Language of document : ECLI:EU:C:2021:672

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

2 septembre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 56 TFUE – Libre prestation des services – Restrictions – Directive 2014/23/UE – Procédures d’attribution des contrats de concession – Article 43 – Modifications substantielles – Jeux de loterie à tirage instantané – Réglementation nationale prévoyant le renouvellement d’une concession sans nouvelle procédure d’appel d’offres – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphe 3 – Intérêt à agir »

Dans les affaires jointes C‑721/19 et C‑722/19,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décisions du 20 juin 2019, parvenues à la Cour le 23 septembre 2019, dans les procédures

Sisal SpA (C‑721/19),

Stanleybet Malta Ltd (C‑722/19),

Magellan Robotech Ltd (C‑722/19)

contre

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli,

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

en présence de :

Lotterie Nazionali Srl,

Lottomatica Holding Srl, anciennement Lottomatica SpA (C‑722/19),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Juhász (rapporteur), C. Lycourgos et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Sisal SpA, par Mes L. Medugno, F. Cintioli, S. Sticchi Damiani et A. Lauteri, avvocati,

–        pour Stanleybet Malta Ltd et Magellan Robotech Ltd, par Mes R. A. Jacchia, A. Terranova, F. Ferraro et D. Agnello, avvocati,

–        pour Lotterie Nazionali Srl, par Mes V. Fortunato, R. Baratta et A. Botto, avvocati,

–        pour Lottomatica Holding Srl, anciennement Lottomatica SpA, par Mes S. Fidanzia et A. Gigliola, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. P. G. Marrone et S. Fiorentino, avvocati dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Armati ainsi que par MM. G. Gattinara et L. Malferrari, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 janvier 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE ainsi que des articles 3 et 43 de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1), lus à la lumière des principes de sécurité juridique, de non-discrimination, de transparence, d’impartialité, de libre concurrence, de proportionnalité, de confiance légitime et de cohérence.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, le premier (affaire C‑721/19), Sisal SpA et, le second (affaire C‑722/19), Stanleybet Malta Ltd ainsi que Magellan Robotech Ltd (ci-après, ensemble, « Stanleybet ») à l’Agenzia delle Dogane e dei Monopoli (agence des douanes et des monopoles, Italie) (ci-après l’« ADM »), au Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances, Italie) ainsi qu’à Lotterie Nazionali Srl et à Lottomatica Holding Srl, anciennement Lottomatica SpA (ci-après « Lottomatica ») (affaire C-722/19), au sujet de la conformité au droit de l’Union de la mesure par laquelle l’ADM a renouvelé, au cours de l’année 2017, la concession attribuée durant l’année 2010 à Lotterie Nazionali pour la gestion des jeux de loterie à tirage instantané.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2014/23

3        L’article 3 de la directive 2014/23, intitulé « Principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent de manière transparente et proportionnée. »

4        L’article 43 de cette directive, intitulé « Modification de contrats en cours », prévoit :

« 1.      Les concessions peuvent être modifiées sans nouvelle procédure d’attribution de concession conformément à la présente directive dans l’un des cas suivants :

a)      lorsque les modifications, quel que soit leur montant, ont été prévues dans les documents de concession initiaux sous la forme de clauses de réexamen, dont des clauses de révision du montant, ou d’options claires, précises et sans équivoque. Ces clauses indiquent le champ d’application et la nature des modifications ou options envisageables ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage. Elles ne permettent pas de modifications ou d’options qui changeraient la nature globale de la concession ;

[...]

e)      lorsque les modifications, quel qu’en soit le montant, ne sont pas substantielles au sens du paragraphe 4.

[...]

4.      La modification d’une concession en cours est considérée comme substantielle au sens du paragraphe 1, point e), lorsqu’elle rend les caractéristiques de la concession substantiellement différentes de celles prévues initialement. Dans tous les cas, sans préjudice des paragraphes 1 et 2, une modification est considérée comme substantielle lorsqu’au moins une des conditions suivantes est remplie :

a)      elle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure initiale d’attribution de concession, auraient permis l’admission de candidats autres que ceux initialement admis ou l’acceptation d’une offre autre que celle initialement retenue ou auraient attiré davantage de participants à la procédure d’attribution de concession ;

b)      elle modifie l’équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire d’une manière qui n’était pas prévue dans la concession initiale ;

c)      elle étend considérablement le champ d’application de la concession ;

d)      lorsqu’un nouveau concessionnaire remplace celui auquel le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a initialement attribué la concession dans d’autres cas que ceux prévus au paragraphe 1, point d).

5.      Une nouvelle procédure d’attribution de concession conforme à la présente directive est requise pour des modifications des dispositions d’une concession en cours autres que celles prévues aux paragraphes 1 et 2. »

5        L’article 46 de ladite directive, intitulé « Modifications apportées à la directive 89/665/CEE », dispose :

« La directive 89/665/CEE [du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33),] est modifiée comme suit :

À l’article 1er, le paragraphe 1 est remplacé par le texte suivant :

“[...]

La présente directive s’applique également aux concessions attribuées par des pouvoirs adjudicateurs, visées par la directive [2014/23], sauf si ces concessions sont exclues en application des articles 10, 11, 12, 17 et 25 de ladite directive.”

[...] »

6        Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la directive 2014/23, intitulé « Transposition », les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive au plus tard le 18 avril 2016.

7        L’article 54 de la directive 2014/23, intitulé « Entrée en vigueur », prévoit :

« La présente directive entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

La présente directive ne s’applique pas à l’attribution de concessions ayant fait l’objet d’une offre ou attribuées avant le 17 avril 2014. »

 La directive 89/665

8        L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, telle que modifiée par la directive 2014/23 (ci-après la « directive 89/665 »), dispose :

« Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. »

 Le droit italien

9        L’article 21, intitulé « Octroi de concessions en matière de jeux », du decreto legge n. 78 – Provvedimenti anticrisi, nonché proroga di termini (décret-loi nº 78 portant mesures anti-crise et prorogation de délais), du 1er juillet 2009 (GURI nº 150, du 1er juillet 2009), converti en loi, avec modifications, par la loi nº 102, du 3 août 2009 (supplément ordinaire à la GURI no 179, du 4 août 2009) (ci-après le « décret-loi nº 78/2009 »), prévoit :

« 1.      Afin de garantir la protection d’intérêts publics supérieurs dans le cadre des activités de collecte [des mises] du jeu, lorsqu’elles sont attribuées à des personnes étrangères à l’administration publique, la gestion de ces activités est toujours attribuée en concession, dans le respect des principes et des règles communautaires et nationales, normalement à une pluralité de personnes sélectionnées à l’issue de procédures ouvertes, concurrentielles et non discriminatoires. Par conséquent, [...] le ministère de l’Économie et des Finances – [Amministrazione Autonoma Monopoli di Stato (administration autonome des monopoles d’État, Italie)] organise les procédures nécessaires afin de procéder en temps utile à l’attribution de la concession, y compris en ce qui concerne la collecte à distance [des mises] de ces loteries, aux exploitants de jeux, nationaux et communautaires, les plus qualifiés, dont le nombre ne doit toutefois pas dépasser quatre, qui satisfont aux critères de fiabilité requis en termes de moralité, de technique et sur le plan économique.

2.      La concession visée au paragraphe 1 prévoit un droit de rémunération, incluant la rémunération de 8 pour cent due aux points de vente pour les loteries à tirage instantané, égal à 11,90 pour cent d’un montant comprenant la somme du total des primes collectées et une moyenne des primes payées, pour chaque concessionnaire adjudicataire, à hauteur maximale de 75 pour cent.

3.      La sélection au titre de la mise en concurrence aux fins de l’attribution de la concession est fondée sur le critère de l’offre économiquement la plus avantageuse, dans le cadre de laquelle il est accordé une priorité aux critères suivants : a) augmentation du montant des offres proposées par rapport à une base prédéfinie, qui garantisse, en tout état de cause, des recettes globalement non inférieures à 500 millions d’euros pour l’année 2009 et à 300 millions d’euros pour l’année 2010, quel que soit le nombre final des adjudicataires ; b) offre de normes de qualité garantissant la sécurité des consommateurs la plus complète possible en termes d’inaltérabilité et de non-imitation des billets, ainsi que de sécurité du système de paiement des primes ; c) distribution capillaire, au moyen d’un réseau étendu sur l’ensemble du territoire national, exclusif pour chaque concessionnaire, composé d’au moins 10 000 points de vente, devant être opérationnels au plus tard le 31 décembre 2010, sans préjudice de l’interdiction, sous peine de nullité, des clauses contractuelles qui restreignent la liberté contractuelle des fournisseurs de biens ou de services.

4.      Les concessions visées au paragraphe 1, éventuellement renouvelables une seule fois, ont une durée maximale de neuf ans, subdivisées en deux périodes de cinq et quatre ans respectivement. La poursuite de la concession pendant la seconde période est subordonnée à l’évaluation positive de la gestion par l’administration concédante, laquelle doit être formulée au cours du premier semestre de la cinquième année de la concession. »

10      L’article 20, paragraphe 1, du decreto legge n. 148 – Disposizioni urgenti in materia finanziaria e per esigenze indifferibili (décret-loi nº 148 portant dispositions urgentes en matière de finances et de besoins impérieux), du 16 octobre 2017 (GURI nº 242, du 16 octobre 2017), converti en loi, avec modifications, par la loi nº 172, du 4 décembre 2017 (GURI nº 284, du 5 décembre 2017) (ci-après le « décret-loi nº 148/2017 »), prévoit :

« En application de l’article 21, paragraphes 3 et 4, du [décret-loi nº 78/2009], l’[ADM] autorise la poursuite de la relation de concession existante, relative à la collecte, y compris à distance, des [mises des] loteries nationales à tirage instantané, jusqu’au terme ultime prévu à l’article 4, paragraphe 1, de l’acte de concession, de manière à garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes, à concurrence de 50 millions d’euros pour l’année 2017 et de 750 millions d’euros pour l’année 2018. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

11      Par des avis publiés au Journal officiel de l’Union européenne du 15 août 2009 et du 2 avril 2010, l’administration autonome des monopoles d’État, à laquelle l’ADM a succédé en droit, a lancé une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution des concessions d’exploitation, au niveau national, des jeux de loterie à tirage instantané, à savoir les jeux dits « de grattage ».

12      Le 5 août 2010, à l’issue de cette procédure d’appel d’offres, une seule concession a été attribuée, pour la période allant du 1er octobre 2010 et au 30 septembre 2019, à savoir à Lottomatica, le seul opérateur économique ayant soumis une offre, à laquelle Lotterie Nazionali a succédé en droit.

13      Le choix du concessionnaire a été effectué en application du décret-loi nº 78/2009, selon lequel la gestion de la collecte des mises de jeux devait faire l’objet d’une concession, normalement attribuée à une pluralité de personnes sélectionnées à l’issue de procédures ouvertes, concurrentielles et non discriminatoires, en vue de garantir des recettes globalement non inférieures à 500 millions d’euros pour l’année 2009 et à 300 millions d’euros pour l’année 2010, quel que soit le nombre final d’adjudicataires. En raison de l’allongement des délais de conclusion de la concession, le calendrier du versement de la redevance a été modifié, de sorte que la première tranche, de 520 millions d’euros, devait être versée au plus tard le 28 mai 2010 et la seconde, de 280 millions d’euros, devait être versée au plus tard le 30 novembre 2010.

14      Le contrat de concession conclu entre l’administration autonome des monopoles d’État et le concessionnaire (ci-après le « contrat de concession en cause ») disposait, à son article 4, paragraphe 1, que « [l]a concession, renouvelable une seule fois, a une durée de neuf ans, subdivisée en deux périodes de cinq et quatre ans respectivement, qui court à compter du 1er octobre 2010. La poursuite de la concession pendant la seconde période est subordonnée à l’évaluation positive de l’administration autonome des monopoles d’État, laquelle doit être formulée au cours du premier semestre de la cinquième année de la concession ».

15      Au terme des cinq premières années d’exploitation de la concession, la poursuite de celle-ci a été autorisée pour la seconde demi-période, conformément à cette disposition contractuelle.

16      Le 26 juillet 2017, Lotterie Nazionali a introduit auprès de l’ADM, qui a succédé en droit à l’administration autonome des monopoles d’État, une demande de renouvellement de la concession qui lui avait été attribuée, sur la base de la clause de renouvellement également prévue par ladite disposition contractuelle. De leur côté, Sisal et Stanleybet ont manifesté leur intérêt à ce qu’une nouvelle procédure d’attribution de concession soit organisée.

17      Par communication du 19 septembre 2017, l’ADM a considéré que le renouvellement du contrat de concession en cause était conforme à l’intérêt public.

18      Dans le même sens, le décret-loi nº 148/2017, entré en vigueur le 16 octobre 2017, prévoit, à son article 20, paragraphe 1, que l’ADM, en application de l’article 21, paragraphes 3 et 4, du décret-loi nº 78/2009, doit autoriser la poursuite du contrat de concession en cause, jusqu’à son terme ultime, prévu à l’article 4, paragraphe 1, de celui-ci, de manière à garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes.

19      Par communication du 1er décembre 2017, l’ADM a accordé à Lotterie Nazionali le renouvellement de la concession jusqu’au 30 septembre 2028, à condition que, conformément à l’article 20, paragraphe 1, du décret-loi nº 148/2017, le concessionnaire procède au paiement anticipé de la redevance de 800 millions d’euros en faveur du budget de l’État, de sorte qu’il verse un montant de 50 millions d’euros au plus tard le 15 décembre 2017, de 300 millions d’euros au plus tard le 30 avril 2018 et de 450 millions d’euros au plus tard le 31 octobre 2018, au lieu de deux tranches de 500 millions et de 300 millions d’euros, avant la survenance du terme normal de la concession, le 30 septembre 2019.

20      Sisal et Stanleybet ont attaqué cette décision devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie). Selon elles, l’article 20, paragraphe 1, du décret-loi nº 148/2017 est contraire au droit de l’Union, dans la mesure où il introduit un système de monopole en faveur d’un opérateur unique, en prévoyant la poursuite, au profit de Lotterie Nazionali, du contrat de concession en cause, alors que le régime prévu par le décret-loi nº 78/2009 prévoyait la possibilité pour l’administration, à l’expiration de la période de concession initiale, d’opter soit pour le renouvellement, soit pour l’ouverture d’une nouvelle procédure d’appel d’offres. En outre, il ne s’agirait pas d’une simple poursuite du contrat de concession en cause, mais d’une novation de la relation contractuelle, qui plus est deux ans avant le terme normal du contrat de concession initial, dans la mesure où des modalités de paiement de la redevance autres que celles initialement prévues dans ce contrat ont été convenues entre les parties. Enfin, la nécessité de garantir de nouvelles recettes significatives pour le budget de l’État ne constituerait pas une raison impérieuse d’intérêt général qui justifierait un régime différent uniquement pour les jeux de loterie instantanée.

21      À la suite du rejet de leurs recours par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium), Sisal et Stanleybet ont fait appel de cette décision devant la juridiction de renvoi, le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie). À l’instar des requérantes au principal, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) doute de la conformité au droit de l’Union du nouveau régime introduit par l’article 20, paragraphe 1, du décret-loi nº 148/2017. En outre, selon la juridiction de renvoi, ce régime est susceptible de violer le principe de confiance légitime, dans la mesure où, même si Sisal et Stanleybet n’ont pas participé à l’appel d’offres initial, au cours de l’année 2010, elles auraient pu participer à une nouvelle procédure d’appel d’offres à l’expiration de la période de concession initiale en 2019, le renouvellement de ladite concession étant, jusqu’à l’entrée en vigueur de ce décret-loi, uniquement une faculté laissée à la discrétion de l’administration. Or, dans le cadre de la nouvelle réglementation, l’administration n’avait plus la possibilité de choisir entre l’ouverture d’une nouvelle procédure et le renouvellement automatique, ce dernier étant le choix imposé par l’article 20, paragraphe 1, du décret-loi nº 148/2017.

22      Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, identiques dans les deux affaires jointes :

« 1)      Le droit de l’Union et, en particulier, le droit d’établissement et de libre prestation des services (articles 49 et suivants et articles 56 et suivants TFUE) ainsi que les principes [du droit de l’Union] de sécurité juridique, de non-discrimination, de transparence et d’impartialité, de libre concurrence, de proportionnalité, de confiance légitime et de cohérence, et aussi, s’ils sont jugés applicables, les articles 3 et 43 de la directive [2014/23] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation, du type de celle figurant à l’article 20, paragraphe 1, du [décret-loi no 148/2017] et dans les actes ultérieurs pris pour son application, qui dispose que, “[...] [e]n application de l’article 21, paragraphes 3 et 4, du [décret-loi no 78/2009], l’[ADM] autorise la poursuite de la relation de concession existante, relative à la collecte, y compris à distance, des [mises des] loteries nationales à tirage instantané, jusqu’au terme ultime prévu à l’article 4, paragraphe 1, de l’acte de concession, de manière à garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes, à concurrence de 50 millions d’euros pour l’année 2017 et de 750 millions d’euros pour l’année 2018”, dans le cas où :

–      l’article 21, paragraphe 1, du [décret-loi no 78/2009] a prévu que les concessions en cause seraient normalement octroyées à une pluralité de personnes choisies à l’issue de procédures ouvertes, concurrentielles et non discriminatoires ;

–      l’article 21, paragraphe 4, du décret-loi susmentionné a prévu que les concessions visées au paragraphe 1 pouvaient éventuellement être renouvelées, une seule fois ;

–      les requérantes [au principal] n’ont pas participé à la procédure d’appel d’offres lancée au cours de l’année 2010 ;

–      la relation de concession spécifique existante a été établie, dès l’origine, avec un concessionnaire unique, à l’issue d’une procédure d’appel d’offres public dans le cadre de laquelle une seule offre a été présentée ;

–      la poursuite de la relation de concession existante impliquerait – concrètement – que cette relation serait poursuivie exclusivement avec ce concessionnaire unique, au lieu d’être renouvelée avec plusieurs opérateurs, sans nouvel appel d’offres ?

2)      Le droit de l’Union et, en particulier, le droit d’établissement et de libre prestation des services (articles 49 et suivants et articles 56 et suivants TFUE) ainsi que les principes [du droit de l’Union] de sécurité juridique, de non-discrimination, de transparence et d’impartialité, de libre concurrence, de proportionnalité, de confiance légitime et de cohérence, et aussi, s’ils sont jugés applicables, les articles 3 et 43 de la directive [2014/23] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation, telle que celle figurant à l’article 20, paragraphe 1, du [décret-loi no 148/2017] qui dispose, en ayant pour objectif déclaré d’appliquer l’article 21, paragraphes 3 et 4, du [décret-loi no 78/2009] que “l’[ADM] autorise la poursuite de la relation de concession existante, relative à la collecte, y compris à distance, des [mises des] loteries nationales à tirage instantané, jusqu’au terme ultime prévu à l’article 4, paragraphe 1, de l’acte de concession, de manière à garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes, à concurrence de 50 millions d’euros pour l’année 2017 et de 750 millions d’euros pour l’année 2018”, sachant qu’elle prévoit cela :

–      par la poursuite dans le temps de l’unique relation de concession existante, en lieu et place des éventuels renouvellements des concessions multiples visées à l’article 21, paragraphe 4, du [décret-loi no 78/2009] et sans lancer un nouvel appel d’offres ;

–      à une date antérieure au terme de la concession (le décret-loi no 148/2017 est entré en vigueur le 16 octobre 2017, à savoir le jour de sa publication à la Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana, alors que la concession devait expirer le 30 septembre 2019) ;

–      de manière à garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes, à concurrence de 50 millions d’euros pour l’année 2017 et de 750 millions d’euros pour l’année 2018, en modifiant ainsi certains aspects des modalités et du délai de paiement de la contrepartie de la concession ainsi que, potentiellement, le montant total à payer [par le concessionnaire], en particulier du fait de la modification des délais de paiement qui étaient avancés par rapport à ceux qui étaient prévus dans le cadre de la concession initiale, eu égard – selon les requérantes [au principal] – au fait objectif et notoire que le temps a une valeur financière ?

3)      Le droit de l’Union et, en particulier, le droit d’établissement et de libre prestation des services (articles 49 et suivants et articles 56 et suivants TFUE) ainsi que les principes [du droit de l’Union] de sécurité juridique, de non-discrimination, de transparence et d’impartialité, de libre concurrence, de proportionnalité, de confiance légitime et de cohérence, et aussi, s’ils sont jugés applicables, les articles 3 et 43 de la directive [2014/23] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation, telle que celle figurant dans les actes pris pour l’application du [décret-loi no 148/2017] et, en particulier, dans la communication no 0133677 de l’[ADM], du 1er décembre 2017, qui, en ayant pour objectif déclaré d’exécuter les dispositions de l’article 20, paragraphe 1, [de ce] décret-loi et en se fondant sur les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, [du contrat de concession en cause], qui prévoit que celle‑ci peut être renouvelée une seule fois, modifie le terme ultime de la relation de concession en le fixant au 30 septembre 2028, sans porter atteinte, en tout état de cause, aux dispositions de ce même article 4 qui sont relatives à la subdivision de la durée de la concession en deux périodes de cinq et de quatre années respectivement (par conséquent, à l’expiration de la première période de cinq ans commençant à courir le 1er octobre 2019, la poursuite pendant les quatre années suivantes, jusqu’au terme du 30 septembre 2028, est subordonnée à l’évaluation positive de la gestion par l’[ADM], laquelle doit être formulée au plus tard le 30 mars 2024) et dispose que la société devra verser un montant de 50 millions d’euros d’ici au 15 décembre 2017, un montant de 300 millions d’euros d’ici au 30 avril 2018 et un montant de 450 millions d’euros d’ici au 31 octobre 2018 ;

–      sachant qu’elle prévoit cela avant la survenance du terme initialement prévu pour la concession elle-même (la communication no 0133677 de l’[ADM] a été adoptée le 1er décembre 2017, tandis que le contrat de concession devait expirer le 30 septembre 2019) ;

–      ce qui garantit le paiement anticipé de 800 millions d’euros à des dates antérieures (50 millions d’euros [pour le] 15 décembre 2017, 300 millions d’euros [pour le] 30 avril 2018 et 450 millions d’euros [pour le] 31 octobre 2018) à ce terme (le 30 septembre 2019) ;

–      ce qui entraîne la modification potentielle du montant total à payer [par le concessionnaire], eu égard – selon les requérantes [au principal] – au fait objectif et notoire que le temps a une valeur financière ?

4)      Le droit de l’Union et, en particulier, le droit d’établissement et de libre prestation des services (articles 49 et suivants et articles 56 et suivants TFUE) ainsi que les principes [du droit de l’Union] de sécurité juridique, de non-discrimination, de transparence et d’impartialité, de libre concurrence, de proportionnalité, de confiance légitime et de cohérence, et aussi, s’ils sont jugés applicables, les articles 3 et 43 de la directive [2014/23] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent également à une telle réglementation dans l’hypothèse où les opérateurs du secteur qui ont actuellement un intérêt à pénétrer sur le marché n’ont pas participé à la procédure d’appel d’offres initialement lancée pour attribuer la concession arrivée à terme et prorogée dans le chef du concessionnaire sortant aux nouvelles conditions contractuelles décrites, ou bien l’éventuelle restriction à l’accès au marché suppose-t-elle qu’ils aient effectivement participé à la procédure d’appel d’offres initiale ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Considérations liminaires

23      Les questions préjudicielles s’inscrivent dans le contexte du renouvellement d’une concession pour la gestion des jeux de loterie à tirage instantané en Italie, à savoir les jeux dits « de grattage », qui a été octroyée au cours de l’année 2010 à Lotterie Nazionali et dont le renouvellement a eu lieu au cours de l’année 2017. Outre les articles 49 et 56 TFUE ainsi que certains principes du droit de l’Union, la juridiction de renvoi vise dans ses questions les articles 3 et 43 de la directive 2014/23. Cette directive étant entrée en vigueur le 17 avril 2014, soit postérieurement à la décision initiale d’attribution de la concession mais avant son renouvellement, il convient, à titre liminaire, de déterminer si ladite directive est applicable ratione temporis aux litiges au principal.

24      À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, établie en matière de marchés publics et applicable par analogie en matière de concession de services, la législation de l’Union applicable à un contrat de concession est, en principe, celle en vigueur au moment où l’entité adjudicatrice choisit le type de procédure qu’elle va suivre et tranche définitivement la question de savoir s’il y a ou non obligation de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication d’un marché public. Sont, en revanche, inapplicables les dispositions d’une directive dont le délai de transposition a expiré après ce moment (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑375/17, EU:C:2018:1026, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

25      En l’occurrence, l’appel d’offres a été publié au Journal officiel de l’Union européenne les 15 août 2009 et 2 avril 2010, soit avant l’expiration, le 18 avril 2016, du délai de transposition de la directive 2014/23.

26      En outre, la concession a été attribuée, à la suite de cet appel d’offres, avant le 17 avril 2014, de telle sorte que cette attribution initiale échappe, en tout état de cause, au champ d’application de la directive 2014/23, conformément à son article 54, deuxième alinéa.

27      Si un contrat de concession contient une clause de renouvellement faisant partie intégrante de ce contrat initial, cette clause est également régie par la législation en matière de marchés publics applicable à cette concession.

28      Toutefois, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, en cas de modification substantielle d’un contrat de concession, la législation de l’Union au regard de laquelle cette modification doit être appréciée est celle en vigueur à la date de cette modification. La Cour a précisé dans ce contexte que le fait que la conclusion du contrat de concession initial est antérieure à l’adoption des règles de l’Union en la matière n’emporte pas de conséquences à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2019, Commission/Italie, C‑526/17, EU:C:2019:756, point 60 et jurisprudence citée).

29      En l’occurrence, les litiges au principal visent la décision par laquelle il a été choisi, conformément à l’article 20, paragraphe 1, du décret-loi nº 148/2017, de renouveler la concession existante et de la proroger de neuf ans, une telle possibilité ayant été prévue à l’article 21, paragraphe 4, du décret-loi n° 78/2009. À cet égard, les requérantes au principal allèguent que ce renouvellement emporte des modifications substantielles par rapport au contrat de concession en cause.

30      Il s’ensuit que, dans les affaires au principal, la question de savoir si de telles modifications ont été apportées à ce contrat de concession à l’occasion de son renouvellement doit être appréciée au regard des dispositions de la directive 2014/23, ce renouvellement étant postérieur à son entrée en vigueur.

31      À cet égard, il convient de faire observer qu’il ressort des termes de l’article 43 de cette directive que celle-ci a procédé à une harmonisation exhaustive des hypothèses dans lesquelles, d’une part, les concessions peuvent être modifiées sans pour autant que l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution de concession conforme aux règles établies par ladite directive soit nécessaire à cet effet et celles dans lesquelles, d’autre part, une telle procédure d’attribution est requise en cas de modification des conditions de la concession.

32      Or, toute mesure nationale dans un domaine qui a fait l’objet d’une harmonisation complète à l’échelle de l’Union doit être appréciée au regard non pas des dispositions du droit primaire, mais de celles de cette mesure d’harmonisation (arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa e.a., C‑458/14 et C‑67/15, EU:C:2016:558, point 59 ainsi que jurisprudence citée).

33      Il s’ensuit que la question de savoir si la réglementation nationale en cause au principal a apporté des modifications exigeant qu’une nouvelle procédure d’attribution soit lancée doit être appréciée uniquement au regard des dispositions de la directive 2014/23.

 Sur la première question

34      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, et, en particulier, l’article 43 de la directive 2014/23, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale imposant le renouvellement d’un contrat de concession sans nouvelle procédure d’attribution, dans des conditions où celui-ci a été attribué à un seul concessionnaire, tandis que le droit national applicable prévoyait qu’une telle concession devait en principe être attribuée à plusieurs, au maximum quatre, opérateurs économiques.

35      La Cour a itérativement jugé qu’une réglementation d’un État membre qui subordonne l’exercice d’une activité économique, telle la gestion de certains jeux de hasard, à l’obtention d’une concession constitue une entrave aux libertés garanties aux articles 49 et 56 TFUE, et ce que le pouvoir adjudicateur ait recours à un modèle à concessionnaire unique ou à un modèle à concessionnaires multiples (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑375/17, EU:C:2018:1026, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

36      Ainsi que la Cour l’a également rappelé dans sa jurisprudence relative aux jeux de hasard, la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu peuvent être qualifiées de raisons impérieuses d’intérêt général de nature à justifier des restrictions aux libertés fondamentales découlant des articles 49 et 56 TFUE (arrêt du 19 décembre 2018, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑375/17, EU:C:2018:1026, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

37      Cependant, il convient de relever que, par sa première question, la juridiction de renvoi ne vise pas les raisons qui ont amené l’État membre concerné à introduire et à maintenir de telles restrictions dans ce domaine.

38      En l’occurrence, les requérantes au principal visent non pas à contester le modèle de concession choisi pour la gestion des loteries à tirage instantané en tant que tel, mais allèguent que, en raison des modalités du renouvellement de cette concession et des conditions prévues à cet effet, l’article 20, paragraphe 1, du décret-loi nº 148/2017 a abandonné le modèle à concessionnaires multiples prévu à l’article 21, paragraphe 1, du décret-loi no 78/2009, et a opéré un retour à un modèle à concessionnaire unique, ce qui constituerait une modification substantielle du contrat de concession en cause.

39      À cet égard, il y a lieu de faire observer que, conformément au libellé de l’article 43, paragraphe 1, sous a), de la directive 2014/23, le législateur de l’Union a prévu que les concessions peuvent être modifiées sans nouvelle procédure d’attribution de concession lorsque les modifications, quel que soit leur montant, ont été prévues dans les documents de concession initiaux sous la forme de clauses de réexamen, dont des clauses de révision du montant, ou d’options claires, précises et sans équivoque. Ces clauses indiquent le champ d’application et la nature des modifications ou des options envisageables ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage. Elles ne permettent pas de modifications ou d’options qui changeraient la nature globale de la concession.

40      Or, il est constant que le contrat de concession en cause contenait une clause qui prévoyait une option permettant de renouveler pour une durée de neuf ans les concessions initialement attribuées.

41      En outre, la circonstance, dans les affaires au principal, qu’un seul concessionnaire a, de nouveau, été désigné par le pouvoir adjudicateur pour une nouvelle période de neuf ans ne résulte pas de la modification de la réglementation nationale relative à la méthode d’attribution, le décret-loi no 78/2009 prévoyant, à son article 21, paragraphe 1, que la concession en cause au principal devait en principe être confiée à « une pluralité de personnes sélectionnées à l’issue de procédures ouvertes, concurrentielles et non discriminatoires ». Cette désignation est la conséquence de la mise en œuvre de l’option relative au renouvellement de la concession, prévue par le décret-loi no 78/2009 ainsi que par le contrat de concession en cause, et dont l’éventualité ne pouvait être ignorée, au regard du résultat de la procédure d’appel d’offres initiale à laquelle, comme l’a indiqué la juridiction de renvoi, seule Lottomatica, à laquelle Lotterie Nazionali a succédé en droit, a participé, à l’exclusion des requérantes au principal ou d’autres opérateurs économiques.

42      Toutefois, un tel renouvellement sans nouvelle procédure d’attribution n’est possible, conformément à l’article 43, paragraphe 1, sous a), de la directive 2014/23, que pour autant que les conditions concernant la mise en œuvre de la clause prévue à cet effet aient été respectées.

43      Il convient de relever, à cet égard, à l’instar de M. l’avocat général aux points 52 et 53 de ses conclusions, que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, même si le renouvellement en cause au principal a été formellement imposé au moyen du décret-loi nº 148/2017, un tel renouvellement correspondait, notamment eu égard à sa communication du 19 septembre 2017, à la volonté exprimée antérieurement par l’ADM.

44      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que le droit de l’Union, et, en particulier, l’article 43, paragraphe 1, sous a), de la directive 2014/23, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale imposant le renouvellement d’un contrat de concession sans nouvelle procédure d’attribution, dans des conditions où celui-ci a été attribué à un seul concessionnaire, tandis que le droit national applicable prévoyait qu’une telle concession devait en principe être attribuée à plusieurs, au maximum quatre, opérateurs économiques, lorsque cette réglementation nationale constitue la mise en œuvre d’une clause contenue dans le contrat de concession initial prévoyant l’option d’un tel renouvellement.

 Sur les deuxième et troisième questions

45      Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, et, en particulier, l’article 43 de la directive 2014/23, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit, d’une part, que le renouvellement d’une concession sera décidé deux ans avant son terme et, d’autre part, une modification des modalités de paiement de la contrepartie financière due par le concessionnaire, telles qu’elles figuraient dans le contrat de concession initial, de manière à garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes.

46      D’emblée, il convient de souligner, d’une part, que le fait que, en l’occurrence, le renouvellement a été accordé deux ans avant la date d’échéance du contrat de concession en cause ne constitue pas, en soi, une modification des dispositions de ce contrat, alors que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il ressort du dossier soumis à la Cour que le droit régissant ledit contrat n’imposait pas une date à laquelle la décision portant sur un renouvellement éventuel pouvait intervenir.

47      D’autre part, les raisons ayant justifié ce renouvellement, en particulier le but de garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes, ne sont pas déterminantes aux fins d’apprécier si les conditions dudit renouvellement comportent des modifications substantielles.

48      En ce qui concerne la modification des modalités de paiement de la contrepartie financière due par le concessionnaire, telles qu’elles étaient prévues dans le contrat de concession en cause, il ne saurait être déduit de l’article 43, paragraphe 1, sous a), de la directive 2014/23 que, dans le cadre de la mise en œuvre d’une clause ou d’une option relevant de cette disposition, toute modification qui n’est pas expressément prévue par cette clause ou cette option aurait pour effet que, en vertu du paragraphe 5 de ladite disposition, une nouvelle procédure d’attribution de concession soit requise.

49      En effet, dans le cadre des litiges au principal, conformément au paragraphe 1, sous e), de cet article 43, de telles modifications peuvent être apportées à une concession sans qu’il soit nécessaire à cet effet de procéder à une nouvelle procédure d’attribution, pour autant que ces modifications ne soient pas substantielles, au sens du paragraphe 4 dudit article 43.

50      Cette dernière disposition prévoit une règle générale selon laquelle la modification d’un contrat de concession en cours est considérée comme étant substantielle lorsqu’elle rend les caractéristiques de la concession substantiellement différentes de celles prévues initialement. Cette disposition précise, par ailleurs, que, « dans tous les cas », une modification est considérée comme substantielle, notamment, lorsqu’elle introduit des conditions qui, si elles avaient prévalu dans le cadre de la procédure initiale d’attribution de concession, auraient permis l’admission de candidats autres que ceux initialement admis ou l’acceptation d’une offre autre que celle initialement retenue ou auraient attiré davantage de participants à la procédure d’attribution de la concession, ou lorsqu’elle modifie l’équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire d’une manière qui n’était pas prévue dans le contrat de concession initial.

51      À cet égard, il convient de relever que, en l’occurrence, le montant à payer par le concessionnaire en contrepartie de l’octroi de la concession de services en cause au principal est resté inchangé, seules les modalités d’exécution du paiement de ce montant, lesquelles font l’objet des interrogations de la juridiction de renvoi, ayant été modifiées.

52      En effet, il ressort du dossier soumis à la Cour que, s’agissant du contrat de concession en cause, le montant convenu était dû, pour partie, l’année où la concession est entrée en vigueur et, pour partie, l’année suivante. En revanche, lors du renouvellement, la première partie du montant dû serait payable deux ans avant l’entrée en vigueur de la concession renouvelée, tandis que le montant restant le serait pendant l’année précédant cette date.

53      Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît qu’une telle modification ne peut pas être considérée comme substantielle, au sens de l’article 43, paragraphe 4, de la directive 2014/23. À cet égard, il importe de relever que, dans la mesure où ce paiement anticipé pourrait être susceptible d’accroître le montant à payer, une telle modification ne semble pas altérer l’équilibre économique de la concession, en faveur du concessionnaire, au sens du point b) de cet article 43, paragraphe 4.

54      Quant à la question de savoir si, en l’occurrence, l’application de ces modalités de paiement ainsi modifiées au contrat de concession en cause aurait permis l’admission d’autres candidats que ceux qui ont effectivement participé ou la participation davantage de candidats, au sens de l’article 43, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/23, il convient de constater qu’aucune des requérantes au principal n’a fait valoir un tel point de vue et que le dossier soumis à la Cour ne contient aucun élément susceptible de soutenir une telle affirmation.

55      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que le droit de l’Union, et, en particulier, l’article 43, paragraphe 1, sous e), de la directive 2014/23, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit, d’une part, que le renouvellement d’une concession sera décidé deux ans avant son terme et, d’autre part, une modification des modalités de paiement de la contrepartie financière due par le concessionnaire, telles qu’elles figuraient dans le contrat de concession initial de manière à garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes, lorsque cette modification n’est pas substantielle, au sens de l’article 43, paragraphe 4, de cette directive.

 Sur la quatrième question

56      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, même si, sur le plan formel, les questions posées ne se réfèrent à l’interprétation d’aucune disposition spécifique de la directive 89/665, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire au principal. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal (voir, par analogie, arrêt du 6 mai 2021, Analisi G. Caracciolo, C‑142/20, EU:C:2021:368, point 26 et jurisprudence citée).

57      Dans ce contexte, dans la mesure où l’accès aux procédures de recours en matière de passation des marchés publics est régi par la directive 89/665, également applicable aux concessions attribuées conformément à la directive 2014/23, il y a lieu de reformuler la quatrième question en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 43, paragraphe 4, de la directive 2014/23 et l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 doivent être interprétés en ce sens qu’un opérateur économique peut introduire un recours contre une décision de renouvellement d’une concession au motif que les conditions d’exécution du contrat de concession initial ont été modifiées à cette occasion, alors qu’il n’a pas participé à la procédure d’attribution initiale de cette concession.

58      En effet, aux termes de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités qu’ils déterminent, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

59      Il en résulte que le droit d’un opérateur économique d’introduire un recours requiert qu’il apporte la preuve d’un intérêt à se voir attribuer la concession en cause dans le cadre d’une nouvelle procédure d’attribution de celle-ci.

60      Conformément à la jurisprudence de la Cour en matière de marchés publics, la participation à une procédure de passation de marché peut, en principe, valablement constituer une condition dont la satisfaction est requise pour établir que la personne concernée justifie d’un intérêt à obtenir le marché en cause ou risque de subir un préjudice du fait du caractère prétendument illégal de la décision d’attribution dudit marché. À défaut d’avoir présenté une offre, une telle personne peut difficilement démontrer qu’elle dispose d’un intérêt à s’opposer à cette décision ou qu’elle est lésée ou risque de l’être du fait de cette attribution (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2004, Grossmann Air Service, C‑230/02, EU:C:2004:93, point 27, ainsi que du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, point 46).

61      Cette jurisprudence n’est toutefois pas applicable dans les affaires au principal dans lesquelles la question n’est pas de savoir si les opérateurs économiques qui n’ont pas participé à la procédure initiale d’attribution de la concession sont en droit de contester le résultat de cette procédure. Ainsi que l’a exposé la juridiction de renvoi, il s’agit, dans ces affaires, de l’intérêt qu’auraient de tels opérateurs à ce que l’entité adjudicatrice veille à appliquer la clause de renouvellement de cette concession dans le respect de la législation pertinente.

62      À cet égard, le fait que l’opérateur économique a ou non participé à la procédure initiale d’attribution de la concession importe peu, pour autant que, au moment où le renouvellement de la concession devrait intervenir, il peut justifier d’un intérêt à se voir attribuer une telle concession.

63      Dans ce contexte, cet opérateur économique n’est pas tenu de prouver qu’il participerait effectivement à cette nouvelle procédure d’attribution. L’existence d’une telle possibilité doit être considérée comme étant suffisante à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Lombardi, C‑333/18, EU:C:2019:675, point 29).

64      Ainsi, l’opérateur économique remplissant de telles conditions est, le cas échéant, fondé à contester la décision du pouvoir adjudicateur de procéder au renouvellement de la concession au profit du concessionnaire initial au motif que les conditions d’exécution du contrat de concession initial ont été modifiées à cette occasion. À cet effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 94 de ses conclusions, afin d’établir que ces modifications revêtent un caractère substantiel, cet opérateur économique doit être en mesure d’introduire un recours visant à ce qu’il soit procédé à cette vérification.

65      Il convient, partant, de répondre à la quatrième question que l’article 43, paragraphe 4, de la directive 2014/23 et l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 doivent être interprétés en ce sens qu’un opérateur économique peut introduire un recours contre une décision de renouvellement d’une concession au motif que les conditions d’exécution du contrat de concession initial ont été substantiellement modifiées, alors qu’il n’a pas participé à la procédure d’attribution initiale de cette concession, pour autant que, au moment où le renouvellement de la concession devrait intervenir, il justifie d’un intérêt à se voir attribuer une telle concession.

 Sur les dépens

66      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1)      Le droit de l’Union, et, en particulier, l’article 43, paragraphe 1, sous a), de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale imposant le renouvellement d’un contrat de concession sans nouvelle procédure d’attribution, dans des conditions où celui-ci a été attribué à un seul concessionnaire, tandis que le droit national applicable prévoyait qu’une telle concession devait en principe être attribuée à plusieurs, au maximum quatre, opérateurs économiques, lorsque cette réglementation nationale constitue la mise en œuvre d’une clause contenue dans le contrat de concession initial prévoyant l’option d’un tel renouvellement.

2)      Le droit de l’Union, et, en particulier, l’article 43, paragraphe 1, sous e), de la directive 2014/23, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit, d’une part, que le renouvellement d’une concession sera décidé deux ans avant son terme et, d’autre part, une modification des modalités de paiement de la contrepartie financière due par le concessionnaire, telles qu’elles figuraient dans le contrat de concession initial de manière à garantir à l’État des recettes budgétaires nouvelles et plus importantes, lorsque cette modification n’est pas substantielle, au sens de l’article 43, paragraphe 4, de cette directive.

3)      L’article 43, paragraphe 4, de la directive 2014/23 et l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2014/23, doivent être interprétés en ce sens qu’un opérateur économique peut introduire un recours contre une décision de renouvellement d’une concession au motif que les conditions d’exécution du contrat de concession initial ont été substantiellement modifiées, alors qu’il n’a pas participé à la procédure d’attribution initiale de cette concession, pour autant que, au moment où le renouvellement de la concession devrait intervenir, il justifie d’un intérêt à se voir attribuer une telle concession.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.