Language of document : ECLI:EU:C:2023:847

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 novembre 2023 (*)

« Pourvoi – Règlement (CE) no 1907/2006 (règlement REACH) – Article 57, sous f) – Substances extrêmement préoccupantes – Identification – Conditions – Effets graves sur la santé ou l’environnement – Niveau de préoccupation équivalent – Substance acide 2,3,3,3-tétrafluoro-2-(heptafluoropropoxy)propionique, ses sels et ses halogénures d’acyle – Identification comme substance remplissant les critères en vue d’une inclusion dans l’annexe XIV de ce règlement »

Dans l’affaire C‑293/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 mai 2022,

Chemours Netherlands BV, établie à Dordrecht (Pays-Bas), représentée initialement par Mes R. Cana, Z. Romata et H. Widemann, avocates, puis par Mes R. Cana et Z. Romata, avocates,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par MM. W. Broere et N. Herbatschek, en qualité d’agents, assistés de Me S. Raes, advocaat,

partie défenderesse en première instance,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

ClientEarth, établie à Londres (Royaume-Uni),

ClientEarth AISBL, établie à Bruxelles (Belgique),

CHEM Trust Europe eV, établie à Hambourg (Allemagne), représentées par Me N. Angelet, avocat,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu-Matei (rapporteure), MM. J.-C. Bonichot, S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi,  Chemours Netherlands BV demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 23 février 2022, Chemours Netherlands/ECHA (T‑636/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:86), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision ED/71/2019 de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), du 4 juillet 2019, entrée en vigueur le 16 juillet 2019, en ce qu’elle inclut l’acide 2,3,3,3‑tétrafluoro‑2‑(heptafluoropropoxy)propionique, ses sels et ses halogénures d’acyle (ainsi que leurs isomères et combinaisons d’isomères) dans la liste des substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié, notamment, par le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008 (JO 2008, L 353, p. 1) (ci-après le « règlement REACH »).

 Le cadre juridique

2        L’article 1er du règlement REACH, intitulé « Objet et champ d’application », dispose :

« 1.      Le présent règlement vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation.

[...]

3.      Le présent règlement repose sur le principe qu’il incombe aux fabricants, aux importateurs et aux utilisateurs en aval de veiller à fabriquer, à mettre sur le marché ou à utiliser des substances qui n’ont pas d’effets nocifs pour la santé humaine ou l’environnement. Ses dispositions reposent sur le principe de précaution. »

3        L’article 57 de ce règlement, intitulé « Substances à inclure dans l’annexe XIV », est ainsi libellé :

« Les substances suivantes peuvent être incluses dans l’annexe XIV conformément à la procédure prévue à l’article 58 :

a)      les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.6, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

b)      les substances répondant aux critères de classification comme substances mutagènes sur les cellules germinales, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.5, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

c)      les substances répondant aux critères de classification comme substances toxiques pour la reproduction, de catégorie 1A ou 1B, ayant des effets néfastes sur la fonction sexuelle et la fertilité ou sur le développement, conformément à l’annexe I, section 3.7, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

d)      les substances qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;

e)      les substances qui sont très persistantes et très bioaccumulables, conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;

f)      les substances – telles que celles possédant des propriétés perturbant le système endocrinien ou celles possédant des propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables, qui ne remplissent pas les critères visés aux points d) ou e) – pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées aux points a) à e) et qui sont identifiées, cas par cas, conformément à la procédure prévue à l’article 59. »

 Les antécédents du litige

4        Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 11 à 17 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :

« 11      [Chemours Netherlands] est une société établie aux Pays‑Bas qui est importatrice et fournisseuse de 2,3,3,3-tétrafluoro-2-(heptafluoropropoxy)propanoate d’ammonium (ci-après le “FRD‑902”) dans l’Union européenne, substance qu’elle  a enregistrée auprès de l’[ECHA].

12      En mars 2019, l’autorité compétente du Royaume des Pays-Bas a soumis un dossier au titre de l’annexe XV du [règlement REACH], favorable à l’identification de l’acide 2,3,3,3‑tétrafluoro-2-(heptafluoropropoxy)propionique, de ses sels et de ses halogénures d’acyle (ainsi que leurs isomères et combinaisons d’isomères) (ci-après le “HFPO-DA” [...]) en tant que substance extrêmement préoccupante, en ce que ce groupe de substances répondrait aux critères énoncés à l’article 57, sous f), du [règlement REACH] (ci‑après le “dossier établi conformément à l’annexe XV”). Lorsqu’elles sont libérées dans l’environnement, les substances appartenant à ce groupe, qui inclut le FRD-902, se dissocient pour former la substance 2,3,3,3-tétrafluoro-2-(heptafluoropropoxy)propanoate, aussi appelée HFPO-DA.

13      Le 13 mars 2019, l’ECHA a invité toutes les parties intéressées à soumettre leurs observations sur le dossier établi conformément à l’annexe XV avant le 29 avril 2019, conformément à l’article 59, paragraphe 4, du [règlement REACH]. La requérante a présenté ses observations le 29 avril 2019.

14      Des observations ayant été reçues sur l’identification du HFPO‑DA, l’ECHA a transmis le dossier au comité des États membres (ci-après le “CEM”), conformément à l’article 59, paragraphe 7, du [règlement REACH].

15      Lors de sa 65e réunion, qui s’est tenue du 24 au 27 juin 2019, le CEM est parvenu à un accord unanime sur l’identification du HFPO-DA comme substance extrêmement préoccupante. Les motifs de l’accord sont présentés dans le document d’appui relatif au HFPO-DA (ci-après le “document d’appui”).

16      Le 4 juillet 2019, conformément à l’article 59, paragraphe 8, du [règlement REACH], le directeur exécutif de l’ECHA a adopté la décision ED/71/2019, qui prévoit l’inscription du HFPO-DA sur la liste des substances identifiées en vue de son inclusion à terme dans l’annexe XIV du [règlement REACH], telle que visée à l’article 59, paragraphe 1, dudit règlement (ci-après la “liste des substances candidates”), au motif qu’il présente un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du [règlement REACH] et peut avoir des effets graves sur la santé humaine et sur l’environnement au sens de l’article 57, sous f), du [règlement REACH] [ci-après la “décision [litigieuse]”).

17      La décision [litigieuse] est entrée en vigueur et a été publiée le 16 juillet 2019 sur le site Internet de l’ECHA. À cette même date, l’ECHA a mis à jour la liste des substances candidates, publiée sur son site Internet, en application de l’article 59, paragraphe 10, du règlement [REACH], afin d’y inclure le HFPO-DA en tant que substance extrêmement préoccupante. »

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 septembre 2019, Chemours Netherlands a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

6        Dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, le Royaume des Pays‑Bas ainsi que ClientEarth AISBL, ClientEarth et CHEM Trust Europe eV (ci-après, ensemble, « ClientEarth et CHEM Trust Europe ») sont intervenus au soutien des conclusions de l’ECHA.

7        À l’appui de son recours, la requérante a invoqué deux moyens. Le premier moyen était tiré du fait que l’ECHA aurait violé l’article 57, sous f), du règlement REACH, outrepassé les compétences que lui conférait cette disposition et commis une erreur manifeste d’appréciation. Par le second moyen, la requérante a invoqué une violation du principe de proportionnalité.

8        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours.

 Les conclusions des parties au pourvoi

9        Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler la décision litigieuse ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci statue sur son recours en annulation, et

–        de condamner l’ECHA aux dépens de la présente procédure, en ce compris les dépens de la procédure devant le Tribunal, ainsi qu’à ceux des parties intervenantes.

10      L’ECHA demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi comme étant partiellement irrecevable et non fondé dans son intégralité et

–        de condamner la requérante à tous les frais et dépens exposés aux fins de la présente procédure.

11      Le Royaume des Pays-Bas demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner la requérante aux dépens.

12      ClientEarth et CHEM Trust Europe demandent à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans son intégralité et

–        de condamner la requérante à supporter ses propres frais et à payer les dépens de l’ECHA, du Royaume des Pays-Bas ainsi que de ClientEarth et de CHEM Trust Europe, y compris les dépens exposés en première instance.

 Sur le pourvoi

13      À l’appui de son pourvoi, la requérante soulève trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit, d’une erreur d’appréciation ainsi que d’une violation et d’une erreur d’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH, en ce que le Tribunal a jugé que l’ECHA n’a commis aucune erreur manifeste en considérant que des effets graves sur la santé humaine d’un niveau de préoccupation équivalent ont été établis. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur de droit, d’une erreur d’appréciation ainsi que d’une violation et d’une erreur d’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH, en ce que le Tribunal a jugé que l’ECHA n’a pas commis d’erreur manifeste en considérant que des effets graves sur l’environnement d’un niveau de préoccupation équivalent avaient été établis. Le troisième moyen est tiré d’une violation par le Tribunal du principe de l’excellence scientifique ainsi que des limites de son contrôle.

 Sur le premier moyen

14      Le premier moyen du pourvoi est divisé en trois branches. Par la première branche de ce moyen, la requérante conteste la possibilité que des effets qui ne constituent pas le fondement de la décision litigieuse puissent contribuer à établir un « niveau de préoccupation équivalent », au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH. La deuxième branche porte sur la toxicité pour le développement, observée sur des rats, et la toxicité à doses répétées ainsi que sur la mesure dans laquelle ces effets suscitent un niveau de préoccupation équivalent, au sens de cette disposition. La troisième branche porte sur l’examen conjoint des effets sur la santé humaine et sur l’environnement.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une erreur de droit, d’une erreur d’appréciation ainsi que d’une violation et d’une erreur d’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH, en ce que le Tribunal a jugé que l’ECHA a pu conclure que des effets qui ne constituaient pas le « fondement » de la décision litigieuse pouvaient contribuer à établir « un niveau de préoccupation équivalent », au sens de cette disposition

–       Argumentation des parties

15      La première branche du premier moyen comporte, en substance, deux arguments.

16      Le premier argument porte sur les motifs exposés aux points 109 et 110 de l’arrêt attaqué, consacrés à l’analyse des effets encore inconnus du HFPO-DA.

17      À cet égard, la requérante soutient que le raisonnement du Tribunal est contradictoire et donc erroné, dans la mesure où, après avoir affirmé que les conclusions de l’ECHA sur l’exposition continue au HFPO-DA et l’irréversibilité étaient non pas seulement fondées sur la persistance, mais également sur la mobilité, le Tribunal a considéré, au point 110 de cet arrêt, que l’ECHA n’avait pas constaté que la mobilité de cette substance suscitait les mêmes préoccupations que la bioaccumulation. Toutefois, en fondant ses conclusions sur la mobilité, l’ECHA aurait effectivement fait le constat qu’il existait la même préoccupation qu’en ce qui concerne la bioaccumulation, laquelle, ainsi qu’il ressort du point 65 dudit arrêt, ne figurerait pas parmi les propriétés intrinsèques en raison desquelles ladite substance aurait été identifiée comme étant une substance extrêmement préoccupante.

18      Le second argument porte sur les motifs exposés aux points 75 et 128 de l’arrêt attaqué. La requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur d’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH en estimant que l’ECHA pouvait adopter la décision litigieuse sur le fondement de cette disposition et conclure que le critère du « niveau de préoccupation équivalent » était satisfait sur la base d’informations qui ne constituent pas le « fondement » de cette décision.

19      Selon la requérante, ainsi qu’il ressort de la décision litigieuse, les effets probables sur la santé humaine sur lesquels cette décision repose sont, d’une part, les effets observés lors des études à doses répétées, à savoir les effets sur le foie, les reins ainsi que les systèmes hématologique et immunitaire, et, d’autre part, les effets sur le développement. Aucune autre information de soutien ne pourrait être considérée comme étant pertinente s’agissant de la question de savoir si le HFPO-DA remplit les conditions prévues à l’article 57, sous f), du règlement REACH.

20      À cet égard, la requérante observe qu’il a été retenu dans l’arrêt attaqué que la bioaccumulation (point 65 de cet arrêt), la cancérogénicité (point 73 dudit arrêt) et la toxicité pour la reproduction (point 80 du même arrêt) ne figurent pas parmi les propriétés intrinsèques en raison desquelles le HFPO-DA a été identifié dans la décision litigieuse comme étant extrêmement préoccupant. S’agissant des effets encore inconnus de cette substance, il ressortirait des points 103, 104, 111 et 136 de l’arrêt attaqué que ceux-ci étaient non pas retenus en tant que fondement de la décision litigieuse, mais mentionnés au titre de considérations s’ajoutant à l’appréciation des effets potentiels de ladite substance.

21      Toutefois, malgré le caractère insuffisant de certaines informations pour fonder la décision litigieuse, le Tribunal aurait jugé, au point 75 de l’arrêt attaqué, que l’indication par l’ECHA, à titre d’informations de soutien, dans le document d’appui, des informations qui étaient insuffisantes pour étayer une conclusion sur la cancérogénicité chez l’être humain, mais qui étaient néanmoins disponibles, n’était pas constitutive d’une erreur manifeste d’appréciation.

22      Ce faisant, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ce que l’ECHA ne se serait pas contentée de mentionner ces informations en tant qu’« informations de soutien », mais elle les aurait utilisées pour justifier sa conclusion sur le « niveau de préoccupation équivalent », au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Cela ressortirait du point 128 de cet arrêt, selon lequel le HFPO-DA a été considéré comme étant « d’un niveau de préoccupation équivalent [...] en raison de la préoccupation globale suscitée [par les] éléments de préoccupation décrits dans la section 6.3.2 » du document d’appui. Or, cette section rassemblerait tous les effets allégués de cette substance, y compris ceux dont il a été admis par le Tribunal et par l’ECHA qu’ils ne constituent pas « le fondement » de la décision litigieuse.

23      L’ECHA, soutenue par le Royaume des Pays-Bas, avance que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée et affirme que la décision litigieuse opère une distinction, utilisée en écotoxicologie, entre les considérations « essentielles » qui constituent le fondement d’une décision et les considérations « de soutien » ou « complémentaires » qui ne font qu’étayer une considération essentielle.

24      ClientEarth et CHEM Trust Europe concluent au rejet de la première branche du premier moyen comme étant irrecevable, la requérante n’ayant pas identifié d’erreur de droit ou d’éventuelle dénaturation des éléments de preuve dont serait entaché l’arrêt attaqué. En tout état de cause, les arguments invoqués à l’appui de cette branche devraient être rejetés comme étant non fondés.

–       Appréciation de la Cour

25      Il ressort du dossier soumis à la Cour que, par la décision litigieuse, telle que fondée sur le document d’appui, l’ECHA a constaté, en substance, que le HFPO-DA remplissait les deux conditions énoncées à l’article 57, sous f), du règlement REACH, cette substance étant susceptible d’avoir des effets graves probables tant sur la santé humaine que sur l’environnement, et ces effets étant de nature à susciter un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par d’autres substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (ci–après les « substances CMR »), persistantes, bioaccumulables et toxiques (ci-après les « substances PBT ») ou très persistantes et très bioaccumulables (ci-après les « substances vPvB »).

26      L’ECHA a fondé la décision litigieuse, en substance, en ce qui concerne la santé humaine, sur la constatation de l’existence d’effets significatifs sur le développement et sur plusieurs organes essentiels, à savoir le foie, les reins, le sang et le système immunitaire, et, en ce qui concerne l’environnement, sur la constatation d’une réduction significative du poids des souris, conclusion retenue comme étant également pertinente pour d’autres mammifères et pour les oiseaux. Elle a également constaté que ces effets suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances CMR, PBT ou vPvB, au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH. En revanche, il a été considéré par l’ECHA que la cancérogénicité, la bioaccumulation, la fertilité, la mise bas précoce et les effets encore inconnus ne pouvaient pas être retenus pour fonder la constatation de l’existence d’effets graves sur la santé humaine ou l’environnement.

27      Par son premier argument, la requérante soutient que le Tribunal a fondé les points 109 et 110 de l’arrêt attaqué sur un raisonnement contradictoire. La question de savoir si la motivation d’un arrêt du Tribunal est contradictoire ou insuffisante constitue une question de droit pouvant, en tant que telle, être invoquée dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 45 et jurisprudence citée).

28      S’agissant du contenu de la motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne les effets encore inconnus du HFPO-DA, il y a lieu d’observer que, au point 109 de cet arrêt, le Tribunal a exposé la conclusion de l’ECHA selon laquelle l’exposition continue au HFPO-DA et l’irréversibilité des effets étaient la conséquence de la persistance, de la mobilité et des propriétés menant à la biodisponibilité de cette substance.

29      Au point 110 dudit arrêt, le Tribunal a précisé, en réponse aux arguments de la requérante sur la bioaccumulation, que l’ECHA n’a pas fait le constat que la mobilité suscite les mêmes préoccupations que la bioaccumulation. Or, il ne peut pas être déduit du fait que l’ECHA a fondé la conclusion exposée au point 109 de l’arrêt attaqué sur plusieurs éléments y compris la mobilité, qu’elle a affirmé ou suggéré qu’il existait la même préoccupation en ce qui concerne la bioaccumulation.

30      Par le second argument, la requérante conteste, en substance, les motifs exposés aux points 75 et 128 de l’arrêt attaqué et avance que le Tribunal a procédé à une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH en validant l’approche de l’ECHA qui consistait à considérer que la condition du « niveau de préoccupation équivalent » était satisfaite sur la base d’informations qui ne constituaient pas le « fondement » de cette décision.

31      La requérante reproche ainsi au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’interprétation de cette disposition, ce qui rend, contrairement à ce que font valoir ClientEarth et CHEM Trust Europe, son argument recevable.

32      Afin d’apprécier si cet argument est bien fondé, il convient de rappeler d’emblée que les substances extrêmement préoccupantes sont celles visées, d’une part, à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH en raison de leurs propriétés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (substances CMR), ou du fait qu’elles sont persistantes, bioaccumulables et toxiques (substances PBT) ou très persistantes et très bioaccumulables (substances vPvB), et, d’autre part, à l’article 57, sous f), de ce règlement, à savoir toutes autres substances « pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées aux points a) à e) » (arrêt du 10 septembre 2015, FCD et FMB, C‑106/14, EU:C:2015:576, point 35).

33      Il ressort ainsi de l’article 57, sous f), dudit règlement que, pour l’identification d’une substance, autre que les substances CMR, PBT ou vPvB, comme extrêmement préoccupante, il doit être établi, sur la base d’éléments scientifiques, d’une part, que cette substance peut avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement et, d’autre part, que ces effets suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances CMR, PBT ou vPvB. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante doit être écartée dès lors que l’une desdites conditions fait défaut.

34      La première de ces conditions, qui porte sur le caractère grave des effets de la substance sur la santé humaine ou sur l’environnement, requiert une analyse des dangers issus des propriétés intrinsèques de cette substance. La seconde condition, qui porte sur la détermination d’un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances CMR, PBT ou vPvB, nécessite, quant à elle, de prendre en considération un éventail de facteurs plus vaste que ceux pertinents aux fins de la qualification des effets et des propriétés intrinsèques d’une substance (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA, C‑324/15 P, EU:C:2017:208, points 27 et 36).

35      Il ressort de cette jurisprudence que, lors de l’évaluation du caractère équivalent du niveau de préoccupation suscité par la substance en cause par rapport à celui suscité par des substances CMR, PBT ou vPvB, l’ECHA peut prendre en considération des informations qui vont au‑delà des données se rapportant aux propriétés intrinsèques de la substance concernée.

36      Ainsi qu’il résulte du point 71 de l’arrêt attaqué, non contesté par la requérante, il a, en l’espèce, été considéré que les propriétés intrinsèques des substances candidates, dont le HFPO-DA, sont les suivantes, à savoir la persistance, la mobilité, le potentiel de transport à grande distance, les effets néfastes probables sur la santé humaine (au niveau du foie, des reins, des systèmes hématologique et immunitaire, ainsi que du développement), les effets probables sur l’environnement (au niveau des populations d’oiseaux et de mammifères), le faible potentiel d’adsorption et la solubilité élevée dans l’eau rendant la substance totalement biodisponible pour une absorption au moyen de l’eau potable.

37      En revanche, selon les points 65, 73 et 80 de l’arrêt attaqué, la bioaccumulation, le potentiel de cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction ne figurent pas parmi les propriétés intrinsèques du HFPO‑DA. Il ressort également du point 103 de cet arrêt que, dans le document d’appui, les effets « encore inconnus » n’étaient pas qualifiés d’« effets graves sur la santé humaine ».

38      Au point 128 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le document d’appui indique, sous le titre « Préoccupation globale et évaluation du niveau de préoccupation », que le « HFPO-DA est considéré [comme étant] d’un niveau de préoccupation équivalent à celui des substances répondant aux critères établis [à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH] conformément à l’article 57, sous f) [de ce règlement] en raison de la préoccupation globale suscitée [par les] éléments de préoccupation décrits dans la section 6.3.2 » de ce document.

39      Certaines des considérations qui figurent à cette section portent sur des aspects qui n’ont pas été retenus comme fondement de la décision litigieuse, notamment celles liées au potentiel de cancérogénicité du HFPO-DA, dont il est précisé, au point 75 de l’arrêt attaqué, qu’il constitue une information de soutien, et celles liées aux « effets encore inconnus sur des propriétés intrinsèques du HFPO-DA » qui, ainsi qu’il ressort du point 136 de l’arrêt attaqué, « s’ajoute[ent] à des préoccupations liées à des effets graves observés sur la santé humaine ».

40      Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 34 du présent arrêt, la détermination du niveau de préoccupation au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH peut reposer sur des informations autres que celles issues des propriétés intrinsèques des substances concernées retenues pour déterminer le risque d’effets graves sur la santé ou l’environnement. Dès lors, rien n’empêche l’ECHA de constater l’existence d’un niveau de préoccupation équivalent, au sens de cette disposition, à l’issue d’une appréciation globale des différentes informations dont elle dispose.

41      Par conséquent, le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, valider, dans un premier temps, au point 75 de l’arrêt attaqué, la prise en compte par l’ECHA, à titre d’information de soutien, du potentiel de cancérogénicité du HFPO-DA et, dans un second temps, au point 128 de cet arrêt, l’appréciation globale des éléments décrits à la section 6.3.2 du document d’appui à laquelle a procédé cette agence lors de la détermination du niveau de préoccupation suscité par le HFPO-DA.

42      Il résulte de ce qui précède qu’il convient de rejeter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.

 Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée d’une erreur de droit, d’une erreur d’appréciation ainsi que d’une violation et d’une erreur d’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH, en ce que le Tribunal a jugé que l’ECHA a établi que la toxicité pour le développement et les effets de la toxicité à doses répétées suscitaient un « niveau de préoccupation équivalent », au sens de cette disposition

–       Argumentation des parties

43      Selon la requérante, le Tribunal a interprété de manière erronée l’articulation entre l’article 57, sous f), du règlement REACH et le règlement no 1272/2008, en confirmant la conclusion de l’ECHA selon laquelle les effets sur la santé humaine qui n’étaient pas suffisants pour la classification du HFPO-DA au titre de l’article 57, sous c), du règlement REACH pouvaient néanmoins être pris en compte pour considérer que cette substance suscitait un « niveau de préoccupation équivalent », au sens de l’article 57, sous f), de ce règlement.

44      La deuxième branche du premier moyen comporte, en substance, trois arguments.

45      S’agissant, en premier lieu, de l’évaluation de la toxicité du HFPO-DA pour le développement, la requérante fait valoir que celle-ci relève de la toxicité pour la reproduction, au sens de l’article 57, sous c), du règlement REACH. Selon cette disposition, pour qu’une substance soit identifiée comme étant toxique pour la reproduction, elle doit répondre aux critères prévus à l’annexe I du règlement no 1272/2008.

46      En revanche, pour qu’une substance soit identifiée au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH, il serait nécessaire qu’elle présente des effets graves d’un niveau de préoccupation équivalent aux substances relevant, notamment, de l’article 57, sous c), dudit règlement. Il résulterait de ces dispositions que les critères pour la classification d’une substance en tant que toxique pour la reproduction, établis par le règlement no 1272/2008, doivent également être pris en compte lors de l’évaluation d’une substance au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH. De plus, les effets sur la santé humaine au titre de cette dernière disposition devraient être comparés avec les préoccupations suscitées par les substances CMR relevant de l’article 57, sous a) à c), de ce règlement.

47      L’interprétation à laquelle est parvenu le Tribunal au point 39 de l’arrêt attaqué priverait d’effet utile l’article 57 du règlement REACH et serait constitutive d’une erreur de droit dans la mesure où le Tribunal a considéré que « l’ECHA n’était pas empêchée [...] de prendre en compte, dans le contexte de l’établissement des effets graves sur la santé humaine, des effets pour le développement, observés lors des essais sur des souris et des rats, sans établir que le HFPO-DA répondait aux critères du règlement no 1272/2008 en ce qui concernait la toxicité pour le développement ».

48      S’agissant de l’appréciation du Tribunal, au point 93 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’exigence d’équivalence n’impose pas que le niveau de préoccupation soit « identique », la requérante rétorque, premièrement, que les effets liés à la même classe de danger doivent être évalués dans le cadre de cette classe conformément au règlement no 1272/2008 et, secondement, que même si l’on considérait que ces effets n’ont pas à être identiques, l’ECHA aurait dû établir leur équivalence réelle, par comparaison avec les effets énoncés à l’article 57, sous c), du règlement REACH.

49      La requérante allègue que le Tribunal a également fait une application erronée de la jurisprudence, notamment de l’arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109), ainsi que de l’arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA (C‑324/15 P, EU:C:2017:208), en particulier lorsqu’il s’est fondé sur ce dernier arrêt pour constater, au point 36 de l’arrêt attaqué, que la classification d’une substance à l’annexe I du règlement no 1272/2008 constitue un élément pertinent, mais pas déterminant, aux fins de l’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH.

50      Par conséquent, le Tribunal aurait commis des erreurs de droit dans son interprétation de l’articulation entre l’article 57, sous f), du règlement REACH et le règlement no 1272/2008 en ce qui concerne les effets pour le développement, liés à la toxicité pour la reproduction, notamment aux points 35, 36, 39, 91, 93 et 125 à 127 de l’arrêt attaqué.

51      S’agissant, en deuxième lieu, des effets liés à la toxicité à doses répétées, la requérante observe que, dans le cadre du règlement no 1272/2008, le paramètre de la toxicité à doses répétées est uniquement pertinent pour la classification potentielle dans des classes de danger autres que les substances CMR. Ces effets ne peuvent donc pas conduire à la classification d’une substance en tant que substance CMR au titre de l’article 57, sous a) à c), du règlement REACH.

52      Or, l’ECHA aurait totalement omis, d’une part, d’établir l’existence d’un niveau de préoccupation équivalent pour les effets sur le développement et ceux liés à la toxicité à doses répétées et, d’autre part, de comparer les effets observés du HFPO-DA à ceux visés à l’article 57, sous a) à c), du règlement REACH pour les substances CMR. Après avoir constaté à juste titre, au point 119 de l’arrêt attaqué, l’absence d’une telle comparaison, le Tribunal n’aurait pas tiré les conséquences appropriées de cette constatation. Ce faisant, il aurait commis une erreur de droit.

53      S’agissant, en troisième lieu, de l’irréversibilité des effets, la requérante avance que, aux points 100 à 102 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé l’interprétation de l’ECHA selon laquelle une exposition continue au HFPO-DA pourrait avoir des effets irréversibles. Cependant, l’irréversibilité des effets en toxicologie correspondrait à la situation dans laquelle les organes affectés ne se rétablissent pas après avoir cessé d’être exposés à une substance. Selon la requérante, ce principe toxicologique est reconnu par le règlement no 1272/2008 dans lequel il existe de nombreuses références aux effets « réversibles » ou « irréversibles ». Les critères spécifiques prévus par le règlement no 1272/2008 devraient être pris en considération afin de qualifier les effets d’une substance comme étant « irréversibles ».

54      Par conséquent, le Tribunal aurait commis une erreur d’appréciation et aurait interprété de manière erronée l’article 57, sous f), du règlement REACH en jugeant que l’ECHA avait démontré que la toxicité pour le développement et les effets de la toxicité à doses répétées suscitaient un « niveau de préoccupation équivalent », au sens de cette disposition.

55      L’ECHA, soutenue par le Royaume des Pays-Bas, fait valoir que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée. Elle soutient que, dans une situation telle que celle de l’espèce, il est possible de comparer la préoccupation pour la santé humaine suscitée par le HFPO-DA avec la préoccupation suscitée par les substances PBT et vPvB, les effets de ces dernières substances étant également pertinents pour l’homme.

56      Selon ClientEarth et CHEM Trust Europe, la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant partiellement irrecevable et, en tout état de cause, non fondée.

–       Appréciation de la Cour

57      Par la deuxième branche du premier moyen la requérante conteste, en substance, l’interprétation à laquelle est parvenu le Tribunal en ce qui concerne la relation entre l’article 57, sous f), du règlement REACH et le règlement no 1272/2008 ainsi que les conséquences qui découlent de cette interprétation. La requérante allègue que les critères établis dans ce dernier règlement auraient dû guider la conclusion de l’ECHA lors de la détermination des effets graves sur la santé humaine et que le niveau de préoccupation suscité par les effets, pour le développement, de la toxicité à doses répétées aurait, pour ce qui concerne son « équivalence », dû être comparé avec celui suscité par l’utilisation de substances CMR.

58      À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, d’observer que, dans l’arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA (C‑324/15 P, EU:C:2017:208), la Cour a interprété l’article 57, sous f), du règlement REACH en examinant de manière abstraite la portée de cette disposition. Il ne ressort pas des motifs de cet arrêt qu’une telle interprétation est limitée à la situation factuelle concernée par l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt. Dès lors, le Tribunal a fait application à juste titre, aux points 35, 36, 39, 91 de l’arrêt attaqué, de la jurisprudence issue de cette affaire pour conclure que la classification d’une substance à l’annexe I du règlement no 1272/2008 constitue un élément pertinent, bien que non déterminant, afin de démontrer le risque d’effets graves sur la santé humaine ou l’environnement.

59      Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en validant l’approche de l’ECHA de ne pas se rapporter aux critères établis par le règlement no 1272/2008 lors de l’évaluation de la toxicité du HFPO-DA pour le développement et de la toxicité à doses répétées de cette substance, ainsi que l’appréciation par l’ECHA quant à l’absence de la nécessité de toujours procéder à la comparaison du niveau de préoccupation suscité par les effets sur la santé humaine d’une substance avec celui suscité par l’utilisation des seules substances CMR.

60      En effet, ainsi que le Tribunal l’a jugé, au point 123 de l’arrêt attaqué, au demeurant non contesté par la requérante, et ainsi qu’il a été soutenu par l’ECHA, ClientEarth et CHEM Trust Europe, les préoccupations suscitées par l’utilisation des substances PBT et vPvB concernent non pas seulement l’environnement, mais également les êtres humains. D’une part, cette conclusion est confortée par la section 6.5 de l’annexe I du règlement REACH dont il ressort que les mesures de gestion des risques recommandées aux utilisateurs par le fabricant ou l’importateur des substances répondant aux critères PBT ou vPvB sont destinées à réduire au minimum l’exposition et les émissions tant pour les personnes que pour l’environnement. D’autre part, une telle conclusion répond également à l’objectif poursuivi par le règlement REACH, tel qu’établi à l’article 1er, paragraphe 1, de celui-ci, qui est d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, ainsi qu’au principe de précaution sur lequel reposent les dispositions de ce règlement en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, de ce dernier.

61      Par conséquent, c’est à juste titre que le Tribunal, après avoir constaté, au point 119 de l’arrêt attaqué, que le document d’appui ne procède pas à une comparaison aussi détaillée entre la préoccupation suscitée par le HFPO-DA et celle suscitée par l’utilisation des substances CMR, a estimé que l’ECHA n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en procédant ainsi.

62      S’agissant, ensuite, du caractère équivalent du niveau de préoccupation, c’est à tort que la requérante conteste les motifs exposés au point 93 de l’arrêt attaqué selon lesquels l’utilisation du terme « équivalent » indique clairement que le niveau de préoccupation ne doit pas être « identique ». Son argumentation à cet égard procède d’une double erreur. En effet, d’une part, la requérante prétend que l’ECHA aurait dû établir les effets du HFPO-DA par rapport aux critères prévus par le règlement no 1272/2008, ce qui est inexact pour les motifs énoncés aux points 58 à 61 du présent arrêt. D’autre part, elle confond l’équivalence du niveau de préoccupation, exigée pour l’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH, avec l’équivalence des effets, condition qui excède la portée de cette disposition.

63      En ce qui concerne, enfin, l’argument relatif à l’irréversibilité des effets observés du HFPO-DA, dans la mesure où cet argument porte sur la façon dont cette irréversibilité a été prise en compte en tant qu’élément caractérisant la gravité de ces effets, il convient d’écarter l’exception d’irrecevabilité soulevée par ClientEarth et CHEM Trust Europe, et d’examiner ledit argument sur le fond. À cet égard, il y a lieu d’observer que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence et qu’il a été rappelé par le Tribunal, au point 101 de l’arrêt attaqué, des effets peuvent être considérés comme étant graves en raison, par exemple, de leur importance et de leur caractère irréversible (arrêt du 15 mars 2017, Polynt/ECHA, C‑323/15 P, EU:C:2017:207, point 27). Dans ces conditions, c’est à juste titre que le Tribunal a retenu, au point 102 de l’arrêt attaqué, que la prise en compte par l’ECHA du caractère irréversible des effets observés ne constitue pas une erreur manifeste d’appréciation de sa part.

64      Il importe également de constater que l’article 57, sous f), du règlement REACH ne fixe aucun critère et n’apporte donc pas de précisions en ce qui concerne la détermination du caractère grave des effets d’une substance. À ce sujet, cette disposition exige seulement que ce caractère grave soit scientifiquement prouvé. Dès lors, l’argument de la requérante relatif à la nécessité d’appliquer, à cette fin, la notion d’« irréversibilité » établie par le règlement no 1272/2008 est dénué de fondement.

65      Partant, il y a lieu d’observer que les points 100 à 102 de l’arrêt attaqué ne sont entachés d’aucune erreur de droit.

66      La deuxième branche du premier moyen doit, par conséquent, être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la troisième branche du premier moyen, tirée d’une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH, en ce que le Tribunal a validé la démarche de l’ECHA en matière d’évaluation des effets individuels sur la santé humaine et la possibilité d’examiner les effets sur la santé humaine et l’environnement conjointement

–       Argumentation des parties

67      Selon la requérante, le Tribunal a commis une erreur de droit en validant la position de l’ECHA consistant à appliquer une approche fondée sur la force probante aux effets individuels sur la santé humaine et à considérer conjointement les effets sur la santé et sur l’environnement aux fins de l’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH.

68      S’agissant, en premier lieu, de l’application de l’approche fondée sur la force probante aux effets individuels sur la santé humaine, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 97 de l’arrêt attaqué, que les effets combinés sur la santé humaine « “ensemble” sont considéré[s] comme probables et graves ». De l’avis de la requérante, les seuls effets sur la santé humaine qui constituent le fondement de la décision litigieuse sont ceux liés à la toxicité pour le développement et à la toxicité à doses répétées dont il est contesté qu’ils remplissent les critères de gravité et de niveau de préoccupation équivalent.

69      Selon la requérante, même s’il était possible, comme l’a jugé le Tribunal au point 98 de l’arrêt attaqué, que « plusieurs effets pris dans leur ensemble » qui, isolément, ne suscitent pas un niveau de préoccupation équivalent puissent être considérés conjointement comme suscitant un tel niveau de préoccupation, l’ECHA aurait dû examiner si, pris ensemble, les effets combinés sont graves et d’un niveau de préoccupation équivalent à ceux énoncés à l’article 57, sous a) à c), du règlement REACH pour les substances CMR, évaluation qui n’a pas été effectuée en l’occurrence.

70      S’agissant, en second lieu, de la prise en considération conjointe des effets sur la santé humaine et sur l’environnement, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 122 de l’arrêt attaqué, que « rien dans le libellé de l’article 57, sous f), du [règlement REACH] n’indique une obligation de distinguer entre le niveau de préoccupation équivalent » suscité par la substance en cause respectivement, pour la santé humaine et pour l’environnement. De l’avis de la requérante, dans la mesure où l’identification du HFPO‑DA comme substance extrêmement préoccupante est expressément divisée en deux entrées dans la liste des substances candidates, l’une pour la santé humaine et l’autre pour l’environnement, il aurait incombé à l’ECHA d’évaluer et d’établir l’existence d’effets graves d’un niveau de préoccupation équivalent pour chacune de ces deux entrées.

71      Or, aux points 120 et 122 de l’arrêt attaqué, le Tribunal laisserait entendre que l’ECHA pouvait être dispensée d’établir les effets graves suscitant un niveau de préoccupation équivalent sur chacun de ces deux aspects. Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit, au point 125 de cet arrêt, en considérant qu’il suffisait que l’ECHA établisse, d’une part, des effets graves pour la santé humaine et, d’autre part, un niveau de préoccupation équivalent pour l’environnement, afin d’identifier le HFPO-DA au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH.

72      Selon l’ECHA, soutenue par le Royaume des Pays-Bas ainsi que par ClientEarth et CHEM Trust Europe, la troisième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant en partie irrecevable, en partie non fondée et en partie inopérante.

73      Dans son mémoire en réplique, la requérante conteste les arguments portant sur l’irrecevabilité partielle de la troisième branche du premier moyen et affirme que les arguments soulevés à l’appui de cette branche répondent aux exigences imposées à l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour.

–       Appréciation de la Cour

74      Par la troisième branche du premier moyen, la requérante conteste les motifs exposés aux points 96 à 99, 120, 122 et 125 de l’arrêt attaqué et affirme que le Tribunal a fait une application erronée, d’une part, de l’approche fondée sur la force probante aux effets individuels sur la santé humaine ainsi que, d’autre part, de la nécessité de distinguer et de justifier séparément le niveau de préoccupation suscité par le HFPO-DA pour la santé humaine et pour l’environnement lorsque, comme en l’occurrence, ces deux préoccupations justifient l’identification de cette substance comme étant extrêmement préoccupante.

75      S’agissant, en premier lieu, de l’argument relatif à la possibilité de dégager les effets graves pour la santé humaine par l’appréciation corroborée des effets individuels de ladite substance, la requérante conteste les motifs exposés aux points 97 à 99 de l’arrêt attaqué.

76      À cet égard, il convient d’observer que, au point 97 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les effets néfastes observés sur le foie, les reins, le système hématologique, le système immunitaire et le développement, pris ensemble, sont considérés comme étant probables et graves pour la santé humaine. Au point 98 de cet arrêt, le Tribunal a observé, en se fondant sur l’utilisation du pluriel dans l’expression « des effets graves », qu’une combinaison de plusieurs effets afin d’établir leur gravité n’est pas contraire à l’article 57, sous f), du règlement REACH. Au point 99 dudit arrêt, le Tribunal a rejeté les arguments de la requérante relatifs au caractère grave ou non des effets pris isolément comme n’étant pas pertinents.

77      L’argumentation exposée par la requérante à l’appui de la troisième branche du premier moyen ne suffit pas à démontrer que lesdits points de l’arrêt attaqué sont entachés d’une erreur de droit. En effet, la requérante se limite à reproduire les arguments déjà présentés devant le Tribunal et résumés, notamment, aux points 85 à 87 de l’arrêt attaqué.

78      Or, ne répond pas aux exigences découlant de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure, le pourvoi qui se limite à reproduire les moyens et les arguments qui ont été déjà présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 27 avril 2023, Casa Regina Apostolorum della Pia Società delle Figlie di San Paolo/Commission, C‑492/21 P, EU:C:2023:354, point 53 et jurisprudence citée).

79      Il convient, dès lors, d’écarter le premier argument de la troisième branche du premier moyen comme étant irrecevable.

80      S’agissant, en second lieu, de la possibilité de prendre en considération conjointement les effets sur la santé et ceux sur l’environnement, la requérante conteste les motifs exposés aux points 120, 122 et 125 de l’arrêt attaqué, faisant valoir qu’ils sont entachés d’erreurs de droit, dans la mesure où le Tribunal laisse entendre que l’ECHA peut être dispensée d’établir des effets graves suscitant un niveau de préoccupation équivalent pour la santé humaine en se fondant sur les effets sur l’environnement.

81      À cet égard, il convient d’observer que, pour qu’une substance soit identifiée comme étant extrêmement préoccupante, l’article 57, sous f), du règlement REACH exige qu’il soit prouvé scientifiquement qu’elle peut avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par des substances CMR, PBT ou vPvB. Il ressort du libellé même de cette disposition que l’équivalence du niveau de préoccupation suscité par les effets d’une substance sur la santé humaine ne doit pas nécessairement être établie par rapport aux préoccupations suscitées par les substances CMR, car le législateur de l’Union énumère à cette fin, de manière alternative, toutes les substances prévues à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH, à savoir les substances CMR, PBT et vPvB.

82      Par conséquent, ainsi que l’a exposé, à juste titre, le Tribunal au point 120 de l’arrêt attaqué, l’article 57, sous f), du règlement REACH n’exige pas que le niveau de préoccupation suscité par les effets graves d’une substance sur la santé humaine soit toujours équivalent à celui suscité par les substances CMR, et ce indépendamment de la question de savoir si ce niveau est équivalent à celui suscité par les substances PBT et vPvB. C’est, dès lors, à juste titre que le Tribunal a conclu, au point 125 de cet arrêt, qu’une substance pour laquelle est scientifiquement prouvé le fait qu’elle peut avoir des effets graves sur la santé humaine et qui suscite un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation des substances PBT et vPvB peut être identifiée comme étant extrêmement préoccupante.

83      De plus, en l’occurrence, les préoccupations résultant des substances PBT et vPvB avec lesquelles l’ECHA a comparé les préoccupations liées au HFPO-DA concernent, ainsi qu’il a été relevé au point 123 de l’arrêt attaqué, les êtres humains ainsi que les autres organismes de l’environnement.

84      C’est dans ce contexte que le Tribunal a retenu, à juste titre, au point 122 de l’arrêt attaqué, que l’article 57, sous f), du règlement REACH n’implique pas une obligation de distinguer entre le niveau de préoccupation équivalent suscité par les effets graves, d’une part, sur la santé humaine et, d’autre part, sur l’environnement.

85      La troisième branche du premier moyen doit, dès lors, être rejetée comme étant partiellement irrecevable et partiellement non fondée.

 Sur le deuxième moyen 

86      Le deuxième moyen du pourvoi est divisé en deux branches. La première branche porte sur la possibilité d’établir les effets graves pour l’environnement en se fondant sur les données de toxicité pour la santé humaine. La seconde branche porte sur les conséquences à tirer de l’absence de bioaccumulation du HFPO-DA.

 Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d’une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH en ce que le Tribunal a validé l’approche de l’ECHA d’établir des effets graves sur l’environnement en se fondant sur des données de toxicité pour la santé humaine

–       Argumentation des parties

87      La requérante conteste les motifs exposés par le Tribunal aux points 146 à 159 de l’arrêt attaqué. Elle dénonce une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH en ce que le Tribunal a conclu que l’existence d’effets graves sur l’environnement avait été établie par l’ECHA en raison d’un empoisonnement secondaire supposé sur la base des données relatives à une seule espèce, tirées d’une seule étude, à savoir l’étude Edwards, T.L., 2010a, intitulée « An Oral (Gavage) Reproduction/Developmental Toxicity Screening Study of H28548 in Mice », par laquelle a été étudiée la toxicité de la substance en cause pour les souris aux fins d’évaluer si cette substance présente un risque pour la santé humaine (ci-après l’« étude Edwards »).

88      À l’appui de cette branche, la requérante invoque, en substance, deux arguments.

89      Par le premier argument, la requérante allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a validé l’approche de l’ECHA d’utiliser des données relatives à la santé humaine, issues de l’étude Edwards, afin d’établir l’existence d’un risque pour l’environnement. Si telle était l’intention du législateur de l’Union, le règlement REACH n’aurait pas établi de distinction entre les risques pour la santé humaine et pour l’environnement et entre les données toxicologiques et écotoxicologiques.

90      La requérante précise que l’étude Edwards constitue une étude de dépistage de la toxicité pour la reproduction et le développement, réalisée conformément à la ligne directrice no 421 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il s’agirait d’une méthode d’essai utilisée non pas pour obtenir des informations écotoxicologues pertinentes pour évaluer les risques potentiels sur l’environnement, mais pour obtenir des informations toxicologiques utiles à l’évaluation des risques potentiels d’une substance sur la santé humaine.

91      Par le second argument, la requérante conteste la pertinence de l’étude Edwards, faisant valoir que, lors de cette dernière, le HFPO-DA avait été administré par voie orale, sous la forme de gavage, en une seule fois, au lieu de permettre aux animaux, à savoir les souris, d’absorber la dose sélectionnée moyennant une administration par voie alimentaire, en l’occurrence dans les aliments ou les boissons, qui constituait une voie d’exposition plus représentative de l’environnement.

92      La requérante allègue également que l’étude Edwards n’établit pas l’existence d’effets graves probables sur l’environnement. Le document d’appui reconnaîtrait que les dangers pour l’environnement n’avaient pas été considérés comme étant une priorité et le Tribunal aurait confirmé, au point 146 de l’arrêt attaqué, que cette étude n’établit pas une toxicité directe, mais qu’elle a été utilisée pour démontrer un empoisonnement secondaire chez les oiseaux et les mammifères.

93      Au point 153 de cet arrêt, le Tribunal aurait confirmé qu’il n’y a pas d’effets toxiques chez les cailles, à savoir la seule espèce d’oiseaux à laquelle l’ECHA fait référence. Si, au point 151 dudit arrêt, le Tribunal a constaté qu’une réduction de 20 % du poids de la génération F1 des souris est significative et non faible, il ne se serait pas prononcé sur la question de savoir si cette réduction entraînait un effet grave sur l’environnement.

94      Au point 153 du même arrêt, le Tribunal aurait également constaté que l’ECHA avait pris en considération l’étude Rutgers et al., 2019, sans toutefois confirmer que cette étude établissait des effets graves sur l’environnement. De même, bien que, au point 155 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ait jugé qu’il était possible de conclure à l’existence d’effets graves sur la base des données relatives à une seule espèce, il n’établirait pas que l’ECHA avait démontré que le HFPO-DA pouvait effectivement avoir de tels effets comme l’exige l’article 57, sous f), du règlement REACH.

95      Selon  l’ECHA, soutenue par le Royaume des Pays-Bas ainsi que par ClientEarth et CHEM Trust Europe, la première branche du deuxième moyen devrait être rejetée comme étant partiellement irrecevable, partiellement inopérante et, pour le reste, non fondée.

96      Ces parties font en substance valoir que les arguments de la requérante portant sur l’interdiction de fonder les préoccupations pour l’environnement sur la base des études de toxicologie n’ont pas été invoqués devant le Tribunal et que les arguments portant sur les paramètres de conception de l’étude Edwards ainsi que sur certaines de ses constatations visent des constatations factuelles ne pouvant être contestées, en l’absence de dénaturation, dans le cadre d’un pourvoi. En tout état de cause, elles estiment que l’argumentation de la requérante à l’appui de la première branche du deuxième moyen est dénuée de fondement.

97      Dans son mémoire en réplique, la requérante précise qu’elle ne conteste pas la conclusion du Tribunal selon laquelle des effets graves pour l’environnement peuvent être établis sur la base de données relatives à une seule espèce, mais qu’elle remet en cause la pertinence de l’étude Edwards, pour établir des effets graves sur l’environnement. La requérante conteste l’irrecevabilité de l’argument relatif à l’utilisation des études toxicologiques et allègue qu’il ne s’agit pas d’un moyen nouveau, au sens de l’article 127 du règlement de procédure.

98      Dans son mémoire en duplique, l’ECHA indique que les effets toxiques mis en évidence chez la souris et chez le rat suscitent une très forte inquiétude pour l’environnement. Si l’ECHA conteste l’interprétation du point 153 de l’arrêt attaqué à laquelle la requérante est parvenue, elle est d’accord avec cette dernière sur le fait que l’étude Rutgers et al., 2019, n’a montré aucun effet toxique sur les cailles. Toutefois, l’ECHA observe que le fait que le HFPO-DA soit ou non extrêmement préoccupant pour les oiseaux est insignifiant, en l’espèce, car il a déjà été établi que la présence de cette substance dans l’environnement est extrêmement préoccupante pour des mammifères.

–       Appréciation de la Cour

99      Par la première branche du deuxième moyen, la requérante conteste les motifs exposés par le Tribunal, aux points 146 à 159 de l’arrêt attaqué, et l’examen qui a été fait par celui-ci des effets graves du HFPO-DA sur l’environnement.

100    À titre liminaire, il y a lieu d’observer que, dans sa requête au pourvoi, la requérante a explicitement contesté la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal au point 155 de l’arrêt attaqué, selon laquelle rien dans le règlement REACH n’interdit à l’ECHA de conclure à l’existence d’effets graves sur l’environnement sur la base des données relatives à une seule espèce, en l’occurrence la souris. Toutefois, dans son mémoire en réplique, la requérante précise qu’elle ne conteste pas la conclusion du Tribunal selon laquelle des effets graves pour l’environnement peuvent être établis sur la base des données relatives à une seule espèce.

101    Par conséquent, l’examen de la première branche du deuxième moyen se limite aux arguments portant, d’une part, sur la possibilité d’établir le risque d’effets graves sur l’environnement, au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH, sur le fondement des données de toxicité sur la santé humaine et, d’autre part, sur le caractère approprié de l’étude Edwards, pour établir ce risque.

102    En ce qui concerne le premier argument, portant sur la possibilité d’évaluer les effets sur l’environnement sur le fondement des données toxicologiques, ainsi que le font valoir l’ECHA, ClientEarth et CHEM Trust Europe, la distinction entre les informations toxicologiques et écotoxicologiques et les conséquences qui en découlent n’ont pas été débattues en première instance.

103    Selon une jurisprudence constante de la Cour, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est en effet limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant le Tribunal (arrêt du 27 avril 2023, Casa Regina Apostolorum della Pia Società delle Figlie di San Paolo/Commission, C‑492/21 P, EU:C:2023:354, point 100 et jurisprudence citée).

104    Le premier argument doit dès lors être rejeté comme étant irrecevable.

105    En ce qui concerne le second argument, portant sur la pertinence de l’étude Edwards, en ce que celle-ci ne serait pas représentative de l’exposition au HFPO-DA et ne permettrait donc pas d’évaluer les effets de cette substance sur l’environnement, il convient de rappeler que, dans le cadre d’un pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis, sous réserve du cas de leur dénaturation (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA, C‑119/21 P, EU:C:2023:180, points 84 et 85 ainsi que jurisprudence citée, et du 22 juin 2023, DI/BCE, C‑513/21 P, EU:C:2023:500, point 53 et jurisprudence citée).

106    Or, ainsi qu’il résulte, en particulier, des éléments de l’argumentation de la requérante résumés au point 91 du présent arrêt, la requérante vise, en réalité, à obtenir un réexamen par la Cour d’un élément de preuve produit devant le Tribunal et analysé dans l’arrêt attaqué, sans invoquer aucune dénaturation de cet élément de preuve, ce qui, pour les raisons énoncées ci-avant, excède la compétence de la Cour.

107    Le second argument doit, dès lors, également être rejeté comme étant irrecevable.

108    Il résulte de ce qui précède que la première branche du deuxième moyen doit être rejetée comme étant irrecevable.

 Sur la seconde branche du deuxième moyen, tirée d’une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH, en ce que le Tribunal n’a pas considéré l’absence de bioaccumulation comme constituant un élément pertinent à prendre en considération par l’ECHA dans les circonstances particulières de l’espèce

–       Argumentation des parties

109    Selon la requérante, au point 96 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé à tort que « la persistance combinée à d’autres propriétés intrinsèques [du HFPO-DA] » répondait aux critères énoncés à l’article 57, sous f), du règlement REACH. Il aurait également commis une erreur de droit, en considérant que cette disposition « autorise la prise en compte de la propriété intrinsèque de la persistance, dans le cadre d’une identification comme substance extrêmement préoccupante, indépendamment de la question de savoir si cette propriété est combinée à des propriétés très spécifiques et limitées, à savoir avec la bioaccumulation et la toxicité ».

110    À cet égard, la requérante fait valoir qu’il est constant que le HFPO-DA possède des propriétés persistantes. Toutefois, son potentiel de bioaccumulation serait incertain et ne constituerait pas le fondement de la décision litigieuse. Selon la requérante, d’autres propriétés intrinsèques de cette substance, à savoir la mobilité et le transport à longue distance, la solubilité élevée dans l’eau, la faible volatilité et le faible potentiel d’adsorption constituent non pas des propriétés indépendantes, mais des manifestations de la persistance de ladite substance dans l’eau, et sont caractéristiques de toute substance persistante ou très persistante dans l’eau.

111    Cependant, la persistance en elle-même, sans bioaccumulation, ne suffirait pas à identifier une substance comme étant extrêmement préoccupante, au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH, lequel exige, selon la requérante, un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances qui sont à la fois persistantes, bioaccumulables et toxiques ou celles qui sont très persistantes et très bioaccumulables. Le Tribunal aurait dès lors dénaturé et omis d’aborder les arguments de la requérante et aurait également commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu, au point 63 de l’arrêt attaqué, que l’article 57, sous f), du règlement REACH « n’exige pas qu’une substance soit bioaccumulable pour pouvoir être identifiée comme substance extrêmement préoccupante », au sens de cette disposition.

112    La requérante allègue également que le Tribunal a commis une erreur d’appréciation, au point 172 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il a conclu qu’elle n’avait pas expliqué « de quelle manière un faible potentiel de bioaccumulation, à le supposer établi, remettrait en cause la conclusion de l’ECHA » relative aux effets graves du HFPO-DA sur l’environnement. Or, elle aurait expliqué, dans sa requête en annulation, les erreurs manifestes commises par l’ECHA.

113    De même, au point 173 de cet arrêt, le Tribunal aurait jugé à tort qu’elle n’avait pas expliqué en quoi la constatation de l’absence de forte adsorption dans le sol et d’un facteur de bioconcentration dans l’eau porale serait susceptible de mettre en cause les informations relatives à l’absorption par les légumes et les fruits et, en définitive, par la faune herbivore. Or, la requérante affirme avoir exposé, dans sa requête en annulation, les erreurs manifestes commises par l’ECHA lors de l’évaluation du potentiel de bioaccumulation du HPFO-DA de sorte qu’il revenait à cette dernière d’établir qu’elle était arrivée à ses conclusions « avec soin et impartialité », au sens de la jurisprudence (arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a., C‑691/15 P, EU:C:2017:882, point 35 ainsi que jurisprudence citée) et au Tribunal d’exercer son contrôle à cet égard.

114    Il s’ensuit que le Tribunal aurait commis une erreur de droit et d’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH en jugeant que l’ECHA n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que le HFPO-DA pouvait avoir des effets graves sur l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances PBT ou vPvB.

115    Selon l’ECHA, soutenue par le Royaume des Pays-Bas, la seconde branche du deuxième moyen doit être rejetée, en substance, comme étant non fondée, le Tribunal ayant correctement analysé la relation entre la persistance et la bioaccumulation d’une substance au regard de l’article 57, sous f), du règlement REACH. En particulier, en ce qui concerne l’argument relatif au devenir dans l’environnement et à la nature non indépendante des propriétés physico-chimiques sur lesquelles est fondée la décision litigieuse et qui constitueraient seulement une manifestation de la persistance dans l’eau du HFPO-DA, l’ECHA observe que cet argument n’ayant pas été présenté devant le Tribunal est de ce fait irrecevable. En tout état de cause, ledit argument serait également dénué de fondement.

116    ClientEarth et CHEM Trust Europe soutiennent que les griefs invoqués par la requérante à l’appui de la seconde branche du deuxième moyen sont irrecevables, car ils contiennent des arguments de nature factuelle qui ne peuvent pas prospérer dans le cadre d’un pourvoi.

–       Appréciation de la Cour

117    Dans le cadre de la seconde branche du deuxième moyen, la requérante conteste les motifs exposés aux points 63, 96, 172 et 173 de l’arrêt attaqué et allègue que, en jugeant qu’une substance peut être identifiée comme étant extrêmement préoccupante au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH sur la base de sa persistance, indépendamment de sa bioaccumulation, le Tribunal a commis une erreur de droit.

118    À cet égard, il y a lieu d’observer, en premier lieu, que, au point 63 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que les substances bioaccumulables ou très bioaccumulables ne sont énumérées à cette disposition qu’à titre d’exemple, de sorte que ladite disposition n’exige pas qu’une substance soit bioaccumulable pour pouvoir être identifiée comme étant extrêmement préoccupante. Au point 96 de cet arrêt, le Tribunal a expliqué, en substance, que l’interprétation préconisée par la requérante, selon laquelle le législateur ne permettait pas l’identification d’une substance comme étant extrêmement préoccupante au motif qu’elle est persistante et mobile, mais non bioaccumulable, exclurait d’une telle identification des substances qui sont aussi dangereuses pour la santé humaine et pour l’environnement que celles visées à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH.

119    Cette appréciation du Tribunal n’est entachée d’aucune erreur de droit. À cet égard, il y a lieu d’observer que la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu au point 63 de l’arrêt attaqué est confortée par les constatations qu’il a exposées aux points 94 et 95 de cet arrêt, non contestés par la requérante, selon lesquelles il ne ressort pas du libellé de l’article 57, sous f), du règlement REACH, notamment des termes « telles que [...] celles », que la persistance, la bioaccumulation et la toxicité ne peuvent être prises en compte que lorsqu’elles apparaissent dans une combinaison précise. Cette interprétation textuelle répond à l’objectif poursuivi par ce règlement qui vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement.

120    S’agissant, en deuxième lieu, de l’argument portant sur la circonstance que les propriétés intrinsèques du HFPO-DA autres que la persistance, identifiées dans la décision litigieuse, ne seraient, en réalité, que des manifestations de la persistance dans l’eau, il s’agit, ainsi que l’ECHA le fait valoir, d’un argument invoqué pour la première fois au stade du pourvoi.

121    Par conséquent, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 103 du présent arrêt, cet argument est irrecevable.

122    En ce qui concerne, en troisième lieu, les arguments portant sur les motifs exposés aux points 172 et 173 de l’arrêt attaqué, il convient d’observer que ces points s’insèrent dans l’examen du Tribunal sur l’appréciation par l’ECHA de certaines données scientifiques lors de l’évaluation des effets du HFPO-DA sur l’environnement, à savoir des données visant le potentiel de bioaccumulation de cette substance.

123    À cet égard, au point 170 de cet arrêt, le Tribunal a constaté que les arguments de la requérante concernant la bioaccumulation du HFPO‑DA doivent être rejetés, car la décision litigieuse ne repose pas sur le potentiel de bioaccumulation de cette substance. Au point 172 dudit arrêt, le Tribunal a examiné l’hypothèse dans laquelle ces arguments devaient être compris en ce sens que l’ECHA aurait dû prendre en compte la bioaccumulation dans le cadre de l’établissement des effets graves sur l’environnement suscitant un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances visées à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH et a considéré que la requérante n’avait pas expliqué de quelle manière un faible potentiel de bioaccumulation, à le supposer établi, remettrait en cause la conclusion de l’ECHA à cet égard.

124    Au point 173 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également considéré que la requérante n’avait pas expliqué comment l’argumentation tirée de l’adsorption du HFPO-DA dans le sol et de la pertinence du facteur de bioconcentration dans l’eau porale pour la bioaccumulation était susceptible de remettre en cause l’affirmation selon laquelle, compte tenu de l’absorption observée par les fruits et les légumes, leur consommation par la faune herbivore et par l’homme pouvait significativement contribuer à l’exposition totale au HFPO-DA.

125    Or, si la requérante conteste ces deux points de l’arrêt attaqué, il convient d’observer qu’elle se limite à réitérer l’argumentation qu’elle avait soulevée devant le Tribunal en renvoyant aux points respectifs de sa requête en annulation et de son mémoire en réplique sans alléguer aucune dénaturation en ce qui concerne ces arguments.

126    Ce faisant, par son argumentation, la requérante cherche, en réalité, à obtenir un réexamen par la Cour des éléments de preuve produits devant le Tribunal et analysés dans l’arrêt attaqué. Or, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 78 et 105 du présent arrêt, une telle argumentation est irrecevable.

127    Par conséquent, la seconde branche du deuxième moyen doit être écartée comme étant en partie non fondée et, en partie, irrecevable.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

128    Le troisième moyen du pourvoi est divisé en trois branches.

129    Par la première branche du troisième moyen, la requérante conteste les motifs exposés aux points 49 à 51 et 230 de l’arrêt attaqué et affirme que le Tribunal a manifestement dépassé les limites de son contrôle. Ainsi, d’une part, aux points 49 à 51 de cet arrêt, le Tribunal ne se serait pas contenté d’évaluer si certaines études ont été prises en considération par l’ECHA, mais il aurait procédé lui-même à une évaluation des données disponibles et attribué une signification aux effets prétendument observés, indépendamment des critères établis par le règlement no 1272/2008. D’autre part, au point 230 dudit arrêt, le Tribunal serait parvenu lui-même à des conclusions scientifiques et aurait ainsi violé les limites de son contrôle en jugeant que « s’il est considéré que les effets observés sont réversibles lorsque l’exposition a été arrêtée, la conclusion de leur irréversibilité si l’exposition n’est pas arrêtée, ou, en d’autres termes, si l’exposition est continue, voire même irréversible, est plausible ».

130    Par la deuxième branche du troisième moyen, la requérante fait valoir que, au point 230 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a enfreint le principe de l’excellence scientifique en jugeant que l’ECHA « s’est prononcée, en faisant référence aux effets irréversibles, sur les effets susceptibles de se produire si l’exposition ne s’arrêtait pas après une certaine période de temps et continuait », ce qui ne satisferait pas l’exigence du respect des meilleures normes scientifiques actuelles.

131    Par la troisième branche du troisième moyen, la requérante réitère le reproche fait dans la deuxième branche du premier moyen et allègue que le Tribunal a commis une erreur d’interprétation de la notion d’« irréversibilité ».

132    Selon l’ECHA, soutenue par le Royaume des Pays-Bas ainsi que par ClientEarth et CHEM Trust Europe, les trois branches du troisième moyen procédant d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué, ce moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Appréciation de la Cour

133    Par le troisième moyen du pourvoi, la requérante conteste les motifs exposés aux points 38 à 40, 49 à 51 et 230 de l’arrêt attaqué et affirme que le Tribunal a dépassé les limites de son contrôle, méconnu le principe de l’excellence scientifique et a commis une erreur d’interprétation de la notion d’« irréversibilité ».

134    En ce qui concerne la première branche du troisième moyen, portant sur les limites du contrôle exercé par le Tribunal dans un domaine tel que celui de l’identification des substances extrêmement préoccupantes au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH, il convient de rappeler que, dès lors que les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment en ce qui concerne les éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent dans ce cadre, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut, en effet, substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions auxquelles, seules, le traité FUE a confié cette tâche (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA, C‑119/21 P, EU:C:2023:180, point 46 et jurisprudence citée).

135    Le large pouvoir d’appréciation des autorités de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais s’applique aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Toutefois, un tel contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que les autorités de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir (arrêt du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA, C‑119/21 P, EU:C:2023:180, point 47 et jurisprudence citée).

136    Aux points 49 à 51 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que l’ECHA avait fondé sa conclusion sur la toxicité sur le constat d’une croissance altérée de la masse corporelle des fœtus des rats comme manifestation principale de cette toxicité. Il a considéré que le seul fait qu’il existe également des effets de toxicité maternelle en même temps que les effets sur le développement ne permet pas d’établir que ces derniers effets sont une conséquence secondaire et non spécifique de la toxicité maternelle. C’est dans ce contexte qu’il a qualifié de « plausible » la constatation de l’ECHA selon laquelle une réduction du poids maternel n’était pas la cause de la diminution du poids corporel des fœtus. Or, en procédant ainsi, le Tribunal n’a pas méconnu les limites du contrôle qu’il lui incombait d’effectuer.

137    La même conclusion vaut pour les motifs pour lesquels le Tribunal a constaté, au point 230 de l’arrêt attaqué, que la conclusion de l’ECHA sur l’irréversibilité des effets observés du HFPO-DA dans l’hypothèse où l’exposition à cette substance ne s’arrêtait pas après une certaine période de temps et continuait, en d’autres termes en cas d’exposition continue, était plausible.

138    S’agissant de la deuxième branche du troisième moyen, portant sur la violation du principe de l’excellence scientifique, en ce que le Tribunal aurait validé, au point 230 de l’arrêt attaqué, un simple « point de vue » exprimé par l’ECHA au sujet des effets irréversibles du HFPO-DA, il y a lieu d’observer que l’argumentation déployée à l’appui d’un tel grief n’est pas en mesure de démontrer de violation de ce principe.

139    La version anglaise dudit point, selon laquelle l’ECHA « expressed its view, referring to irreversible effects », et sur laquelle il apparaît que la requérante fonde ses allégations, doit être lue dans le contexte de l’arrêt attaqué de sorte qu’elle ne saurait permettre d’affirmer que l’ECHA s’est limitée à exprimer un « point de vue » en violation de l’obligation qui lui incombe de respecter les meilleures normes scientifiques actuelles.

140    À cet égard, il convient d’observer que le raisonnement du Tribunal, au point 230 de l’arrêt attaqué, a débuté au point 228 de cet arrêt et a été développé à l’aune du principe de l’excellence scientifique, énoncé au point 227 dudit arrêt. Le Tribunal a ainsi constaté que les études de toxicité standards ont été prises en compte par l’ECHA pour conclure que les effets observés étaient réversibles. Au point 230 dudit arrêt, le Tribunal a constaté que les études standards sont toutefois limitées à une période d’essai de 28 jours ou 90 jours et impliquent donc une exposition limitée dans le temps. C’est dans ce contexte que le Tribunal a constaté que l’ECHA « s’est prononcée [...] sur les effets susceptibles de se produire si l’exposition [...] continuait ».

141    En ce qui concerne la troisième branche du troisième moyen portant sur l’interprétation qui a été donnée dans l’arrêt attaqué à la notion d’« irréversibilité », cette branche doit être rejetée pour les mêmes raisons que celles exposées dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen.

142    Par conséquent, le troisième moyen du pourvoi doit être écarté comme étant non fondé.

143    Il résulte des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

144    En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

145    L’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure dispose que, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens.

146    Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

147    L’ECHA, ainsi que ClientEarth et CHEM Trust Europe, ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

148    Le Royaume des Pays-Bas, partie intervenante en première instance, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Chemours Netherlands BV est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ainsi que ceux exposés par ClientEarth, ClientEarth AISBL et CHEM Trust Europe eV.

3)      Le Royaume des Pays-Bas supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.