Language of document : ECLI:EU:T:2006:154

ARRÊT DU TRIBUNAL (juge unique)

8 juin 2006 (*)

« Fonctionnaires – Annulation du refus d’inscription d’une candidate sur une liste de réserve d’agents temporaires – Présentation par l’intéressée d’une nouvelle épreuve orale organisée en exécution de l’arrêt d’annulation – Second refus d’inscription – Recours en annulation »

Dans l’affaire T- 400/03,

Sophie Bachotet, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes S. Orlandi, A. Coolen, J.‑N. Louis et E. Marchal, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes H. Tserepa‑Lacombe et L. Lozano Palacios, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation du refus opposé à la requérante par le comité de la procédure de sélection COM/R/A/01/1999 de l’inscrire sur la liste de réserve d’agents temporaires, à l’issue d’une nouvelle épreuve orale organisée en exécution de l’arrêt du Tribunal du 24 septembre 2002, Bachotet/Commission (T‑182/01, non publié au Recueil),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (juge unique),

juge : M. H. Legal,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 février 2006,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1       La Commission a publié l’avis de sélection COM/R/A/01/1999 en vue de la constitution d’une réserve de recrutement d’agents temporaires rémunérés sur les crédits de recherche. Devaient être inscrits sur la liste de réserve du domaine E (« Aspects politiques, réglementaires et socio-économiques de la recherche et du développement technologique ») les candidats ayant obtenu les soixante meilleures notes, pour autant qu’ils aient obtenu le minimum requis pour chaque épreuve.

2       La requérante a été informée que le comité de sélection (ci-après le « comité ») n’avait pas été en mesure de l’inscrire sur la liste de réserve en raison de l’insuffisance de ses résultats, inférieurs aux 144 points attribués au dernier des soixante lauréats.

3       Par arrêt du 24 septembre 2002, Bachotet/Commission (T‑182/01, non publié au Recueil), le Tribunal a annulé ce refus d’inscription, motif pris de l’irrégularité de la composition du comité, génératrice d’une violation de l’égalité de traitement des participants.

4       Le Tribunal a constaté qu’il apparaissait à la lecture de la liste de présence des huit membres du comité que celui-ci avait siégé, pour évaluer les prestations orales des candidats, en plus de vingt formations différentes, constituées de trois, de quatre, voire de cinq membres, selon le cas, et qu’aucun examinateur n’avait participé à l’ensemble de ces épreuves. En outre, il n’apparaissait pas, a poursuivi le Tribunal, que les résultats des épreuves orales eussent fait l’objet d’une péréquation ou d’une concertation entre les huit membres du comité au terme des épreuves, alors que la coordination incombant normalement au président du comité n’avait pu être pleinement assurée en raison du choix d’un système de coprésidence et que les auditions s’étaient étalées sur plusieurs semaines.

5       Par lettre du 5 novembre 2002, la présidence du comité a informé Mme Bachotet qu’elle serait soumise à une nouvelle épreuve orale et l’invitait à confirmer sa participation à cette épreuve.

6       Par lettre du 21 novembre 2002, la présidence du comité a précisé à la requérante que sa nouvelle audition se déroulerait selon les mêmes modalités que celles de l’épreuve orale invalidée et que les questions relatives à l’« actualité scientifique » tiendraient compte des évolutions intervenues entre-temps dans le domaine E.

7       Le nouvel examen oral de la requérante a eu lieu le 10 janvier 2003 devant un comité composé de quatre personnes.

8       Par lettre du 21 janvier 2003, la présidence du comité a informé la requérante que le total des points qu’elle avait obtenus à l’issue de cette nouvelle épreuve, soit 140,5/200, ne permettait pas de l’inscrire sur la liste de réserve.

9       Le 22 avril 2003, la requérante a introduit une réclamation contre ce second refus d’inscription.

10     Cette réclamation a été rejetée par décision du 14 août 2003, dont la requérante a accusé réception le 27 août suivant.

 Procédure et conclusions des parties

11     Par requête déposée le 8 décembre 2003, la requérante a introduit un recours en annulation de la décision du comité du 21 janvier 2003 de ne pas l’inscrire sur la liste de réserve.

12     Le Tribunal a estimé, conformément à l’article 47 de son règlement de procédure, qu’un second échange de mémoires n’était pas nécessaire, le contenu du dossier étant suffisamment complet pour permettre aux parties de développer leur argumentation au cours de la procédure orale.

13     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale, sans ordonner de mesures d’instruction ou d’organisation de la procédure.

14     Sur le fondement de l’article 14, paragraphe 2, et de l’article 51 du règlement de procédure, la quatrième chambre a décidé, les parties entendues, la dévolution de l’affaire à M. H. Legal, siégeant en qualité de juge unique.

15     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 15 février 2006.

16     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision du comité du 21 janvier 2003 de ne pas l’inscrire sur la liste de réserve ;

–       condamner la Commission aux dépens.

17     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme non fondé ;

–       statuer sur les dépens comme de droit.

 En droit

18     Au soutien de son recours en annulation, la requérante développe, en substance, quatre moyens, tirés, le premier, du non-respect de l’obligation de motivation, le deuxième, de la violation de l’article 233 CE, le troisième, de la méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats et, le quatrième, d’une erreur manifeste d’appréciation.

19     Il y a lieu de procéder d’emblée à l’examen conjoint des deuxième et troisième moyens.

 Arguments des parties

20     La requérante soutient que le comité a, en violation des prescriptions de l’article 233 CE, organisé le nouvel examen oral auquel elle a été soumise sans tenir compte des constatations, explications et motifs de l’arrêt Bachotet/Commission, précité, dont la Commission aurait dû pourtant respecter le dispositif et les motifs en constituant le soutien nécessaire.

21     La requérante ajoute qu’elle n’a pas été auditionnée par la formation plénière du comité reconstitué mais par quatre examinateurs et que sa nouvelle épreuve orale a été organisée plus de deux ans après celle des lauréats, en violation de l’égalité de traitement des concurrents.

22     La Commission estime avoir adopté la seule solution permettant de garantir l’égalité de traitement entre la requérante et les autres candidats, en conformité avec l’arrêt Bachotet/Commission, précité, tout en sauvegardant la confiance légitime des lauréats de la sélection.

23     Dans l’arrêt Bachotet/Commission, précité, le Tribunal n’aurait pas estimé invalide le seuil de 144 points requis pour l’inscription sur la liste de réserve, sinon, il se serait abstenu de s’y référer au point 33 de l’arrêt. En outre, la réorganisation de l’ensemble de la procédure de sélection aurait donné lieu à l’application d’un seuil différent, dans la mesure où les prestations des candidats n’auraient probablement pas été identiques à celles de l’épreuve orale initiale. Cette solution aurait toutefois violé la confiance légitime des lauréats.

24     Pour répondre à la nécessité de soumettre la requérante à une épreuve permettant une évaluation comparative de sa prestation avec celle du plus grand nombre possible de candidats originairement entendus, le comité aurait été recomposé en sa formation plénière, constituée de deux coprésidents et de deux membres titulaires. Mme C., coprésidente lors des épreuves orales initiales, entre-temps partie en retraite, aurait dû nécessairement être remplacée par l’un des membres suppléants. Les critères retenus pour la nouvelle session orale auraient été identiques à ceux de la première.

25     Quatre suppléants auraient été également désignés, mais ils n’auraient naturellement pas pu être considérés comme faisant partie de la formation plénière du comité, dans la mesure où ils n’étaient appelés à siéger qu’en cas d’empêchement des membres titulaires. Si la Commission avait, comme semble le réclamer la requérante, convoqué aussi bien les membres titulaires que les suppléants, il n’aurait pas été exclu que l’intéressée intente une nouvelle action fondée sur une discrimination procédant, cette fois-ci, de son audition par un comité composé d’un nombre de membres double de celui des formations ayant interrogé les autres candidats.

26     Une composition ad hoc du comité chargée d’évaluer uniquement la prestation de la requérante aurait également été écartée, car les examinateurs n’auraient pas été en mesure de comparer la nouvelle prestation de la requérante avec celle des candidats de la session initiale.

27     Enfin, la convocation de la requérante devant une formation restreinte du comité aurait pu être regardée comme un mode d’organisation de la nouvelle audition similaire à celui de l’épreuve orale initiale et, par conséquent, comme encourant une nouvelle censure du Tribunal.

 Appréciation du Tribunal

28     Le Tribunal rappelle que ce sont les motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif d’un arrêt d’annulation qui font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée dans le dispositif et que l’institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l’acte annulé, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 233 CE (arrêt du Tribunal du 2 février 1995, Frederiksen/Parlement, T‑106/92, RecFP p. I‑A‑29 et II‑99, point 31).

29     Cette institution a donc le devoir d’éviter que tout acte destiné à remplacer l’acte annulé ne soit entaché des mêmes irrégularités que celles identifiées dans les motifs de l’arrêt d’annulation (arrêt Frederiksen/Parlement, précité, point 32).

30     Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 4 ci-dessus, le Tribunal a, dans son arrêt Bachotet/Commission, précité, relevé que le comité n’avait pas été en mesure d’assurer l’égalité de traitement des candidats auditionnés, en raison de l’instabilité de sa composition, laquelle avait rendu impossible, compte tenu notamment de la longueur de la période sur laquelle s’étaient échelonnés les entretiens, une appréciation comparative utile de ces candidats.

31     Ainsi, c’est l’évaluation comparative des mérites de l’ensemble des candidats ayant subi les épreuves orales qui a été viciée par la fluctuation de la composition du jury et l’étalement des auditions sur plusieurs semaines.

32     La circonstance que le dispositif de l’arrêt Bachotet/Commission, précité, n’a annulé le résultat de la procédure de sélection que pour autant qu’il emportait refus d’inscription de la requérante sur la liste de réserve, et non pour le surplus, s’explique exclusivement par le fait qu’il n’appartenait pas au Tribunal de statuer au-delà des conclusions dont il était saisi et non par une quelconque validation du résultat des épreuves initiales dont les motifs de l’arrêt établissaient sans ambiguïté qu’elles étaient globalement irrégulières.

33     Est à cet égard erronée la prémisse de la Commission selon laquelle l’arrêt aurait « validé » le seuil de 144 points dont l’obtention conditionnait l’inscription des candidats sur la liste de réserve.

34     Dans son arrêt d’annulation, le Tribunal ne s’est référé à ce seuil que pour souligner, à titre surabondant, le faible écart séparant celui-ci du nombre de points obtenus par la requérante à l’issue des épreuves de la sélection initiale et, par conséquent, la forte probabilité que la violation de l’égalité de traitement constatée ait été effectivement la cause déterminante de l’éviction de l’intéressée.

35     Dans ces conditions, la Commission ne pouvait légalement, pour donner à son arrêt d’annulation une exécution conforme aux exigences de l’article 233 CE, rouvrir au bénéfice de la candidate exclue la procédure de sélection censurée, en reproduisant à son intention les conditions de déroulement de l’épreuve orale initiale et en comparant ses résultats à ceux du dernier candidat admis dans ce cadre. En effet, si les mérites des candidats n’ont pu être comparés utilement lors de la première procédure de sélection, il était a fortiori impossible de rétablir l’égalité de traitement en cherchant à rapprocher les performances de la candidate auditionnée à nouveau, à plus de deux ans d’intervalle, de celles des lauréats d’une procédure viciée dès l’origine.

36     Or, au lieu de réorganiser l’épreuve orale en éliminant les vices constatés par le Tribunal, la Commission a choisi de comparer le total des points obtenus par la requérante à l’issue de la nouvelle audition au total des points attribués au dernier candidat inscrit sur la liste de réserve dressée à l’issue d’une procédure de sélection irrégulière.

37     Ce faisant, la Commission a non seulement omis de corriger les vices initiaux sanctionnés par le Tribunal, mais les a encore aggravés en auditionnant la requérante plus de deux ans après la clôture de la session invalidée, ce délai fût-il incompressible, et en comparant les nouveaux résultats de l’intéressée à un seuil d’admission qu’elle ne pouvait plus légalement prendre en considération.

38     Il s’ensuit que les modalités d’organisation de la nouvelle épreuve orale à laquelle Mme Bachotet a été soumise méconnaissent l’autorité de chose jugée s’attachant aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de l’arrêt Bachotet/Commission, précité.

39     C’est à tort que la Commission soutient avoir adopté la seule solution possible. Non seulement l’institution n’était pas tenue de considérer la nouvelle épreuve orale comme s’insérant dans l’ancienne procédure de sélection, mais cela lui était même interdit en l’occurrence.

40     Certes, la Commission ne pouvait, au lendemain du prononcé de l’arrêt d’annulation, soit plus de deux ans après l’établissement de la liste de réserve, retirer les décisions individuelles d’inscription des lauréats ainsi que les nominations d’ores et déjà intervenues, pour diligenter ensuite une nouvelle procédure de sélection portant sur l’ensemble des candidats (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 12 juillet 1957, Algera e.a./Assemblée commune de la CECA, 7/56 et 3/57 à 7/57, Rec. p. 81, 116).

41     Le Tribunal relève néanmoins, encore qu’il ne lui appartienne pas de se substituer à la Commission pour déterminer les mesures concrètes d’exécution d’un arrêt d’annulation, qu’il restait loisible à la Commission de soumettre la requérante à une procédure de sélection spécifique autonome ou de convenir avec l’intéressée d’une solution équitable aux problèmes soulevés par son éviction illégale de la procédure de sélection initiale.

42     Lorsque l’exécution de l’arrêt d’annulation présente, comme en l’espèce, des difficultés particulières, l’institution peut en effet satisfaire à l’obligation découlant de l’article 233 CE en prenant toute décision de nature à compenser équitablement un désavantage subi par le requérant en raison de l’illégalité de l’acte annulé. Dans ce contexte, l’institution peut également établir un dialogue avec l’intéressé en vue de chercher à parvenir à un accord lui offrant une compensation équitable de l’illégalité dont il a été victime (arrêt du Tribunal du 26 juin 1996, De Nil et Impens/Conseil, T‑91/95, RecFP p. I‑A‑327 et II‑959, point 34).

43     Il y a donc lieu d’accueillir les deuxième et troisième moyens, pris, respectivement, de la violation de l’article 233 CE et de la méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats, et d’annuler le refus d’inscription attaqué, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens d’annulation articulés par la requérante au soutien de son recours.

 Sur les dépens

44     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (juge unique)

déclare et arrête :

1)      La décision du comité de sélection, contenue dans la lettre du 21 janvier 2003 notifiée à la requérante, de ne pas l’inscrire sur la liste de réserve de la procédure de sélection COM/R/A/01/1999 est annulée.

2)      La Commission est condamnée aux dépens.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juin 2006.

Le greffier

 

      Le juge


E. Coulon

 

      H. Legal



* Langue de procédure : le français