Language of document : ECLI:EU:T:2007:366

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

5 décembre 2007 (*)

« Marque communautaire – Demande de marque communautaire figurative représentant une lame de scie de couleur bleue – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 40/94 – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑127/06,

Kapman AB, établie à Sandviken (Suède), représentée par MR. Almaraz Palmero, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. O. Mondéjar Ortuño, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’OHMI du 10 février 2006 (affaire R 303/2004-2), refusant l’enregistrement d’une marque figurative de couleur bleue représentant une lame de scie, comme marque communautaire,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de M. J. D. Cooke, président, Mme I. Labucka et M. M. Prek, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2006,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 7 août 2006,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 11 janvier 2002, la requérante a présenté une demande de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié.

2        La demande d’enregistrement portait sur une marque figurative de couleur bleue, correspondant à la référence pantone PMS 302U, reproduite ci-après :

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3        Le produit pour lequel l’enregistrement a été demandé relève de la classe 8 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié. Il correspond à la description suivante : « Lames de scie (destinées à des outils actionnés manuellement) ».

4        Par lettre du 10 avril 2003, l’examinateur a informé la requérante que la marque demandée ne répondait pas aux conditions d’enregistrement requises par l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, au motif, principalement, d’une part, que la marque demandée constituait la représentation d’une lame de scie de couleur bleue, d’autre part, que, appliquée aux produits relevant de la classe 8 pour lesquels l’enregistrement a été demandé, la marque demandée ne pouvait pas être perçue comme étant une indication d’origine commerciale, et, enfin, que la couleur bleue ne constituait pas en l’espèce un élément de fantaisie, arbitraire ou innovateur.

5        Par lettre du 6 juin 2003, la requérante a contesté cette appréciation de l’examinateur et a soutenu que la marque demandée ne représentait pas une lame de scie, mais un parallélogramme à coins arrondis avec une entaille située dans la partie supérieure droite. Le caractère distinctif du signe en cause, la forme des lames de scie étant habituellement peu susceptible de varier, serait suffisant pour justifier l’enregistrement de la marque demandée, surtout compte tenu du fait que cette forme est combinée avec une couleur bleue particulière. À cet égard, la requérante souligne qu’une couleur en soi peut faire l’objet d’un enregistrement en tant que marque communautaire.

6        Par décision du 1er mars 2004, l’examinateur a rejeté la demande d’enregistrement au motif, en substance, que la marque demandée représentait une figure géométrique fondamentale sans élément marquant et que la couleur bleue, loin de constituer un élément de fantaisie, arbitraire ou innovateur, était au contraire commune. La marque demandée ne pourrait donc pas constituer une indication d’origine commerciale et, partant, ne saurait être enregistrée, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

7        Le 23 avril 2004, la requérante a introduit un recours contre la décision de l’examinateur et l’a motivé dans un mémoire déposé le 29 juin 2004. Elle alléguait, en substance, que la forme du signe demandé, combinée avec la couleur bleue unique de celui-ci, lui conférait un caractère distinctif propre, ne permettant pas de refuser son enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. En outre, la présentation de la marque demandée sous la forme d’une étiquette aurait pour conséquence que le consommateur considérera la marque comme une indication d’origine commerciale.

8        Par décision du 10 février 2006 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours a rejeté ledit recours comme non fondé. Elle a jugé, en substance, que la marque demandée, constituée d’une étiquette, imitait fortement la forme du produit qu’elle désigne. Ni les particularités de la forme du signe en cause, ni sa couleur ne seraient suffisantes pour constituer une indication d’origine commerciale du produit aux yeux du public pertinent, composé de professionnels et de bricoleurs amateurs.

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure devant la chambre de recours.

10      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

11      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le recours est manifestement irrecevable ou dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

12      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

13      À l’appui de son recours, la requérante invoque en substance trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des règles relatives à la charge de la preuve. Le troisième moyen est tiré d’une pratique antérieure de l’OHMI en matière d’enregistrement et d’un arrêt du Tribunal.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94

 Arguments des parties

14      La requérante fait valoir que la couleur de la marque demandée, loin de constituer une nuance de bleu de base, est, au contraire, très spécifique et correspond d’ailleurs à l’une des références pantone, reconnues au plan international. Cette couleur conférerait au signe demandé un fort caractère distinctif qui lui donnerait un caractère arbitraire et de fantaisie. La requérante rappelle en outre que l’OHMI a admis le caractère enregistrable d’une couleur en soi.

15      La requérante soutient également que la marque demandée représente une forme arbitraire, spécifique et inhabituelle. Rien n’indique, selon elle, que la marque demandée constitue une représentation du produit en cause, dans la mesure où, au contraire, « elle se distingue visuellement et conceptuellement d’autres produits du même type ».

16      Cette couleur et cette forme particulières seraient faciles à retenir par le public pertinent. Ce public est constitué, selon la requérante, de professionnels et d’amateurs avertis, puisque les lames de scie à métaux ne sont pas utilisées quotidiennement. Combinées, la couleur et la forme de la marque demandée donneraient à celle-ci un caractère distinctif propre.

17      Ainsi, la décision attaquée aurait méconnu les directives internes de l’OHMI qui prévoient, à propos de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, que « [l]orsque la représentation graphique des produits ou services est inhabituelle ou extravagante, la marque n’est pas dépourvue de caractère distinctif et l’examinateur ne doit pas émettre une objection pour ce motif. Lorsqu’une marque consiste en une combinaison de plusieurs éléments qui, individuellement, seraient dépourvus de caractère distinctif, elle peut, prise dans son ensemble, posséder un caractère distinctif ».

18      En outre, l’utilisation de la marque demandée comme étiquette apposée sur les lames de scie constituerait non pas une décoration, mais une indication d’origine commerciale dans l’esprit du consommateur moyen, différenciant ainsi les lames de scie en cause de celles des entreprises concurrentes.

19      L’OHMI estime que le premier moyen n’est pas fondé.

 Appréciation du Tribunal

20      Le Tribunal estime que le présent moyen est manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

21      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif, la fonction essentielle de la marque étant d’identifier l’origine commerciale d’un produit ou d’un service et de permettre au consommateur qui acquiert ledit produit ou ledit service de faire, lors d’une acquisition ultérieure, le même choix, si l’expérience s’avère positive, ou, inversement, de faire un autre choix [arrêt du Tribunal du 27 février 2002, Eurocool Logistik/OHMI (EUROCOOL), T‑34/00, Rec. p. II‑683, point 37].

22      Le caractère distinctif d’une marque doit être apprécié au regard, d’une part, des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, de la compréhension qu’en a le public pertinent [arrêt du Tribunal du 2 juillet 2002, SAT.1/OHMI (SAT.2), T‑323/00, Rec. p. II‑2839, point 37].

23      Force est de constater que, en l’espèce, c’est à juste titre que la chambre de recours a conclu à l’absence de caractère distinctif de la marque demandée.

24      S’agissant de la forme de la marque demandée, c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré, au point 13 de la décision attaquée, que la marque demandée, présentée sous la forme d’une étiquette, « imit[ait] dans une large mesure la forme du produit auquel elle est destinée, c’est-à-dire une lame de scie » et que « l’entaille, qui correspond à environ un dixième de l’étiquette, n’appara[issait] pas de façon suffisamment marquante pour constituer l’élément déterminant qui confère un caractère distinctif à la marque [demandée] ».

25      En effet, la marque demandée revêt la forme d’une longue bande fine, caractéristique des lames de scie non rotatives. L’entaille est, en outre, une caractéristique de ce type de produit, celle-ci permettant la fixation de la lame à la scie. Ainsi, la marque demandée apparaît comme étant un signe basique, limité à la reproduction évidente, schématique et simple des produits pour lesquels la protection a été demandée.

26      S’agissant de la couleur de la marque demandée, c’est également à juste titre que la chambre de recours énonce, au point 14 de la décision attaquée, que « les lames de scie colorées sont communes et que l’utilisation d’une couleur bleue n’a rien d’exceptionnel ».

27      En effet, les lames de scie sont souvent colorées en raison de la présence d’un enduit anticorrosion. Dès lors, cet aspect coloré n’est pas de nature à conférer un caractère distinctif au signe en cause.

28      S’agissant de la définition du public pertinent, c’est également à juste titre que la chambre de recours a estimé que les consommateurs n’étaient pas attentifs aux particularités de la marque demandée, telles que son entaille ou sa couleur bleue, lorsqu’ils achètent une lame de scie, et que, partant, ils ne percevraient pas celle-ci comme étant une indication d’origine commerciale du produit.

29      En effet, la marque demandée, dont il convient de prendre en considération l’impression d’ensemble qu’elle produit (arrêt de la Cour du 30 juin 2005, Eurocermex/OHMI, C‑286/04 P, Rec. p. I‑5797, point 22), ne possède pas un caractère inhabituel renforcé. Au contraire, elle permet même au public pertinent de déceler immédiatement et sans autre réflexion que le signe dont l’enregistrement est demandé a trait à une lame de scie. Les directives internes de l’OHMI, dont se prévaut la requérante (voir point 17 ci-dessus), n’ont donc pas été méconnues par l’OHMI.

30      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des règles relatives à la charge de la preuve

 Arguments des parties

31      Par son deuxième moyen, la requérante fait valoir que c’est à l’examinateur qu’il appartient d’étayer et de justifier les objections soulevées à l’encontre de l’enregistrement de la marque demandée. Ainsi, ce ne serait pas au demandeur de prouver que sa marque présente un caractère distinctif. Les motifs absolus de refus constituant une exception à la règle générale selon laquelle un signe est éligible à l’enregistrement dès lors qu’il respecte les exigences de l’article 4 du règlement n° 40/94, ils devraient être interprétés de manière restrictive, et non pas largement comme cela aurait été le cas en l’espèce.

32      L’OHMI considère que le deuxième moyen n’est pas fondé.

 Appréciation du Tribunal

33      Le Tribunal estime que le présent moyen est également manifestement dénué de tout fondement en droit.

34      En effet, il appartient au demandeur d’une marque, qui se prévaut du caractère distinctif de celle-ci et qui dispose d’une connaissance approfondie du marché en cause, de fournir des indications concrètes et étayées établissant que la marque demandée est dotée d’un caractère distinctif intrinsèque ou acquis par l’usage, puisqu’il est le mieux placé pour le faire [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 5 mars 2003, Unilever/OHMI (Tablette ovoïde), T‑194/01, Rec. p. II‑383, point 48].

35      Du reste, il convient de souligner que cette exigence est conforme aux règles générales de la charge de la preuve, en vertu desquelles il appartient à la personne qui se prévaut d’un droit d’apporter la preuve qu’elle est titulaire d’un tel droit. L’enregistrement d’une marque communautaire présupposant que cette dernière présente un caractère distinctif, il appartient donc à celui qui sollicite la protection liée à son enregistrement de faire la preuve, notamment, de son caractère distinctif.

36      Le deuxième moyen doit donc être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’existence d’une pratique antérieure de l’OHMI en matière d’enregistrement et d’un arrêt du Tribunal

 Arguments des parties

37      Par son troisième moyen, la requérante se prévaut de l’enregistrement par l’OHMI de certaines marques communautaires sur la base d’un caractère distinctif minimal des signes représentatifs en cause.

38      La requérante invoque également l’arrêt du Tribunal du 6 mars 2003, DaimlerChrysler/OHMI (Calandre), T‑128/01, Rec. p. II‑701, qui a annulé la décision de la chambre de recours, en considérant que la marque communautaire demandée, à savoir la représentation d’une calandre s’agissant de produits relevant de la classe 12 au sens de l’arrangement de Nice (« Véhicules, appareils de locomotion par terre, par air ou par eau ; leurs pièces »), n’était pas, en l’espèce, compte tenu du fait qu’elle n’était « pas tout à fait courante », totalement dépourvue de caractère distinctif.

39      L’OHMI considère que le troisième moyen n’est pas fondé.

 Appréciation du Tribunal

40      Le Tribunal estime que le présent moyen est également manifestement dénué de tout fondement en droit.

41      En effet, s’agissant, tout d’abord, de la pratique antérieure de l’OHMI en matière d’enregistrement, il y a lieu de rappeler que le caractère distinctif minimal requis aux fins de l’enregistrement doit être apprécié dans chaque cas au regard des circonstances d’espèce. Les décisions que les chambres de recours sont amenées à prendre, en vertu du règlement n° 40/94, concernant l’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, relèvent de l’exercice d’une compétence liée, et non d’un pouvoir discrétionnaire. Dès lors, la légalité des décisions des chambres de recours doit être appréciée uniquement sur la base de ce règlement tel qu’interprété par le juge communautaire, et non sur la base d’une pratique décisionnelle antérieure à celles-ci [voir arrêt de la Cour du 15 septembre 2005, BioID/OHMI, C‑37/03 P, Rec. p. I‑7975, point 47, et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal du 9 octobre 2002, Glaverbel/OHMI (Surface d’une plaque de verre), T‑36/01, Rec. p. II‑3887, point 35 ; du 10 octobre 2006, PTV/OHMI (map & guide), T‑302/03, Rec. p. II‑4039, point 55, et du 14 juin 2007, Europig/OHMI (EUROPIG), T‑207/06, non encore publié au Recueil, point 40].

42      En ce qui concerne, ensuite, l’arrêt DaimlerChrysler (précité , point 38 supra), il convient de relever d’emblée qu’il ne saurait trouver application à la présente affaire.

43      En effet, pour juger que la marque demandée n’était pas dépourvue de tout caractère distinctif, le Tribunal a relevé que la calandre n’« était pas tout à fait courante » (point 49), « pas tout à fait commune » (point 46) et n’était pas une image de calandre contemporaine (point 47). Le Tribunal a également indiqué que la marque demandée était un élément essentiel de différenciation des véhicules (point 42), constituant le dessin d’une calandre inhabituelle qui offre l’image d’une calandre d’autrefois (point 46).

44      Or, il est évident que les critères ayant conduit le Tribunal, dans l’affaire DaimlerChrysler, à retenir que la marque demandée présentait un caractère distinctif minimal ne sont pas remplis dans la présente affaire en ce qui concerne la représentation de la lame de scie de couleur bleue. En effet, cette représentation est, au contraire, tout à fait courante, commune, habituelle, contemporaine et ne constitue en rien un élément de différenciation des scies.

45      Le troisième moyen doit donc également être rejeté.

46      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient, en application de l’article 111 du règlement de procédure, de rejeter le recours comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

47      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par l’OHMI, conformément aux conclusions de ce dernier.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

2)      Kapman AB est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 5 décembre 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. D. Cooke


* Langue de procédure : l’anglais.