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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

30 mars 2006 (*)

«Pêche – Règlement répartissant les quotas de captures entre États membres – Acte d’adhésion de l’Espagne – Fin de la période transitoire – Exigence de stabilité relative – Principe de non‑discrimination – Nouvelles possibilités de pêche»

Dans les affaires jointes C-87/03 et C-100/03,

ayant pour objet deux recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduits les 27 et 28 février 2003,

Royaume d’Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. G. Ramos Ruano et F. Florindo Gijón, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. T. van Rijn, F. Jimeno Fernandez et Mme S. Pardo Quintillán, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté M. D. Wyatt, QC, et M. K. Manji, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský, J.‑P. Puissochet, S. von Bahr (rapporteur) et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mai 2005,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1       Par ses requêtes, le Royaume d’Espagne demande à la Cour l’annulation du règlement (CE) n° 2341/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, établissant, pour 2003, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO L 356, p. 12), dans la mesure où il ne lui attribue pas certains quotas portant sur des possibilités de pêche ayant fait l’objet d’une répartition en mer du Nord et en mer Baltique postérieurement à son adhésion à la Communauté (affaire C‑87/03) et en mer du Nord antérieurement à celle‑ci (affaire C‑100/03).

 Le cadre juridique et la procédure

 L’acte d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise

2       Les articles 156 à 166 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23, ci‑après l’«acte d’adhésion») réglementent en particulier l’accès des navires espagnols aux eaux communautaires ainsi qu’à leurs ressources. Il résulte des dispositions dudit article 166 que le régime ainsi défini est applicable pendant une période venant à échéance le 31 décembre 2002 (ci-après la «période transitoire»).

 Les règlements nos 170/83 et 172/83

3       Par le règlement (CEE) n° 170/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche (JO L 24, p.1), le législateur a établi des règles de répartition du volume global des captures entre les États membres. L’objectif du Conseil de l’Union européenne était notamment de contribuer à une stabilité relative des activités de pêche. Les cinquième à septième considérants de ce règlement présentent la notion de stabilité relative comme visant à préserver les besoins particuliers des régions dont les populations locales sont particulièrement tributaires de la pêche et des industries connexes, eu égard à la situation biologique momentanée des stocks.

4       Le Conseil a pour la première fois procédé à la répartition des ressources disponibles dans les eaux communautaires (ci-après la «répartition initiale») par le règlement (CEE) n° 172/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, fixant, pour certains stocks ou groupes de stocks de poissons évoluant dans la zone de pêche de la Communauté, les totaux admissibles des captures pour 1982, la part de ces captures disponible pour la Communauté, la répartition de cette part entre les États membres et les conditions dans lesquelles les totaux admissibles des captures peuvent être pêchés (JO L 24, p. 30).

5       Afin de permettre une répartition équitable des ressources disponibles, il ressort du quatrième considérant du règlement n° 172/83 que le Conseil a tenu compte tout particulièrement des activités de pêche traditionnelles, des besoins spécifiques des régions particulièrement tributaires de la pêche et des industries connexes, et de la perte de potentialité de pêche dans les eaux de pays tiers.

 Le règlement nº 3760/92

6       Le règlement (CEE) n° 3760/92 du Conseil, du 20 décembre 1992, instituant un régime communautaire de la pêche et de l’aquaculture (JO L 389, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1181/98 du Conseil, du 4 juin 1998 (JO L 164, p. 1, ci‑après le «règlement n° 3760/92»), abroge le règlement n° 170/83. Son article 8, paragraphe 4, sous i), prévoit que le Conseil détermine pour chaque pêcherie ou groupe de pêcheries, au cas par cas, le total admissible des captures et/ou le total admissible de l’effort de pêche, le cas échéant, sur une base pluriannuelle.

7       L’article 8, paragraphe 4, sous ii), du règlement n° 3760/92 dispose que le Conseil répartit les possibilités de pêche entre les États membres de façon à garantir la stabilité relative des activités de pêche de chaque État membre pour chacun des stocks concernés. Cette notion de stabilité relative est décrite aux douzième à quatorzième considérants de ce règlement. Selon le douzième considérant, la conservation et la gestion des ressources doivent contribuer à une plus grande stabilité des activités de pêche et doivent être évaluées sur la base d’une répartition de référence reflétant les orientations données par le Conseil. Le treizième considérant reprend en substance les termes du préambule du règlement n° 170/83 mentionnés au point 3 du présent arrêt.

8       Selon l’article 8, paragraphe 4, sous iii), du règlement n° 3760/92, lorsque la Communauté crée pour une pêcherie ou un groupe de pêcheries de nouvelles possibilités qui n’ont pas été exploitées auparavant en vertu de la politique commune de la pêche, le Conseil arrête les méthodes de répartition, compte tenu des intérêts de tous les États membres.

 Le règlement nº 2341/2002

9       Le 20 décembre 2002, le Conseil a adopté le règlement n° 2341/2002, objet du présent recours, en se fondant notamment sur les dispositions de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 3760/92.

 Le règlement nº 2371/2002

10     Le 20 décembre 2002, le Conseil a également adopté le règlement (CE) n° 2371/2002 relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59), qui abroge le règlement n° 3760/92 à compter du 1er janvier 2003. L’article 17, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002 dispose que les navires de pêche communautaires jouissent d’une égalité d’accès aux eaux et aux ressources dans toutes les eaux communautaires définies à cet article sous réserve des mesures adoptées pour assurer la conservation et la durabilité des espèces.

11     Sous la rubrique intitulée «Attribution des possibilités de pêche», l’article 20, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que le Conseil arrête les limitations de capture et/ou de l’effort de pêche, la répartition des possibilités de pêche entre les États membres, ainsi que les mesures associées à ces limitations. Les possibilités de pêche sont réparties entre les États membres de manière à assurer à chacun une stabilité relative des activités de pêche pour chaque stock ou pêcherie.

12     Le paragraphe 2 dudit article dispose que, lorsque la Communauté fixe de nouvelles possibilités de pêche, le Conseil statue sur l’attribution desdites possibilités, compte tenu des intérêts de chaque État membre.

 Les antécédents des litiges et la procédure

13     Au cours de la négociation du règlement n° 2341/2002 relatif aux possibilités de pêche pour l’année 2003, le Royaume d’Espagne, estimant qu’il était en droit, à compter de la fin de la période transitoire, de participer à la répartition des espèces soumises à des limitations de captures en mer du Nord et en mer Baltique, a présenté une demande au Conseil en vue d’obtenir des quotas de pêche dans ces deux mers.

14     Cet État membre a soutenu que les quotas répartis avant et après son adhésion à la Communauté, dans la zone à laquelle la flotte espagnole n’avait pas accès pendant la période transitoire, devaient être révisés pour tenir compte, d’une part, de l’incapacité purement légale dans laquelle il s’était trouvé de participer à cette répartition et, d’autre part, des captures de ladite flotte en mer du Nord durant la période couvrant les années 1973 à 1978.

15     Le Conseil a rejeté la demande du Royaume d’Espagne.

16     C’est dans ces conditions que celui-ci a décidé d’introduire les présents recours.

17     Par ordonnances des 27 juin et 28 août 2003, la Commission des Communautés européennes et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été respectivement admis à intervenir à l’appui des conclusions du Conseil dans les affaires C‑87/03 et C‑100/03.

18     Par ordonnance du 4 avril 2005, les affaires C‑87/03 et C‑100/03 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Conclusions des parties

19     Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       annuler le règlement n° 2341/2002 dans la mesure où il ne lui attribue pas certains quotas de pêche en mer du Nord et en mer Baltique, et

–       condamner le Conseil aux dépens.

20     Le Conseil, soutenu par la Commission et le Royaume-Uni, conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       rejeter les recours, et

–       condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

 Sur les recours

21     Par ses recours, le Royaume d’Espagne fait valoir que, en n’ayant pas obtenu par le règlement n° 2341/2002 certains quotas de pêche en mer du Nord et en mer Baltique, la flotte espagnole se trouve en pratique et malgré la fin de la période transitoire dans l’impossibilité de pêcher la plupart des espèces soumises à quotas dans ces deux mers. Le gouvernement de cet État membre soulève plusieurs moyens. Parmi ceux‑ci, deux sont identiques dans les deux affaires jointes et sont fondés, pour le premier, sur une atteinte au principe de non‑discrimination et, pour le second, sur une violation de l’acte d’adhésion. En outre, il soulève un troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002, dans l’affaire C‑87/03, et d’une atteinte au principe de stabilité relative, dans l’affaire C‑100/03.

22     Bien qu’une méconnaissance du principe de stabilité relative ne soit invoquée sous la forme d’un moyen distinct que dans l’affaire C‑100/03, elle est également mentionnée dans les deux affaires au soutien des allégations de discrimination et de violation de l’acte d’adhésion. Il convient par conséquent de l’examiner en premier lieu en relation avec les deux affaires.

 Sur le moyen et les arguments tirés d’une atteinte au principe de stabilité relative

 Observations des parties

23     Le gouvernement espagnol soutient que le principe de stabilité relative a une portée générale et s’applique, par conséquent, aux différentes répartitions de quotas mais que la répartition initiale datant de 1983 peut être modifiée en raison d’évènements déterminants. L’expiration de la période transitoire constituerait un tel évènement.

24     Il en résulterait que le Royaume d’Espagne serait désormais pleinement intégré dans la politique commune de la pêche et, dès lors, que la répartition initiale effectuée avant son adhésion à la Communauté devrait être modifiée de manière qu’il puisse en bénéficier. Les navires espagnols devraient ainsi recevoir des quotas qui tiennent compte de deux des critères utilisés lors de la répartition initiale, rappelés au point 5 du présent arrêt, à savoir les activités de pêche traditionnelles et les besoins spécifiques de ses régions particulièrement tributaires de la pêche et des industries connexes.

25     Ledit gouvernement souligne que les navires espagnols ont pêché en mer du Nord entre les années 1973 et 1976. Il soutient de plus que, lors de la répartition des quotas effectuée pour l’année 2003, conformément au principe de stabilité relative, seules doivent être prises en compte les régions dont les populations sont, à cette date, particulièrement tributaires de la pêche et de ses activités connexes et non celles qui, uniquement à un moment donné du passé, ont présenté ces caractéristiques.

26     Le Conseil, la Commission et le Royaume-Uni soutiennent que la répartition des quotas effectuée par le règlement n° 2341/2002 est pleinement respectueuse de l’objectif d’une exploitation rationnelle des ressources et des règles de répartition établies selon le principe de stabilité relative.

 Appréciation de la Cour

27     La Cour a déjà jugé dans l’arrêt du 16 juin 1987, Romkes (46/86, Rec. p. 2671, point 17), et confirmé dans une série d’arrêts prononcés en 1992 que l’exigence de stabilité relative doit s’entendre comme signifiant le maintien d’un pourcentage fixe pour chaque État membre lors des répartitions des possibilités de pêche. La Cour a ajouté que la clé de répartition, initialement fixée en tenant compte des quantités pêchées en moyenne par les flottes des différents États membres pendant la période située entre les années 1973 et 1978, continuera à s’appliquer tant qu’un règlement modificatif n’aura pas été adopté selon la procédure qui a été suivie pour le règlement n° 170/83 (voir, notamment, arrêts Romkes, précité, point 6; du 13 octobre 1992, Espagne/Conseil, C‑70/90, Rec. p. I-5159, point 15, Espagne/Conseil, C‑71/90, Rec. p. I-5175, point 15, et Espagne/Conseil, C‑73/90, Rec. p. I-5191, point 28).

28     La Cour s’est également prononcée sur les conséquences de l’adhésion d’un nouvel État membre, notamment celle du Royaume d’Espagne, à la Communauté. Elle a jugé qu’un tel évènement ne saurait produire, à lui seul, des effets juridiques étant donné que les conditions d’adhésion sont réglées dans l’acte correspondant (voir arrêt Espagne/Conseil, C‑70/99, précité, point 16). S’agissant de cet État membre, elle a déclaré que, en vertu de l’article 2 de l’acte d’adhésion, l’acquis communautaire, c’est-à-dire les dispositions des traités originaires et les actes pris par les institutions des Communautés avant cette adhésion, s’impose, en particulier le principe de stabilité relative tel qu’appliqué en 1983 (voir arrêts du 13 octobre 1992, Portugal et Espagne/Conseil, C‑63/90 et C‑67/90, Rec. p. I-5073, points 31, 32 et 34, et Espagne/Conseil, C‑70/90, précité, points 19 et 29).

29     Il s’ensuit que l’adhésion du Royaume d’Espagne n’a pas eu pour effet de contraindre le Conseil à modifier la répartition existante. Au contraire, la clé de répartition fixée antérieurement à cette adhésion fait partie de l’acquis communautaire et, en l’absence de changement adopté par le Conseil, s’impose à cet État membre.

30     S’agissant de la fin de la période transitoire, telle que définie dans l’acte d’adhésion, elle ne peut avoir que les effets juridiques prévus par ledit acte. Or, celui-ci ne prévoit ni une modification de la clé de répartition qui prendrait effet à l’expiration de la période transitoire ni même une obligation du Conseil de revoir cette clé à ce moment. En l’absence de dispositions particulières prévues dans l’acte d’adhésion ou de changement adopté par le Conseil à l’expiration de la période transitoire, la clé de répartition existante, établie en conformité avec le principe de stabilité relative, continue de s’appliquer.

31     Par ailleurs, le fait que les navires espagnols aient pêché en mer du Nord entre les années 1973 et 1976 ne saurait être invoqué pour justifier une modification de la clé de répartition. En effet, cette activité de pêche a cessé en 1977, à la suite de la décision prise par les États côtiers du Nord d’étendre leurs zones de pêche exclusive à 200 miles marins, dans le cadre de l’évolution du droit international de la mer. Cette situation a ensuite été maintenue dans l’accord bilatéral conclu en 1980 entre le Royaume d’Espagne et la Communauté européenne, puis dans l’acte d’adhésion.

32     Par conséquent, s’agissant de la clé de répartition des possibilités de pêche fixée avant l’adhésion du Royaume d’Espagne à la Communauté, l’absence de modifications de celle‑ci par un acte ultérieur du Conseil et notamment par le règlement n° 2341/2002 n’est pas contraire au principe de stabilité relative.

33     Il s’ensuit que le moyen soulevé dans l’affaire C‑100/03 tiré d’une atteinte à ce principe doit être écarté.

34     Eu égard aux considérations mentionnées au point 22 du présent arrêt, il convient d’examiner également les arguments soulevés dans le cadre de l’affaire C‑87/03 selon lesquels l’absence de révision de la clé de répartition utilisée pour l’attribution de quotas en mer du Nord et en mer Baltique pour la première fois après l’adhésion du Royaume d’Espagne a porté atteinte à ce principe.

35     S’agissant de ces dernières attributions, il importe de relever que le principe de stabilité relative, qui figure dans le règlement n° 3760/92, demeure pertinent.

36     Le Conseil, soutenu par la Commission, fait valoir qu’il a défini une période de référence récente et représentative, couvrant plusieurs années, et examiné les volumes capturés par les pêcheurs des États membres afin de tenir compte des besoins des populations particulièrement dépendantes de la pêche. Les navires espagnols n’étant pas présents dans les eaux concernées depuis de nombreuses années, aucun quota n’a été attribué au Royaume d’Espagne lors de la première répartition ni lors de celle effectuée pour l’année 2003, conformément au principe de stabilité relative.

37     Le gouvernement espagnol soutient, pour sa part, que ce principe aurait dû être modifié pour tenir compte des intérêts de cet État membre. Ce gouvernement fait valoir en substance que, au lieu de répartir les quotas en maintenant les pourcentages établis lors des répartitions effectuées au cours de la période transitoire, à une époque où le Royaume d’Espagne ne pouvait en bénéficier, le Conseil aurait dû tenir compte des activités de pêche des navires espagnols entre les années 1973 et 1976 ainsi que des besoins de ses populations qui vivent aujourd’hui de la pêche.

38     À cet égard, il convient de rappeler que la répartition des possibilités de pêche entre États membres, telle que prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 3760/92, implique l’évaluation d’une situation économique complexe pour laquelle le Conseil jouit d’un large pouvoir d’appréciation. Par conséquent, le contrôle du juge doit se limiter à vérifier si la mesure en cause n’est pas entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (arrêts du 12 juillet 2001, Jippes e.a., C‑189/01, Rec. p. I‑5689, point 80, et du 9 septembre 2004, Espagne/Commission, C‑304/01, Rec. p. I‑7655, point 23).

39     Dans le contexte d’une forte diminution des espèces relevée par le Conseil et la Commission, il y a lieu de considérer, tout d’abord, que le Conseil n’a pas porté atteinte au principe de stabilité relative, en fixant une période de référence récente couvrant plusieurs années pour la première répartition des quotas de certaines espèces en mer du Nord et en mer Baltique. Ainsi qu’il ressort du point 42 de l’arrêt du 25 octobre 2001, Italie/Conseil, C‑120/99, Rec. p. I‑7997, le législateur communautaire dispose, en effet, d’une flexibilité importante dans ce domaine.

40     Ensuite, le Conseil n’a pas davantage enfreint le principe de stabilité relative en excluant le Royaume d’Espagne de cette répartition, compte tenu de l’absence des navires espagnols de ces deux mers pendant la période transitoire.

41     Enfin, la même conclusion s’applique s’agissant du maintien de cette exclusion dans le cadre de la répartition des possibilités de pêche relative à l’année 2003, eu égard à la répartition précédente et à la circonstance, rappelée au point 31 du présent arrêt, que les navires espagnols n’avaient pas pêché les espèces concernées en mer du Nord et en mer Baltique pendant plus de vingt ans.

42     Il s’ensuit que les arguments soulevés dans l’affaire C‑87/03 relatifs à une atteinte au principe de stabilité relative doivent être écartés.

 Sur le moyen tiré d’une atteinte au principe de non-discrimination

 Observations des parties

43     Le gouvernement espagnol fait valoir que, à compter de l’expiration de la période transitoire, les navires espagnols devaient bénéficier non seulement de l’égalité d’accès aux eaux communautaires, qui ne leur est pas contestée, mais aussi à leurs ressources, ce qui impliquerait l’attribution de quotas de pêche en mer du Nord et en mer Baltique. En n’attribuant pas de tels quotas au Royaume d’Espagne, le règlement nº 2341/2002 ne respecterait pas les conditions d’égalité de traitement et créerait une discrimination à l’encontre des pêcheurs espagnols.

44     Aucune raison objective ne justifierait cette discrimination. Il conviendrait de respecter la règle générale de la pleine applicabilité de l’ensemble du droit communautaire aux nouveaux États membres à compter de leur adhésion. Les dérogations à cette règle, prévues par un acte d’adhésion, seraient temporaires et devraient être interprétées de manière restrictive.

45     Si, antérieurement au 31 décembre 2002, le Royaume d’Espagne ne pouvait pas invoquer les activités de pêche qu’exerçaient les navires espagnols dans les eaux de la mer du Nord pendant la période de référence des années 1973 à 1978, puisque le régime exceptionnel prévu par l’acte d’adhésion s’appliquait, il en irait autrement après cette date. Ces activités devraient désormais être prises en compte pour modifier la répartition des possibilités de pêche en vigueur jusqu’à son adhésion à la Communauté et pendant la période transitoire. Ainsi le Royaume d’Espagne devait se voir attribuer des quotas de pêche proportionnés à ce que les navires espagnols pêchaient avant l’entrée en vigueur du régime communautaire de conservation des ressources.

46     Le gouvernement espagnol ajoute que, en l’absence de période transitoire, le Royaume d’Espagne aurait participé aux répartitions de nouveaux quotas effectuées à partir de 1986, en considération de trois éléments: premièrement, les captures des pêcheurs espagnols dans la mer du Nord pendant les années 1973 à 1976, c’est‑à‑dire la période prise en compte pour le premier établissement du principe de stabilité relative; deuxièmement, les captures des mêmes espèces dans des zones connexes et, troisièmement, les besoins des pêcheurs espagnols en captures accessoires.

47     Selon le Conseil, la Commission et le Royaume-Uni, le règlement n° 2341/2002 ne crée pas de discrimination à l’encontre du Royaume d’Espagne. En effet, celui-ci serait traité de la même manière que les États membres qui n’ont pas bénéficié de la répartition initiale de quotas effectuée avant leur adhésion à la Communauté et qui constituent près de la moitié desdits États. Ces institutions et le Royaume‑Uni soulignent que le gouvernement espagnol ne fait pas la distinction qui s’impose entre la notion d’accès aux eaux communautaires et la notion d’accès à leurs ressources.

 Appréciation de la Cour

48     Le respect du principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêt du 17 octobre 1995, Fishermen’s Organisations e.a., C‑44/94, Rec. p. I‑3115, point 46).

49     La question se pose donc de savoir si la situation du Royaume d’Espagne est comparable à celle des États membres qui ont obtenu des quotas de pêche dans les eaux de la mer du Nord et de la mer Baltique par le règlement n° 2341/2002 .

50     La Cour a déjà eu à examiner la question d’une discrimination éventuelle à l’encontre d’États membres qui n’avaient pas obtenu certains quotas de pêche postérieurement à leur adhésion à la Communauté.

51     Au point 41 de l’arrêt Portugal et Espagne/Conseil, précité, la République portugaise a fait valoir que la flotte portugaise avait exercé des activités de pêche dans les eaux groenlandaises de l’année 1973 à l’année 1977, c’est-à-dire pendant une partie de la période de référence initiale, et soulignait que les quantités pêchées par sa flotte étaient comparables à celles capturées par la flotte allemande et nettement supérieures à celles capturées par la flotte du Royaume-Uni.

52     La Cour a néanmoins considéré que la situation de la République portugaise n’était pas comparable à celle des autres États membres bénéficiaires des répartitions. Elle a jugé que, dans la mesure où l’acte d’adhésion n’a pas modifié la situation existante en matière de répartition des ressources externes, l’acquis communautaire reste d’application et que, dès lors, les nouveaux États membres ne sauraient invoquer des circonstances antérieures à l’adhésion, dont notamment leurs activités de pêche au cours de la période de référence, pour écarter l’application des dispositions en cause. Depuis leur adhésion, ils se trouvent dans la même situation que les États membres exclus des répartitions en vertu du principe de la stabilité relative des activités de pêche, concrétisée, pour ce qui est des accords intervenus avant l’adhésion dans la répartition opérée en 1983 (arrêt Portugal et Espagne/Conseil, précité, points 43 et 44).

53     Ce raisonnement est transposable aux présentes affaires. Il en découle que le Royaume d’Espagne ne se trouve pas dans une situation comparable à celle des États membres dont les navires ont bénéficié de quotas lors de la répartition initiale et que, par conséquent, le gouvernement espagnol ne saurait invoquer les activités de pêche des navires espagnols entre les années 1973 et 1976 en mer du Nord, pendant la période de référence initiale. Sa situation est en revanche comparable à celle des États membres dont les navires n’ont pas obtenu de tels quotas, que ces États membres aient ou non exercé une activité de pêche dans les eaux de la mer du Nord et/ou de la mer Baltique pendant la période de référence initiale.

54     Il convient d’ajouter que la fin de la période transitoire ne change en rien cette situation.

55     En effet, le Conseil, la Commission et le Royaume-Uni ont fait valoir, à juste titre, qu’il importe de distinguer la notion d’accès aux eaux de celle d’accès aux ressources. Si, après la fin de la période transitoire, le Royaume d’Espagne peut à nouveau accéder aux eaux de la mer du Nord et de la mer Baltique, il n’en résulte pas que les navires espagnols peuvent avoir accès aux ressources de ces deux mers dans les mêmes proportions que des États membres qui ont participé à la répartition initiale ou à des répartitions ultérieures.

56     Ainsi qu’il ressort du point 41 du présent arrêt, le Conseil a pu estimer que les navires espagnols n’ayant pas pêché dans les eaux de la mer du Nord et de la mer Baltique pendant plus de vingt ans, l’absence d’attribution de quotas ne portait pas atteinte au principe de stabilité relative des activités de pêche des populations concernées. Il en résulte que le Conseil a également pu considérer que le Royaume d’Espagne n’était pas dans une situation équivalente à celle des États membres, dont les navires avaient récemment, au cours de la période de référence pertinente, pêché dans ces eaux.

57     Par conséquent, en ne traitant pas dans le règlement n° 2341/2002 le Royaume d’Espagne de la même manière que les États membres ayant participé à la répartition initiale des quotas de pêche, avant l’adhésion dudit Royaume, ou aux répartitions ultérieures, au cours de la période transitoire, le Conseil n’a pas agi de manière discriminatoire à son encontre.

58     Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une atteinte au principe de non‑discrimination.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’acte d’adhésion

 Observations des parties

59     Le gouvernement espagnol considère que, en n’attribuant pas au Royaume d’Espagne une partie des quotas de pêche ayant fait l’objet d’une répartition pour la zone des eaux communautaires de la mer du Nord et de la mer Baltique, après l’adhésion de cet État membre à la Communauté, le règlement n° 2341/2002 proroge la période transitoire au-delà de ce que prévoit l’acte d’adhésion et viole par conséquent les dispositions de celui‑ci.

60     Un raisonnement similaire s’appliquerait en ce qui concerne l’absence de révision dans ledit règlement de la clé de répartition fixée pour la mer du Nord, avant l’adhésion du Royaume d’Espagne à la Communauté.

61     Le gouvernement espagnol estime qu’étendre les dérogations prévues dans l’acte d’adhésion au-delà de la période transitoire fixée dans cet acte revient à méconnaître leur nature exceptionnelle, transitoire et limitée, ainsi que leur finalité, à savoir, l’intégration progressive d’un nouvel État membre dans la Communauté.

62     Le Conseil, la Commission et le Royaume-Uni soutiennent, pour leur part, que les dispositions de l’acte d’adhésion ont cessé d’être applicables à l’expiration de la période transitoire et ne peuvent donc plus être un critère pour déterminer la légalité des mesures adoptées par le Conseil.

63     Par ailleurs, l’acte d’adhésion n’exigerait ni ne prévoirait une révision du système de répartition des quotas.

 Appréciation de la Cour

64     Il convient de rappeler que les articles 154 à 166 de l’acte d’adhésion ne définissent le régime applicable dans le secteur de la pêche que pour la période transitoire. Ces articles ne peuvent donc pas, en principe, servir de fondement à des revendications portant sur une période commençant à une date postérieure à l’achèvement de celle‑ci.

65     De plus, il ne résulte aucunement de l’acte d’adhésion que le Conseil était tenu de modifier à l’avenir la clé de répartition des possibilités de pêche adoptée avant l’adhésion du Royaume d’Espagne ou après celle-ci, au cours de la période transitoire.

66     Même si le régime applicable pendant la période transitoire est par définition temporaire, il n’en résulte pas que toutes les restrictions qu’il prévoit cessent automatiquement lorsque ladite période s’achève, si celles-ci résultent également de l’acquis communautaire applicable à l’État membre. Or, ainsi qu’il a été constaté au point 29 du présent arrêt, l’acquis communautaire comprend la clé de répartition fixée par la réglementation existante au moment de l’adhésion du Royaume d’Espagne. Cette clé de répartition demeure en principe en vigueur tant qu’elle n’a pas été modifiée par un acte du Conseil. Quant aux répartitions de quotas effectuées au cours de la période transitoire, celles-ci ne sont pas régies par l’acte d’adhésion mais par les règlements établissant les quotas en cause et par le principe de stabilité relative.

67     Dès lors, en n’attribuant pas au Royaume d’Espagne certains quotas de pêche en mer du Nord par le règlement n° 2341/2002, le Conseil n’a nullement violé l’acte d’adhésion.

68     Par conséquent, le moyen tiré d’une violation de l’acte d’adhésion doit être rejeté.

 Sur le moyen tiré d’une atteinte à l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002

 Observations des parties

69     Le gouvernement espagnol fait valoir que, à compter de l’expiration de la période transitoire, les nouvelles possibilités de pêche réparties dans la mer du Nord et dans la mer Baltique au cours des années 1992 à 1998 doivent être attribuées conformément à l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002 en tenant compte des intérêts de chaque État membre et, par conséquent, du Royaume d’Espagne également.

70     Ce gouvernement souligne à nouveau dans le cadre de ce moyen que, en l’absence de période transitoire, cet État membre aurait participé aux répartitions de nouveaux quotas effectuées à partir de 1986.

71     Le Conseil, la Commission et le Royaume-Uni soutiennent que les possibilités de pêche qui ont fait l’objet d’une allocation de quotas parmi les États membres après l’adhésion du Royaume d’Espagne, entre les années 1992 et 1998, ne sont pas nouvelles au sens de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002 ni d’ailleurs de l’article 8, paragraphe 4, sous iii), du règlement n° 3760/92 et que, par conséquent, le moyen invoqué par le gouvernement espagnol n’est pas fondé.

 Appréciation de la Cour

72     Il convient de relever, ainsi que le Conseil l’a fait valoir, que le règlement n° 2341/2002 n’est pas fondé sur le règlement n° 2371/2002, mais sur le règlement n° 3760/92. Par conséquent, l’allégation de méconnaissance de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002 n’est pas pertinente.

73     Il y a lieu néanmoins de constater que les dispositions dudit article 20, paragraphe 2, reprennent en substance celles de l’article 8, paragraphe 4, sous iii), du règlement n° 3760/92.

74     Il convient dès lors, en l’espèce, d’examiner le moyen soulevé par le Royaume d’Espagne comme se rapportant à ces dernières dispositions.

75     Le gouvernement espagnol mentionne certaines espèces qui auraient fait l’objet d’une première répartition au cours de la période transitoire mais ne cite aucun règlement particulier à l’appui de ses affirmations.

76     En revanche, le Conseil et le Royaume-Uni mentionnent, sans être contredits, deux règlements qui leur semblent être visés par le Royaume d’Espagne, à savoir le règlement (CE) nº 783/98 du Conseil, du 7 avril 1998, modifiant le règlement (CE) nº 45/98 fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les totaux admissibles des captures pour 1998 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO L 113, p. 8), et le règlement (CE) n° 1570/1999 du Conseil, du 12 juillet 1999, concernant la répartition des possibilités de pêche pour certains stocks de poissons et modifiant le règlement (CE) n° 48/1999 fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les totaux admissibles des captures pour 1999 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO L 187, p. 5).

77     Il convient de constater que les quotas de pêche répartis par le règlement n° 2341/2002 pour l’année 2003 et visant les espèces couvertes par les deux règlements mentionnés au point précédent ne constituent pas des quotas établis pour la première fois par le Conseil mais au contraire des quotas qui ont fait l’objet d’une répartition au cours de la période transitoire.

78     Par conséquent, ces quotas ne constituent pas de nouvelles possibilités de pêche au sens de l’article 8, paragraphe 4, sous iii), du règlement nº 3760/92, mais concernent des possibilités de pêche existantes relevant de l’article 8, paragraphe 4, sous ii), dudit règlement et soumises au principe de stabilité relative.

79     Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le moyen du Royaume d’Espagne tiré d’une violation des dispositions de l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2371/2002.

80     Aucun des moyens invoqués par cet État membre n’ayant été accueilli, les présents recours doivent être rejetés.

 Sur les dépens

81     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, le Royaume‑Uni et la Commission supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

3)      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission des Communautés européennes supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.