Language of document : ECLI:EU:T:2006:299

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

10 octobre 2006 (*)

« Marchés publics de services – Appel d’offres relatif à une assistance technique en vue de l’amélioration du système de technologie de l’information et de la communication de l’Institut national des statistiques de la République de Turquie – Rejet de la candidature – Délai – Acte confirmatif – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑106/05,

Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, établie à Athènes (Grèce), représentée par Me N. Korogiannakis, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes C. Tufvesson et K. Kańska, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision de la Commission de ne pas retenir sur la liste restreinte la candidature de la requérante, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres concernant la fourniture d’une assistance technique en vue de l’amélioration du système de technologies de l’information et de la communication (TIC) de l’Institut national des statistiques de la République de Turquie et, d’autre part, une demande d’annulation des décisions rejetant la demande de la requérante de revenir sur la décision de ne pas retenir sa candidature,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, J. Azizi et Mme E. Cremona, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        La passation de marchés de la Commission dans le cadre de ses actions extérieures est assujettie aux dispositions de la deuxième partie, titre IV, chapitre 3, du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci‑après le « règlement financier »), ainsi qu’aux dispositions de la deuxième partie, titre III, chapitre 3, du règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement financier (JO L 357, p. 1, ci‑après les « modalités d’exécution »).

2        Selon l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier :

« Le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat ou soumissionnaire écarté les motifs du rejet de sa candidature ou de son offre et, à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable et qui en fait la demande par écrit, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire.

Toutefois la communication de certains éléments peut être omise dans les cas où elle ferait obstacle à l’application des lois, serait contraire à l’intérêt public, porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’entreprises publiques ou privées ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre celles-ci. »

3        L’article 149 des modalités d’exécution, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, prévoit ce qui suit :

« 1. Les pouvoirs adjudicateurs informent dans les meilleurs délais les candidats et les soumissionnaires des décisions prises concernant l’attribution du marché, y inclus les motifs pour lesquels ils ont décidé de renoncer à passer un marché pour lequel il y a eu mise en concurrence ou de recommencer la procédure.

2. Le pouvoir adjudicateur communique, dans un délai maximal de quinze jours calendrier à compter de la réception d’une demande écrite, les informations mentionnées à l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier. »

 Faits à l’origine du litige

4        Par un avis de marché du 24 septembre 2004, publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2004, S 187), la Commission, agissant par l’intermédiaire de sa délégation en Turquie, a lancé un appel d’offres restreint international, sous la référence EuropeAid/117579/C/SV/TR, portant sur le marché intitulé « Fourniture d’une assistance technique en vue de l’amélioration du système de technologies de l’information et de la communication (TIC) de l’Institut national des statistiques (INS) de [la République de] Turquie – Mise à niveau du système statistique de la [République de] Turquie (USST) ».

5        Le 27 octobre 2004, Evropaïki Dynamiki, en consortium avec la société allemande CCGIS Christl & Stamm GbR et le département des statistiques de l’université technique du Moyen-Orient en Turquie, a demandé à être inscrite sur la liste restreinte dudit appel d’offres.

6        Par télécopie du 2 décembre 2004, la délégation de la Commission en Turquie (ci‑après la « délégation ») a informé la requérante que sa candidature n’avait pas été retenue sur la liste restreinte des candidats invités à présenter une offre détaillée au motif que celle-ci ne satisfaisait pas au critère de capacité technique.

7        Par courrier du 8 décembre 2004, en se plaignant de ne pas figurer sur la liste restreinte, la requérante a indiqué à la délégation qu’il résultait de la documentation fournie qu’elle disposait, avec ses partenaires, de l’expérience requise par l’avis de marché en cause. Elle a ainsi demandé à la délégation de reconsidérer sa position et d’inscrire le consortium sur la liste des sociétés présélectionnées pour lui permettre de participer à la phase finale.

8        Par lettre datée du 13 décembre 2004, envoyée par télécopie à la requérante le 22 décembre 2004 (ci-après la « lettre du 13 décembre 2004 »), le responsable de la section « Gestion financière et marchés publics » de la délégation a répondu dans les termes suivants :

« En réponse à votre télécopie datée du 8 décembre 2004 […], je voudrais vous informer que j’ai bien pris note de votre plainte concernant la liste restreinte dans la procédure d’appel d’offres susmentionnée.

Bien que les procédures de sélection suivies par le comité d’évaluation soient confidentielles, je voudrais vous indiquer que tous les membres du comité ont pris connaissance de façon détaillée et très attentive de vos références. Il a été procédé à la sélection en prenant en considération les seuls critères de sélection mentionnés au point 7 de l’avis de marché public. Tous les formulaires de candidature reçus ont ensuite été comparés afin de pouvoir établir un classement final et huit candidats ont été sélectionnés.

Malgré vos impressionnantes références, le comité a unanimement été d’avis qu’il ne ressortait pas clairement de votre candidature que le critère relatif au nombre minimal de domaines (six sur dix demandés) requis par l’avis de marché public était satisfait, alors qu’il l’était clairement dans le cas des références des candidats sélectionnés. »

9        Par lettre du 23 décembre 2004, envoyée par télécopie et par courrier recommandé à la délégation ainsi qu’à la direction générale (DG) « Élargissement » de la Commission, la requérante a insisté sur le fait que les projets menés par le consortium auquel elle appartenait et présentés dans le cadre de sa candidature à l’appel d’offres satisfaisaient à l’ensemble des critères requis par celui‑ci, et a invité la Commission à respecter les dispositions du règlement (CE) n° 1488/96 du Conseil, du 23 juillet 1996, relatif à des mesures d’accompagnement financières et techniques (Meda) à la réforme des structures économiques et sociales dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen (JO L 189, p. 1), ainsi qu’à appliquer les dispositions du règlement financier quant à ses droits de recours.

10      Par télécopie du 24 décembre 2004, le responsable de la section « Gestion financière et marchés publics » a informé la requérante qu’elle recevrait une réponse à sa lettre du 23 décembre 2004 dans un délai de trois semaines. Il y précise, en particulier, ce qui suit :

« J’ai bien pris en considération vos explications à propos de cette question et je puis vous assurer que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l’éclaircir. Ce problème devant être examiné en détail, notre réponse vous parviendra dans les trois semaines à venir. »

11      Le 10 janvier 2005, la requérante a adressé un courrier, anticipé par télécopie, à la délégation et à la DG « Élargissement », dans lequel elle répétait, en substance, que le consortium auquel elle appartenait était dans une meilleure position et avait plus de références conformes à l’objet de l’appel d’offres que d’autres consortiums présélectionnés. Elle rappelait, en outre, que, parmi les domaines thématiques auxquels il était fait référence dans les « cahiers de charges », figurait la nécessité de relier les autorités turques aux applications « Stadium » et « Statel » d’Eurostat (Office statistique des Communautés européennes), toutes deux développées auparavant par la requérante.

12      Les 14 et 20 janvier 2005, la requérante a adressé à la délégation, avec copie à la DG « Élargissement », deux courriers dans lesquels elle exprimait son souhait d’obtenir une réponse dans les délais indiqués. En particulier, dans la télécopie du 20 janvier 2005, la requérante, en se plaignant de ne pas encore avoir reçu de réponse à sa lettre du 23 décembre 2004, informait la délégation de son intention, nonobstant le rejet de sa candidature, de soumissionner avant la date d’échéance prévue par le pouvoir adjudicateur, à savoir le 7 février 2005.

13      Par courrier du 24 janvier 2005, le chef de la délégation a informé la requérante que, les procédures de présélection ayant été dûment appliquées, il n’existait aucun motif valable de revoir la décision concernant la liste restreinte. En particulier, après avoir brièvement exposé les modalités de travail du comité « Liste restreinte », il y précisait que tous les membres dudit comité avaient estimé que, en dépit des explications très techniques fournies par la requérante concernant son expérience, le nombre des références aux domaines requis par l’avis de marché n’était pas suffisant.

14      Le 7 février 2005, en réitérant ses critiques envers la décision de rejet de sa candidature, la requérante a, enfin, informé la Commission de son intention de participer à l’un des consortiums présélectionnés, et annoncé qu’elle agirait en justice.

 Procédure et conclusions des parties

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 février 2005, la requérante a introduit le présent recours.

16      Elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de la Commission, contenue dans la lettre du 2 décembre 2004, de ne pas retenir sa candidature sur la liste restreinte et de faire figurer d’autres candidats sur ladite liste ;

–        annuler la décision de la Commission, contenue dans la lettre du 13 décembre 2004, rejetant sa demande de reconsidérer la décision du 2 décembre 2004, ainsi que celle contenue dans la lettre du 24 janvier 2005 ;

–        condamner la Commission aux dépens, même en cas de rejet du recours.

17      Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le 26 mai 2005, la Commission a soulevé, conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, une exception d’irrecevabilité.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

19      La requérante a présenté ses observations sur cette exception le 11 juillet 2005.

20      La requérante y conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        procéder à l’examen de l’affaire.

 En droit

21      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal estime, en l’espèce, être suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sur la demande présentée par la défenderesse et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

22      La Commission estime que le recours est irrecevable. À cet effet, premièrement, elle se prévaut de la tardiveté de la demande en annulation introduite par la requérante à l’encontre de la décision contenue dans la lettre du 2 décembre 2004. La date à laquelle la requête a été déposée au greffe du Tribunal, à savoir le 22 février 2005, serait postérieure à l’expiration du délai de deux mois et dix jours dont disposait la requérante pour introduire un tel recours. En effet, dès lors que ladite décision a été envoyée par télécopie le 2 décembre 2004 et reçue par la requérante le même jour, le délai pour former un recours contre cette décision aurait expiré le 14 février 2005.

23      La Commission rappelle, tout d’abord, que, selon la jurisprudence de la Cour, pour qu’une lettre constitue une notification au sens de l’article 230 CE, il est nécessaire qu’elle soit précise, sans équivoque et contienne une décision motivée de la Commission (ordonnance de la Cour du 21 novembre 1990, Infortec/Commission, C‑12/90, Rec. p. I‑4265, point 9). En l’espèce, ladite lettre satisferait auxdits critères, dès lors qu’elle a informé clairement la requérante du rejet de sa candidature et en a précisé le motif. La lettre en question serait, par suite, suffisamment détaillée pour constituer une décision permettant au requérant d’en connaître le contenu exact de manière à pouvoir exercer son droit de recours.

24      Deuxièmement, pour ce qui est de la demande visant à l’annulation de la réitération de sa position, faisant l’objet de la lettre du 13 décembre 2004, la Commission fait valoir que celle‑ci se limitait à confirmer le contenu de la décision initiale du 2 décembre 2004. Par conséquent, cette deuxième lettre ne saurait être considérée comme une nouvelle décision, dès lors que ni les pièces du dossier ni la lettre même n’indiquent qu’il y a eu réexamen de l’affaire avant qu’elle soit envoyée à la requérante. En effet, elle ne constituerait nullement une décision, car elle se bornerait à informer la requérante que la Commission n’entendait pas revenir sur sa décision concernant la liste restreinte.

25      À cet égard, la défenderesse rappelle que, selon une jurisprudence constante, une mesure constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE si elle produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9, et du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, point 62). La lettre du 13 décembre 2004, ayant simplement confirmé la décision de la Commission, n’aurait pas modifié de façon caractérisée la situation juridique de la requérante. Dès lors, conformément à la jurisprudence de la Cour, cette lettre ne saurait être susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (arrêt de la Cour du 25 mai 1993, Foyer culturel du Sart-Tilman/Commission, C‑199/91, Rec. p. I‑2667, point 23).

26      La Commission ajoute que, même si le Tribunal estimait que la lettre en question constitue une décision, elle n’aurait pas pour effet d’ouvrir un nouveau délai de recours, en tant que décision de nature confirmative (arrêt de la Cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166/86 et 220/86, Rec. p. 6473, point 16 ; ordonnance Infortec/Commission, point 23 supra, point 10, et arrêt de la Cour du 11 janvier 1996, Zunis Holding e.a./Commission, C‑480/93 P, Rec. p. I‑1, point 14). À cet égard, la défenderesse fait référence à la jurisprudence selon laquelle, lorsqu’un requérant laisse expirer le délai pour agir contre la décision qui a arrêté de manière non équivoque une mesure comportant des effets juridiques affectant ses intérêts et s’imposant obligatoirement à lui, il ne saurait faire renaître ce délai en demandant à l’institution de revenir sur sa décision et en formant un recours contre la décision de refus confirmant la décision antérieurement prise (arrêt du Tribunal du 15 mars 1995, Cobrecaf e.a./Commission, T‑514/93, Rec. p. II‑621, point 44).

27      La requérante conteste, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, les arguments de la Commission.

28      Elle précise, à titre liminaire, que les décisions attaquées sont celles contenues dans les trois lettres de la Commission, à savoir celles des 2 et 13 décembre 2004 et du 24 janvier 2005.

29      Or, d’après la requérante, la Commission a omis de faire référence, dans l’exception d’irrecevabilité, à la lettre du 24 décembre 2004 ainsi qu’à celle du 24 janvier 2005. Cette dernière contredirait, notamment, la thèse de la Commission selon laquelle les lettres envoyées postérieurement à celle du 2 décembre 2004 ne reposaient sur aucun élément nouveau et n’avaient pas impliqué de réexamen de la décision contenue dans celle-ci.

30      Selon la requérante, plusieurs facteurs amènent à conclure en ce sens. Notamment, le fait que, dans la lettre du 24 décembre 2004, le responsable de la section « Gestion financière et marchés publics » a indiqué textuellement la nécessité d’examiner le problème en détail, et qu’il y a annoncé un délai inhabituel de trois semaines pour répondre à la requérante, attesterait qu’il y a bien eu réexamen du dossier de la part de la délégation. Cela correspondrait, d’ailleurs, à ce que la requérante a pu comprendre des entretiens téléphoniques qu’elle a eus avec les fonctionnaires chargés du dossier. De même, l’affirmation « [j]’ai pris bonne note de vos explications […] », contenue dans ladite lettre, indiquerait clairement que de nouvelles informations avaient été soumises à la délégation par la requérante.

31      En tout état de cause, les lettres des 24 décembre 2004 et 24 janvier 2005 constitueraient la réponse de la Commission à la demande de la requérante de réévaluer son offre formulée dans la lettre du 23 décembre 2004. Par conséquent, la décision contenue dans la lettre du 24 janvier 2005, signée par le chef de la délégation, devrait être considérée comme une nouvelle décision, produisant des effets juridiques et susceptible d’être attaquée conformément à l’article 230 CE. Il s’ensuivrait que la requête a été déposée dans les délais, le délai d’introduction d’un recours contre la décision du 24 janvier 2005 n’ayant expiré que le 3 avril 2005.

32      Par ailleurs, le fait que la lettre en question a été signée par le chef de la délégation et non par le fonctionnaire responsable de la procédure d’appel d’offres laisserait supposer qu’il avait réexaminé le dossier, étant donné qu’il n’avait pas été impliqué auparavant dans la procédure d’évaluation des offres et que, par conséquent, il a dû nécessairement demander des explications, copie du dossier ainsi que les rapports du comité d’évaluation.

33      Selon la requérante, la lettre du 24 janvier 2005 doit donc être considérée comme l’acte par lequel la Commission a fait connaître sa décision définitive et non comme la confirmation d’un acte antérieur (arrêt de la Cour du 26 mai 1982, Allemagne/Commission, 44/81, Rec. p. 1855, point 12).

34      La requérante estime, en outre, que, lorsqu’une institution communautaire entame une discussion avec un tiers sur la légalité de ses actes, comme il s’est avéré dans le cas d’espèce, en déclarant ouvertement qu’elle réexaminerait sa position, et que cette même institution demande un nouveau délai pour examiner les arguments dudit tiers, il serait contraire à la bonne foi que l’institution invoque le délai de recours à l’encontre du tiers, immédiatement ou peu de temps après lui avoir donné une réponse définitive.

35      À cet égard, la requérante rappelle qu’elle a dû attendre un mois (du 24 décembre 2004 au 24 janvier 2005), à la demande expresse de la Commission, avant de recevoir la décision finale de rejet de sa demande de réexamen. Dès lors, si l’exception d’irrecevabilité devait être accueillie, cela signifierait que la requérante a eu à sa disposition un délai de vingt jours, au lieu des deux mois prévus par l’article 230 CE, pour introduire sa requête.

 Appréciation du Tribunal

36      La fin de non-recevoir invoquée par la Commission se subdivise en deux branches, tirées, premièrement, du caractère tardif du recours quant à la première décision attaquée, à savoir la lettre du 2 décembre 2004, et, deuxièmement, du fait que la décision prétendument contenue dans la lettre du 13 décembre 2004 ne constitue pas un acte attaquable, en ce qu’elle ne produit pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle­‑ci. En tout état de cause, cette lettre devrait être considérée comme ayant une nature purement confirmative de la décision de rejet de la candidature de la requérante, contenue dans la lettre du 2 décembre 2004. En revanche, la défenderesse ne prend pas explicitement position sur la lettre envoyée par le chef de la délégation le 24 janvier 2005.

37      Il y a donc lieu de déterminer si, comme le prétend la défenderesse, la lettre du 2 décembre 2004 doit être considérée comme une « notification au sens de l’article 230 CE ».

38      À ce propos, il convient de rappeler, tout d’abord, que, selon l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, le pouvoir adjudicateur est tenu de communiquer à tout candidat écarté les motifs du rejet de sa candidature et que, aux termes de l’article 149 des modalités d’exécution, il informe dans les meilleurs délais les candidats des décisions prises concernant l’attribution du marché.

39      En l’espèce, il y a lieu de constater que la délégation a informé la requérante du rejet de sa candidature au moyen d’une lettre type, dont le modèle figure à l’annexe B 8 du guide pratique des procédures contractuelles financées par le budget général des Communautés européennes dans le cadre des actions extérieures, envoyée par télécopie le 2 décembre 2004. La délégation y a coché la case indiquant que la candidature ne satisfaisait pas au critère de capacité technique et que celle‑ci était d’un niveau inférieur à celui des candidatures retenues et a indiqué, en outre, que, sur les dix-neuf candidatures reçues à la suite de la publication de l’avis de marché, elle en avait retenu huit. Ainsi qu’il était indiqué à l’article 21, point 3, de l’avis de marché, concernant la capacité technique du candidat, ce dernier devait démontrer « au moins un(e) projet/référence de réalisation, au cours des trois dernières années, de six des dix missions énumérées au point 7 de l’avis », relatif à la description du marché.

40      Par le biais de cette lettre, la Commission a, dès lors, notifié à la requérante, d’une façon suffisamment précise et non équivoque, sa décision définitive de ne pas retenir la candidature en cause et en a précisé les motifs, conformément aux dispositions du règlement financier et des modalités d’exécution mentionnées ci‑dessus. Par ailleurs, il ressort clairement des termes utilisés par la requérante dans son courrier du 8 décembre 2004, ainsi que de la correspondance échangée par la suite entre elle et la délégation, qu’elle avait bien identifié les motifs justifiant la décision de rejet de sa candidature. En effet, il n’est pas possible d’expliquer autrement les contestations formulées dans ladite lettre quant au fait que la décision de rejet de la candidature n’aurait pas pris en compte tous les projets et références indiqués aux sections 5 et 6 du formulaire de candidature avec référence à la liste des domaines d’assistance technique énumérés au point 7 de l’avis de marché.

41      Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne fait aucun doute, dès lors, que la lettre en question constitue un acte qui a affecté directement et immédiatement sa situation juridique et qui devait, le cas échéant, être attaqué dans les délais prévus à cette fin. En effet, aux termes de l’article 230, cinquième alinéa, CE, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation est de deux mois à compter de la notification de la décision au requérant, qui, en l’espèce, est intervenue le 2 décembre 2004, augmenté du délai de distance de dix jours prévu à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure. Le délai pour l’introduction d’un recours en annulation de cette décision est donc arrivé à expiration le 14 février 2005. La requête ayant été déposée le 22 février 2005, le recours a été introduit tardivement.

42      Cette appréciation ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel ladite lettre ne comportait aucune décision définitive, ce qui serait notamment démontré, selon elle, par le fait que, postérieurement à son envoi, les discussions avec la délégation se sont poursuivies et que cette dernière lui a adressé encore trois lettres. En effet, la circonstance selon laquelle des contacts entre la requérante et la délégation ont eu lieu après l’envoi de la lettre du 2 décembre 2004 et selon laquelle ladite délégation a adressé d’autres lettres en réponse aux contestations de la requérante ne change en rien le caractère manifestement décisionnel et définitif de cette lettre.

43      De surcroît, le raisonnement de la requérante est contredit par sa lettre du 23 décembre 2004, par laquelle elle a explicitement demandé à la délégation de lui donner des assurances quant à ses droits de recours, ce qui démontre qu’elle était parfaitement consciente du fait que la décision du 2 décembre 2004 était un acte faisant grief. La seule incertitude de la requérante avait trait aux voies de recours, ainsi qu’il ressort du passage de ladite lettre où elle indique ce qui suit :

« En cas de rejet de notre demande légitime, nous avons le sentiment que nous ne bénéficierions pas d’une protection adéquate si nous devions porter l’affaire devant les juridictions turques. En tant que contribuable européen, nous nous permettons de solliciter la Commission européenne afin qu’elle préserve nos droits découlant de la législation européenne en matière de marchés publics. Nous nous permettons d’insister, plus particulièrement, pour que, au cas où nous ne serions pas immédiatement inclus dans la liste restreinte, nous disposions des droits de recours prévus par la législation européenne en matière de marchés publics et par le règlement financier. »

44      Par ailleurs, il convient de considérer, à cet égard, qu’il appartenait exclusivement à la requérante de se décider quant à l’introduction d’un recours en annulation et de ne pas laisser s’écouler le délai impératif de deux mois prévu à cette fin. Aucune importance ne peut, de ce fait, être attribuée à la correspondance échangée entre la requérante et la délégation postérieurement à la décision de rejet de sa candidature.

45      Quant aux décisions prétendument contenues dans les lettres de la délégation des 13 décembre 2004 et 24 janvier 2005, il y a lieu de déterminer si celle‑ci s’est bornée à y confirmer la décision de rejet de la candidature de la requérante, sans retenir aucun élément nouveau susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de cette dernière.

46      Il importe de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence bien établie, un recours en annulation formé contre un acte purement confirmatif d’une décision antérieure non attaquée dans les délais est irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 7 décembre 2004, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑521/03 P, non publiée au Recueil, point 41 ; arrêt du Tribunal du 14 juillet 1995, CB/Commission, T‑275/94, Rec. p. II‑2169, point 27 ; ordonnances du Tribunal du 16 mars 1998, Goldstein/Commission, T‑235/95, Rec. p. II‑523, point 41 ; du 4 mai 1998, BEUC/Commission, T‑84/97, Rec. p. II‑795, point 52, et du 9 juillet 2002, Ripa di Meana/Parlement, T‑127/01, Rec. p. II‑3005, point 25). Une décision est considérée comme purement confirmative d’une décision antérieure lorsqu’elle ne contient aucun élément nouveau par rapport à un acte antérieur et n’a pas été précédée d’un réexamen de la situation du destinataire de cet acte antérieur (arrêt de la Cour du 9 mars 1978, Herpels/Commission, 54/77, Rec. p. 585, point 14 ; ordonnance BEUC/Commission, précitée, point 52 ; arrêt du Tribunal du 7 février 2001, Inpesca/Commission, T‑186/98, Rec. p. II‑557, point 44, et ordonnance Internationaler Hilfsfonds/Commission, précitée, point 47).

47      Or, la requérante soutient, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, que la troisième décision attaquée, à savoir celle prétendument contenue dans la lettre du 24 janvier 2005, constitue la réponse de la délégation à sa lettre du 23 décembre 2004, dans laquelle elle contestait la décision du comité d’évaluation de ne pas l’inclure dans la liste restreinte et demandait la réévaluation de sa candidature. Cette décision aurait été adoptée après un réexamen du dossier et devrait, dès lors, être considérée comme une nouvelle décision, produisant des effets juridiques et donc susceptible d’être attaquée, conformément à l’article 230 CE. En substance, la lettre en question doit être considérée, selon la requérante, comme l’acte par lequel la Commission a fait connaître sa décision définitive et non comme la confirmation d’un acte antérieur.

48      À cet égard, il y a lieu de considérer que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, le caractère confirmatif ou non d’un acte ne saurait être apprécié uniquement en fonction de son contenu par rapport à celui de la décision antérieure qu’il confirmerait, mais doit également l’être par rapport à la nature de la demande à laquelle cet acte répond (voir, en ce sens, arrêt Inpesca/Commission, point 46 supra, point 45, et la jurisprudence citée, et ordonnance du Tribunal du 29 avril 2004, SGL Carbon/Commission, T‑308/02, Rec. p. II‑1363, point 52).

49      Il ressort, en particulier, de cette jurisprudence que, si l’acte constitue la réponse à une demande dans laquelle des faits nouveaux et substantiels sont invoqués et par laquelle l’administration est priée de procéder à un réexamen de la décision antérieure, cet acte ne saurait être considéré comme revêtant un caractère purement confirmatif, dans la mesure où il statue sur ces faits et contient, ainsi, un élément nouveau par rapport à la décision antérieure. En effet, l’existence de faits nouveaux et substantiels peut justifier la présentation d’une demande tendant au réexamen d’une décision antérieure devenue définitive. À l’inverse, lorsque la demande de réexamen n’est pas fondée sur des faits nouveaux et substantiels, le recours contre la décision refusant de procéder au réexamen sollicité doit être déclaré irrecevable (voir, en ce sens, arrêt Inpesca/Commission, point 46 supra, point 49, et ordonnance SGL Carbon/Commission, point 48 supra, point 54).

50      Or, il y a lieu de relever que, en l’espèce, les éléments invoqués par la requérante à l’appui de sa demande de réexamen de la décision rejetant sa candidature ne constituent nullement des faits nouveaux et substantiels. En effet, dans la lettre du 23 décembre 2004, la requérante se limite à contester la lettre du 13 décembre 2004, qu’elle venait de recevoir, dans laquelle la délégation lui répétait les motifs qui étaient à la base de la décision de ne pas retenir sa candidature. Elle y a inséré simplement un tableau, dans lequel étaient mis en correspondance les domaines d’assistance technique énumérés au point 7 de l’avis de marché avec les références indiquées dans son formulaire de candidature, numérotées comme dans celui-ci.

51      De même, il ne peut être conclu que la lettre du 13 décembre 2004, envoyée par la délégation en réponse au courrier de la requérante du 8 décembre 2004, dans lequel celle-ci lui avait déjà fait connaître ses objections quant aux raisons qui étaient à la base du rejet de sa candidature, se fonde sur des éléments nouveaux et a été précédée d’un réexamen de la situation de la requérante.

52      En effet, dans cette lettre, la délégation ne fait, en substance, que réaffirmer sa position, telle qu’elle était déjà exprimée dans sa décision du 2 décembre 2004. Elle y précise, notamment, que la sélection a été faite seulement sur la base des critères mentionnés au point 7 de l’avis de marché et que toutes les candidatures reçues ont ensuite été comparées les unes par rapport aux autres en vue de déterminer les huit candidatures à retenir pour l’établissement de la liste restreinte. Dans le dernier paragraphe, la délégation indique, enfin, que la candidature de la requérante ne satisfaisait pas au critère relatif au nombre minimal de références (six sur les dix énumérées) aux missions requises dans l’avis de marché, alors que ce critère était rempli par les candidats sélectionnés.

53      Il en est de même pour ce qui est de la note du 24 janvier 2005, dans laquelle le chef de la délégation se limite à répéter ce que le responsable de la section « Gestion financière et marchés publics » avait précisé dans la lettre du 13 décembre 2004.

54      Force est de considérer, dès lors, qu’aucune des informations contenues dans ces deux lettres ne saurait constituer un élément nouveau de nature à conférer à celles-ci le caractère d’une nouvelle décision faisant grief. D’ailleurs, il ne ressort ni du dossier soumis au Tribunal ni de la dernière lettre attaquée que l’envoi de cette dernière a été précédé d’un réexamen de la candidature de la requérante (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 15 octobre 2003, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑372/02, Rec. p. II‑4389, point 44). De plus, la motivation contenue dans ces deux lettres est substantiellement identique à celle contenue dans la première lettre attaquée.

55      Il importe, en outre, de relever que, selon une jurisprudence bien établie, lorsqu’un requérant laisse expirer le délai pour agir contre la décision qui a arrêté de manière non équivoque une mesure comportant des effets juridiques affectant ses intérêts et s’imposant obligatoirement à lui, il ne saurait faire renaître ce délai en demandant à l’institution de revenir sur sa décision et en formant un recours contre la décision de refus confirmant la décision antérieurement prise (arrêt Cobrecaf e.a./Commission, point 26 supra, point 44 ; voir également, en ce sens, ordonnance de la Cour du 9 juillet 1991, Control Union/Commission, C‑250/90, Rec. p. I‑3585, point 14).

56      S’agissant, enfin, des allégations de la requérante selon lesquelles il résulte des courriers que lui a fait parvenir la délégation que cette dernière lui aurait assuré le réexamen de sa candidature et qu’elle répondrait dans les trois semaines à sa demande de réexamen, la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission un comportement qui aurait été, en substance, de nature à provoquer une confusion admissible dans son esprit quant au caractère définitif de la lettre du 2 décembre 2004, dès lors que les termes employés dans cette lettre font apparaître clairement aussi bien la décision de la délégation de ne pas retenir sa candidature que les motifs justifiant une telle décision.

57      En tout état de cause, quand bien même le comportement de la Commission, à supposer qu’il soit établi, aurait causé le dépôt tardif de la requête, cela n’aurait pas rendu le recours recevable par dérogation aux règles régissant les délais de recours. En effet, un tel comportement n’aurait pu amener la requérante à commettre une erreur excusable, erreur dont le juge communautaire admet qu’elle permet de déroger aux règles régissant les délais de recours. La notion d’erreur excusable, qui trouve sa source directement dans le souci du respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, ne peut viser, selon une jurisprudence constante, que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie (arrêt du Tribunal du 29 mai 1991, Bayer/Commission, T‑12/90, Rec. p. II‑219, points 28 et 29, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 15 décembre 1994, Bayer/Commission, C‑195/91 P, Rec. p. I‑5619, point 26).

58      Or, si tel peut être éventuellement le cas lorsque l’introduction tardive d’un recours est causée par la fourniture, par l’institution concernée, d’informations erronées et de nature à créer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable présentant les caractéristiques rappelées ci-dessus, tel ne saurait être le cas lorsque, comme en l’espèce, le justiciable ne peut nourrir aucun doute quant au caractère décisionnel de l’acte qui lui est notifié (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 21 mars 2002, Laboratoire Monique Rémy/Commission, T‑218/01, Rec. p. II‑2139, point 30, et conclusions de l’avocat général M. Tizzano sous l’arrêt de la Cour du 15 mai 2003, Pitsiorlas/Conseil et BCE, C‑193/01 P, Rec. p. I‑4837, I‑4839, point 20).

59      En tout état de cause, il y a lieu de relever que, en l’espèce, la requérante n’a pas établi ni même invoqué l’existence d’une erreur excusable.

60      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que, dès lors que les lettres des 13 décembre 2004 et 24 janvier 2005 ne contiennent aucun élément nouveau par rapport à la décision contenue dans la lettre du 2 décembre 2004 et qu’il n’a pas été procédé à un réexamen de la situation de la requérante, ces lettres constituent des décisions purement confirmatives de la décision du 2 décembre 2004. Par voie de conséquence, cette dernière n’ayant pas été contestée dans un délai de deux mois à compter de sa notification à la requérante, augmenté du délai de distance visé à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, le recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      La requérante est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 10 octobre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.