Language of document : ECLI:EU:C:2022:485

AVIS 1/20 DE LA COUR (quatrième chambre)

16 juin 2022

« Avis rendu en vertu de l’article 218, paragraphe 11, TFUE – Demande d’avis – Projet de traité sur la Charte de l’énergie modernisé – Article 26 – Mécanisme de règlement des différends – Recevabilité »

Dans la procédure d’avis 1/20,

ayant pour objet une demande d’avis au titre de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, introduite le 2 décembre 2020, par le Royaume de Belgique,

LA COUR (quatrième chambre)

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. S. Rodin, J.‑C. Bonichot, Mmes L. S. Rossi (rapporteure) et O. Spineanu‑Matei, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement belge, par MM. S. Baeyens, J.-C. Halleux, Mmes C. Pochet et M. Van Regemorter, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par Mmes K. Najmanová, H. Pešková, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et D. Klebs, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par MM. K. Boskovits et G. Karipsiadis, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mmes S. Centeno Huerta, A. Gavela Llopis et M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par Mme A. Daniel et M. W. Zemamta, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement croate, par Mme G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Garofoli, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement lituanien, par MM. K. Dieninis et R. Dzikovič, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement slovène, par Mme N. Pintar Gosenca, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par M. B. Driessen et Mme A. Lo Monaco, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Armati, O. Beynet MM. F. Erlbacher, M. Kellerbauer, T. Maxian Rusche et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Avis

1        La demande d’avis soumise à la Cour par le Royaume de Belgique est formulée comme suit :

« Le projet de Traité sur la Charte de l’énergie modernisé est-il compatible avec les traités, et notamment avec les articles 19 TUE et 344 TFUE :

–        en ce qui concerne l’article 26 dudit accord, si cet article peut être interprété comme permettant l’application intra-Union européenne du mécanisme de règlement des différends ?

–        en ce que, si l’article 26 dudit accord devait être interprété comme permettant l’application intra-Union européenne du mécanisme de règlement des différends, cet accord ne prévoit pas de règle spécifique expresse ou de clause de déconnexion explicite, notamment dans les définitions d’investissement et d’investisseur à l’article 1er de l’accord envisagé, prévoyant la non-applicabilité du mécanisme général de cet article 26 entre les États membres ? »

 Le cadre juridique

2        Le traité sur la Charte de l’énergie, signé à Lisbonne le 17 décembre 1994 (JO 1994, L 380, p. 24, ci-après le « TCE »), a été approuvé au nom des Communautés européennes par la décision 98/181/CE, CECA, Euratom du Conseil et de la Commission, du 23 septembre 1997, concernant la conclusion par les Communautés européennes du traité sur la Charte de l’énergie et du protocole de la Charte de l’énergie sur l’efficacité énergétique et les aspects environnementaux connexes (JO 1998, L 69, p. 1). Il se compose d’un préambule et de huit parties, parmi lesquelles figurent la partie I, intitulée « Définitions et objet », comprenant les articles 1er et 2 de ce traité, et la partie V, intitulée « Règlement des différends », comprenant les articles 26 à 28 dudit traité.

3        L’article 1er du TCE, intitulé « Définitions », définit, aux fins de ce traité, un ensemble de termes au nombre desquels figurent, aux points 6 et 7 de cet article, ceux d’« investissement » et d’« investisseur ».

4        L’article 26 du TCE, intitulé « Règlement des différends entre un investisseur et une partie contractante », énonce :

« 1.      Les différends qui opposent une partie contractante et un investisseur d’une autre partie contractante au sujet d’un investissement réalisé par ce dernier dans la zone de la première et qui portent sur un manquement allégué à une obligation de la première partie contractante au titre de la partie III sont, dans la mesure du possible, réglées à l’amiable.

2.      Si un différend de ce type n’a pu être réglé conformément aux dispositions du paragraphe 1 dans un délai de trois mois à compter du moment où l’une des parties au différend a sollicité un règlement à l’amiable, l’investisseur partie au différend peut choisir de le soumettre, en vue de son règlement :

a)      aux juridictions judiciaires ou administratives de la partie contractante qui est partie au différend ;

ou

b)      conformément à toute procédure de règlement des différends applicable préalablement convenue ;

ou

c)      conformément aux paragraphes suivants du présent article.

3. a)      Sous réserve des seuls points b) et c), chaque partie contractante donne son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à une procédure d’arbitrage ou de conciliation internationale, conformément aux dispositions du présent article.

[...]

4.      Si un investisseur choisit de soumettre le différend en vue de son règlement conformément au paragraphe 2 point c), il donne son consentement par écrit pour que le différend soit porté devant :

a)      i)      le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, créé en application de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, ouverte pour signature à Washington le 18 mars 1965, ci-après dénommée “convention CIRDI”, si la partie contractante de l’investisseur et la partie contractante partie au différend sont toutes deux parties à la convention CIRDI

ou

ii)      le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, créé en application de la convention visée au point a) i), sur la base du règlement du mécanisme supplémentaire pour l’administration des procédures par le Secrétariat du Centre, ci-après dénommé “règlement du mécanisme supplémentaire”, si la partie contractante de l’investisseur ou la partie contractante partie au différend, mais non les deux, est partie à la convention CIRDI ;

b)      à un arbitre unique ou à un tribunal d’arbitrage ad hoc constitué sur la base du règlement d’arbitrage de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI)

ou

c)      à une procédure d’arbitrage sous l’égide de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm.

[...] »

5        L’article 34 du TCE, intitulé « Conférence sur la Charte de l’énergie » prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les parties contractantes se réunissent périodiquement au sein de la Conférence sur la Charte de l’énergie, ci-après dénommée “Conférence de la Charte”, auprès de laquelle chaque partie contractante est habilitée à avoir un représentant. Les réunions ordinaires se tiennent à des intervalles réguliers déterminés par la Conférence de la Charte. »

 L’accord envisagé

6        Le TCE n’ayant pas fait l’objet d’une révision majeure depuis le 16 avril 1998, date de son entrée en vigueur, le secrétariat de la Charte de l’énergie a proposé de le moderniser. À l’issue d’échanges sur ce point, la Conférence de la Charte a adopté, le 27 novembre 2018, une liste de différents domaines ouverts à la discussion pour entamer les négociations sur la modernisation (ci-après la « liste de domaines ouverts à la négociation »).

7        Cette liste comprend les domaines suivants :

–        le préinvestissement ;

–        la définition de « Charte » ;

–        la définition d’« activité économique dans le secteur de l’énergie » ;

–        la définition d’« investisseur » ;

–        la définition d’« investissement » ;

–        le droit à réglementer ;

–        la définition du traitement juste et équitable ;

–        la clause de la nation la plus favorisée ;

–        la clarification de la notion de « protection et sécurité les plus constantes possibles » ;

–        la définition de l’expropriation indirecte ;

–        la compensation pour perte ;

–        la clause parapluie ;

–        le refus d’avantages ;

–        les transferts afférents aux investissements ;

–        les plaintes frivoles ;

–        la transparence ;

–        la sécurité pour les coûts ;

–        l’évaluation des dommages ;

–        le financement par des tiers ;

–        le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises ;

–        la définition de transit ;

–        l’accès à l’infrastructure (y compris le refus d’accès et les capacités disponibles) ;

–        la définition et les principes de la fixation de tarif ;

–        l’organisation d’intégration économique régionale (OIER), et

–        les dispositions obsolètes.

8        Le 6 novembre 2019, la Conférence de la Charte a créé le groupe sur la modernisation et l’a chargé d’entamer des négociations sur la modernisation du TCE, en vue de conclure rapidement ce processus. Cette Conférence a précisé que les négociations tiendront compte de la liste de domaines ouverts à la négociation ainsi que des options politiques suggérées par les parties contractantes.

9        Le premier cycle complet de négociations s’est tenu du 6 au 9 juillet 2020, le deuxième cycle s’est tenu du 8 au 11 septembre 2020 et le troisième cycle s’est tenu du 3 au 6 novembre 2020.

10      Le Conseil de l’Union européenne a, le 15 juillet 2019, donné mandat à la Commission européenne pour ouvrir des négociations sur la modernisation du TCE et a adopté les directives de négociations correspondantes. Au mois d’octobre 2019, l’Union européenne a suggéré des options politiques pour la modernisation, puis, au mois de mai 2020, a soumis des propositions d’amendement du TCE.

11      Parmi les options politiques et les amendements proposés par l’Union, figure une proposition de modification de l’article 26 du TCE visant à réaffirmer l’engagement de l’Union pour une réforme structurelle des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États au niveau international.

12      Le secrétariat de la Charte de l’énergie et plusieurs parties contractantes ont toutefois rappelé que l’accord intervenu entre les parties contractantes pour la modernisation du TCE ne concerne que la liste de domaines ouverts à la négociation. Il a ainsi été convenu que tout domaine additionnel à ceux compris dans cette liste devait faire l’objet d’un consensus entre les parties contractantes.

13      À l’occasion du deuxième cycle de négociations, l’Union a présenté des propositions de réforme du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États portant sur des domaines non compris dans ladite liste. Cependant, aucun consensus n’a été atteint pour discuter de ces propositions.

14      Les négociations sur les OIER, qui relèvent des domaines inclus dans cette même liste, étaient à l’ordre du jour du troisième cycle de négociations. Dans le cadre de ce cycle, la République du Kazakhstan a proposé d’étendre la non-application de certaines dispositions du TCE entre les membres d’un OIER et, à cette fin, de modifier l’article 26 du TCE en prévoyant expressément que les dispositions relatives au règlement des différends en matière d’investissements ne s’appliquent pas entre les membres d’une OIER.

15      Toutefois, la Commission ne disposait pas d’un mandat lui permettant de soutenir cette proposition. En effet, l’Union n’a pas demandé l’inclusion des OIER dans la liste de domaines ouverts à la négociation et les directives de négociations du Conseil indiquent que « [l]’Union européenne ne soutient pas la modification de la disposition relative à l’OIER dans le processus de modernisation du TCE. »

 La procédure devant la Cour

16      Le 2 décembre 2020 le Royaume de Belgique a introduit la présente demande d’avis.

17      Le 8 octobre 2021, en application de l’article 62, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la juge rapporteure et l’avocat général ont demandé au Royaume de Belgique si, compte tenu de l’arrêt du 2 septembre 2021, République de Moldavie (C-741/19, EU:C:2021:655), et notamment des points 40 à 66 de celui-ci, il souhaitait maintenir sa demande d’avis.

18      Par lettre du 10 novembre 2021, le Royaume de Belgique a informé la Cour de son intention de maintenir sa demande.

 Sur la recevabilité de la demande d’avis

 Appréciations formulées par le Royaume de Belgique

19      Le Royaume de Belgique expose que sa demande d’avis porte sur la compatibilité avec les traités de l’article 26 du TCE, tel que repris dans le projet de TCE modernisé (ci-après l’« article 26 du TCE modernisé »), et du mécanisme de résolution des différends qu’il prévoit, si ce dernier devait être considéré comme étant applicable aux litiges opposant un investisseur d’un État membre à un autre État membre (ci-après les « litiges intra-UE »), ainsi que des notions d’« investissement » et d’« investisseur » figurant dans la proposition d’amendement de l’article 1er du TCE.

20      À cet égard, le Royaume de Belgique précise que, dès lors qu’il n’existe actuellement aucun consensus sur un éventuel amendement de l’article 26 du TCE, il présuppose que cet article 26 demeure inchangé.

21      Selon le Royaume de Belgique, la présente demande d’avis est néanmoins recevable, dans la mesure où elle porte sur un « accord », que celui-ci est « envisagé » et que la demande n’est pas prématurée.

22      Tout d’abord, il fait valoir que le projet de TCE modernisé étant un engagement ayant force obligatoire, pris par des sujets de droit international, il constitue un « accord », au sens de l’article 218, paragraphe 11, TFUE. En particulier, le fait que ce projet ne soit pas formellement un nouveau traité, mais constitue une modification d’un traité antérieur ne le priverait pas de sa nature d’« accord ». En effet, il résulterait de la jurisprudence, notamment de l’avis 1/03 (Nouvelle convention de Lugano), du 7 février 2006 (EU:C:2006:81), que la Cour a déjà été confrontée à la révision d’un traité existant sans que cela conduise à s’interroger sur la recevabilité de la demande d’avis relative au nouveau traité dont la conclusion était envisagée.

23      Ensuite, le Royaume de Belgique soutient que le projet de TCE modernisé est un accord « envisagé », au sens de la jurisprudence de la Cour. À cet égard, il fait valoir que, d’une part, ce projet n’a pas encore été conclu, de sorte que l’objectif préventif de la procédure d’avis est respecté. D’autre part, la circonstance que la décision du Conseil autorisant l’ouverture des négociations et les directives de négociations n’aient pas abordé l’applicabilité aux litiges intra-UE du TCE en général et, plus particulièrement, du mécanisme de résolution des différends prévu à son article 26 n’affecterait pas la recevabilité de la présente demande d’avis. En effet, il découlerait de la jurisprudence issue, notamment, de l’arrêt du 5 novembre 2002, Commission/Danemark (C‑467/98, EU:C:2002:625, point 39), que, lors d’une renégociation d’un accord dans son ensemble, les parties confirment les engagements découlant du traité initial qui ne font pas partie de la renégociation ou ne sont modifiés que de manière marginale. Ainsi, les renégociations actuelles du TCE viseraient ce traité dans son ensemble et impliqueraient la confirmation de l’article 26 de celui-ci. En tout état de cause, la présente demande d’avis concernerait également les définitions d’« investisseur » et d’« investissement », figurant à l’article 1er du TCE, qui seraient explicitement soumises à modification, conformément à la liste des domaines ouverts à la négociation.

24      Enfin, la présente demande d’avis ne serait pas prématurée. En particulier, tant le contenu des dispositions concernées de l’accord envisagé que le contexte entourant les négociations de cet accord seraient suffisamment connus pour permettre à la Cour de répondre de manière utile à cette demande. En effet, premièrement, la proposition d’amendement faite par l’Union et ses États membres aurait atteint un stade d’avancement suffisant qui permettrait de constater qu’elle ne contient pas de clarification concernant l’applicabilité de l’article 26 du TCE modernisé aux litiges intra-UE. Deuxièmement, compte tenu du déroulement du deuxième cycle de négociations, aucun consensus ne se serait dégagé quant à l’introduction dans le TCE modernisé de l’ensemble des propositions faites par l’Union. Troisièmement, même si la République du Kazakhstan a présenté, lors du troisième cycle de négociations, une proposition visant à clarifier les relations juridiques existantes entre les OIER parties au TCE et leurs membres, au regard de ce traité, le mandat de négociation de la Commission ne lui permettrait pas de discuter de cette proposition. Dans ces conditions, selon le Royaume de Belgique, le TCE modernisé ne contiendra pas de clarification concernant l’applicabilité de son article 26 aux litiges intra-UE, ce qui pourrait être interprété comme une confirmation de la situation actuelle.

 Résumé des principales observations présentées à la Cour

25      L’ensemble des États membres ayant participé à la procédure écrite, hormis la Hongrie, ainsi que la Commission sont d’avis que la présente demande d’avis est recevable. Certains de ces États, notamment la République tchèque et la République de Slovénie, soulignent qu’une prise de position de la Cour est nécessaire afin de lever toute ambiguïté dans l’interprétation de l’article 26 du TCE. En effet, tout d’abord, les États membres ne seraient pas unanimes pour interpréter cet article en ce sens qu’il ne s’applique pas aux litiges intra-UE. Ensuite, la majorité des procédures d’arbitrage engagées sur le fondement de cet article concerneraient précisément des litiges intra-EU. Enfin, dans ces procédures, les arbitres refuseraient systématiquement de se déclarer incompétents, même après le prononcé de l’arrêt du 6 mars 2018, Achmea (C‑284/16, EU:C:2018:158).

26      Selon la République fédérale d’Allemagne, s’il suffisait, pour déclarer l’irrecevabilité d’une demande d’avis, que celle-ci se rapporte à une disposition dont le contenu n’a pas été affecté par l’accord modificatif, cela engendrerait, dès le stade de l’examen de la recevabilité d’une telle demande, de difficiles questions de délimitation entre les « anciennes » et les « nouvelles » dispositions de l’accord en cause.

27      La République française fait valoir que la demande d’avis ne peut être déclarée irrecevable au motif qu’elle porte sur un accord déjà conclu. En effet, d’une part, cet État membre estime que la Cour est interrogée sur le fait que l’accord envisagé ne prévoirait pas de clause excluant expressément les litiges intra-UE du mécanisme prévu à l’article 26 du TCE modernisé. Or, l’absence d’une telle clause dans cet accord pourrait être à l’origine d’une méconnaissance du droit de l’Union par d’autres stipulations dudit accord, lesquelles ne seraient pas contraires au droit de l’Union en présence de cette clause particulière. D’autre part, la présente demande d’avis porterait sur la renégociation d’un accord pris dans son ensemble, dès lors que le champ de la renégociation inclut toutes les parties substantielles du TCE. Il serait d’ailleurs possible que le projet de TCE modernisé prenne in fine la forme d’un nouvel accord intégral, se substituant au TCE actuellement en vigueur. L’Union serait ainsi appelée à confirmer ses engagements sur l’ensemble du TCE, le projet de TCE modernisé constituant ainsi, notamment en ce qui concerne son mécanisme de règlement des différends, un accord envisagé, et non un accord conclu.

28      La Commission fait observer qu’il ne saurait être exclu que la question de l’applicabilité du mécanisme de règlement des différends aux litiges intra-UE soit soulevée dans le contexte des domaines pour lesquels les négociations ont été ouvertes et qui sont intimement liés aux questions soulevées dans la présente demande d’avis. Par ailleurs, la conclusion du TCE modernisé sans modifier l’article 26 du TCE, ou sans déterminer son interprétation par un instrument de droit international public permettant de lier les tribunaux arbitraux, pourrait être interprétée par des tribunaux arbitraux en ce sens que l’Union et les États membres confirment, dans un nouvel accord international, l’applicabilité de l’article 26 du TCE modernisé aux litiges intra-UE.

29      Dans ce contexte, la Commission rappelle qu’une demande d’avis, dont le champ d’application est relativement large, peut être guidée par l’objectif légitime d’une institution ou d’un État membre de connaître l’étendue des compétences respectives de l’Union et des États membres avant de se déterminer pour signer et conclure l’accord envisagé. Or, le fait de ne pas modifier l’article 26 du TCE pourrait être interprété comme une acceptation de ce que la responsabilité internationale des États membres peut être directement engagée dans une matière qui relève de la compétence exclusive de l’Union. Cela reviendrait à violer l’obligation qui incombe aux États membres d’assurer, sur leurs territoires respectifs, l’application et le respect du droit de l’Union, en permettant l’exercice d’une compétence nationale primant les compétences de l’Union ainsi que les prérogatives de la Cour, découlant de l’article 19 TUE et de l’article 344 TFUE.

30      La Commission relève que l’avis de la Cour aura pour effet de lier les institutions et les États membres dans la poursuite des négociations du TCE modernisé, actuellement en cours. En fonction du contenu de cet avis, soit l’interprétation de la Cour devra être traduite dans un accord entre les États membres et l’Union sur l’interprétation de l’article 26 du TCE modernisé, ou dans un traité entre les États membres et l’Union modifiant l’article 26 du TCE modernisé inter se, soit le Conseil devra, sur recommandation modifiée de la Commission, élargir la portée du mandat de négociation.

31      En revanche, la Hongrie estime que la présente demande d’avis est irrecevable. Elle fait observer que, pour que la Cour puisse se prononcer sur la compatibilité des dispositions d’un accord envisagé avec les traités, il est nécessaire que celle‑ci dispose d’éléments suffisants sur le contenu même dudit accord. Or, en l’occurrence, sur la base des documents et des informations actuellement disponibles et de l’état d’avancement des négociations, ni le texte intégral ni le texte partiel du projet de TCE modernisé ne seraient disponibles et il ne serait pas possible de déduire l’issue des négociations en cours. En effet, premièrement, les négociations ne seraient qu’au stade initial, l’État membre auteur de la présente demande d’avis n’ayant d’ailleurs joint à celle‑ci que le texte du TCE actuellement en vigueur. Deuxièmement, la liste de domaines ouverts à la négociation ne serait pas exhaustive et pourrait être complétée. Troisièmement, les observations sur les options politiques des parties contractantes seraient celles formulées avant le premier tour officiel de négociations.

32      Le Conseil nourrit également des doutes sur la recevabilité de la présente demande d’avis en raison, notamment, de l’incertitude concernant le contenu de l’accord envisagé et l’éventuelle modification de l’article 26 du TCE, de l’absence de conséquences d’un éventuel avis négatif de la Cour et du fait que la jurisprudence issue de l’arrêt du 5 novembre 2002, Commission/Danemark (C‑467/98, EU:C:2002:625), ne serait pas pertinente en l’occurrence, cette jurisprudence ayant été élaborée dans le cadre d’un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE.

33      Toutefois, le Conseil ne conteste pas la pertinence des raisons exposées par le Royaume de Belgique au soutien de la recevabilité de la présente demande d’avis et estime qu’il ne peut être exclu que les négociations s’étendent finalement à l’article 26 du TCE. Dans un tel cas, les directives de négociations du Conseil prévoiraient que la Commission veille à ce que le résultat soit conforme au droit de l’Union.

 Prise de position de la Cour

34      Aux termes de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l’avis de la Cour sur la compatibilité d’un accord envisagé avec les traités.

35      Il est de jurisprudence constante de la Cour que cette disposition vise à prévenir les complications qui résulteraient de contestations en justice relatives à la compatibilité avec les traités d’accords internationaux engageant l’Union. En effet, une décision judiciaire constatant éventuellement, après la conclusion d’un accord international engageant l’Union, que celui-ci est, au vu soit de son contenu, soit de la procédure adoptée pour sa conclusion, incompatible avec les dispositions des traités ne manquerait pas de créer, sur le plan non seulement interne de l’Union, mais également des relations internationales, des difficultés sérieuses et risquerait de porter préjudice à toutes les parties intéressées, y compris aux États tiers [avis 1/19 (Convention d’Istanbul), du 6 octobre 2021, EU:C:2021:832, point 193 et jurisprudence citée].

36      Certes, la possibilité d’introduire une demande d’avis, en vertu de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, n’exige pas, comme condition préalable, un accord définitif entre les institutions concernées [avis 1/19 (Convention d’Istanbul), du 6 octobre 2021, EU:C:2021:832, point 204 et jurisprudence citée].

37      Il s’ensuit que la Cour peut être saisie d’une demande d’avis lorsque l’objet de l’accord envisagé est connu, même s’il subsiste un certain nombre d’alternatives encore ouvertes et de divergences relatives à la rédaction des textes en question [avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011, EU:C:2011:123, point 53].

38      Il en va tout particulièrement ainsi lorsque la demande d’avis ne porte que sur la question de savoir si l’Union dispose de la compétence pour conclure un accord envisagé [voir, en ce sens, avis 2/94 (Adhésion de la Communauté à la CEDH), du 28 mars 1996, EU:C:1996:140, points 13 à 18].

39      Cependant, dès lors que la demande d’avis concerne la question de la compatibilité de cet accord avec les traités, il est nécessaire que la Cour dispose d’éléments suffisants sur le contenu même dudit accord [avis 2/94 (Adhésion de la Communauté à la CEDH), du 28 mars 1996, EU:C:1996:140, point 19, et avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 147].

40      Or, d’une part, la présente demande d’avis concerne non pas la compétence de l’Union pour conclure le TCE modernisé, mais la compatibilité de celui-ci, et notamment de son article 26, avec les traités.

41      D’autre part, le Royaume de Belgique reconnaît lui-même qu’il n’existait, lors de l’introduction de la présente demande d’avis, aucun document comportant le texte du TCE, dans sa version modernisée, ou celui de son article 26.

42      Selon le Royaume de Belgique, cette circonstance ne devrait pas affecter la recevabilité de cette demande d’avis dès lors qu’il serait notoire, à ce stade des négociations, qu’aucune modification de l’article 26 ne serait envisagée dans la version modernisée du TCE. En effet, les négociations sur la modernisation du TCE n’auraient été ouvertes qu’au regard de la liste de domaines ouverts à la négociation, liste qui ne comprendrait pas le mécanisme de résolution des différends prévu à cet article.

43      Or, les éléments soumis à la Cour ne permettent pas de considérer que l’article 26 du TCE ne fera pas l’objet de modifications à l’issue de ces négociations.

44      En effet, en premier lieu, s’il est vrai que la Conférence de la Charte a identifié une liste de domaines ouverts à la négociation et que cette liste n’inclut pas le mécanisme de résolution des différends visé à l’article 26 du TCE, il n’en demeure pas moins que, à la date d’introduction de la présente demande d’avis, les négociations se trouvaient à un stade très précoce et que l’arrêt du 2 septembre 2021, République de Moldavie (C‑741/19, EU:C:2021:655), n’avait pas encore été prononcé. Il s’ensuit qu’un consensus aurait pu, et pourrait encore, se dégager, parmi les parties contractantes, en faveur de l’insertion dans ladite liste du domaine dont relève cet article. Par conséquent, l’issue des négociations éventuelles concernant ce domaine n’est pas suffisamment prévisible et il ne peut être exclu que l’article 26 du TCE soit modifié.

45      En second lieu, comme le Royaume de Belgique l’a lui-même relevé, des négociations ont été ouvertes au regard de la définition des notions d’« investissement » et d’« investisseur », au sens de l’article 1er du TCE, de telles notions conditionnant la portée du mécanisme de résolution des différends prévu à l’article 26 du TCE. Or, non seulement aucun texte modificatif de cet article 1er n’a été arrêté à ce stade, mais, en outre, l’incidence que les modifications éventuelles apportées à ces notions pourraient avoir sur ce mécanisme de résolution des différends ne peut être appréciée en l’absence de tout élément permettant de connaître, avec une certaine précision, les règles régissant ledit mécanisme.

46      Au vu de ces incertitudes, la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants sur le contenu et, plus particulièrement, sur le champ d’application de l’article 26 qui figurera dans le TCE modernisé, alors même que ce champ d’application fait l’objet de la présente demande d’avis. Cette dernière apparaît donc prématurée.

47      Enfin, il importe d’ajouter que, s’agissant des considérations d’opportunité, rappelées au point 25 du présent avis, qui justifieraient une prise de position de la Cour sur la question de la compatibilité de l’article 26 du TCE avec les traités, il suffit de constater, d’une part, que de telles considérations sont étrangères à la finalité de la procédure d’avis rappelée au point 35 du présent avis, cette disposition étant déjà en vigueur. D’autre part, et en tout état de cause, la Cour s’est déjà prononcée sur cette question. En effet, il découle clairement de l’arrêt du 2 septembre 2021, République de Moldavie (C-741/19, EU:C:2021:655), et notamment des points 40 à 66 de ce dernier, que le respect du principe d’autonomie du droit de l’Union, consacré à l’article 344 TFUE, impose d’interpréter l’article 26, paragraphe 2, sous c), du TCE en ce sens qu’il n’est pas applicable aux différends opposant un État membre à un investisseur d’un autre État membre au sujet d’un investissement réalisé par ce dernier dans le premier État membre.

48      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants sur le contenu même de l’accord envisagé et que, dès lors, la présente demande d’avis, en raison de son caractère prématuré, doit être considérée comme étant irrecevable.

En conséquence, la Cour (quatrième chambre) émet l’avis suivant :

La demande d’avis introduite par le Royaume de Belgique, le 2 décembre 2020, est irrecevable.

Lycourgos      Rodin      Bonichot

Rossi      Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 juin 2022.

Le greffier

Le président de la IVème chambre

A. Calot Escobar

 

C. Lycourgos