ARRÊT DE LA COUR
10 novembre 1998 (1)
«Marchés publics de services Notion de pouvoir adjudicateur Organisme de
droit public»
Dans l'affaire C-360/96,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177
du traité CE, par le Gerechtshof te Arnhem (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans
le litige pendant devant cette juridiction entre
Gemeente Arnhem,
Gemeente Rheden
et
BFI Holding BV,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 1er et 6 de la directive
92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de
passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. J. G. Kapteyn, J.-P. Puissochet et P. Jann (rapporteur), présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C.
Moitinho de Almeida, D. A. O. Edward, L. Sevón, M. Wathelet, R. Schintgen et
K. M. Ioannou, juges,
avocat général: M. A. La Pergola,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
pour la Gemeente Arnhem et la Gemeente Rheden, par Me L. H. van
Lennep, avocat au barreau de La Haye,
pour BFI Holding BV, par Mes P. Glazener, avocat au barreau
d'Amsterdam, et J. J. M. Essers, avocat au barreau d'Utrecht,
pour le gouvernement néerlandais, par M. A. Bos, conseiller juridique au
ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
pour le gouvernement danois, par M. P. Biering, chef de direction au
ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
pour le gouvernement français, par Mme C. de Salins, sous-directeur à la
direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M.
P. Lalliot, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité
d'agents,
pour le gouvernement autrichien, par M. W. Okresek, Ministerialrat à la
chancellerie, en qualité d'agent,
pour la Commission des Communautés européennes, par M. H. van Lier,
conseiller juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
considérant les réponses écrites aux questions posées par la Cour:
pour la Gemeente Arnhem et la Gemeente Rheden, par Me L. H. van
Lennep,
pour BFI Holding BV, par Me P. Glazener,
pour le gouvernement néerlandais, par M. J. G. Lammers, conseiller
juridique remplaçant au ministère des Affaires étrangères, en qualité
d'agent,
pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, conseiller juridique, chef de
direction au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
pour le gouvernement allemand, par M. E. Röder, Ministerialrat au
ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,
pour le gouvernement espagnol, par M. S. Ortiz Vaamonde, abogado del
Estado, en qualité d'agent,
pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur
du droit économique international et droit communautaire à la direction des
affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
et M. P. Lalliot,
pour le gouvernement autrichien, par M. W. Okresek,
pour le gouvernement finlandais, par M. H. Rotkirch, ambassadeur, chef du
service des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en
qualité d'agent,
pour le gouvernement suédois, par Mme L. Nordling, rättschef au ministère
des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, du Treasury
Solicitor's Department, en qualité d'agent, assisté de MM. K. P. E. Lasok,
QC, et R. Williams, barrister,
pour la Commission, par M. H. van Lier,
ayant entendu les observations orales de la Gemeente Arnhem et de la Gemeente
Rheden, représentées par Me L. H. van Lennep, de BFI Holding BV, représentée
par Mes P. Glazener et J. J. M. Essers, du gouvernement néerlandais, représenté
par M. J. S. van den Oosterkamp, conseiller juridique adjoint au ministère des
Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement français, représenté par
M. P. Lalliot, du gouvernement autrichien, représenté par M. M. Fruhmann, de la
chancellerie, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par
M. J. E. Collins, assisté de MM. K. P. E. Lasok et R. Williams, et de la
Commission, représentée par M. H. van Lier, à l'audience du 18 novembre 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 19 février 1998,
rend le présent
Arrêt
- 1.
- Par arrêt du 29 octobre 1996, parvenu à la Cour le 5 novembre suivant, le
Gerechtshof te Arnhem a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, sept
questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 1er, sous b), et 6 de la
directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des
procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1).
- 2.
- Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Gemeente
Arnhem et la Gemeente Rheden (ci-après les «communes») à BFI Holding BV (ci-après «BFI»), qui prétend que l'attribution d'un marché portant sur la collecte de
déchets doit être assujettie à la procédure prévue à la directive.
La réglementation communautaire applicable
- 3.
- La directive 92/50 dispose, notamment, en son article 1er:
«Aux fins de la présente directive:
...
b) sont considérés comme 'pouvoirs adjudicateurs, l'État, les collectivités
territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une
ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.
Par 'organisme de droit public, on entend tout organisme:
créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant
un caractère autre qu'industriel ou commercial
et
ayant la personnalité juridique
et
dont, soit l'activité est financée majoritairement par l'État, les
collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit
la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe
d'administration, de direction ou de surveillance est composé de
membres dont plus de la moitié est désignée par l'État, les
collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public.
Les listes des organismes et des catégories d'organismes de droit public qui
remplissent les critères énumérés au deuxième alinéa du présent point
figurent à l'annexe I de la directive 71/305/CEE. Ces listes sont aussi
complètes que possible et peuvent être révisées selon la procédure prévue
à l'article 30 ter de ladite directive;
...»
- 4.
- L'article 6 de la directive 92/50 prévoit:
«La présente directive ne s'applique pas aux marchés publics de services attribués
à une entité qui est elle-même un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 1er point
b), sur la base d'un droit exclusif dont elle bénéficie en vertu de dispositions
législatives, réglementaires ou administratives publiées, à condition que ces
dispositions soient compatibles avec le traité.»
La réglementation néerlandaise
- 5.
- La directive 92/50 a été transposée en droit néerlandais par une loi-cadre du 31
mars 1993 (Stbl. 12) relative aux règles communautaires de passation des marchés
publics pour la livraison de biens, l'exécution de travaux et la fourniture de services,
combinée avec l'article 13 de l'arrêté du 4 juin 1993 (Stbl. 305), tel que modifié par
l'arrêté du 30 mai 1994 (Stbl. 379).
- 6.
- Les articles 10.10 et 10.11 de la Wet milieubeheer (loi sur l'environnement) font
obligation aux communes de veiller à ce que, au moins une fois par semaine, les
déchets ménagers soient collectés auprès de toutes les propriétés situées sur leur
territoire où il peut y avoir régulièrement des déchets. Les communes doivent
désigner une instance qui se charge de cette collecte.
- 7.
- En vertu de l'article 2 de l'Afvalstoffenverordening (règlement en matière de
déchets) de la Gemeente Rheden, tel que modifié le 21 décembre 1993, le service
de collecte est le «Dienst Openbare Werken en Woningzaken, Afdeling Wegen en
Reiniging, ou le service indépendant qui s'y substituera». L'article 2 du règlement
en matière de déchets de la Gemeente Arnhem, tel que modifié le 4 juillet 1994,
désigne comme service de collecte le Dienst Milieu en Openbare Werken. Il
précise par ailleurs que, «A dater du 1er juillet 1994, ce service sera assuré par la
société anonyme ARA, service de nettoyage communal indépendant».
Le litige au principal
- 8.
- En 1993, les communes ont envisagé de fusionner les services communaux de
collecte de déchets et de les confier à une nouvelle personne morale. Par décisions
des 6 et 28 juin 1994, les communes d'Arnhem et de Rheden ont respectivement
décidé de constituer la société anonyme ARA et de lui confier une série de tâches
prévues par la loi dans le domaine de l'enlèvement des ordures et, dans le cas de
la Gemeente Arnhem, de la voirie urbaine.
- 9.
- ARA a été constituée le 1er juillet 1994. L'article 2 de ses statuts prévoit:
«1. La société a pour objet:
a) l'accomplissement de toute opération dans le domaine économique, qui vise
à (faire) collecter (et, si possible, recycler), de manière efficace, effective et
écologique, les déchets, tels que les ordures ménagères, les déchets des
entreprises et les flux partiels à déterminer, ainsi que l'accomplissement
d'activités dans le domaine du nettoyage de la voirie, de la lutte contre les
parasites et de la désinfection;
b) la constitution (commune) d'entreprises, la coopération avec des entreprises,
la participation dans des entreprises, la (co)direction et la surveillance
d'entreprises, ainsi que l'acquisition et le financement d'entreprises, dont les
activités qui ont de près ou de loin un rapport avec les opérations/activités
décrites sous a);
c) l'accomplissement de toute opération dans le domaine économique, qui a
un rapport avec les points qui précèdent ou qui favorise les opérations,
activités et actes qui y sont définis (à la condition qu'il soit ainsi satisfait à
des besoins d'intérêt général).
2. La société accomplit ces activités d'une manière socialement acceptable.»
- 10.
- En vertu de l'article 6 des statuts, les actionnaires d'ARA peuvent uniquement être
des personnes morales de droit public ou des sociétés dont les parts sont détenues
à concurrence d'au moins 90 % par de telles personnes morales et, en outre, la
société elle-même. Conformément à l'article 13, paragraphe 2, des statuts, les
communes désignent cinq des minimum sept et maximum neuf membres siégeant
au conseil de surveillance.
- 11.
- Les accords-cadres que les communes ont conclus avec ARA spécifient, notamment
dans leurs préambules, que les communes souhaitent faire accomplir les tâches en
question exclusivement par ARA, raison pour laquelle elles lui ont octroyé des
concessions à cet effet.
- 12.
- S'agissant de la rémunération d'ARA, l'article 8 de l'accord-cadre conclu entre la
Gemeente Rheden et ARA prévoit, notamment:
«8.1. Rheden versera à ARA pour les services que celle-ci lui fournit desrémunérations qui devront être précisées.
8.2. Les rémunérations des services qui sont visés au paragraphe précédent sont
définies par addition d'un paragraphe financier aux spécifications et normes
de qualité par activité qui figurent dans les contrats partiels.
8.3. Les rémunérations effectives pour les services fournis seront fixées:
a. soit sur la base des prix unitaires convenus préalablement par
opération, par résultat ou par unité de prestation;
b. soit sur la base d'un prix fixe convenu préalablement pour une
mission déterminée;
c. soit sur la base de la facturation des frais réellement exposés.
...»
- 13.
- L'article 9 de cet accord-cadre contient les dispositions suivantes:
«9.1. Des avances sur les rémunérations susvisées seront versées à des échéances
qui devront être précisées ou par groupes d'opérations, de résultats ou
d'unités de prestation. Ces avances seront décomptées des paiements
définitifs.
9.2. Si ARA facture et/ou effectue des opérations sujettes à encaissement pour
le compte de la Gemeente Rheden ou encore perçoit d'autres paiements de
tiers au nom de la Gemeente Rheden, ces revenus devront être transférés
à celle-ci selon des modalités qui seront précisées de commun accord. En
ce qui concerne le risque de paiement de ces montants, une réglementation
plus précise devra également être arrêtée.»
- 14.
- La convention de prestation de services relative au ramassage des ordures
ménagères, conclue entre la Gemeente Rheden et ARA, prévoit, en son article 7,
que la rémunération que la commune paiera à ARA pour la collecte et le transport
des immondices ainsi que le mode de calcul de cette rémunération sont décrits
dans le plan d'exécution.
- 15.
- Les mêmes modalités de rémunération ont été établies entre la Gemeente Arnhem
et ARA.
- 16.
- Alors qu'ARA accomplissait initialement toutes les activités de collecte des déchets
ménagers, de voirie urbaine et de collecte des déchets industriels, ces activités ont
par la suite été scindées entre elle et la société anonyme Aracom. Tandis qu'ARA
continue à assurer la collecte des déchets ménagers, Aracom s'est vu confier la
collecte des déchets industriels. En outre, une société holding, ARA Holding NV,
a été constituée, laquelle détient la totalité du capital de ces deux sociétés.
- 17.
- BFI est une entreprise privée, qui a notamment pour activité la collecte et le
traitement des déchets ménagers et industriels.
- 18.
- Le 2 novembre 1994, BFI a saisi l'Arrondissementsrechtbank te Arnhem afin de
voir juger que la directive 92/50 s'applique à l'attribution du marché accordé à
ARA, en sorte que les communes devaient mettre en oeuvre la procédure
d'adjudication prévue à cette directive. L'Arrondissementsrechtbank te Arnhem a,
par jugement du 18 mai 1995, fait droit à la demande de BFI. Il a estimé que la
tâche en question n'avait pas été confiée à une instance sur la base d'un droit
exclusif dont elle bénéficiait en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou
administratives publiées, en sorte que l'exception prévue à l'article 6 de la directive
92/50 n'était pas applicable.
- 19.
- Les communes ont interjeté appel de cette décision devant le Gerechtshof te
Arnhem.
- 20.
- Dans son arrêt avant dire droit du 25 juin 1996, le Gerechtshof te Arnhem a rejeté
l'interprétation de l'Arrondissementsrechtbank selon laquelle le marché n'aurait pas
été attribué à une instance sur la base d'un droit exclusif en vertu de dispositions
législatives, réglementaires ou administratives publiées, au sens de l'article 6 de la
directive 92/50.
- 21.
- Il a, en effet, considéré que, en vertu de la Wet milieubeheer, les communes ont
l'obligation de veiller à ce que les ordures ménagères soient collectées. Afin de
remplir cette obligation, elles ont, par arrêtés des 6 et 28 juin 1994, désigné ARA
comme unique opérateur chargé de la collecte des déchets. En outre, elles ont
expressément modifié leurs règlements en matière de déchets, qui accordent
explicitement à ARA un droit exclusif, puisqu'ils interdisent à tout autre service de
collecter les ordures ménagères sans l'autorisation préalable du collège échevinal.
- 22.
- Dès lors, le Gerechtshof te Arnhem a considéré qu'ARA relevait de l'exception
prévue à l'article 6 de la directive 92/50 pour autant qu'elle soit considérée comme
un organisme de droit public au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50.
- 23.
- Dans ces conditions, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de
poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Dans le cadre de l'interprétation de l'article 6, l'article 1er, sous b), premier
tiret, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant
coordination des procédures de passation des marchés publics de services,
qui dispose que, 'par organisme de droit public, on entend tout organisme
créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un
caractère autre qu'industriel ou commercial, doit-il être interprété en ce
sens
i) qu'une distinction doit être opérée entre, d'une part, les besoins
d'intérêt général et, d'autre part, les besoins ayant un caractère
industriel ou commercial,
ou
ii) qu'une distinction doit être opérée entre, d'une part, les besoins
d'intérêt général n'ayant pas un caractère industriel ou commercial et,
d'autre part, les besoins d'intérêt général ayant un caractère industriel
ou commercial?
2) Si la réponse à la première question est qu'il faut opérer la distinction à
laquelle il est référé sous i):
a) la notion de 'besoins d'intérêt général doit-elle alors être interprétée
en ce sens qu'il ne peut être question de satisfaire des besoins
d'intérêt général si des entreprises privées satisfont ces besoins?
et
b) en cas de réponse positive à la question posée sous a), la notion de
'besoins ayant un caractère industriel ou commercial doit-elle alors
être interprétée en ce sens qu'il est question de satisfaire des besoins
ayant un caractère industriel ou commercial à chaque fois que des
entreprises privées satisfont ces besoins?
3) Si la réponse à la première question est qu'il faut opérer la distinction à
laquelle il est référé sous ii), les notions de 'besoins d'intérêt général
n'ayant pas un caractère industriel ou commercial et de 'besoins d'intérêt
général ayant un caractère industriel ou commercial doivent-elles alors être
interprétées en ce sens que la distinction entre ces notions dépend de la
réponse à la question de savoir si des entreprises privées (concurrentes)
satisfont ou non ces besoins?
4) L'exigence que l'organisme soit créé 'pour satisfaire spécifiquement des
besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou
commercial doit-elle être interprétée en ce sens qu'il ne peut être question
de 'satisfaire spécifiquement que si l'organisme satisfait exclusivement ces
besoins?
5) En cas de réponse négative à la quatrième question, l'organisme doit-il
presque exclusivement, ou en grande partie, ou de manière prépondérante,
ou, le cas échéant, d'une autre manière, satisfaire des besoins d'intérêt
général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, pour
(continuer à) répondre à l'exigence que l'organisme a été créé pour
satisfaire spécifiquement ces besoins?
6) La réponse aux première à cinquième questions est-elle différente si les
besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou
commercial que l'organisme est censé satisfaire sont fondés sur une loi au
sens formel, des dispositions administratives, des actes réglementaires ou
autres?
7) La réponse à la quatrième question est-elle différente si les activités
commerciales sont exercées par une personne morale distincte, qui fait
partie d'un groupe/concern au sein duquel sont également exercées des
activités visant à satisfaire des besoins d'intérêt général?»
- 24.
- A titre liminaire, il convient de relever que, dans ses observations écrites, le
gouvernement français a estimé que les contrats liant les communes à ARA
pouvaient être considérés comme étant des concessions de service public qui
seraient dès lors exclus du champ d'application de la directive 92/50. Il a soutenu
que, pour qu'il y ait concession de service public au sens du droit communautaire,
il fallait que le contractant soit rémunéré soit par le droit d'exploiter le service, soit
par ce droit assorti d'un prix.
- 25.
- A cet égard, sans qu'il soit nécessaire d'interpréter la notion de concession de
service public, qui ne fait pas l'objet des questions posées par la juridiction
nationale, il suffit de constater qu'il résulte des renseignements fournis par les
communes en réponse à une question posée par la Cour, et notamment des articles
8 et 9 de l'accord-cadre conclu entre la Gemeente Rheden et ARA ainsi que de
l'article 7 de la convention de prestation de services relative au ramassage des
ordures ménagères conclue entre les mêmes parties, que la rémunération versée
à ARA consiste uniquement dans un prix et non pas dans le droit d'exploiter le
service.
- 26.
- Le gouvernement français a également soutenu qu'ARA devrait être qualifiée
d'association formée par plusieurs collectivités au sens de l'article 1er, sous b), de
la directive 92/50. Or, une telle association constituerait un pouvoir adjudicateur de
plein droit sans qu'il soit besoin d'examiner si elle est un organisme de droit public.
- 27.
- Il convient de constater, ainsi que l'a souligné M. l'avocat général aux points 40 et
41 de ses conclusions, qu'une entité déterminée ne saurait relever à la fois de deux
catégories différentes énumérées à l'article 1er, sous b), de la directive 92/50 et que
la notion d'association ne revêt qu'une fonction résiduelle, ce qui est par ailleurs
confirmé par sa position dans le libellé de cette disposition. Il y a lieu par
conséquent de vérifier si une société telle qu'ARA, bien que fondée à l'initiative
de deux communes, peut être qualifiée d'organisme de droit public.
- 28.
- A cet égard, il résulte de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50
qu'un organisme de droit public est un organisme créé pour satisfaire
spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel
ou commercial, doté de la personnalité juridique et dépendant étroitement de
l'État, de collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public (voir arrêt
du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., C-44/96, Rec. p. I-73,
point 20).
- 29.
- Ainsi que la Cour l'a constaté dans l'arrêt Mannesmann Anlagenbau Austria e.a.,
précité, point 21, les trois conditions qu'énonce cette disposition ont un caractère
cumulatif.
- 30.
- La juridiction de renvoi estime que les deuxième et troisième conditions sont
remplies. Ses questions ne portent donc que sur la première condition.
Sur la première question
- 31.
-
Par sa première question, la juridiction de renvoi demande des précisions sur la
relation entre les termes «besoins d'intérêt général» et les termes «ayant un
caractère autre qu'industriel ou commercial». Elle demande en particulier si cette
dernière expression vise à limiter la notion de besoins d'intérêt général à ceux ayant
un caractère autre qu'industriel ou commercial ou, au contraire, si elle signifie que
tous les besoins d'intérêt général ont un caractère autre qu'industriel ou
commercial.
- 32.
- A cet égard, il ressort du libellé de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la
directive 92/50 dans ses différentes versions linguistiques que le caractère autre
qu'industriel ou commercial est un critère qui vise à préciser la notion des besoins
d'intérêt général au sens de cette disposition.
- 33.
- Dans l'arrêt Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., précité, points 22 à 24, la Cour
a retenu la même interprétation s'agissant de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa,
de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des
procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54),
disposition identique en substance à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la
directive 92/50.
- 34.
- En outre, la seule interprétation susceptible de garantir l'effet utile de l'article 1er,
sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50 consiste à considérer que ce dernier
a créé, à l'intérieur de la catégorie des besoins d'intérêt général, une sous-catégorie
de ceux d'entre eux qui ont un caractère autre qu'industriel ou commercial.
- 35.
- En effet, si le législateur communautaire avait estimé que tous les besoins d'intérêt
général ont un caractère autre qu'industriel ou commercial, il ne l'aurait pas
spécifié puisque, dans cette perspective, ce second élément de la définition n'aurait
aucune utilité.
- 36.
- Il convient par conséquent de répondre à la première question que l'article 1er, sous
b), deuxième alinéa, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens que le
législateur a opéré une distinction entre, d'une part, les besoins d'intérêt général
ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial et, d'autre part, les besoins
d'intérêt général ayant un caractère industriel ou commercial.
Sur la deuxième question
- 37.
- Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de
répondre à la deuxième question.
Sur la troisième question
- 38.
- Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si la
notion de besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou
commercial exclut des besoins qui sont également satisfaits par des entreprises
privées.
- 39.
- Selon BFI, il ne saurait être question d'organisme de droit public lorsque des
entreprises privées peuvent exercer les mêmes activités, activités qui se prêtent
donc au jeu de la concurrence. En l'occurrence, plus de la moitié des communes
aux Pays-Bas confieraient le ramassage des déchets à des opérateurs économiques
privés. Il s'agirait donc d'un marché commercial et les organismes actifs sur ce
marché ne constitueraient pas des organismes de droit public au sens de l'article
1er, sous b), de la directive 92/50.
- 40.
- A cet égard, il importe d'abord de souligner que l'article 1er, sous b), deuxième
alinéa, premier tiret, de la directive 92/50 ne se réfère qu'aux besoins que
l'organisme doit satisfaire et ne fait nullement référence à la circonstance que ces
besoins puissent ou non être également satisfaits par des entreprises privées.
- 41.
- Ensuite, il convient de rappeler que la coordination au niveau communautaire des
procédures de passation des marchés publics de services vise à supprimer les
entraves à la libre prestation des services et donc à protéger les intérêts des
opérateurs économiques établis dans un État membre désireux d'offrir des biens
ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre.
- 42.
- Par conséquent, l'objectif de la directive 92/50 est d'exclure le risque qu'une
préférence soit donnée aux soumissionnaires ou candidats nationaux lors de toute
passation de marché effectuée par les pouvoirs adjudicateurs (voir, en ce sens, arrêt
Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., précité, point 33).
- 43.
- Or, le fait qu'il existe une concurrence ne suffit pas pour exclure la possibilité qu'un
organisme financé ou contrôlé par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres
organismes de droit public se laisse guider par des considérations autres
qu'économiques. Ainsi, par exemple, un tel organisme pourrait être conduit à subir
des pertes financières afin de poursuivre une certaine politique d'achat de l'entité
dont il dépend étroitement.
- 44.
- En outre, étant donné qu'il est difficilement concevable que des activités ne
puissent en aucun cas être exercées par des entreprises privées, la condition qu'il
n'y ait pas d'entreprises privées qui puissent satisfaire les besoins pour lesquels
l'organisme concerné a été créé risquerait de vider de sa substance la notion
d'organisme de droit public visée à l'article 1er, sous b), de la directive 92/50.
- 45.
- Il ne saurait être objecté que, par le recours à l'article 6 de la directive 92/50, les
pouvoirs adjudicateurs peuvent se soustraire à la concurrence des entreprises
privées qui s'estiment capables de satisfaire les mêmes besoins d'intérêt général que
l'organisme concerné. En effet, la protection des concurrents des organismes de
droit public est déjà garantie par les articles 85 et suivants du traité CE, car
l'application de l'article 6 de la directive 92/50 est subordonnée à la condition que
les dispositions législatives, réglementaires et administratives qui sont à la base du
droit exclusif dont l'organisme bénéficie soient compatibles avec le traité.
- 46.
- C'est ainsi que, dans l'arrêt Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., précité, point
24, la Cour a estimé qu'une imprimerie d'État satisfaisait des besoins d'intérêt
général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial sans examiner la
question de savoir si des entreprises privées pourraient satisfaire les mêmes
besoins.
- 47.
- Il en résulte que l'article 1er, sous b), de la directive 92/50 peut s'appliquer à un
organisme déterminé même si des entreprises privées satisfont ou pourraient
satisfaire les mêmes besoins que lui et que l'absence de concurrence n'est pas une
condition nécessaire aux fins de la définition d'un organisme de droit public.
- 48.
- Il convient toutefois de souligner que l'existence de la concurrence n'est pas
dépourvue de toute pertinence pour résoudre la question de savoir si un besoin
d'intérêt général a un caractère autre qu'industriel ou commercial.
- 49.
- En effet, l'existence d'une concurrence développée, et en particulier le fait que
l'organisme concerné agit en situation de concurrence sur le marché, peut être un
indice au soutien du fait qu'il ne s'agit pas d'un besoin d'intérêt général ayant un
caractère autre qu'industriel ou commercial.
- 50.
- Ces derniers besoins, en revanche, sont en règle générale satisfaits d'une manière
autre que par l'offre de biens ou de services sur le marché, comme l'illustre
l'énumération des organismes de droit public contenue à l'annexe I de la directive
71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de
passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), telle que modifiée par
la directive 93/37, à laquelle l'article 1er, sous b), de la directive 92/50 fait référence.
Sans être exhaustive, cette liste est destinée à être aussi complète que possible.
- 51.
- L'analyse de cette énumération démontre qu'il s'agit en général de besoins que,
pour des raisons liées à l'intérêt général, l'État choisit de satisfaire lui-même ou à
l'égard desquels il entend conserver une influence déterminante.
- 52.
- En l'occurrence, il ne saurait être contesté que l'enlèvement et le traitement des
ordures ménagères peuvent être considérés comme constituant un besoin d'intérêt
général. Le degré de satisfaction de ce besoin jugé nécessaire pour des raisons de
santé publique et de protection de l'environnement pouvant ne pas être atteint par
l'offre de services d'enlèvement totalement ou partiellement faite aux particuliers
par des opérateurs économiques privés, cette activité fait partie de celles dont un
État peut décider qu'elles doivent être exercées par des autorités publiques ou à
l'égard desquelles il entend conserver une influence déterminante.
- 53.
- A la lumière de ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que
la notion de besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou
commercial n'exclut pas des besoins qui sont également satisfaits ou pourraient
l'être par des entreprises privées.
Sur les quatrième, cinquième et septième questions
- 54.
- Par ses quatrième, cinquième et septième questions, la juridiction de renvoi
demande si la condition selon laquelle un organisme doit avoir été créé pour
satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général implique que l'activité de cet
organisme doit dans une grande mesure avoir pour objet de satisfaire de tels
besoins.
- 55.
- A cet égard, il convient de rappeler que la Cour a constaté, dans l'arrêt
Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., précité, point 25, qu'il est indifférent que,
outre sa mission de satisfaire des besoins d'intérêt général, une entité soit libre
d'accomplir d'autres activités. Le fait que la satisfaction des besoins d'intérêt
général ne constitue qu'une partie relativement peu importante des activités
réellement entreprises par cette entité est, lui aussi, sans pertinence, dès lors qu'elle
continue à se charger des besoins qu'elle est spécifiquement obligée de satisfaire.
- 56.
- Étant donné que la qualité d'organisme de droit public ne dépend pas de
l'importance relative de la satisfaction de besoins d'intérêt général ayant un
caractère autre qu'industriel ou commercial dans l'activité de l'organisme concerné,
il est à plus forte raison indifférent que des activités commerciales soient exercées
par une personne morale distincte qui fait partie du même groupe ou «concern»
que lui.
- 57.
- Il convient d'ajouter que, inversement, le fait qu'il y a parmi eux un organisme de
droit public ne suffit pas pour que toutes les entreprises membres d'un groupe ou
«concern» soient considérées comme des pouvoirs adjudicateurs (voir, en ce sens,
arrêt Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., précité, point 39).
- 58.
- Il convient par conséquent de répondre aux quatrième, cinquième et septième
questions que la qualité d'organisme de droit public ne dépend pas de l'importance
relative de la satisfaction de besoins d'intérêt général ayant un caractère autre
qu'industriel ou commercial dans l'activité de l'organisme en question. Il estégalement indifférent que des activités commerciales soient exercées par une
personne morale distincte qui fait partie du même groupe ou «concern» que lui.
Sur la sixième question
- 59.
- Par sa sixième question, le juge de renvoi interroge enfin la Cour sur les
conséquences qu'il convient de tirer du fait que les dispositions créant l'organisme
en question et spécifiant les besoins qu'il doit satisfaire ont un caractère législatif,
réglementaire, administratif ou autre.
- 60.
- A cet égard, il convient de constater que, tandis que le fondement du droit exclusif
dans des dispositions législatives, réglementaires ou administratives publiées est
essentiel pour l'application de l'article 6 de la directive 92/50, il ne fait pas partie
de la définition de l'organisme de droit public.
- 61.
- En effet, le libellé de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50 ne
contient aucune référence au fondement juridique des activités de l'organisme
concerné.
- 62.
- En outre, il convient de rappeler que, en vue de donner plein effet au principe de
la libre circulation, la notion de pouvoir adjudicateur doit recevoir une
interprétation fonctionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 1988, Beentjes,
31/87, Rec. p. 4635, point 11). Cette nécessité s'oppose à ce qu'une distinction soit
faite selon la forme juridique des dispositions créant l'organisme et spécifiant les
besoins qu'il doit satisfaire.
- 63.
- Il convient par conséquent de répondre à la sixième question que l'article 1er, sous
b), deuxième alinéa, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens que
l'existence ou l'absence de besoins d'intérêt général ayant un caractère autre
qu'industriel ou commercial s'apprécie objectivement, la forme juridique des
dispositions dans lesquelles de tels besoins sont exprimés étant, à cet égard,
indifférente.
Sur les dépens
- 64.
- Les frais exposés par les gouvernements néerlandais, danois, allemand, espagnol,
français, autrichien, finlandais, suédois et du Royaume-Uni, ainsi que par la
Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet
d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le
caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
statuant sur les questions à elle soumises par le Gerechtshof te Arnhem, par arrêt
du 29 octobre 1996, dit pour droit:
1) L'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50/CEE du Conseil,
du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des
marchés publics de services, doit être interprété en ce sens que le
législateur a opéré une distinction entre, d'une part, les besoins d'intérêt
général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial et, d'autre
part, les besoins d'intérêt général ayant un caractère industriel ou
commercial.
2) La notion de besoins d'intérêt général ayant un caractère autre
qu'industriel ou commercial n'exclut pas des besoins qui sont également
satisfaits ou pourraient l'être par des entreprises privées.
3) La qualité d'organisme de droit public ne dépend pas de l'importance
relative de la satisfaction de besoins d'intérêt général ayant un caractère
autre qu'industriel ou commercial dans l'activité de l'organisme en
question. Il est également indifférent que des activités commerciales soient
exercées par une personne morale distincte qui fait partie du même groupe
ou «concern» que lui.
4) L'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50 doit être
interprété en ce sens que l'existence ou l'absence de besoins d'intérêt
général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial s'apprécie
objectivement, la forme juridique des dispositions dans lesquelles de tels
besoins sont exprimés étant, à cet égard, indifférente.
Rodríguez Iglesias Kapteyn Puissochet
Jann Mancini Moitinho de Almeida Edward
Sevón Wathelet Schintgen Ioannou
|
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 novembre 1998.
Le greffier
Le président
R. Grass
G. C. Rodríguez Iglesias