Language of document : ECLI:EU:C:2019:1067

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 11 décembre 2019 (1)

Affaire C457/18

République de Slovénie

contre

République de Croatie

« Manquement d’État – Article 259 TFUE – Exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité – Détermination de la frontière commune entre deux États membres – Différend frontalier entre la République de Croatie et la République de Slovénie – Convention d’arbitrage – Procédure d’arbitrage – Notification de la République de Croatie mettant fin à la convention – Sentences arbitrales partielle et définitive rendues par le tribunal arbitral – Validité et effets de la “sentence arbitrale définitive” »






1.        Lorsque la Cour de justice de l’Union européenne est saisie par un État membre d’un recours en manquement sur le fondement de l’article 259 TFUE, est-elle compétente pour en connaître au cas où les allégations de manquements au droit de l’Union reposent sur les termes d’une « sentence arbitrale », rendue en application d’une convention bilatérale d’arbitrage relevant du droit international public, mais à laquelle l’une des parties dénie toute valeur juridique ? Telle est la principale question que soulève la présente affaire, qui constitue l’un des rares cas de recours en manquement interétatique fondé sur l’article 259 TFUE (2) dont le premier alinéa prévoit qu’un État membre « peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne s’il estime qu’un autre État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités ».

2.        Dans sa requête, la République de Slovénie demande notamment à la Cour de constater que la République de Croatie a violé l’article 2 et l’article 4, paragraphe 3, TUE ainsi que toute une série de normes de droit dérivé en matière de politique commune de la pêche, de régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et de planification de l’espace maritime.

3.        La République de Croatie a soulevé, avant toute défense au fond, des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité du recours dont l’analyse fait l’objet des présentes conclusions, exceptions que la Cour a décidé d’examiner de manière séparée, avant de se prononcer, le cas échéant, sur le fond de l’affaire.

4.        La Cour doit donc s’interroger sur le point de savoir si le différend frontalier entre la République de Croatie et la République de Slovénie, sa tentative de résolution et la procédure arbitrale auquel il a conduit constituent des questions de droit international public pouvant servir de fondement à un recours en manquement introduit au titre de l’article 259 TFUE. Dans les présentes conclusions, j’expliquerai les raisons pour lesquelles, selon moi, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur le présent recours, comme le soutient la République de Croatie. Par ailleurs, je propose qu’il soit fait droit à la demande de la République de Croatie de retirer du dossier l’avis juridique de la Commission européenne figurant à l’annexe C.2 de la réponse de la République de Slovénie.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit international

1.      La convention d’arbitrage 

5.        Le troisième considérant du préambule de la convention signée le 4 novembre 2009 entre la République de Croatie et la République de Slovénie (ci‑après la « convention d’arbitrage ») rappelle les moyens pacifiques de résolution de différends énumérés à l’article 33 de la charte des Nations unies (3). Ainsi, l’article 1er de la convention d’arbitrage institue un tribunal arbitral.

6.        L’article 2 de cette convention prévoit sa composition et notamment les modalités de désignation de ses membres ainsi que les modalités de remplacement de ceux-ci.

7.        L’article 3 de la convention d’arbitrage, intitulé « Mission du tribunal arbitral », prévoit à son paragraphe 1 que le tribunal arbitral détermine (a) le tracé de la frontière entre la Croatie et la Slovénie, (b) la jonction de la Slovénie à la haute mer et (c) le régime aux fins de l’utilisation des espaces maritimes respectifs. Le paragraphe 2 de cet article énonce les modalités de détermination de l’objet du litige. Le paragraphe 3 dudit article prévoit que le tribunal arbitral rend une sentence sur le différend. Aux termes du paragraphe 4 du même article, le tribunal arbitral a le pouvoir d’interpréter la convention d’arbitrage.

8.        Selon l’article 4, sous a), de la convention d’arbitrage, le tribunal arbitral, en mettant en œuvre les dispositions prévues à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de cette convention, applique les règles et les principes du droit international. Aux termes de l’article 4, sous b), de ladite convention, le tribunal arbitral, en mettant en œuvre les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), applique le droit international, l’équité et le principe des relations de bon voisinage afin d’obtenir un résultat juste et équitable tenant compte de toutes les circonstances pertinentes.

9.        L’article 6, paragraphe 2, de la convention d’arbitrage stipule que, sauf dispositions contraires, le tribunal arbitral mènera la procédure conformément au règlement facultatif de la Cour permanente d’arbitrage (ci-après la « CPA ») pour l’arbitrage des différends entre deux États. Le paragraphe 4 de cet article prévoit que le tribunal arbitral décide dans les meilleurs délais, après consultation des parties, sur toute question de procédure, à la majorité de ses membres.

10.      L’article 7, paragraphe 1, de la convention d’arbitrage dispose notamment que le tribunal arbitral, après avoir dûment considéré tous les faits pertinents de l’affaire, rendra sa sentence dans les meilleurs délais. Le paragraphe 2 de cet article énonce que la sentence arbitrale liera les parties et constituera un règlement définitif du différend. Selon le paragraphe 3 dudit article, les parties prendront toutes les mesures nécessaires afin de mettre en œuvre la sentence, y compris, en tant que de besoin, la modification de la législation nationale dans les six mois suivant l’adoption de la sentence.

11.      En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la convention d’arbitrage, la République de Slovénie lèvera ses réserves relatives à l’ouverture et à la fermeture des chapitres des négociations relatives à l’adhésion à l’Union européenne lorsque l’obstacle porte sur le différend.

12.      Conformément à l’article 11, paragraphe 3, de la convention d’arbitrage, tous les délais de procédure fixés dans cette convention s’appliqueront à partir de la date de la signature de la République de Croatie du traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Croatie relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne (4) (ci-après le « traité d’adhésion »).

2.      La convention de Vienne sur le droit des traités

13.      La convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (5) (ci-après la « convention de Vienne »), prévoit, au paragraphe 1 de l’article 60, intitulé « Extinction d’un traité ou suspension de son application comme conséquence de sa violation » :

« Une violation substantielle d’un traité bilatéral par l’une des parties autorise l’autre partie à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre son application en totalité ou en partie. »

B.      Le droit de l’Union

1.      L’acte d’adhésion

14.      L’article 15 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (6) (ci-après l’« acte d’adhésion »), annexé au traité d’adhésion, dispose :

« Les actes énumérés dans la liste figurant à l’annexe III font l’objet des adaptations définies dans ladite annexe ».

15.      L’annexe III de cet acte prévoit, à son point 5, les adaptations à effectuer au règlement relatif à la politique commune de la pêche (7) applicable à l’époque de cette adhésion. Ce point 5 prévoit que, à l’annexe I de ce règlement, les points 11 et 12, respectivement intitulés « Bande côtière de la Croatie » et « Bande côtière de la Slovénie », sont ajoutés. Ces points 11 et 12 contiennent un renvoi vers les notes en bas de page 2 et 3 selon lesquelles « [l]e régime s’appliquera à partir du moment où la sentence arbitrale découlant de la convention d’arbitrage entre le gouvernement de la République de Slovénie et le gouvernement de la République de Croatie, signée à Stockholm le 4 novembre 2009, aura été pleinement mise en œuvre ».

2.      Le droit dérivé

a)      Le règlement (UE) no 1380/2013

16.      L’article 5 du règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche (8), intitulé « Règles générales en matière d’accès aux eaux », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Les navires de pêche de l’Union jouissent d’une égalité d’accès aux eaux et aux ressources dans toutes les eaux de l’Union autres que celles visées aux paragraphes 2 et 3, sous réserve des mesures adoptées en vertu de la partie III.

2.      Dans les eaux situées à moins de 12 milles marins des lignes de base relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction, les États membres sont autorisés, jusqu’au 31 décembre 2022, à limiter la pêche aux navires de pêche opérant traditionnellement dans ces eaux à partir des ports de la côte adjacente, sans préjudice de régimes applicables aux navires de pêche de l’Union battant pavillon d’autres États membres au titre des relations de voisinage existant entre États membres et des modalités prévues à l’annexe I, qui fixe, pour chacun des États membres, les zones géographiques des bandes côtières des autres États membres où ces activités sont exercées ainsi que les espèces sur lesquelles elles portent. Les États membres informent la Commission des limitations mises en place en vertu du présent paragraphe. »

17.      L’annexe I du règlement n1380/2013, intitulée « Accès aux bandes côtières au sens de l’article 5, paragraphe 2 », renvoie, à ses points 8 et 10, respectivement intitulés « Bande côtière de la Croatie » et « Bande côtière de la Slovénie », aux notes en bas de page 2 et 3 selon lesquelles « [l]e régime mentionné ci-dessus ne s’applique qu’à partir du moment où la sentence arbitrale découlant de la convention d’arbitrage entre le gouvernement de la République de Slovénie et le gouvernement de la République de Croatie, signée à Stockholm le 4 novembre 2009, aura été pleinement mise en œuvre ».

18.      La République de Slovénie invoque également les dispositions du règlement (CE) no 1224/2009 du Conseil, du 20 novembre 2009, instituant un régime communautaire de contrôle afin d’assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche (9) et le règlement d’exécution (UE) no 404/2011 de la Commission, du 8 avril 2011, portant modalités d’application du règlement no 1224/2009 (10).

b)      Le code frontières Schengen

19.      L’article 4 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (11) (ci-après le « code frontières Schengen »), intitulé « Droits fondamentaux », prévoit que « [l]orsqu’ils appliquent le présent règlement, les États membres agissent dans le plein respect des dispositions pertinentes du droit de l’Union, y compris [...] du droit international applicable, [...] des obligations liées à l’accès à la protection internationale ».

20.      L’article 13 du code frontières Schengen met en place une surveillance des frontières, qui, selon le paragraphe 1 de cet article, « a pour objet principal d’empêcher le franchissement non autorisé de la frontière, de lutter contre la criminalité transfrontalière et de prendre des mesures à l’encontre des personnes ayant franchi illégalement la frontière ». Les modalités concernant cette surveillance sont fixées aux paragraphes 2 à 5 de cet article et à l’annexe V, partie A, de ce code.

21.      L’article 17 dudit code édicte une obligation de coopération entre les États membres. Le paragraphe 1 de cet article prévoit, notamment, que les « États membres se prêtent assistance et assurent entre eux une coopération étroite et permanente pour que le contrôle aux frontières soit mis en œuvre de manière efficace, conformément aux articles 7 à 16 » et qu’ils « échangent toutes informations utiles ».

c)      La directive 2014/89/UE

22.      Le considérant 7 de la directive 2014/89/UE du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014, établissant un cadre pour la planification de l’espace maritime (12) énonce :

« La convention des Nations unies de 1982 sur le droit de la mer (CNUDM) indique en son préambule que les problèmes relatifs à l’utilisation des espaces maritimes sont étroitement liés entre eux et doivent être envisagés dans leur ensemble. La planification de l’espace maritime représente en toute logique l’étape suivante permettant de structurer les obligations et l’utilisation des droits accordés dans le cadre de la CNUDM, et constitue un outil pratique pour aider les États membres à respecter leurs obligations. »

23.      Aux termes de l’article 2, paragraphe 4, de cette directive :

« La présente directive ne porte pas atteinte aux droits souverains et à la juridiction des États membres sur les eaux marines qui découlent du droit international en la matière, notamment la CNUDM. En particulier, l’application de la présente directive n’influe pas sur le tracé et la délimitation des frontières maritimes par les États membres conformément aux dispositions pertinentes de la CNUDM. »

24.      L’article 11, paragraphe 1, de la directive 2014/89 prévoit :

« Dans le cadre du processus de planification et de gestion, les États membres riverains d’eaux marines coopèrent en vue de s’assurer que les plans issus de la planification de l’espace maritime sont cohérents et coordonnés au sein de la région marine concernée. Cette coopération prend notamment en considération les questions de nature transnationale. »

II.    Les faits et la procédure précontentieuse

25.      Le 25 juin 1991, la Slovénie et la Croatie ont proclamé leur indépendance de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Au cours des années 1992 à 2001, la République de Croatie et la République de Slovénie ont tenté de résoudre la question de la fixation de leurs frontières terrestre et maritime grâce à des négociations bilatérales.

26.      La République de Slovénie est devenue membre de l’Union européenne le 1er mai 2004.

27.      Le 4 novembre 2009, la République de Croatie et la République de Slovénie ont signé une convention d’arbitrage destinée à résoudre le litige frontalier qui les opposait, en vertu de laquelle elles se sont engagées à se soumettre à la décision d’un tribunal arbitral constitué à cette fin. Cette convention est entrée en vigueur le 29 novembre 2010.

28.      Le 9 décembre 2011, a été signé, entre les États membres de l’Union et la République de Croatie, le traité d’adhésion. Ce traité, ratifié en janvier 2012 par la République de Croatie, a été publié le 24 avril 2012 au Journal officiel de l’Union européenne. La République de Croatie est devenue membre de l’Union le 1er juillet 2013.

29.      Le 17 janvier 2012, en application de l’article 2, paragraphe 1, de la convention d’arbitrage, la République de Croatie et la République de Slovénie ont désigné le président et deux des membres du tribunal arbitral (13). Les deux membres du tribunal, qui devaient être également désignés par les parties, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la convention d’arbitrage, ont été nommés à la fin du mois de janvier de la même année (14). Les modalités de la nomination ont été signées en avril 2012 et la CPA (15) a été désignée comme institution faisant fonction de greffe (16) par les deux États en cause (17). Par ailleurs, selon l’article 6, alinéa 2, de la convention d’arbitrage, le tribunal arbitral devait mener la procédure conformément au règlement facultatif de la CPA pour l’arbitrage des différends entre deux États (18).

30.      La procédure écrite a débuté le 11 février 2013 et l’audience de plaidoiries a été organisée entre le 2 et le 13 juin 2014.

31.      Il ressort des écrits de la République de Croatie que, lors de la procédure d’arbitrage, un incident de procédure est survenu, en raison d’une communication ex parte entre l’arbitre nommé par la République de Slovénie et l’agent de cet État devant le tribunal arbitral au cours des délibérations de ce tribunal. À la suite de la publication de certains articles dans la presse, les deux personnes concernées ont démissionné de leurs fonctions d’arbitre et d’agent. Le 30 juillet 2015, l’arbitre initialement nommé par la République de Croatie a également démissionné.

32.      Par une lettre adressée le 24 juillet 2015 au tribunal arbitral, la République de Croatie a fait part à celui-ci de son extrême préoccupation au sujet de la communication ex parte en cause, qui conduisait, d’après elle, à douter sérieusement de l’intégrité et de l’impartialité de l’ensemble de la procédure d’arbitrage, et a demandé la suspension temporaire de la procédure devant le tribunal arbitral (19).

33.      Le 29 juillet 2015, le Parlement de la République de Croatie a adopté à l’unanimité une résolution relative à l’obligation du gouvernement de la République de Croatie d’entamer une procédure de dénonciation de la convention d’arbitrage.

34.      Par note verbale du 30 juillet 2015, la République de Croatie a informé la République de Slovénie qu’elle considérait qu’elle était en droit de mettre un terme à la convention d’arbitrage (20), au motif d’une violation substantielle de ladite convention par la République de Slovénie, au sens de l’article 60, paragraphe 1, de la convention de Vienne. La République de Croatie a précisé que cette note constituait une notification, conformément à l’article 65, paragraphe 1, de la convention de Vienne, par laquelle elle proposait de mettre immédiatement un terme à la convention d’arbitrage. La République de Croatie a expliqué qu’elle considérait que l’impartialité et l’intégrité de la procédure arbitrale étaient irrévocablement entachées, ce qui conduisait à une violation manifeste de ses droits. Le tribunal arbitral a reçu une copie de ladite note verbale.

35.      Par lettre du 31 juillet 2015, la République de Croatie a informé le tribunal arbitral de sa décision de mettre un terme à la convention d’arbitrage, en expliquant les motifs de cette cessation.

36.      La République de Slovénie a nommé un nouveau membre, qui a toutefois démissionné de ses fonctions d’arbitre le 3 août 2015. Le président du tribunal arbitral a, par la suite, nommé deux nouveaux arbitres aux deux postes vacants conformément à la procédure de remplacement d’un arbitre prévue à l’article 2 de la convention d’arbitrage.

37.      Par lettre du 1er décembre 2015, le tribunal arbitral a invité les deux parties à soumettre de nouvelles conclusions et plaidoiries « concernant les implications juridiques des points soulevés par la [République de] Croatie dans ses lettres des 24 et 31 juillet 2015 ». Le tribunal arbitral a ordonné aux deux parties de soumettre leurs écritures au plus tard le 15 janvier 2016 (la République de Croatie) et le 26 février 2016 (la République de Slovénie). En outre, le tribunal arbitral a informé les deux parties de son intention d’organiser une audience sur ces questions le 17 mars 2016.

38.      Une audience portant sur ces questions s’est tenue le 17 mars 2016. La République de Slovénie a présenté un mémoire écrit et a participé à l’audience. La République de Croatie, quant à elle, n’y a pas participé.

39.      Le 30 juin 2016, le tribunal arbitral a statué sur l’incident de procédure par une sentence partielle. Le tribunal arbitral estime, notamment, que, en établissant des contacts ex parte avec l’arbitre qu’elle a initialement nommé, la République de Slovénie a agi en violation des dispositions de la convention d’arbitrage. Cependant, la nature de ces violations ne permettait pas à la République de Croatie de mettre fin à la convention d’arbitrage et celle-ci continuait à s’appliquer. Selon le tribunal arbitral, ladite violation n’affectait pas la possibilité pour le tribunal arbitral, en sa composition modifiée, de rendre une sentence finale de manière indépendante et impartiale. Le tribunal arbitral conclut donc à l’absence d’obstacle à la continuation de la procédure conformément à la convention d’arbitrage.

40.      Le 29 juin 2017, le tribunal arbitral a rendu une sentence arbitrale définitive ayant pour objet de déterminer les frontières terrestre et maritime des deux États mais dont la République de Croatie conteste la validité et donc tout effet contraignant.

41.      Le 16 mars 2018, la République de Slovénie a déclenché la procédure prévue à l’article 259 TFUE en saisissant la Commission d’une plainte au titre d’une violation, par la République de Croatie, du droit de l’Union.

42.      La Commission n’a pas émis d’avis motivé dans le délai de trois mois prévu à l’article 259 TFUE.

III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

43.      Par acte déposé au greffe de la Cour le 13 juillet 2018, la République de Slovénie a introduit le présent recours.

44.      Par acte séparé du 21 décembre 2018, la République de Croatie a soulevé une exception d’irrecevabilité du présent recours en vertu de l’article 151 du règlement de procédure de la Cour. La République de Croatie demande, à titre principal, de rejeter le présent recours dans son intégralité comme étant irrecevable, au motif que la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur les conclusions présentées par la République de Slovénie, au titre de l’article 259 TFUE. À titre subsidiaire, elle formule la même demande au motif que la requête n’est pas conforme à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 120 du règlement de procédure de la Cour.

45.      La République de Slovénie a présenté ses observations sur cette exception le 12 février 2019. Elle conclut à la recevabilité du recours en faisant valoir, en substance, que la Cour est compétente pour se prononcer sur le présent recours sur le fondement de l’article 259 TFUE et qu’il remplit les conditions prévues à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 120 du règlement de procédure de la Cour.

46.      Par décision du 14 mai 2019, la Cour a décidé de renvoyer l’affaire devant la grande chambre aux fins de statuer sur l’exception d’irrecevabilité.

47.      Par lettre du greffe de la Cour du 7 juin 2019, la Commission a été invitée par la Cour, au titre de l’article 24, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à répondre par écrit ou, le cas échéant, lors de l’audience, à des questions relatives aux dispositions du règlement nº 1380/2013.

48.      Par lettre du 31 mai 2019, la République de Croatie a demandé à la Cour d’écarter du dossier le document de travail interne de la Commission relatif à l’avis de son service juridique, figurant à l’annexe C.2 de la réponse de la République de Slovénie à l’exception d’irrecevabilité (21).

49.      Par lettre du greffe de la Cour du 20 juin 2019, la Cour a demandé à la Commission de soumettre ses observations sur ladite demande.

50.      Le 28 juin 2019, la Commission a déposé lesdites observations. Dans une lettre séparée, le même jour, elle a répondu aux questions qui lui avaient été communiquées le 7 juin 2019.

51.      Une audience de plaidoirie s’est tenue le 8 juillet 2019, en présence de la République de Croatie et de la République de Slovénie, dûment représentées.

52.      Lors de l’audience, interrogée sur ce point, la République de Slovénie a précisé qu’elle maintenait sa demande relative à la cessation des manquements allégués.

IV.    Argumentation de la République de Slovénie présentée dans la requête

53.      À l’appui de son recours, la République de Slovénie invoque six griefs dans sa requête.

54.      Par son premier grief, la République de Slovénie fait valoir que, en manquant unilatéralement à l’engagement pris pendant le processus d’adhésion à l’Union de respecter la sentence arbitrale à venir, la frontière déterminée par la sentence arbitrale litigieuse ainsi que les autres obligations découlant de cette sentence, la République de Croatie refuse de respecter, en violation de l’article 2 TUE, la valeur de l’État de droit ainsi que les principes de coopération loyale et de res judicata.

55.      Par son deuxième grief, la République de Slovénie soutient que, en refusant unilatéralement de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de la sentence arbitrale litigieuse, la République de Croatie l’empêche d’exercer pleinement sa souveraineté sur la totalité de son territoire terrestre et maritime dans le respect des traités et des dispositions du droit dérivé. Ce faisant, elle enfreindrait l’obligation de coopération loyale consacrée à l’article 4, paragraphe 3, TUE et mettrait en péril la réalisation des objectifs de l’Union, parmi lesquels figureraient la promotion et la consolidation de la paix et l’union sans cesse plus étroite entre les peuples, la réalisation des objectifs des dispositions de l’Union relatives au territoire des États membres, ainsi que la mise en œuvre effective du droit de l’Union par la République de Slovénie. Dans ce contexte, la République de Slovénie reproche à la République de Croatie de l’empêcher de remplir son obligation de mettre en œuvre toute une série d’actes de droit dérivé (22).

56.      Par son troisième grief, la République de Slovénie fait valoir que, en ne respectant pas le territoire slovène ni les frontières, la République de Croatie enfreint le droit de l’Union dans le domaine de la politique commune de la pêche.

57.      À cet égard, la République de Slovénie soutient que, en contestant la frontière telle que déterminée par la sentence arbitrale litigieuse ainsi qu’en s’opposant à sa démarcation et à la mise en œuvre de cette frontière, la République de Croatie violerait les droits exclusifs de la République de Slovénie sur ses eaux territoriales et l’empêcherait de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu du règlement nº 1380/2013.

58.      En particulier, la République de Slovénie reproche à la République de Croatie d’enfreindre le régime d’accès réciproque mis en place par le règlement nº 1380/2013, lequel s’applique à ces deux États membres depuis le 30 décembre 2017, et qui accorde à 25 bateaux de chacun desdits États membres un libre accès aux eaux territoriales de l’autre État membre, telles que délimitées conformément au droit international, à savoir la sentence arbitrale litigieuse. En effet, la République de Croatie empêcherait l’application du régime d’accès réciproque, refuserait de reconnaître la validité de la législation adoptée à cette fin par la République de Slovénie et, en les sanctionnant systématiquement, empêcherait les pêcheurs slovènes d’accéder librement aux eaux territoriales attribuées à la République de Slovénie par la sentence arbitrale litigieuse et, a fortiori, aux eaux territoriales croates relevant du champ d’application de ce régime.

59.      Par son quatrième grief, la République de Slovénie fait valoir que la République de Croatie enfreindrait le régime communautaire de contrôle afin d’assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche (ci-après le « régime de contrôle ») institué par le règlement nº 1224/2009 et le règlement d’exécution nº 404/2011 dès lors que, d’une part, elle l’empêcherait de se conformer aux obligations qui lui incombent dans le cadre dudit régime de contrôle, et que, d’autre part, elle exercerait illégalement, dans les eaux slovènes, des droits qui lui appartiennent en tant qu’État côtier. Ces règlements imposeraient aux États membres du pavillon deux séries d’obligations, à savoir une obligation de surveillance (article 9, paragraphe 3, du règlement n° 1224/2009 et articles 21 à 23 du règlement d’exécution n° 404/2011) et une obligation de communication (article 15 du règlement n° 1224/2009 et articles 43 et 44 du règlement d’exécution n° 404/2011).

60.      Par son cinquième grief, la République de Slovénie prétend que la République de Croatie enfreint le code frontières Schengen, étant donné que la frontière entre les deux États est encore une frontière extérieure à laquelle les dispositions du titre II dudit code s’appliquent. La République de Croatie violerait tant les obligations de contrôle de la frontière imposées par l’article 17 du code frontières Schengen que l’obligation de surveillance des frontières édictée par l’article 13 de ce code. En outre, elle manquerait à l’obligation d’agir dans le plein respect des dispositions pertinentes du droit international applicable prévue à l’article 4 dudit code en ce qu’elle refuserait de reconnaître la sentence arbitrale litigieuse.

61.      Par son sixième grief, la République de Slovénie allègue que la République de Croatie, en refusant de reconnaître la sentence arbitrale litigieuse qui a déterminé la délimitation des eaux territoriales entre ces deux États membres, et en incluant les eaux territoriales slovènes dans sa planification de l’espace maritime (23), violerait l’article 4, paragraphe 1, et l’article 8 de la directive 2014/89. Ce faisant, la République de Croatie rendrait également impossible toute coopération, ce qui constituerait une violation de l’article 11, paragraphe 1, de cette directive prévoyant l’obligation de coopération.

V.      Résumé des arguments des parties sur les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité

A.      Griefs tirés de l’incompétence de la Cour pour connaître de la présente affaire

62.      Le premier grief d’incompétence est tiré du caractère accessoire des allégations émises par la République de Slovénie. À cet égard, ces allégations, telles qu’elles figurent dans la requête, seraient accessoires par rapport à la solution du litige concernant la validité et les effets juridiques de la convention d’arbitrage et de la sentence arbitrale litigieuse. Or, dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 259 TFUE, la Cour ne serait pas compétente pour se prononcer ni sur ledit litige ni sur de telles allégations accessoires. À cet égard, il découlerait de l’arrêt Commission/Belgique (24) que, dans le cadre d’une telle procédure, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur la méconnaissance d’obligations découlant du droit de l’Union si ces obligations sont accessoires au règlement préalable d’un autre différend qui ne relève pas de la compétence de la Cour.

63.      Par son deuxième grief d’incompétence, la République de Croatie soutient que l’objet réel du litige entre les deux États est constitué par, d’une part, l’interprétation et l’applicabilité de la convention d’arbitrage, qui ne fait pas partie intégrante du droit de l’Union, ainsi que, d’autre part, par la validité et les conséquences juridiques éventuelles de la sentence arbitrale litigieuse.

64.      À cet égard, la République de Croatie souligne qu’elle conteste l’existence même de la sentence arbitrale litigieuse, dès lors qu’elle aurait valablement dénoncé la convention d’arbitrage avant même que cette sentence ait été rendue. Si la Cour devait examiner ces questions, elle devrait notamment se pencher, premièrement, sur la question de la validité de cette dénonciation et des effets de celle‑ci, deuxièmement, sur le point de savoir si, après la dénonciation litigieuse, le tribunal arbitral continuait à exister, troisièmement, si ce tribunal avait le droit de décider s’il continuait à exister, et, quatrièmement, si la dénonciation litigieuse a mis fin aux travaux du tribunal arbitral (25). En outre, dans le cas d’un tel examen, la Cour serait amenée à apprécier les motifs figurant dans la sentence partielle. Or, de telles questions relèveraient des règles du droit international et, notamment, de l’interprétation des dispositions de l’article 60 de la convention de Vienne ainsi que de la convention d’arbitrage, qui ne font pas partie intégrante du droit de l’Union.

65.      Par son troisième grief d’incompétence, la République de Croatie estime que la Cour n’est compétente, au titre de l’article 259 TFUE, pour se prononcer ni sur la validité et les effets de la convention d’arbitrage, au motif que celle-ci ne fait pas partie intégrante du droit de l’Union, ni sur la validité et les effets de la sentence arbitrale litigieuse prétendument rendue sur la base de cette convention d’arbitrage. Selon la République de Croatie, l’incidence que la solution du litige bilatéral est susceptible d’avoir sur le fonctionnement du droit de l’Union ne saurait élargir la compétence de la Cour au-delà de ce qui est prévu dans les traités. Ainsi, les griefs de la République de Slovénie relatifs à des violations du droit de l’Union, mais dont la résolution dépendrait du règlement préalable du litige relatif à la validité et aux effets juridiques éventuels de la convention d’arbitrage, ne suffiraient pas à rendre la Cour compétente pour connaître du présent litige sur le fondement de l’article 259 TFUE.

66.      Par son quatrième grief d’incompétence, la République de Croatie fait valoir qu’il ne suffit pas, contrairement à un différend soumis à la Cour au titre de l’article 273 TFUE, que le litige présente un lien de connexité avec le droit de l’Union. Les griefs de la République de Slovénie, relatifs à des violations du droit de l’Union, lesquels dépendraient toutefois du règlement préalable du litige relatif à la validité et aux effets juridiques éventuels de la convention d’arbitrage, ne suffiraient pas à rendre la Cour compétente pour connaître du présent litige sur le fondement de l’article 259 TFUE.

67.      Par son cinquième grief d’incompétence, la République de Croatie souligne que tout constat de la Cour selon lequel la République de Croatie aurait commis les prétendues violations du droit de l’Union pourrait tout au plus être hypothétique. Or, la Cour ne serait pas compétente pour se prononcer sur des violations hypothétiques du droit de l’Union dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 259 TFUE.

68.      Par son sixième grief d’incompétence, la République de Croatie estime que le présent litige ne soulève pas de question d’interprétation du droit de l’Union. Par conséquent, il serait impossible de justifier la compétence de la Cour sur le fondement de l’article 259 TFUE dans la présente affaire par la nécessité de résoudre un litige relatif à l’interprétation du droit de l’Union et de garantir ainsi l’application uniforme de ce droit.

69.      La République de Slovénie conclut au rejet de l’exception d’incompétence soulevée par la République de Croatie.

70.      En premier lieu, elle estime que cette exception repose sur la prémisse erronée selon laquelle sa demande tendrait à la constatation d’un manquement par la République de Croatie aux obligations lui incombant en vertu de la convention d’arbitrage ou de la sentence arbitrale litigieuse, et non en vertu du droit de l’Union. Il s’agirait d’une tentative de la République de Croatie de dénaturer unilatéralement l’objet du recours.

71.      À cet égard, premièrement, la République de Slovénie estime qu’il découlerait des dispositions des traités et de la jurisprudence que la compétence de la Cour dépend du fait que l’État requérant, dans les conclusions de la requête, invoque une violation du droit de l’Union ou de l’applicabilité de ce droit à ces conclusions. La République de Croatie ne saurait modifier à son avantage la présentation de l’objet du recours tel qu’il est précisé dans la requête, étant entendu que, dans les conclusions de sa requête, la République de Slovénie ne demande aucunement à la Cour de constater un manquement à des obligations incombant à la République de Croatie en vertu du droit international, mais lui demande de constater un manquement à des obligations incombant à cet État membre en vertu du droit de l’Union.

72.      Deuxièmement, la République de Slovénie considère que la compétence de la Cour au titre de l’article 259 TFUE n’est pas exclue lorsque les faits sur lesquels reposent les allégations de violations du droit de l’Union relèvent également du droit international. Seul importerait, à cet égard, que ces faits portent sur une violation d’obligations imposées par le droit de l’Union. Cela n’empêcherait toutefois pas que la Cour tienne compte des règles matérielles du droit international que le droit de l’Union a intégrées ou avait l’intention d’intégrer dans son système juridique.

73.      Troisièmement, la République de Slovénie fait valoir que l’existence d’un litige bilatéral concernant l’interprétation d’un acte de droit international applicable entre les parties dans une procédure en manquement n’exclut pas non plus la compétence de la Cour. C’est ainsi que dans l’arrêt Espagne/Royaume-Uni (26), la Cour aurait interprété une déclaration unilatérale du Royaume-Uni reflétant le contenu d’un accord conclu entre le Royaume d’Espagne et le Royaume-Uni, bien qu’il y ait eu un litige entre les parties concernant la signification de cet instrument du droit international.

74.      Quatrièmement, aux fins de statuer sur la recevabilité d’un recours au titre de l’article 259 TFUE, seul importerait le point de savoir si le fondement des conclusions correspond à des « obligations en vertu des traités ». C’est à tort que la République de Croatie suggérerait que la Cour, afin de se déclarer compétente, devrait être convaincue qu’un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des traités. L’interprétation et l’application des règles du droit de l’Union ne constitueraient pas des questions sur lesquelles la Cour devrait se pencher à un tel stade. Elles relèveraient, au contraire, de l’examen au fond.

75.      En second lieu, s’agissant du premier grief d’incompétence, tiré du caractère accessoire des allégations relatives au droit de l’Union, pour pouvoir se prononcer sur les prétendues violations du droit de l’Union, la Cour n’aurait pas à se prononcer sur un manquement à des obligations découlant du droit international ni sur des actes contraires au droit international commis par la République de Croatie. Étant donné que les territoires respectifs de la République de Croatie et de la République de Slovénie seraient déterminés par la frontière fixée conformément au droit international, à savoir la sentence arbitrale litigieuse, il n’incomberait ainsi à la Cour ni de constater une violation du droit international ni de se prononcer sur un litige international.

76.      S’agissant du deuxième grief d’incompétence, tiré de l’objet « réel » du litige prétendument constitué par l’interprétation du droit international, la République de Slovénie souligne que la frontière entre elle et la République de Croatie est une question de fait à propos de laquelle la Cour peut se fonder sur le résultat de la résolution du différend territorial et non une question juridique sur laquelle la Cour pourrait se prononcer. Au contraire, la Cour devrait respecter et appliquer le droit international, dans la mesure nécessaire pour interpréter ou appliquer le droit de l’Union.

77.      En ce qui concerne le troisième grief d’incompétence, tiré du règlement préalable du litige relatif à la validité et aux effets juridiques éventuels de la convention d’arbitrage, la République de Slovénie souligne que, pour déterminer l’étendue et le respect des obligations incombant aux États membres en vertu du droit de l’Union, y compris l’obligation de ne pas empêcher un autre État membre de mettre en œuvre et d’appliquer le droit de l’Union sur son propre territoire, il est nécessaire de partir de la frontière entre les États membres concernés, telle que fixée en vertu du droit international. Il incomberait à la Cour de prendre en compte, en tant que faits, les éléments du droit international existant.

78.      La République de Slovénie ajoute que la question de la validité de la convention d’arbitrage et de la validité des effets juridiques de la sentence arbitrale litigieuse ne fait pas l’objet du litige devant la Cour, ne relève pas de la compétence de celle-ci, et, en tout état de cause, a été résolue dans la sentence partielle du tribunal arbitral. Le fait que la République de Croatie ne soit pas satisfaite de la sentence arbitrale litigieuse ne saurait signifier qu’il existe un différend frontalier non résolu ou que la Cour devrait se prononcer sur cette question déjà tranchée.

79.      En outre, l’argument de la République de Croatie selon lequel la sentence arbitrale litigieuse ne serait pas directement applicable, en sus de relever non pas de la recevabilité mais de l’examen au fond, serait erroné, étant donné que cette sentence serait contraignante conformément au droit international, fixant de manière définitive la frontière entre les deux États membres.

80.      En ce qui concerne le cinquième grief d’incompétence, relatif au caractère hypothétique des violations du droit de l’Union qui lui sont reprochées, la République de Croatie se bornerait à affirmer qu’il n’y a pas de manquement de sa part aux obligations lui incombant en vertu du droit de l’Union. En effet, un tel argument relèverait du fond de l’affaire. En tout état de cause, il s’agirait de violations réelles et non hypothétiques qui se produiraient quotidiennement et auxquelles la République de Slovénie cherche à mettre fin au moyen du présent recours au titre de l’article 259 TFUE.

81.      Quant au sixième grief d’incompétence, tiré de ce que la présente affaire ne soulève pas des questions d’interprétation du droit de l’Union, au motif que les parties comprennent de la même manière les obligations qui leur incombent en vertu du droit de l’Union, la République de Slovénie relève que l’existence d’un litige concernant l’interprétation ou l’application du droit de l’Union n’est pas, en soi, une condition de la compétence de la Cour au titre de l’article 259 TFUE. Il suffirait que la République de Slovénie soutienne que la République de Croatie a manqué à ses obligations lui incombant en vertu du droit de l’Union.

B.      Griefs tirés de l’irrecevabilité de la requête

82.      À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour se déclarerait compétente pour connaître du présent litige, la République de Croatie fait valoir que la requête, qui n’est pas conforme aux exigences de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120 du règlement de procédure de la Cour, doit être rejetée comme irrecevable. Dans les conclusions de la requête, la République de Slovénie n’indiquerait pas expressément l’objet du litige, qui consisterait en un prétendu manquement par la République de Croatie aux obligations qui lui incombent en vertu de la sentence arbitrale litigieuse. Selon la République de Croatie, lesdites conclusions ne mentionnent pas la prétendue violation de la sentence arbitrale litigeuse et la requête n’expose pas d’arguments juridiques démontrant qu’il existe une sentence arbitrale valide, de sorte qu’il lui est impossible de préparer sa défense et de répondre à ces arguments.

83.      La République de Slovénie soutient que le recours satisfait à toutes les exigences de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120 du règlement de procédure de la Cour. L’objet du recours serait dûment et précisément déterminé, résumé au début de la requête, développé et étayé par des faits précis et des arguments juridiques clairs, et mentionné encore une fois dans les conclusions de la requête. Les violations alléguées des dispositions du droit de l’Union seraient déterminées avec précision et ne susciteraient aucun doute.

84.      Par conséquent, l’affirmation de la République de Croatie selon laquelle elle ne serait pas en mesure de préparer sa défense contre l’allégation de violation de la sentence arbitrale litigieuse serait également erronée. Même en supposant que cette allégation doive être prise en compte par la Cour, elle relèverait du fond de l’affaire, et non de la recevabilité de celle‑ci.

C.      Sur la demande visant à écarter des débats l’avis du service juridique de la Commission

85.      La République de Croatie demande à la Cour de retirer du dossier, conformément à l’article 151 du règlement de procédure de la Cour, l’avis du service juridique de la Commission figurant aux pages 38 à 45 de l’annexe C.2 de la réponse de la République de Slovénie à l’exception d’irrecevabilité (ci-après l’« avis juridique en cause »).

86.      Au soutien de sa demande, la République de Croatie fait valoir que l’avis juridique en cause est un document interne qui n’a jamais été rendu public par la Commission. Sa diffusion sans autorisation pourrait, selon cette institution, avoir une influence négative sur le bon fonctionnement de celle-ci.

87.      La Commission, en s’appuyant sur l’ordonnance du 23 octobre 2002, Autriche/Conseil (27), fait valoir que la production de tels documents internes dans le cadre d’un litige devant la Cour, sans que ladite production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction, est contraire à l’intérêt public qui veut que les institutions puissent bénéficier des avis de leurs services juridiques, donnés en toute indépendance. Selon la Commission, l’avis juridique en cause est un document interne, qui n’était pas destiné à être publié et n’a pas été rendu accessible au public. La Commission précise que sa production n’a pas été autorisée dans le cadre d’un litige devant la Cour. Ainsi, l’avis juridique en cause devrait être écarté du dossier.

VI.    Analyse

88.      La République de Croatie excipe de l’incompétence de la Cour pour statuer sur le recours en manquement et, à titre subsidiaire, de l’irrecevabilité de ce recours en raison du non-respect des conditions de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120 du règlement de procédure de la Cour. J’indique d’ores et déjà que, pour les motifs énoncés ci-dessous, je considère que la Cour n’est pas compétente pour examiner le présent recours, si bien qu’il n’est pas nécessaire d’analyser la question de sa recevabilité au regard d’une éventuelle inobservation des dispositions susmentionnées.

89.      En premier lieu, avant d’examiner les griefs relatifs à l’incompétence et à l’irrecevabilité, il convient d’examiner la demande visant à écarter des débats l’avis du service juridique de la Commission (sous A). En second lieu, dans le cadre de l’examen de la compétence de la Cour, il m’est apparu nécessaire, d’une part, de formuler quelques remarques liminaires sur la compétence de la Cour, plus précisément en présence d’instruments juridiques internationaux (sous B) et, d’autre part, d’examiner, à la lumière de ces remarques, l’objet du recours, en analysant les griefs spécifiques avancés par la requérante (sous C).

A.      Sur la demande visant à écarter des débats l’avis du service juridique de la Commission

90.      La République de Croatie demande à la Cour de retirer du dossier l’avis juridique en cause conformément à l’article 151 du règlement de procédure de la Cour.

91.      À cet égard, en premier lieu, il importe de souligner que, par l’ordonnance du 23 octobre 2002, Autriche/Conseil (28), la Cour a décidé de retirer du dossier l’avis du service juridique de la Commission qui était produit en annexe de la requête en annulation introduite par l’Autriche contre un règlement. Au point 12 de cette ordonnance, la Cour a notamment relevé qu’il serait contraire à l’intérêt public qui veut que les institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige pendant devant elle sans que ladite production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par la juridiction.

92.      En l’espèce, il y a lieu de constater que l’avis juridique en cause émane du service juridique de la Commission et a été établi à l’attention du chef de cabinet du président de la Commission. Cet avis a été élaboré dans le cadre de la procédure engagée par la République de Slovénie en application de l’article 259, deuxième alinéa, TFUE aux fins de la saisine préalable de la Commission. Ledit avis comporte l’analyse des allégations portées contre la République de Croatie, dans le but d’obtenir un accord dudit chef de cabinet pour préparer un avis motivé conformément au troisième alinéa de l’article 259 TFUE. Il est évident que l’avis juridique en cause n’avait pas vocation à être publié (29).

93.      En second lieu, selon la jurisprudence, le retrait d’un avis juridique d’une institution est justifié lorsqu’il existe un risque prévisible que l’institution concernée soit contrainte, dans le cadre de la procédure juridictionnelle en cours, qui porte sur la validité d’une décision qu’elle a prise, de prendre publiquement position à l’égard de l’avis émis par son propre service juridique. Une telle perspective entraînerait inévitablement des répercussions négatives sur l’intérêt de l’institution concernée à demander des avis juridiques et la possibilité pour celle‑ci de recevoir des avis francs, objectifs et complets de son service juridique (30).

94.      En l’espèce, dans la procédure prévue à l’article 259, deuxième alinéa, TFUE, la Commission, saisie par la République de Slovénie, n’a pas émis d’avis motivé conformément au troisième alinéa de cet article. Dès lors, elle n’a pas exprimé sa position officielle sur cette procédure. Ainsi, la présente affaire se distingue des affaires susmentionnées, qui concernaient une procédure juridictionnelle portant sur la validité d’une décision adoptée et défendue par l’institution concernée. Toutefois, malgré cette différence, il me semble, mutatis mutandis, que les considérations figurant au point 93 des présentes conclusions sont pertinentes pour notre affaire. En effet, il n’est pas exclu que la Commission décide d’intervenir, par la suite, dans la procédure devant la Cour ou qu’elle soit invitée à présenter des observations, si bien qu’elle sera amenée à exprimer sa position officielle sur l’affaire portée devant la Cour et à prendre ainsi publiquement position en ce qui concerne l’avis émis par son propre service juridique. Le retrait de l’avis juridique en cause paraît donc justifié au regard de l’intérêt pour ladite institution de demander et de recevoir des avis francs, objectifs et complets de son service juridique (31).

95.      En outre, la Cour a déjà jugé qu’autoriser un État membre à verser au dossier un avis juridique dont la divulgation n’a pas été autorisée par l’institution en cause reviendrait notamment à contourner la procédure de demande d’accès à un tel document, mise en place par le règlement no 1049/2001 (32). En l’espèce, ainsi que la Commission l’a précisé dans ses observations écrites, l’avis juridique en cause n’a été rendu accessible ni aux parties ni au public, mais a été divulgué en annexe d’un article de presse (33). Dès lors, il y a lieu de constater que la République de Slovénie n’a pas obtenu l’avis juridique en cause selon les modalités prévues par le règlement nº 1049/2001.

96.      Dans ces conditions et compte tenu du fait que la Commission a fait savoir à la Cour qu’elle ne souhaitait pas la production du document en cause dans le cadre du présent recours, je propose de faire droit à la demande de la République de Croatie de retirer du dossier de la présente affaire le document figurant aux pages 38 à 45 de l’annexe C.2 de la réponse de la République de Slovénie à l’exception d’irrecevabilité.

B.      Remarques liminaires relatives à la compétence de la Cour

97.      Il convient, en premier lieu, de formuler quelques remarques préliminaires concernant la compétence de la Cour en matière de recours en manquement (1), en deuxième lieu, de déterminer le champ d’application matériel du droit de l’Union en présence d’instruments juridiques internationaux (2) et, en troisième lieu, d’examiner le champ d’application territorial du droit de l’Union (3).

1.      Sur la compétence de la Cour en matière de recours en manquement

98.      L’article 19 TUE confère à la Cour le soin d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités (34). Selon le paragraphe 3, sous a), de cet article, la Cour statue conformément aux traités sur les recours formés par un État membre, une institution ou des personnes physiques ou morales. Cette compétence se concrétise dans le recours en manquement prévu à l’article 259 TFUE.

99.      La procédure au titre de l’article 259 TFUE vise à faire constater et à faire cesser le comportement d’un État membre en violation du droit de l’Union (35). Cette disposition subordonne la compétence de la Cour à connaître l’existence d’un manquement d’un État membre « à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités ». Dans ce cadre, il n’appartient pas à la Cour d’examiner quels sont les objectifs poursuivis par un recours en manquement dont elle est saisie (36).

100. En ce qui concerne le sens de l’expression « obligations [...] en vertu des traités », le terme « traités » implique qu’un recours peut être introduit au titre de manquements allégués aux obligations issues des traités UE et FUE et à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à la condition que les agissements de l’État membre relèvent de leur champ d’application (37). En outre, il est évident que ladite expression vise également les actes de droit dérivé (38).

101. Ainsi, la compétence de la Cour dépend du champ d’application du droit de l’Union (39). Dans la mesure où la présente affaire met en cause une convention d’arbitrage internationale et une sentence arbitrale en application de celle-ci, je propose d’examiner le champ d’application matériel du droit de l’Union en présence d’instruments juridiques internationaux.

2.      Sur le champ d’application matériel du droit de l’Union en présence d’instruments juridiques de droit international

102. Dès lors que la convention d’arbitrage et la sentence arbitrale litigieuse, qui sont au centre du présent recours, constituent des instruments de droit international, se pose la question de savoir quelle est leur relation avec le droit de l’Union, si elles sont intégrées à l’ordre juridique de l’Union et si l’Union est liée par celles-ci.

a)      Sur les instruments du droit international dans la jurisprudence de la Cour

103. Il est de jurisprudence constante que « l’Union est tenue [...] d’exercer ses compétences dans le respect du droit international dans son ensemble, en ce compris non seulement les règles et les principes du droit international général et coutumier, mais également les dispositions des conventions internationales qui la lient » (40).

104. Il me semble résulter de cette jurisprudence que les hypothèses dans lesquelles l’Union est liée par le droit international sont bien circonscrites. Premièrement, l’Union est liée par les accords internationaux qu’elle a conclus en vertu des dispositions des traités, et qui font, à compter de leur entrée en vigueur, partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (41). Deuxièmement, l’Union est liée par une convention internationale lorsqu’elle assume les compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application de cette convention (42). Troisièmement, l’Union est tenue d’exercer ses compétences dans le respect du droit international coutumier (43). Il s’ensuit que les conventions internationales ne relevant pas des catégories mentionnées ci-dessus ne constituent pas des actes de l’Union ni ne lient celle-ci. Dès lors qu’il ne s’agit pas du droit de l’Union, la Cour n’a pas la compétence pour examiner leur validité et pour les interpréter.

b)      Sur le caractère accessoire des allégations relatives aux obligations découlant du droit de l’Union

105. À l’appui de son premier grief d’incompétence, la République de Croatie a soutenu qu’il découle de l’arrêt Commission/Belgique (44) que, dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur la méconnaissance alléguée d’obligations découlant du droit de l’Union « si ces obligations sont accessoires au règlement préalable d’un autre différend qui ne relève pas de la compétence de la Cour ».

106. À cet égard, je suis d’avis qu’il résulte de cet arrêt que, dans le cadre d’un recours en manquement, l’implication d’instruments de droit international, qui ne constituent pas des actes de l’Union, peut avoir un effet négatif en ce qui concerne la compétence de la Cour pour examiner l’allégation d’une violation du droit de l’Union. Il s’agit de l’hypothèse de l’imputation d’un manquement, qui formellement se réfère au droit de l’Union, mais qui, en réalité, porte sur un instrument de droit international échappant au champ matériel du droit de l’Union et donc à la compétence de la Cour. C’est ainsi que, dans ledit arrêt, la Cour a jugé qu’elle n’est pas compétente pour se prononcer sur la prétendue méconnaissance d’obligations issues du droit de l’Union ne présentant qu’un caractère accessoire par rapport à celles issues d’un instrument de droit international.

107. Plus particulièrement, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission invoquait la méconnaissance à la fois de l’accord de siège de 1962, conclu le 12 octobre 1962, entre le Conseil supérieur de l’École européenne et le gouvernement du Royaume de Belgique et de l’article 10 CE (devenu l’article 4, paragraphe 3, TUE). La Cour a procédé à une analyse substantielle de la requête introductive d’instance lui permettant d’apprécier la portée exacte du grief soulevé par la Commission à l’encontre du Royaume de Belgique. La Cour a considéré que la violation de la disposition du droit de l’Union n’aurait été qu’une simple conséquence du non-respect par l’État membre concerné de ses obligations découlant de cet accord de siège, ce qu’elle a formellement traduit par le terme « accessoire » appliqué à l’allégation de la méconnaissance de l’article 10 CE. Ayant considéré, au terme d’une seconde analyse, que ledit accord ne faisait pas partie du droit de l’Union mais relevait du seul droit international, la Cour a logiquement constaté son incompétence pour statuer sur le recours en manquement introduit par la Commission.

108. J’estime que le raisonnement développé dans cet arrêt est important du point de vue de la présente affaire. Dès lors, je propose d’examiner, dans le cadre de l’analyse des griefs spécifiques avancés par la requérante à l’appui du recours (sous C ci-après), les critères développés dans cet arrêt.

3.      Le champ d’application territorial du droit de l’Union

109. Il importe de souligner que, selon le dispositif de la requête, la Cour n’est pas formellement saisie pour apprécier l’applicabilité de la convention d’arbitrage ni la validité de la sentence arbitrale litigieuse, mais qu’elle est appelée à statuer sur le point de savoir si les dispositions du droit de l’Union, telles que l’article 2 et l’article 4, paragraphe 3, TUE ainsi que celles relatives à la politique commune de la pêche, au code frontières Schengen et à la planification de l’espace maritime, ont été méconnues par la République de Croatie et donc trouvent à s’appliquer dans le cas présent.

110. À cet égard, l’Union, à la différence d’un État, ne dispose pas d’une « compétence territoriale » au regard du droit international, c’est‑à‑dire d’un titre de souveraineté sur son territoire, ni de « territoire de l’Union » comparable à un « territoire fédéral » (45). En effet, le « territoire de l’Union » correspond à l’espace géographique visé à l’article 52 TUE et à l’article 355 TFUE, qui définissent le champ d’application territorial des traités (46). En particulier, l’article 52 TUE prévoit, à son premier alinéa, que les traités s’appliquent aux États membres (47). Les règles détaillées régissant le champ d’application territorial des traités sont prévues à l’article 355 TFUE. L’article 52 TUE et l’article 355 TFUE ne sont pas seulement pertinents qu’en ce qui concerne la détermination de la frontière extérieure de l’Union, mais également pour établir les compétences respectives des États membres dans l’exécution du droit de l’Union. À cet effet, dans l’arrêt Aktiebolaget NN (48), la Cour a jugé, en ce qui concerne l’article 299 CE, devenu article 355 TFUE, qu’« [e]n l’absence, dans le traité, de définition plus précise du territoire qui relève de la souveraineté de chaque État membre, il appartient à chacun des États membres de déterminer l’extension et les limites de ce territoire, en conformité avec les règles du droit international public » (49).

111. Ainsi, le champ d’application territorial du droit de l’Union ne procède pas d’une détermination a priori par l’Union mais correspond davantage à une donnée objective qui s’impose à lui. Il s’ensuit que, dans le cadre du recours intenté sur le fondement de l’article 259 TFUE, tel que celui en cause, dans lequel il est reproché à un État membre de faire obstacle à la mise en œuvre du droit de l’Union sur le territoire d’un autre État membre, la délimitation du territoire relevant de la juridiction d’un État membre ne relève pas du domaine de compétence de l’Union, laquelle doit, à cet égard, se référer au droit international public et à ses instruments conformes définissant les limites de ce territoire.

4.      Conclusion intermédiaire

112. Compte tenu des considérations qui précèdent, je suis d’avis que la compétence de la Cour dans le cadre du recours en manquement dépend du champ d’application du droit de l’Union. Ce droit implique, d’une part, deux séries de règles internationales à caractère conventionnel, à savoir les conventions internationales que l’Union a conclues en vertu des dispositions des traités et celles pour lesquelles l’Union assume les compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application des conventions en cause, ainsi que, d’autre part, les règles coutumières de droit international qui lient l’Union lorsqu’elle exerce ses compétences. Dans le cadre du recours en manquement (50), la Cour, en revanche, n’est pas compétente pour résoudre des différends entre les États membres relatifs à la validité, l’interprétation et l’application des conventions internationales ne relevant pas du droit de l’Union. Pour cette raison, la Cour a décliné sa compétence dans l’hypothèse où, formellement la requête se référait au droit de l’Union, alors que le prétendu manquement portait, en réalité, sur un instrument du droit international échappant au champ matériel du droit de l’Union et donc à la compétence de la Cour, conférant ainsi un caractère accessoire aux griefs tirés du droit de l’Union. Le champ d’application territorial des traités est défini à l’article 52 TUE et à l’article 355 TFUE et correspond à une donnée objective prédéterminée par les États membres et s’imposant à l’Union. En effet, en l’absence, dans les traités, de définition plus précise du territoire qui relève de la souveraineté de chaque État membre, il leur appartient à chacun de déterminer l’extension et les limites de ce territoire, en conformité avec les règles du droit international public. Dès lors que, dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour n’est compétente que pour statuer sur le comportement d’un État membre en violation du droit de l’Union, elle n’a pas la compétence pour examiner les différends interétatiques portant sur des litiges territoriaux.

C.      Sur l’objet du recours

113. Afin de déterminer, à la lumière des remarques qui précèdent, si la Cour est compétente pour connaître de la demande de la République de Slovénie visant à faire constater le prétendu manquement de la République de Croatie aux dispositions du droit de l’Union, la Cour ne peut pas se limiter à l’examen formel du libellé des griefs figurant au dispositif de la requête, mais devrait procéder à une analyse substantielle des griefs soulevés par la République de Slovénie (51).

1.      Analyse des griefs spécifiques de la République de Slovénie

114. Les six griefs avancés par la République de Slovénie se décomposent comme suit : les deux premiers sont tirés des violations des dispositions de droit primaire (article 2 TUE et article 4, paragraphe 3, TUE) et les quatre autres de dispositions de droit dérivé, à savoir les obligations tirées de la politique commune de la pêche prévue au règlement nº 1380/2013 (troisième grief), du régime de contrôle prévu par le règlement nº 1224/2009 et le règlement d’exécution nº 404/2011, qui relèvent de la politique commune de la pêche (quatrième grief), du code frontières Schengen (cinquième grief), et enfin du régime de la planification de l’espace maritime prévu par la directive 2014/89 (sixième grief).

115. Ces griefs peuvent être regroupés dans deux catégories, à savoir les griefs tirés de la violation du droit primaire et ceux tirés de la violation du droit dérivé. En examinant les arguments avancés au soutien de ces griefs, il apparaît que leur structure varie en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent.

116. À cet égard, les griefs tirés de la violation du droit primaire visent à faire constater que l’inapplication de la convention d’arbitrage et la non-exécution de la sentence arbitrale litigieuse par la République de Croatie constituent une violation de la valeur de l’État de droit consacrée à l’article 2 TUE et du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

117. Plus précisément, s’agissant du premier grief tiré du manquement allégué à la valeur de l’État de droit consacrée à l’article 2 TUE, la République de Slovénie estime que, en manquant unilatéralement à l’engagement pris pendant le processus d’adhésion à l’Union de respecter la sentence arbitrale à venir, la frontière déterminée par la sentence arbitrale litigieuse ainsi que les autres obligations découlant de cette sentence, la République de Croatie refuse de respecter la valeur de l’État de droit consacrée à cette disposition et enfreint, à ce titre, les principes de coopération loyale et de res judicata. En ce qui concerne le deuxième grief tiré de la violation du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, en vertu duquel l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités, force est de constater que la République de Slovénie reproche à la République de Croatie deux types de manquements, à savoir la violation de la réalisation des objectifs de l’Union (52) et l’obstruction à la mise en œuvre du droit de l’Union sur le territoire slovène.

118. Il me semble qu’il résulte de son argumentation relative à ces deux griefs que la République de Slovénie cherche à établir que l’inapplication de la convention d’arbitrage et la non-exécution de la sentence arbitrale litigieuse par la République de Croatie constituent une violation du droit de l’Union et, notamment, de l’article 2 TUE et des principes de coopération loyale et de res judicata.

119. En revanche, les griefs tirés de la violation des dispositions du droit dérivé se fondent sur la prémisse que la frontière entre la République de Croatie et la République de Slovénie est déterminée par la sentence arbitrale litigieuse, si bien que le refus de l’exécuter constitue, par ce premier État, une violation de ces dispositions.

120. Compte tenu de la différence structurelle entre les griefs tirés du droit primaire et ceux tirés du droit dérivé, il y a lieu de les examiner en deux temps.

2.      Sur les griefs tirés de la violation du droit primaire

121. Eu égard à la conclusion intermédiaire à laquelle je suis parvenu (point 112 des présentes conclusions), il convient de s’interroger sur la relation entre, d’une part, la convention d’arbitrage et la sentence arbitrale litigieuse rendue sur le fondement de cette dernière et, d’autre part, le droit de l’Union.

a)      Sur la relation de la convention d’arbitrage et de la sentence arbitrale litigieuse avec le droit de l’Union

122. Il importe de souligner que la convention d’arbitrage et, par extension, la sentence arbitrale litigieuse rendue sur le fondement de cette convention ne relèvent d’aucune des hypothèses dans lesquelles l’Union est liée par le droit international, telles que décrites aux points 103 et 104 des présentes conclusions.

123. En ce qui concerne le premier cas de figure envisagé au point 104 des présentes conclusions, à savoir que l’Union est liée par les accords internationaux qu’elle a conclus en vertu des dispositions des traités, il y a lieu de constater que la sentence arbitrale litigieuse a été rendue par un tribunal international constitué en vertu d’une convention d’arbitrage bilatérale. Il est constant que l’Union n’était partie ni à la convention d’arbitrage ni à la procédure d’arbitrage ayant abouti à l’adoption de ladite sentence. L’Union a offert ses bons offices aux parties (53) et n’a signé ladite convention qu’en qualité de « témoin ». Selon l’article 4, sous a) et b), de la convention d’arbitrage, le tribunal arbitral applique les règles et les principes du droit international ainsi que l’équité et le principe des relations de bon voisinage. Conformément à l’article 8 de cette convention, les négociations d’adhésion ne devaient pas affecter le travail du tribunal arbitral, lesquelles devaient se poursuivre selon les termes de l’article 9. L’application du droit de l’Union n’est donc pas prévue par la convention dont l’Union a, par le document du 25 septembre 2009 (54), pris acte. Il apparaît ainsi que la sentence arbitrale litigieuse est une décision prise par un tribunal arbitral constitué en vertu d’une convention arbitrale bilatérale et applique notamment le droit international.

124. En ce qui concerne la deuxième hypothèse envisagée au point 104 des présentes conclusions, à savoir que l’Union est liée par une convention internationale lorsqu’elle assume les compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application de cette convention, il est évident qu’aucun transfert de compétences n’a eu lieu de la part des États membres au profit de l’Union dans le domaine relevant de la convention d’arbitrage.

125. S’agissant du troisième cas de figure mentionné au point 104 des présentes conclusions, qui traduit le nécessaire respect des règles du droit international coutumier, celui-ci ne se présente que lorsque l’Union exerce ses compétences, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que la convention d’arbitrage et la sentence arbitrale litigieuse sont des instruments internationaux en dehors du champ de compétences de l’Union.

126. Quant à la question de savoir si la convention d’arbitrage ou la sentence arbitrale litigieuse peuvent être incorporées au droit de l’Union par le biais de l’acte d’adhésion de la République de Croatie, il ressort du dossier soumis à la Cour que l’une des conditions politiques à l’adhésion à l’Union de la République de Croatie était la résolution de son différend frontalier avec la République de Slovénie (55). Il est constant que, au moment de la signature du traité d’adhésion, la convention d’arbitrage était conclue, mais la procédure d’arbitrage n’avait pas encore commencé (56). Toutefois, aucun élément du dossier ne permet de considérer que cette condition politique s’est concrétisée dans des dispositions spécifiques de l’acte d’adhésion ou du traité d’adhésion. En effet, je suis d’avis que la référence à la sentence arbitrale à venir figurant à l’annexe III de l’acte d’adhésion, qui d’ailleurs est la seule référence au différend concernant la frontière séparant la République de Croatie et la République de Slovénie dans ledit acte, doit s’analyser comme le constat selon lequel la réglementation en matière de politique commune de la pêche devait être modifiée pour définir les bandes côtières des deux États en cause, afin d’appliquer le régime spécifique au titre des relations de voisinage. Compte tenu du libellé de cette référence (57), cette dernière ne saurait s’analyser en une obligation juridique découlant du droit de l’Union et imposant à la République de Croatie de résoudre son différend avec la République de Slovénie à propos de leur frontière commune conformément aux termes de la sentence arbitrale à venir (58).

127. Eu égard à ce qui précède, je suis d’avis que l’Union n’est pas liée par la convention d’arbitrage au sens de la jurisprudence citée au point 103 des présentes conclusions, pas plus que par la sentence litigieuse prévue par ladite convention, ces instruments juridiques n’appartenant pas au champ d’application matériel du droit de l’Union.

128. Afin d’examiner, notamment, la compétence de la Cour pour connaître des deux griefs tirés du droit primaire et avancés par la requérante, il convient, d’une part, d’examiner le premier grief tiré du manquement allégué à la valeur de l’État de droit consacré à l’article 2 TUE (b) et, d’autre part, de se pencher sur le deuxième grief tiré de la violation du principe de coopération loyale consacrée à l’article 4, paragraphe 3, TUE (c).

b)      Sur le premier grief tiré du manquement allégué à la valeur de l’État de droit consacré à l’article 2 TUE

129. D’emblée, il y a lieu de noter que la République de Slovénie invoque la valeur de l’État de droit, d’une part, à titre autonome et, d’autre part, en combinaison avec les principes de coopération loyale et de res judicata. Dans les deux hypothèses, j’estime que les considérations liées au caractère accessoire des allégations relatives aux prétendues violations du droit de l’Union et exposées aux points 105 à 107 des présentes conclusions trouvent à s’appliquer dans le cadre de l’appréciation du grief en cause.

130. En effet, bien que, dans le dispositif de la requête, soient formellement mentionnées des violations à la valeur de l’État de droit et aux principes de coopération loyale et de res judicata, l’allégation en elle-même porte sur la prétendue violation, par la République de Croatie, du droit international résultant de la non-exécution de la sentence arbitrale litigieuse. Ainsi qu’il résulte du point 127 des présentes conclusions, l’Union n’est liée ni par la convention d’arbitrage ni par la sentence litigieuse prévue par celle-ci ; la problématique relative aux manquements au droit de l’Union présente ainsi un caractère accessoire par rapport à celle de la délimitation des frontières terrestre et maritime des deux États membres concernés.

131. Au demeurant, ainsi que je l’ai déjà exposé au point 126 des présentes conclusions, je suis d’avis que la tentative de lier les engagements pris pendant l’adhésion de la République de Croatie à l’Union avec lesdits valeurs et principes n’est pas suffisante pour pouvoir fonder le recours sur ces derniers à titre autonome. Dès lors, l’argumentation tirée de l’absence d’exécution d’engagements pris pendant le processus d’adhésion doit également être écartée, au motif que ces engagements ne constituent pas des obligations juridiques découlant du droit de l’Union et ne peuvent pas être invoqués au titre de l’article 259 TFUE.

132. En tout état de cause et à titre surabondant, en premier lieu, je me demande si, à supposer même que les manquements reprochés relèvent du champ d’application du droit de l’Union, un grief fondé sur la valeur de l’État de droit consacré à l’article 2 TUE serait recevable au titre du recours en manquement prévu à l’article 259 TFUE. À cet égard, la Cour a récemment eu recours à cette valeur dans de nombreuses affaires (59). Toutefois, je note que cette valeur n’a pas été évoquée, dans la jurisprudence, de manière autonome, mais toujours avec une norme qui la « concrétise » ou qui « constitue une manifestation spécifique » de celle-ci (60), à savoir l’article 19 TUE. Ainsi, le lien entre la valeur de l’État de droit et la compétence de l’Union était établi du fait que le contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union était assuré non seulement par la Cour mais aussi par les juridictions nationales.

133. Certes, en ce qui concerne l’exécution de l’article 2 TUE, il est largement admis que l’article 7 TUE et la procédure en manquement sont complémentaires (61) et qu’une violation de l’article 2 TUE peut, en principe, être envisagée dans le cadre du recours en manquement (62). Toutefois, il n’en demeure pas moins que le recours en manquement constitue une voie juridictionnelle liée aux domaines relevant du champ d’application du droit de l’Union – ce qui, ainsi qu’il a été exposé aux points 130 et 131 des présentes conclusions, n’est pas le cas dans la présente affaire –, qui nécessite que des obligations juridiques concrètes soient invoquées (63). Cela étant, la Cour peut toujours avoir recours à l’article 2 TUE à des fins interprétatives, afin de déterminer s’il y a eu une violation du droit de l’Union. Partant, je suis d’avis que, à supposer même que la Cour soit compétente pour examiner le premier grief tiré de l’État de droit, dans les circonstances de l’espèce, ladite valeur ne peut pas être invoquée à titre autonome.

134. En second lieu, pour autant que ce premier grief vise les principes de bonne foi, qui se traduisent par le principe de coopération loyale dans le droit de l’Union, et de res judicata, dès lors que ni la convention d’arbitrage ni la sentence arbitrale ne constituent des actes de l’Union ou des obligations internationales qui lient l’Union (64), le fait d’invoquer ces principes en combinaison avec la valeur de l’État de droit n’est pas suffisant si une disposition spécifique du droit de l’Union ou qui lie l’Union n’est pas invoquée. Or, dans le cas d’un grief tiré de la non-exécution de la sentence arbitrale et de la convention d’arbitrage, instruments bilatéraux régis exclusivement par le droit international, un tel lien fait défaut.

135. Par conséquent, je suis d’avis que, dans de telles circonstances, la Cour n’est pas compétente pour connaître du grief tiré de la valeur de l’État de droit, au motif que celui-ci présente un caractère accessoire par rapport à la problématique de la violation des obligations du droit international.

c)      Sur le deuxième grief tiré de la violation du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE

136. En premier lieu, la République de Slovénie fait valoir, en substance, que, en refusant de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de la sentence arbitrale litigieuse, la République de Croatie l’empêche d’exercer pleinement sa souveraineté sur la totalité de son territoire. Un tel comportement mettrait en péril la réalisation des objectifs de l’Union (65). En second lieu, la République de Slovénie reproche à la République de Croatie de l’empêcher de remplir son obligation de mettre en œuvre la directive 2008/56, la directive 92/43, le règlement nº 1143/2014 ainsi que la directive 2000/60.

137. Ainsi que je l’ai déjà exposé aux points 105 à 107 des présentes conclusions, les allégations fondées sur ce principe présentent un caractère accessoire par rapport à la résolution du différend international relatif à la validité et à l’exécution de la sentence arbitrale litigieuse. À cet égard, je trouve particulièrement révélatrice la manière dont la République de Slovénie a formulé son deuxième grief. Elle estime que la République de Croatie, « [e]n refusant unilatéralement de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de la sentence arbitrale [litigieuse] », a violé le principe de coopération loyale (66). Ainsi, la République de Croatie l’empêche d’exercer pleinement sa souveraineté sur la totalité de son territoire terrestre et maritime dans le respect des traités et des dispositions du droit dérivé (67).

138. En tout état de cause, il convient de rejeter le deuxième grief tiré du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE. En effet, d’après mes recherches, ce principe a constitué un fondement autonome d’obligations dans des affaires où l’Union était partie à un accord mixte (68) ou dans l’hypothèse de l’exécution des obligations découlant des traités UE et FUE (69). Or, en l’espèce, le comportement reproché ne relève d’aucune de ces deux hypothèses. En effet, ainsi qu’il résulte de l’analyse ci-dessus, je suis d’avis que ni la convention d’arbitrage ni la sentence arbitrale litigieuse ne constituent des actes de droit de l’Union ni des obligations internationales qui lient l’Union (70). Leur exécution ne constitue pas une obligation découlant des traités UE et FUE. Dès lors, la seule possibilité d’invoquer les objectifs de l’Union est l’application de la théorie de l’encadrement. Selon cette théorie, l’exercice de la compétence réservée aux États membres est encadré au nom de la réalisation des objectifs de l’Union (71). Toutefois, contrairement aux affaires dans lesquelles la Cour a appliqué l’encadrement des compétences (72), en l’occurrence, le comportement reproché, à savoir l’inexécution de la sentence arbitrale, ne présente aucun lien avec les dispositions de l’Union.

139. Ainsi, je suis d’avis que, dans de telles circonstances, la Cour n’est pas compétente pour connaître de ce grief tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

140. Par voie de conséquence, j’estime que les griefs tirés du droit primaire doivent être rejetés, dès lors que la Cour n’est pas compétente pour examiner un litige qui présente un caractère principalement international, la violation du droit de l’Union n’étant qu’accessoire. Il convient d’examiner les griefs tirés des violations des dispositions du droit dérivé.

3.      Sur les griefs fondés sur le droit dérivé

141. Ainsi qu’il résulte de l’analyse générale des griefs tirés des manquements allégués au droit dérivé qui ont été avancés par la République de Slovénie, cette dernière se fonde, au soutien de ces griefs, sur une prémisse selon laquelle la frontière entre la République de Croatie et la République de Slovénie serait déterminée par la sentence arbitrale litigieuse rendue sur le fondement de la convention d’arbitrage. Or, ainsi que je l’ai souligné à plusieurs reprises dans les présentes conclusions, ladite convention et la sentence arbitrale litigieuse ne relèvent pas du droit de l’Union. De même, comme indiqué dans la partie relative aux remarques préliminaires, notamment les points 109 à 112 des présentes conclusions, il résulte de l’article 52 TUE et de l’article 355 TFUE que le champ d’application territorial des traités correspond à une donnée objective prédéterminée par les États membres et s’imposant à l’Union. Dans ce contexte, il convient d’examiner si la sentence arbitrale litigieuse peut être directement applicable dans le cadre d’un recours en manquement.

a)      L’absence du caractère auto-exécutoire et de l’exécution de la sentence arbitrale litigieuse

142. D’une part, je suis d’avis que, en principe, il serait possible d’admettre la thèse de la République de Slovénie selon laquelle une décision émanant des juridictions internationales reconnues, telles que la Cour internationale de justice (ci-après la « CIJ ») ou la CPA, constituerait un fait juridique pour notre Cour (res judicata) (73). En l’espèce, en application de la convention d’arbitrage (74), la procédure devant le tribunal arbitral en cause s’est déroulée sous l’égide d’une institution arbitrale permanente, la CPA (75), qui a été désignée comme institution faisant fonction de greffe (76) par les deux États en cause (77).

143. D’autre part, je considère que, du point de vue du droit de l’Union (article 52 TUE et article 355 TFUE) et, notamment, en ce qui concerne la compétence d’exécution de ce droit incombant aux États membres, il est indispensable que la frontière entre ceux-ci ne soit pas seulement délimitée au sens juridique et politique, mais qu’une telle délimitation soit aussi mise en œuvre et opérationnelle. Les traités ne prévoient aucune compétence de l’Union pour déterminer où commencent et où finissent les territoires relevant respectivement de deux États voisins. La détermination de l’extension et des limites du territoire relève de la souveraineté de chaque État membre, en conformité avec les règles du droit international public, ainsi qu’il résulte, mutatis mutandis, de l’arrêt Aktiebolaget NN (78).

144. Il convient, à cet effet, de relever que, d’une part, conformément au principe des compétences d’attribution consacré à l’article 5, paragraphe 2, TUE, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent (79) et que, d’autre part, selon l’article 4, paragraphe 1, TUE, toute compétence non attribuée à l’Union appartient aux États membres. En l’espèce, je suis d’avis qu’il s’agit là d’une compétence réservée aux États membres. Ainsi, afin que le droit de l’Union puisse s’appliquer, les frontières étatiques ne doivent pas seulement être déterminées du point de vue du droit international public, mais aussi délimitées du point de vue factuel.

145. Bien que la frontière litigieuse entre la République de Croatie et la République de Slovénie soit déterminée par la sentence arbitrale litigieuse, ainsi qu’il résulte du dossier soumis à la Cour, il convient de relever que, dans la présente affaire, l’applicabilité et la validité de la sentence arbitrale litigieuse sont âprement contestées par la République de Croatie. En effet, il est impossible d’ignorer le fait que, par note verbale du 30 juillet 2015, la République de Croatie a notifié à la République de Slovénie la cessation de la convention d’arbitrage et l’applicabilité éventuelle de la procédure prévue à l’article 65 de la convention de Vienne (80). Cette notification a également été communiquée au tribunal arbitral le 31 juillet 2015. Ainsi, à partir de cette notification, la République de Croatie s’est retirée de la procédure d’arbitrage et n’y a plus pris part. Dans ses écritures et lors de l’audience, elle a fait valoir que le tribunal arbitral, en adoptant ladite sentence, a outrepassé ses compétences (81).

146. De manière plus générale, il convient d’observer que, dans l’histoire du droit international et même à l’heure actuelle (82), la situation dans laquelle l’une des parties à la procédure arbitrale ne reconnaît pas la validité d’une sentence rendue par un tribunal arbitral ou refuse de l’exécuter n’est pas inconnue (83). En effet, quand bien même il n’existe pas de mécanisme obligatoire de contrôle des sentences arbitrales interétatiques, un État contestant une telle sentence peut soumettre le différend concernant la validité de ladite sentence à la CIJ (84).

147. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que la République de Croatie, afin d’expliquer les raisons de sa non-reconnaissance de la sentence arbitrale litigieuse, s’appuie sur le prétendu excès de pouvoir du tribunal arbitral tiré de l’adoption même de ladite sentence (85). En pratique, lorsqu’un État conteste une sentence arbitrale interétatique, ladite sentence ne constitue, en réalité, qu’une tentative de résolution du litige en cause, dès lors que, en droit international public et au regard de ce que l’on pourrait considérer comme son essence imparfaite, il n’existe pas de mécanisme contraignant garantissant l’exécution des décisions arbitrales interétatiques qui soit indépendant de la volonté souveraine des États (86).

148. À supposer même que, du point de vue du droit international, la sentence partielle contienne une appréciation juridique relative aux faits mentionnés au point 145 des présentes conclusions (87), il n’en demeure pas moins que cette sentence n’est, à ce jour, pas mise en œuvre dans les relations entre la République de Croatie et la République de Slovénie. Je note, à cet égard, que l’article 7, paragraphe 3, de la convention d’arbitrage stipule que « les parties prendront toutes les mesures nécessaires afin de mettre en œuvre la sentence, y compris, en tant que de besoin, la modification de la législation nationale dans les six mois suivant l’adoption de la sentence ». En ce sens, je partage l’argument de la République de Croatie, présenté lors de l’audience, selon lequel la sentence arbitrale litigieuse n’a pas un caractère « auto-exécutoire » (88), ce qui revient, me semble-t-il, à dire qu’elle n’est pas d’application directe (89).

149. Par voie de conséquence, je suis d’avis que la sentence arbitrale litigieuse n’a pas été mise en œuvre dans les relations entre la République de Croatie et la République de Slovénie, si bien que, du point de vue du droit de l’Union, la frontière entre ces deux États membres n’a été établie ni au sens de l’article 52 TUE et de l’article 355 TFUE ni au sens de la jurisprudence Aktiebolaget NN (90), en vertu de laquelle il appartient à chacun des États membres de déterminer l’extension et les limites de son territoire, en conformité avec les règles du droit international public. Dès lors que la détermination des frontières entre États membres n’est pas une compétence attribuée à l’Union, au sens de l’article 5, paragraphe 2, TUE, et ne relève pas du champ d’application matériel du droit de l’Union, les questions en cause ne peuvent constituer l’objet du recours en manquement en vertu de l’article 259 TFUE.

150. Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient d’examiner séparément les griefs spécifiques tirés du droit dérivé et avancés par la requérante à l’appui de son recours. Il y a lieu d’analyser la compétence de la Cour pour connaître des griefs à l’appui du recours fondés sur, d’une part (sous b), l’article 5, paragraphe 2, et l’annexe I du règlement nº 1380/2013 (troisième grief), et, d’autre part (sous c), le système de contrôle, l’inspection et la mise en œuvre du régime du contrôle prévu par le règlement no 1224/2009 et le règlement d’exécution no 404/2011 (quatrième grief), les articles 4 et 17, lus conjointement avec l’article 13 du code frontières Schengen (cinquième grief), ainsi que l’article 2, paragraphe 4, et l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2014/89 (sixième grief).

b)      Sur le troisième grief tiré de la violation du règlement n° 1380/2013

151. Par son troisième grief, la République de Slovénie fait valoir que, en ne respectant pas son territoire, la République de Croatie a enfreint le droit de l’Union dans le domaine de la politique commune de la pêche, plus particulièrement l’article 5, paragraphe 2, et l’annexe I du règlement nº 1380/2013 (91).

152. D’emblée, j’observe que, contrairement à d’autres actes de droit dérivé invoqués par la République de Slovénie, le règlement nº 1380/2013 contient une référence explicite à la sentence arbitrale à venir. En effet, aux termes des notes en bas de page relatives aux points 8 et 10, intitulés « Bande côtière de la Croatie » (point 8) et « Bande côtière de la Slovénie » (point 10), de l’annexe I du règlement no 1380/2013, le « régime mentionné ci-dessus ne s’applique qu’à partir du moment où la sentence arbitrale [...] aura été pleinement mise en œuvre ». À cet égard, dès lors que le règlement no 1380/2013 est un acte législatif de l’Union au sens de l’article 297 TFUE, il est évident que la Cour est compétente pour décider si les conditions d’application de ce règlement sont remplies, à savoir si le régime spécifique au titre des relations de voisinage prévu à l’article 5, paragraphe 2, dudit règlement, compte tenu des précisions figurant à l’annexe I, s’applique.

153. Toutefois, dans la mesure où la République de Slovénie vise à faire constater, par ce troisième grief tiré de la violation de l’article 5, paragraphe 2, et de l’annexe I du règlement n° 1380/2013 (92), la violation par la République de Croatie du régime prévu à cet article, j’estime que la Cour n’est pas compétente pour examiner ce grief.

154. À cet égard, il convient de noter que l’article 5 du règlement n° 1380/2013 prévoit, à son paragraphe 1, une égalité d’accès aux eaux et aux ressources dans toutes les eaux de l’Union, sauf celles visées notamment au paragraphe 2 de cet article. Ledit paragraphe 2 autorise les États membres, dans les eaux situées à moins de 12 milles marins des lignes de base relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction, jusqu’au 31 décembre 2022, à limiter la pêche aux navires de pêche opérant traditionnellement dans ces eaux à partir des ports de la côte adjacente, sans préjudice de régimes applicables aux navires de pêche de l’Union battant pavillon d’autres États membres au titre des relations de voisinage existant entre États membres et des modalités prévues à l’annexe I, qui fixe, pour chacun des États membres, les zones géographiques des bandes côtières des autres États membres où ces activités sont exercées ainsi que les espèces sur lesquelles elles portent. L’annexe I dudit règlement définit les conditions d’accès aux bandes côtières au sens de l’article 5, paragraphe 2, de ce même règlement. Conformément aux notes en bas de page relatives aux points 8 et 10 de l’annexe I du règlement no 1380/2013, intitulés « Bande côtière de la Croatie » (point 8) et « Bande côtière de la Slovénie » (point 10), il est indiqué que le « régime mentionné ci-dessus ne s’applique qu’à partir du moment où la sentence arbitrale [...] aura été pleinement mise en œuvre ». À défaut d’autres précisions quant à ce libellé, il y a lieu de l’interpréter pour comprendre la portée de cette référence à la sentence arbitrale à venir.

155. En ce qui concerne l’expression le « régime mentionné ci‑dessus », la Cour a déjà précisé que ce dernier visait certains régimes spécifiques donnant aux navires de pêche de l’Union battant pavillon d’autres États membres le droit de pêcher dans les zones des 12 milles au titre des relations de voisinage existant entre États membres (93). Partant, il convient d’entendre ladite expression comme visant le régime spécifique d’accès réciproque « applicable aux navires de pêche de l’Union battant pavillon d’autres États membres au titre des relations de voisinage existant entre États membres » (ci-après le « régime spécifique au titre des relations de voisinage »).

156. En ce qui concerne l’expression « à partir du moment où la sentence arbitrale [...] aura été pleinement mise en œuvre » figurant aux points 8 et 10 de l’annexe I du règlement nº 1380/2013, qui reflètent le contenu de l’acte d’adhésion (94), il découle que la sentence finale est un acte qui conditionne l’application temporelle du régime spécifique au titre des relations de voisinage, dont les modalités sont prévues à l’annexe I du règlement. Ainsi, ce régime ne pourra pas entrer en vigueur avant la « pleine mise en œuvre » par la République de Croatie et la République de Slovénie de la sentence arbitrale à venir. Autrement dit, lesdits points 8 et 10 ont pour objet de suspendre l’applicabilité dudit régime pendant la résolution du litige concernant les frontières litigieuses entre ces deux États. En l’espèce, ainsi que l’a confirmé la République de Croatie lors de l’audience, la sentence arbitrale litigieuse n’a pas été mise en œuvre, au motif que cet État membre considère qu’il a valablement dénoncé la convention d’arbitrage (95) et refuse de reconnaître la sentence arbitrale litigieuse rendue sur le fondement de cette convention. Dès lors, je suis d’avis que ledit régime spécifique au titre des relations de voisinage, en ce qui concerne les bandes côtières croate et slovène, ne s’applique pas ratione temporis. Étant donné que la requérante reproche à la République de Croatie d’avoir violé le régime spécifique au titre des relations de voisinage, prévu à l’article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1380/2013, qui n’était applicable ni durant les prétendus manquements reprochés ni pendant la présente procédure, puisque la sentence arbitrale litigieuse n’a pas été mise en œuvre, je suis d’avis que la Cour n’est pas compétente pour examiner le troisième grief.

c)      Les quatrième à sixième griefs à l’appui du recours

157. En ce qui concerne les quatrième à sixième griefs avancés par la République de Slovénie, cet État membre invoque des dispositions relatives au régime du contrôle institué par le règlement no 1224/2009 et le règlement d’exécution no 404/2011 (quatrième grief), les articles 4 et 17, lus conjointement avec l’article 13 du code frontières Schengen (cinquième grief), ainsi que l’article 2, paragraphe 4, et l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2014/89 (sixième grief).

158. À cet égard, premièrement, en ce qui concerne le quatrième grief, tiré de la violation des dispositions figurant au règlement no 1224/2009 et au règlement d’exécution no 404/2011, le comportement allégué serait caractérisé par « des bateaux de police croates [qui] accompagnent des pêcheurs croates qui pêchent dans les eaux slovènes, empêchant ainsi les inspecteurs de la pêche slovènes d’exercer un contrôle ». La requérante ajoute que « les autorités croates infligent des amendes pour franchissement illégal de la frontière et pêche illégale aux pêcheurs slovènes qui pêchent dans les eaux slovènes que la [République de Croatie] s’approprie » et cette dernière « ne communique à la [République de Slovénie] aucune donnée relative aux activités des bateaux croates dans les eaux slovènes, ainsi que le requiert le règlement ». Elle conclut que, ce faisant, la République de Croatie « empêche la [République de Slovénie] d’exercer un contrôle sur les eaux relevant de sa souveraineté et de sa juridiction et ne respecte pas les compétences exclusives de la République de Slovénie sur ses eaux territoriales en tant qu’État côtier » (96).

159. Deuxièmement, s’agissant du cinquième grief, tiré des dispositions du code frontières Schengen, j’observe que la République de Slovénie estime que la République de Croatie « ne reconnaît pas la frontière déterminée par la sentence arbitrale en tant que frontière commune avec la [République de Slovénie], elle ne coopère pas avec [cet État] pour surveiller cette “frontière extérieure” et n’est pas en mesure d’assurer une surveillance satisfaisante », ce qui serait contraire aux articles 4, 13 et 17 dudit code.

160. Troisièmement, quant au sixième grief, fondé sur une prétendue violation des dispositions de la directive 2014/89, il y a lieu d’observer que la République de Slovénie s’appuie directement sur l’inexécution de la sentence arbitrale litigieuse ayant délimité les eaux territoriales, au sens de l’article 2, paragraphe 4, de cette directive. Selon la requérante, la République de Croatie inclut les eaux territoriales slovènes dans sa planification de l’espace maritime et, par conséquent, elle empêche une adaptation aux cartes de la République de Slovénie.

161. À cet égard, force est de constater que l’argumentation de la République de Slovénie relative aux prétendus manquements du droit dérivé se fonde sur la prémisse selon laquelle la frontière litigieuse est, dans les faits, déterminée. Cette constatation est corroborée par les faits invoqués au soutien des allégations de la République de Slovénie, dont il découle que ces faits n’auraient pas eu lieu s’il y avait une frontière opérationnelle entre la République de Croatie et la République de Slovénie. Toutefois, ainsi qu’il résulte des points 145 à 150 des présentes conclusions, je considère que tel n’est pas le cas, dès lors que la sentence arbitrale litigieuse n’a jamais été exécutée. Il en découle que la République de Slovénie cherche, de manière implicite, à faire exécuter la sentence arbitrale litigieuse. Or, une telle demande d’exécution ne relève pas du domaine des compétences de l’Union. Si la Cour devait trancher les quatrième à sixième griefs ainsi formulés, cela l’amènerait à trancher elle-même la problématique de la frontière litigieuse, alors que, ainsi qu’il résulte des points 143 et 144 des présentes conclusions, une telle compétence revient aux États membres (voir point 110 des présentes conclusions). Partant, les prétendus manquements du droit dérivé présentent un caractère accessoire, par leur essence, par rapport à la problématique relative à la détermination, dans les faits, de la frontière entre la République de Croatie et la République de Slovénie. Ainsi, je propose à la Cour de déclarer qu’elle n’est pas compétente pour connaître des quatrième à sixième griefs avancés par la République de Slovénie à l’appui de son recours.

162. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de se déclarer incompétente pour connaître des griefs fondés sur le droit primaire et sur le droit dérivé et, donc, pour statuer sur le présent recours dans son intégralité.

163. Il n’est par conséquent pas nécessaire de se pencher davantage sur la question des griefs de la République de Croatie relatifs à l’irrecevabilité de la requête.

D.      Synthèse de l’analyse

164. Bien que les griefs tirés de prétendus manquements avancés par la République de Slovénie puissent paraître, de prime abord, comme des griefs relatifs au droit de l’Union au sens de l’article 259 TFUE, au terme d’une analyse approfondie, je suis arrivé à la conclusion que tout éventuel constat des manquements reprochés à la République de Croatie reposerait sur une prémisse consistant à déterminer la frontière entre la République de Croatie et la République de Slovénie. Or, une telle détermination constitue, par son essence même, une question relevant du droit international public, ce qui est confirmé par l’analyse de la convention d’arbitrage et de la sentence arbitrale litigieuse, ces dernières ne pouvant pas être regardées comme des actes relevant du droit de l’Union. Les questions relatives à la validité, à l’interprétation et à l’exécution de ces deux instruments juridiques internationaux ne peuvent pas faire l’objet d’un manquement sur le fondement de l’article 259 TFUE. En outre, je constate que la sentence arbitrale litigieuse n’a pas été exécutée dans les relations entre ces deux États membres, celle‑ci étant d’ailleurs dépourvue de caractère auto-exécutoire. Il s’ensuit que, au regard du droit de l’Union, la frontière litigieuse n’a pas été établie entre la République de Croatie et la République de Slovénie au sens de l’article 52 TUE et de l’article 355 TFUE. Dès lors que les allégations de manquement avancées par la République de Slovénie portent sur la frontière litigieuse entre ces deux États membres, il y a lieu de considérer que ces allégations ne présentent qu’un caractère accessoire par rapport à la résolution du différend de caractère international, qui ne relève pas du droit de l’Union et pour lequel la Cour n’a pas de compétence.

165. En définitive, je dois noter qu’il est regrettable qu’un différend frontalier n’ait pas pu aboutir à une solution définitive même après le prononcé de la sentence arbitrale litigieuse. Cependant, je suis convaincu que la résolution de ce différend se trouve au niveau politique.

VII. Sur les dépens

166. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

167. Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que la République de Slovénie est la partie qui succombe dans la présente affaire et doit supporter ses propres dépens ainsi que les dépens de la République de Croatie.

VIII. Conclusion

168. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de :

–        retirer du dossier l’avis du service juridique de la Commission européenne, figurant à l’annexe C.2 de la réponse de la République de Slovénie à l’exception d’irrecevabilité ;

–        déclarer que la Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente pour connaître du présent recours ;

–        condamner la République de Slovénie à ses propres dépens ainsi qu’à ceux de la République de Croatie.


1      Langue originale : le français.


2      L’article 259 TFUE correspond à l’ancien article 170 du traité CEE et à l’article 227 du traité CE. En ce qui concerne les recours sur le fondement de ces dispositions, voir, notamment, arrêts du 4 octobre 1979, France/Royaume-Uni (141/78, EU:C:1979:225) ; du 16 mai 2000, Belgique/Espagne (C‑388/95, EU:C:2000:244) ; du 12 septembre 2006, Espagne/Royaume-Uni (C‑145/04, EU:C:2006:543) ; du 16 octobre 2012, Hongrie/Slovaquie (C‑364/10, EU:C:2012:630), ainsi que du 18 juin 2019, Autriche/Allemagne (C‑591/17, EU:C:2019:504).


3      Signée à San Francisco le 26 juin 1945.


4      JO 2012, L 112, p. 10.


5      Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331.


6      JO 2012, L 112, p. 21.


7      Règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO 2002, L 358, p. 59).


8      Règlement modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22).


9      Règlement modifiant les règlements (CE) no 847/96, (CE) no 2371/2002, (CE) no 811/2004, (CE) no 768/2005, (CE) no 2115/2005, (CE) no 2166/2005, (CE) no 388/2006, (CE) no 509/2007, (CE) no 676/2007, (CE) no 1098/2007, (CE) no 1300/2008, (CE) no 1342/2008 et abrogeant les règlements (CEE) no 2847/93, (CE) no 1627/94 et (CE) no 1966/2006 (JO 2009, L 343, p. 1).


10      JO 2011, L 112, p. 1.


11      JO 2016, L 77, p. 1.


12      JO 2014, L 257, p. 135.


13      Point 17 de la sentence partielle rendue le 30 juin 2016 par le tribunal arbitral (ci‑après la « sentence partielle »).


14      Point 18 de la sentence partielle.


15      La CPA est composée de 122 parties contractantes ayant adhéré à l’une ou l’autre des conventions fondatrices de la CPA, ou aux deux. En ce qui concerne la présente affaire, la République de Slovénie a adhéré aux deux conventions, respectivement, le 1er octobre 1996 et le 29 mars 2004. La République de Croatie a adhéré à la convention de 1899 le 7 octobre 1998. Voir https://pcacpa.org/fr/about/introduction/contracting-parties/.


16      Voir point 148 de la sentence arbitrale définitive rendue le 29 juin 2017 par le tribunal arbitral (ci‑après la « sentence arbitrale litigieuse »).


17      Point 19 de la sentence partielle.


18      Disponible sur https://pca-cpa.org/fr/documents/pca-conventions-and-rules/.


19      Annexe B.6 de l’exception d’irrecevabilité.


20      Voir annexe B.6 de l’exception d’irrecevabilité et point 84 de la sentence partielle.


21      La Cour n’a pas encore statué sur cette exception.


22      La République de Slovénie invoque, notamment, la directive 2008/56/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, établissant un cadre d’action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu marin (directive‑cadre stratégie pour le milieu marin) (JO 2008, L 164, p. 19), la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), le règlement (UE) n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2014, relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes (JO 2014, L 317, p. 35), ainsi que la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO 2000, L 327, p. 1).


23      Adoptée le 13 octobre 2017.


24      Arrêt du 30 septembre 2010 (C‑132/09, EU:C:2010:562).


25      La République de Croatie souligne notamment que, dans ce cadre, la Cour doit se prononcer sur l’incidence du principe nemo judex in causa sua sur la compétence du tribunal arbitral pour se prononcer, en formation partiellement identique, sur sa propre compétence. Au cas où la Cour considérerait que la convention d’arbitrage restait valide, elle devrait alors statuer sur les effets juridiques de la sentence arbitrale qui, en vertu de la convention d’arbitrage, devait être mise en œuvre par les parties, mais qui ne l’aurait toujours pas été.


26      Arrêt du 12 septembre 2006 (C‑145/04, EU:C:2006:543).


27      C‑445/00, EU:C:2002:607.


28      C‑445/00, EU:C:2002:607.


29      Il s’ensuit que ce document peut être qualifié d’« avis juridique » au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).


30      Arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 42), ainsi que ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement (C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 16).


31      Arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 42), ainsi que ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement (C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 16).


32      Voir, en ce sens, ordonnance du 29 janvier 2009, Donnici/Parlement (C‑9/08, non publiée, EU:C:2009:40, point 18).


33      Article de presse figurant aux pages 32 à 37 de l’annexe C.2 de la réponse de la République de Slovénie à l’exception d’irrecevabilité.


34      Arrêt du 19 juillet 2016, H/Conseil et Commission (C‑455/14 P, EU:C:2016:569, point 40). Par ailleurs, la Cour a déjà précisé qu’une convention internationale ne saurait porter atteinte à la compétence exclusive de la Cour en ce qui concerne le règlement des différends entre États membres relatifs à l’interprétation et à l’application du droit de l’Union (arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande C‑459/03, EU:C:2006:345, point 132).


35      Arrêt du 16 octobre 2012, Hongrie/Slovaquie (C‑364/10, EU:C:2012:630, point 67 et jurisprudence citée).


36      Voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 juin 1988, Commission/Royaume-Uni (416/85, EU:C:1988:321, point 9 et jurisprudence citée).


37      Voir conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:325, point 48 et la note en bas de page 19).


38      Arrêt du 6 avril 2017, Commission/Allemagne (C‑58/16, non publié, EU:C:2017:279, point 36).


39      S’agissant de la compétence matérielle, voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 76).


40      Voir, notamment, arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118, point 47 et jurisprudence citée).


41      Voir, notamment, arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée). La Cour est compétente pour interpréter les dispositions de tels accords [voir, récemment, arrêt du 11 juillet 2018, Bosphorus Queen Shipping (C‑15/17, EU:C:2018:557, point 44)].


42      Voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 2009, Bogiatzi (C‑301/08, EU:C:2009:649, point 33), et du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, point 63).


43      En ce qui concerne le droit international maritime coutumier, voir notamment arrêt du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation (C‑286/90, EU:C:1992:453, points 9 et 10). En ce qui concerne le principe coutumier d’autodétermination, voir notamment arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973, point 88). En ce qui concerne le principe coutumier de bonne foi, voir notamment arrêt du 11 juillet 2018, Bosphorus Queen Shipping (C‑15/17, EU:C:2018:557, point 45).


44      Arrêt du 30 septembre 2010 (C‑132/09, EU:C:2010:562).


45      Voir Ziller, J., « Champ d’application de l’Union – Application territoriale », JurisClasseur  Europe Traité, fascicule 470, 2013, point 4.


46      Arrêt du 4 mai 2017, El Dakkak et Intercontinental (C‑17/16, EU:C:2017:341, point 22).


47      Arrêt du 15 décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C‑132/14 à C‑136/14, EU:C:2015:813, point 64).


48      Arrêt du 29 mars 2007 (C‑111/05, EU:C:2007:195).


49      Arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C‑111/05, EU:C:2007:195, point 54) ; mis en italique par mes soins.


50      Il n’est pas exclu que la Cour soit compétente pour ce type de différends dans le cadre d’un recours en vertu de l’article 273 TFUE, au titre duquel la Cour peut « statuer sur tout différend entre États membres en connexité avec l’objet des traités, si ce différend lui est soumis en vertu d’un compromis ».


51      Voir point 107 des présentes conclusions, en ce qui concerne, notamment, le raisonnement développé dans l’arrêt du 30 septembre 2010, Commission/Belgique (C‑132/09, EU:C:2010:562).


52      Points 62 à 71 de la requête.


53      Voir annexe A.3 de la requête ainsi que, plus généralement, Geddes, A., Taylor, A., « Those Who Knock on Europe’s Door Must Repent ? Bilateral Border Disputes and EU Enlargement », Political Studies, vol. 64, n° 4, p. 930 à 947. En ce qui concerne la définition de l’expression « bons offices », il s’agit de « l’action d’un tiers, le plus souvent un État ou une organisation internationale, qui intervient dans un différend qui oppose deux ou plusieurs parties, dont l’une au moins est étatique, pour proposer aux parties qui ont accepté son entremise des moyens de règlement en vue de régler pacifiquement leur différend » (définition disponible sur http://www.operationspaix.net/15-lexique-bons-offices.html).


54      Voir, à cet égard, annexe A.3 de la requête, qui contient un échange de lettres entre les représentants des gouvernements croate et suédois porté à la connaissance de la conférence sur l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne.


55      Voir, à cet égard, annexe A.3 de la requête, qui contient un échange de lettres entre les représentants des gouvernements croate et suédois, daté de 25 septembre 2009.


56      Voir points 27 à 29 des présentes conclusions.


57      Pour rappel, ainsi qu’exposé au point 15 des présentes conclusions, l’annexe III dispose que « [l]e régime s’appliquera à partir du moment où la sentence arbitrale découlant de la convention d’arbitrage entre le gouvernement de la République de Slovénie et le gouvernement de la République de Croatie, signée à Stockholm le 4 novembre 2009, aura été pleinement mise en œuvre ».


58      Cette lecture est, par ailleurs, confortée par la réponse de la Commission aux questions posées par la Cour le 28 juin 2019, réponse dans laquelle elle affirme que le « libellé des notes en bas de page [des points 8 et 10 de l’annexe I du règlement nº 1380/2013], qui reflète le contenu de l’acte de l’adhésion, prévoit que les régimes d’accès aux bandes côtières respectives ne s’appliquent qu’à partir du moment où la sentence arbitrale découlant de la convention d’arbitrage [...] aura été pleinement mise en œuvre ». La Commission ajoute que le libellé de cette disposition peut se comprendre en ce sens « que les auteurs de la disposition n’ont pas eu l’intention d’appliquer les régimes d’accès avec effet immédiat ou avec effet automatique à partir d’une certaine date ».


59      Voir arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 32), dans lequel la Cour a dit pour droit que « [l]’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie la charge d’assurer le contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union non seulement à la Cour, mais également aux juridictions nationales ». Le même passage a été réitéré dans les arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 50 et jurisprudence citée), ainsi que du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C-619/18, (EU:C:2019:531, point 47).


60      Expression employée par l’avocat général Tanchev, dans ses conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18, EU:C:2019:529, point 71).


61      Voir, à cet égard, les conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:325, points 50 et 51), ainsi que Hillion, C., « Overseeing the Rule of Law in the EU : Legal Mandate and Means », in Closa et Kochenov, p. 66 à 74.


62      Voir, notamment, Mader, O., « Enforcement of EU Values as a Political Endeavour : Constitutional Pluralism and Value Homogeneity in Times of Persistent Challenges to the Rule of Law », Hague Journal on the Rule of Law, vol. 11, n° 1, avril 2019, point 3.4.2.


63      Voir, notamment, Ruffert (Calliess/Ruffert, EUV/AEUV Kommentar, 4e édition, 2011, article 7 TUE, point 29, p. 160 et 161), qui souligne que le recours en manquement a été conçu pour poursuivre des « violations concrètes et individuelles » des règles de l’Union alors que le mécanisme prévu par l’article 7 TUE porte sur les atteintes aux valeurs de l’Union qui, compte tenu de leur « nature générale », ne sauraient être poursuivies par voie d’un recours en manquement. Selon Heintschel von Heinegg (Vedder/Heintschel von Heinegg, Europäisches Unionsrecht, 2e édition, 2018, article 7 TUE, point 29, p. 112 et 113), les violations de l’article 2 TUE ne sauraient être invoquées que dans le cadre du mécanisme prévu par l’article 7 TUE, vu qu’elles se caractérisent par une « qualité particulière », susceptible de porter atteinte aux principes fondamentaux de l’Union. Il ajoute que seuls les États membres réunis au sein du Conseil de l’Union européenne seraient en mesure de mettre un terme à ce type de violations en se servant de leur influence politique. Selon cet auteur, la Cour, en revanche, n’est pas capable de s’en charger dans le cadre d’un recours en manquement, au motif qu’il lui est interdit de se prononcer sur des questions politiques. De surcroît, la Cour ne disposerait que du mécanisme de sanctions prévu à l’article 260 TFUE, que cet auteur considère comme inadéquat pour sanctionner de telles violations. Il en déduit que le recours en manquement n’est pas applicable pour les violations au titre de l’article 2 TUE.


64      Voir points 103 à 104 des présentes conclusions.


65      La République de Slovénie se réfère aux objectifs suivants : la promotion de la paix, et de sa consolidation, l’union sans cesse plus étroite entre les peuples, et la réalisation des objectifs des dispositions de l’Union relatives au territoire des États membres.


66      Page 3 de la requête, résumé du deuxième grief.


67      Ibidem.


68      L’application autonome de l’article 4, paragraphe 3, TUE était possible, notamment parce que le point litigieux relevait du domaine des relations extérieures de l’Union et que l’Union était partie à l’accord. Ainsi, la Cour a jugé que, s’agissant d’un accord ou d’une convention qui relève, pour partie, de la compétence de l’Union et, pour partie, de celle des États membres, il importe d’assurer une coopération étroite entre ces derniers et les institutions de l’Union tant dans le processus de négociation et de conclusion que dans l’exécution des engagements assumés. La Cour en a déduit que cette obligation de coopération découle de l’exigence d’une unité de représentation internationale de l’Union (arrêt du 20 avril 2010, Commission/Suède, C‑246/07, EU:C:2010:203, point 73). Voir, également, arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande (C‑459/03, EU:C:2006:345).


69      Il incombe aux États membres, notamment en vertu du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, d’assurer, sur leurs territoires respectifs, l’application et le respect du droit de l’Union et, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, TUE, les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, The Trustees of the BT Pension Scheme, C‑628/15, EU:C:2017:687, point 47). Selon la Cour, ce principe n’autorise pas un État membre à contourner les obligations qui lui sont imposées par le droit de l’Union (arrêt du 18 octobre 2016, Nikiforidis, C‑135/15, EU:C:2016:774, point 54).


70      Voir points 122 à 127 des présentes conclusions.


71      En ce qui concerne l’encadrement des compétences, voir Azoulai, L., « The “Retained Powers” Formula in the Case Law of the European Court of Justice : EU Law As Total Law ? », European Journal of Legal Studies, vol. 2, n° 4, 2011, p. 192 à 219, et Lindeboom, J., « Why EU Law Claims Supremacy », Oxford Journal of Legal Studies, vol.n° 38, été 2018, p. 328 à 356, https://doi.org/10.1093/ojls/gqy008, ainsi que Neframi, E., « Le principe de coopération loyale comme fondement identitaire de l’Union européenne », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, n° 556, 2012, p. 197 à 203.


72      Voir, à titre d’exemple, arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, point 21) ; du 11 août 1995, Wielockx (C‑80/94, EU:C:1995:271, point 16), ainsi que du 16 juillet 1998, ICI (C‑264/96, EU:C:1998:370, point 19) en matière de l’imposition directe.


73      Dans son arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973, points 88 à 91), la Cour s’est récemment référée aux avis consultatifs de la CIJ, en tant que « sources de droit », qu’il convient, me semble‑t‑il, de distinguer toutefois d’un « fait juridique ».


74      Selon l’article 6, alinéa 2, de la convention d’arbitrage, le tribunal arbitral devait mener la procédure conformément au règlement facultatif de la CPA pour l’arbitrage des différends entre deux États. Ce règlement est disponible sur https://pca-cpa.org/fr/documents/pca-conventions-and-rules/.


75      La CPA est établie à La Haye et a été créée par les conventions pour le règlement pacifique des conflits internationaux conclues à La Haye en 1899 et en 1907.


76      Voir point 148 de la sentence arbitrale litigieuse.


77      Voir note 17 des présentes conclusions.


78      Arrêt du 29 mars 2007 (C‑111/05, EU:C:2007:195, point 54).


79      Voir, en ce sens, avis 2/94 (Adhésion de la Communauté à la CEDH), du 28 mars 1996 (EU:C:1996:140, point 24) ; arrêts du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C‑370/07, EU:C:2009:590, point 46), ainsi que du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15) (C-687/15, EU:C:2017:803, point 48).


80      Point 84 de la sentence partielle.


81      Points 87 à 92 de l’exception d’irrecevabilité.


82      À titre d’exemple, la République populaire de Chine ne reconnaît pas la sentence arbitrale rendue par la CPA dans le cadre de l’arbitrage relatif à la mer de Chine méridionale (République des Philippines c. République populaire de Chine, nº 2013-19, sentence du 12 juillet 2016).


83      Voir, à titre d’exemple, sentence du 15 juin 1911, affaire du Chamizal, Répertoire de la jurisprudence arbitrale internationale, n° 1073 ; Frontière entre le Canada et les États-Unis d’Amérique, États-Unis d’Amérique/Royaume-Uni, sentence du 10 janvier 1831 par le roi Guillaume Ier des Pays-Bas, Répertoire de la jurisprudence arbitrale internationale, n° 1054 et 1080, et Traité de limites de 1858, Costa Rica/Nicaragua, sentence du 22 mars 1888 par le président américain G. Cleveland, Répertoire de la jurisprudence arbitrale internationale, n° 1003.


84      Voir Giraudeau, G., « Les différends territoriaux devant le juge international : entre droit et transaction », p. 122 à 125. Voir, notamment, les affaires de la sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906 (Honduras c. Nicaragua, arrêt du 18 novembre 1960, CIJ Recueil 1960, p. 214) et de la sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal, arrêt du 12 novembre 1991, CIJ Recueil 1992, p. 76). Dans la première affaire, le Nicaragua avait refusé d’exécuter la sentence arbitrale rendue en 1906, si bien que le gouvernement du Honduras a saisi la CIJ afin que cette non-exécution soit reconnue. Dans son arrêt du 18 novembre 1960, la CIJ a confirmé la validité de ladite sentence. Dans la seconde affaire, la Guinée-Bissau avait refusé d’appliquer la sentence arbitrale de 1989 concernant la délimitation maritime à effectuer entre la Guinée-Bissau et le Sénégal. Sur la base des déclarations faites par ces deux États, la Guinée-Bissau a donc saisi la CIJ, conformément à l’article 36, paragraphe 2, du statut de la CIJ. Dans son arrêt du 12 novembre 1991, la CIJ a validé ladite sentence.


85      Points 87 à 92 de l’exception d’irrecevabilité.


86      Caldeira Brant, L. N., « L’autorité de la chose jugée en droit international public », p. 209 à 211.


87      Voir points 148 à 225 de la sentence partielle.


88      À titre subsidiaire, en ce qui concerne le caractère « auto-exécutoire » des arrêts de la CIJ, voir, arrêt de la Cour suprême des États-Unis, du 25 mars 2008, Medellín c. Texas [552, US 491 (2008)]. La Cour suprême était appelée à décider si l’arrêt de la CIJ, du 31 mars 2004, Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique, CIJ Recueil 2004, p. 12 à 73), pouvait être invoqué par un particulier devant les juridictions américaines. La Cour suprême rappelait la distinction jurisprudentielle entre les obligations internationales « auto-exécutoires » (« self-executing »), qui sont immédiatement applicables au même titre que les lois fédérales, et les traités nécessitant des mesures internes de mise en œuvre. Dans cette affaire, la Cour suprême a jugé qu’aucune des dispositions des traités qui organisent les effets des arrêts de la CIJ dans le domaine concerné, à savoir, premièrement, le protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, concernant le règlement obligatoire des différends, deuxièmement, l’article 94 de la charte des Nations unies et, troisièmement, le statut de la CIJ, ne rend ces arrêts « auto-exécutoires » (US 507 à 512). Partant, afin de pouvoir être invoqués devant les juridictions des États-Unis, les arrêts de la CIJ doivent être mis en œuvre par la législation fédérale les rendant applicables (US 504), le législateur pouvant, à cette fin, voter des lois rendant ces arrêts applicables en droit interne (US 527).


89      Voir Verhoeven, J., « La notion d’“applicabilité directe” du droit international », RBDI, 243, n° 13-14, 1986. Selon une définition large, « est directement applicable la règle de droit international qui, sans requérir aucune mesure interne d’exécution, peut être appliquée dans l’État où cette règle est en vigueur ».


90      Arrêt du 29 mars 2007 (C‑111/05, EU:C:2007:195).


91      Voir, notamment, le résumé des griefs figurant à la page 3 de la requête et le dispositif de la requête.


92      Je tiens à noter que, dans le dispositif de la requête, la République de Slovénie reproche à la République de Croatie une série de comportements (voir page 41 de la requête) qu’elle qualifie tous de violations à l’article 5, paragraphe 2, et à l’annexe I du règlement n° 1380/2013.


93      Dans son arrêt du 19 mars 2005, Espagne/Conseil (C-91/03, EU:C:2005:174, point 44), la Cour a notamment interprété l’article 17, paragraphe 2, et l’annexe I du règlement n° 2371/2002, qui sont devenus respectivement l’article 5, paragraphe 2, et l’annexe I du règlement nº 1380/2013 et qui étaient rédigés dans des termes similaires. La Cour a précisé que l’annexe I dudit règlement, à laquelle cet article 17, paragraphe 2 renvoyait, fixait, pour chacun de ces États, les zones géographiques des bandes côtières des autres États membres où ces activités étaient exercées ainsi que les espèces sur lesquelles elles portaient.


94      Voir point 15 des présentes conclusions.


95      Je tiens à noter que l’article 7, paragraphe 3, de la convention d’arbitrage prévoit une obligation de prendre « toutes les mesures nécessaires » pour la mise en œuvre de la sentence arbitrale dans les six mois suivant le prononcé de celle-ci.


96      Résumé des moyens figurant aux pages 3 et 4 de la requête et points 100 à 109 de la requête.