe, à l’exclusion du Royaume-Uni et de l’Irlande) qu’aux clients dénommés « label accounts », au « distributeur » (Prym Consumer) et à Coats (point 2.2 de cet accord). Les produits correspondants devaient figurer à l’annexe 1 de l’accord, qui est cependant un document vierge.

d)     Accords conclus entre Coats et Entaco

 Accord relatif à la vente et à l’achat d’activités

34      Par un accord intitulé « Accord relatif à la vente et à l’achat d’activités » (Business Sale Agreement), Coats a vendu à Entaco le reste de ses activités de production et d’emballage d’aiguilles le 10 septembre 1994 (le second management buy-out). Aux termes du point 17.1 de cet accord, cette vente était « subordonnée à l’exécution des accords Prym » (les accords de distribution et d’achat ainsi que l’accord de 10,1 %, conclus entre Entaco et Prym Consumer et décrits ci-dessus). Le point 17.2 stipulait que, en cas d’inobservation de cette obligation, l’accord deviendrait caduc.

 Accord de fourniture et d’achat

35      À cette même date, un accord triennal intitulé « Accord de fourniture et d’achat » a été conclu entre J & P Coats et Entaco. Il prévoyait l’achat exclusif par Coats d’aiguilles et d’accessoires de la marque Milward auprès d’Entaco. Le point 2.2 dispose qu’Entaco « ne livre pas de produits à un client de [Coats UK], en dehors des clients qu[‘Entaco] approvisionnait avant la date du présent accord aux niveaux existants » [sous a)] et « remplit ses obligations de nature similaire conformément à un accord conclu entre [Entaco] et Prym en date du 8 septembre 1994 » [sous b)]. Le point 2.2.4 dispose que, « en Europe continentale, [Coats] couvre la totalité de ses besoins en produits auprès d[‘Entaco] et de Prym Consumer ».

36      En vertu de cet accord de fourniture et d’achat, Entaco était tenue, selon la Décision, d’une part, de conclure l’accord d’achat avec Prym pour pouvoir acheter à Coats le reste de ses activités d’emballage et de finissage d’aiguilles (ce qui lui était indispensable pour devenir un concurrent de Prym s’agissant du commerce en gros et de Coats et de Prym s’agissant du commerce au détail) et, d’autre part, de respecter les obligations découlant des accords signés avec Prym (qui l’empêchaient effectivement d’entrer en concurrence avec Prym s’agissant du commerce en gros et avec Prym et Coats s’agissant du commerce au détail). Enfin, Entaco devait se borner à sa fonction de fournisseur de Prym et de Coats, mais avait la garantie de trouver des débouchés pour sa production.

e)     Clauses des accords prévoyant des engagements interdépendants

37      Dans la Décision, la Commission estime que l’ensemble des accords énumérés dans la section précédente était inextricablement lié par une série de clauses de renvoi ou de clauses prévoyant des engagements interdépendants.

38      La Commission considère que le système complexe de clauses prévoyant des engagements interdépendants a eu un double effet. En premier lieu, il aurait fait de ces accords formellement bilatéraux un accord tripartite global. En second lieu, ce système aurait contraint Entaco, d’une part, à signer les accords de distribution et d’achat avec Prym Consumer et, partant, à concrétiser les principes énoncés dans l’accord-cadre, car la vente de NIL et le contrat de fourniture exclusive avec Coats étaient subordonnés à ces signatures et, d’autre part, à respecter la répartition du marché géographique et des marchés de produits avec Prym Consumer même après son rachat de NIL (qui lui aurait permis de devenir un concurrent effectif de Prym dans le secteur du commerce de gros et de détail et de Coats s’agissant du commerce au détail). Cet effet aurait découlé du point 2.2 de l’accord de fourniture et d’achat conclu avec Coats.

39      À cet égard, la Commission se fonde sur une déclaration écrite de M. E., en date du 7 octobre 2003. Dans cette déclaration, il fournit les renseignements suivants sur les objectifs des accords de répartition des marchés :

« En 1994, Victor B., directeur général d’Entaco à l’époque, a signé des accords avec [...] Coats et Prym ; en contrepartie, Coats a, au même moment, vendu les actifs de NIL à Entaco. Bien que distincts, les accords de distribution signés en 1994 avec Coats et Prym constituaient en réalité un seul accord tripartite. Entaco a accepté, en échange de la garantie de pouvoir approvisionner Coats et Prym en aiguilles, de ne pas pénétrer sur le marché des autres articles de mercerie tels que les épingles et les fermetures. »

2.     Événements postérieurs à 1994

40      Le 13 mars 1997, Prym a vendu à Entaco Group sa participation de 10,1 % dans le capital d’Entaco par un accord relatif à la vente de 11 222 actions ordinaires du capital d’Entaco. L’accord était subordonné à une prolongation de cinq ans des accords d’achat et de distribution passés entre Entaco et Prym Consumer à compter du 1er avril 1997.

41      Le 1er avril 1997, un second accord de distribution entre Prym Consumer et Entaco a été signé, prolongeant ainsi l’accord de distribution précédent relatif aux aiguilles à coudre à la main. Le marché concerné était l’Europe, à l’exclusion du Royaume-Uni et de l’Irlande. L’accord d’achat a également été prolongé par un autre accord signé le 1er avril 1997. Ce dernier prévoyait que Prym ne produirait pas et ne distribuerait pas d’aiguilles à coudre à la main ou d’aiguilles artisanales. Les clauses précitées ont donc maintenu le principe d’un accord de répartition des marchés entre Entaco et Prym, mais en limitant sa portée aux seules aiguilles.

42      L’accord de fourniture et d’achat conclu entre Entaco Group et J & P Coats a été reconduit le 10 septembre 1997 pour une période de trois ans expirant en septembre 2000.

3.     Cessation des divers accords et pratiques concertées

43      La vente de la participation de 10,1 % dans Entaco par Prym, en mars 1997, a mis un terme à l’accord-cadre. La Commission estime que cela n’impliquait cependant pas la fin de l’accord de répartition des marchés de produits, puisque le point 7 de l’accord du 13 mars 1997 (accord relatif à la vente de 11 222 actions) maintenait le principe d’une collusion entre Prym et Entaco de la même nature que la collusion prévue dans l’accord-cadre de 1994.

44      Prym Consumer a résilié l’accord d’achat par lettre du 14 décembre 1998 moyennant un préavis de douze mois. Cet accord a donc pris fin le 31 décembre 1999. La Commission indique ignorer si l’accord de distribution a également été résilié le 31 décembre 1999, mais selon elle le fait que Prym ait mentionné que l’accord de distribution et l’accord d’achat constituaient « un » seul accord laisse supposer que la résiliation de l’accord d’achat a entraîné celle de l’accord de distribution.

45      Prym affirme que les parties aux accords ont cessé d’appliquer les deux accords au plus tard à la fin du mois d’avril 1999. Toutefois, la Commission estime qu’en réalité l’accord d’achat est resté légalement en vigueur jusqu’au 31 décembre 1999 et celui de distribution l’est resté au moins jusqu’à cette date. La Commission en conclut que ces deux accords ont pris fin le 31 décembre 1999. En revanche, l’accord de fourniture et d’achat de 1997 se serait poursuivi jusqu’en septembre 2000.

C –  Appréciation juridique

1.     Application de l’article 81 CE

46      Selon la Décision, Entaco, Coats et Prym ont pris part à de nombreuses réunions soit ensemble, soit sur une base bipartite, de même qu’elles ont signé une série d’accords, formellement bilatéraux, visant à restreindre la concurrence et équivalant à un accord tripartite.

47      Ces comportements ont entraîné, selon la Commission, une modification des conditions de concurrence, qui n’étaient plus ce qu’elles auraient dû être, et empêché les concurrents en place de déterminer leur politique de marché de façon autonome, ainsi que l’exige l’article 81, paragraphe 1, CE. La Commission en conclut que, en l’espèce, l’accord tripartite et les réunions préliminaires entre Prym, Entaco et Coats, de même que les réunions bilatérales entre Prym et Entaco, peuvent être qualifiés d’accords et/ou de pratiques concertées.

48      La Commission constate que le comportement anticoncurrentiel en cause avait pour objet et pour effet de restreindre la concurrence dans la Communauté. Elle relève que, dans l’ensemble des accords et des pratiques concertées considérés en l’espèce, les éléments suivants peuvent être considérés comme pertinents aux fins de la détermination de l’existence d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE :

–        la répartition des marchés de produits et du marché géographique ;

–        la participation à des réunions préliminaires et/ou régulières et les autres contacts en vue de se mettre d’accord sur ces restrictions et de les appliquer et/ou de les modifier, le cas échéant.

49      La Commission estime que l’accord continu entre les producteurs a eu un effet sensible sur les échanges entre les États membres de l’Union européenne, car, en l’espèce, les accords conclus par les membres de l’entente se sont étendus à la quasi-totalité des échanges réalisés dans l’ensemble de l’Union européenne dans le secteur industriel des aiguilles, et ont également affecté les échanges dans les secteurs industriels plus importants des autres articles de mercerie durs en empêchant Entaco d’y pénétrer.

2.     Amendes

50      Dans la Décision, la Commission a fixé l’amende en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, soit les deux critères explicitement mentionnés à l’article 23, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

51      Afin d’apprécier la gravité de l’infraction, la Commission indique qu’elle doit tenir compte de sa nature, de son incidence réelle sur le marché, lorsque celle-ci peut être mesurée, ainsi que de la taille du marché géographique en cause. En l’espèce, la Commission est d’avis que les entreprises concernées par la Décision ont commis une infraction « très grave », la conduisant à fixer le montant de départ de l’amende à 20 millions d’euros pour Coats.

52      Quant à la durée de l’entente, la Commission considère que les accords de répartition des marchés de produits et du marché géographique conclus par Prym, Entaco et Coats ont été appliqués depuis l’entrée en vigueur de l’accord-cadre et la signature, le 10 septembre 1994, des accords bilatéraux équivalant en pratique à un accord tripartite, jusqu’au 31 décembre 1999 au moins, date à laquelle ont pris fin les accords de distribution et d’achat passés par Prym Consumer et Entaco. La durée de l’infraction serait donc d’au moins cinq ans et trois mois. Elle a, par conséquent, majoré le montant de départ de 50 % afin de tenir compte de la durée de l’infraction. Ainsi, elle a fixé le montant de base de l’amende de Coats à 30 millions d’euros.

53      En ce qui concerne les circonstances atténuantes, la Commission estime que le fait qu’une autre entreprise ait joué le rôle de chef de file, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, n’a aucune incidence sur l’appréciation de la participation de Coats. En outre, Coats aurait tiré un avantage, notamment économique, des pratiques illicites en cause, à savoir la protection de sa marque Milward et une certaine stabilité des marchés des aiguilles et des épingles et des autres articles de mercerie durs. La Commission précise qu’elle a tenu compte, aux fins de l’appréciation de la gravité effectuée en l’espèce, de la taille des marchés en cause et de la capacité économique effective des contrevenants à causer des dommages substantiels à d’autres opérateurs.

54      S’agissant de l’application de la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4), la Commission est d’avis qu’Entaco a été la seule entreprise à l’avoir informée de l’existence des accords de répartition des marchés et à lui avoir fourni des éléments de preuve déterminants sans lesquels lesdits accords n’auraient pu être découverts. De ce fait, la Commission considère que seule Entaco satisfait aux conditions énoncées au point B de ladite communication.

D –  Dispositif

55      En conclusion, la Commission a arrêté le dispositif de la Décision dont l’article 2 inflige, en application des critères susmentionnés, les amendes suivantes :

–        30 millions d’euros à Prym et à Prym Consumer qui sont solidairement responsables ;

–        30 millions d’euros à Coats Holdings et à J & P Coats qui sont solidairement responsables.

56      Le 26 octobre 2004, le dispositif de la Décision a été notifié aux requérantes, tandis que le texte intégral de la Décision comprenant l’exposé des motifs n’a, quant à lui, été communiqué aux requérantes que le 22 novembre 2004.

 Procédure et conclusions des parties

57      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 janvier 2005, les requérantes ont introduit le présent recours.

58      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et de poser certaines questions aux parties. Les parties y ont répondu dans le délai imparti.

59      Lors de l’audience du 22 novembre 2006, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal.

60      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision dans son ensemble ;

–        à titre subsidiaire, annuler les parties de la Décision que le Tribunal jugera n’avoir pas été prouvées par la Commission ou être viciées par des erreurs manifestes ou une motivation inappropriée ;

–        annuler ou réduire l’amende imposée à Coats ;

–        condamner la Commission aux dépens.

61      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

62      Eu égard aux moyens soulevés, il y a lieu, d’emblée, de considérer les conclusions des requérantes comme tendant, à titre principal, à l’annulation de la Décision et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction de l’amende en ce qui la concerne. En effet, si un destinataire d’une décision décide d’introduire un recours en annulation, le juge communautaire n’est saisi que des éléments de la décision le concernant (arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97 P, Rec. p. I‑5363, point 53).

63      Quant au fond, Coats invoque deux moyens dont l’un, tiré de l’appréciation erronée des preuves, est invoqué au soutien de la demande d’annulation de la Décision, tandis que l’autre vient au soutien de la conclusion tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende.

I –  Sur le moyen visant à l’annulation de la Décision

64      Le premier moyen comporte plusieurs branches par lesquelles les requérantes font valoir que l’appréciation faite par la Commission de l’ensemble des preuves est viciée par des erreurs manifestes, de sorte qu’elle n’a pas démontré à suffisance de droit que Coats, de 1994 à 1999, était partie à un accord illicite. Il convient dès lors de déterminer tout d’abord le cadre juridique relatif à la charge de la preuve et à l’appréciation des preuves.

A –  Sur le cadre juridique relatif à la charge de la preuve et à l’appréciation des preuves

1.     Arguments des requérantes

65      Selon les requérantes, la Cour et le Tribunal ont confirmé à plusieurs reprises que la Commission devait réunir des « éléments de preuve suffisamment précis et concordants » pour fonder la « ferme conviction » que l’infraction alléguée avait été réalisée. Ce niveau de preuve ne serait pas satisfait si pouvait être fournie une « explication plausible » excluant une infraction. Sur ces points, elles s’appuient sur l’arrêt de la Cour du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission (29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, ci-après l’« arrêt CRAM et Rheinzink », point 20), et les arrêts du Tribunal du 21 janvier 1999, Riviera auto service établissements Dalmasso e.a./Commission (T‑185/96, T‑189/96 et T‑190/96, Rec. p. II‑93, ci-après l’« arrêt Riviera auto service », point 47), et du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission (T‑62/98, Rec. p. II‑2707, points 43 et 72).

66      La Commission conteste l’affirmation des requérantes, selon laquelle elle doit produire des éléments de preuve pour fonder la « ferme conviction » que l’infraction alléguée a été commise. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, l’arrêt CRAM et Rheinzink, point 65 supra, ne se référerait pas à la notion de « ferme conviction ».

67      En outre, l’existence d’une autre explication plausible des faits ne serait pertinente que dans l’hypothèse où la Commission n’aurait pas réussi à établir l’existence de l’infraction sur la base des preuves documentaires qu’elle invoque.

2.     Appréciation du Tribunal

68      Le Tribunal rappelle, en ce qui concerne l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, que la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 86).

69      L’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende.

70      En effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée par l’article 6, paragraphe 2, UE, constituent des principes généraux du droit communautaire. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, points 149 et 150, et Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, points 175 et 176).

71      Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e. a./Commission, T‑44/02 OP, T-54/02 OP, T-56/02 OP, T-60/02 OP et T-61/02 OP, non encore publié au Recueil, point 62) et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de concurrence sensibles au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêt Riviera auto service, point 65 supra, point 47). Il n’est notamment pas satisfait à cette exigence lorsqu’il est possible de leur donner une explication plausible excluant une violation des règles de concurrence communautaires (arrêt de la Cour CRAM et Rheinzink, point 65 supra, points 16 et suivants, et arrêt Riviera auto service, point 65 supra, point 47).

72      Toutefois, c’est à juste titre que la Commission fait remarquer que la jurisprudence, selon laquelle il suffit aux requérantes d’établir des circonstances qui donnent un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permettent ainsi de substituer une autre « explication plausible » des faits à celle retenue par la Commission, est uniquement applicable lorsque le raisonnement de la Commission est fondé sur la supposition que les faits établis ne peuvent pas être expliqués autrement qu’en fonction d’une concertation entre les entreprises ; elle n’est donc pas applicable lorsque les observations de la Commission se fondent sur des preuves documentaires (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, ci-après l’« arrêt PVC II », points 725 à 727, et du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, ci-après l’« arrêt JFE Engineering », points 186 et 187).

73      Se pose donc en l’espèce la question de savoir s’il existe des preuves documentaires sur lesquelles la Commission peut fonder ses griefs. À cet égard, la Commission prétend que la Décision s’appuie sur un volumineux ensemble de preuves directes révélant l’existence des clauses établissant des engagements interdépendants et la nature des négociations qui ont mené à leur stipulation.

74      Or, s’agissant des engagements interdépendants contenus dans les accords, les preuves directes alléguées ne sont à la charge que de Prym et d’Entaco. À l’égard de Coats, lesdites preuves ne sont pas sans équivoque. Dès lors que les preuves doivent être interprétées, l’argument de la Commission n’emporte pas la conviction. En effet, selon cette dernière, il ne suffit pas aux requérantes de fournir une explication plausible, puisqu’il existe des preuves documentaires. Or, ces éléments seraient des « preuves documentaires » seulement si l’on acceptait l’explication fournie par la Commission, et non celle des requérantes. Il s’ensuit que, en l’occurrence, il n’existe pas de preuves documentaires au sens de la jurisprudence. En ce qui concerne les engagements interdépendants, les requérantes sont donc libres de substituer une explication plausible des faits à celle retenue par la Commission.

B –  Éléments contestés

75      La plupart des faits évoqués dans la Décision ne font pas l’objet du présent litige entre la Commission et Coats. Les principaux éléments contestés sont les suivants :

–        la Commission se fonde sur la participation de Coats à deux réunions trilatérales, tenues les 11 février et 11 août 1993, entre Coats, Prym et Entaco, à l’occasion desquelles une entente aurait prétendument été abordée ;

–        la Commission soutient que Coats a influencé les termes de l’accord-cadre et a permis l’entrée en vigueur des accords anticoncurrentiels ;

–        selon la Commission, la combinaison des engagements interdépendants contenus dans les accords de 1994 entre Entaco et Prym et des accords de 1994 entre Coats et Entaco, d’une part, et la prétendue capacité de Coats à obliger Entaco à respecter certaines obligations envers Prym, d’autre part, ont fait de Coats la « pierre angulaire » d’une entente tripartite ;

–        ensuite, la Commission maintient que, en décidant de reconduire, en avril 1997, dans des termes très similaires l’accord de fourniture et d’achat de 1994 conclu avec Entaco, Coats perpétuait la prétendue entente tripartite ;

–        enfin, la Commission prétend qu’une somme versée à Entaco par Coats en octobre 2000, en règlement d’un litige relatif à la violation de l’accord de fourniture et d’achat de 1997 conclu entre les deux sociétés, venait en réalité compenser Entaco du non-respect par Prym de leur entente et démontrait que Coats appliquait un accord tripartite.

76      Dans la Décision, la Commission s’est appuyée sur les éléments mentionnés ci-dessus pour établir que Coats avait commis une infraction à l’article 81 CE. Il convient donc de structurer l’examen du premier moyen en fonction de ces éléments. En outre, étant donné que les accords de 1994 ont cessé en mars 1997, il sera nécessaire de distinguer entre la période allant du 10 septembre 1994 jusqu’au 13 mars 1997 et celle allant du 1er avril 1997 jusqu’au 31 décembre 1999.

C –  Sur la responsabilité de Coats pour la période allant de septembre 1994 jusqu’à mars 1997

1.     Sur la participation de Coats aux réunions trilatérales

a)     Arguments des parties

77      Les requérantes affirment que les réunions trilatérales auxquelles Coats a participé, à savoir les réunions des 11 février et 11 août 1993, n’ont pas entraîné de violation de l’article 81, paragraphe 1, CE de la part de Coats. Ensuite, elles contestent l’affirmation de la Commission selon laquelle le mécanisme des engagements interdépendants dispensait Coats d’assister, après le 10 septembre 1994, aux réunions concernant la mise en œuvre pratique des accords de répartition des marchés conclus entre Prym et Entaco. Ainsi, le fait que Coats n’ait participé à aucune des réunions postérieures à 1994 démontrerait qu’elle ne faisait pas partie du cartel formé par Entaco et Prym.

78      S’agissant de la première réunion trilatérale qui s’est tenue le 11 février 1993, les requérantes contestent sa qualification, au considérant 78 de la Décision, de « réunion où les infractions ont été très clairement évoquées et décrites en détail ». Selon elles, un examen approprié du compte rendu n’autorise pas une telle conclusion, mais démontre qu’il s’agissait d’une réunion parfaitement légale dans le cadre de la vente d’une activité, grâce à laquelle Coats estime avoir créé un nouveau concurrent dans le secteur des aiguilles.

79      Coats fait valoir qu’elle n’a pas souscrit à la réflexion de Prym (voir point 22 ci-dessus), selon laquelle Coats était « moralement tenue de mettre de l’ordre » dans la situation de NIL ; que la lettre d’Entaco à Prym, datée du 10 mai 1993 (voir point 23 ci-dessus), ne lui a pas été envoyée, de sorte qu’elle n’a, à aucun moment, approuvé les opinions qui y sont exprimées ; et que la Commission parvient à une conclusion similaire, et non justifiée, en invoquant la lettre de Prym du 30 juin 1993 (voir point 24 ci-dessus), adressée à Coats, dans laquelle Prym propose de « coopérer afin de veiller à ce que le marché européen des aiguilles ne souffre pas de nouvelles blessures infligées à lui-même ».

80      Enfin, quant à la réunion trilatérale du 11 août 1993, Coats affirme que, de toute évidence, il ne s’agissait pas d’une réunion anticoncurrentielle.

81      Selon la Commission, le compte rendu de la réunion du 11 février 1993 et la lettre du 10 mai 1993 doivent être examinés à la lumière de la coopération de longue date existant entre Prym et Coats. Ces documents illustreraient la suite d’événements directs qui ont abouti à la lettre du 30 juin 1993, envoyée directement à Coats, et enfin à la signature des accords en septembre 1994. Les lettres et télécopies seraient liées les unes aux autres et, prises dans leur ensemble, donneraient un aperçu très cohérent des événements et de leur nature.

82      La Commission relève que, selon une jurisprudence constante, lorsque la participation d’une entreprise aux réunions d’une entente a été établie, il incombe à celle-ci d’avancer des indices de nature à établir que sa participation était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur. À cet égard, rien ne prouverait que Coats ait exprimé la moindre opposition ou objection à l’objet des discussions menées lors de ces réunions, bien que Coats aurait été parfaitement informée de la nature anticoncurrentielle des négociations et des réunions et ne se serait pas distanciée du contenu des discussions.

b)     Appréciation du Tribunal

83      Selon la jurisprudence, la participation à des réunions entre entreprises ayant un caractère manifestement anticoncurrentiel (arrêt Hüls/Commission, point 70 supra, point 155) ou un objet anticoncurrentiel (arrêt JFE Engineering, point 72 supra, point 327) ou au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 81) peut établir l’existence d’une entente.

84      Il convient de rappeler que la Commission a recensé cinq réunions trilatérales, dont quatre ont eu lieu entre février et octobre 1993, c’est-à-dire un an avant la conclusion des accords en cause. Deux réunions (celles des 11 février et 11 août 1993) ont été qualifiées de réunions anticoncurrentielles par la Commission.

85      S’agissant de la réunion trilatérale du 11 août 1993, Coats fait remarquer à juste titre que, dans le texte de la Décision, la Commission passe sous silence cette réunion, alors même que dans le tableau nº 2, elle la qualifie de réunion de partage des marchés.

86      En réalité, la lecture du compte rendu approuvé de cette réunion (joint en annexe à la réponse à la communication des griefs) prouve que l’unique sujet de discussion portait sur la vente de NIL, notamment les actifs à vendre. Cette réunion ne saurait donc être qualifiée de réunion de répartition des marchés.

87      S’agissant de la réunion qui s’est tenue le 11 février 1993 entre Coats, Entaco et Prym, la Commission s’appuie, afin de la qualifier de réunion de répartition des marchés, sur une télécopie du 18 février 1993, envoyée par Prym à Entaco, qui contient un compte rendu de la réunion rédigé par Prym. Il est consigné, au point 11 du procès-verbal, que M. G. de Prym a estimé que « Coats était moralement tenue de mettre de l’ordre dans la situation actuelle de [NIL] » (voir point 22 ci-dessus).

88      Tout d’abord, il convient de relever qu’il ne s’agit que de l’opinion de M. G. de Prym. De même, les deux lettres, des 10 mai et 30 juin 1993, qui montrent, selon la Commission, la raison pour laquelle les trois entreprises ont intérêt à se répartir le marché européen, ne proviennent pas de Coats. Il n’y a donc pas de preuves que celle-ci ait souscrit à ces déclarations.

89      Coats concède toutefois que ces déclarations n’ont pas été contestées par ses représentants. Dans ces conditions, il reste à examiner si Coats pouvait se borner à ne pas approuver lesdites déclarations ou si elle était dans l’obligation de se distancier publiquement d’une telle démarche pour pouvoir être considérée comme n’ayant pas participé à l’entente en cause.

90      Selon une jurisprudence constante relative à la participation aux réunions d’une entente, lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, point 83 supra, point 81, et Hüls/Commission, point 70 supra, point 155). Comme la Cour l’a expliqué au point 82 de l’arrêt Aalborg Portland/Commission, la raison qui sous-tend ce principe de droit est que, ayant participé à ladite réunion sans se distancier publiquement de son contenu, l’entreprise a donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à son résultat et qu’elle s’y conformerait. Le Tribunal a appliqué cette jurisprudence également à l’égard des réunions auxquelles avaient participé non seulement des fabricants concurrents, mais également des clients, qualité qui est celle de Coats en l’espèce (arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, points 62 à 66).

91      Toutefois, la jurisprudence sur l’approbation tacite repose sur la prémisse que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 83 supra, point 81) ou au caractère manifestement anticoncurrentiel (arrêt Hüls/Commission, point 70 supra, point 155). Or, il convient de relever que la nature anticoncurrentielle de la réunion du 11 février 1993 n’a pas été établie de manière indubitable. La phrase selon laquelle « Coats était moralement tenue de mettre de l’ordre dans la situation actuelle de [NIL] » est assez ambiguë dans le cadre de la vente d’une activité et ne se réfère pas nécessairement à une répartition du marché. Elle pourrait également signifier que Coats devrait accepter l’offre précédente de Prym au lieu de vendre NIL à Entaco. Le reste du procès-verbal n’est pas davantage pertinent. En outre, la Commission ne saurait se fonder sur la lettre du 30 juin 1993 – qui ne fait aucune référence à la réunion du 11 février 1993 et dont Coats n’est pas l’auteur – pour apprécier la nature d’une réunion qui s’est tenue plus de quatre mois auparavant.

92      S’agissant de la lettre du 10 mai 1993, adressée par Entaco à Prym, il ressort de sa formulation (par exemple, « Prym Consumer et Entaco tiennent beaucoup à conclure un accord pour maintenir le statu quo ») que les discussions entre Entaco et Prym étaient de nature bilatérale. Coats n’était ni l’auteur ni le destinataire de la lettre. Ainsi, cette lettre n’est pas susceptible de prouver une implication de Coats dans l’entente.

93      En outre, même dans l’hypothèse où l’affirmation de la Commission serait correcte, Coats n’aurait participé qu’à une seule réunion anticoncurrentielle, car, contrairement à ce que soutient la Commission, la réunion du 11 août 1993 ne saurait être considérée comme une réunion d’entente (voir point 86 ci-dessus). La seule réunion qui pourrait éventuellement être qualifiée de réunion d’entente a eu lieu le 11 février 1993, soit 19 mois avant la conclusion, le 10 septembre 1994, des accords faisant l’objet de la Décision.

94      Par ailleurs, la seule réunion trilatérale postérieure à 1993, qui a eu lieu le 6 octobre 1995, n’a pas été qualifiée de réunion anticoncurrentielle par la Commission. Il s’ensuit que Coats n’a assisté à aucune des réunions concernant la mise en oeuvre pratique des accords de répartition des marchés conclus entre Prym et Entaco. Selon la Commission, le mécanisme des engagements interdépendants dispensait Coats d’assister, après le 10 septembre 1994, aux réunions, mais ce raisonnement n’emporte pas la conviction. Évidemment, l’obligation d’Entaco de ne vendre qu’aux clients existants d’Europe continentale ne s’imposerait pas d’elle-même. L’existence d’une obligation, interdépendante ou non, ne saurait garantir son observation. Si Coats avait eu l’intention d’obliger Entaco à respecter son obligation de ne vendre qu’aux clients existants d’Europe continentale, elle aurait, en toute hypothèse, eu besoin d’assister à ces réunions pour contrôler le respect par Entaco de son obligation.

95      Finalement, dans son mémoire en duplique, la Commission avance que, en l’espèce, la jurisprudence relative à la participation aux réunions d’une entente est importante non pas pour établir l’existence d’un accord, mais parce que les réunions contribuent à éclaircir les objectifs des accords écrits. Cela s’explique par le fait que la Commission part de la prémisse que, en l’espèce, « les accords étaient écrits et nul n’est besoin de déduire le consentement de Coats de sa présence aux réunions ». En d’autres mots, la Commission elle-même ne cherche pas à établir la responsabilité de Coats à cause de sa participation aux réunions, mais se réfère à ces réunions seulement afin d’interpréter les accords écrits, car la présence de Coats à ces réunions démontrerait ses intentions sous-jacentes.

96      Dans ces conditions, la seule participation à la réunion du 11 février 1993 – dont la nature anticoncurrentielle n’a pas été établie à suffisance de droit – ne saurait engager la responsabilité de Coats pour une entente qui a été conclue entre Prym et Entaco plus d’un an et demi plus tard et qui a duré jusqu’à la fin de l’année 1999. Néanmoins, il reste à examiner si les autres griefs de la Commission suffisent à justifier le dispositif de la Décision. Au cours de cet examen, la correspondance analysée ci-dessus sera prise en compte afin d’interpréter le comportement de Coats.

2.     Sur l’influence de Coats sur la rédaction et l’entrée en vigueur de l’accord-cadre

a)     Arguments des parties

97      Il est constant entre les parties que Coats n’a jamais formellement participé à l’accord-cadre ou aux autres accords anticoncurrentiels écrits conclus entre Prym et Entaco. Si la Commission avance qu’un système complexe de clauses prévoyant des engagements interdépendants a fait de ces accords formellement bilatéraux un accord tripartite global (voir points 37 et suivants ci-dessus), elle reconnaît qu’il n’existe pas d’accord signé par les trois parties, puisque la signature tripartite que Coats avait proposée dans sa lettre du 11 août 1994 n’a pas eu lieu.

98      En revanche, il y a un différend entre Coats et la Commission sur la question de savoir si Coats a participé activement à la rédaction et à l’entrée en vigueur de l’accord-cadre. Les requérantes contestent la constatation de la Commission selon laquelle elles étaient en mesure d’influencer la rédaction de l’accord-cadre. Elles affirment que l’accord-cadre a été signé sous sa forme définitive le 15 juin 1994, sans aucune participation de Coats ni à sa négociation ni à son élaboration. Par ailleurs, Coats affirme qu’elle n’a rien fait en vue de « permettre » à l’accord-cadre d’entrer en vigueur, car elle aurait de toute façon vendu son activité. En outre, Entaco et Prym auraient explicitement évoqué la poursuite de leur entente, même en l’absence de concrétisation de la transaction avec Coats.

99      Afin d’étayer ses affirmations, Coats cite le témoignage de M. G. de Prym, lors de l’audition qui a eu lieu devant la Commission, selon lequel « à aucun moment Coats n’a pris part à la négociation de l’accord-cadre signé en juin 1994 ». En outre, les requérantes font remarquer que les deux télécopies, datées des 11 et 30 août 1994 et invoquées par la Commission pour prouver que Coats est intervenue dans l’élaboration de l’accord-cadre, ont été envoyées deux mois après la finalisation et la signature de l’accord-cadre.

100    S’agissant de la signature tripartite qu’elle avait proposée dans sa lettre du 11 août 1994, Coats souligne que la seule raison qui l’a poussée à une telle signature était de s’assurer, après des retards initiaux causés par la poursuite des discussions entre Entaco et Prym, que la vente se réalise dans un délai raisonnable. De plus, aucune signature tripartite n’aurait eu lieu.

101    La Commission précise que – n’ayant pas directement signé l’accord-cadre et les accords de distribution et d’achat –, Coats n’était pas partie aux accords bilatéraux entre Entaco et Prym, mais qu’elle a adhéré au plan commun, dont la mise en œuvre était assurée par un réseau d’accords bilatéraux inextricablement liés entre eux.

102    Dans la Décision, elle aurait établi que Coats était informée de l’existence de cet accord et de son contenu exact, donc du fait que l’entrée en vigueur d’un accord contenant des clauses collusoires entre deux de ses fournisseurs dépendait de ses propres actions. En décidant de signer l’accord de vente, Coats a, selon la Commission, contribué à l’entrée en vigueur des dispositions anticoncurrentielles arrêtées dans l’accord-cadre.

103    À cet égard, la Commission indique que Coats a été informée du contenu de l’accord-cadre au plus tard le 16 juin 1994 et que, connaissant le contenu de l’accord, elle avait la possibilité d’influer sur la forme finale de l’accord conclu, ce qu’elle aurait effectivement tenté de faire. En outre, les deux télécopies des 11 et 30 août 1994 indiqueraient que Coats a tenté de changer le texte de l’accord-cadre qui avait déjà été signé, mais qui n’était pas encore entré en vigueur.

104    La Commission estime que le fait que l’entrée en vigueur de l’accord-cadre était subordonnée à l’exécution de l’accord de vente, qui dépendait du respect par Entaco des obligations qui lui incombaient en vertu des accords de distribution et d’achat de 1994, correspond à son interprétation du terme « tripartite ».

b)     Appréciation du Tribunal

105    Il y a lieu de relever que Coats a été informée au moins de l’existence de l’accord-cadre au plus tard le 16 juin 1994. En effet, une lettre du 16 juin 1994, adressée par M. G. (Prym) à M. B. (Entaco), indiquait qu’il avait « parlé à Martin Flower [président-directeur général de Coats] et l’[avait] informé de la situation ». Cette lettre, ainsi que les télécopies des 11 et 30 août 1994 (voir points 106 et 116 ci-après), prouve que Coats avait connaissance de l’entente avant son entrée en vigueur. Toutefois, le seul fait d’être informé d’un accord anticoncurrentiel ne peut pas engendrer une responsabilité de l’infraction. La Commission le reconnaît implicitement quand elle constate, au considérant 137 de la Décision que, « [s]i le fait d’être informé d’un accord de répartition du marché peut ne pas constituer une approbation, le fait de participer activement à sa rédaction et de permettre son entrée en vigueur en constitue assurément une ».

 Sur la participation de Coats à la rédaction de l’accord-cadre

106    Quant à sa participation à la rédaction de l’accord-cadre, force est de constater que la Commission n’a apporté aucune preuve que Coats a été informée de cet accord avant sa signature. Selon le dossier, celui-ci a été signé sous sa forme définitive le 15 juin 1994, sans intervention préalable de Coats. Il est vrai que, après sa signature, Coats a essayé de persuader Prym et Entaco de changer les dispositions de l’accord-cadre. En effet, dans une télécopie du 11 août 1994, Coats a déclaré :

« Je vous remercie de m’avoir adressé, par [télécopie] du 25 juillet 1994, une copie de l’accord-cadre conclu entre Prym et Entaco. Dans l’ensemble, nous n’avons pas d’objection à cet accord, sauf […] Je ne pense pas que nous puissions accepter cette clause et je demande son retrait, sous peine de remettre en cause la procédure de vente prévue. »

107    Néanmoins, cette télécopie indique que Coats n’a pas participé à la rédaction de l’accord et qu’une copie signée lui en a été envoyée par la suite. De plus, la disposition contestée par Coats n’a pas été modifiée dans les faits, alors que Coats a signé les accords de 1994 avec Entaco. Par ailleurs, M. G. de Prym a confirmé au cours de l’audition devant la Commission que « [l]es discussions entre Entaco et Prym [avaient] eu lieu uniquement entre Entaco et Prym et, autant qu[‘il se] souv[enait], à aucun moment il n’y a[vait] eu de participation de la part de Coats au sujet de ces discussions ou concernant le contenu détaillé des deux accords signés et [...] à aucun moment Coats n’a[vait] pris part à la négociation de l’accord-cadre signé en juin 1994 ». Bien qu’il contredise la déclaration de M. E. mentionnée au point 39 ci-dessus, la Commission ne fait pas référence à ce témoignage dans sa Décision.

108    En outre, la Commission ne répète pas, dans son mémoire en défense, son affirmation figurant dans la Décision selon laquelle « Coats était en mesure d’influencer la rédaction de l’accord-cadre ». Elle avance plutôt qu’elle avait « simplement fait valoir dans la [D]écision que Coats était au courant [...] de l’existence de cet accord et de son contenu exact ». Dans ces conditions, la Commission n’a pas établi que Coats avait effectivement influé sur la rédaction de l’accord-cadre.

 Sur l’entrée en vigueur de l’accord-cadre

109    En ce qui concerne le grief selon lequel Coats a permis l’entrée en vigueur de l’accord-cadre, la logique de la Commission semble impliquer que, dès lors que Coats avait connaissance de l’accord-cadre, elle ne pouvait plus vendre ses activités sans devenir responsable de l’entente, puisque l’entrée en vigueur de celle-ci était subordonnée à la vente. La décision de Coats de poursuivre la vente de ses activités n’est cependant pas, en soi, de nature à prouver que celle-ci avait pour but de contribuer aux objectifs de l’entente entre Prym et Entaco. Le fait que Prym et Entaco aient décidé que cet événement constituerait la date d’entrée en vigueur de leur entente ne saurait donc, de prime abord, être attribué à la volonté de Coats.

110    Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, le fait que Coats ait déclenché le mécanisme de l’entente entre Prym et Entaco est susceptible d’impliquer Coats dans cette entente, si cet acte s’inscrit dans un plan commun.

111    À cet égard, il importe de rappeler que les différents éléments en cause en l’espèce ne peuvent être examinés isolément. Comme le Tribunal l’a reconnu, les preuves doivent être appréciées dans leur ensemble en tenant compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 175).

112    En l’espèce, le comportement de Coats doit ainsi être examiné à la lumière de la collaboration continue entre Coats et Prym, née dans les années 70. Cette collaboration s’est intensifiée lors des réunions et dans les échanges de lettres mentionnés aux points 87 et suivants ci-dessus. Grâce à celles-ci, Coats était parfaitement informée des intentions de Prym et d’Entaco. En particulier, la déclaration sur la « coopération » figurant dans la lettre du 30 juin 1993 démontre clairement qu’Entaco et Prym la considéraient comme une partenaire.

113    Quant aux intentions anticoncurrentielles de Coats, elles sont démontrées tout d’abord par le fait que l’accord-cadre lui a été divulgué. À cet égard, la Commission constate à juste titre que, en général, aucun fournisseur n’informe ses clients au sujet des ententes auxquelles il participe. Ce comportement est en effet très inhabituel et démontre que, contrairement à ce qu’affirme Coats, celle-ci n’était pas la « victime » d’une entente. Le fait même qu’Entaco et Prym ont abordé des questions confidentielles (telles que la création d’une entente) montre que les intentions de Coats devaient être de nature anticoncurrentielle. En effet, selon une jurisprudence constante du Tribunal, le fait qu’un échange d’informations concerne des informations qu’un opérateur indépendant préserve rigoureusement comme secrets d’affaires suffit à démontrer l’existence d’un esprit anticoncurrentiel (arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 90 supra, point 66).

114    Or, il est clairement stipulé dans l’accord-cadre qu’Entaco et Prym procédaient à une répartition des marchés de produits et du marché géographique. La première phrase précise que l’accord-cadre prend effet à la date du rachat (des activités de finissage et d’emballage) de NIL par Entaco. Coats était donc informée de l’existence de cet accord et de son contenu, de même que du fait que l’entrée en vigueur d’un accord contenant des clauses collusoires entre deux de ses fournisseurs dépendait de ses propres actions. En décidant de signer l’accord de vente, Coats a sciemment contribué par son propre comportement à la réalisation d’un objectif commun à Prym et à Entaco, à savoir à l’entrée en vigueur des dispositions anticoncurrentielles arrêtées dans l’accord-cadre.

115    En outre, Entaco n’aurait conclu aucun accord avec Prym sans pouvoir passer d’accords avec Coats. Entaco a exprimé ce point de vue dans une télécopie du 24 novembre 1993 adressée à Prym (« Nous [,Entaco,] ne chercherions pas à nous retrouver ‘pieds et poings liés’ en Europe si nous n’étions pas protégés par un accord de fourniture et d’achat avec Coats »). Coats en était consciente, puisque, conformément à ses clauses 7.1.4 et 17.1, l’accord relatif à la vente et à l’achat d’activités de 1994 entre Coats et Entaco était subordonné aux accords entre Entaco et Prym et à l’accord de fourniture et d’achat. Il s’ensuit que l’entente n’aurait pas vu le jour si Coats n’y avait pas participé.

116    L’intention de Coats est par ailleurs mise en évidence dans une télécopie du 30 août 1994 adressée à Entaco et transmise en copie à Prym, dans laquelle Coats mentionne une réunion organisée avec Prym, afin de « clarifier certains points concernant la vente de NIL », et souligne que « Coats est en fin de compte actionnaire de Prym et doit par conséquent faire en sorte que Prym soit satisfaite des dispositions que nous (Entaco et Coats) sommes sur le point de conclure ». Dans cette télécopie, Coats résume sa discussion avec Prym concernant le projet d’accord de fourniture et d’achat. Elle fait également des commentaires précis sur la manière dont, selon Coats et Prym, les accords de distribution et d’achat interagissent avec l’accord de fourniture et d’achat ainsi que sur les améliorations nécessaires.

117    Finalement, il convient de rappeler que Coats a elle-même proposé une signature tripartite. En outre, si les accords n’ont pas été signés lors d’une réunion trilatérale, ils ont tous été signés bilatéralement le même jour. Dans ces conditions, le fait d’avoir contribué sciemment à l’entrée en vigueur de l’accord-cadre ne saurait être considéré comme un acte purement factuel et anodin, mais permet la mise en évidence d’au moins une pratique concertée.

118    Il reste que la contribution de Coats était limitée à la facilitation de l’entrée en vigueur de l’accord-cadre. Il se pose donc la question de l’étendue de la responsabilité de Coats.

 Sur l’étendue de la responsabilité de Coats

119    Comme le Tribunal l’a indiqué au point 370 de l’arrêt JFE Engineering, point 72 supra, une entreprise peut être tenue pour responsable d’une entente globale même s’il est établi qu’elle n’a participé directement qu’à un ou à plusieurs des éléments constitutifs de celle-ci, dès lors, d’une part, qu’elle savait, ou devait nécessairement savoir, que la collusion à laquelle elle participait s’inscrivait dans un dispositif d’ensemble destiné à fausser le jeu normal de la concurrence, et, d’autre part, que ce dispositif recouvrait l’ensemble des éléments constitutifs de l’entente. De même, le fait que différentes entreprises aient joué des rôles différents dans la poursuite d’un objectif commun n’élimine pas l’identité d’objet anticoncurrentiel et, partant, d’infraction, à condition que chaque entreprise ait contribué, à son propre niveau, à la poursuite de l’objectif commun.

120    En l’espèce, Coats avait connaissance de la répartition des marchés prévue dans l’accord-cadre et du fait que l’entrée en vigueur de l’entente dépendait de son comportement. Elle est donc coresponsable de l’entente globale conclue entre Prym et Entaco.

121    Sur le plan temporel, toutefois, les effets du comportement de Coats, consistant à avoir permis l’entrée en vigueur de l’accord-cadre, étaient limités à la durée de validité de cet accord. En effet, la responsabilité pour la participation à une entente ne peut pas s’étendre au-delà de l’existence de celle-ci. Or, par la vente de sa participation de 10,1 % dans Entaco (le 13 mars 1997), Prym a mis un terme à l’accord-cadre (voir point 43 ci-dessus) et, partant, à l’entente. Il est vrai que Prym et Entaco ont perpétué certains aspects de l’entente dans les accords de 1997. Toutefois, l’entrée en vigueur des accords de 1997 ne dépendait pas d’une collaboration de Coats. Les accords de 1997 entre Prym et Entaco n’étaient notamment pas subordonnés à la conclusion de l’accord de fourniture et d’achat de 1997. En effet, cet accord a été signé plus de cinq mois après et comportait des stipulations relatives à la durée et à la résiliation différentes. Dans ces conditions, la cessation de l’accord-cadre représente une rupture mettant fin à la responsabilité de Coats. Une responsabilité au-delà de cette date requerrait un nouvel acte anticoncurrentiel de la part de Coats (voir points 175 et suivants ci-après) ou la capacité de Coats à obliger Entaco à respecter certaines obligations envers Prym grâce aux engagements interdépendants prévus dans les accords de 1997 tout comme dans les accords de 1994 (voir points 123 et suivants ci-après).

122    Il résulte de tout ce qui précède que le fait d’avoir facilité l’entrée en vigueur de l’accord-cadre entre Prym et Entaco a engagé la responsabilité de Coats jusqu’à la cessation de cet accord, le 13 mars 1997.

3.     Sur les engagements interdépendants et la mise en œuvre des divers accords concernés

123    Il convient de rappeler que, selon la Décision, les accords de 1994 entre Coats et Entaco et entre Entaco et Prym étaient liés entre eux par une série de clauses prévoyant des renvois ou des engagements interdépendants formant une chaîne d’interconnexions révélant que ces contrats, formellement bilatéraux, équivalaient en fait à un accord tripartite (voir points 37 et suivants ci-dessus). En effet, par le biais de la clause 2.2, sous b), des accords de fourniture et d’achat de 1994, Coats aurait, en particulier, obligé Entaco à respecter les accords de distribution et d’achat de 1994. Coats aurait donc participé à la mise en œuvre des diverses ententes établies entre Prym et Entaco et, de ce fait, serait impliquée elle-même dans ces accords et/ou pratiques concertées.

a)     Arguments des parties

124    Les requérantes contestent ces affirmations de la Commission. En premier lieu, elles relèvent que la Commission n’a pas tenu compte des nombreuses preuves contenues dans leur dossier laissant entendre que le cartel entre Entaco et Prym était autonome et se serait poursuivi indépendamment de la vente des activités de finissage et d’emballage d’aiguilles de Coats à Entaco. L’accord-cadre refléterait ce caractère indépendant du cartel, puisqu’il prévoyait une cessation de l’accord de fourniture et d’achat alors qu’il continuerait lui-même à rester en vigueur.

125    En deuxième lieu, la Commission fait preuve, selon les requérantes, d’une méconnaissance des réalités commerciales dans son analyse des engagements interdépendants des accords de 1994, car les différentes conditions suspensives auraient toutes obéi à une logique et à une nécessité commerciale évidente.

126    À cet égard, Coats fait valoir que le point 2.2 de l’accord de fourniture et d’achat de 1994 entre Coats et Entaco (voir point 35 ci-dessus) était uniquement destiné à accorder à Coats, en contrepartie d’une obligation d’achat exclusif de sa part, une protection légale dans ses principales zones de vente face à la concurrence d’Entaco. Une telle formule serait habituelle dans les accords d’achat exclusif et serait autorisée par le règlement (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l’application de l’article [81], paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords d’achat exclusif (JO L 173, p. 5), tel que modifié.

127    Coats estime que l’interprétation selon laquelle elle a inséré la formule « nature similaire » afin de pouvoir mettre en œuvre l’accord de répartition du marché géographique conclu entre Entaco et Prym est peu crédible, étant donné que la formule a été introduite à la dernière minute et que, à ce moment-là, les accords de 1994 entre Entaco et Prym étaient déjà signés. En outre, les preuves existantes montreraient clairement que la formule « nature similaire » avait été proposée par Entaco et non par Coats. Elle représenterait un amendement manuscrit de l’accord qui a remplacé un avant-projet plus long et compliqué.

128    Coats relève que, pour Entaco, il existait également une raison commerciale expliquant que, conformément à sa clause 17.1, l’accord relatif à la vente et à l’achat d’activités de 1994 entre Coats et Entaco était subordonné à l’accord d’achat de 1994 entre Entaco et Prym : Entaco ne pouvait prendre le risque d’acheter l’activité d’emballage, qui comprenait un stock important d’aiguilles non finies en provenance de Chine (environ 300 millions), sans des débouchés certains pour les aiguilles emballées.

129    S’agissant de la mise en œuvre des accords, les requérantes avancent qu’il aurait été impossible pour Coats d’influer sur les parts de marché respectives d’Entaco et de Prym en jouant sur les quantités sans se mettre en position de rupture manifeste de contrat.

130    La Commission fait valoir que le renvoi aux « obligations de nature similaire » énoncé à la clause 2.2, sous b), de l’accord de fourniture et d’achat contraignait Entaco à respecter un accord de répartition du marché géographique conclu avec Prym. Par conséquent, cette clause aurait permis à Coats d’appliquer la répartition du marché et aurait fait de Coats une partie à l’accord tripartite.

131    La Commission estime dépourvu de pertinence le fait que les clauses anticoncurrentielles aient été introduites par Entaco ou par Coats, de façon manuscrite et à la dernière minute ou par d’autres moyens et bien à l’avance. Par ailleurs, elle affirme que le règlement n°1984/83 ne peut être appliqué aux accords de fourniture et d’achat.

132    En conclusion, la Commission affirme que l’accord de fourniture et d’achat était la « pierre angulaire » d’un accord tripartite.

b)     Appréciation du Tribunal

133    Afin d’évaluer les constatations de la Commission relatives aux engagements interdépendants et à la nature tripartite de l’entente, il convient tout d’abord d’analyser les clauses sur lesquelles la Commission s’est fondée pour arriver à ses conclusions. Les accords auxquels Coats a participé ne contiennent que deux clauses qui renvoient à d’autres accords : la clause 2.2 de l’accord de fourniture et d’achat et la clause 17.1 de l’accord relatif à la vente et à l’achat d’activités.

 Sur la mise en œuvre des divers accords grâce à la clause 2.2 de l’accord de fourniture et d’achat

134    La clause 2.2 de l’accord de fourniture et d’achat de 1994 dispose qu’Entaco :

« a)      ne livre pas de produits à un client de [Coats établi au Royaume-Uni], en dehors des clients qu[‘Entaco] approvisionnait avant la date du présent accord aux niveaux existants ; [...]

b)      remplit ses obligations de nature similaire conformément à un accord conclu entre [Entaco] et Prym en date du 8 septembre 1994. »

135    Pour l’essentiel, la Commission fait valoir que le renvoi, sous b), aux « obligations de nature similaire » contraignait Entaco à respecter un accord de répartition du marché géographique conclu avec Prym. Partant, cette clause aurait permis à Coats d’appliquer la répartition du marché et aurait donc fait d’elle une partie à l’accord tripartite. Cette interprétation n’emporte cependant pas la conviction pour plusieurs raisons.

–       Libellé de la clause

136    En premier lieu, cette interprétation est contraire au libellé de la clause 2.2, sous b). Cette clause fait référence à « un accord conclu entre [Entaco] et Prym en date du 8 septembre 1994 ». Toutefois, force est de constater qu’il n’existe pas d’accord en date du 8 septembre 1994. Il résulte cependant de la réponse de Coats à la communication des griefs que la version définitive des accords entre Entaco et Prym a été arrêtée le 8 septembre 1994 et gardée en attente jusqu’à ce que les accords avec Coats soient signés le 10 septembre 1994.

137    Il convient donc de déterminer l’accord visé par la formule citée, étant donné qu’il existe trois accords entre Entaco et Prym établis à cette date (à savoir l’accord de 10,1 % et les accords d’achat et de distribution). Selon la Commission, il s’agit de l’accord de distribution de 1994 et de l’accord d’achat de 1994 ; ainsi elle imposait à Entaco de remplir ses obligations au titre de ces accords et donc de respecter l’accord de répartition du marché géographique avec Prym.

138    Toutefois, la clause 2.2, sous b), ne mentionne qu’« un accord » au singulier. Si l’interprétation de la clause 2.2, sous b), effectuée par la Commission était correcte et que cette clause devait contraindre Entaco à respecter les obligations qui lui incombaient en vertu de contrats conclus avec Prym, le mot « accord » serait au pluriel.

–       Structure et contexte de la clause

139    En deuxième lieu, l’interprétation de la Commission ne tient pas compte de la structure et du contexte de la clause. La clause, sous a), contient une obligation de non-concurrence à la charge d’Entaco visant le territoire du Royaume-Uni. Par conséquent, étant donné que les amendements manuscrits apportés à la clause 2.2, sous a) et b), ont remplacé un avant-projet bien plus long et compliqué qui ne comprenait pas seulement le Royaume-Uni, mais aussi d’autres territoires, on conçoit aisément que la clause, sous b), vise les autres territoires pour lesquels Coats a imposé une interdiction de concurrence à Entaco. Ainsi, les « obligations de nature similaire » renvoient, en réalité, au point 2.2 de l’accord de distribution de 1994 entre Entaco et Prym, qui dispose qu’« [Entaco] s’engage à ne pas vendre des produits à quiconque sur le territoire [l’Europe, à l’exclusion du Royaume-Uni et de l’Irlande] en dehors des clients dénommés ‘label accounts’ [les clients existants d’Entaco] et/ou du distributeur [Prym] et/ou du groupe Coats ».

140    En effet, s’il était correct que la clause 2.2, sous b), ne contenait pas une obligation de non-concurrence au profit de Coats, mais imposait à Entaco de remplir ses obligations vis-à-vis de Prym, la protection recherchée par Coats dans ses principales zones de vente face à la concurrence d’Entaco ne serait assurée que sur le territoire du Royaume-Uni.

141    Une telle interprétation n’emporte pas la conviction, puisqu’elle irait à l’encontre des intentions de Coats. Dans le contexte de l’obligation de non-concurrence spécifiée sous a), il paraît plus naturel que la formule « obligations de nature similaire » renvoie également à une obligation de non-concurrence. En effet, si la clause 2.2, sous b), avait été destinée à appliquer l’entente contenue dans les accords entre Entaco et Prym, les mots « de nature similaire » seraient dénués de pertinence et la clause devrait plutôt se lire « [Entaco] remplit ses obligations conformément aux accords […] »

142    En outre, il convient de relever que la clause remplacée par la clause 2.2, sous b), ne contenait pas de référence aux accords entre Entaco et Prym. Si cette référence avait effectivement été la « pierre angulaire » de l’entente, il est peu probable qu’elle eût été insérée à la dernière minute et qu’elle n’ait pas été présente dans le projet d’accord initial.

143    Par conséquent, la structure et le contexte de la clause soutiennent l’interprétation avancée par Coats, selon laquelle la clause 2.2, sous a), concernait le Royaume-Uni, alors que la clause 2.2, sous b), était destinée à atteindre, en faisant référence à un autre accord, le même but en Europe continentale, où Coats exerçait également des activités.

–       Objectif visé par la clause

144    En troisième lieu, la clause, sous b), telle qu’interprétée par la Commission, n’aurait pu atteindre son but en pratique. Selon la Commission, « pour appliquer les accords de répartition des marchés, la seule chose que Coats (en sa qualité d’acheteur de loin le plus puissant au Royaume-Uni) devait faire était s’approvisionner auprès d’Entaco au lieu de Prym ». Cet argument repose sur la prémisse que Coats était en mesure, par l’intermédiaire de ses commandes de produits, de discipliner les deux entreprises. Toutefois, conformément à l’accord de fourniture et d’achat de 1994 entre Entaco et Coats, cette dernière était dans l’obligation contractuelle de s’approvisionner exclusivement auprès d’Entaco pour le Royaume-Uni. Par conséquent, Coats n’avait pas de marge de manœuvre lui permettant de discipliner Entaco ou Prym en jouant sur les quantités achetées sans engager sa responsabilité contractuelle.

145    En effet, un litige entre Entaco et Coats est né précisément du fait que Coats n’était pas en droit de substituer aux commandes à Entaco celles effectuées auprès de Prym. En Italie, Coats devait se fournir exclusivement auprès d’Entaco (hormis les quantités achetées aux tiers existants au moment de la signature de leur accord de fourniture et d’achat de 1994). Lorsqu’elle a commencé à acheter à Prym des quantités d’aiguilles plus importantes que la quantité qu’elle achetait au moment de la signature de l’accord de fourniture et d’achat de 1994, Entaco a réclamé des dommages et intérêts.

–       Historique de la clause

146    En dernier lieu, il convient de prendre en compte les circonstances dans lesquelles l’amendement manuscrit a été inséré. À cet égard, Coats relève que Prym n’est jamais intervenue dans les négociations entre Coats et Entaco. Cette affirmation a été confirmée par Prym lors de l’audition devant la Commission. Or, il y a lieu de relever que si Prym avait eu besoin, comme la Commission l’a allégué, du soutien de Coats pour empêcher Entaco de pénétrer sur le marché de l’Europe continentale, elle aurait fait des démarches afin d’intervenir dans ces négociations.

147    En outre, Coats avance que la formule de la clause, sous b), a été introduite à la dernière minute et qu’à cette date les accords de 1994 entre Entaco et Prym étaient déjà signés (le 8 septembre 1994). De plus, Coats a présenté au cours de l’audition devant la Commission le témoignage de son conseiller juridique, qui a assisté à la réunion de signature au nom de Coats, selon lequel cette formule a été introduite à la demande des avocats d’Entaco, afin de simplifier le texte et de le faire concorder avec l’accord de distribution de 1994 entre Entaco et Prym, qui avait été signé peu de temps auparavant.

148    La Commission a considéré qu’il semblait très peu probable que les avocats d’Entaco aient, à la dernière minute, absolument voulu imposer une obligation à leur propre client, contraignant ainsi Entaco à respecter un autre contrat. Toutefois, cette objection n’est pertinente que dans la mesure où l’on accepte l’interprétation de la Commission concernant la signification des « obligations de nature similaire ». Dès lors que l’on accepte que cette formule était destinée à produire le même effet que la disposition initiale, qui était plus complexe et qui a été supprimée, il s’ensuit qu’elle n’imposait aucune obligation additionnelle à Entaco.

149    Au contraire, en réponse à une question écrite du Tribunal, les requérantes ont confirmé que l’étendue géographique de l’obligation de non-concurrence contenue dans l’accord de distribution entre Entaco et Prym ne comprenait pas les États-Unis et le « World Territory » en dehors de l’Europe continentale. Il était donc dans le propre intérêt d’Entaco de faire référence, dans l’accord de fourniture et d’achat avec Coats, à cette clause de non-concurrence afin de limiter ses obligations au Royaume-Uni et à l’Europe continentale, et de n’avoir plus qu’un seul engagement à respecter.

150    Dans ces conditions, l’explication avancée par Coats, selon laquelle les termes de l’amendement manuscrit visent à produire le même effet que l’obligation de non-concurrence remplacée par ceux-ci, est plausible et convaincante. Il s’ensuit que la clause 2.2, sous b), n’était pas destinée à mettre en œuvre la répartition des marchés conclue entre Entaco et Prym, mais à accorder à Coats, en contrepartie d’une obligation d’achat exclusive de sa part, une protection dans ses principales zones de vente face à la concurrence d’Entaco.

 Sur le rôle de « pierre angulaire » d’un accord tripartite de l’accord de fourniture et d’achat

151    Selon la Commission, l’accord de fourniture et d’achat entre Coats et Entaco était la « pierre angulaire » d’un accord tripartite. Toutefois, force est de constater que l’accord-cadre stipule que, « [a]u cas où l’accord de fourniture et d’achat entre Coats et Entaco viendrait à être résilié, Prym et Entaco discuteront de leur politique des ventes afin de minimiser la perte du volume de production pour Entaco ». Ainsi, l’accord-cadre prévoyait une éventuelle résiliation de l’accord de fourniture et d’achat alors qu’il serait, lui-même, maintenu.

152    Le point 2.4 de l’accord de distribution entre Entaco et Prym spécifie de manière similaire que « [s]i l’accord de fourniture Coats Viyella venait à être résilié ou à expirer, le distributeur [Prym] accepte de se concerter avec l’entreprise [Entaco] afin de limiter les pertes de ventes occasionnées pour Entaco qui pourraient en résulter ».

153    Ainsi, si le cartel avait pu subsister sans aucune participation de Coats, on ne saurait souscrire à l’interprétation proposée par la Commission selon laquelle l’accord de fourniture et d’achat était la « pierre angulaire » d’un accord tripartite. En effet, si la « pierre angulaire » est retirée, l’ensemble d’un édifice s’écroule. Or, en l’espèce, l’accord-cadre et l’accord de distribution prévoient précisément que la cessation de l’accord de fourniture et d’achat n’empêchera pas leur continuation.

 Sur la clause 17.1 de l’accord relatif à la vente et à l’achat d’activités

154    Aux termes de la clause 17.1 de l’accord relatif à la vente et à l’achat d’activités, la vente d’activités à Entaco était « subordonnée à l’exécution des accords Prym ». Ces derniers étaient définis comme suit dans la partie « Interprétation » de l’accord : « l’accord relatif à la vente et à l’achat de 10,1 % », « l’accord d’achat » et « l’accord de distribution conclu entre Entaco et Prym Consumer ».

155    Selon Coats, il existe une raison commerciale évidente expliquant pourquoi l’accord relatif à la vente et à l’achat d’activités entre Coats et Entaco était subordonné aux « accords Prym » (voir point 128 ci-dessus). Ainsi, la condition n’aurait pas bénéficié à Coats, mais aurait été essentielle pour Entaco d’un point de vue commercial. La Commission ne conteste pas la logique commerciale de la clause 17.1, mais se borne à soutenir que Coats était la « pierre angulaire » des accords de répartition des marchés.

156    S’il est vrai que la participation de Coats était importante pour Prym et Entaco, ce fait ne s’oppose pas à l’affirmation de Coats selon laquelle la condition croisée était motivée par l’intérêt commercial d’Entaco. Dans la mesure où l’interprétation de la Commission voudrait que Coats ait cherché à imposer de telles conditions afin d’être en mesure de mettre en œuvre l’entente entre Entaco et Prym, il convient de rappeler, d’une part, que, au moment de la signature de l’accord relatif à la vente et à l’achat d’activités, les « accords Prym » étaient déjà signés (le 8 septembre 1994). Ainsi, l’entente avait déjà été conclue. D’autre part, l’accord relatif à la vente et à l’achat d’activités ayant atteint son but avec la vente de NIL, il n’était pas de nature à pouvoir garantir l’observation de l’entente à l’avenir.

157    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que la clause 2.2, sous b), de l’accord de fourniture et d’achat était destinée à mettre en œuvre la répartition des marchés décidée entre Entaco et Prym. La Commission n’a pas apporté non plus la preuve que les accords de 1994 entre Coats et Entaco, et entre Entaco et Prym, formellement bilatéraux, équivalaient en fait à un accord tripartite. En revanche, Coats a établi, au sens de l’arrêt JFE Engineering, point 72 supra, des circonstances qui donnent un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permettent ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission dans la Décision.

158    Par conséquent, la Commission ne saurait s’appuyer sur la nature prétendument tripartite des accords pour établir une responsabilité de Coats dans l’entente entre Prym et Entaco.

4.     Sur les autres branches du moyen

a)     Sur la dimension économique des marchés en cause

 Arguments des parties

159    Coats conteste la constatation, exposée au considérant 19 de la Décision, selon laquelle « la distribution des aiguilles et des épingles en Europe est dominée par Coats ». Sur ce point, les requérantes font remarquer que, au considérant 45 de la Décision, la Commission a estimé la taille du marché du commerce de gros en cause (celui des aiguilles à coudre à la main) à approximativement 30 millions d’euros et à un niveau considérablement plus élevé pour celui du commerce au détail. Les ventes d’aiguilles de Coats aux détaillants et aux grossistes de l’Union européenne auraient été de 2,98 millions d’euros en 2002. Sa part de marché dans l’Union européenne serait donc inférieure à 10 % pour le commerce de gros et encore moins pour le commerce au détail.

160    La Commission fait valoir que ce moyen est inopérant, puisqu’il n’est pas apte, dans l’hypothèse où il serait fondé, à entraîner l’annulation de la Décision.

 Appréciation du Tribunal

161    Il est de jurisprudence constante que, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, la démonstration d’effets anticoncurrentiels réels d’un accord est superflue dès qu’il apparaît qu’il a pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 496 ; arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T‑143/89, Rec. p. II‑917, point 30). Or, l’entente avait pour but une répartition du marché géographique ainsi que des marchés de produits, et, partant, une restriction patente de la concurrence.

162    Il s’ensuit que, aux fins de constater une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, la dimension économique des marchés en cause est sans pertinence en l’espèce.

b)     Sur le témoignage de M. E.

 Arguments des parties

163    Selon les requérantes, la Commission cherche à interpréter les objectifs des accords presque exclusivement à la lumière des déclarations faites par M. E., l’ancien directeur général d’Entaco, et notamment de celle sur la nature tripartite des accords (voir point 39 ci-dessus). Toutefois, elles estiment que certains points doivent être précisés quant à la qualité de témoin de M. E. et à sa crédibilité.

164    La Commission fait valoir que l’interprétation des objectifs des accords se fonde sur les preuves rassemblées au cours de la procédure administrative et uniquement corroborées par les déclarations de M. E.

 Appréciation du Tribunal

165    Les requérantes affirment à juste titre que M. E. n’a pas participé à la négociation des accords de 1994 et que, lors du litige entre Entaco et Prym porté devant la High Court of Justice (Haute Cour de justice) en septembre 1999, le juge a rejeté son témoignage comme étant peu digne de foi. En outre, la Commission elle-même concède qu’elle a traité avec précaution les affirmations de M. E. et qu’elle ne les a pas utilisées lorsqu’elle ne disposait pas de preuves suffisantes, par exemple en ce qui concerne la fixation des prix.

166    S’agissant du système de compensation, les déclarations de M. E. sont contradictoires (voir points 188 et suivants ci-après). Ainsi, il ne peut pas être exclu que la plainte initialement déposée par M. E. auprès de la Commission, au mois d’août 2000, ait été motivée par un ressentiment né du fait que Prym avait résilié l’accord d’achat de 1997 et que Coats avait refusé de reconduire l’accord de fourniture et d’achat de 1997.

167    Dans ces conditions, le témoignage de M. E. est peu fiable et n’est pas susceptible de corroborer l’hypothèse de la Commission. Toutefois, dans la mesure où la Commission s’est fondée sur d’autres preuves qui suffisent à établir la responsabilité de Coats, le grief visant la crédibilité du témoignage de M. E. n’est pas susceptible d’entraîner l’annulation de la Décision.

5.     Conclusion

168    Il résulte de ce qui précède que, bien que la Commission ait commis certaines erreurs dans l’appréciation des preuves, le fait d’avoir facilité l’entrée en vigueur de l’accord-cadre entre Prym et Entaco a engagé la responsabilité de Coats jusqu’à la cessation de cet accord, le 13 mars 1997 (voir points 109 à 122 ci-dessus). Par conséquent, le moyen des requérantes visant à l’annulation de la Décision doit être rejeté pour autant qu’il concerne la période allant du 10 septembre 1994 jusqu’au 13 mars 1997.

D –  Sur la responsabilité de Coats pour la période comprise entre avril 1997 et décembre 1999

1.     Sur les accords de 1997

a)     Arguments des parties

169    S’agissant des accords de 1997, les requérantes relèvent que ni l’accord de distribution ni l’accord d’achat de 1997 entre Entaco et Prym n’étaient en aucune manière subordonnés à l’accord de fourniture et d’achat de 1994 entre Coats et Entaco ou à sa reconduction en 1997.

170    La Commission soutient tout d’abord que les accords de 1997 ont reconduit une entente tripartite, puisque les effets des accords (à l’exception de la réduction de la portée de l’accord de répartition des marchés de produits) étaient les mêmes qu’avant cette date. Notamment, Coats aurait obligé Entaco à respecter les accords de distribution et d’achat de 1997 par le biais de la clause 2.2, sous b), de l’accord de fourniture et d’achat de 1997. Néanmoins, à la différence de la situation de septembre 1994, les parties ne faisaient que reconduire l’entente qu’elles avaient déjà établie. Par conséquent, les différentes dates auxquelles les divers contrats ont été prolongés n’auraient eu aucune incidence sur l’existence et le fonctionnement de l’entente.

171    Ensuite, selon la Commission, le fait que les accords de distribution et d’achat de 1997 ne dépendaient pas de l’accord de fourniture et d’achat de 1994 ou de sa reconduction n’est pas pertinent, puisque les accords de fourniture et d’achat de 1994 et de 1997 auraient été subordonnés aux accords de distribution et d’achat de 1994 et de 1997. En outre, la clause 2.4 de l’accord de distribution de 1997 mentionnerait l’accord de fourniture et d’achat de 1997.

b)     Appréciation du Tribunal

172    Les requérantes affirment à juste titre que ni l’accord de distribution ni l’accord d’achat de 1997 entre Entaco et Prym n’étaient subordonnés à l’accord de fourniture et d’achat de 1994 entre Coats et Entaco ou à sa reconduction. L’accord relatif à la vente de 11 222 actions ordinaires du capital d’Entaco ne dépendait pas non plus de la prorogation de l’accord de fourniture et d’achat conclu entre Coats et Entaco.

173    La seule référence faite, dans les accords de 1997 entre Entaco et Prym, à l’accord de fourniture et d’achat entre Coats et Entaco, se trouve au point 2.4 de l’accord de distribution de 1997. Il reprendrait la disposition selon laquelle l’accord de distribution de 1997 entre Entaco et Prym continuerait à s’appliquer même si l’accord de fourniture et d’achat entre Coats et Entaco était résilié, ce qui atteste du caractère autonome des deux ensembles d’accords l’un par rapport à l’autre. En outre, l’explication de Coats, selon laquelle la formule a été reproduite seulement pour des raisons de facilité et de simplicité est convaincante, puisque ce point correspond mot pour mot à celui de l’accord de 1994.

174    Inversement, contrairement à ce qu’affirme la Commission, l’accord de fourniture et d’achat de 1997 ne dépendait pas des accords de distribution et d’achat de 1997 entre Entaco et Prym. En effet, l’accord a été signé plus de cinq mois après et comportait des stipulations relatives à la durée et à la résiliation différentes.

175    En outre, il a déjà été constaté que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que la clause 2.2, sous b), de l’accord de fourniture et d’achat de 1994, qui est d’ailleurs identique à celle contenue dans l’accord de 1997, était destinée à mettre en œuvre la répartition des marchés conclue entre Entaco et Prym (voir points 134 et suivants ci-dessus).

176    Dans ces conditions, la Commission n’a pas apporté la preuve que les accords de 1997 ont reconduit une entente tripartite.

2.     Sur la présence aux réunions

a)     Arguments des parties

177    Coats avance que, après avril 1997, elle n’a participé à aucune réunion trilatérale et qu’elle n’a pris aucune mesure pour appliquer ou faire appliquer l’entente entre Entaco et Prym.

178    La Commission fait valoir que, selon la jurisprudence, le fait qu’une entreprise n’a pas assisté à des réunions est d’une importance mineure dès lors qu’elle a contribué par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants. En outre, la Commission estime que, après l’entrée en vigueur des accords, le mécanisme des engagements interdépendants ne nécessitait pas que Coats participe aux réunions, car elle savait qu’Entaco et Prym dépendaient toutes deux de l’accord de fourniture et d’achat entre Entaco et Coats.

b)     Appréciation du Tribunal

179    Il est constant entre les parties que, après avril 1997, Coats n’a participé à aucune réunion trilatérale et donc à aucune réunion d’application de l’entente entre Entaco et Prym. Au contraire, le litige existant entre Entaco et Coats indique que Coats a méconnu ses obligations vis-à-vis d’Entaco (voir point 145 ci-dessus et points 182 et suivants ci-après).

180    Le raisonnement de la Commission, selon lequel le mécanisme des engagements interdépendants dispensait Coats d’assister, après le 10 septembre 1994, aux réunions concernant la mise en œuvre de l’entente, n’emporte pas la conviction. En effet, l’obligation d’Entaco de ne vendre qu’aux clients existants d’Europe continentale ne s’imposerait pas d’elle-même (voir point 94 ci-dessus). Ainsi, le fait que Coats n’ait participé à aucune des réunions postérieures à 1994 est plutôt un indice que, après la cessation de l’accord-cadre en 1997, elle ne faisait plus partie du cartel formé d’Entaco et de Prym.

181    En tout état de cause, il est évident que, s’agissant de la période comprise entre avril 1997 et décembre 1999, la responsabilité de Coats ne saurait être engagée du fait de sa présence à une réunion anticoncurrentielle.

3.     Sur le système de compensation

182    Dans la Décision, la Commission avance que, s’agissant du différend mentionné au point 145 ci-dessus (né du fait que Coats n’était pas en droit de substituer les commandes à Prym à celles à Entaco), Coats n’a pas réglé son propre litige avec Entaco, mais a effectivement procédé au règlement d’un litige entre Entaco et Prym portant sur le non-respect, par cette dernière, de leur entente.

a)     Arguments des parties

183    Coats conteste cette affirmation dont la Commission se serait servie pour prouver que Coats mettait en œuvre l’entente en cause. Selon les requérantes, l’intégralité de la correspondance montre que le recours d’Entaco portait sur le non-respect par Coats de leur accord de fourniture et d’achat de 1997, et non sur la rupture des accords de 1997 entre Entaco et Prym.

184    La Commission souligne que le système de compensation constituait pour Coats un autre moyen pour mettre en œuvre l’accord tripartite et rappelle que les preuves doivent être appréciées dans leur ensemble en tenant compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes. Elle estime que son interprétation est corroborée par les propos de M. E.

b)     Appréciation du Tribunal

185    Selon le considérant 214 de la Décision :

« Coats connaissait parfaitement le contenu et les répercussions des accords Entaco/Prym, puisque l’accord de fourniture et d’achat était subordonné à ces accords et que ces derniers lui étaient communiqués. Elle savait par conséquent que toutes les commandes passées par Coats à Prym devaient être honorées par Entaco. En conséquence, le fait de dédommager Entaco parce que Coats a remplacé Entaco par Prym en tant que fournisseur n’a de sens que si Coats accepte que Prym ne respecte pas son accord avec Entaco et peut au bout du compte être interprété comme une compensation attribuée par Coats au nom de Prym. »

186    Par ce raisonnement, il semble que la Commission ait voulu dire qu’Entaco ne subirait pas de pertes si Coats changeait de fournisseur, car si Prym se substituait à Entaco comme fournisseur, Prym devrait de toute façon s’approvisionner en aiguilles auprès d’Entaco, en application de leur accord d’achat de 1997, de sorte qu’un recours n’aurait de sens que si Prym ne se fournissait pas exclusivement chez Entaco et enfreignait l’accord d’achat de 1997 entre ces deux entreprises.

187    Toutefois, il convient de relever que, en fonction des prix convenus dans l’accord d’achat de 1997 entre Entaco et Prym et de l’accord de fourniture et d’achat de 1997 entre Coats et Entaco, il aurait pu être beaucoup plus intéressant pour Entaco de fournir Coats directement plutôt que par l’intermédiaire de Prym. En toute hypothèse, la violation par Coats de son obligation d’achat exclusif peut toujours être invoquée. Le litige ne porterait alors que sur le montant de l’indemnisation. Il semble donc inutile de recourir à une interprétation aussi compliquée que celle retenue par la Commission pour expliquer la demande en indemnisation d’Entaco.

188    La Commission estime que son interprétation est corroborée par les propos de M. E. qui avait déclaré :

« [P]uisque le maintien du statu quo figurait en réalité dans l’accord Entaco/Coats et puisque Prym n’avait pas indemnisé Entaco pour ses pertes, Entaco a choisi de s’en prendre à Coats pour les pertes de bénéfices subies et le litige a été réglé entre les deux sociétés sous le sceau de la confidentialité, après le versement par Coats d’une indemnité de 60 000 GBP en espèces à Entaco. »

189    Toutefois, la correspondance qui est jointe en annexe à la réponse à la communication des griefs ne corrobore pas la version de la Commission. En effet, s’agissant de ce litige, M. B. d’Entaco a relevé, dans une lettre du 9 juin 1999 adressée à Coats, qu’elle « trouver[a] ci-joint la copie de télécopies […] dans lesquel[le]s Coats reconnaît avoir violé les termes de l’accord ». En fait, M. E. lui-même a déclaré dans une lettre du 25 septembre 2000 adressée à Coats :

« Par la présente, […] je vous fait part du point de vue d’Entaco sur la situation actuelle concernant notre demande en réparation en raison d’une prétendue violation des termes de l’accord de 1997 conclu entre nos deux entreprises. »

190    Finalement, dans la Décision elle-même, la Commission concède que la compensation « peut […] être interprété[e] », et non « doit être interprétée » de cette manière. Dans ces conditions, la Commission n’a pas apporté la preuve que le système de compensation était destiné à régler un litige entre Entaco et Prym portant sur le non-respect, par cette dernière, de leur entente, et non à régler un litige entre Coats et Entaco.

E –  Conclusion

191    Dans la mesure où la Commission cherche à établir la responsabilité de Coats pour la période postérieure à la cessation de l’accord-cadre, la Décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Il s’ensuit que le moyen visant à l’annulation de la Décision doit être accueilli en ce qui concerne la période postérieure au 13 mars 1997. Pour le surplus, il doit être rejeté. Les conséquences juridiques pour le calcul de l’amende qu’il convient d’en tirer seront traitées aux points 204 et suivants ci-après.

II –  Sur le moyen visant à l’annulation ou à la réduction de l’amende

192    Le moyen visant à l’annulation ou à la réduction de l’amende consiste en plusieurs griefs, tirés notamment de l’appréciation erronée de la gravité de l’infraction, de l’absence de traitement différencié et de la violation du principe de proportionnalité.

A –  Arguments des parties

193    Les requérantes observent que la Commission est parvenue, dans son appréciation du montant approprié de l’amende, à la conclusion que « [l]es trois parties ont joué un rôle équivalent, étant donné que les accords illicites n’ont pu fonctionner d’une manière concluante que par suite de l’accord tripartite passé entre les trois entreprises et leurs filiales ». Selon Coats, cette appréciation est manifestement erronée. De l’avis même de la Commission, elle n’aurait participé qu’à deux réunions préparatoires durant lesquelles d’éventuelles infractions auraient prétendument été abordées. On ne pourrait parler à cet égard de « rôle équivalent ».

194    S’agissant des constatations, exposées au considérant 325 de la Décision, selon lesquelles Coats était l’un des premiers distributeurs d’articles de mercerie en Europe et que Coats et Prym étaient les principaux concurrents s’agissant de la vente au détail avec leurs marques d’aiguilles à coudre à la main respectives, à savoir Milward et Newey, Coats avance que la Commission n’apporte aucun élément qui prouve la part détenue par Coats dans la distribution d’articles de mercerie. Or, Coats aurait fourni les preuves montrant que sa part était comprise entre 8 et 25 %. Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle Coats était l’un des distributeurs principaux d’aiguilles à coudre à la main serait contredite par les chiffres présentés dans la Décision elle-même. La part, en valeur, de Coats au niveau du commerce au détail aurait été, selon les chiffres du point 45 de la Décision, bien inférieure à 10 %.

195    En outre, les requérantes font grief à la Commission de ne pas distinguer entre la protection légale recherchée par Coats et une protection illégale contre la concurrence. Coats en conclut que la Commission a commis de sérieuses erreurs d’appréciation concernant la gravité des infractions alléguées. Par ailleurs, l’amende qui lui a été infligée serait largement disproportionnée par rapport à ses chiffres d’affaires sur le marché en cause.

196    Selon la Commission, la non-participation de Coats aux réunions organisées entre Entaco et Prym après 1993 est sans pertinence aux fins de l’appréciation de la gravité de sa participation à l’entente. En ce qui concerne les arguments de Coats concernant sa position, la Commission relève que la position relative, comprise comme étant la capacité économique effective à créer un dommage, n’est pas uniquement déterminée par la part de marché détenue pour les produits faisant l’objet de l’infraction en cause.

197    La Commission fait valoir que la part de marché de Coats s’agissant de la vente au détail était plus importante qu’elle ne l’affirme aujourd’hui. Le fait qu’Entaco et Prym, lesquels sont pratiquement les seuls producteurs d’aiguilles et, plus particulièrement, d’aiguilles à coudre à la main, aient fourni leurs aiguilles à Coats devrait suffire à démontrer la taille et l’importance de Coats dans le secteur de la distribution.

198    La Commission estime que Coats était le principal distributeur, de la même manière que Prym était le principal producteur. Compte tenu des différentes positions occupées à chaque niveau économique, elle n’a vu aucune raison d’imposer des amendes de départ différentes à ces deux grandes entreprises. En outre, le comportement de Coats ne saurait, selon elle, être qualifié de passif. Coats aurait participé aux réunions essentielles qui ont mené à l’infraction et aurait conclu les accords qui en font l’objet. Les réunions bilatérales entre Entaco et Prym revêtiraient un caractère accessoire.

B –  Appréciation du Tribunal

199    Il est de jurisprudence constante que, pour déterminer le montant d’une amende, la Commission doit prendre en considération toutes les circonstances pertinentes (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 106, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 241 ; arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 331), et notamment la gravité et la durée de l’infraction, soit les deux critères explicitement mentionnés à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003. Ce montant de base doit être majoré afin de tenir compte des circonstances aggravantes ou bien réduit en fonction des circonstances atténuantes.

1.     Sur l’appréciation de la gravité de l’infraction

200    Selon les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »), la gravité de l’infraction est calculée en fonction de toute une série de facteurs, dont certains doivent être obligatoirement pris en compte par la Commission (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 183, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, Rec. p. I‑4429, point 91).

201    À cet égard, il convient de relever que, dans la Décision, aucune référence explicite n’est faite aux lignes directrices. Toutefois, la méthodologie suivie dans le calcul de l’amende révèle sans équivoque que l’amende a été calculée sur la base de celles-ci. En outre, dans ses mémoires, la Commission explique et justifie l’imposition de l’amende à la lumière des lignes directrices.

202    S’agissant de l’appréciation de la gravité de l’infraction, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir considéré la seule nature de l’infraction et de ne pas avoir tenu compte des circonstances du cas d’espèce. La Commission aurait notamment surestimé la taille et l’importance de Coats sur le marché en cause ainsi que son rôle dans le fonctionnement de l’entente.

203    Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que, en tout état de cause, il n’y a pas lieu de modifier ce montant, étant donné que la qualification de l’infraction de « très grave » était fondée et que la Commission a choisi le montant minimal de départ prévu par les lignes directrices pour une telle infraction, à savoir 20 millions d’euros.

2.     Sur l’appréciation de la durée de l’infraction

204    En ce qui concerne la majoration de l’amende pour tenir compte de la durée de l’infraction, le point 1 B, deuxième tiret, des lignes directrices prévoit que, pour « les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans) », le montant peut aller « jusqu’à 50 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction » ; le troisième tiret de cette disposition prévoit que, pour les « infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans) », le montant peut être fixé « pour chaque année à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction ». Comme il a été mentionné au point 52 ci-dessus, la Commission a estimé que l’infraction a duré cinq ans et trois mois. Par conséquent, la Commission a appliqué le troisième tiret de cette disposition et a majoré le montant de départ de 50 % (à savoir 10 millions d’euros) afin de tenir compte de la durée de l’infraction.

205    Étant donné que la Décision doit être annulée pour autant qu’elle constate que les requérantes ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE au-delà du 13 mars 1997 (voir point 191 ci-dessus), les constatations de la Commission sur la durée de l’infraction ne peuvent pas être prises en compte en l’espèce. Selon les preuves apportées par la Commission dans la Décision, la responsabilité de Coats a été établie pour la période allant du 10 septembre 1994 jusqu’au 13 mars 1997, c’est-à-dire pour une période de deux ans et six mois. Il convient donc d’appliquer le point 1 B, deuxième tiret, des lignes directrices et il incombe au Tribunal, en vertu de l’article 31 du règlement n° 1/2003, de fixer un taux de majoration approprié.

206    En application de la compétence de pleine juridiction et afin de tenir compte de la durée démontrable de l’infraction, qui correspond à environ la moitié de la durée constatée par la Commission, le taux de majoration est ramené à 25 %, aboutissant à un montant supplémentaire de 5 millions d’euros et à une amende totale de 25 millions d’euros.

3.     Sur la prise en considération de circonstances atténuantes

207    Il a déjà été relevé que, pour déterminer le montant d’une amende, la Commission doit prendre en considération toutes les circonstances pertinentes. Conformément au point 3 des lignes directrices, cela peut conduire à une réduction du montant de base de l’amende en fonction des circonstances atténuantes. En l’espèce, il existe certaines circonstances inhabituelles. Toutefois, force est de constater que la Commission n’a pas apprécié correctement toutes ces circonstances.

208    Tout d’abord, Coats n’a assisté qu’à deux des réunions prétendument illégales, qui ne peuvent ni l’une ni l’autre être décrites comme déterminantes (voir point 96 ci-dessus). De fait, au considérant 77 de la Décision, la Commission elle-même qualifie ces réunions de « préliminaires ». La Commission écarte le fait que Coats n’a pas participé aux treize autres réunions illégales pour la raison non étayée que ces réunions bilatérales entre Prym et Entaco étaient d’une « importance secondaire ». Cette appréciation est erronée, notamment au regard du considérant 258 de la Décision, où la Commission affirme que « la régularité de ces réunions a permis la mise en œuvre continue des accords conclus ».

209    La Commission estime, à tort, que le fait que Coats n’a pas participé aux réunions entre Entaco et Prym après 1993 n’est pas utile à l’appréciation de la gravité de sa propre participation à l’entente. Selon la Cour, le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé doit être pris en considération lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination de l’amende (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 68 supra, point 90).

210    Le Tribunal a pareillement déclaré dans l’affaire Cheil Jedang/Commission qu’il ressort de la jurisprudence que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d’une entreprise au sein d’une entente, peut être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l’entente (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 168).

211    Par conséquent, la Commission ne saurait ignorer l’absence de Coats à toutes les réunions postérieures à 1993 lors de la détermination de l’amende, puisque cette absence peut indiquer un « rôle [...] passif » au sens du point 3, premier tiret, des lignes directrices.

212    En outre, il ressort de la jurisprudence qu’un tel rôle peut être déduit d’une absence de participation active à l’élaboration du ou des accords anticoncurrentiels (voir, en ce sens, arrêt Cheil Jedang/Commission, point 210 supra, point 167). Or, force est de constater en l’espèce que, contrairement à ce qu’affirme la Commission, Coats n’a joué aucun rôle dans la rédaction de l’accord-cadre, la partie essentielle de l’entente (voir points 106 et suivants ci-dessus), ni dans la rédaction des autres accords anticoncurrentiels conclus entre Prym et Entaco.

213    Enfin, il convient de reconnaître que, en ce qui concerne la protection contre la concurrence, la Commission ne saurait fonder son appréciation de l’amende sur une protection qui ne viole pas les règles de concurrence. Or, en ce qui concerne Entaco, Coats était en droit, en vertu du règlement n° 1984/83, de se protéger contre la concurrence de cette société dans ses principales zones de vente en concluant un accord d’achat exclusif avec celle-ci. C’est ce qui a fait l’objet des accords de fourniture et d’achat de 1994 et de 1997 conclus entre les deux entreprises. S’agissant de la concurrence de Prym, Coats n’a obtenu aucune protection face à celle-ci, qui a continué à lui faire concurrence avec ses marques Whitecroft et Newey.

214    Il s’ensuit que le rôle de Coats se limitait pour l’essentiel à faciliter l’entrée en vigueur de l’accord-cadre. Son rôle se rapproche donc davantage de celui d’un médiateur que de celui d’un membre à part entière de l’entente.

215    Dès lors, le Tribunal estime opportun de réduire, en application de sa compétence de pleine juridiction, le montant de l’amende de 20 % afin de tenir compte de ces circonstances atténuantes. Le montant de l’amende ayant été ramené à 25 millions d’euros (voir point 206 ci-dessus), cette diminution conduit à retenir un montant total de l’amende de 20 millions d’euros.

4.     Sur les autres branches du moyen

216    Enfin, les requérantes invoquent deux griefs tirés de la prétendue disproportion de l’amende et de l’absence d’un traitement différencié.

217    S’agissant du traitement différencié, le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices prévoit la possibilité de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l’intérieur de chacune des catégories de gravité afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature.

218    Toutefois, il résulte de l’utilisation de l’expression « dans certains cas » et du terme « notamment » dans les lignes directrices qu’une pondération en fonction de la taille individuelle des entreprises n’est pas une étape de calcul systématique que la Commission s’est imposée, mais une faculté de souplesse qu’elle s’est donnée dans les affaires qui le nécessitent (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, point 246).

219    En outre, le rôle réduit et passif de Coats dans le fonctionnement de l’entente a déjà été apprécié ci-dessus (voir points 207 et suivants ci-dessus) et a donné lieu à une réduction de l’amende. Dans ces conditions, l’application d’une réduction supplémentaire ferait double emploi avec la prise en compte de cette circonstance comme circonstance atténuante.

220    Ce même raisonnement s’applique en ce qui concerne la proportionnalité de l’amende. En tout état de cause, l’argument de Coats, selon lequel l’amende est disproportionnée, n’a pas été suffisamment étayé dans la requête. En fait, Coats s’est bornée à mentionner le mot « disproportionnée » dans la requête. Or, en vertu de l’article 44, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit indiquer, notamment, l’objet du litige, les conclusions du requérant et un exposé sommaire des moyens invoqués. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense, et au Tribunal de statuer sur la requête, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

C –  Conclusion

221    Il résulte des considérations qui précèdent que le moyen des requérantes visant à obtenir une réduction des amendes est partiellement fondé. Par conséquent, le montant de l’amende est fixé à 20 millions d’euros (voir point 215 ci-dessus).

 Sur les dépens

222    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 3, premier alinéa, de la même disposition, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

223    Les requérantes ayant obtenu gain de cause sur une partie de leurs conclusions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant qu’elles supporteront deux tiers de leurs propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par les parties requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2004) 4221 final de la Commission, du 26 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/F-1/38.338 – PO/Needles) est annulée pour autant qu’elle constate que les requérantes ont violé l’article 81, paragraphe 1, CE au-delà du 13 mars 1997.

2)      Le montant de l’amende infligée aux requérantes à l’article 2 de la Décision est fixé à 20 millions d’euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Les parties requérantes supporteront deux tiers de leurs propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par les parties requérantes.

Pirrung

Forwood

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 septembre 2007.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      J. Pirrung

Table des matières


* Langue de procédure : l’anglais.