Language of document : ECLI:EU:T:2006:150

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

7 juin 2006 (*)

« Aides d’État – Domaine postal – Entreprise publique chargée d’un service d’intérêt économique général – Assistance logistique et commerciale fournie à une filiale n’opérant pas dans un secteur réservé – Pourvoi – Renvoi par la Cour »

Dans l’affaire T-613/97,

Union française de l’express (Ufex), établie à Roissy-en-France (France),

DHL International SA, établie à Roissy-en-France,

Federal express international (France) SNC, établie à Gennevilliers (France),

CRIE SA, établie à Asnières (France),

représentées par Mes É. Morgan de Rivery et J. Derenne, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Rozet et D. Triantafyllou, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée par MM. G. de Bergues, R. Abraham et F. Million, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

par

Chronopost SA, établie à Issy-les-Moulineaux (France), représentée par Mes V. Bouaziz Torron et D. Berlin, avocats,

et par

La Poste, établie à Paris (France), représentée par Me H. Lehman, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 98/365/CE de la Commission, du 1er octobre 1997, concernant les aides que la France aurait accordées à SFMI-Chronopost (JO 1998, L 164, p. 37),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de M. M. Jaeger, président, Mme V. Tiili, M. J. Azizi, Mme E. Cremona et M. O. Czúcz, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu l’arrêt de la Cour de justice du 3 juillet 2003,

vu la procédure écrite après renvoi et à la suite de l’audience du 15 juin 2005,

rend le présent

Arrêt

1        Le présent arrêt est rendu après renvoi de l’affaire par arrêt de la Cour du 3 juillet 2003, Chronopost e.a./UFEX e.a. (C‑83/01 P, C‑93/01 P et C‑94/01 P, Rec. p. I‑6993, ci-après l’« arrêt de la Cour »), ce dernier ayant annulé l’arrêt du Tribunal du 14 décembre 2000, UFEX e.a./Commission (T‑613/97, Rec. p. II‑4055, ci-après l’« arrêt du Tribunal »). 

 Faits à l’origine du litige

2        La poste française (ci-après « La Poste »), qui opère, sous monopole légal, dans le secteur du courrier ordinaire, faisait partie intégrante de l’administration française jusqu’à la fin de l’année 1990. À compter du 1er janvier 1991, elle a été organisée comme une personne morale de droit public, conformément aux dispositions de la loi 90-568, du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORF du 8 juillet 1990, p. 8069, ci-après la « loi 90‑568 »). Cette loi l’autorise à exercer certaines activités ouvertes à la concurrence, notamment l’expédition de courrier express.

3        La Société française de messagerie internationale (ci-après la « SFMI ») est une société de droit privé qui s’est vu confier la gestion du service de courrier express de La Poste depuis la fin de l’année 1985. Cette entreprise a été constituée avec un capital social de 10 millions de francs français (FRF) (environ 1 524 490 euros), réparti entre Sofipost (66 %), société financière détenue à 100 % par La Poste, et TAT Express (34 %), filiale de la compagnie aérienne Transport aérien transrégional (ci-après « TAT »).

4        Les modalités d’exploitation et de commercialisation du service de courrier express que la SFMI assurait sous la dénomination EMS/Chronopost ont été définies par une instruction du ministère des Postes et Télécommunications français du 19 août 1986. Selon cette instruction, La Poste devait fournir à la SFMI une assistance logistique et commerciale. Les relations contractuelles entre La Poste et la SFMI étaient régies par des conventions, dont la première date de 1986.

5        En 1992, la structure de l’activité de courrier express réalisée par la SFMI a été modifiée. Sofipost et TAT ont créé une nouvelle société, Chronopost SA, dont elles détenaient toujours respectivement 66 % et 34 % des actions. La société Chronopost, qui avait un accès exclusif au réseau de La Poste jusqu’au 1er janvier 1995, s’est recentrée sur le courrier express national. La SFMI a été rachetée par GD Express Worldwide France, filiale d’une entreprise commune internationale regroupant la société australienne TNT et les postes de cinq pays, concentration autorisée par décision de la Commission du 2 décembre 1991 (Affaire IV/M.102 – TNT/Canada Post, DBP Postdienst, La Poste, PTT Poste et Sweden Post) (JO C 322, p. 19). La SFMI a conservé l’activité internationale de courrier express, utilisant Chronopost comme agent et prestataire de services dans le traitement en France de ses envois internationaux (ci-après la « SFMI-Chronopost »).

6        Le Syndicat français de l’express international (SFEI), auquel a succédé l’Union française de l’express (UFEX), et dont les trois autres requérantes sont membres, est un syndicat professionnel de droit français regroupant la quasi-totalité des sociétés offrant des services de courrier express faisant concurrence à la SFMI-Chronopost.

7        Le 21 décembre 1990, le SFEI a déposé une plainte auprès de la Commission au motif, notamment, que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI comportait une aide d’État au sens de l’article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE). Dans la plainte était principalement dénoncé le fait que la rémunération versée par la SFMI pour l’assistance fournie par La Poste ne correspondait pas aux conditions normales de marché. La différence entre le prix du marché pour l’acquisition de tels services et celui effectivement payé par la SFMI constituerait une aide d’État. Une étude économique, réalisée, à la demande du SFEI, par la société de conseil Braxton associés, a été jointe à la plainte afin d’évaluer le montant de l’aide pendant la période 1986-1989.

8        Par lettre du 10 mars 1992, la Commission a informé le SFEI du classement de sa plainte. Le 16 mai 1992, le SFEI et d’autres entreprises ont introduit un recours en annulation devant la Cour à l’encontre de cette décision. La Cour a prononcé un non-lieu à statuer (ordonnance de la Cour du 18 novembre 1992, SFEI e.a./Commission, C‑222/92, non publiée au Recueil) après la décision de la Commission du 9 juillet 1992 de retirer celle du 10 mars 1992.

9        À la demande de la Commission, la République française lui a transmis des informations par lettre du 21 janvier, par télécopie du 3 mai et par lettre du 18 juin 1993.

10      Le 16 juin 1993, le SFEI et d’autres entreprises ont introduit devant le tribunal de commerce de Paris un recours contre la SFMI, Chronopost, La Poste et autres. Une deuxième étude de la société Braxton associés y était jointe actualisant les données de la première étude et étendant la période d’estimation de l’aide à la fin de l’année 1991. Par jugement du 5 janvier 1994, le tribunal de commerce de Paris a posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 92 du traité et de l’article 93 du traité CE (devenu article 88 CE), dont l’une portait sur la notion d’aide d’État dans les circonstances de la présente affaire. Le gouvernement français a déposé devant la Cour, à l’annexe de ses observations du 10 mai 1994, une étude économique réalisée par la société Ernst & Young. Par arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C‑39/94, Rec. p. I‑3547, ci-après l’« arrêt SFEI »), la Cour a dit pour droit que « [l]a fourniture d’une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 92 du traité si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché » (point 62).

11      Entre-temps, par lettre de la Commission du 20 mars 1996, la République française a été informée de l’ouverture de la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité. Le 30 mai 1996, elle a adressé à la Commission ses observations à cet égard.

12      Le 17 juillet 1996, la Commission a publié au Journal officiel des Communautés européennes une communication relative à l’ouverture de la procédure de l’article 93, paragraphe 2, du traité concernant les aides présumées que la France aurait accordées à la société SFMI-Chronopost (JO C 206, p. 3).

13      Le 17 août 1996, le SFEI a soumis à la Commission ses observations en réponse à cette communication. Il a joint à ses observations une nouvelle étude économique, réalisée par le cabinet Bain & Co. En outre, le SFEI a élargi le champ de sa plainte du 21 décembre 1990 à certains éléments nouveaux, notamment à l’utilisation de l’image de marque de La Poste, à l’accès privilégié aux ondes de Radio France, à des privilèges douaniers et fiscaux et à des investissements de La Poste dans des plates-formes de messagerie.

14      La Commission a transmis à la République française les observations du SFEI en septembre 1996. La République française a, en réponse, envoyé une lettre à la Commission en y annexant une étude économique réalisée par la société de conseil Deloitte Touche Tohmatsu (ci-après le « rapport Deloitte »).

15      Par lettre du 7 novembre 1996, le SFEI a insisté auprès de la Commission pour être entendu sur tous les éléments du dossier. Il a demandé, de ce fait, la communication des réponses que le gouvernement français avait déjà transmises à la Commission et qui n’étaient pas encore en sa possession (à savoir les lettres des 21 janvier et 18 juin 1993) et, au fur et à mesure de leur arrivée, des éléments complémentaires fournis par le gouvernement français à la Commission.

16      Par lettre du 13 novembre 1996, la Commission a refusé au SFEI l’accès aux éléments précités du dossier.

17      Le 21 avril 1997, le SFEI a adressé une nouvelle lettre à la Commission en lui demandant de l’informer de l’état d’avancement exact de l’instruction et, en particulier, de lui faire connaître, d’une part, les réponses du gouvernement français relatives à la lettre d’ouverture de la procédure et à ses observations du 17 août 1996 et, d’autre part, les réactions et les intentions de la Commission. Le 30 avril 1997, la Commission a refusé de communiquer les documents en sa possession en se fondant sur leur caractère strictement confidentiel.

18      Le 1er octobre 1997, la Commission a adopté la décision 98/365/CE, concernant les aides que la France aurait accordées à la SFMI-Chronopost (JO 1998, L 164, p. 37, ci-après la « décision attaquée »), communiquée au SFEI par lettre datée du 22 octobre 1997.

19      Dans la décision attaquée, la Commission a constaté qu’il convenait de distinguer deux catégories de mesures. La première catégorie consiste en la fourniture par La Poste, d’une part, de l’assistance logistique consistant à mettre les infrastructures postales à la disposition de la SFMI-Chronopost pour la collecte, le tri, le transport et la distribution de ses envois et, d’autre part, de l’assistance commerciale, c’est-à-dire de l’accès de la SFMI-Chronopost à la clientèle de La Poste et de l’apport par cette dernière de son fonds de commerce en faveur de la SFMI-Chronopost. La seconde catégorie consiste en des mesures particulières, telles que l’accès privilégié à Radio France et les privilèges fiscaux et douaniers.

20      La Commission considérait que la question pertinente était celle de savoir « si les conditions de la transaction entre La Poste et la SFMI-Chronopost [étaient] comparables à celles d’une transaction équivalente entre une société mère privée, qui peut très bien être en situation de monopole (par exemple parce qu’elle détient des droits exclusifs), et sa filiale ». Selon la Commission, il n’y avait aucun avantage financier si les prix internes pour les produits et les services échangés entre les sociétés appartenant au même groupe étaient « calculés sur la base des coûts complets (c’est-à-dire les coûts totaux plus la rémunération des capitaux propres) ».

21      À cet égard, la Commission faisait remarquer que les paiements effectués par la SFMI-Chronopost ne couvraient pas les coûts totaux pendant les deux premières années d’exploitation, mais ils couvraient tous les coûts hors frais de siège et de directions régionales. Elle considérait, premièrement, qu’il n’était pas anormal que, pendant la période de démarrage, les paiements effectués par une nouvelle entreprise, à savoir par la SFMI-Chronopost, ne couvrent que les coûts variables. Deuxièmement, toujours selon la Commission, la République française a pu démontrer que, à partir de 1988, la rémunération payée par la SFMI-Chronopost couvrait tous les coûts supportés par La Poste, ainsi que la rémunération des capitaux propres investis par cette dernière. En outre, la Commission a calculé que le taux de rendement interne (ci-après le « TRI ») de l’investissement de La Poste en tant qu’actionnaire excédait largement le coût du capital de la société en 1986, c’est-à-dire le taux de rendement normal qu’un investisseur privé exigerait dans des circonstances similaires. En conséquence, La Poste aurait fourni une assistance logistique et commerciale à sa filiale dans des conditions normales de marché, et cette assistance ne constituerait donc pas une aide d’État.

22      S’agissant de la seconde catégorie, à savoir les diverses mesures particulières, la Commission estimait que la SFMI-Chronopost ne bénéficiait d’aucun avantage concernant la procédure de dédouanement, le droit de timbre, la taxe sur les salaires ou les délais de paiement. L’utilisation des véhicules de La Poste comme support publicitaire devait être considérée, selon la Commission, comme une assistance commerciale normale entre une société mère et sa filiale et la SFMI-Chronopost ne bénéficiait d’aucun traitement préférentiel pour la publicité sur Radio France. La Commission aurait pu également établir que les engagements pris par La Poste lors de l’autorisation de l’entreprise commune par la décision de la Commission du 2 décembre 1991 ne constituaient pas des aides d’État.

23      Dans l’article 1er de la décision attaquée, la Commission constate ce qui suit :

« [L]’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale [la] SFMI-Chronopost, les autres transactions financières entre ces deux sociétés, la relation entre [la] SFMI-Chronopost et Radio France, le régime douanier applicable à La Poste et à [la] SFMI-Chronopost, le système de taxe sur les salaires et de droit de timbre applicables à La Poste et son investissement de […] dans des plates-formes de messagerie ne constituent pas des aides d’État en faveur de [la] SFMI-Chronopost. »

24      Le 2 décembre 1997, le SFEI a mis en demeure la Commission de lui communiquer, avant le 17 décembre 1997, la télécopie du 3 mai 1993, la note du 30 mai 1996 et le rapport Deloitte, tous mentionnés dans la décision attaquée. Le même jour, les requérantes ont également demandé au ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie français la communication du rapport Deloitte. Elles ont fait la même demande à la commission d’accès aux documents administratifs le 9 décembre 1997.

25      Par lettre du 15 décembre 1997, la Commission a rejeté la demande du SFEI en se référant au code de conduite concernant l’accès du public aux documents de la Commission et du Conseil (JO 1993, L 340, p. 41). Elle a fait valoir que, lorsque la demande concerne un document détenu par une institution, mais ayant pour auteur une autre personne physique ou morale ou un État membre, celle-ci doit être adressée directement à l’auteur du document. En outre, elle a invoqué les exceptions tirées de la protection du secret en matière commerciale et industrielle et de la protection de la confidentialité.

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 décembre 1997, les requérantes ont introduit le présent recours.

27      Le 12 mars 1998, les requérantes ont déposé une demande incidente de production de documents visant à ce que la Commission fournisse les documents mentionnés dans la décision et auxquels elles n’ont pas eu accès avant l’adoption de celle-ci, à savoir la télécopie du 3 mai 1993, la note du 30 mai 1996, la note en réponse aux observations du SFEI du mois d’août 1996 et le rapport Deloitte, documents adressés à la Commission par le gouvernement français. Par note datée du 7 mai 1998, le Tribunal a invité la Commission à produire les deux derniers documents demandés. Ces documents ont été transmis le 26 mai 1998.

28      Par acte déposé au greffe le 2 juin 1998, la République française a demandé à intervenir à l’appui des conclusions de la partie défenderesse. Par actes déposés au greffe le 5 juin 1998, Chronopost et La Poste ont formulé la même demande.

29      Par ordonnances du président de la quatrième chambre élargie du Tribunal du 7 juillet 1998, la République française, Chronopost et La Poste ont été admises à intervenir à l’appui des conclusions de la défenderesse.

30      Le 23 juillet 1998, les requérantes ont déposé au greffe du Tribunal une seconde demande incidente de production de documents. Par lettre du 10 novembre 1998, le Tribunal a communiqué aux requérantes sa décision de ne pas accéder, à ce stade, à cette demande.

31      Dans leur mémoire en réplique, les requérantes ont demandé qu’un traitement confidentiel soit accordé à tous les documents figurant dans l’annexe 10 de la réplique et que seul le Tribunal puisse avoir accès à ces documents. Par lettres des 5 janvier et 10 février 1999, les requérantes ont précisé que cette demande ne concernait que La Poste et Chronopost. Par ordonnance du 5 mars 1999 du président de la quatrième chambre élargie du Tribunal, il a été fait droit à la demande de traitement confidentiel de certaines données à l’égard de La Poste et de Chronopost.

32      Les requérantes invoquaient quatre moyens d’annulation à l’appui de leur recours, tirés, le premier, d’« une violation des droits de la défense, notamment du droit d’accès au dossier », le deuxième, d’« une insuffisance de motivation », le troisième, d’« erreurs de fait et d’erreurs manifestes d’appréciation », et le quatrième, d’« une violation de la notion d’aide d’État ». Le quatrième moyen s’articulait en deux branches selon lesquelles la Commission aurait méconnu la notion d’aide d’État, d’une part, en ne tenant pas compte des conditions normales du marché dans l’analyse de la rémunération de l’assistance fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost et, d’autre part, en excluant de cette notion diverses mesures dont aurait bénéficié la SFMI-Chronopost.

33      Le Tribunal a partiellement annulé l’article 1er de la décision attaquée en accueillant la première branche du quatrième moyen. Des autres moyens et arguments des requérantes, le Tribunal n’a examiné que le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense, et les arguments développés dans le cadre du troisième moyen, tiré d’erreurs de fait et d’erreurs manifestes d’appréciation, qui ne se confondaient pas avec ceux préalablement examinés dans le cadre du quatrième moyen. Dans les deux cas, les griefs formulés par les requérantes ont été rejetés.

34      Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 19 et 23 février 2001, Chronopost, La Poste et la République française ont, en vertu de l’article 56 du statut de la Cour de justice, formé des pourvois contre cet arrêt.

35      À l’appui de leur pourvoi, Chronopost, La Poste et la République française invoquaient plusieurs moyens, dont le premier, tiré de la violation de l’article 92, paragraphe 1, du traité, découlant de l’interprétation erronée de la notion de « conditions normales de marché ».

36      Par l’arrêt du 3 juillet 2003, la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal en accueillant le premier moyen, renvoyé l’affaire au Tribunal et réservé les dépens.

 Procédure après renvoi

37      L’affaire a été attribuée à la quatrième chambre élargie du Tribunal. La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée par décision du Tribunal du 13 septembre 2004 (JO C 251, p. 12), le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre élargie, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

38      Conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, les parties requérantes et la partie défenderesse ont déposé un mémoire d’observations écrites. En application de l’article 119, paragraphe 3, du règlement de procédure, les parties requérantes et la partie défenderesse ont été autorisées à déposer un mémoire complémentaire d’observations écrites. Les mémoires d’observations écrites des parties intervenantes ont été déposés, conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure, après les dépôts des mémoires complémentaires des parties principales.

39      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité les parties à déposer certains documents et à répondre par écrit à des questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

40      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 15 juin 2005. Au terme de cette audience, la Commission et La Poste ont été invitées à déposer certains documents. En outre, un délai a été fixé aux autres parties pour présenter leurs observations sur ces derniers documents. Les requérantes ont déposé leurs observations dans le délai imparti.

41      La procédure orale a été close le 23 août 2005.

42      Par lettres déposées les 30 septembre et 4 octobre 2005, Chronopost et La Poste ont demandé l’autorisation de déposer une réponse aux observations des requérantes sur les documents produits à la suite de la demande du Tribunal faite lors de l’audience.

43      Par ordonnance du 27 octobre 2005, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé de rouvrir la procédure orale, conformément à l’article 62 du règlement de procédure.

44      Le Tribunal a également adopté une mesure d’organisation de la procédure, conformément à l’article 64 du règlement de procédure, consistant à verser au dossier les observations déposées par Chronopost et La Poste respectivement le 30 septembre et le 4 octobre 2005. Les observations des autres parties ont également été versées au dossier.

45      La procédure orale a ensuite été close à nouveau le 19 décembre 2005.

 Conclusions des parties après renvoi

46      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la défenderesse aux dépens de l’instance dans l’affaire T‑613/97 ;

–        condamner in solidum la République française, Chronopost et La Poste aux dépens de l’instance dans les affaires C‑83/01 P, C‑93/01 P et C‑94/01 P et T-613/97 après renvoi.

47      La Commission, soutenue par la République française et La Poste, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens des deux instances.

48      Chronopost conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours, à titre principal, comme irrecevable, et à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens des deux instances.

 En droit

1.     Observations liminaires

49      À la suite de l’arrêt de la Cour et du renvoi de la présente affaire au Tribunal, les requérantes maintiennent, en substance, les deuxième, troisième et quatrième moyens soulevés au cours de l’instance ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal, à savoir le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation, le moyen tiré d’inexactitudes matérielles et d’erreurs manifestes d’appréciation dans l’analyse de la rémunération de l’assistance fournie par La Poste, et le moyen tiré de l’application erronée de la notion d’aide d’État. Ce dernier moyen se subdivise en deux branches, tirées, d’une part, de la violation de la notion de conditions normales de marché telle que dégagée par l’arrêt de la Cour, et, d’autre part, du défaut de prise en considération de certains éléments dans la notion d’aide d’État.

50      À titre liminaire, il convient de rappeler que la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal pour erreur de droit dans l’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité. Selon la Cour, cette erreur réside dans les constatations du Tribunal selon lesquelles la Commission aurait dû examiner, dans le cadre de son analyse de la question de savoir si l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost constituait ou non une aide d’État, si les coûts complets de La Poste pour la fourniture de cette assistance logistique correspondaient aux facteurs qu’une entreprise, agissant dans des conditions normales de marché, aurait dû prendre en considération lors de la fixation de la rémunération pour les services fournis. Le Tribunal en avait conclu que la Commission aurait au moins dû vérifier que la contrepartie reçue par La Poste était comparable à celle réclamée par une société financière privée ou un groupe privé d’entreprises, n’opérant pas dans un secteur réservé, poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle et guidé par des perspectives à long terme. La Cour a indiqué que cette appréciation, entachée d’une erreur de droit, méconnaissait le fait qu’une entreprise telle que La Poste se trouve dans une situation très différente de celle d’une entreprise privée agissant dans des conditions normales de marché et a précisé à cet égard ce qui suit (points 34 à 40 de l’arrêt de la Cour) :

« 34  En effet, La Poste est chargée d’un service d’intérêt économique général au sens de l’article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE) (arrêt de la Cour du 19 mai 1993, Corbeau, C‑320/91, Rec. p. I‑2533, point 15). Un tel service consiste, en substance, dans l’obligation d’assurer la collecte, le transport et la distribution du courrier, au profit de tous les usagers, sur l’ensemble du territoire de l’État membre concerné, à des tarifs uniformes et à des conditions de qualité similaires.

35       À cette fin, La Poste a dû se doter ou a été dotée d’infrastructures et de moyens importants (le ‘réseau postal’) lui permettant de fournir le service postal de base à tous les usagers, y compris dans les zones à faible densité de population, dans lesquelles les tarifs ne couvraient pas les coûts générés par la fourniture du service en cause.

36       En raison des caractéristiques du service que le réseau de La Poste doit permettre d’assurer, la constitution et le maintien de ce réseau ne répondent pas à une logique purement commerciale. Ainsi qu’il a été rappelé au point 22 du présent arrêt, UFEX e.a. ont d’ailleurs admis qu’un réseau tel que celui dont a pu bénéficier la SFMI-Chronopost n’est, à l’évidence, pas un réseau de marché. Partant, ce réseau n’aurait jamais été constitué par une entreprise privée.

37       Par ailleurs, la fourniture de l’assistance logistique et commerciale est indissociablement liée au réseau de La Poste, puisqu’elle consiste précisément dans la mise à disposition de ce réseau sans équivalent sur le marché.

38       Dans ces conditions, en l’absence de toute possibilité de comparer la situation de La Poste avec celle d’un groupe privé d’entreprises n’opérant pas dans un secteur réservé, les ‘conditions normales de marché’, qui sont nécessairement hypothétiques, doivent s’apprécier par référence aux éléments objectifs et vérifiables qui sont disponibles.

39       En l’occurrence, les coûts supportés par La Poste pour la fourniture à sa filiale d’une assistance logistique et commerciale peuvent constituer de tels éléments objectifs et vérifiables.

40       Sur cette base, l’existence d’une aide d’État en faveur de la SFMI-Chronopost peut être exclue si, d’une part, il est établi que la contrepartie exigée couvre dûment tous les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, une contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal ainsi qu’une rémunération appropriée des capitaux propres dans la mesure où ils sont affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost, et si, d’autre part, aucun indice ne donne à penser que ces éléments ont été sous-estimés ou fixés de manière arbitraire. »

51      Au regard de ces appréciations de la Cour, le Tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner, tout d’abord, le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation. Les moyens tirés d’inexactitudes matérielles et d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que de l’application erronée de la notion d’aide d’État, qui se confondent, seront examinés ensuite ensemble.

2.     Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation

 Arguments des parties

52      Les requérantes dénoncent le fait que la Commission a effectué un simple renvoi dans la décision attaquée aux rapports économiques lui ayant servi de fondement, sans préciser les éléments desdits rapports ayant permis de conclure à l’absence d’aides en faveur de la SFMI-Chronopost et susceptibles d’être contrôlés par le juge communautaire.

53      Les requérantes soutiennent, en premier lieu, qu’il ne peut être contesté que la décision attaquée est principalement fondée sur les conclusions du rapport Deloitte que la Commission a refusé de leur transmettre et qui pouvait seul justifier la teneur de la décision attaquée. Le rapport Deloitte, qui est un élément essentiel de la motivation de la décision attaquée, aurait dû être communiqué aux requérantes au plus tard en même temps que la décision faisant grief afin de leur permettre de faire usage de leurs droits.

54      En deuxième lieu, les requérantes font observer que la motivation concernant l’assistance logistique est insuffisante. La Commission n’indiquerait nullement, dans la décision attaquée, de quelle manière sont distribués les « coûts complets » qu’elle retient pour l’ensemble des prestations caractérisant l’activité du courrier express. La motivation de la Commission sur ce point serait manifestement insuffisante pour pouvoir être comprise par les requérantes et contrôlée par le Tribunal, en ce qu’elle ne mentionne pas les éléments de fait ayant conduit la Commission à retenir que « la rémunération totale versée par la SFMI-Chronopost pour le soutien logistique fourni par La Poste était plus élevée que le montant total des coûts opérationnels au cours de la période 1986-1995 » et ne permettait donc pas de conclure à l’existence d’aides.

55      En troisième lieu, les requérantes considèrent que la motivation concernant l’assistance commerciale est insuffisante. La Commission n’indiquerait nullement quelle est la part des « coûts complets » correspondant aux frais d’assistance commerciale qu’elle retient, ni ce que cette part rémunère comme prestation spécifique au titre de l’assistance commerciale. Par ailleurs, une telle vérification serait difficile, faute de définition du terme « frais de marketing ». En outre, les requérantes estiment que la Commission n’a répondu que par de vagues critiques aux évaluations très précises fournies par elles concernant les coûts de la promotion des produits de la SFMI et la valeur d’utilisation de l’image de marque de La Poste.

56      Selon les requérantes, la Commission aurait dû inclure dans la décision attaquée les tableaux reçus du gouvernement français détaillant les coûts et ne pouvait justifier l’absence de motivation par le souci de ne pas alourdir la décision attaquée ou par le secret commercial. Elles font remarquer que la période de référence de la plainte initiale (1986-1990) était déjà « commercialement ancienne ». Par conséquent, l’appréciation de la Commission serait demeurée abstraite et la motivation insuffisante.

57      En quatrième lieu, les requérantes font remarquer qu’il y a une contradiction dans les motifs de la décision attaquée, équivalant à une absence de motivation, s’agissant de la méthode dite de « rétropolation ». En effet, la Commission expliquerait, d’abord, que le prix de l’assistance logistique est calculé en multipliant le nombre d’objets traités ou leur poids par le prix unitaire des différentes opérations, tout en constatant, ensuite, que, jusqu’en 1992, La Poste n’avait pas de comptabilité analytique.

58      Les requérantes indiquent encore que la motivation de la décision attaquée doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce qui, dans la présente affaire, justifient une motivation particulièrement approfondie. Constitueraient de telles circonstances l’absence de notification, la durée excessivement longue de la procédure administrative (décision intervenue 81 mois après le dépôt de la plainte initiale), les difficultés importantes reconnues par la Commission notamment sur le point de savoir si les mesures dénoncées pouvaient être qualifiées d’aides d’État, le caractère vraisemblable de l’existence d’une aide reconnue par la Commission, le retrait d’une première décision de rejet après qu’elle a fait l’objet d’un recours en annulation, l’absence totale de diligence de la Commission pendant trois ans (entre la date du retrait de sa décision, le 9 juillet 1992, et la date de l’audience publique devant la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt SFEI, soit le 24 octobre 1995), l’existence de l’arrêt SFEI donnant des lignes directrices, le refus de donner accès au dossier même privé de ses éléments éventuellement confidentiels et l’inscription de mesures litigieuses au registre des aides non notifiées. Les requérantes ajoutent, enfin, qu’elles ont adressé à la Commission des études économiques de plus en plus précises.

59      La Commission estime qu’elle a indiqué dans la décision attaquée (sous le point D.1) la manière dont ont été distribués les « coûts complets », contrairement à ce que prétendent les requérantes. Elle fait remarquer que la méthode suivie par La Poste, et acceptée par la Commission, y est décrite dans ses différentes étapes, ainsi que son résultat, c’est-à-dire le taux de couverture des « coûts complets » encourus par La Poste durant les différentes années. Selon la Commission, il est suffisant, aux fins du contrôle de l’existence d’une aide, de se référer à la méthode suivie et aux résultats obtenus sans reprendre les tableaux y afférents, lesquels alourdiraient excessivement le texte de la décision de la Commission. Elle ajoute que la jurisprudence n’exige pas que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, notamment lorsqu’il est question de choix techniques.

60      La Commission fait remarquer que la ventilation de ces coûts complets a été mise à sa disposition par les autorités françaises le 30 mai 1996. Cette ventilation distinguerait pour l’essentiel, avec de légères variations selon les années, les différentes opérations des bureaux de postes, des centres de tri et des agents de La Poste. Lesdits tableaux se rapporteraient toujours aux coûts complets et compareraient ces coûts aux prix de sous-traitance unitaires pour chaque prestation, afin d’établir un taux de couverture annuel. Or, ces données chiffrées auraient un caractère de secret commercial en tant qu’elles révèlent la structure des coûts et des flux financiers entre une société mère et sa filiale.

61      Chronopost souligne que l’obligation de motivation de la Commission à l’égard d’un plaignant consiste dans l’exposé des raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans la plainte n’ont pas suffi à démontrer l’existence d’une aide d’État. Toutefois, une motivation spécifique ne saurait être exigée ni pour chacun des choix techniques opérés ni pour les éléments manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires.

62      Chronopost estime que la motivation de la décision attaquée est suffisante. Elle souligne que la Commission n’est pas obligée d’inclure dans la décision attaquée tous les calculs comptables analytiques. Chronopost indique, en outre, que le prétendu défaut de motivation de la décision attaquée n’a été relevé ni par le Tribunal ni par la Cour, alors même que le défaut de motivation est une question d’ordre public et que, à ce titre, elle peut être soulevée d’office. Contrairement à la conclusion que les requérantes tirent de la jurisprudence, il suffirait que la Commission indique quels sont les calculs dont elle s’est servie.

 Appréciation du Tribunal

 Rappel de la jurisprudence en matière de motivation

63      Il y a lieu de rappeler que la motivation exigée par l’article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et la jurisprudence citée).

64      S’agissant plus particulièrement d’une décision de la Commission qui conclut à l’inexistence d’une prétendue aide d’État dénoncée par un plaignant, la Commission est, en tout état de cause, tenue d’exposer de manière suffisante au plaignant les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans la plainte n’ont pas suffi à démontrer l’existence d’une aide d’État. Toutefois, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 64).

65      Il y a lieu de souligner, par ailleurs, que, dans les cas où la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation afin d’être en mesure de remplir ses fonctions, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce et de motiver de façon suffisante ses décisions (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14).

66      En outre, même si, dans la motivation des décisions qu’elle est amenée à prendre pour assurer l’application des règles de concurrence, la Commission n’est pas obligée de discuter tous les points de fait et de droit ainsi que les considérations qui l’ont amenée à prendre une telle décision, il n’en reste pas moins qu’elle est tenue, en vertu de l’article 190 du traité, de mentionner, à tout le moins, les faits et les considérations revêtant une importance essentielle dans l’économie de sa décision, permettant ainsi au juge communautaire et aux parties intéressées de connaître les conditions dans lesquelles elle a fait application du traité (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 95, et la jurisprudence citée).

67      Il résulte également de la jurisprudence que, sauf circonstances exceptionnelles, une décision doit comporter une motivation figurant dans son corps et ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge (voir arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T‑295/94, Rec. p. II‑813, point 171, et European Night Services e.a./Commission, précité, point 95, et la jurisprudence citée). En effet, il y a lieu de rappeler que la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant les juridictions communautaires (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 463). Dès lors, lorsqu’une décision de la Commission faisant application de l’article 92 du traité est entachée d’omissions importantes, la Commission ne peut y porter remède en invoquant pour la première fois devant le Tribunal des données et d’autres éléments d’analyse permettant de constater que son application de l’article 92 du traité a été correcte, à moins qu’il ne s’agisse d’éléments d’analyse qui n’avaient été contestés par aucune des parties pendant la procédure administrative préalable (voir, en ce sens, arrêt European Night Services e.a./Commission, précité, point 96).

68      Il s’ensuit que l’argumentation présentée par les agents de la Commission devant le Tribunal ne saurait remédier à l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée (voir arrêt du Tribunal du 18 janvier 2005, Confédération nationale du Crédit mutuel/Commission, T‑93/02, Rec. p. II‑143, point 126, et la jurisprudence citée).

69      En effet, le dispositif et les motifs d’une décision, qui doit être obligatoirement motivée en vertu de l’article 190 du traité, constituent un tout indivisible, de sorte qu’il appartient uniquement au collège des membres de la Commission, en vertu du principe de collégialité, d’adopter à la fois l’un et les autres, toute modification des motifs dépassant une adaptation purement orthographique ou grammaticale étant du ressort exclusif du collège (arrêt Confédération nationale du Crédit mutuel/Commission, précité, point 124, faisant référence à l’arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555, points 66 à 68).

70      Il convient de rappeler, à cet égard, que le juge communautaire est tenu, dans le cadre d’un recours en annulation introduit au titre de l’article 173 du traité CE (devenu article 230 CE), de se limiter à un contrôle de la légalité de l’acte attaqué. En conséquence, il n’appartient pas au Tribunal de pallier l’éventuelle absence de motivation ou de compléter ladite motivation de la Commission en y rajoutant ou en y substituant des éléments qui ne ressortent pas de la décision attaquée elle-même.

71      Il convient donc d’examiner si la décision attaquée, qui est fondée sur des évaluations économiques complexes, a été prise dans le respect des principes qui viennent d’être énoncés. En particulier, sur la base de la jurisprudence citée aux points 66 à 70 ci-dessus, il y a lieu d’examiner le respect par la Commission de l’obligation de motivation uniquement au regard des motifs figurant dans le corps du texte de la décision attaquée elle-même.

 Sur la portée du contrôle du respect de l’obligation de motivation dans le cas d’espèce

72      Il importe de rappeler que le Tribunal est tenu d’examiner le respect par la Commission de son obligation de motivation au titre de l’article 190 du traité quant à sa conclusion relative à l’absence d’aide d’État en faveur de la SFMI-Chronopost. À la lumière des principes dégagés par la Cour dans son arrêt, repris au point 50 ci-dessus, cela implique notamment l’examen du caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée concernant, d’une part, la question de savoir si la contrepartie exigée de la SFMI-Chronopost couvre, premièrement, tous les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, deuxièmement, une contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal et, troisièmement, une rémunération appropriée des capitaux propres dans la mesure où ils sont affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost, et, d’autre part, la question de savoir s’il existe ou non des indices que ces éléments ont été sous-estimés ou fixés de manière arbitraire.

73      À cet égard, le Tribunal estime que, si les raisons pour lesquelles la Commission a rejeté la méthode de calcul des coûts proposée par les requérantes ressortent clairement des motifs exposés aux considérants 49 à 56 de la décision attaquée, cette motivation doit également comporter une explication suffisante quant à la manière dont la Commission a, en utilisant la méthode dite des « coûts complets », calculé et évalué les coûts de La Poste – en ce compris les coûts reconnus comme pertinents à ce titre par la Cour dans son arrêt sur pourvoi – ainsi qu’à la contrepartie exigée à cet égard de la part de la SFMI-Chronopost afin de permettre au Tribunal d’exercer le contrôle de la légalité de l’appréciation de la Commission quant à l’existence d’une aide d’État. Dans ce contexte, il y a lieu de rejeter l’argument de Chronopost selon lequel la décision attaquée serait suffisamment motivée dès lors que ni le Tribunal ni la Cour n’ont soulevé le défaut de motivation, lequel constitue un moyen d’ordre public. En effet, ni le Tribunal ni la Cour n’étaient tenus de soulever le défaut de motivation à ce titre, eu égard à l’annulation par le Tribunal, en première instance, de la décision attaquée uniquement pour erreur de droit dans l’application de l’article 92 du traité (points 64 à 79 de l’arrêt du Tribunal) et la limitation du contrôle de la Cour à la légalité de l’appréciation que le Tribunal a effectuée à l’appui de cette conclusion (points 31 à 42 de l’arrêt de la Cour).

74      Dès lors, le Tribunal estime nécessaire d’examiner la question de savoir si la Commission a motivé de manière suffisante son appréciation, premièrement, quant à la couverture des coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, deuxièmement, concernant la contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal, et troisièmement, quant à la rémunération appropriée des capitaux propres.

 Sur la motivation de la décision attaquée concernant les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale

75      En ce qui concerne les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale par La Poste à la SFMI-Chronopost, il est indiqué au trente-troisième considérant de la décision attaquée ce qui suit :

« Pour calculer le montant total de l’assistance apportée à [la] SFMI-Chronopost, La Poste calcule d’abord ses coûts opérationnels directs, hors frais de siège et de directions régionales, en fonction de la gamme de production (chaîne d’opérations élémentaires) correspondant à la prestation et des volumes de trafic réels. Les frais de siège et des directions régionales sont alors alloués au prorata des coûts de revient de chaque prestation.

En ce qui concerne la gamme de production, La Poste n’avait pas de système de comptabilité analytique lui permettant de calculer les coûts réels liés à la fourniture de cette assistance logistique à [la] SFMI-Chronopost. Jusqu’en 1992, ces coûts étaient calculés sur la base d’estimations. Les prestations fournies à [la] SFMI-Chronopost étaient décomposées en une suite d’opérations élémentaires qui, avant 1992, n’avaient pas été chronométrées. Pour établir ces coûts, La Poste assimilait ces prestations à des services postaux existants et de nature similaire, dont les différentes opérations avaient déjà été chronométrées et évaluées (dépôt d’une lettre recommandée, par exemple). En 1992, la durée et le coût des opérations en question ont été calculés en tenant compte des volumes réels de trafic relevant du courrier express. Ces calculs ont permis à La Poste d’estimer le coût réel de son assistance logistique. »

76      À cet égard, la Commission a conclu, au cinquante-septième considérant de la décision attaquée, comme suit :

« La Commission considère que les prix internes auxquels les produits et les services sont échangés entre des sociétés appartenant au même groupe ne comportent aucun avantage financier, quel qu’il soit, s’il s’agit des prix calculés sur la base des coûts complets (c’est-à-dire les coûts totaux plus la rémunération des capitaux propres). En l’espèce, les paiements effectués par [la] SFMI-Chronopost ne couvraient pas les coûts totaux pendant les deux premières années d’exploitation, mais ils couvraient tous les coûts hors frais de siège et de directions régionales. La Commission considère que cette situation n’est pas anormale étant donné que le revenu provenant de l’activité d’une nouvelle entreprise appartenant à un groupe de sociétés peut ne couvrir que les coûts variables pendant la période de démarrage. Une fois que l’entreprise a stabilisé sa position sur le marché, le revenu qu’elle génère doit être supérieur aux frais variables, de manière à ce qu’elle contribue à la couverture des frais fixes du groupe. Au cours des deux premiers exercices (1986 et 1987), les paiements effectués par [la] SFMI-Chronopost couvraient non seulement les frais variables, mais aussi certains frais fixes (par exemple immeubles et véhicules). La France a démontré qu’à partir de 1988 la rémunération payée par [la] SFMI-Chronopost pour l’assistance qui lui a été fournie couvre tous les coûts encourus par La Poste, plus une contribution à la rémunération des capitaux propres. En conséquence, l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale l’a été à des conditions normales de marché et elle ne constituait pas une aide d’État. »

77      Ces motifs n’indiquent pas suffisamment la portée exacte qu’entend donner la Commission aux notions économiques et comptables utilisées à ce titre ni le caractère précis des coûts examinés par elle pour justifier l’absence d’aide d’État, afin de permettre au Tribunal d’effectuer son contrôle sur la question de savoir si ces coûts correspondent effectivement aux coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale au sens de l’arrêt de la Cour.

78      En effet, en ce qui concerne la notion des coûts opérationnels directs, mentionnée au trente-troisième considérant de la décision attaquée, la Commission a seulement indiqué, dans la lettre de la Commission du 27 mai 2005, fournie en réponse à une question écrite du Tribunal, qu’il s’agissait des coûts attribuables. La Commission a ajouté dans cette lettre que, au sein de La Poste, ces coûts attribuables incluaient également une partie des coûts fixes, hors frais de siège et de directions régionales.

79      Or, au regard de la seule décision attaquée, il n’est pas possible de savoir quels ont été les coûts opérationnels directs, ni quels sont les coûts qui, dans la comptabilité de La Poste, sont directement attribuables aux différentes activités. En effet, les coûts attribuables varient dans les différentes entreprises selon le système de comptabilité utilisé.

80      Le Tribunal considère, à titre surabondant, que cette question n’est pas non plus clarifiée au regard des écritures de la Commission soumises en cours d’instance dont le Tribunal ne saurait, en tout état de cause, tenir compte dans le cadre de l’examen de la motivation de la décision attaquée en tant que telle (voir points 66 à 70 ci-dessus). Dans ses écritures, la Commission explique que, sur la base de la comptabilité analytique comportant une séparation appropriée des différents postes, la démarche suivie dans la décision attaquée visait à regrouper les différentes charges (achats externes de biens et services, personnel, amortissements et maintenance des immobilisations) selon leur caractère soit opérationnel (activités de bureaux, de transport, de distribution, de tri, de type financier) – s’agissant des coûts directs (variables, c’est-à-dire imputables à un objet traité, et fixes) – soit structurel (structures administratives régionales ou nationales pour le courrier ou les services financiers, structures communes) – s’agissant des coûts indirects (entièrement fixes). Par la suite, les charges indirectes (fixes) des structures (tant les charges communes que celles particulières au courrier ou aux services financiers) ont été imputées aux activités « courrier » au prorata des coûts opérationnels (directs) engendrés par chacune des activités. Ainsi, pour les quatre activités « courrier » (collecte, distribution, tri et transport), les coûts indirects (charges des structures non opérationnelles comprenant aussi les charges publicitaires et commerciales centrales et départementales) ont été imputés au prorata des coûts directement impliqués par chacune desdites activités. Le coût des différentes unités d’œuvre (minute de travail ou tonne transportée) résulterait de la division des coûts réels complets relatifs à chaque activité par le nombre précis de minutes de travail chronométré (ou de tonnage transporté). C’est en multipliant ce coût unitaire par le temps consacré aux prestations rendues à la SFMI-Chronopost (ou au poids transporté) que l’on arriverait à déterminer le coût global des prestations fournies par La Poste à sa filiale.

81      Le Tribunal considère que ces explications ne font que renforcer la conclusion selon laquelle la motivation de la décision attaquée en tant que telle est beaucoup trop générale pour permettre au Tribunal de contrôler la légalité de l’appréciation de la Commission quant à la question de savoir si tous les coûts occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale par La Poste à la SFMI-Chronopost ont été couverts. L’insuffisance de la motivation est encore accentuée par le fait que, dans la décision attaquée, la Commission utilise différentes notions économiques et comptables d’une façon imprécise. En effet, la lecture du cinquante-septième considérant de la décision attaquée, selon lequel « [a]u cours des deux premiers exercices (1986 et 1987), les paiements effectués par [la] SFMI-Chronopost couvraient non seulement les frais variables, mais aussi certains frais fixes (par exemple immeubles et véhicules) », ne permet pas de déterminer avec précision quels ont été ces « certains frais fixes », que la SFMI-Chronopost aurait couverts.

82      En outre, la décision attaquée ne comporte pas d’explication sur la question de savoir de quelle manière les prestations fournies à la SFMI-Chronopost étaient décomposées en une suite d’opérations élémentaires ou de quelle manière La Poste a assimilé ces prestations à des services postaux existants et de nature similaire. Or, étant donné que les prestations fournies à la SFMI-Chronopost n’avaient pas été chronométrées avant l’année 1992 et que, jusqu’en 1992, les coûts réels liés à la fourniture de l’assistance logistique et commerciale à la SFMI-Chronopost par La Poste étaient calculés sur la base d’estimations, il aurait été nécessaire d’expliquer dans la décision attaquée la façon dont cette assimilation avait été effectuée pour que le destinataire de la décision attaquée et les autres intéressés ainsi que le Tribunal puissent vérifier la présence ou l’absence d’éventuelles erreurs de fait ou d’appréciation dans cette démarche.

83      Des explications précises auraient été particulièrement nécessaires pour pouvoir vérifier la manière dont l’assistance commerciale fournie à la SFMI-Chronopost par La Poste a été prise en compte dans les coûts complets. De même que les prestations fournies à la SFMI-Chronopost, qui étaient liées à un produit certain, ont, selon la Commission, été isolées des autres activités de La Poste, il aurait fallu motiver la présence ainsi que l’importance des coûts associés à l’assistance commerciale. Or, il ne ressort aucunement des explications contenues dans la décision attaquée de quelle manière une telle assistance a été prise en compte dans le calcul des coûts complets.

84      En conséquence, il aurait été nécessaire d’inclure dans la décision attaquée une motivation adéquate à cet égard et, à tout le moins, un sommaire général des calculs comptables analytiques sur les prestations fournies à la SFMI-Chronopost, les données secrètes ayant éventuellement été purgées.

85      Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée ne comporte pas de motivation suffisante de l’appréciation de la Commission quant aux coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale.

 Sur la motivation concernant la contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal

86      En ce qui concerne la contribution aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal, il ressort du trente-troisième considérant de la décision attaquée que « [l]es frais du siège et des directions régionales sont […] alloués au prorata des coûts de revient de chaque prestation ».

87      Il est à noter que, au vu de la seule décision attaquée, il n’est pas possible de déterminer quels types de coûts sont inclus dans ces frais de siège et de directions régionales. En particulier, le Tribunal ne peut pas vérifier si, de l’avis de la Commission, une partie des frais de siège et de directions régionales constitue des coûts susceptibles d’être qualifiés de coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal qui, de ce fait, auraient dû être pris en compte pour le calcul de la contrepartie exigée de la SFMI-Chronopost. Or, cette qualification revêt une importance particulière, étant donné que la Commission a également constaté dans la décision attaquée que les frais de siège et de directions régionales de La Poste n’ont pas été couverts à 100 % par la rémunération payée par la SFMI-Chronopost pendant les années 1986 et 1987. Au contraire, il ressort du trente-troisième considérant de la décision attaquée que le taux de couverture des coûts complets n’était que de 70,3 % pour l’année 1986 et de 84,3 % pour l’année 1987.

88      En particulier, la Commission n’a pas déterminé de façon précise quels étaient, selon elle, les coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau de La Poste par la SFMI-Chronopost. Notamment, la décision attaquée ne précise pas s’il existe des coûts fixes autres que les frais de siège et de directions régionales qui auraient dû être considérés comme des coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal et qui, par hypothèse, ne relevaient pas de la catégorie de coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale à la SFMI-Chronopost. Partant, le Tribunal n’est pas en mesure de vérifier si cette contribution aux coûts fixes a été effectuée correctement au regard des exigences dégagées par la Cour dans son arrêt.

89      Par conséquent, dans ces circonstances, la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée en ce qu’elle ne permet pas au Tribunal de vérifier, d’une part, si les coûts de siège et de directions régionales comprennent des coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal, et, d’autre part, s’il existait d’autres coûts fixes de La Poste associés à l’utilisation du réseau postal que la contrepartie exigée de la SFMI-Chronopost aurait dû couvrir conformément aux exigences établies par la Cour dans son arrêt rendu sur pourvoi.

 Sur la motivation concernant la rémunération appropriée des capitaux propres

90      Quant à la rémunération des capitaux propres, la Commission affirme au cinquante-septième considérant de la décision attaquée que « [l]a France a démontré qu’à partir de 1988 la rémunération payée par [la] SFMI-Chronopost pour l’assistance qui lui a été fournie couvre tous les coûts encourus par La Poste, plus une contribution à la rémunération des capitaux propres ». Cependant, la décision attaquée n’indique pas quelle a été la contribution que la SFMI-Chronopost a apportée pour rémunérer les capitaux propres de La Poste.

91      Certes, il ressort de la décision attaquée que la Commission a calculé le TRI. Toutefois, la décision attaquée ne précise pas si ce calcul du TRI a été effectué pour démontrer que le critère de l’investisseur privé était rempli et/ou pour calculer la rémunération des capitaux propres. À cet égard, il est uniquement exposé, au cinquante-huitième considérant de la décision attaquée, que « [l]a Commission a également examiné la question de savoir si le comportement de La Poste en tant qu’actionnaire de [la] SFMI-Chronopost se justifie commercialement au regard du principe de l’investisseur en économie de marché […] » et que « [p]our établir si La Poste s’est comportée comme un investisseur en économie de marché, la Commission doit examiner le rendement pour la société mère en termes de dividendes et de plus-value en capital ».

92      En outre, même à supposer que le calcul du TRI, tel que reproduit dans la décision attaquée, ait servi à vérifier la rémunération des capitaux propres affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost, la décision attaquée ne détermine pas l’identité des capitaux dont la Commission estime qu’ils sont effectivement affectés à cette activité pour conclure à l’absence d’aide d’État. À cet égard, la Commission se limite à affirmer, au cinquante-neuvième considérant de la décision attaquée, que « [p]our calculer le TRI, la Commission a pris en considération, d’un côté, l’injection de capital effectuée par La Poste en 1986 et, de l’autre, les dividendes versés par [la] SFMI-Chronopost au cours de la période 1986-1991 et la valeur de cette société en 1991 ». La Commission ajoute, au soixante-deuxième considérant de la décision attaquée, avoir « calculé le TRI et l’a[voir] comparé au coût des fonds propres de [la] SFMI-Chronopost en 1986 (13,65 %), année où la société a été constituée et est entrée en activité, ce qui lui a permis de vérifier si la rentabilité de l’investissement dans son ensemble a été suffisante » pour en conclure que « [l]e TRI calculé par la Commission excède largement le coût du capital en 1986 » et que « [l]es transactions financières qui ont eu lieu entre La Poste et sa filiale au cours de la période 1986-1991 ne comportaient par conséquent aucun élément d’aide ». Ainsi, la décision attaquée indique uniquement que, d’une part, la Commission a pris en compte l’injection de capital effectuée par La Poste en 1986, et, d’autre part, des transactions financières qui ont eu lieu entre La Poste et sa filiale au cours de la période 1986-1991, sans que la Commission identifie avec suffisamment de précision de quelles transactions financières il s’agit.

93      Par ailleurs, même à supposer que le TRI reflète avec suffisamment de précision la rémunération des capitaux propres affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost, le Tribunal n’est, en tout état de cause, pas en mesure de contrôler si cette éventuelle rémunération des capitaux propres a été appropriée au sens du point 40 de l’arrêt de la Cour, étant donné que le calcul chiffré du TRI ne ressort pas de la décision attaquée.

 Sur la motivation concernant la couverture des coûts en général

94      En ce qui concerne les conclusions de la Commission, reprises au cinquante-septième considérant de la décision attaquée, selon lesquelles « [a]u cours des deux premiers exercices (1986 et 1987), les paiements effectués par [la] SFMI-Chronopost couvraient non seulement les frais variables, mais aussi certains frais fixes (par exemple immeubles et véhicules) » et « [l]a France a démontré qu’à partir de 1988 la rémunération payée par [la] SFMI-Chronopost pour l’assistance qui lui a été fournie couvre tous les coûts encourus par La Poste, plus une contribution à la rémunération des capitaux propres », il y a lieu de considérer qu’il s’agit d’affirmations purement péremptoires. En effet, la décision attaquée ne comporte ni un examen détaillé des phases distinctes du calcul de la rémunération de l’assistance en cause ou des coûts d’infrastructures imputables à cette assistance, ni de données chiffrées de l’analyse des coûts y afférents. À ce titre, la Commission se contente d’affirmer que les coûts complets de La Poste étaient couverts par la rémunération de la SFMI-Chronopost, sans pour autant préciser les chiffres et les calculs sur lesquels elle fonde son analyse et ses conclusions.

95      Dans ces conditions, il est impossible au Tribunal de contrôler si la méthode employée et les étapes d’analyse suivies par la Commission sont exemptes d’erreurs et compatibles avec les principes dégagés dans l’arrêt de la Cour pour déterminer l’existence ou l’absence d’une aide d’État.

 Sur la nécessité d’une motivation détaillée

96      En outre, il y a lieu de rappeler que la portée de l’obligation de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce qui, le cas échéant, sont susceptibles de justifier une motivation plus détaillée.

97      En l’espèce, les circonstances justifiant une motivation plus détaillée résident dans le fait que, premièrement, il s’agissait d’une des premières décisions abordant la question complexe, dans le cadre de l’application des dispositions en matière d’aides d’État, du calcul des coûts d’une société mère opérant dans un marché réservé et fournissant de l’assistance logistique et commerciale à sa filiale n’opérant pas dans un marché réservé. Deuxièmement, le retrait de la première décision de rejet de la Commission du 10 mars 1992 après l’introduction d’un recours en annulation et l’arrêt SFEI de la Cour auraient dû amener la Commission à motiver son approche avec d’autant plus de diligence et de précision quant aux points contestés. Enfin, le fait que les requérantes ont soumis plusieurs études économiques durant la procédure administrative aurait également dû conduire la Commission à préparer une motivation soigneuse tout en répondant aux arguments essentiels des requérantes, tels qu’étayés par ces études économiques.

98      Dans ces circonstances, le Tribunal considère que la motivation de la décision attaquée, laquelle se limite à une explication très générale de la méthode d’appréciation des coûts suivie par la Commission et du résultat final obtenu, sans pour autant imputer, avec la précision requise, les différents coûts de La Poste occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale à la SFMI-Chronopost ainsi que les coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal, et préciser la rémunération des capitaux propres, ne répond pas aux exigences de l’article 190 du traité.

99      Quant à l’argument de la Commission selon lequel les données chiffrées liées auxdits calculs présentent un caractère de secret commercial, il suffit de constater que la Commission aurait pu expliquer davantage les méthodes suivies et les calculs opérés sans divulguer d’éventuels secrets commerciaux. Cette possibilité se voit d’ailleurs confirmée par les explications fournies par la Commission en cours d’instance, notamment dans ses écritures et dans ses réponses aux questions orales et écrites du Tribunal. En tout état de cause, la Commission aurait pu fournir des données expurgées et des versions non confidentielles de ces analyses.

100    En conséquence, il y a lieu de considérer que la décision attaquée ne permet pas au Tribunal de vérifier l’existence et l’importance des différents coûts qui tombent sous la notion des coûts complets, tels que définis par la Commission dans la décision attaquée. Dès lors, la motivation de la décision attaquée ne permet pas au Tribunal de contrôler la légalité de l’appréciation que la Commission a effectuée à cet égard ainsi que sa compatibilité avec les exigences établies par la Cour dans son arrêt sur pourvoi afin de conclure à l’absence d’une aide d’État.

101    Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler la décision attaquée pour défaut de motivation dans la mesure où celle-ci conclut que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost ne constitue pas une aide d’État.

3.     Sur le moyen tiré de la violation de la notion d’aide d’État

 Remarques liminaires

102    Eu égard à ce qui précède, il n’est pas possible d’examiner les arguments, invoqués par les requérantes sous la première branche du quatrième moyen, tirés du prétendu défaut de couverture des coûts de la SFMI-Chronopost, de la sous-estimation et du caractère arbitraire de certains éléments retenus par la Commission, des erreurs dans les ajustements comptables effectués dans l’annexe 4 du rapport Deloitte, du niveau anormalement élevé du TRI ou des causes de la rentabilité de la SFMI-Chronopost.

103    En ce qui concerne les autres arguments que les requérantes ont soulevés sous la première branche du quatrième moyen, à savoir les prétendues erreurs manifestes liées à la méthode dite de « rétropolation » linéaire ainsi qu’à l’absence de comptabilité analytique de La Poste à l’époque pertinente, ils seront traités ci-après.

 Sur la violation de la notion de conditions normales de marché

 Sur le recours à la méthode de rétropolation

–       Arguments des parties

104    Les requérantes considèrent que, étant donné l’absence de comptabilité analytique au sein de La Poste en 1992, la méthode de rétropolation des calculs portant sur les années 1986 à 1992 n’était pas justifiée. Les requérantes soulignent que la Commission avait connaissance de l’absence de comptabilité analytique avant l’adoption de la décision attaquée. À cet égard, les requérantes rappellent que, en 1996, le conseil de la concurrence français avait déjà relevé que la comptabilité de La Poste ne permettait pas la répartition de l’imputation des frais du réseau. En conséquence, la Commission aurait dû, selon les requérantes, refuser d’accepter une méthode d’appréciation des coûts de La Poste se fondant sur une telle comptabilité.

105    Les requérantes en concluent que la Commission était dans l’impossibilité d’imputer les coûts opérationnels de sous-traitance de La Poste.

106    Les requérantes relèvent trois erreurs. Premièrement, le coût unitaire total de production des activités de courrier express ne serait pas constant, mais il décroîtrait largement avec l’augmentation du volume de production. Or, la méthode choisie par la Commission ne tiendrait pas compte des rendements d’échelle croissants. En conséquence, cette méthode conduirait à sous-évaluer les coûts générés par les prestations destinées à la SFMI-Chronopost pour la période initiale, et ce d’autant plus qu’il s’agissait d’un type de prestation où, dès le début de l’activité, il y avait lieu de supporter des coûts fixes importants. Les requérantes estiment, à cet égard, que le choix de la méthode de rétropolation linéaire a conduit à réduire les coûts dans une proportion de 3 à 1.

107    Deuxièmement, le « déflateur » choisi, à savoir le taux de croissance de la masse salariale, ne serait pas adéquat d’un point de vue économique. Les requérantes soutiennent que l’évolution de la masse salariale ne peut servir de « déflateur » des coûts de la Poste, car le coût de traitement d’un envoi de la SFMI-Chronopost ne dépend nullement de l’évolution du nombre de salariés de La Poste. Des embauches importantes auraient pu être faites pour des raisons conjoncturelles ou pour d’autres activités sans aucun lien avec les activités de la SFMI-Chronopost. Pour obtenir les coûts d’une seule activité (la sous-traitance pour la SFMI-Chronopost), ce serait le taux de croissance du coût d’une minute de travail dans les bureaux de poste et les centres de tri qui aurait dû être utilisé. Selon les requérantes, l’utilisation du « point 539 », à savoir le taux de croissance du coût d’une minute de travail, aurait donc été plus opportune.

108    Troisièmement, les requérantes considèrent que la Commission aurait dû utiliser les factures fondées sur des barèmes de prix de cession au lieu de la méthode de rétropolation. Les requérantes précisent que le recours à la méthode de rétropolation n’est pas justifié dès lors que, dès 1986, La Poste et la SFMI-Chronopost avaient signé des contrats définissant de manière précise une méthode pour l’établissement des coûts complets de sous-traitance et que ces coûts complets ont été effectivement mis en oeuvre.

109    Dans ces conditions, les requérantes soutiennent qu’elles ont apporté la preuve de l’existence d’une méthode alternative et plus précise que la méthode de rétropolation.

110    En ce qui concerne l’affirmation de la Commission selon laquelle l’argument relatif à la méthode de rétropolation linéaire serait un grief nouveau, les requérantes font valoir que le contenu de la notion de « conditions normales de marché » a été modifié par l’interprétation retenue dans l’arrêt de la Cour, et non par le moyen des requérantes. Elles soutiennent que leur moyen a toujours visé également la question de savoir si les coûts de La Poste pour la fourniture de l’assistance logistique avaient été couverts. Une formulation nouvelle de l’un des arguments avancés par elles depuis la requête serait recevable. Les requérantes auraient seulement modifié la présentation des moyens pour tenir compte de l’arrêt de la Cour.

111    Les requérantes ajoutent qu’elles n’ont pas pu connaître les détails de la méthode de rétropolation sur la base de la décision attaquée, étant donné qu’elles n’ont eu accès au rapport Deloitte qu’à la suite des mesures d’organisation de la procédure prises par le Tribunal et que, partant, ce n’est que dans le mémoire en réplique qu’elles ont pu préciser leur argumentation sur la méthode de rétropolation.

112    La Commission considère, à titre principal, que la critique portant sur le caractère linéaire de la méthode de rétropolation, qui, selon les requérantes, devait tenir compte des économies d’échelle, constitue un grief nouveau qui, de ce fait, doit être rejeté comme irrecevable.

113    À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que le raisonnement relatif aux économies d’échelle n’aurait de sens que si l’entreprise avait commencé à établir son réseau ex novo. Or, la SFMI-Chronopost ne serait que le produit de la diversification de La Poste qui réaliserait ainsi, grâce à son réseau, des économies de gamme de manière efficace, en exerçant une activité très analogue à son activité principale. Elle rappelle que le volume des opérations de Chronopost par rapport à celles de La Poste était de l’ordre de 1/3000 en 1992.

114    La Commission admet que ce n’est qu’à partir de l’année 1992 que l’ensemble des opérations du courrier a fait l’objet de chronométrages précis et homogènes et qu’une comptabilité analytique fiable avec affinement du calcul du coût des « unités d’œuvre » au moment même de l’engagement des charges a vu le jour au sein de La Poste. Elle indique que c’est la raison pour laquelle elle a dû avaliser, pour le passé, la méthode de rétropolation proposée par des experts. Elle fait valoir que cette méthode se fondait sur des données fiables pour l’année 1992 et a été appliquée aux opérations passées de la SFMI-Chronopost, qui avaient été reprises chaque année dans la comptabilité datant de 1986 et vérifiées par les commissaires aux comptes.

115    Elle soutient que le recours par la Commission à un tel type de méthodologie « globalisante » aurait été avalisé dans son principe par le Tribunal dans son arrêt du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission (T‑106/95, Rec. p. II‑229, points 103 et suivants) ainsi que les données comptables sur la base desquelles elle a été appliquée.

116    La Commission, soutenue par la République française, maintient que les requérantes n’ont pas apporté la preuve, d’une part, de l’existence d’une méthode alternative et plus précise et, d’autre part, que la Commission a fondé sa décision sur des faits matériellement inexacts ou a outrepassé son pouvoir d’appréciation en la matière.

117    En ce qui concerne les données fournies pour l’année 1992, la Commission souligne que les autorités françaises ont communiqué le 24 mai 1996 la rectification pour l’année 1992 ainsi que les calculs relatifs aux années 1986 à 1991, qui étaient depuis lors fondés sur les tarifs réels et les coûts unitaires de l’année 1992 rétropolés, tout comme les calculs relatifs aux années 1993 à 1995, qui étaient basés sur les données de la comptabilité analytique de l’année considérée.

118    La Commission rappelle que la Cour a souligné dans son arrêt que les « conditions normales de marché » doivent s’apprécier par référence aux éléments objectifs et vérifiables qui sont disponibles. La Commission en déduit que, étant donné que la comptabilité qui existait en 1992 était la seule disponible, elle n’avait aucune raison de remettre en cause ces données, en l’absence d’autres données plus précises.

119    Quant au « déflateur » utilisé pour la rétropolation, qui était celui de l’évolution de la masse salariale, la Commission affirme qu’il a été retenu comme indice de l’évolution des coûts parce qu’il a été considéré comme étant le plus représentatif des coûts totaux de La Poste pour permettre l’actualisation des coûts depuis 1992, la masse salariale représentant environ 75 % des coûts de La Poste. La Commission estime que les requérantes n’ont pas pu proposer d’indice plus approprié pour la période concernée. Le point 539 aurait été un indice trop partiel, car il existerait deux points 539, un pour les bureaux et un pour le tri, auxquels s’ajoutent la « statistique 742 » pour la distribution et le coût de tonnage transporté. La Commission fait valoir que le fait d’avoir opté pour un déflateur plus global ne peut pas constituer une erreur manifeste d’appréciation. Elle fait encore remarquer que les requérantes n’ont même pas essayé de démontrer les coûts majorés selon la méthode alternative pour la période 1986-1992.

120    La Commission fait remarquer que les conventions tarifaires conclues entre La Poste et la SFMI sont tout à fait inappropriées pour définir les coûts complets, leur but étant de définir la rémunération sur les prestations d’exploitation ainsi que la rémunération commerciale de La Poste. La Commission conclut que les coûts complets réellement encourus devaient être calculés différemment pour être, ensuite, comparés à la rémunération acquittée afin de conclure à l’existence ou non d’aides.

121    La République française précise que La Poste n’a été tenue de fournir une comptabilité applicable aux entreprises du commerce qu’à compter de 1991, dans le cadre de la réforme générale mise en œuvre par la loi 90-568. Elle ajoute que La Poste a développé des méthodes de calcul des coûts suffisamment précises et homogènes qui, dès 1992, lui ont permis d’affiner l’évaluation des coûts réels supportés du fait des activités de sa filiale. Elle estime donc que la méthode retenue par la Commission dans la décision attaquée s’est appuyée sur les éléments d’analyse des coûts les plus fiables, tout en prenant dûment en compte la spécificité de la situation d’une entreprise telle que La Poste.

–       Appréciation du Tribunal

122    Il y a lieu d’examiner, à titre liminaire, l’affirmation de la Commission selon laquelle le grief des requérantes portant sur la méthode de rétropolation est nouveau et, de ce fait, irrecevable.

123    L’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure dispose que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

124    En l’espèce, il suffit de constater que les requérantes ont déjà critiqué, aux points 212 à 220 de leur requête, la méthode de rétropolation ayant conduit à l’estimation des coûts pour la période 1986-1991 en fonction des coûts pour l’année 1992. En particulier, les requérantes ont fait valoir que « l’extrapolation dans le passé […] présuppos[ait] que les coûts et les prix de sous-traitance évolu[ai]ent de façon constante et parallèle ». Ainsi, en précisant leur argumentation sur le caractère linéaire de la rétropolation, les requérantes n’ont pas soulevé un moyen nouveau ou distinct, mais ont développé leur raisonnement sur ce sujet, contenu dans la requête.

125    Il y a lieu de rappeler également que les requérantes ont dû introduire leur recours sans avoir eu accès ni au rapport Deloitte ni aux réponses du gouvernement français. En effet, ces documents n’ont été transmis aux requérantes qu’à la suite des mesures d’organisation de la procédure prises en mai 1998.

126    À cet égard, il importe de remarquer que la méthode de rétropolation a été expliquée dans la décision attaquée d’une façon succincte, puisque seuls les trente-troisième et quarante-troisième considérants de la décision attaquée donnent des explications sur cette méthode. Or, il ne ressort pas de ces considérants, d’une façon non équivoque, que la rétropolation a été linéaire.

127    Dans ces conditions, il ne saurait être reproché aux requérantes de ne pas avoir critiqué de manière détaillée la linéarité de la méthode de rétropolation dans leur requête. Il s’ensuit que l’argumentation relative à la linéarité de la méthode de rétropolation est recevable.

128    Sur le fond, il doit être rappelé que l’appréciation par la Commission de la question de savoir de quelle manière les coûts de La Poste occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale à sa filiale sont calculés en l’absence d’une comptabilité analytique implique une appréciation économique complexe. Or, la Commission, lorsqu’elle adopte un acte impliquant une appréciation économique complexe, jouit d’un large pouvoir d’appréciation et le contrôle juridictionnel dudit acte, même s’il est en principe « entier » pour ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir. En particulier, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation économique à celle de l’auteur de la décision (arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, BFM et EFIM/Commission, T‑126/96 et T‑127/96, Rec. p. II‑3437, point 81 ; du 12 décembre 2000, Alitalia/Commission, T‑296/97, Rec. p. II‑3871, point 105, et du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 282).

129    Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que la méthode de rétropolation linéaire consistait, en l’espèce, à déflater le coût de chaque produit en utilisant pour année de base le coût correspondant de 1992 et pour déflateur le taux de croissance de la masse salariale et, ensuite, à multiplier le coût déflaté ainsi obtenu par le volume d’activité du produit donné pour l’année en question.

130    Les requérantes contestent le caractère linéaire de la rétropolation, en substance, au motif que cette méthode ne tient pas compte des rendements d’échelle croissants. Selon les requérantes, le coût unitaire total de production des activités de courrier express devrait diminuer avec l’augmentation du volume de production.

131    Ce raisonnement se réfère au cas d’une entreprise privée commençant son activité et, en particulier, à l’hypothèse où celle-ci met en place son réseau de distribution ex novo. Il ne s’applique pas à la mise en place d’une activité nouvelle qui ne représente qu’une petite partie d’une activité déjà existante et pour laquelle ont déjà été supportés la plupart des coûts fixes. En effet, dans un secteur tel que celui visé en l’espèce, où les coûts fixes sont très importants, mais résultent de l’existence même du réseau de La Poste et indépendamment de l’activité de la société filiale, la thèse des requérantes ne saurait être retenue.

132    En outre, les explications de la Commission − selon lesquelles notamment la proportion des opérations pour la SFMI-Chronopost étant restée marginale par rapport au trafic global de La Poste, il ne serait pas possible de réaliser de véritables économies d’échelle − ne sont pas contredites par les requérantes.

133    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans le choix de la méthode de rétropolation linéaire.

134    En ce qui concerne la critique des requérantes quant au choix de l’année à partir de laquelle a été effectuée la rétropolation, il y a lieu de rappeler que, jusqu’en 1991, La Poste faisait partie de l’administration française et n’avait pas l’obligation de tenir une comptabilité analytique. En effet, ce n’est qu’après l’entrée en vigueur de la loi 90-568 que les obligations comptables de La Poste ont été alignées sur celles d’une entreprise privée.

135    En outre, s’agissant du choix de l’année 1992 comme point de départ pour la rétropolation des coûts, la Commission a indiqué, sans être contredite par les requérantes, que ce n’est qu’à partir de 1992 que les chronométrages précis et la comptabilité analytique ont permis un calcul exact des coûts des prestations pour la SFMI-Chronopost.

136    En effet, la Commission devait pallier l’absence de comptabilité analytique au sein de La Poste avant l’année 1992. Étant donné que la comptabilité de l’année 1992 était la première à être effectuée selon le système de comptabilité analytique, la Commission était en droit de s’y référer. Cela d’autant plus que, ainsi que la Cour l’a fait valoir dans son arrêt, les conditions normales de marché doivent s’apprécier par référence aux éléments objectifs et vérifiables qui sont disponibles. D’ailleurs, les requérantes n’ont pas pu démontrer qu’il existait d’autres données plus précises.

137    De plus, le fait que la Commission a pallié l’absence de comptabilité analytique au sein de La Poste avant l’année 1992 en recourant à la méthode de rétropolation relève du large pouvoir d’appréciation dont elle dispose en la matière.

138    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans le choix de l’année sur la base de laquelle la rétropolation a été effectuée.

139    En ce qui concerne les arguments que les requérantes tirent du rapport de la Cour des comptes française, il y a lieu de rappeler que les requérantes n’ont pas démontré quelles bases objectives la Commission aurait dû utiliser au lieu de la comptabilité de La Poste de l’année 1992. Ainsi, même à supposer que la comptabilité de La Poste en 1992 n’était pas analytique, aucune erreur manifeste de la Commission ne saurait être relevée, étant donné que la Commission a légitimement pu utiliser la comptabilité de La Poste qui était la seule à permettre une appréciation du soutien en cause par rapport aux coûts réels au sens de l’arrêt de la Cour.

140    En ce qui concerne le déflateur choisi, c’est-à-dire le taux de croissance de la masse salariale, cette dernière correspondant à l’ensemble des salaires et des cotisations sociales des employeurs, la Commission a expliqué qu’il s’agissait d’un choix logique, étant donné que les salaires représentaient 75 % des coûts du réseau opérationnel de La Poste.

141    Il est certes vrai que le taux de croissance de la masse salariale est lié à l’évolution globale des effectifs de La Poste et que l’utilisation du coût unitaire de travail aurait mieux permis l’obtention du coût d’une seule activité. Comme il ressort du rapport Deloitte de 1996, si un coût est estimé à 100 en 1992 et que la masse salariale a évolué de 5 % entre 1991 et 1992, le coût rétropolé de 1991 est porté à 95,2.

142    Cependant, les requérantes n’ont pas démontré que l’affirmation de la Commission, selon laquelle les salaires constituent l’élément principal des coûts de La Poste, serait erronée et que, ainsi, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en choisissant la masse salariale en tant que déflateur. Les requérantes n’ont pas non plus prouvé que l’utilisation d’un autre déflateur aurait conduit à l’augmentation des coûts de La Poste tels que résultant de la rétropolation.

143    En outre, en réponse aux affirmations des requérantes soulevées pendant la procédure devant le Tribunal, La Poste a produit deux rapports supplémentaires émanant du cabinet Deloitte, à savoir un rapport de 1999 et un rapport de 2004, dans lesquels il a été procédé au calcul de rétropolation en utilisant le point 539 (bureau) et le coût moyen d’un salarié. Les résultats de ces calculs, qui sont présentés à l’annexe 4 du rapport de 1999 et à la page 17 du rapport de 2004, montrent que l’utilisation de ces deux coefficients conduirait à minorer légèrement les coûts complets de La Poste pour la période 1986-1992 par rapport à l’utilisation de la masse salariale en tant que déflateur. Ainsi, ces calculs démontrent que le déflateur proposé par les requérantes ne conduirait pas à ce que les coûts complets de La Poste pour la fourniture de l’assistance logistique et commerciale à sa filiale soient plus élevés.

144    En conséquence, il y a lieu de conclure que les requérantes ne sont pas arrivées à démontrer que la rétropolation aurait abouti à des résultats différents − et encore moins à des résultats majorant les coûts de La Poste − si la Commission avait choisi un autre déflateur. Il s’ensuit qu’il y a lieu de conclure que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation dans son choix de déflateur.

145    En ce qui concerne les arguments des requérantes selon lesquels la Commission aurait dû utiliser les conventions existant entre La Poste et la SFMI-Chronopost au lieu de la méthode de rétropolation, il suffit de constater, comme le fait la Commission, que les conventions entre La Poste et la SFMI-Chronopost sont inappropriées pour définir les coûts complets, leur but étant de définir la rémunération sur les prestations d’exploitation ainsi que la rémunération commerciale de La Poste. En effet, la Commission souligne, à juste titre, qu’une convention tarifaire n’équivaut pas à une comptabilité analytique et est ainsi dépourvue de pertinence pour le calcul des coûts.

146    En conséquence, les requérantes n’ont pas expliqué comment l’utilisation de ces conventions aurait pu conduire à une évaluation plus exacte des coûts occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale à la SFMI-Chronopost que l’utilisation de la méthode de rétropolation.

147    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche du quatrième moyen dans la mesure où cette branche est liée à la méthode de rétropolation.

 Sur la non-prise en compte de certains éléments dans la notion d’aides d’État

 Sur le transfert de Postadex

–       Arguments des parties

148    Les requérantes considèrent que la Commission a commis une erreur de droit en estimant que le transfert gratuit de Postadex s’inscrit dans le cadre des relations entre les sociétés d’un même groupe. Premièrement, la Commission aurait eu tort de considérer que le transfert gratuit d’un actif incorporel, tel qu’un fonds de commerce, était un acte normal caractéristique d’une relation entre une société mère et sa filiale. Selon les requérantes, en règle générale, le transfert d’un actif d’une société mère à sa filiale soit donne lieu à rémunération, soit prend la forme d’une injection de capital, soit fait l’objet d’une créance au profit de la société mère. Il serait rarement dans l’intérêt d’une société mère de transférer un actif à titre gratuit.

149    Elles estiment que, si un expert indépendant avait déterminé la valeur de Postadex, elle aurait été estimée à une valeur supérieure à 38 millions de FRF (environ 5 793 062 euros). En effet, le dernier chiffre d’affaires annuel de Postadex, lors du transfert, serait représentatif de cette valeur.

150    Les requérantes exposent que, si la Commission considère la valeur estimée de Postadex (38 millions de FRF) comme une injection de capital par La Poste dans la SFMI, TAT, avec une souscription de 3,4 millions de FRF (518 326,66 euros) du capital total de 10 millions de FRF (1 524 490,17 euros), ne disposerait non pas de 34 %, mais seulement de 7 % du capital de la SFMI.

151    Deuxièmement, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que, contrairement à la situation d’un groupe privé, c’est avec les ressources du monopole légal que La Poste a pu créer, financer et développer le service Postadex, service n’appartenant pas au secteur réservé. La Commission violerait en l’espèce sa pratique décisionnelle au secteur des télécommunications. À cet égard, les requérantes se réfèrent aux lignes directrices concernant l’application des règles de concurrence de la Communauté au secteur des télécommunications (JO 1991, C 233, p. 2). Selon ces lignes directrices, « [I]a subvention des activités concurrentielles, dans le domaine des services ou des équipements, par l’imputation de leurs coûts à des activités sous monopole risque […] de fausser le libre jeu de la concurrence, en violation de l’article 86 ».

152    Troisièmement, la Commission commettrait une erreur de droit en considérant que le transfert de Postadex, compte tenu de ce qu’il ne comporte aucun avantage en numéraire pour la SFMI-Chronopost, ne constituerait pas une aide d’État en faveur de cette dernière. À cet égard, les requérantes rappellent que la notion d’aide d’État se définit en fonction des effets de la mesure litigieuse et non en fonction de la nature de l’avantage conféré.

153    La Commission soutient que le transfert de Postadex n’a généré aucun coût pour La Poste et que la Cour ne s’est référée, dans son arrêt, qu’à la rémunération destinée à la couverture des coûts.

154    La Commission considère que le transfert de Postadex à la SFMI-Chronopost constitue une conséquence directe de la filialisation du courrier express au sein de La Poste. En outre, la Commission fait valoir que la clientèle de Postadex n’avait pas de valeur au sens comptable et qu’il était impossible de mesurer l’avantage économique représenté par cet élément. Pour ces raisons, la Commission considère qu’il ne s’agit pas d’une aide d’État.

155    À titre subsidiaire, la Commission rappelle qu’elle a admis l’estimation, fournie par les plaignants, à 38 millions de FRF (environ 5 793 062 euros) pour l’apport de Postadex afin de démontrer que le taux de rendement interne restait supérieur au coût du capital.

156    La Commission conclut que, étant donné que l’apport de Postadex était conforme à la réalité du groupe et qu’il était suffisamment rémunéré pour La Poste en tant qu’investisseur, elle n’a pas estimé nécessaire de se livrer à des estimations supplémentaires par rapport à celle figurant dans la plainte.

157    La Commission ajoute que la prétendue réévaluation de la part de TAT dans le capital de la SFMI est un grief nouveau, qui ne découle pas de faits survenus en cours d’instance et qui, partant, est manifestement irrecevable. Elle fait valoir subsidiairement que, dans la mesure où la décision attaquée portait sur le fait de savoir s’il y a eu des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost provenant de La Poste, une éventuelle aide à TAT devrait, en principe, faire l’objet d’une autre décision qui aurait un objet différent de celui de la décision attaquée.

–       Appréciation du Tribunal

158    Il est de jurisprudence constante que la notion d’aide d’État, au sens de l’article 92 du traité, a un champ d’application très large. En effet, cette disposition a pour objet de prévenir que les échanges entre États membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (arrêts de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, point 26, et du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C‑387/92, Rec. p. I‑877, point 12). La notion d’aide recouvre dès lors non seulement des prestations positives, telles que des subventions, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt Banco Exterior de España, précité, point 13).

159    Il importe de relever que parmi les avantages indirects qui ont les mêmes effets que les subventions figure la fourniture de biens ou de services dans des conditions préférentielles (voir arrêt de la Cour du 20 novembre 2003, GEMO, C‑126/01, Rec. p. I‑13769, point 29, et la jurisprudence citée).

160    En outre, en vertu d’une jurisprudence constante, l’article 92, paragraphe 1, du traité ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définit celles-ci en fonction de leurs effets (voir arrêt GEMO, précité, point 34, et la jurisprudence citée).

161    En ce qui concerne le transfert de Postadex, la Commission affirme, en substance, que ce transfert n’a généré aucun coût et que, ainsi, il ne s’agirait pas d’une aide d’État, étant donné que, dans son arrêt, la Cour ne se serait référée qu’à la rémunération destinée à la couverture des coûts.

162    Or, l’argumentation de la Commission selon laquelle le transfert de la clientèle de Postadex a été une conséquence logique de la création d’une filiale et que, pour cette raison, il ne constituerait pas une aide d’État ne saurait être retenue.

163    Il y a lieu de remarquer, en premier lieu, qu’il s’agit d’une mesure distincte de l’assistance logistique et commerciale.

164    En effet, il est constant que La Poste a transféré à la SFMI-Chronopost la clientèle de son produit Postadex sans contrepartie aucune. Il ressort des réponses de la Commission aux questions du Tribunal que la SFMI-Chronopost n’a nullement remboursé le transfert de la clientèle Postadex.

165    Or, la clientèle de Postadex représentait un actif incorporel qui avait une valeur économique. En outre, il y a lieu de rappeler que c’est avec les ressources du monopole légal que La Poste a pu créer le service Postadex. Le transfert d’un tel actif incorporel constitue un avantage pour le bénéficiaire.

166    De même, la décision de transférer Postadex à la SFMI-Chronopost peut être imputée à l’État. En effet, les modalités d’exploitation et de commercialisation du service de courrier express que la SFMI assurait sous la dénomination EMS/Chronopost ont été définies par une instruction du ministère des Postes et Télécommunications français du 19 août 1986.

167    Ainsi, il y a lieu de constater que le transfert de Postadex à la SFMI-Chronopost constitue une aide d’État, étant donné qu’aucune contrepartie n’a été fournie à La Poste par la SFMI-Chronopost.

168    Cette constatation ne saurait être infirmée par l’affirmation de la Commission selon laquelle la clientèle de Postadex n’avait pas de contre-valeur comptable.

169    En effet, même s’il s’agit d’un élément difficilement quantifiable, cela ne signifie pas qu’il soit sans valeur. À cet égard, il importe de rappeler que la réalisation et la commercialisation de listes d’adresses pour certaines activités constituent, en tant que telles, des activités économiques.

170    En l’espèce, il est constant, comme il ressort d’ailleurs de la lettre du 21 janvier 1993 des autorités françaises, que les contrats de la clientèle du service Postadex ont été transférés à la SFMI. En outre, le rapport du conseil d’administration de la SFMI du 12 mai 1987 indique que « le transfert de l’activité Postadex en Chronopost s’est déroulé de façon progressive du 1er janvier au 30 juin 1986 » et que l’on « pouvait estimer qu’à cette date ce transfert s’était déroulé sans perte notable de clients ».

171    Il s’ensuit que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que le transfert de la clientèle Postadex ne constituait pas une aide d’État au motif qu’il ne comportait aucun avantage numéraire. En conséquence, il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où la Commission a considéré que le transfert de Postadex par La Poste à la SFMI-Chronopost ne constituait pas une aide d’État.

 Sur l’image de marque de La Poste

–       Arguments des parties

172    Les requérantes estiment que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que l’image de marque de La Poste ne constituait pas un élément distinct du transfert du service Postadex ou de l’accès au réseau. Les requérantes soulignent que l’image de marque de La Poste constitue un actif incorporel, doté d’une valeur économique en soi, résultant de l’ensemble des éléments de représentation de La Poste (couleur jaune, logo et devise). À cet égard, les requérantes soulignent que la valeur économique de l’image de La Poste constitue un atout concurrentiel majeur qui peut être déterminant dans la conquête d’un marché. Par ailleurs, les requérantes considèrent qu’une fois que l’entreprise a conquis une part de marché importante grâce à l’avantage constitué par l’image de marque, cet avantage est définitif.

173    Le transfert gratuit à la SFMI-Chronopost de l’image de marque de La Poste, d’une valeur économique importante et financé par les recettes tirées du monopole, serait ainsi constitutif d’une aide d’État.

174    Les requérantes prétendent que, même si l’utilisation de l’image de La Poste en tant que telle n’a rien coûté à La Poste, il faudrait quand même prendre en compte un « coût d’opportunité ». Les requérantes sont d’avis que l’arrêt de la Cour se réfère aux coûts réels seulement dans la mesure où il s’agit de l’accès au réseau qui ne répond pas à une logique purement commerciale. Or, dans une situation où La Poste laisse sa filiale utiliser, par exemple, ses véhicules, à des fins de publicité, elle devrait demander une rémunération pour cela.

175    La Commission soutient que l’image de marque ne génère aucun coût ou manque à gagner pour La Poste qui n’aurait pas été déjà pris en compte par la méthode des coûts complets. Elle constate que les requérantes continuent de raisonner en termes non pas de coût mais d’avantages « incrémentaux », cherchant à déterminer la rémunération « correcte » de l’activité de la SFMI-Chronopost. Or, une telle approche ne serait pas conforme à l’approche des « coûts complets » qui est une méthode globale allant jusqu’à tenir compte des amortissements et du maintien des locaux de la société mère.

176    Elle ajoute qu’il n’y a de marché ou d’intérêt ni pour l’espace d’affichage ni pour l’image de La Poste.

–       Appréciation du Tribunal

177    À supposer que l’image de marque de La Poste soit un actif incorporel, celle-ci n’a pas nécessairement pour conséquence que son utilisation relève d’un élément distinct de l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost. À défaut d’indices démontrant que l’image de marque découle d’un tel transfert distinct, il y a lieu de considérer que l’usage de l’image de marque de La Poste résulte plutôt de la fourniture en tant que telle de cette assistance logistique et commerciale et en constitue un élément accessoire. Cette conclusion n’est pas remise en cause par les indices fournis par les requérantes à l’annexe 4 de leurs observations écrites. Les requérantes se réfèrent uniquement aux publicités de La Poste présentant Chronopost comme l’un de ses services ainsi qu’aux déclarations de la SFMI-Chronopost attestant son souhait « d’utiliser les contacts de La Poste avec les grands fournisseurs pour approcher dans de meilleures conditions certains prospects ». Ces éléments confirment, au contraire, le caractère accessoire de l’usage de l’image de marque de La Poste par rapport à l’assistance logistique et commerciale que La Poste soutient avoir fournie pour une contrepartie au moins équivalente à ses coûts complets.

178    Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que l’utilisation de l’image de La Poste par sa filiale ne constituait pas une aide d’État séparée de la rémunération des coûts complets de La Poste. À ce titre, il convient toutefois de rappeler également, eu égard aux constatations exposées aux points 72 à 85 ci-dessus dans le cadre de l’appréciation du moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation, qu’il n’est pas possible pour le Tribunal de vérifier si les conditions de la notion d’aide d’État sont réunies s’agissant de la fourniture de l’assistance logistique et commerciale à la SFMI-Chronopost, en ce compris l’utilisation de l’image de marque de La Poste.

179    Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir la deuxième branche du quatrième moyen en ce qui concerne le transfert du service Postadex et de la rejeter pour autant qu’elle concerne l’utilisation de l’image de marque de La Poste.

4.     Sur le moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’inexactitudes matérielles

 Remarques générales

180    En ce qui concerne le troisième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’inexactitudes matérielles, une partie des griefs soulevés dans le cadre de ce moyen a déjà été rejetée par l’arrêt du Tribunal et n’a pas fait l’objet du pourvoi devant la Cour. Il s’agit notamment des griefs relatifs à la publicité sur Radio France, à la procédure de dédouanement des envois de la SFMI-Chronopost et au droit de timbre (arrêt du Tribunal, précité, points 95 à 124). En ce qui concerne les arguments restants, il ressort des points 92 et 93 de l’arrêt du Tribunal ainsi que des écritures des requérantes qu’ils se confondent avec les moyens déjà examinés dans cet arrêt. Cela ressort expressément du mémoire d’observations écrites des requérantes (point 84). En effet, la seule partie du présent moyen d’annulation qui n’a pas été traitée est celle relative au prétendu avantage pour la SFMI-Chronopost du non-assujettissement de La Poste à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de son assujettissement à une taxe réduite sur les salaires.

 Arguments des parties

181    L’argumentation des requérantes vise, en substance, à affirmer que La Poste était redevable d’un taux uniforme de taxe sur les salaires de 4,25 %, tandis que les autres entreprises payaient un taux moyen de 9,15 %. Selon les requérantes, cet avantage a été transféré à la SFMI-Chronopost par le fait que, même si la SFMI-Chronopost avait payé les coûts complets de La Poste, ces coûts étaient inférieurs à ce qu’une entreprise normale aurait dû supporter.

182    Les requérantes contestent l’appréciation de la Commission selon laquelle l’avantage retiré par La Poste du fait de son assujettissement au taux réduit de la taxe sur les salaires est plus que compensé par le désavantage du fait de la TVA qu’elle acquitte sur ses achats. La Poste ne se trouverait pas de plein droit assujettie à la taxe sur les salaires au même titre que toutes les autres entreprises qui n’ont pas été assujetties à la TVA sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires. Les requérantes indiquent que le taux normal de la taxe sur les salaires est de 4,25 %, mais que ce taux est porté à 8,50 % pour la fraction des rémunérations individuelles annuelles comprise entre 40 780 FRF (6 216,87 euros) et 81 490 FRF (12 423,07 euros) et à 13,60 % pour la fraction de ces rémunérations excédant 81 490 FRF (12 423,07 euros). Or, jusqu’au 1er septembre 1994, La Poste aurait bénéficié de l’application d’un taux réduit uniforme de 4,25 % de la taxe sur les salaires calculée sur les seules rémunérations (à l’exclusion des primes et des avantages en nature). En conséquence, l’avantage de ce taux réduit par rapport au taux moyen pondéré de 9,15 % (en fonction de la structure de la masse salariale) serait évident. Dans ces conditions, l’équilibre avec le non‑assujettissement de TVA ne se réaliserait pas, mais, par contre, l’application du taux réduit aboutirait à un manque à gagner pour l’État.

183    Les requérantes soulignent également le défaut de comparabilité et le manque de mesure commune de la situation fiscale de La Poste au regard de la taxe sur les salaires et de la TVA. En effet, les bases de la taxe sur les salaires sont constituées par la masse salariale de l’entreprise, alors que la base imposable de la TVA est composée des livraisons de biens et des prestations de services. Le taux normal de la TVA de 20,6 % et les taux de la taxe sur les salaires de 4,25, 8,50 ou 13,60 % ne sont pas davantage comparables. Ainsi, les requérantes contestent l’ampleur de la charge pour La Poste en raison de son exonération fiscale de la TVA.

184    Les requérantes soutiennent également que la compensation d’un avantage fiscal par des coûts fiscaux encourus par ailleurs ne modifie pas la nature d’aide d’État de cet avantage. La demande de la Commission aux autorités françaises de le supprimer montrerait qu’il s’agit d’un avantage fiscal. Les requérantes font encore remarquer que, en l’espèce, le « surcoût » de l’exonération de TVA dont bénéficie La Poste n’est pas lié à une mission de service public en ce qui concerne les activités de la SFMI-Chronopost qui sont ouvertes à la concurrence.

185    La Commission fait remarquer, premièrement, que le régime fiscal de La Poste est plus lourd que celui de ses concurrents. Ce raisonnement serait confirmé par les données communiquées par les autorités françaises qui évaluent la TVA non récupérable acquittée par La Poste à 274 millions de FRF (41 771 030,72 euros) et la taxe acquittée sur les salaires à 74 millions de FRF (11 281 227,28 euros) en 1993 pour arriver à une charge fiscale totale de 352 millions de FRF (53 662 054,07 euros) pour La Poste. Cette charge n’aurait pas d’équivalent chez ses concurrents non soumis à la taxe sur les salaires et pouvant déduire la TVA qu’ils acquittent.

186    Deuxièmement, le prétendu avantage commercial tiré de ce que les clients de La Poste ne doivent pas payer de TVA sur les prestations de celle-ci ne serait pas réel. La Commission prétend que le non‑assujettissement de La Poste à la TVA compense l’avantage dont elle bénéficie en matière de taxe sur les salaires. En effet, selon les informations transmises par les autorités françaises, la plus grande partie du chiffre d’affaires (83,4 %) de La Poste est réalisée avec des clients assujettis à la TVA, lesquels pourraient alors déduire la TVA qu’ils acquittent chez les concurrents de La Poste, mais non la taxe sur les salaires imputée sur les prix de La Poste. Cet élément de coût définitif serait bien plus lourd que l’obligation d’avancer un montant de la TVA récupérable, ce qui constituerait un désavantage commercial pour La Poste.

187    La République française expose que, contrairement à ce que prétendent les requérantes lorsqu’elles affirment que « le taux de droit commun de taxe sur les salaires résulte de simulations chiffrées précises du gouvernement français qui permettent de réaliser l’équilibre [...] », les taux de la taxe sur les salaires et les seuils d’application correspondants n’ont pas été déterminés dans le but de réaliser un équilibre avec les entreprises assujetties à la TVA. Elle ajoute qu’une telle solution serait impossible à réaliser en pratique, compte tenu des mécanismes très différents de ces deux taxes. En plus, pour maintenir l’équilibre économique, chaque modification du taux de la TVA impliquerait une modification corrélative du taux de la taxe sur les salaires, ce qui ne serait pas réaliste.

188    En outre, la République française fait sienne l’argumentation de la Commission selon laquelle La Poste ne bénéficie pas d’un avantage concurrentiel au titre de l’exonération de TVA. Elle fait remarquer que la taxe sur les salaires constitue une charge partiellement définitive (déductible des bases de l’impôt sur les sociétés), alors que la TVA est intégralement déductible (impôt sur impôt), et le cas échéant, remboursable. Elle conclut que les charges de La Poste sont donc alourdies par le paiement de la taxe sur les salaires et par l’absence de droit à déduction de la TVA acquittée sur les charges.

 Appréciation du Tribunal

189    Les requérantes affirment, en substance, que, même s’il suffisait de prendre en compte uniquement les coûts complets encourus par La Poste pour la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, ce qu’elles contestent, à la SFMI-Chronopost, ces coûts seraient inférieurs à ceux qu’une entreprise privée aurait supportés, car La Poste peut fournir les mêmes services à un coût inférieur, étant exemptée de la TVA et assujettie à une taxe réduite sur les salaires.

190    À cet égard, il suffit de constater que l’arrêt de la Cour exige seulement que les coûts de l’entreprise publique soient remboursés par sa filiale. Ainsi, la Cour ne fait pas de différence sur la question de savoir si ces coûts sont moindres que les coûts d’une société agissant dans les conditions normales du marché. En conséquence, au vu de l’arrêt de la Cour, même à supposer qu’une partie des coûts de La Poste soit subventionnée par les mesures fiscales dénoncées par les requérantes, l’examen de l’existence d’une aide d’État n’est pas affecté, étant donné que, selon la Cour, il suffit que les coûts occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale aient été couverts.

191    Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le troisième moyen dans la mesure où celui-ci est tiré de l’avantage indirect dont la SFMI-Chronopost a bénéficié grâce aux prétendus avantages fiscaux de La Poste.

 Sur les dépens

192    Dans l’arrêt du Tribunal, la Commission a été condamnée à supporter ses propres dépens et 90 % des dépens des requérantes. Les parties intervenantes ont été condamnées à supporter leurs propres dépens.

193    Dans l’arrêt de la Cour, celle-ci a réservé les dépens. Il appartient donc au Tribunal de statuer, dans le présent arrêt, sur l’ensemble des dépens afférents aux différentes procédures, conformément à l’article 121 du règlement de procédure.

194    En vertu de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l’espèce, les conclusions des requérantes ont été accueillies pour la plupart dans le cadre de la procédure après renvoi.

195    Il sera donc fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres dépens et 75 % des dépens des parties requérantes, à l’exception de ceux occasionnés par les interventions, devant le Tribunal et la Cour. Les parties requérantes supporteront le reste de leurs propres dépens, devant le Tribunal et la Cour.

196    La République française, Chronopost et La Poste, qui sont intervenues dans le litige, supporteront leurs propres dépens, devant le Tribunal et la Cour, en application de l’article 87, paragraphe 4, premier et troisième alinéas, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision 98/365/CE de la Commission, du 1er octobre 1997, concernant les aides que la France aurait accordées à la SFMI-Chronopost, est annulée en ce qu’elle constate que ni l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, la SFMI-Chronopost, ni le transfert de Postadex ne constituent des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost.

2)      La Commission supportera ses propres dépens et 75 % des dépens des parties requérantes, à l’exception de ceux occasionnés par les interventions, devant le Tribunal et la Cour.

3)      Les parties requérantes supporteront le reste de leurs propres dépens, devant le Tribunal et la Cour.

4)      La République française, Chronopost SA et La Poste supporteront leurs propres dépens, devant le Tribunal et la Cour.

Jaeger

Tiili

Azizi

Cremona

 

       Czúcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juin 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure après renvoi

Conclusions des parties après renvoi

En droit

1.  Observations liminaires

2.  Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Rappel de la jurisprudence en matière de motivation

Sur la portée du contrôle du respect de l’obligation de motivation dans le cas d’espèce

Sur la motivation de la décision attaquée concernant les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale

Sur la motivation concernant la contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal

Sur la motivation concernant la rémunération appropriée des capitaux propres

Sur la motivation concernant la couverture des coûts en général

Sur la nécessité d’une motivation détaillée

3.  Sur le moyen tiré de la violation de la notion d’aide d’État

Remarques liminaires

Sur la violation de la notion de conditions normales de marché

Sur le recours à la méthode de rétropolation

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la non-prise en compte de certains éléments dans la notion d’aides d’État

Sur le transfert de Postadex

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur l’image de marque de La Poste

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

4.  Sur le moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’inexactitudes matérielles

Remarques générales

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure : le français.