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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

15 décembre 2009 (*)

«Manquement d’État – Importation en franchise de douane d’équipements militaires»

Dans l’affaire C‑461/05,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 23 décembre 2005,

Commission européenne, représentée par Mme C. Cattabriga ainsi que par MM. G. Wilms, D. Triantafyllou et H. Støvlbæk, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume de Danemark, représenté par MM. J. Molde et J. Bering Liisberg ainsi que par Mme B. Weis Fogh, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

République hellénique, représentée par Mmes E.-M. Mamouna et A. Samoni-Rantou ainsi que par M. K. Boskovits, en qualité d’agents,

République portugaise, représentée par Mme C. Guerra Santos ainsi que par MM. L. Inez Fernandes et J. Gomes, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mmes E. Bygglin et A. Guimaraes-Purokoski, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, E. Levits et Mme C. Toader, présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Borg Barthet (rapporteur), M. Ilešič, J. Malenovský et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 novembre 2008,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 février 2009,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en refusant de procéder au calcul et au paiement des ressources propres non perçues pendant la période allant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2002, concernant l’importation de matériel militaire en exonération de droits de douane, ainsi qu’en refusant de verser les intérêts de retard liés au non-paiement desdites ressources propres à la Commission, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, des articles 2 et 9 à 11 du règlement (CEE, Euratom) n° 1552/89 du Conseil, du 29 mai 1989, portant application de la décision 88/376/CEE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés (JO L 155, p. 1), tel que modifié par le règlement (Euratom, CE) n° 1355/96 du Conseil, du 8 juillet 1996 (JO L 175, p. 3, ci-après le «règlement n° 1552/89»), jusqu’au 31 mai 2000, ainsi que, à compter de cette même date, des mêmes articles du règlement (CE, Euratom) n° 1150/2000 du Conseil, du 22 mai 2000, portant application de la décision 94/728/CE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés (JO L 130, p. 1).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2        L’article 2, paragraphe 1, des décisions 88/376/CEE, Euratom du Conseil, du 24 juin 1988, relative au système des ressources propres des Communautés (JO L 185, p. 24), et 94/728/CE, Euratom du Conseil, du 31 octobre 1994, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO L 293, p. 9), prévoit:

«Constituent des ressources propres inscrites au budget des Communautés les recettes provenant:

[…]

b)      des droits du tarif douanier commun et des autres droits établis ou à établir par les institutions des Communautés sur les échanges avec les pays non membres et des droits de douane sur les produits relevant du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier;

[…]»

3        L’article 20 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le «code des douanes communautaire»), dispose:

«1.      Les droits légalement dus en cas de naissance d’une dette douanière sont fondés sur le tarif douanier des Communautés européennes.

[…]

3.      Le tarif douanier des Communautés européennes comprend:

a)      la nomenclature combinée des marchandises;

[…]

c)      les taux et les autres éléments de perception normalement applicables aux marchandises couvertes par la nomenclature combinée en ce qui concerne:

–        les droits de douane

[…]

d)      les mesures tarifaires préférentielles contenues dans des accords que la Communauté a conclus avec certains pays ou groupes de pays et qui prévoient l’octroi d’un traitement tarifaire préférentiel;

e)      les mesures tarifaires préférentielles arrêtées unilatéralement par la Communauté en faveur de certains pays, groupes de pays ou territoires;

f)      les mesures autonomes de suspension prévoyant la réduction ou l’exonération des droits à l’importation applicables à certaines marchandises;

g)      les autres mesures tarifaires prévues par d’autres réglementations communautaires.

[…]»

4        L’article 217, paragraphe 1, du code des douanes communautaire énonce:

«Tout montant de droits à l’importation ou de droits à l’exportation qui résulte d’une dette douanière, ci-après dénommé ‘montant de droits’, doit être calculé par les autorités douanières dès qu’elles disposent des éléments nécessaires et faire l’objet d’une inscription par lesdites autorités dans les registres comptables ou sur tout autre support qui en tient lieu (prise en compte).

[…]»

5        Dans le cadre de la mise à disposition de la Commission des ressources propres des Communautés, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement n° 1552/89, applicable au cours de la période en cause dans la présente affaire jusqu’au 30 mai 2000. Ce règlement a été remplacé à compter du 31 mai 2000 par le règlement n° 1150/2000 qui procède à la codification du règlement n° 1552/89 sans modifier le contenu de celui-ci.

6        L’article 2 du règlement n° 1552/89 prévoit:

«1.      Aux fins de l’application du présent règlement, un droit des Communautés sur les ressources propres visées à l’article 2 paragraphe 1 points a) et b) de la décision 88/376/CEE, Euratom est constaté dès que sont remplies les conditions prévues par la réglementation douanière en ce qui concerne la prise en compte du montant du droit et sa communication au redevable.

1 bis. La date à retenir pour la constatation visée au paragraphe 1 est la date de la prise en compte prévue par la réglementation douanière.

[…]»

7        L’article 9, paragraphe 1, de ce règlement dispose:

«Selon les modalités définies à l’article 10, chaque État membre inscrit les ressources propres au crédit du compte ouvert à cet effet au nom de la Commission auprès de son trésor ou de l’organisme qu’il a désigné.

Ce compte est tenu sans frais.»

8        Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement:

«Après déduction de 10 % au titre des frais de perception en application de l’article 2 paragraphe 3 de la décision 88/376/CEE, Euratom, l’inscription des ressources propres visées à l’article 2 paragraphe 1 points a) et b) de cette décision, intervient au plus tard le premier jour ouvrable après le 19 du deuxième mois suivant celui au cours duquel le droit a été constaté conformément à l’article 2.

[…]»

9        L’article 11 du règlement n° 1552/89 dispose:

«Tout retard dans les inscriptions au compte visé à l’article 9 paragraphe 1 donne lieu au paiement, par l’État membre concerné, d’un intérêt dont le taux est égal au taux d’intérêt appliqué au jour de l’échéance sur le marché monétaire de l’État membre concerné pour les financements à court terme, majoré de deux points. Ce taux est augmenté de 0,25 point par mois de retard. Le taux ainsi augmenté est applicable à toute la période du retard.»

10      Aux termes de l’article 22 du règlement n° 1150/2000:

«Le règlement (CEE, Euratom) n° 1552/89 est abrogé.

Les références audit règlement doivent s’entendre comme faites au présent règlement et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe, partie A.»

11      Ainsi, hormis la circonstance que les règlements nos 1552/89 et 1150/2000 renvoient notamment, pour l’un, à la décision 88/376 et, pour l’autre, à la décision 94/728, les articles 2 et 9 à 11 de ces deux règlements sont, en substance, identiques.

12      Le taux de 10 % visé à l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1150/2000 a été porté à 25 % par la décision 2000/597/CE, Euratom du Conseil, du 29 septembre 2000, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO L 253, p. 42).

13      Le point 1 des motifs de ladite décision énonce:

«Le Conseil européen réuni à Berlin les 24 et 25 mars 1999 a conclu, entre autres, que le système des ressources propres des Communautés devrait être équitable, transparent, d’un rapport coût-efficacité satisfaisant, simple et fondé sur des critères qui traduisent au mieux la capacité contributive de chaque État membre.»

14      Le règlement (CE) n° 150/2003 du Conseil, du 21 janvier 2003, portant suspension des droits de douane sur certains armements et équipements militaires (JO L 25, p. 1), adopté sur la base de l’article 26 CE, énonce à son cinquième considérant:

«Afin de tenir compte de la protection du secret militaire des États membres, il est nécessaire de prévoir des procédures administratives spécifiques pour l’octroi du bénéfice des suspensions de droits. Une déclaration de l’autorité compétente de l’État membre dont les forces armées sont destinataires des armements ou des équipements militaires, qui pourrait aussi faire office de déclaration en douane aux fins du code des douanes, constituerait la garantie appropriée que les conditions requises sont remplies. La déclaration prendrait la forme d’un certificat. Il convient de préciser la forme que doivent prendre ces certificats et aussi de prévoir la possibilité d’établir la déclaration à l’aide de procédés informatiques.»

15      L’article 1er de ce règlement prévoit:

«Le présent règlement établit les conditions requises pour la suspension autonome des droits de douane sur certains armements et équipements militaires importés des pays tiers par les autorités chargées de la défense militaire des États membres ou en leur nom.»

16      L’article 3, paragraphe 2, dudit règlement énonce:

«Nonobstant le paragraphe 1, pour des motifs liés au secret militaire, le certificat et les marchandises importées peuvent être soumis à d’autres autorités désignées à cet effet par l’État membre importateur. Dans ce cas, l’autorité compétente qui délivre le certificat transmet chaque année aux autorités douanières de son État membre, avant le 31 janvier et le 31 juillet, un rapport sommaire sur les importations en question. Le rapport couvre une période de six mois précédant immédiatement le mois au cours duquel ledit rapport est présenté. Il indique le nombre et la date de délivrance des certificats, la date d’importation et la valeur totale ainsi que le poids brut des produits importés avec les certificats.»

17      Conformément à son article 8, le règlement n° 150/2003 est applicable à partir du 1er janvier 2003.

 La procédure précontentieuse

18      Par lettre de mise en demeure du 20 décembre 2001, reçue le lendemain, la Commission a fait valoir que, en exonérant de droits de douane les importations de matériel spécifiquement militaire, le Royaume de Danemark avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu du droit communautaire.

19      Par lettre du 20 décembre 2001, la Commission a invité cet État membre à calculer les montants non perçus pour les exercices budgétaires à partir de l’exercice 1998 et à mettre lesdits montants à sa disposition avant le 31 mars 2002. Elle a également attiré l’attention des autorités danoises sur le fait que des intérêts de retard seraient dus à compter de cette dernière date, en application de l’article 11 du règlement n° 1150/2000.

20      Dans sa réponse du 27 mars 2002, le Royaume de Danemark, se fondant sur l’article 296 CE qui laisserait aux États membres un large pouvoir d’appréciation pour déterminer les mesures qu’ils estiment nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité, a indiqué qu’il ne percevait pas de droits de douane sur les importations de matériel à vocation spécifiquement militaire.

21      Par lettre du 24 mars 2003, la Commission a réitéré sa demande initiale concernant les importations de matériel à vocation spécifiquement militaire antérieures au 1er janvier 2003, la période postérieure à cette date étant couverte par le règlement n° 150/2003.

22      Dans sa réponse du 7 mai 2003, le Royaume de Danemark a maintenu sa position.

23      Par lettre du 17 octobre 2003, la Commission a, à nouveau, mis en demeure le Royaume de Danemark d’effectuer les calculs nécessaires afin de déterminer le montant des ressources propres non versées à la Communauté en raison de l’importation d’équipements spécifiquement militaires en exonération de droits de douane en ce qui concerne les exercices 1998 à 2002, de mettre ces ressources à la disposition de la Commission et de verser les intérêts de retard dus, en application de l’article 11 du règlement n° 1150/2000.

24      Dans sa réponse du 7 janvier 2004, le Royaume de Danemark a réitéré sa position selon laquelle l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE, l’autorisait à exonérer de droits de douane l’importation de matériel militaire afin de protéger les intérêts essentiels de sa sécurité.

25      Après avoir pris connaissance de la réponse du Royaume de Danemark, la Commission a, le 18 octobre 2004, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa réception. Ledit État membre a répondu le 3 mars 2005 en réitérant et en précisant les considérations présentées antérieurement.

26      Compte tenu des éléments ainsi fournis par le Royaume de Danemark, la Commission, considérant que cet État membre ne s’était pas conformé à l’avis motivé, a introduit le présent recours.

27      Par ordonnance datée du 5 mai 2006, le président de la Cour a admis l’intervention de la République hellénique, de la République portugaise et de la République de Finlande au soutien des conclusions du Royaume de Danemark.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

28      La Commission fait valoir que c’est à tort que le Royaume de Danemark se fonde sur l’article 296 CE pour refuser le paiement des droits de douane, la perception de ceux-ci ne menaçant pas les intérêts essentiels de la sécurité de cet État membre.

29      La Commission considère que les mesures instaurant des dérogations ou des exceptions, tel notamment l’article 296 CE, doivent être d’interprétation stricte. Ainsi, l’État membre concerné, qui revendique l’application de cet article, devrait démontrer qu’il remplit toutes les conditions prévues à ce dernier lorsqu’il entend déroger à l’article 20 du code des douanes communautaire, où figure le principe général de la perception des droits tel que fixé à l’article 26 CE.

30      La Commission estime également que la seule circonstance que des produits figurent sur la liste établie par la décision 255/58 du Conseil, du 15 avril 1958, liste qui définit les produits auxquels l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE est susceptible d’être appliqué, ne suffit pas à elle seule pour entraîner l’application de cette disposition, laquelle suppose que l’ensemble des conditions figurant à cette dernière soient remplies.

31      La Commission souligne, par conséquent, qu’il appartient au Royaume de Danemark d’apporter la preuve concrète et circonstanciée que la perception des droits de douane à l’importation, en cause dans la présente affaire, menace les intérêts essentiels de la sécurité de cet État membre.

32      La Commission relève également que le Royaume de Danemark ne l’a pas informée du montant des droits qu’elle estime dus, alors que ceci constituerait pourtant un préalable pour lui permettre de vérifier que la condition de nécessité figurant à l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE est remplie. De plus, le Royaume de Danemark n’aurait pas indiqué en quoi sa situation pouvait différer de celle des autres États membres qui ont perçu de tels droits de douane.

33      La Commission précise encore que le règlement n° 150/2003 s’applique à compter du 1er janvier 2003 et que, lors des discussions relatives à son adoption, elle a déclaré être tenue de percevoir, pour le passé, les droits de douane en cause, de sorte qu’aucune protection de la confiance légitime ne saurait être déduite de l’adoption de celui-ci. Par ailleurs, ce règlement serait fondé sur l’article 26 CE, et non sur l’article 296 CE.

34      En ce qui concerne l’obligation de secret militaire prévue à l’article 296, paragraphe 1, sous a), CE, qui est également invoquée par le Royaume de Danemark, la Commission considère que cet argument repose sur une confusion entre le point a) de l’article 296, paragraphe 1, CE, qui permet aux États membres de ne pas divulguer certaines informations lorsque cela est contraire aux intérêts essentiels de leur sécurité, et le point b) de cette disposition, qui autorise les États membres à adopter, sous certaines conditions, certaines mesures qu’ils estiment nécessaires à la protection desdits intérêts.

35      Selon la Commission, la suspension des droits de douane instaurée par le règlement n° 150/2003 dans le domaine militaire illustre le fait qu’il est possible d’établir des procédures spéciales pour le traitement douanier de l’équipement militaire, avec ou sans paiement de droits de douane, et que les procédures douanières relatives au matériel militaire constituent, par conséquent, une question distincte de celle du paiement des droits de douane. De plus, en vertu du code des douanes communautaire, le Royaume de Danemark pourrait organiser la perception des droits de douane de manière à garantir la confidentialité des données relatives aux importations de matériel militaire en attribuant à certains bureaux de douane des compétences particulières en ce domaine.

36      La Commission souligne, à cet égard, que la non-perception des droits de douane en question par le Royaume de Danemark constitue une inégalité entre les États membres au regard de leurs contributions respectives au budget communautaire. En effet, cette non-perception entraînerait une diminution des ressources propres traditionnelles communautaires qui ne pourrait être compensée que par une augmentation de la ressource dite «PNB» (produit national brut), laquelle est partagée entre tous les États membres.

37      Le Royaume de Danemark estime que, en vertu de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE, les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation concernant les mesures qu’ils prennent en vue de protéger les intérêts essentiels de leur sécurité et qui se rapportent aux produits auxquels les dispositions dudit article 296, paragraphe 1, sous b), s’appliquent. Ainsi, cette disposition leur conférerait la possibilité de déroger à l’article 26 CE et au code des douanes communautaire en cas d’importations concernant des équipements exclusivement destinés à des fins militaires et lorsque l’objectif de ces importations est de protéger les intérêts essentiels de sécurité de l’État membre concerné, compte tenu de la situation spécifique de ce dernier.

38      Le Royaume de Danemark est également d’avis que l’adoption du règlement n° 150/2003 a confirmé la nécessité de respecter les intérêts de la sécurité des États membres et a non pas modifié l’état du droit antérieur, mais précisé une situation juridique préexistante.

39      La circonstance que, avant l’entrée en vigueur du règlement n° 150/2003, aucune disposition communautaire ne permettait à un État membre de prendre, en cas de besoin, des mesures nécessaires pour tenir compte des intérêts essentiels de sa sécurité lors de l’importation d’équipements militaires aurait conduit le Royaume de Danemark à estimer que ces intérêts étaient couverts par l’article 296 CE, tant en raison du libellé que de l’objectif de cet article. Ainsi, cet État membre aurait considéré qu’il n’avait d’autre choix que de prescrire, au niveau national, l’exonération des droits de douane sur l’importation de ces équipements sur la base de l’article 296 CE.

40      Le Royaume de Danemark estime que la perception des droits de douane lors de l’importation d’équipements militaires peut constituer une menace pour les intérêts essentiels de la sécurité d’un État membre. En premier lieu, la préservation des intérêts de la sécurité d’un État membre serait étroitement liée au maintien de sa capacité de défense, l’achat de matériel militaire contribuant nécessairement au maintien de celle-ci. En second lieu, les ressources économiques d’un État, consacrées à la défense, étant limitées, la perception desdits droits de douane sur l’importation de matériel militaire renchérirait d’autant celui-ci et viendrait entraver la capacité de l’État de se le procurer.

41      Selon le Royaume de Danemark, il ressortirait clairement du deuxième considérant du règlement n° 150/2003 ainsi que de la présentation de la proposition de ce règlement que la Commission a reconnu l’existence d’un lien entre la perception des droits de douane lors de l’importation d’équipements militaires et les intérêts essentiels de la sécurité des États membres. Dans ces conditions, la défenderesse estime qu’il n’y a pas lieu, pour la Commission, d’exiger des États membres qu’ils apportent d’autres preuves afin de démontrer que la perception de tels droits constituerait une menace pour les intérêts essentiels de leur sécurité.

42      Le Royaume de Danemark avance qu’il n’aurait pas pu respecter la procédure douanière communautaire lors des importations litigieuses d’équipements militaires sans risquer de divulguer, au sein de la Communauté, des renseignements essentiels tenant à la sécurité de son territoire national, à savoir, notamment, la nature des équipements importés, leur composition et les possibilités d’utilisation de ceux-ci. De ce fait, l’obligation de respecter une certaine confidentialité en la matière empêcherait le Royaume de Danemark de communiquer ces renseignements à la Commission et la rupture unilatérale de cette obligation, par cet État membre, risquerait de remettre en cause la poursuite de la coopération et des relations commerciales dans le domaine militaire avec certains États tiers.

43      Le Royaume de Danemark estime que les mesures de confidentialité prévues par le code des douanes communautaire ne sont pas suffisantes pour satisfaire aux exigences de sécurité et de confidentialité qu’un État est en droit de poser quand il s’agit d’informations touchant à sa sécurité. Dans ces conditions, un État membre pourrait s’abstenir de verser des droits de douane lors de l’importation d’équipements militaires sans pour autant manquer à ses obligations communautaires.

44      Le Royaume de Danemark estime également que les États membres ont la faculté d’instaurer des procédures spécifiques pour l’importation en franchise de douane d’équipements militaires qui visent seulement à s’assurer que les équipements dont il s’agit est bien de nature militaire et non à déterminer la position douanière des marchandises en cause ou le taux d’imposition en vue du calcul d’un montant de douane lors de chaque importation en provenance d’États tiers. La circonstance que, lors de l’élaboration du règlement n° 150/2003, il a été nécessaire de déterminer une base légale pour introduire une telle procédure spécifique dans ce règlement signifierait qu’une telle habilitation faisait défaut dans le code des douanes communautaire.

45      Le Royaume de Danemark soutient que le fait qu’un État membre a exonéré de droits de douane, sur la base de l’article 296 CE, l’importation de matériel militaire ne viole pas nécessairement les principes de solidarité communautaire et de bonne gestion financière.

46      Enfin, le Royaume de Danemark estime que le fait que la Commission a décidé, dès l’année 1988, de soumettre une proposition de règlement (CEE) du Conseil relatif aux suspensions temporaires de droits de douane portant sur certains armements et équipements militaires (JO C 265, p. 9) tendrait à prouver que non seulement elle n’était pas en désaccord avec la solution consistant à pratiquer une exonération en la matière, mais que, par sa proposition, elle ne faisait que, au contraire, préciser l’état du droit antérieur.

47      Par ailleurs, il conviendrait de relever également, selon cet État membre, que les circonstances, d’une part, qu’aucune nouvelle négociation n’a été menée à ce sujet jusqu’à l’adoption du règlement n° 150/2003 et, d’autre part, que la Commission a renoncé à poursuivre les procédures en manquement qu’elle a engagées contre lui au cours des années 1984 et 1985 pour ce qui concerne la non-perception des droits de douane sur le matériel à usage tant civil que militaire importé d’États tiers, sans ouvrir une telle procédure à propos de l’importation d’équipements spécifiquement militaires, ont pu légitimement conduire les autorités danoises à estimer que la Commission avait accepté l’existence d’une dérogation en ce domaine.

 Appréciation de la Cour

48      Le code des douanes communautaire prévoit la perception des droits de douane sur l’importation de biens à usage militaire, tels que ceux en cause, en provenance d’États tiers. Aucune disposition de la réglementation douanière communautaire ne prévoyait, pour la période des importations litigieuses, c’est-à-dire celle allant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2002, d’exonération spécifique des droits de douane sur l’importation de ce type de biens. Par conséquent, il n’existait pas non plus, pour cette période, d’exonération expresse à l’obligation de verser aux autorités compétentes les droits dus, accompagnés, le cas échéant, d’intérêts de retard.

49      Il peut, par ailleurs, être déduit de l’adoption du règlement n° 150/2003 prévoyant la suspension des droits de douane sur certains armements et équipements militaires à partir du 1er janvier 2003 que le législateur communautaire est parti de l’hypothèse qu’une obligation de verser lesdits droits de douane existait avant cette date.

50      Le Royaume de Danemark n’a, à aucun moment, nié l’existence des importations litigieuses pendant la période prise en considération. Cet État membre s’est borné à contester le droit de la Communauté sur les ressources propres en cause tout en arguant que, en vertu de l’article 296 CE, l’obligation de payer les droits de douane sur le matériel d’armement importé depuis des États tiers porterait une grave atteinte aux intérêts essentiels de sa sécurité.

51      Selon une jurisprudence constante de la Cour, bien qu’il appartienne aux États membres d’arrêter les mesures propres à assurer leur sécurité intérieure et extérieure, il n’en résulte pas pour autant que de telles mesures échappent totalement à l’application du droit communautaire (voir arrêts du 26 octobre 1999, Sirdar, C‑273/97, Rec. p. I‑7403, point 15, et du 11 janvier 2000, Kreil, C‑285/98, Rec. p. I‑69, point 15). En effet, ainsi que la Cour l’a déjà constaté, le traité ne prévoit des dérogations expresses applicables en cas de situations susceptibles de mettre en cause la sécurité publique que dans ses articles 30 CE, 39 CE, 46 CE, 58 CE, 64 CE, 296 CE et 297 CE, qui concernent des hypothèses exceptionnelles bien délimitées. Il ne saurait en être déduit qu’il existerait une réserve générale, inhérente au traité, excluant du champ d’application du droit communautaire toute mesure prise au titre de la sécurité publique. Reconnaître l’existence d’une telle réserve, en dehors des conditions spécifiques des dispositions du traité, risquerait de porter atteinte au caractère contraignant et à l’application uniforme du droit communautaire (voir arrêt du 11 mars 2003, Dory, C‑186/01, Rec. p. I‑2479, point 31 et jurisprudence citée).

52      En outre, les dérogations prévues aux articles 296 CE et 297 CE doivent, comme il est de jurisprudence constante pour les dérogations aux libertés fondamentales (voir, notamment, arrêts du 31 janvier 2006, Commission/Espagne, C‑503/03, Rec. p. I‑1097, point 45; du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C‑490/04, Rec. p. I‑6095, point 86, et du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C‑141/07, Rec. p. I‑6935, point 50), faire l’objet d’une interprétation stricte.

53      En ce qui concerne, plus particulièrement, l’article 296 CE, il y a lieu de relever que, bien que cet article fasse état des mesures qu’un État membre peut estimer nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité ou des renseignements dont il considère la divulgation contraire à ces intérêts, celui-ci ne saurait toutefois être interprété de manière à conférer aux États membres le pouvoir de déroger aux dispositions du traité par la seule invocation desdits intérêts.

54      Par ailleurs, dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour a, dans l’arrêt du 16 septembre 1999, Commission/Espagne (C‑414/97, Rec. p. I‑5585), constaté le manquement en cause au motif que le Royaume d’Espagne n’avait pas démontré que l’exonération de ladite taxe sur les importations et les acquisitions d’armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, exonération prévue par la loi espagnole, était justifiée, au titre de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE, par la nécessité de protéger les intérêts essentiels de la sécurité de cet État membre.

55      Par conséquent, c’est à l’État membre qui invoque le bénéfice de l’article 296 CE de prouver la nécessité de recourir à la dérogation prévue à cet article dans le but de protéger les intérêts essentiels de sa sécurité.

56      À la lumière de ces considérations, il ne saurait être admis qu’un État membre excipe du renchérissement du matériel militaire en raison de l’application des droits de douane sur les importations d’un tel matériel en provenance d’États tiers pour prétendre échapper, au détriment des autres États membres qui, de leur côté, prélèvent et acquittent les droits de douane relatifs à de telles importations, aux obligations que lui impose la solidarité financière à l’égard du budget communautaire.

57      En ce qui concerne l’argument selon lequel les procédures douanières communautaires ne seraient pas de nature à assurer la sécurité du Royaume de Danemark, eu égard aux exigences de confidentialité contenues dans les accords conclus avec les États exportateurs, il convient de souligner, comme l’observe à juste titre la Commission, que l’application du régime douanier communautaire implique l’intervention d’agents, communautaires et nationaux, lesquels sont tenus, le cas échéant, à une obligation de confidentialité, en cas de traitement de données sensibles, de nature à protéger les intérêts essentiels de la sécurité des États membres.

58      Par ailleurs, les déclarations que les États membres doivent compléter et faire parvenir à la Commission de manière périodique ne supposent pas d’atteindre un niveau de précision d’une nature telle qu’il conduise à porter préjudice aux intérêts desdits États en matière tant de sécurité que de confidentialité.

59      Dans ces conditions, et en conformité avec l’article 10 CE relatif à l’obligation faite aux États membres de faciliter l’accomplissement de la mission de la Commission consistant à veiller au respect du traité, ceux-ci sont tenus de mettre à la disposition de cette institution les documents nécessaires à la vérification de la régularité du transfert des ressources propres de la Communauté. Toutefois, une telle obligation ne fait pas obstacle, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 168 de ses conclusions, à ce que les États membres, au cas par cas et exceptionnellement, sur la base de l’article 296 CE, puissent limiter l’information transmise à certains éléments d’un document ou la refuser complètement.

60      Au vu des considérations qui précèdent, le Royaume de Danemark n’a pas démontré que les conditions nécessaires à l’application de l’article 296 CE sont réunies.

61      Il résulte de ce qui précède que, en refusant de procéder au calcul et au paiement à la Commission des ressources propres non perçues pendant la période allant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2002, concernant l’importation de matériel militaire en exonération de droits de douane, ainsi qu’en refusant de verser les intérêts de retard liés au non-paiement desdites ressources propres à la Commission, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu, respectivement, des articles 2 et 9 à 11 du règlement n° 1552/89, jusqu’au 31 mai 2000, ainsi que, à compter de cette même date, des mêmes articles du règlement n° 1150/2000.

 Sur les dépens

62      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Danemark et celui‑ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

63      Conformément au paragraphe 4, premier alinéa, du même article, la République hellénique, la République portugaise et la République de Finlande, qui sont intervenues au litige, supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      En refusant de procéder au calcul et au paiement à la Commission des Communautés européennes des ressources propres non perçues pendant la période allant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2002, concernant l’importation de matériel militaire en exonération de droits de douane, ainsi qu’en refusant de verser les intérêts de retard liés au non-paiement desdites ressources propres à la Commission des Communautés européennes, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu, respectivement, des articles 2 et 9 à 11 du règlement (CEE, Euratom) n° 1552/89 du Conseil, du 29 mai 1989, portant application de la décision 88/376/CEE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés, tel que modifié par le règlement (Euratom, CE) n° 1355/96 du Conseil, du 8 juillet 1996, jusqu’au 31 mai 2000, ainsi que, à compter de cette même date, des mêmes articles du règlement (CE, Euratom) n° 1150/2000 du Conseil, du 22 mai 2000, portant application de la décision 94/728/CE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés.

2)      Le Royaume de Danemark est condamné aux dépens.

3)      La République hellénique, la République portugaise et la République de Finlande supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le danois.