Language of document : ECLI:EU:T:2010:42

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

17 février 2010 (*)

« Intervention ‑ Confidentialité »

Dans l’affaire T‑587/08,

Fresh Del Monte Produce, établie à Georges Town (Îles Cayman), représentée par Me B. Meyring, avocat, et Mme E. Verghese, solicitor,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. M. Kellerbauer, A. Biolan et X. Lewis, puis par MM. Kellerbauer, Biolan et P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet l’annulation de la décision C (2008) 5955 final de la Commission, du 15 octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE (affaire COMP/39.188 – Bananes), concernant une entente sur une partie du marché européen des bananes, portant sur la coordination dans la fixation des prix de référence des bananes, ainsi que l’annulation ou la réduction de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents

1        Par décision C (2008) 5955 final, du 15 octobre 2008 (affaire COMP/39.188 – Bananes) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a constaté que Chiquita International Services Group NV, Chiquita Banana Company BV, Chiquita International Ltd, Chiquita Brands International, Inc., Dole Fresh Fruit Europe OHG, Dole Food Company, Inc., Fresh Del Monte Produce Inc. (ci-après « Del Monte » ou la « requérante ») et Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert & Co. KG (ci-après « Weichert ») ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en participant à une entente sur une partie du marché européen de la banane, et a infligé des amendes à certaines entreprises mentionnées ci-dessus.

2        Dans la décision attaquée, la Commission a notamment constaté que Del Monte et Weichert ont enfreint l’article 81 [CE] du traité en participant à une pratique concertée par laquelle elles ont coordonné les prix de référence pour les bananes du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002 (article 1er de la décision attaquée). La Commission a condamné ces entreprises, conjointement et solidairement, au paiement d’une amende de 14 700 000 euros [article 2, sous c), de la décision attaquée] et leur a ordonné de mettre immédiatement fin à l’infraction, pour autant qu’elles ne l’aient pas encore fait, ainsi que de s’abstenir de tout acte ou de toute conduite décrite à l’article 1er, et de tout acte ou toute conduite ayant un objet ou un effet similaire ou identique à celui-ci (article 3 de la décision attaquée). Cette décision a notamment été adressée à Del Monte et Weichert (article 4 de la décision attaquée).

3        À cet égard, il ressort des motifs de la décision attaquée que la Commission a constaté la participation directe de Weichert à l’entente (considérant 380 de la décision attaquée). S’agissant de Del Monte, la Commission a considéré qu’elle devait être tenue pour responsable du comportement de Weichert, en raison du fait que, pendant la période infractionnelle, Del Monte avait la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la politique commerciale de Weichert et qu’elle avait effectivement exercé une telle influence (considérant 393 de la décision attaquée).

 Procédure

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 décembre 2008, la requérante a introduit un recours contre la décision attaquée, dans lequel elle demande au Tribunal d’annuler les articles 1er, 2, 3 et 4 de celle-ci, dans la mesure où elle la concerne, à titre subsidiaire, de réduire considérablement l’amende qui lui a été infligée en vertu de l’article 2, sous c), de cette décision, à titre subsidiaire, d’annuler les articles 1 et 3 de cette décision, dans la mesure où elle la concerne, et de condamner la Commission aux dépens.

5        La Commission a conclu au rejet du recours et à la condamnation de la requérante aux dépens.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 janvier 2009 (affaire T‑2/09), Weichert a également introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée en tant que celle-ci la concerne, ou, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction l’amende qui lui a été infligée et à la condamnation de la Commission aux dépens.

7        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 avril 2009, Weichert a demandé à intervenir au litige au soutien des conclusions de Del Monte.

8        La requérante et la Commission ont présenté leurs observations écrites relatives à cette demande d’intervention par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 18 et 28 mai 2009.

9        Par acte déposé au greffe le 28 mai 2009, la Commission a demandé le traitement confidentiel vis-à-vis de Weichert de certains éléments contenus dans le mémoire en défense et ses annexes.

10      Par acte déposé au greffe le 29 mai 2009, la requérante a demandé le traitement confidentiel vis-à-vis de Weichert de certains éléments contenus dans la requête et ses annexes.

11      Par ordonnance du 30 novembre 2009, le Tribunal (huitième chambre) a déclaré le recours de Weichert irrecevable, pour cause de tardiveté.

12      Conformément à l’article 116, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, le président de la huitième chambre a déféré à cette dernière la présente demande en intervention.

 En droit

 Arguments des parties

13      Weichert soutient qu’elle dispose d’un intérêt à la solution du présent litige.

14      En premier lieu, elle serait directement affectée par l’acte attaqué. Weichert serait expressément désignée dans la décision contre laquelle Del Monte a formé un recours en annulation et dans laquelle il est prétendu que Weichert a enfreint l’article 81 CE. À cet égard, il n’existerait qu’une seule prétendue infraction à l’article 81 CE, liée au comportement de Weichert, et une seule amende, pour laquelle Del Monte et Weichert seraient conjointement et solidairement responsables.

15      En deuxième lieu, Weichert serait directement affectée par l’issue du recours de la requérante.

16      Premièrement, Weichert aurait un intérêt direct et réel à ce que le Tribunal annule les articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision attaquée dans la mesure où elle concerne Del Monte. En effet, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait la décision en tant qu’elle concerne Del Monte au motif que Weichert n’a pas violé l’article 81 CE, la Commission serait tenue, conformément au principe de justice et d’équité, et à l’exigence supérieure de la légalité et aux principes de bonne administration et de proportionnalité, de s’abstenir de toute mesure d’exécution à l’égard de Weichert. Cette dernière aurait également un intérêt direct et réel à ce que le Tribunal annule les articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision attaquée au motif que Weichert n’a pas enfreint l’article 81 CE, puisqu’une telle annulation aurait pour effet direct que Weichert pourrait s’opposer aux actions en indemnité formées par des tiers.

17      Deuxièmement, Weichert aurait un intérêt direct et réel à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de Del Monte, en tant qu’elles visent à ce que l’amende infligée à Del Monte soit substantiellement réduite, puisque la Commission ne pourrait légalement exécuter l’amende sur Weichert qu’à concurrence de ce montant réduit.

18      Troisièmement, Weichert aurait un intérêt direct et réel à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de Del Monte tendant à ce que le Tribunal annule les articles 1er et 3 de la décision attaquée, en tant qu’ils concernent Del Monte, puisque dans l’hypothèse d’une telle annulation au motif que Weichert n’a pas enfreint l’article 81 CE, la Commission serait tenue de s’abstenir de mesures d’exécution sur Weichert.

19      En troisième lieu, Weichert relève qu’il ressort de la jurisprudence communautaire que l’éventuelle irrecevabilité du recours qu’elle a introduit à l’encontre de la décision attaquée serait sans effet sur son intérêt à la solution du litige.

20      La requérante déclare, en substance, que, pour autant qu’il ne soit pas permis à Weichert de présenter des arguments qui iraient à l’encontre des conclusions qu’elle a présentées, elle ne s’oppose pas à la demande en intervention de Weichert.

21      La Commission, en revanche, soulève des objections à l’encontre de cette demande en intervention.

22      Elle fait valoir, en substance, que Weichert n’a pas d’intérêt à l’annulation des dispositions de la décision attaquée ni à la réduction de l’amende infligée en vertu de ladite décision, dans la mesure où elle concerne la requérante. La décision attaquée, quoique rédigée et publiée sous la forme d’une décision unique, consisterait en un faisceau de décisions individuelles constatant que chaque destinataire a enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE, et comprendrait, par conséquent, autant de décisions individuelles que de destinataires, en sorte qu’un recours en annulation ne concernerait que la décision individuelle dont est destinataire la requérante qui forme ledit recours. À cet égard, une décision dont sont destinataires des entreprises tenues pour conjointement et solidairement responsables du fait de l’existence d’une unité économique produirait des effets juridiques différents pour chacun de ceux-ci et, par conséquent, son annulation à l’égard d’un destinataire n’aurait pas d’incidence sur les intérêts d’un autre destinataire, l’attribution d’une responsabilité conjointe et solidaire n’ayant trait qu’à la manière dont le paiement de l’amende devrait être partagé. Enfin, Weichert pourrait, certes, avoir un intérêt au soutien de l’argument de la requérante selon lequel elle ne devrait pas être tenue pour responsable de l’infraction dès lors que Weichert n’en aurait commis aucune. Il serait toutefois de jurisprudence constante qu’il ne suffit pas, pour qu’une partie soit autorisée à intervenir, qu’elle se limite à soutenir les moyens soulevés par une autre partie.

 Appréciation du Tribunal

23      La demande en intervention a été introduite conformément à l’article 115 du règlement de procédure.

24      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de la Communauté, ou entre États membres, d’une part, et institutions de la Communauté, d’autre part, a le droit d’intervenir.

25      Il résulte d’une jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de ladite disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt. Il convient notamment de vérifier que l’intervenant est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 15 novembre 1993, Scaramuzza/Commission, C‑76/93 P, Rec. p. I‑5715, point 9 ; voir également, ordonnance du président de la Cour du 6 avril 2006, An Post/Deutsche Post e.a., C‑130/06 P, non publiée au Recueil, point 8, et la jurisprudence citée ; voir, ordonnances du Tribunal du 25 février 2003, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑213, point 26, et du 4 février 2004, Coöperatieve Aan- en Verkoopvereniging Ulestraten, Schimmert en Hulsberg e.a./Commission, T‑14/00, Rec. p. II‑497, point 11, et la jurisprudence citée).

26      Ainsi que le relève d’ailleurs en substance la Commission aux considérants 361 et 362 de la décision attaquée, le droit communautaire de la concurrence vise les activités des entreprises. La notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. La Cour a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, non encore publié au Recueil, points 54 à 56, et la jurisprudence citée).

27      En l’espèce, il y a lieu de relever que la Commission a estimé, au considérant 362 de la décision attaquée, que, « [p]our chaque entreprise responsable d’une infraction à l’article 81 [CE] dans la présente affaire, une ou plusieurs entités juridiques ont été identifiées, qui assument la responsabilité juridique pour l’infraction dans la présente affaire ». Elle a, à cet égard, considéré que la requérante et Weichert formaient une « unité économique » aux fins de l’application des règles de concurrence, puisque Weichert ne déterminait pas de manière autonome son comportement sur le marché (considérant 432 de la décision attaquée). La Commission a ainsi conclu, au considérant 434 de la décision attaquée, que, « [s]ur la base de ce qui précède, il est établi que les entités juridiques suivantes assument la responsabilité pour l’infraction à l’article 81 [CE] faisant l’objet de la présente décision : (…) [Weichert] et [Del Monte] conjointement et solidairement (…). »

28      Dans le cadre du présent recours, ainsi qu’il ressort du point 4 ci-dessus, la requérante demande, en substance, l’annulation des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision attaquée, en ce qu’elle la concerne ou, à titre subsidiaire, la réduction de l’amende qui lui a été infligée en vertu de l’article 2, sous c), de la décision attaquée.

29      Force est de constater que la requérante et Weichert, dans la décision attaquée, ont été considérées, aux fins de l’application de l’article 81 CE, comme une seule et même entreprise, ont été condamnées pour une seule et même infraction, laquelle est liée au comportement de Weichert sur le marché, et que la requérante n’a été tenue pour responsable de l’infraction qu’en raison de l’existence d’une unité économique entre elle et Weichert. En outre, la requérante et Weichert ont été solidairement condamnées au paiement d’une seule et même amende. Weichert doit par conséquent pouvoir intervenir dans la présente affaire.

30      Toutefois, n’ayant pas introduit un recours en annulation dans les délais prescrits, ses droits d’intervention doivent être limités au soutien des conclusions de la requérante (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 14 février 1996, Commission/NTN Corporation, C‑245/95, Rec. p. I‑553, point 9 ; ordonnance du Tribunal du 28 novembre 1991, Eurosport/Commission, T‑35/91, Rec. p. II‑1359, point 15).

31      En outre, contrairement à ce que soutient la Commission, la circonstance que Weichert disposait elle-même d’un droit de recours autonome contre la décision attaquée, pour autant que celle-ci la concerne, est sans pertinence aux fins de savoir si Weichert justifie d’un intérêt à intervenir au litige. Est, pareillement, dénuée de pertinence à ces fins la circonstance selon laquelle Weichert a effectivement introduit un tel recours (voir, en ce sens, ordonnance Coöperatieve Aan- en Verkoopvereniging Ulestraten, Schimmert en Hulsberg e.a./Commission, point 25 supra, point 19) ou qu’un tel recours a été déclaré irrecevable.

32      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que l’intérêt à intervenir invoqué par Weichert doit être qualifié d’intérêt direct et actuel à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut. Par conséquent, il convient d’accueillir la demande d’intervention.

33      La communication au Journal officiel de l’Union européenne visée à l’article 24, paragraphe 6, du règlement de procédure ayant été publiée le 21 février 2009, la demande d’intervention a été présentée dans le délai prévu à l’article 115, paragraphe 1, du même règlement et les droits de la partie intervenante seront ceux prévus à l’article 116, paragraphes 2 à 4, dudit règlement.

34      La requérante et la Commission ont toutefois demandé que, conformément à l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure, certains éléments confidentiels du dossier soient exclus de la communication à la partie intervenante et ont produit, aux fins de cette communication, une version non confidentielle des mémoires ou pièces en question.

35      À ce stade, la communication à la partie intervenante des actes de procédure signifiés et, le cas échéant, à signifier aux parties doit donc être limitée à une version non confidentielle. Une décision sur le bien-fondé de la demande de confidentialité sera, le cas échéant, prise ultérieurement au vu des objections ou des observations qui pourraient être présentées à ce sujet.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1)      Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert & Co. KG est admise à intervenir dans l’affaire T-587/08 à l’appui des conclusions de la partie requérante.

2)      Le greffier communiquera à la partie intervenante une version non confidentielle de chaque acte de procédure signifié aux parties.

3)      Un délai sera fixé à la partie intervenante pour présenter ses observations éventuelles sur la demande de traitement confidentiel. La décision sur le bien-fondé de cette demande est réservée.

4)      Un délai sera fixé à la partie intervenante pour présenter un mémoire en intervention, sans préjudice de la possibilité de le compléter le cas échéant ultérieurement, à la suite de la décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel.

5)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 17 février 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. E. Martins Ribeiro


* Langue de procédure : l’anglais.