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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

2 juillet 2024 (*)

« Référé – Services numériques – Règlement (UE) 2022/2065 – Très grandes plateformes en ligne – Demande de sursis à exécution – Fumus boni juris – Urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑138/24 R,

Aylo Freesites LTD, établie à Nicosie (Chypre), représentée par Mes C. Thomas, A. Bray, A. Ghalamkarizadeh et J. Beckedorf, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. O. Gariazzo et P.‑J. Loewenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, Aylo Freesites LTD, sollicite le sursis à l’exécution de la décision C(2023) 8842 final de la Commission, du 20 décembre 2023, désignant Pornhub comme étant une très grande plateforme en ligne conformément à l’article 33, paragraphe 4, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil (ci‑après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        La requérante exploite la plateforme en ligne de contenus pour adultes « Pornhub », qui permet aux utilisateurs de regarder des vidéos pour adultes téléversées et partagées par des utilisateurs vérifiés.

3        L’article 33, paragraphe 4, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JO 2022, L 277, p. 1) prévoit que la Commission européenne désigne, par décision, comme étant une très grande plateforme en ligne ou un très grand moteur de recherche en ligne, la plateforme en ligne ou le moteur de recherche en ligne dont le nombre mensuel moyen de destinataires actifs du service dans l’Union européenne est égal ou supérieur à 45 millions.

4        L’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 prévoit que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne ou de très grands moteurs de recherche en ligne présentant de la publicité sur leurs interfaces en ligne tiennent et mettent à la disposition du public, dans une section spécifique de leur interface en ligne, à l’aide d’un outil de recherche fiable permettant d’effectuer des recherches multicritères et par l’intermédiaire d’interfaces de programme d’application, un registre contenant les informations visées au paragraphe 2 de cet article, pour toute la période pendant laquelle ils présentent une publicité et jusqu’à un an après la dernière présentation de la publicité sur leurs interfaces en ligne.

5        Le 20 décembre 2023, par la décision attaquée, la Commission a désigné la plateforme en ligne « Pornhub » comme étant une très grande plateforme en ligne, conformément à l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er mars 2024, la requérante a introduit un recours tendant notamment à l’annulation de la décision attaquée.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée dans la mesure où elle a pour effet de l’obliger à mettre à la disposition du public un registre de publicités, conformément à l’article 39 du règlement 2022/2065 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 18 mars 2024, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–         condamner la requérante aux dépens de la présente instance.

9        Par une mesure d’organisation de la procédure du 2 avril 2024, le président du Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs observations sur les conséquences à tirer, pour la présente affaire, de l’ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe [C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277].

10      Les 15 et 16 avril 2024, la requérante et la Commission ont respectivement déféré à cette demande.

11      Par une mesure d’organisation de la procédure du 31 mai 2024, le président du Tribunal a posé à la Commission une question pour réponse écrite.

12      Le 7 juin 2024, la Commission a répondu à la question du président du Tribunal.

 En droit

 Considérations générales

13      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

14      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

15      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

16      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

17      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

18      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

 Sur le fumus boni juris

19      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est notamment le cas lorsque l’un de ces moyens révèle l’existence de questions de droit complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond, ou lorsque le débat mené entre les parties dévoile l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas à l’évidence [voir ordonnance du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne, C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 188 et jurisprudence citée].

20      Aux fins de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, entachée d’illégalité, la requérante invoque quatre moyens présentés à l’appui du recours au principal. Les trois premiers moyens concernent l’application de l’article 33 du règlement 2022/2065, alors que le quatrième moyen porte sur l’article 39 de ce règlement.

21      Par son quatrième moyen, qu’il convient d’examiner d’emblée, la requérante soulève une exception d’illégalité de l’article 39 du règlement 2022/2065, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement ainsi que des articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »).

22      À cet égard, la requérante fait valoir qu’elle ne conteste pas l’obligation de constituer le registre ni celle de mettre les informations qu’il contient à la disposition de la Commission, des coordinateurs pour services numériques et des chercheurs agréés, en vertu d’autres dispositions du règlement 2022/2065. Toutefois, la mise à la disposition du public du registre porterait gravement atteinte à ses intérêts commerciaux, dans la mesure où cela entraînerait la divulgation injustifiée de ses secrets stratégiques à ses concurrents et inciterait les annonceurs à se tourner vers d’autres plateformes.

23      Selon la requérante, une telle divulgation ne répond à aucun objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, ni ne permet de protéger les droits et libertés d’autrui. L’objectif de l’article 39 du règlement 2022/2065, qui serait de faciliter la surveillance et les recherches relatives aux risques émergents engendrés par la diffusion de publicités en ligne, serait atteint lorsque les informations sont mises à la disposition de la Commission, du coordinateur pour services numériques compétent et des chercheurs agréés. La mise à disposition du public d’un registre de publicités ne serait pas nécessaire.

24      La Commission considère que la requérante n’a pas démontré que son quatrième moyen avait des chances raisonnables de prospérer.

25      En premier lieu, ce moyen serait manifestement irrecevable et ne saurait donc fonder un fumus boni juris. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, une exception d’illégalité, soulevée au titre de l’article 277 TFUE, de l’article 39 du règlement 2022/2065 ne serait recevable que pour autant que cet article 39 constitue la base juridique de la décision attaquée. Surtout, ce ne serait pas la décision attaquée qui impose à la requérante les obligations découlant de l’article 39 du règlement 2022/2065 en ce qui concerne Pornhub. La décision attaquée ne ferait que désigner Pornhub comme étant une très grande plateforme en ligne conformément à l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065. Dès lors, la décision attaquée ne serait pas une mesure d’exécution par laquelle l’article 39 du règlement 2022/2065 est appliqué à Pornhub.

26      En deuxième lieu, la requérante n’aurait pas démontré que les informations qu’elle est tenue de divulguer conformément à l’article 39 du règlement 2022/2065 sont de nature confidentielle, que la divulgation de ces informations causerait un préjudice grave à elle‑même ou à ses partenaires publicitaires et que les informations en question devraient être protégées. En tout état de cause, la requérante serait déjà tenue de divulguer la plupart de ces informations en vertu d’autres dispositions du droit de l’Union. En outre, la Commission soutient que des informations analogues à celles qui sont visées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 peuvent être obtenues, en ce qui concerne la requérante, à partir d’offres commerciales.

27      En troisième lieu, en ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle l’article 39 du règlement 2022/2065 porte atteinte à sa liberté d’entreprise et à son droit de propriété, la Commission fait observer que les éventuelles ingérences sont prévues par la loi et qu’elles n’affectent pas le contenu essentiel de cette liberté ou de ce droit, étant donné que la requérante pourrait continuer à fournir le service Pornhub dans l’Union. La Commission fait en outre observer que toute ingérence dans cette liberté et ce droit répond à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, à savoir créer un espace numérique sûr pour les destinataires de services intermédiaires, tout en veillant au respect des droits fondamentaux.

28      En quatrième lieu, la requérante n’aurait pas étayé l’allégation relative à une inégalité de traitement.

29      À cet égard, en premier lieu, s’agissant de la recevabilité du quatrième moyen invoqué par la requérante, tiré de l’illégalité de l’article 39 du règlement 2022/2065, il y a lieu de rappeler que le vice‑président de la Cour a décidé, dans son ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe [C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 91], que l’appréciation, aux fins de l’application de l’article 277 TFUE, de la nature du lien juridique existant entre l’article 39 du règlement 2022/2065 et une décision de désignation au titre de l’article 33 de ce règlement, telle que la décision attaquée, apparaît constituer une question de droit complexe dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi.

30      En second lieu, si la recevabilité du quatrième moyen devait être admise, l’examen de ce moyen impliquerait que le juge du fond détermine si l’article 39 du règlement 2022/2065 est conforme au principe d’égalité de traitement ainsi qu’aux articles 16 et 17 de la Charte [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 92].

31      Aux fins d’apprécier la condition relative au fumus boni juris, il y a lieu d’examiner d’emblée ce moyen en tant qu’il se rapporte à une violation alléguée des articles 16 et 17 de la Charte.

32      L’article 16 de la Charte prévoit que la liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union ainsi qu’aux législations et aux pratiques nationales.

33      L’article 17 de la Charte prévoit que toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer.

34      Il ressort de l’article 39, paragraphes 1 et 2, du règlement 2022/2065 que l’application de ces dispositions à la requérante l’obligerait à mettre à la disposition du public un registre comportant diverses informations relatives aux publicités présentées sur les très grandes plateformes en ligne. Parmi ces informations figurent, notamment, le contenu de la publicité, la personne pour le compte de laquelle la publicité est présentée, la période au cours de laquelle la publicité a été présentée, les principaux paramètres utilisés pour le ciblage de certains destinataires, les communications commerciales publiées sur les très grandes plateformes en ligne ou encore le nombre total de destinataires du service atteint.

35      Ces informations, prises ensemble, fournissant des indications détaillées sur l’ensemble des activités de la requérante dans le domaine de la publicité en ligne, y compris sur ses relations avec ses clients ou les modalités précises des campagnes de communications commerciales menées, il ne saurait a priori être exclu que les obligations imposées par l’article 39 du règlement 2022/2065 puissent être regardées comme limitant les droits que la requérante tire des articles 16 et 17 de la Charte, sans qu’il soit nécessaire, en vue de parvenir à une telle conclusion préliminaire, que la requérante présente des arguments supplémentaires destinés à établir le caractère confidentiel desdites informations [voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 97].

36      Certes, il en irait différemment s’il devait être considéré que, comme le fait valoir la Commission, les informations que l’article 39 du règlement 2022/2065 impose à la requérante de divulguer sont, en réalité, déjà à la disposition du public, indépendamment de l’application de cet article [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 98].

37      À cet égard, il semble effectivement que certaines de ces informations doivent être divulguées en vertu de l’article 26 du règlement 2022/2065, de l’article 6 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), de l’article 5 du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (JO 2019, L 186, p. 57) et de l’article 15 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1).

38      Pour autant, il ne ressort pas de l’argumentation de la Commission que l’ensemble des informations visées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065, et, en particulier, la période au cours de laquelle la publicité est diffusée ou le nombre total de destinataires du service atteint, doit être divulgué indépendamment de l’application de cet article 39. Force est d’ailleurs de constater que la Commission soutient uniquement que la plupart de ces informations sont couvertes par de telles obligations de divulgation et qu’elle ne prétend donc pas qu’il en irait ainsi pour l’ensemble desdites informations.

39      De plus, le caractère équivalent, aux fins de l’application des articles 16 et 17 de la Charte, d’une divulgation d’une information au seul utilisateur concerné ou à l’ensemble du public constitue une question largement nouvelle présentant une certaine complexité [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 102].

40      En outre, si la Commission soutient que des informations analogues à celles qui sont visées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 peuvent être obtenues, en ce qui concerne la requérante, à partir d’offres commerciales, elle ne précise pas les coûts et difficultés qu’impliqueraient l’accès à ces informations analogues. Par ailleurs, elle ne produit pas de preuves à l’appui de son affirmation.

41      S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel la requérante était tenue de démontrer que la divulgation des informations en cause est susceptible de causer un préjudice grave à elle‑même ou à ses partenaires publicitaires et que les informations en question devraient être protégées, celui‑ci se fonde sur une interprétation des dispositions pertinentes de la Charte qui ne ressort, à première vue, ni du texte de ces dispositions ni de la jurisprudence de la Cour. Le bien-fondé d’un tel argument doit, en conséquence, être apprécié par le juge du fond [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services, Europe C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 105].

42      Dans ces conditions, le juge des référés ne saurait constater qu’il est établi, avec une évidence suffisante, que les informations que l’article 39 du règlement 2022/2065 impose à la requérante de divulguer sont dépourvues de caractère confidentiel et, par voie de conséquence, que l’application de cet article 39 à la requérante ne conduirait pas à limiter les droits qu’elle peut tirer des articles 16 et 17 de la Charte.

43      Une telle limitation de ces droits ne serait toutefois de nature à établir l’illégalité de l’article 39 du règlement 2022/2065 que si cette limitation n’était pas conforme aux conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 107].

44      Cette disposition prévoit que des limitations peuvent être apportées à l’exercice de droits, tels que ceux consacrés aux articles 16 et 17 de la Charte, pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 108].

45      Or, l’appréciation devant être menée pour déterminer si ces conditions sont satisfaites en l’espèce suppose de prendre en compte divers facteurs, tels que le degré de contribution de la publication de l’ensemble des informations visées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 à la réalisation des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union, le niveau de gravité de la limitation des droits prévus aux articles 16 et 17 de la Charte ou encore l’existence éventuelle de solutions alternatives moins attentatoires à ces droits [voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 109].

46      Partant, même si une large marge d’appréciation devait être reconnue à cet égard au législateur de l’Union, la question de savoir s’il a outrepassé les limites de cette marge d’appréciation en adoptant l’article 39 du règlement 2022/2065 constitue, en l’absence de précédents clairs, une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas avec évidence [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 110].

47      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, il y a lieu de conclure que le quatrième moyen apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux et mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

48      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris, dans la mesure où le quatrième moyen apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux.

 Sur la condition relative à l’urgence

49      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

50      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si la requérante parvient à démontrer l’urgence.

51      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice invoqué, en premier lieu, la requérante fait valoir que l’obligation prévue à l’article 39 du règlement 2022/2065 de mettre à la disposition du public un registre de publicités très détaillé causera un préjudice grave à des aspects essentiels de son activité commerciale, qui sera irréparable.

52      En particulier, l’application de l’obligation de mise à la disposition du public du registre conduirait à un « enchaînement en boucle » de préjudices graves affectant les aspects essentiels de son activité commerciale et de sa position concurrentielle. Le modèle économique de Pornhub serait axé sur la publicité, qui représenterait 99 % de ses recettes, lesquelles permettraient de rémunérer les créateurs pour le contenu qu’ils mettent en ligne. Ce contenu attirerait les utilisateurs, lesquels attireraient les annonceurs. Enfin, les recettes générées par les annonceurs attireraient, à leur tour, les créateurs de contenu.

53      En outre, un registre accessible au public de tous les partenaires publicitaires de Pornhub risquerait de dissuader les annonceurs existants et potentiels de faire de la publicité sur Pornhub. Une partie importante des annonceurs présents sur Pornhub serait donc susceptible de déplacer leur publicité vers des sites concurrents non soumis aux obligations prévues à l’article 39 du règlement 2022/2065, afin de préserver leurs stratégies commerciales, de maintenir leur réputation et de protéger leur vie privée. Pour ces raisons, l’exigence de la mise à la disposition du public du registre, prévue à l’article 39 du règlement 2022/2065, entraînerait une perte importante d’annonceurs et, partant, une forte baisse des recettes publicitaires pour Pornhub. Cela produirait un effet en cascade, d’abord sur les créateurs de contenu qui seraient attirés par la plateforme Pornhub afin de partager les recettes publicitaires. Le départ des créateurs de contenu réduirait la participation des utilisateurs, ce qui amplifierait l’impact négatif sur les recettes publicitaires de Pornhub.

54      En second lieu, le préjudice causé par l’application de l’article 39 du règlement 2022/2065 serait irréparable, car les informations divulguées ne pourraient pas être rendues à nouveau confidentielles et il serait peu probable que « les annonceurs, les créateurs de contenu et les utilisateurs qui se sont tournés vers des plateformes concurrentes retournent à Pornhub ».

55      En particulier, les informations divulguées publiquement ne pourraient plus être rendues confidentielles. Par conséquent, même si le Tribunal devait annuler la désignation de Pornhub en tant que très grande plateforme en ligne dans le recours au fond, la divulgation des informations sensibles sur le plan commercial relatives à la requérante et à ses annonceurs resterait irréversible, car la prise de connaissance de celles‑ci par les personnes les ayant lues n’en serait pas effacée. Une fois que des stratégies commerciales confidentielles sont rendues publiques, la situation initiale ne saurait être rétablie.

56      En outre, même si l’exigence de mise à la disposition du public du registre de publicités était annulée, la perte de compétitivité de Pornhub causée par les divulgations publiques serait difficile à réparer. Pendant toute la période au cours de laquelle Pornhub est soumise à l’obligation, prévue à l’article 39 du règlement 2022/2065, de mettre le registre à la disposition du public, les annonceurs, les créateurs de contenu et les utilisateurs qui se tourneraient vers des plateformes concurrentes noueraient des relations commerciales avec elles, de sorte qu’il serait difficile pour Pornhub de regagner sa position sur le marché, même si cette obligation disparaît.

57      La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

58      En premier lieu, la Commission fait valoir que les informations que l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 impose à la requérante de mettre à la disposition du public dans le registre des publicités de Pornhub ne constituent pas des informations confidentielles. La requérante serait déjà tenue de divulguer la plupart de ces informations en vertu d’autres dispositions du droit de l’Union.

59      En deuxième lieu, la Commission allègue que la requérante n’a pas démontré que la divulgation des informations qu’elle est tenue de mettre à la disposition du public en vertu de l’article 39 du règlement 2022/2065 causerait à elle‑même ou à ses partenaires publicitaires un préjudice grave et irréparable.

60      En particulier, premièrement, la Commission précise qu’il est impossible pour la requérante de démontrer un préjudice grave et irréparable sans préciser quelles informations confidentielles sont en cause et sans étayer précisément les raisons pour lesquelles elle estime que leur confidentialité serait violée du fait de l’application de l’article 39 du règlement 2022/2065.

61      Deuxièmement, les allégations de la requérante selon lesquelles des informations prétendument confidentielles pourraient être utilisées par ses concurrents pour cibler les annonceurs de Pornhub seraient vagues et peu convaincantes.

62      Troisièmement, le préjudice que la requérante subirait, selon ses allégations, en se conformant à l’article 39 du règlement 2022/2065 repose, selon la Commission, sur des prémisses purement spéculatives et fondées sur des événements futurs et incertains.

63      Quatrièmement, la Commission fait valoir que, pour démontrer l’urgence, la requérante doit également prouver que le préjudice grave et irréparable qu’elle allègue est tant probable qu’imminent.

64      Cinquièmement, la Commission soutient que le préjudice allégué est purement financier, puisqu’il consiste essentiellement en la perte de recettes publicitaires.

65      En troisième lieu, la Commission fait valoir que les intérêts susceptibles d’être lésés par la divulgation des informations en cause ne sont pas dignes de protection et que la requérante n’a pas démontré que ces informations constituaient un secret à protéger.

66      À cet égard, en premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la mise à la disposition du public du registre exigé par l’article 39 du règlement 2022/2065 entraînera une réduction des recettes publicitaires de Pornhub, il y a lieu de constater que le préjudice allégué est purement financier.

67      Or, selon la jurisprudence, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui les sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 46 et jurisprudence citée). L’imminence de la disparition du marché constituant effectivement un préjudice tant irrémédiable que grave, l’adoption de la mesure provisoire demandée apparaît justifiée dans une telle hypothèse (ordonnance du 9 juin 2010, Colt Télécommunications France/Commission, T‑79/10 R, non publiée, EU:T:2010:228, point 37).

68      En outre, selon une jurisprudence bien établie, un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme étant irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait, notamment, être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur la base des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 24 et jurisprudence citée].

69      Si, dans la jurisprudence, il a également été tenu compte du fait que, en l’absence de la mesure provisoire sollicitée, les parts de marché de la partie requérante seraient modifiées de manière irrémédiable, il doit être précisé que ce cas de figure ne saurait être mis sur un pied d’égalité avec celui du risque de la disparition du marché et justifier l’adoption de la mesure provisoire demandée que si la modification irrémédiable des parts de marché présente aussi un caractère grave. Il ne suffit donc pas qu’une part de marché risque d’être irrémédiablement perdue par une entreprise, mais il importe que cette part de marché soit suffisamment importante au regard, notamment, de la taille de cette entreprise, compte tenu des caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat. Une partie sollicitant des mesures provisoires qui se prévaut de la perte d’une telle part de marché doit démontrer, en outre, que des obstacles de nature structurelle ou juridique l’empêchent de reconquérir une fraction appréciable de cette part de marché (voir ordonnance du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée, EU:T:2009:124, point 35 et jurisprudence citée).

70      Il est également de jurisprudence constante que, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de l’acte en cause, le juge des référés doit, dans tous les cas, disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit, en principe, produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir, en ce sens, ordonnance du 10 juillet 2018, Synergy Hellas/Commission, T‑244/18 R, non publiée, EU:T:2018:422, point 27 et jurisprudence citée).

71      En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante n’établit ni même n’allègue qu’elle se trouve dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond, au regard de sa taille, de son chiffre d’affaires et des caractéristiques du groupe auquel elle appartient.

72      En effet, le seul élément quantitatif avancé par la requérante ressort de l’allégation selon laquelle le modèle économique de Pornhub est axé sur la publicité, qui représenterait 99 % de ses recettes.

73      Outre cette allégation, la requérante n’apporte aucun élément chiffré, comptable ou autre, sur la situation financière du groupe de sociétés auquel elle appartient de nature à étayer l’existence d’un préjudice grave et irréparable. Bien que la requérante fournisse des explications sur les effets en cascade de la perte de revenus publicitaires, elle n’en précise pas l’ampleur ni son incidence sur sa viabilité financière.

74      En outre, la demande en référé manque également de détails sur la prétendue perte de recettes ou de parts de marché.

75      En effet, bien que la requérante soutienne que la perte de compétitivité de Pornhub causée par les divulgations publiques serait difficile à réparer, elle ne fait pas état, dans sa demande en référé, d’obstacles spécifiques qui l’empêcheraient de reconquérir une fraction appréciable de ses parts de marché dans le cas où elle ne serait ultérieurement plus tenue de maintenir en ligne ledit registre, en raison de l’annulation de la décision attaquée.

76      Certes, le rapport d’expertise produit à l’annexe A.7 de la demande en référé se réfère, au point 4.32 et suivants de cette annexe, à la difficulté d’obtenir le retour, sur la plateforme de la requérante, des créateurs de contenu et des utilisateurs qui l’ont quittée, dès lors que les plateformes concurrentes bénéficieraient d’effets de réseau renforcés par lesquels l’augmentation de leurs recettes publicitaires attirerait les créateurs de contenu et les utilisateurs finaux, avec d’autres effets sur les recettes publicitaires.

77      Toutefois, ce rapport d’expertise ne contient aucun élément permettant d’apprécier le degré de probabilité que ces hypothèses se concrétisent.

78      Il ne saurait dès lors être considéré que la requérante a établi l’existence d’obstacles de nature structurelle ou juridique l’empêchant, en cas d’annulation de la décision attaquée, de reconquérir une fraction appréciable des parts de marché éventuellement perdues à la suite de la mise à la disposition du public du registre exigé par l’article 39 du règlement 2022/2065. Il s’ensuit qu’elle n’a pas démontré, en tout état de cause, que les pertes de marché qui résulteraient de la mise à disposition de ce registre lui causeraient un préjudice irréparable.

79      S’agissant, en second lieu, de l’argument de la requérante selon lequel le préjudice causé par l’application de l’article 39 du règlement 2022/2065 sera irréparable, car les informations divulguées ne peuvent être rendues à nouveau confidentielles, il ressort de la jurisprudence que, lorsque, d’une part, le demandeur en référé allègue que les informations dont il vise à empêcher, à titre provisoire, la publication constituent des secrets d’affaires et, d’autre part, cette allégation remplit la condition relative au fumus boni juris, le juge des référés est, en principe, tenu, dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence, de présumer que ces informations sont des secrets d’affaires [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 126].

80      Dès lors qu’il ressort des points 34 à 41 ci-dessus que l’allégation de la requérante selon laquelle une partie au moins des informations visées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 sont confidentielles remplit la condition relative au fumus boni juris, il y a lieu de présumer, aux fins de l’appréciation de la condition relative à l’urgence, que l’application de cette disposition conduira à la divulgation d’informations confidentielles.

81      Dans ce cadre, il y a lieu de relever que la question de savoir dans quelle mesure la divulgation d’informations prétendument confidentielles cause un préjudice grave et irréparable dépend d’une combinaison de circonstances, telles que l’importance sur les plans professionnel et commercial des informations pour l’entreprise qui réclame leur protection et l’utilité de celles-ci pour d’autres entreprises présentes sur le marché qui sont susceptibles d’en prendre connaissance et de les utiliser par la suite [voir, en ce sens, ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558, point 42].

82      En l’espèce, la requérante se prévaut d’un préjudice d’ordre financier consécutif à la mise à disposition du public d’un registre de tous les partenaires publicitaires de Pornhub, qui entraînera un risque sérieux de dissuader les annonceurs existants et potentiels de faire de la publicité sur Pornhub et permettra aux concurrents de Pornhub d’accéder à une liste cible prête à l’emploi, complète, structurée et consultable, comportant des informations hautement sensibles sur chaque annonceur dans chaque État membre.

83      Au regard de la diversité des informations commerciales précises qui ont vocation à figurer dans le registre exigé par l’article 39 du règlement 2022/2065, de l’intérêt des annonceurs à pouvoir mettre en œuvre des pratiques publicitaires ne pouvant être aisément reproduites par leurs concurrents et de l’avantage que pourraient retirer les concurrents de la requérante d’un accès complet à de telles informations commerciales, le préjudice résultant de la mise à la disposition du public de ce registre doit être regardé comme présentant le caractère de gravité auquel est subordonné le prononcé de mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 131 et jurisprudence citée].

84      Les éléments avancés par la requérante permettent donc d’établir qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave.

85      Quant au caractère irréparable de ce préjudice, il convient de rappeler que, certes, un préjudice d’ordre financier ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme étant irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Toutefois, il en va autrement, et un tel préjudice peut alors être considéré comme étant irréparable, s’il ne peut pas être chiffré (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 92 et jurisprudence citée).

86      Toutefois, l’incertitude liée à la réparation d’un préjudice d’ordre financier dans le cadre d’un éventuel recours en dommages-intérêts ne saurait être considérée, en elle-même, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable d’un tel préjudice, au sens de la jurisprudence de la Cour. En effet, au stade du référé, la possibilité d’obtenir ultérieurement la réparation d’un préjudice d’ordre financier dans le cadre d’un éventuel recours en dommages-intérêts, qui pourrait être intenté à la suite de l’annulation de l’acte attaqué, est nécessairement incertaine. Or, la procédure en référé n’a pas pour objet de se substituer à un tel recours en dommages-intérêts pour éliminer cette incertitude, sa finalité étant seulement de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive à intervenir dans la procédure au fond sur laquelle le référé se greffe, à savoir, en l’espèce, un recours en annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 93 et jurisprudence citée).

87      En revanche, il en va autrement lorsqu’il apparaît clairement, dès l’appréciation effectuée par le juge des référés, que le préjudice allégué, compte tenu de sa nature et de son mode prévisible de survenance, ne sera pas susceptible d’être identifié et chiffré de manière adéquate s’il se produit et que, en pratique, un recours en indemnité ne saurait par conséquent permettre de le réparer. Tel peut notamment être le cas s’agissant de la publication d’informations commerciales spécifiques et confidentielles (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 94 et jurisprudence citée).

88      À cet égard, il convient de constater que le préjudice susceptible d’être subi par la requérante en raison de la publication de ses secrets d’affaires serait différent, tant en ce qui concerne sa nature que son étendue, selon que les personnes qui prendraient connaissance de ces secrets d’affaires sont ses clients, ses concurrents, des analystes financiers ou encore des personnes relevant du grand public. En effet, il serait impossible d’identifier le nombre et la qualité de toutes les personnes ayant effectivement eu connaissance des informations publiées et d’apprécier ainsi les conséquences que la publication de celles-ci aurait pu avoir sur les intérêts commerciaux et économiques de la requérante (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 95 et jurisprudence citée).

89      Or, cette incertitude, qui est également présente en l’espèce, est de nature à démontrer le caractère irréparable du préjudice financier invoqué [voir, en ce sens, ordonnances du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 96, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, points 113 à 118].

90      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, la survenance probable, pour la requérante, d’un préjudice grave et irréparable étant établie à suffisance de droit.

 Sur la mise en balance des intérêts

91      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des intérêts consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, EU:C:2003:385, point 142 et jurisprudence citée).

92      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de relever que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 65 et jurisprudence citée).

93      Il convient donc d’examiner si les intérêts de la requérante à obtenir la suspension immédiate de la décision attaquée prévalent sur ceux poursuivis par la Commission par l’adoption de cette décision.

94      S’agissant des intérêts poursuivis par la requérante, celle‑ci allègue, premièrement, que la suspension de la mise à disposition du public du registre des publicités de Pornhub n’entraverait pas les objectifs de l’article 39 du règlement 2022/2065, qui consistent à faciliter la surveillance et les recherches relatives aux risques émergents engendrés par la diffusion de publicités en ligne. Selon la requérante, ces objectifs pourraient être atteints au moyen de l’article 40 du règlement 2022/2065, qui protège les informations confidentielles en ne mettant pas à la disposition du grand public, notamment des concurrents, les informations mentionnées à l’article 39 dudit règlement. Cela aurait pour effet de ne pas compromettre le modèle économique de Pornhub en décourageant les annonceurs de publier leurs annonces sur Pornhub et en les incitant à passer à des sites Internet de contenus pour adultes non soumis aux obligations énoncées au chapitre III, section 5, du règlement 2022/2065.

95      De même, la requérante soutient que la suspension de l’obligation de mise à la disposition du public du registre de publicités de Pornhub contribuera à la réalisation des objectifs du règlement 2022/2065, car la mise à la disposition du public du registre va à l’encontre du but recherché.

96      Deuxièmement, la requérante précise, dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure visée au point 10 ci-dessus, que la mise à disposition du registre au public concerne également les personnes physiques qui font de la publicité pour le contenu spécifique qu’ils créent pour des plateformes telles que celles qu’elle exploite. Or, la divulgation de leur identité risquerait d’exposer ces personnes physiques à des actes de harcèlement et de discrimination, notamment de la part d’établissements financiers. La requérante précise à cet égard que, selon son estimation, 20 % des annonceurs présents sur son site sont des personnes physiques.

97      En revanche, la Commission soutient, en substance, que la mise en balance des intérêts plaide contre l’octroi du sursis à exécution de la décision attaquée, compte tenu, d’une part, de l’importance des intérêts que cette décision entend sauvegarder, à savoir protéger la société contre les risques inhérents à la publicité en ligne, l’information des utilisateurs sur ces publicités et la surveillance de tous les cas d’illégalité alléguée, justifiant de limiter les intérêts commerciaux des entreprises et de leur imposer de divulguer certaines informations, même si ces informations présentent un caractère potentiellement confidentiel. Cela serait particulièrement le cas en ce qui concerne l’obligation de mettre à la disposition du public le registre des publicités, étant donné que la publicité et les recettes publicitaires favoriseraient la diffusion de contenus illicites et préjudiciables en ligne. De surcroît, la mise en œuvre complète de l’article 39 du règlement 2022/2065 est d’autant plus impérative que les plateformes de contenus pour adultes font généralement preuve de beaucoup moins de transparence.

98      D’autre part, la rapidité sans précédent – seize mois seulement – avec laquelle un accord politique a été trouvé au sujet du règlement 2022/2065 démontrerait l’urgence que le législateur de l’Union a attachée à la poursuite de cet objectif. Tel serait le cas, en particulier, des obligations de diligence renforcées que ce règlement impose aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne, notamment son article 39, que le législateur de l’Union aurait spécifiquement décidé d’appliquer avant l’entrée en application générale du règlement compte tenu des risques sociétaux systémiques associés à ce type de services, y compris aux fournisseurs de contenus en ligne tels que Pornhub, et de leur incidence potentielle sur une grande partie de la population de l’Union.

99      En ce qui concerne, en premier lieu, l’intérêt s’attachant à l’octroi des mesures provisoires sollicitées, il importe de souligner qu’une éventuelle décision annulant la décision attaquée ne serait pas privée d’effet si la demande en référé était rejetée et si, en conséquence, la requérante était tenue de mettre immédiatement à la disposition du public le registre exigé par l’article 39 du règlement 2022/2065 [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 144].

100    Certes, les informations publiées dans ce registre dans l’attente d’une décision annulant la décision attaquée seraient, en pratique, privées de manière définitive de leur caractère confidentiel, dès lors qu’elles ne pourraient plus être soustraites à la connaissance des tiers [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 145].

101    Cependant, il résulte de l’article 39, paragraphe 1, de ce règlement que ledit registre doit être mis à jour en permanence, dans la mesure où il doit comporter les informations visées à l’article 39, paragraphe 2, dudit règlement pour toute la période durant laquelle le fournisseur de la très grande plateforme en ligne concernée présente une publicité et jusqu’à un an après la dernière présentation de la publicité sur ses interfaces en ligne [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 146].

102    Il s’ensuit que, en cas d’annulation de la décision attaquée, la requérante ne sera plus obligée de tenir le registre exigé par cet article 39. Partant, elle ne sera plus tenue de conserver en ligne des informations relatives aux publicités présentées sur Pornhub ni de divulguer des informations relatives aux évolutions de ses campagnes publicitaires ou à de nouvelles campagnes publicitaires. Ladite annulation serait donc de nature à assurer aux annonceurs le retour d’un environnement commercial plus attractif et à permettre à la requérante de développer de nouvelles stratégies dans la conduite de son activité publicitaire sans que ses concurrents puissent en prendre connaissance au moyen de ce registre [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 147].

103    L’annulation de la décision attaquée conserverait, en conséquence, un intérêt pour la requérante et une effectivité réelle, même en l’absence d’octroi de mesures provisoires. Une telle situation distingue la présente affaire de celles dans lesquelles la Cour s’est fondée de manière décisive, lors de son appréciation de la mise en balance des intérêts en présence, sur la circonstance que la divulgation d’informations figurant dans une décision ou dans un rapport priverait définitivement de tout effet une éventuelle annulation de la décision ayant ordonné la divulgation de ces informations [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 148 et jurisprudence citée].

104    Cela étant, ainsi que le fait valoir la requérante et qu’il ressort des points 79 à 90 ci-dessus, en l’absence de l’octroi de mesures provisoires, il est probable qu’elle subira un préjudice grave et irréparable avant le prononcé éventuel d’une décision d’annulation de la décision attaquée.

105    Cette circonstance ne saurait, toutefois, être regardée comme étant, à elle seule, décisive, puisque l’objet même de la mise en balance des intérêts en présence est d’apprécier si, malgré l’atteinte portée aux intérêts du demandeur que constitue le risque pour lui de subir un préjudice grave et irréparable, la prise en compte des intérêts liés à l’exécution immédiate de la décision attaquée est de nature à justifier le refus d’accorder les mesures provisoires demandées [voir ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 150 et jurisprudence citée].

106    Aux fins de cette appréciation, il convient de relever que, s’il résulte de l’examen de la condition relative à l’urgence que la requérante est effectivement susceptible, en l’absence d’octroi de mesures provisoires, de subir un préjudice grave et irréparable d’ordre financier, il ne ressort pas des éléments avancés par celle-ci que l’application à Pornhub de l’article 39 du règlement 2022/2065, dans l’attente de la décision du juge du fond, aurait pour conséquence de compromettre l’existence ou le développement à long terme de la requérante.

107    Premièrement, comme mentionné au point 71 ci‑dessus, il n’est ni allégué ni a fortiori démontré que la requérante serait exposée à un risque de cessation de ses activités en l’absence d’octroi de mesures provisoires, au regard de sa taille, du chiffre d’affaires et des caractéristiques du groupe auquel elle appartient.

108    En outre, il ressort des points 74 à 78 ci-dessus que la requérante n’a pas établi l’existence d’un risque de perte de parts de marché significatif et durable dans l’hypothèse où l’article 39 du règlement 2022/2065 serait applicable à Pornhub au cours de la période comprise entre le jour de l’examen de sa demande en référé et celui de la décision statuant au fond.

109    Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante, développé dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure, selon lequel il existe un risque important que le registre de publicité soit utilisé comme une liste de divulgation de données personnelles, dès lors qu’il met à la disposition du public l’identité de personnes telles que des artistes‑interprètes faisant de la publicité pour leurs chaînes OnlyFans ou des personnes pratiquant le marketing d’affiliation, il importe de rappeler que le législateur de l’Union prévoit précisément, à l’article 39, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/2065, que ce registre contient au moins des informations sur la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la publicité est présentée et sur la personne physique ou morale qui a payé la publicité.

110    Or, même si une large marge d’appréciation devait être reconnue au législateur de l’Union, la mise à la disposition du public du registre de publicités spécifiquement pour les artistes‑interprètes et pour les autres personnes physiques est susceptible d’affecter directement ces personnes physiques et de ce fait, la requérante. En effet, s’il est vrai qu’il s’agit de l’intérêt de tiers, il n’en reste pas moins que la requérante a une responsabilité vis‑à‑vis de ses annonceurs.

111    Toutefois, il convient d’observer qu’aucun des quatre moyens avancés par la requérante à l’appui du fumus boni juris de la présente demande ne se fonde sur une atteinte à la vie privée des artistes‑interprètes qui font de la publicité sur le site exploité de la requérante ou n’évoque l’article 7 de la Charte. De plus, bien que la requérante explique les risques de harcèlement et de discrimination que ces personnes encourent sur leur identité, elle ne précise pas si les données visées à l’article 39, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/2065 suffisent pour les identifier avec suffisamment de précision, dès lors que ces données ne semblent pas inclure leurs adresses privées.

112    Par ailleurs, le simple fait de figurer sur la liste du registre de publicités en tant que personne physique ne permet pas nécessairement d’identifier la nature des activités et l’implication personnelle de la personne physique dans celles‑ci.

113    S’agissant, en second lieu, de l’intérêt s’attachant à l’application immédiate de la décision attaquée, il importe de souligner que le règlement 2022/2065 constitue un élément central de la politique développée par le législateur de l’Union dans le secteur numérique. Ce règlement poursuit, dans le cadre de cette politique, des objectifs d’une grande importance, dès lors qu’il vise, ainsi qu’il résulte de son considérant 155, à contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et à garantir un environnement en ligne sûr, prévisible et fiable dans lequel les droits fondamentaux consacrés par la Charte sont dûment protégés [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 155].

114    Certes, la Commission n’a pas allégué ni a fortiori démontré que l’octroi de mesures provisoires ayant pour effet d’exclure l’application à Pornhub de l’article 39 du règlement 2022/2065 jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours au fond serait de nature à faire définitivement obstacle à la réalisation de ces objectifs.

115    Il convient néanmoins de relever que la non‑application de certaines obligations prévues par ce règlement conduira à différer, potentiellement de plusieurs années, la réalisation complète desdits objectifs. Cette non‑application générera donc un risque de laisser potentiellement persister ou se développer un environnement en ligne menaçant les droits fondamentaux prévus par la Charte [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 157].

116    Ce constat ne saurait être remis en cause par l’argument de la requérante selon lequel les objectifs de l’article 39 du règlement 2022/2065 pourraient être atteints au moyen de l’article 40 du règlement 2022/2065, qui protège les informations confidentielles en ne mettant pas à la disposition du grand public, notamment des concurrents, les informations mentionnées à l’article 39 dudit règlement.

117    En effet, il ressort du considérant 95 du règlement 2022/2065 que le législateur de l’Union a considéré, au terme d’une appréciation qu’il n’appartient pas au juge des référés de remettre en question, que les systèmes publicitaires utilisés par les très grandes plateformes en ligne présentent des risques particuliers et nécessitent un contrôle public et réglementaire plus poussé [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 160].

118    Il ne saurait donc être considéré, sauf à outrepasser l’office du juge des référés en écartant des appréciations du législateur de l’Union dont le caractère erroné n’a pas été démontré, que l’application à Pornhub des seules obligations imposées par l’article 40 du règlement 2022/2065 serait de nature à atteindre de manière satisfaisante les objectifs de l’article 39 de ce règlement [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 161].

119    Il convient encore de relever que l’octroi des mesures provisoires sollicitées ne conduirait pas uniquement à maintenir le statu quo. Le sursis à l’exécution de la décision attaquée serait de nature à modifier la situation concurrentielle dans le secteur numérique d’une manière qui n’a pas été prévue par le législateur de l’Union, en soumettant la requérante à un régime différent de celui applicable aux autres acteurs de ce secteur présentant, au regard des critères définis par ce législateur, des caractéristiques comparables à cette société [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 163].

120    Au vu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que les intérêts défendus par le législateur de l’Union prévalent, en l’espèce, sur les intérêts de la requérante, des artistes‑interprètes et des autres personnes physiques, de sorte que la mise en balance des intérêts penche en faveur du rejet de la demande en référé [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 164].

121    Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée.

122    En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 2 juillet 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.