Language of document : ECLI:EU:C:2023:977

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

7 décembre 2023 (*)

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Fonction publique – Agents temporaires – Procédures de sélection – Avis de vacance externe [confidentiel]1 Données confidentielles occultées.  – Décision de ne pas proroger la validité d’une liste de réserve – Recours en annulation et en indemnité »

Dans l’affaire C‑317/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 mai 2023,

TO, représentée par Me É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA),

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu‑Matei, présidente de chambre, M. J.‑C. Bonichot et Mme L.S. Rossi (rapporteure), juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, TO demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 mars 2023, TO/AUEA (T‑727/21, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:136), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision EASO/HR/2020/2331 de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), du 18 décembre 2020, de ne pas proroger, d’une année supplémentaire, la validité de la liste de réserve constituée à la suite de la procédure de sélection [confidentiel] sur laquelle son nom figurait (ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, à la réparation des préjudices prétendument subis.

  Sur le pourvoi

2        En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

3        Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

4        M. l’avocat général a, le 11 octobre 2023, pris la position suivante :

« 1.      Par son pourvoi, la requérante reproche au Tribunal d’avoir, au point 62 de l’arrêt attaqué, considéré comme irrecevables ses conclusions en annulation de la décision litigieuse, en raison de la tardiveté de la réclamation qu’elle avait, au préalable, introduite contre cette décision.

2.      Au soutien de ce pourvoi, la requérante soulève trois moyens, contenant divers griefs se recoupant largement et ayant trait, en substance, à deux problématiques. À titre principal, la requérante reproche au Tribunal d’avoir jugé, aux points 42 et 43 de l’arrêt attaqué, qu’elle avait introduit sa réclamation contre la décision litigieuse après l’expiration du délai de trois mois prévu à l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le “statut”). À titre subsidiaire, la requérante lui reproche d’avoir considéré, au point 61 de cet arrêt, qu’elle n’était pas fondée à se prévaloir d’une erreur excusable de nature à rendre recevable cette réclamation en dépit de son caractère tardif. Par commodité, les griefs de la requérante peuvent être regroupés, aux fins de leur examen, autour de ces deux problématiques.

 Sur l’expiration du délai de trois mois pour l’introduction de la réclamation

3.      Il convient de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit devant le Tribunal, au titre de l’article 270 TFUE et de l’article 91 du statut, est subordonnée au déroulement régulier de la procédure précontentieuse et au respect des délais qu’elle prévoit. En particulier, conformément à l’article 91, paragraphe 2, de ce statut, un recours contre un acte faisant grief n’est recevable que si l’autorité investie du pouvoir de nomination a été préalablement saisie d’une réclamation dans le délai prévu. À cet égard, l’article 90, paragraphe 2, dudit statut prévoit qu’une telle réclamation doit être introduite dans un délai de trois mois courant à partir soit du jour de la publication de l’acte attaqué, s’il s’agit d’une mesure de caractère général, soit du jour de la notification de la décision au destinataire et en tout cas au plus tard du jour où l’intéressé en a connaissance, s’il s’agit d’une mesure de caractère individuel.

4.      En l’occurrence, le Tribunal a jugé, aux points 33 et 34 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse constituait une mesure de caractère général. Une réclamation préalable contre cette décision devait donc, conformément à cet article 90, paragraphe 2, être introduite dans un délai de trois mois à compter de la date de sa publication. Sur ce point, le Tribunal a considéré, au point 42 de cet arrêt, que la publication de ladite décision était intervenue le 21 décembre 2020, par sa mise en ligne sur le site Internet de l’AUEA ce même jour, le délai de trois mois pour introduire une réclamation ayant donc expiré le 21 mars 2021. Or, la requérante avait introduit la sienne le 31 du même mois, soit dix jours trop tard.

5.      La requérante ne conteste pas l’appréciation du Tribunal selon laquelle la décision litigieuse est une mesure de caractère général. En revanche, elle soutient, en substance, que, contrairement à ce que celui-ci a jugé au point 42 de l’arrêt attaqué, cette décision n’aurait jamais été valablement publiée, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut. À défaut d’une publication valable, le délai pour l’introduction de la réclamation contre cette décision aurait commencé à courir le jour où la requérante en aurait pris connaissance, à savoir, selon ses dires, le 4 janvier 2021, de sorte qu’elle aurait introduit sa réclamation dans les délais.

6.      Au soutien de cette argumentation, la requérante fait valoir, en premier lieu, que, en concluant, au point 41 de l’arrêt attaqué, que la mise en ligne, par l’AUEA, sur son site Internet, de la décision litigieuse constituait “un mode valable de publication”, le Tribunal aurait commis une erreur de droit.

7.      J’observe que, pour arriver à cette conclusion, le Tribunal a relevé, d’une part, aux points 37 à 39 de l’arrêt attaqué, que la publication, sur le site Internet de l’AUEA, des décisions relatives à des procédures de recrutement impliquant des candidats externes constitue une pratique annoncée, établie et prévisible de cette agence. D’autre part, il a jugé, aux points 40 et 41 de cet arrêt que, puisque la décision litigieuse concernait non seulement des personnes qui travaillaient au sein de cette agence, mais également des personnes extérieures à celle-ci, sa mise en ligne sur ce site Internet garantissait l’égalité de traitement entre tous les intéressés, en assurant que la décision adoptée soit accessible à tous en même temps, le délai pour introduire un recours contre cette décision pouvant ainsi être calculé de la même manière pour tous.

8.      Or, selon la requérante, conformément au principe de sécurité juridique et au devoir de sollicitude qui pèse sur l’administration, les institutions et agences de l’Union auraient l’obligation d’informer dûment leurs fonctionnaires et agents des décisions qui les concernent. À ce titre, elles seraient tenues de publier de telles décisions sur leur réseau Intranet, car les fonctionnaires et agents bénéficient, sur leur poste de travail, d’un accès direct et facile à ce réseau et d’alertes lorsque des informations y sont mises en ligne. En revanche, la mise en ligne d’une décision sur le site Internet d’une telle institution ou agence ne serait pas suffisante à cet égard. Le fait que la décision en question concerne également des personnes externes serait, dans ce cadre, dénué de pertinence, puisque les obligations de l’administration à l’égard de ces personnes seraient moins étendues que celles qu’elle a envers ses propres employés. Non seulement le Tribunal aurait méconnu, dans l’arrêt attaqué, ces arguments, mais il n’y aurait pas même répondu.

9.      J’estime, pour ma part, que cette argumentation de la requérante est manifestement non fondée.

10.      S’agissant, tout d’abord, du grief selon lequel le Tribunal n’aurait pas répondu aux arguments de la requérante relatifs aux obligations d’information qui s’imposent à l’administration, je rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motivation pesant sur le Tribunal ne lui impose pas de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt du 1er décembre 2022, EUIPO/Vincenti, C‑653/20 P, EU:C:2022:945, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée). Or, à mes yeux, les motifs exposés par le Tribunal, aux points 37 à 41 de l’arrêt attaqué, pour justifier du caractère valable du mode de publication litigieux sont suffisants à ces deux égards.

11.      En ce qui concerne, ensuite, la licéité de ce mode de publication, je rappelle que l’article 90, paragraphe 2, du statut pose, comme point de départ du délai pour introduire une réclamation contre une mesure générale, la “publication” de cette mesure, sans donner aucune indication ni imposer d’exigence particulière à cet égard.

12.      Pour autant que, comme en l’occurrence, aucune autre disposition du droit de l’Union, tel que l’article 297 TFUE, n’impose de modalités de “publication” particulières, comme la publication au Journal officiel de l’Union européenne, les institutions et agences de l’Union disposent ainsi d’une marge de manœuvre en la matière.

13.      Cette marge est, néanmoins, encadrée par le principe de sécurité juridique et le droit à un recours effectif garanti, notamment, par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Conformément aux exigences qui en découlent, un délai de recours contre une décision ne saurait commencer à courir avant que les intéressés n’aient été en mesure d’en prendre connaissance [voir, par analogie, arrêt du 28 janvier 2010, Uniplex (UK), C‑406/08, EU:C:2010:45, point 32 ainsi que jurisprudence citée].

14.      Il s’ensuit que la mise en ligne, par une institution ou une agence de l’Union, sur son site Internet, d’une décision de portée générale doit être considérée comme une “publication” de cette décision, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, faisant valablement courir le délai pour introduire une réclamation contre celle-ci, lorsque cette mise en ligne a mis les intéressés en mesure de prendre connaissance de ladite décision (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, Flausch e.a., C‑280/18, EU:C:2019:928, points 52, 53 et 55).

15.      Cela implique, d’une part, que les informations relatives à la même décision soient aisément accessibles aux intéressés. S’agissant de l’accessibilité d’un site Internet, de manière générale, contrairement à ce que fait valoir la requérante, on ne saurait opérer une stricte distinction entre l’intranet et l’internet. En l’état actuel de la technique, les fonctionnaires et agents ont, en principe, un accès direct et facile à ces deux types de réseaux. Du reste, il est, dans certaines situations, plus aisé pour ceux-ci d’accéder au site Internet d’une institution ou agence qu’à son réseau Intranet. En particulier, tandis que l’intranet n’est, souvent, accessible que depuis l’intérieur de l’institution ou de l’agence, ou à partir de certains terminaux, un site Internet est, en principe, également accessible de l’extérieur et depuis n’importe quel terminal. Concernant, de manière spécifique, l’accessibilité de l’information sur un site Internet donné, je me bornerai à observer que la page pertinente doit être raisonnablement aisée à trouver en naviguant sur le site. Or, en l’occurrence, la requérante n’a jamais prétendu que tel n’était pas le cas en l’espèce.

16.      En outre, contrairement à ce que fait valoir la requérante, c’est à bon droit que le Tribunal a relevé, aux points 40 et 41 de l’arrêt attaqué, que, puisque la décision litigieuse concernait non seulement des personnes qui travaillaient au sein de l’AUEA, mais également des personnes extérieures à celle-ci, sa mise en ligne sur le site Internet de l’agence garantissait l’égalité de traitement entre tous les intéressés, en assurant que la décision adoptée soit accessible à tous en même temps.

17.      Pour être considérée comme ayant mis les intéressés en mesure de prendre connaissance de la décision en question et, partant, comme une “publication” de cette décision, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, une telle mise en ligne sur un site Internet d’une institution ou agence de l’Union doit, d’autre part, comme l’a jugé, en substance, le Tribunal au point 39 de l’arrêt attaqué, être prévisible pour les intéressés. Il convient, à cet égard, de vérifier si ces derniers savaient, ou auraient dû savoir, pour autant qu’ils soient diligents, qu’une telle décision serait publiée de cette manière, de sorte qu’il pouvait être raisonnablement attendu d’eux qu’ils consultent la page Internet en question.

18.      À cet égard, et contrairement à ce que fait valoir la requérante, le point de savoir si ce mode de publication est une pratique établie de l’institution ou de l’agence en question est une considération déterminante. C’est donc à bon droit que le Tribunal a vérifié, aux points 37 à 39 de l’arrêt attaqué, l’existence d’une telle pratique de l’AUEA.

19.      La requérante rétorque, cependant, que, en retenant à ces points l’existence d’une telle pratique, le Tribunal aurait commis une “erreur manifeste d’appréciation” qui aurait vicié son raisonnement quant au caractère prévisible du mode de publication choisi.

20.      À cet égard, j’observe que le Tribunal a constaté, aux points 37 et 38 de l’arrêt attaqué, que la mise en ligne sur Internet des listes de réserve établies par les institutions et agences de l’Union et, a fortiori, des décisions de prorogation de la validité de ces listes “constitue désormais une pratique établie” et que, à l’instar de l’Office européen de sélection du personnel (EPSO), l’AUEA publie exclusivement ces listes et décisions sur son site Internet. Au point 39, le Tribunal a constaté, notamment, qu’il n’apparaissait pas que cette agence ait adopté des règles, ou qu’il existerait une pratique interne, quant à une forme ou une formalité pré-requise pour la publication de ce type d’actes, autre que leur mise en ligne sur Internet. Au contraire, “il ressort[ait] de la décision adoptée par l’AUEA, le 15 décembre 2020, en matière de procédure de recrutement du personnel, que la publication sur Internet des décisions relatives à des procédures de recrutement impliquant des candidats externes constitue une pratique annoncée, établie et prévisible de sa part”.

21.      Or, selon la requérante, d’une part, les habitudes des autres institutions et agences de l’Union ne sont pas de nature à démontrer l’existence d’une pratique établie de l’AUEA. D’autre part, le Tribunal ne pouvait pas non plus déduire une telle pratique de la seule décision du 15 décembre 2020, en matière de procédure de recrutement du personnel, laquelle a été publiée, au demeurant, quelques jours avant les faits et évoque, en tout état de cause, la publication, sur le site Internet de cette agence, non pas des listes de réserve mais des avis de vacance. En conférant à cette décision une portée quant à la pratique de ladite agence en matière de publication des décisions de prorogation des listes de réserve, le Tribunal en aurait dénaturé le contenu.

22.      À mon sens, le point de savoir si la mise en ligne, sur le site Internet de l’AUEA, des décisions de caractère général relatives aux listes de réserve est une pratique établie de cette agence constitue, par nature, une question de fait. Or, conformément à l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. La constatation ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée par le Tribunal ne saurait donc être soumise, en tant que telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, sous réserve, néanmoins, du cas de leur dénaturation (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma de Galicia et Retegal/Commission, C‑70/16 P, EU:C:2017:1002, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

23.      Partant, dans la mesure où la requérante cherche à remettre en cause, devant la Cour, les constations et appréciations de faits effectuées par le Tribunal pour déterminer la pratique de l’AUEA en matière de publication, ainsi que l’appréciation des éléments de preuve correspondants, ses arguments sont irrecevables, à l’exception du grief tiré de la dénaturation de la décision du 15 décembre 2020 en matière de procédure de recrutement du personnel.

24.      Cela étant, ce dernier grief est, à mon sens, manifestement non fondé. Il est vrai que, comme le fait valoir la requérante, cette décision évoque, dans sa section intitulée “aperçu de la procédure”, uniquement la publication, sur le site Internet de l’AUEA, des avis de vacance, et ne comporte aucune précision s’agissant de la publication des listes de réserve ou des décisions s’y rapportant. Toutefois, puisque cette décision décrit, ainsi qu’il ressort de son intitulé, la “procédure opérationnelle standard” de l’agence en matière de recrutement, le Tribunal pouvait, sans manifestement outrepasser les limites d’une appréciation raisonnable de ladite décision (voir, en ce sens, arrêts du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission, C‑260/09 P, EU:C:2011:62, point 57, et du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission, C‑123/16 P, EU:C:2018:590, point 75), déduire de l’indication relative à la publication des avis de vacances, en l’absence de précisions contraires dans le texte, une pratique plus large s’agissant de la publication des décisions de caractère général relatives aux procédures de recrutement impliquant des candidats externes, y compris celles relatives aux listes de réserve et à la prorogation de leur validité.

25.      Au soutien de son argumentation relative au fait que la décision litigieuse n’aurait pas été valablement publiée, la requérante fait valoir, en second lieu, que le document mis en ligne sur le site Internet de l’AUEA ne présente pas les caractéristiques d’une décision “en bonne et due forme”. En effet, il ressortirait des pièces fournies par la requérante en première instance qu’aurait été téléversée, sur ce site, une version de cette décision dépourvue de signature électronique et qui, en outre, ne comportait aucune date, autre que celle de son entrée en vigueur au 1er janvier 2021. En jugeant, en dépit de cela, au point 42 de l’arrêt attaqué, que “la publication de la décision litigieuse est intervenue le 21 décembre 2020 par sa mise en ligne sur le site Internet de l’AUEA ce même jour”, le Tribunal aurait commis une erreur d’appréciation et dénaturé, voire ignoré, les faits et preuves contraires.

26.      À cet égard, il convient de rappeler que la constatation ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas une question soumise, en tant que telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, sous réserve, néanmoins, du cas de leur dénaturation. Dans la mesure où, par son argumentation, la requérante cherche à obtenir une nouvelle appréciation des faits et des preuves, elle est irrecevable. Seul le grief tiré d’une dénaturation de ces éléments doit être examiné au fond.

27.      Néanmoins, là encore, ce grief est, selon moi, manifestement non fondé. En effet, le Tribunal n’a pas ignoré les allégations et les pièces justificatives apportées par la requérante concernant la version de la décision litigieuse mise en ligne. Il ressort, au contraire, des points 54 et 59 de l’arrêt attaqué qu’il a considéré comme établi le fait que cette version ne comportait ni signature électronique ni date, autre que celle de son entrée en vigueur. Le Tribunal n’a pas affirmé l’inverse au point 42 de cet arrêt. En réalité, dans ce point, le Tribunal a implicitement estimé que ce fait n’empêchait pas de considérer que le document qui avait été mis en ligne sur le site Internet de l’AUEA était non pas, comme le soutient la requérante, un acte préparatoire mais bien la décision litigieuse. Or, en jugeant de la sorte, le Tribunal n’a pas, selon moi, outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable des éléments de preuve. À cet égard, je me bornerai à souligner qu’il ressort d’une simple lecture du document mis en ligne, tel que fourni par la requérante en première instance, qu’il contenait non pas des éléments devant servir à la prise d’une décision en cours d’élaboration, mais une décision d’ores et déjà “adoptée” (adopted) et “prise” (done) par la directrice exécutive de l’AUEA et entrant en vigueur à une date déterminée.

28.      S’agissant, pour finir, de l’allégation de la requérante selon laquelle le Tribunal aurait ignoré un élément de preuve qu’elle avait soumis en première instance, à savoir une capture d’écran indiquant qu’elle n’avait pas les autorisations requises pour accéder à l’un des documents déposés par la défenderesse pour démontrer la mise en ligne de la décision litigieuse sur son site Internet, il suffit d’observer que la requérante se prévaut, à cet égard, d’une omission fautive du Tribunal et d’une dénaturation des preuves sans expliquer, de manière précise et claire, les conséquences que cette omission et cette dénaturation, à les supposer avérées, auraient eu sur le raisonnement du Tribunal. La requérante n’explique pas non plus en quoi son droit à un recours effectif en aurait été affecté. Partant, cet argument est inopérant.

 Sur l’erreur excusable

29.      Le Tribunal a examiné, aux points 49 à 61 de l’arrêt attaqué, l’argument de la requérante selon lequel le caractère tardif de sa réclamation contre la décision litigieuse devrait être considéré comme une erreur excusable.

30.      Le Tribunal a d’abord rappelé, à bon droit, au point 50 de l’arrêt attaqué, que la notion d’“erreur excusable” vise des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie (arrêt du 3 mars 2022, WV/SEAE, C‑172/20 P, EU:C:2022:155, point 65 et jurisprudence citée).

31.      En l’occurrence, le Tribunal a considéré, d’une part, que l’AUEA n’avait pas adopté un tel comportement. Tout d’abord, aux points 53 et 54 de l’arrêt attaqué, en réponse à l’argument de la requérante selon lequel elle n’avait pas consulté le site Internet de l’AUEA avant son retour de vacances, le 4 janvier 2021, car elle s’attendait à ce que la validité de la liste de réserve en question soit prorogée, le Tribunal a relevé que, si le courriel du 3 décembre 2020 de son supérieur hiérarchique avait pu susciter chez celle-ci un espoir s’agissant de cette prorogation, son supérieur ne pouvait être assimilé à une source autorisée et fiable sur cette question, puisqu’il ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel en la matière – ce qu’elle ne pouvait ignorer. Du reste, l’information donnée par ce supérieur n’avait jamais été confirmée par la personne compétente, à savoir la directrice exécutive de l’AUEA. Ensuite, aux points 55 et 56 de cet arrêt, en réponse à l’argument de la requérante selon lequel les personnes avec lesquelles elle avait été en contact au mois de décembre 2020, en particulier la directrice des ressources humaines de l’agence, n’ont jamais attiré son attention sur la publication à venir, sur Internet, de la décision litigieuse, alors qu’elle les avaient interrogées à plusieurs reprises sur la liste de réserve concernée, le Tribunal a jugé que, s’agissant d’une mesure à caractère général, l’administration était uniquement tenue de publier cette décision et non pas d’accomplir des démarches supplémentaires pour s’assurer que la requérante en prenne connaissance. En outre, la publication sur le site Internet correspondant à une pratique établie de l’AUEA, la requérante pouvait présumer que la décision litigieuse serait publiée de cette manière. Enfin, au point 57 dudit arrêt, en réponse à l’argument de la requérante selon lequel les personnes avec lesquelles elle avait été en contact au début de l’année 2021, dont son supérieur hiérarchique et la directrice exécutive, ne l’avaient pas renseignée sur la date de publication de la décision litigieuse, le Tribunal a relevé que la requérante n’avait jamais interrogé l’AUEA à ce sujet et que, au contraire, elle avait laissé entendre, dans plusieurs courriels adressés aux personnes en question, qu’elle était au fait du délai imparti pour introduire une réclamation.

32.      D’autre part, le Tribunal a jugé, en substance, que la requérante n’avait pas fait preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie. À cet égard, il a estimé, au point 58 de l’arrêt attaqué, qu’“aucun élément du dossier ne permet de comprendre pour quelle raison la requérante n’a pu prendre connaissance de la décision litigieuse le 21 décembre 2020 ou pendant ses congés” alors qu’elle était au travail le 21 décembre et avait consulté ses courriels pendant ses vacances. En outre, il a jugé, aux points 59 et 60 de cet arrêt que, lorsque la requérante a pris connaissance de l’adoption de la décision litigieuse, le 4 janvier 2021, et constaté que la version en ligne ne comportait pas de date, autre que celle de son entrée en vigueur, le délai pour qu’elle introduise une réclamation n’avait pas encore expiré et qu’elle aurait pu interroger l’administration sur la date de publication de cette décision afin de calculer, en cas de doute, ce délai.

33.      Dans son pourvoi, la requérante fait valoir que, en jugeant que l’administration n’était pas tenue d’attirer son attention sur la mise en ligne sur Internet de la décision litigieuse (points 55 à 57 de l’arrêt attaqué) et qu’il lui revenait, en revanche, de s’informer de cette mise en ligne (points 58 à 60 de cet arrêt), le Tribunal a dénaturé les faits ainsi que les éléments de preuve et inversé les obligations qui pesaient sur les parties, en méconnaissance du devoir de sollicitude qui s’impose à l’administration. En effet, dans les circonstances particulières de l’espèce – compte tenu notamment du caractère non prévisible du mode de publication choisi, des assurances données par le supérieur hiérarchique de la requérante et des questions posées par celle-ci à la directrice des ressources humaines – le devoir de sollicitude aurait imposé à l’AUEA, d’une part, d’attirer l’attention de la requérante, en décembre 2020, sur la publication à venir de cette décision et, d’autre part, de la renseigner sur la date de cette publication. À l’inverse, il ne pouvait être raisonnablement attendu de la requérante qu’elle recherche sur le site Internet de l’AUEA, jour après jour, au cas où elle serait prise, une décision susceptible de l’affecter. Non seulement le Tribunal aurait méconnu, dans l’arrêt attaqué, ces arguments, mais il n’y aurait pas même répondu.

34.      S’agissant, tout d’abord, de l’allégation de la requérante selon laquelle le Tribunal n’aurait pas répondu à son argumentation relative au devoir de sollicitude et au fait qu’il ne pouvait être raisonnablement attendu d’elle qu’elle vérifie quotidiennement le site Internet de l’AUEA, je rappelle que l’obligation de motivation pesant sur le Tribunal ne lui impose pas de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige. Cette motivation peut être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle. Or, les motifs exposés par le Tribunal pour justifier le rejet de l’erreur excusable sont suffisants à ces deux égards.

35.      Concernant, ensuite, les prétendues erreurs viciant ces motifs, l’argumentation de la requérante est, selon moi, manifestement non fondée.

36.      En premier lieu, même à supposer que, comme le fait valoir la requérante, l’administration ait manqué de sollicitude à son égard dans les circonstances de l’espèce et que ce manquement ait pu provoquer une confusion dans son esprit quant à la prorogation de la validité de la liste de réserve pertinente, je rappelle que l’erreur excusable n’est, en tout état de cause, admissible que pour autant que le justiciable ait “[fait] preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie”.

37.      Or, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 58 de l’arrêt attaqué, en substance, que la requérante n’avait pas fait preuve de toute la diligence qu’aurait déployée une personne normalement avertie placée dans sa situation. La requérante savait que la liste de réserve arrivait à expiration le 31 décembre 2020 et disposait d’indications de son supérieur quant à la prorogation de la validité de cette liste. Elle pouvait donc raisonnablement s’attendre à ce qu’une décision en ce sens soit prise et publiée avant la fin du mois de décembre 2020. Même face aux assurances positives données par son supérieur hiérarchique, et dans le silence de sa directrice des ressources humaines, une personne normalement avertie aurait, par prudence, surveillé la publication de cette décision afin de s’assurer que la validité de la liste de réserve sur laquelle son nom se trouvait était effectivement prorogée. Quant à l’argument de la requérante selon lequel, si elle s’attendait à une décision, elle ne pouvait s’attendre à ce que celle-ci soit publiée sur Internet, il doit être rejeté, pour les motifs figurant aux points 22 à 24 de la présente position. La requérante aurait donc, pour faire preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie placée dans sa situation, dû se connecter régulièrement au site Internet de l’AUEA en fin d’année 2020, pour vérifier si la décision litigieuse avait été mise en ligne (voir, a contrario, arrêt du 7 novembre 2019, Flausch e.a., C‑280/18, EU:C:2019:928, points 58 et 59).

38.      Dans ce cadre, doit également être rejetée l’allégation de la requérante selon laquelle, le Tribunal aurait, au point 58 de l’arrêt attaqué, dénaturé les faits et les éléments de preuve, aux motifs que, d’une part, celle-ci avait exposé, dans sa requête, les raisons pour lesquelles elle ne s’était pas préoccupée, le 21 décembre 2020, de l’éventuelle publication de la décision litigieuse – elle finalisait, ce jour-là, son travail avant de partir en vacances – et que, d’autre part, la consultation de courriels professionnels pendant ses congés n’était pas de nature à démontrer qu’elle aurait pu, à cette occasion, prendre connaissance d’une décision publiée sur un site Internet.

39.      En effet, en affirmant, à ce point 58, qu’“aucun élément du dossier ne permet de comprendre pour quelle raison la requérante n’a pu prendre connaissance de la décision litigieuse le 21 décembre 2020 ou pendant ses congés”, le Tribunal n’a pas outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable des faits et des éléments de preuve. D’une part, le fait que la requérante se soit concentrée, le 21 décembre 2020, sur la finalisation de son travail ne l’empêchait pas de se connecter, lors d’une brève pause, sur le site Internet de l’AUEA. D’autre part, le fait que la requérante a consulté ses courriels professionnels à distance pendant ses vacances démontrait qu’elle disposait d’une connexion Internet et, donc, qu’il lui était possible de se connecter à ce site.

40.      En second lieu, c’est également à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 59 et 60 de l’arrêt attaqué, qu’il ne revenait pas à l’administration d’indiquer spontanément à la requérante, lors de ses échanges avec cette dernière, la date de mise en ligne de la décision litigieuse alors que celle-ci ne la lui avait pas demandée. En revanche, à supposer qu’il ait existé un doute à cet égard, une personne normalement avertie, placée dans de la situation de la requérante, se serait renseignée sur cette date auprès de l’administration.

 Conclusion

41.       Pour les motifs qui précèdent, je propose à la Cour, conformément à l’article 181 de son règlement de procédure, de rejeter le pourvoi dans la présente affaire comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé. »

5        Pour les mêmes motifs que ceux retenus par M. l’avocat général, il y a lieu de rejeter le pourvoi, dans son intégralité, comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.

 Sur les dépens

6        En application de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi n’ait été signifié à l’AUEA et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que TO supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.

2)      TO supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.