Language of document : ECLI:EU:T:2004:358

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
13 décembre 2004 (1)

« Marque communautaire – Marque figurative EMILIO PUCCI – Opposition du titulaire des marques figuratives nationales EMIDIO TUCCI – Refus partiel d'enregistrement »

Dans l'affaire T-8/03,

El Corte Inglés, SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Me J. Rivas Zurdo, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. P. Bullock et O. Montalto, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

l'autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l'OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

Emilio Pucci Srl, établie à Florence (Italie), représentée par Mes P. L. Roncaglia, G. Lazzeretti et M. Boletto, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l'OHMI du 3 octobre 2002 (affaires jointes R 700/2000-4 et R 746/2000-4), concernant l'opposition du titulaire des marques figuratives nationales EMIDIO TUCCI à l'enregistrement de la marque figurative EMILIO PUCCI en tant que marque communautaire,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),



composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 9 juin 2004,

rend le présent



Arrêt




Antécédents du litige

1
Le 1er avril 1996, l’intervenante a présenté, en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié, une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI).

2
La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif EMILIO PUCCI, tel que reproduit ci‑dessous :

Image not found

3
Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 3, 18, 24 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

classe 3 : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices » ;

classe 18 : « Cuir et imitations du cuir, produits en ces matières non compris dans d’autres classes ; peaux d’animaux ; malles et valises ; parapluies, parasols et cannes ; fouets et sellerie » ;

classe 24 : « Tissus et produits textiles non compris dans d’autres classes ; couvertures de lit et de table » ;

classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie ».

4
Le 6 avril 1998, cette demande a été publiée dans le Bulletin des marques communautaires nº 25/1998.

5
Le 3 juillet 1998, la requérante a formé une opposition, au titre de l’article 42 du règlement nº 40/94, à l’encontre de l’enregistrement de la marque demandée, pour tous les produits désignés par la demande de marque.

6
D’une part, la requérante invoquait, à l’appui de son opposition, le risque de confusion, visé par l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, avec diverses marques nationales dont elle était titulaire et, notamment, deux marques constituées du signe figuratif EMIDIO TUCCI, tel que reproduit ci‑dessous :

Image not found

Ces deux marques ont fait l’objet des enregistrements suivants en Espagne :

enregistrement nº 1908876, du 5 décembre 1994, pour des produits de la classe 3 (« Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ») ;

enregistrement nº 855782, du 30 mai 1984, pour des produits de la classe 25 (« Vêtements, y compris les bottes, chaussures et pantoufles »).

7
D’autre part, la requérante soutenait que lesdites marques jouissaient d’une renommée en Espagne et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de ces marques ou qu’il leur porterait préjudice, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement nº 40/94.

8
Par décision du 20 avril 2000, la division d’opposition de l’OHMI, se fondant sur les deux seules marques espagnoles identifiées au point 6 ci‑dessus, a :

partiellement fait droit à l’opposition et, dès lors, refusé l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits relevant des classes 3 et 25, ainsi que pour une partie des produits de la classe 18 (« Cuir et imitations du cuir, produits en ces matières non compris dans d’autres classes ; peaux d’animaux ; malles et valises ») ;

rejeté l’opposition et, dès lors, admis l’enregistrement de la marque demandée pour les produits « Parapluies, parasols et cannes ; fouets et sellerie », relevant de la classe 18, ainsi que pour tous les produits relevant de la classe 24.

9
Tant l’intervenante, pour ce qui concerne le refus partiel d’enregistrement de la marque demandée, que la requérante, pour ce qui concerne le rejet partiel de l’opposition, ont formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 57 à 62 du règlement nº 40/94, contre la décision de la division d’opposition.

10
Statuant sur les deux recours, joints en vertu de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 216/96 de la Commission, du 5 février 1996, portant règlement de procédure des chambres de recours de l’OHMI (JO L 28, p. 11), la quatrième chambre de recours de l’OHMI a, par décision du 3 octobre 2002 (affaires jointes R 700/2000‑4 et R 746/2000‑4, ci‑après la « décision attaquée »), notifiée à la requérante le 7 novembre 2002 :

annulé la décision de la division d’opposition en ce que celle‑ci avait accueilli l’opposition et avait, dès lors, rejeté la demande de marque en ce qui concerne les produits « Cuir et imitations du cuir, produits en ces matières non compris dans d’autres classes ; peaux d’animaux ; malles et valises », relevant de la classe 18 ;

rejeté les recours et confirmé la décision de la division d’opposition en ce qui concerne les produits relevant des classes 3, 24 et 25, ainsi que les produits « Parapluies, parasols et cannes ; fouets et sellerie », relevant de la classe 18.


Conclusions des parties

11
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée en ce que celle‑ci fait partiellement droit au recours de l’intervenante, rejette le recours de la requérante et accueille la demande de marque communautaire pour les produits relevant des classes 18 et 24 ;

refuser l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits désignés par cette demande et relevant des classes 18 et 24 ;

condamner l’OHMI et l’intervenante aux dépens.

12
L’OHMI et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

13
Au soutien de ses conclusions, la requérante invoque, en substance, un moyen principal, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, et un moyen subsidiaire, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, de ce règlement.

Sur le moyen principal, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94

Arguments des parties

14
La requérante soutient que, contrairement à ce qu’a estimé la chambre de recours dans la décision attaquée, il existe en l’espèce un risque de confusion, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94.

15
En premier lieu, il existerait une étroite similitude, proche de l’identité, entre les signes en conflit.

16
En deuxième lieu, il existerait une relation manifeste et très étroite entre les produits désignés par les marques antérieures compris dans la classe 3 et, surtout, la classe 25 et les produits désignés par la demande de marque compris dans les classes 18 et 24. La requérante souligne que toutes ces classes appartiennent aux secteurs de la mode et du textile, qu’il s’agisse des vêtements eux‑mêmes, des tissus destinés à leur confection, des accessoires ou des produits cosmétiques. Elles seraient indissolublement liées à la beauté, au soin du corps, à l’apparence physique et à l’image personnelle. Les produits en question seraient commercialisés par les mêmes canaux, de sorte que les consommateurs les associeraient inévitablement en leur attribuant une origine commerciale commune. Dans sa décision du 20 avril 2000, la division d’opposition aurait d’ailleurs reconnu qu’un lien pouvait être établi entre les classes 18 et 25 si certaines conditions étaient réunies, parmi lesquelles le « caractère distinctif élevé » de la marque EMIDIO TUCCI.

17
En troisième lieu, la requérante rappelle que, aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, il convient, en tout état de cause, d’effectuer une appréciation globale du risque de confusion (arrêt de la Cour du 11 novembre 1997, SABEL, C‑251/95, Rec. p. I‑6191, point 22), prenant en compte à la fois le caractère distinctif élevé des marques antérieures et le principe d’interdépendance.

18
S’agissant du premier de ces aspects, la requérante rappelle que, comme le risque de confusion est d’autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s’avère important, les marques qui ont un caractère distinctif élevé, soit intrinsèquement, soit en raison de la connaissance de celles‑ci sur le marché, jouissent d’une protection plus étendue que celles dont le caractère distinctif est moindre (arrêt de la Cour du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C‑342/97, Rec. p. I‑3819, point 20).

19
S’agissant du second de ces aspects, la requérante rappelle que l’appréciation globale du risque de confusion implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte, et notamment la similitude des marques et celle des produits ou services couverts. Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits ou services couverts peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, et inversement (arrêts de la Cour du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, Rec. p. I‑5507, point 17, et Lloyd Schuhfabrik Meyer, point 18 supra, point 19).

20
En l’espèce, la requérante fait valoir que, compte tenu, d’une part, du caractère distinctif élevé des marques antérieures et, d’autre part, de la quasi‑identité des signes en conflit, qui permet la prise en compte d’un degré de similitude plus faible entre les produits, l’application de ces principes doit conduire au refus de l’enregistrement de la marque demandée pour les produits des classes 18 et 24.

21
Ni l’OHMI ni l’intervenante ne contestent qu’il existe une grande similitude entre les signes en conflit.

22
Quant à la similitude entre les produits en cause, l’OHMI établit une distinction, parmi les produits désignés par la demande de marque, entre, d’une part, les produits de la classe 18 « Cuir et imitations du cuir, peaux d’animaux ; malles et valises ; parapluies, parasols et cannes ; fouets et sellerie » ainsi que les produits de la classe 24 (ci‑après les « produits du premier groupe ») et, d’autre part, les produits de la classe 18 « Produits en cuir et imitations du cuir non compris dans d’autres classes » (ci‑après les « produits du second groupe »).

23
S’agissant des produits du premier groupe, l’OHMI partage l’avis de la chambre de recours selon lequel il n’existe normalement pas de similitude entre ces produits et les produits relevant des classes 3 et 25 désignés par les marques antérieures de la requérante.

24
S’agissant des produits du second groupe, l’OHMI relève que, dans son appréciation de la similitude entre ces produits et les produits relevant de la classe 25 désignés par l’une des marques antérieures de la requérante, la chambre de recours semble n’avoir pris en considération que leur nature et leurs finalités différentes, sans se prononcer sur l’existence éventuelle d’un rapport de complémentarité entre eux.

25
Or, ces produits du second groupe comprendraient des accessoires en cuir et imitations du cuir, tels que des sacs et des sacs à main de différents types, des porte‑monnaie, des portefeuilles, etc., qui, selon l’OHMI, seront normalement perçus par le public comme ayant un rapport étroit de complémentarité avec les vêtements et les chaussures de la classe 25. Ainsi, il serait bien connu que le public féminin, en particulier, prête une grande attention au choix d’un sac ou d’un sac à main et veille à ce qu’il soit assorti à un certain type de vêtements et/ou de chaussures.

26
À cet égard, l’OHMI invoque la pratique décisionnelle de la division d’opposition, et plus particulièrement deux décisions dans lesquelles il aurait été reconnu que les « sacs à main », d’une part, et les « articles en cuir et imitations du cuir et les sacs », d’autre part, sont complémentaires des « vêtements et chaussures », dès lors que ces produits de la classe 18 sont fondamentalement perçus par les consommateurs comme des accessoires des vêtements et chaussures de la classe 25. Cette pratique décisionnelle aurait été reprise dans les directives relatives à la procédure d’opposition, adoptées par le président de l’OHMI le 10 mai 2004.

27
Eu égard à ce qui précède, l’OHMI déclare s’en remettre au jugement du Tribunal quant au point de savoir s’il existe un rapport de complémentarité entre les produits en cause.

28
Selon l’intervenante, au contraire, il convient d’appliquer en l’espèce la règle générale, rappelée par la chambre de recours, selon laquelle les produits des classes 18 et 24, d’une part, et ceux des classes 3 et 25, d’autre part, doivent normalement être considérés comme non similaires en raison des différences quant à leur nature, à leur destination, à leurs modalités d’utilisation et à leur mode de distribution et de commercialisation.

29
Une exception à cette règle ne pourrait être admise que dans certains cas particuliers, par exemple lorsqu’une entreprise textile a atteint une certaine notoriété pour ses tissus et décide de capitaliser ce succès en étendant son activité à la confection de vêtements. Dans un tel cas, le consommateur associerait ces produits à leur producteur unique.

30
Un tel lien particulier ferait défaut en l’espèce, la requérante n’ayant jamais utilisé la marque EMIDIO TUCCI en dehors du secteur spécifique de l’habillement masculin.

31
Quant à l’appréciation globale du risque de confusion, s’agissant, d’une part, de la prise en compte du prétendu caractère distinctif élevé des marques antérieures, l’OHMI et l’intervenante considèrent que la chambre de recours a, à juste titre, jugé insuffisantes les preuves fournies par la requérante.

32
S’agissant, d’autre part, de la prise en compte du principe d’interdépendance, l’OHMI considère, sans préjudice de la réserve formulée aux points 24 à 27 ci‑dessus à l’égard des produits du second groupe, que c’est à juste titre que la chambre de recours a relevé l’absence objective d’un rapport, même faible, entre les produits des classes 18 et 24 désignés par la demande de marque et les produits de la classe 3 et, surtout, de la classe 25 désignés par les marques antérieures.

Appréciation du Tribunal

33
Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée.

34
Aux fins de cette disposition, l’article 8, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement nº 40/94 précise que l’on entend par marques antérieures, dans le cas des marques enregistrées dans un État membre, celles dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande de marque communautaire.

35
En l’espèce, la requérante a fondé son opposition sur quatre marques nationales, à savoir les deux marques espagnoles identifiées au point 6 ci‑dessus et deux autres marques, respectivement enregistrées en Espagne le 5 décembre 1996, sous le n° 2027132, pour des produits de la classe 18, et le 20 novembre 1997, sous le n° 2092894, pour des produits de la classe 24. Lors de l’audience, la requérante a demandé qu’il soit également tenu compte de ces deux dernières marques aux fins du présent recours. À cet égard, il suffit de constater, à l’instar de la division d’opposition, que lesdites marques ont respectivement été déposées le 6 mai 1996 et le 19 mai 1997, alors que la demande de marque communautaire a été présentée le 1er avril 1996. Seules les deux marques identifiées au point 6 ci‑dessus peuvent donc être qualifiées d’antérieures au sens de la disposition citée au point précédent et, partant, peuvent être prises en considération aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94. Ces deux marques antérieures sont enregistrées en Espagne, qui constitue donc le territoire pertinent aux fins de l’application de cette même disposition. Étant donné la nature des produits désignés par ces marques, le public pertinent est composé des consommateurs finaux.

36
Selon une jurisprudence constante, constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement.

37
Selon cette même jurisprudence, le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou services en cause, en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance entre la similitude des signes et celle des produits ou services désignés [voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO BEVERLY HILLS), T‑162/01, Rec. p. II‑2821, points 31 à 33, et la jurisprudence citée].

38
En l’espèce, ni l’OHMI ni l’intervenante n’ont contesté l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle les signes en conflit sont similaires au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94.

39
Il convient donc d’examiner si le degré de similitude entre les produits en cause, à savoir, d’une part, les produits désignés par les marques antérieures compris dans les classes 3 et 25 et, d’autre part, les produits désignés par la demande de marque compris dans les classes 18 et 24, est suffisamment élevé pour pouvoir considérer qu’il existe un risque de confusion entre les marques.

40
Dans ce contexte, il y a tout d’abord lieu de relever que, comme le rappelle la règle 2, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), la classification des produits et des services effectuée par l’arrangement de Nice l’est à des fins exclusivement administratives. Des produits ne peuvent, par conséquent, être considérés comme étant non similaires au seul motif qu’ils figurent, comme en l’espèce, dans des classes différentes de cette classification.

41
Il convient ensuite de rappeler que, selon une jurisprudence constante, pour apprécier la similitude des produits en cause, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits, ces facteurs incluant, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire [arrêt Canon, point 19 supra, point 23, et arrêt du Tribunal du 4 novembre 2003, Díaz/OHMI – Granjas Castelló (CASTILLO), T‑85/02, non encore publié au Recueil, point 32].

42
Ainsi, en l’espèce, la circonstance, alléguée par la requérante, selon laquelle tous les produits en cause sont liés à la beauté, au soin du corps, à l’apparence physique ou à l’image personnelle, à la supposer même établie, ne suffit pas pour qu’ils puissent être considérés comme similaires, s’ils diffèrent sensiblement par ailleurs au regard de tous les facteurs pertinents qui caractérisent leurs rapports.

43
À cet égard, l’OHMI a relevé à juste titre que les produits de la classe 18 ont une nature et une finalité différentes de celles des produits des classes 3 et 25 désignés par les marques antérieures de la requérante. La requérante ne conteste pas sérieusement ces différences en ce qui concerne les produits de la classe 3. Quant aux produits de la classe 25, ils servent à couvrir et à habiller des parties du corps humain, tandis que les produits de la classe 18 servent à transporter des objets, à décorer des lieux ou à fournir la matière première pour les fabricants d’articles en cuir et imitations du cuir. Ils sont normalement produits par des fabricants différents et écoulés par des canaux de distribution différents. Le fait que des produits comme les valises et les parapluies, d’une part, et les vêtements et les chaussures, d’autre part, puissent être vendus dans les mêmes établissements commerciaux, tels que des grands magasins ou des supermarchés, n’est pas particulièrement significatif à cet égard, dès lors que l’on peut trouver dans ces points de vente des produits de nature très diverse, sans que les consommateurs leur attribuent automatiquement une même origine. Il n’existe pas non plus de rapport de concurrence entre ces produits.

44
De la même manière, les tissus et produits textiles de la classe 24, d’une part, et les vêtements et chaussures de la classe 25, d’autre part, diffèrent par de multiples aspects, tels que leur nature, leur destination, leur origine et leurs canaux de distribution. Ainsi, la chambre de recours a justement relevé, au point 31 de la décision attaquée, que c’est seulement dans des cas particuliers, à savoir lorsqu’un fabricant de tissus exploite la notoriété de sa propre marque et décide d’étendre son activité à la production de vêtements, que la même marque est utilisée pour désigner des produits finis (vêtements) et des produits semi‑finis (tissus pour vêtements). Il ne ressort pas du dossier produit par la requérante que tel serait le cas en l’espèce.

45
Force est donc de conclure que, loin d’avoir entre eux une « relation manifeste et très étroite », les produits relevant des classes 18 et 24 ne présentent normalement pas de similitude suffisante avec les produits relevant des classes 3 et 25 pour entraîner un risque de confusion quant à leur origine commerciale dans l’esprit du public de référence, même en cas de similitude des signes.

46
Il y a toutefois lieu d’examiner plus en détail la thèse de l’OHMI selon laquelle, parmi les produits de la classe 18, ceux dits du second groupe, tels que les sacs, sacs à main, portefeuilles, porte‑monnaie et autres accessoires de ce genre, présenteraient un rapport étroit de complémentarité avec les vêtements et chaussures de la classe 25, de sorte que ces produits pourraient éventuellement être considérés comme similaires au sens de l’arrêt Canon, point 19 supra.

47
Selon la définition qu’en donne l’OHMI au point 2.6.1 des directives relatives à la procédure d’opposition, citées au point 26 ci‑dessus, les produits complémentaires sont ceux entre lesquels existe un lien étroit, en ce sens que l’un est indispensable ou important pour l’usage de l’autre, de sorte que les consommateurs peuvent penser que la responsabilité de la fabrication des deux produits incombe à la même entreprise.

48
En l’espèce, toutefois, l’OHMI n’a nullement établi, ni même allégué, l’existence d’une telle relation de complémentarité entre les produits du second groupe et ceux de la classe 25. L’OHMI paraît plutôt envisager une complémentarité esthétique, et donc subjective, définie par les habitudes ou préférences des consommateurs, telles qu’elles peuvent avoir été induites par les efforts de marketing des producteurs, voire par de simples phénomènes de mode. Encore convient‑il de relever que, dans la thèse de l’OHMI, cette complémentarité ne paraît pas avoir atteint le stade d’un véritable « besoin » esthétique, en ce sens que les consommateurs jugeraient inhabituel ou choquant de porter un sac qui ne serait pas assorti à leurs vêtements ou à leurs chaussures.

49
Or, en l’espèce, non seulement les éléments concrets susceptibles de permettre d’apprécier le bien-fondé de la thèse de l’OHMI n’ont fait l’objet d’aucun débat contradictoire devant la chambre de recours, mais ils n’ont pas davantage été produits par l’OHMI dans le cadre de la présente procédure.

50
Tout au plus l’OHMI soutient-il qu’il est « probable » que les consommateurs, et surtout les consommatrices, considéreront les produits du second groupe, et plus particulièrement les sacs à main, comme des « accessoires » des vêtements d’extérieur et même des chaussures. Selon l’OHMI, en effet, il est « normal » qu’une fraction importante du public considère ces produits comme des « accessoires complémentaires », parce qu’ils sont étroitement coordonnés avec les vêtements d’extérieur et les chaussures et qu’ils « peuvent parfaitement » être distribués par les mêmes fabricants ou par des fabricants liés.

51
Force est tout d’abord de constater que ces explications sont, dans une certaine mesure, formulées sur un mode spéculatif ou hypothétique, quand elles ne reposent pas sur de simples postulats.

52
Par ailleurs, tant les directives relatives à la procédure d’opposition que les deux décisions de la division d’opposition invoquées par l’OHMI reconnaissent qu’il n’est pas courant que les sacs à main, d’une part, et les vêtements et les chaussures, d’autre part, soient distribués par les mêmes fabricants ou par des fabricants liés.

53
Dans ces conditions, le Tribunal n’estime pas opportun de remettre en cause, au vu des seules allégations non circonstanciées de l’OHMI, l’appréciation de la similitude des produits faite par la chambre de recours.

54
La requérante a encore invoqué, comme étant l’un des éléments dont il conviendrait de tenir compte dans l’appréciation globale du risque de confusion, le caractère distinctif supérieur à la normale de sa marque antérieure (voir points 17, 18 et 20 ci-dessus).

55
Comme l’a relevé à bon droit la division d’opposition (voir point III.B.4 de sa décision du 20 avril 2000), le caractère distinctif supérieur à la normale de la marque antérieure, soit en raison des qualités intrinsèques de celle‑ci, soit en raison de sa connaissance sur le marché, constitue en effet l’une des circonstances spéciales dans lesquelles la complémentarité esthétique susceptible d’exister entre les produits du second groupe et ceux de la classe 25, du fait de leur éventuel caractère d’accessoires de ceux‑ci, peut être considérée comme déterminante aux fins d’apprécier le risque de confusion.

56
D’une part, toutefois, la requérante n’a avancé aucun élément ou argument susceptible d’étayer l’affirmation selon laquelle ses marques antérieures seraient intrinsèquement distinctives. Dans ces conditions, cette allégation ne peut qu’être rejetée.

57
D’autre part, si le caractère distinctif élevé de ces marques, en raison de la connaissance de celles‑ci sur le marché, a bien été retenu par la division d’opposition, c’est à juste titre qu’il a été écarté par la chambre de recours au vu des éléments de preuve produits par la requérante, ainsi qu’il sera exposé aux points 67 et suivants ci‑après.

58
La requérante ne saurait dès lors se prévaloir du caractère distinctif élevé de ses marques antérieures.

59
Il résulte des considérations qui précèdent que la chambre de recours n’a commis aucune erreur de droit en constatant que, en raison de l’absence de similitude des produits en cause, un risque de confusion pouvait être exclu en l’espèce. Partant, il y a lieu de rejeter le moyen principal, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94.

Sur le moyen subsidiaire, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94

Arguments des parties

60
À supposer même qu’il n’existe aucun lien entre les produits de la classe 3 et, surtout, de la classe 25 désignés par les marques antérieures et les produits des classes 18 et 24 désignés par la demande de marque, la requérante soutient que l’OHMI aurait dû refuser l’enregistrement de la marque demandée au titre de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94.

61
En l’espèce, en effet, il serait incontestable que les marques nationales antérieures EMIDIO TUCCI jouissent d’une renommée dans l’État membre concerné, dès lors qu’elles sont connues d’une partie significative du public concerné et qu’elles ont un caractère distinctif élevé, notamment dans le secteur de la mode masculine, ainsi que l’aurait d’ailleurs reconnu la division d’opposition elle‑même dans sa décision du 20 avril 2000.

62
La requérante invoque, en ce sens, les preuves produites au cours de la procédure devant l’OHMI.

63
En outre, la requérante déclare présenter de nouveaux éléments de preuve sous forme de documents et de témoignages, notamment une demande de renseignements adressée à l’Office espagnol des brevets et des marques, relative à l’existence des marques enregistrées par elle dans les différentes classes de la classification internationale, ainsi que de nouvelles photographies, brochures, déclarations écrites, annonces, revues et de nouveaux documents publicitaires.

64
Selon la requérante, l’enregistrement de la marque demandée, pour les produits relevant des classes 18 et 24, impliquerait un usage abusif du caractère distinctif spécial reconnu à ses marques antérieures.

65
L’OHMI et l’intervenante considèrent que la chambre de recours a, à juste titre, estimé insuffisantes les preuves produites par la requérante à l’appui de son opposition pour prouver tant le caractère distinctif élevé des marques EMIDIO TUCCI aux fins de l’appréciation du risque de confusion que la notoriété de ces marques au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94.

66
Quant aux nouveaux éléments de preuve invoqués par la requérante à l’appui de son recours, l’OHMI considère qu’ils ne peuvent être produits pour la première fois devant le Tribunal.

Appréciation du Tribunal

67
Il ressort de la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), dont le contenu normatif est, en substance, identique à celui de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, que, pour satisfaire à la condition relative à la renommée, une marque nationale antérieure doit être connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par elle. Dans l’examen de cette condition, il convient de prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l’importance des investissements réalisés par l’entreprise pour la promouvoir (arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, General Motors, C‑375/97, Rec. p. I‑5421, points 26 et 27).

68
En l’espèce, la division d’opposition a établi une distinction entre la renommée d’une marque et son caractère distinctif supérieur à la normale, en raison de la connaissance de celle‑ci sur le marché. Sans qu’il soit besoin de décider si cette distinction doit être retenue, il convient de relever que l’acquisition d’un caractère distinctif supérieur à la normale, en raison de la connaissance d’une marque sur le marché, suppose nécessairement que cette marque est connue d’au moins une partie significative du public concerné.

69
Dans la mesure où une marque ne saurait jouir d’une renommée que si elle est, à tout le moins, connue sur le marché, les considérations qui suivent valent donc tant pour ce qui concerne l’appréciation de la prétendue renommée des marques antérieures de la requérante, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, que pour ce qui concerne la prise en compte du prétendu caractère distinctif supérieur à la normale de ces marques en raison de la connaissance de celles‑ci sur le marché, dans le cadre de l’appréciation du risque de confusion au titre de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de ce règlement (voir points 54 et suivants ci‑dessus).

70
En l’espèce, il ressort du dossier que, devant la division d’opposition puis devant la chambre de recours, la requérante a produit les preuves suivantes pour établir tant la renommée de ses marques nationales antérieures que le « caractère distinctif supérieur à la normale » acquis par celles‑ci, en raison de leur connaissance sur le marché :

treize photocopies de publicités pour des vêtements de la marque EMIDIO TUCCI, parues en 1998 dans divers journaux et magazines espagnols (Tribuna, Tiempo, Epoca, El País et El Mundo) ;

sept lettres de divers éditeurs de médias (Grupo Zeta, El País, Diario ABC, RTVE, El Mundo, Tribuna et PCM), rédigées en 1999 et attestant que les vêtements de la marque EMIDIO TUCCI ont fait l’objet de publicités dans les médias en question « au cours des cinq dernières années », soit, au mieux, entre 1994 et 1998 ;

une cassette vidéo contenant plusieurs messages publicitaires, avec une attestation selon laquelle ces messages ont été diffusés à la télévision (Tele Cinco) « entre 1994 et 1999 ».

71
Examinant ces éléments de preuve, la chambre de recours a constaté que :

les photocopies de publicités parues dans la presse espagnole en 1998 sont postérieures à la demande d’enregistrement de la marque communautaire en cause (déposée le 1er avril 1996) et ne sont donc pas pertinentes aux fins d’apprécier si la marque nationale antérieure avait acquis, à cette date, un caractère distinctif élevé en raison de sa connaissance sur le marché ;

la plupart des attestations délivrées par les directeurs de différents médias sont rédigées en des termes qui ne permettent pas de savoir si et dans quelle mesure les marques antérieures ont fait l’objet de publicités avant la date décisive du 1er avril 1996 ; seules deux d’entre elles, à savoir celles des responsables des magazines Epoca et Tribuna, indiquent des dates pertinentes, comprises entre 1994 et 1995, auxquelles l’une de ces marques a fait l’objet de publicités ;

la même objection vaut à l’égard de la cassette vidéo ;

la requérante n’a fourni aucune information quant aux chiffres d’affaires réalisés sur la vente des produits revêtus de ses marques, ou quant aux investissements réalisés pour leur promotion au cours de la période pertinente.

72
Au vu du dossier, ces constatations doivent être approuvées.

73
C’est donc à juste titre que l’OHMI et l’intervenante, à la suite de la chambre de recours, considèrent que le prétendu caractère distinctif élevé des marques antérieures de la requérante, en raison de la connaissance de celles‑ci sur le marché, et, partant, la prétendue renommée de ces marques ne sont pas suffisamment établis par les preuves fournies par la requérante au cours de la procédure administrative, dès lors que celles‑ci ne contenaient pas d’éléments objectifs suffisamment circonstanciés ou vérifiables pour permettre d’apprécier la part de marché détenue par les marques EMIDIO TUCCI en Espagne, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de leur usage ou l’importance des investissements faits par l’entreprise pour les promouvoir (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, Rec. p. I‑2779, point 51).

74
Quant aux nouveaux éléments de preuve produits pour la première fois par la requérante dans le cadre de la procédure devant le Tribunal (voir point 63 ci‑dessus), ils doivent être rejetés comme irrecevables, conformément à une jurisprudence constante [arrêts du Tribunal du 12 décembre 2002, eCopy/OHMI (ECOPY), T‑247/01, Rec. p. II‑5301, point 49 ; du 6 mars 2003, DaimlerChrysler/OHMI (Calandre), T‑128/01, Rec. p. II‑701, point 18, et du 3 juillet 2003, Alejandro/OHMI – Anheuser-Busch (BUDMEN), T‑129/01, Rec. p. II‑2251, point 67].

75
Il convient d’ajouter que la requérante n’a avancé aucun élément ou argument susceptible d’établir que l’usage de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures ou qu’il leur porterait préjudice, de sorte que les conditions d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 ne sont, en tout état de cause, pas réunies.

76
Dans ces conditions, le moyen subsidiaire tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement nº 40/94 n’est pas fondé et doit, dès lors, être rejeté.

77
Partant, il y a lieu de rejeter le recours dans sa totalité.


Sur les dépens

78
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI et de l’intervenante.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
La partie requérante est condamnée aux dépens.

Pirrung

Meij

Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Pirrung


1
Langue de procédure : l'italien.