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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 23 mars 2006 (1)

Affaire C-24/05 P

August Storck KG

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur

(marques, dessins et modèles) (OHMI)

«Pourvoi – Marque communautaire – Marque tridimensionnelle – Forme ovale d’un bonbon – Motifs absolus de refus – Absence de caractère distinctif – Acquisition du caractère distinctif par l’usage»





I –    Introduction

1.        Ce pourvoi vise l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (quatrième chambre) du 10 novembre 2004 (2), par lequel il a rejeté le recours en annulation introduit contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) («OHMI») (3), dans laquelle elle refusait l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle constituée par la forme d’un bonbon, de couleur marron clair.

2.        Souvent, le traitement de ce type de signe exige l’examen de son caractère distinctif, condition fondamentale à son enregistrement. Cet examen a donné lieu à une jurisprudence concernant l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement sur la marque communautaire (4), suffisamment abondante pour statuer sur les prétentions de la partie requérante, laquelle a cependant étendu le débat à l’acquisition par l’usage de ce caractère distinctif.

3.        Le recours étend le litige à certains aspects de la procédure suivie devant les chambres de recours de l’OHMI, lesquels seront également abordés dans les présentes conclusions.

II – Le cadre juridique

4.        Les dispositions nécessaires pour statuer sur ce recours figurent dans le règlement nº 40/94.

5.        Conformément à l’article 4, peuvent faire l’objet d’un enregistrement communautaire les «signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises».

6.        Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, intitulé «Motifs absolus de refus», sont refusés à l’enregistrement:

«a)      les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4;

b)      les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

[...]»

7.        L’article 7, paragraphe 3, dispose que le «paragraphe 1, points b), c) et d) n’est pas applicable si la marque a acquis pour les produits ou services pour lesquels est demandé l’enregistrement un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait».

8.        Sous l’intitulé «Motivation des décisions», l’article 73 prescrit que «[l]es décisions de l’Office sont motivées. Elles ne peuvent être fondées que sur des motifs sur lesquels les parties ont pu prendre position».

9.        S’agissant de l’examen d’office des faits, l’article 74 indique que:

«1. Au cours de la procédure, l’Office procède à l’examen d’office des faits; toutefois, dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement, l’examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties.

[...]»

III – Les antécédents du recours

A –    Les faits du litige à l’origine de la procédure

10.      Le 30 mars 1998, August Stork KG a introduit une demande de marque communautaire auprès de l’OHMI consistant en une forme tridimensionnelle qui représente un caramel de couleur marron que nous reproduisons ci‑après:

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11.      L’enregistrement a été demandé pour des «confiseries» relevant de la classe 30 de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

12.      Au motif que le signe était dépourvu de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, l’examinateur a rejeté la demande par une décision du 25 janvier 2001 et, de surcroît, il a rejeté l’argument selon lequel le signe aurait acquis ce caractère après l’usage qui en a été fait.

13.      Le 14 février 2001, la requérante a introduit un recours contre cette décision devant l’OHMI en se fondant sur l’article 59 du règlement nº 40/94. Elle recherchait sa réformation partielle et la publication de la marque pour les «confiseries, à savoir les bonbons au caramel (toffees)».

14.      Le 14 octobre 2002, la quatrième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours au motif que l’objet tridimensionnel litigieux ne présentait pas de caractère distinctif et que l’article 7, paragraphe 3, du règlement nº 40/94 ne lui était pas applicable.

15.      La chambre de recours a considéré que la combinaison de forme et de couleur de la marque demandée ne fournissait intrinsèquement aucune indication sur l’origine du produit. De même, elle a considéré que les preuves apportées par la requérante ne démontraient pas qu’elle ait acquis, en raison de son usage répété, un caractère distinctif, en particulier à l’égard des «toffees».

16.      Une fois la procédure administrative close, August Storck KG a formé un recours en annulation par une requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mai 2003.

B –    L’arrêt attaqué

17.      À l’appui des ses prétentions, August Storck KG a invoqué deux moyens fondés, respectivement, sur la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), et de l’article 7, paragraphe 3, du règlement nº 40/94.

18.      Le Tribunal a examiné avant tout le caractère distinctif du signe au regard des produits et des services pour lesquels l’enregistrement avait été demandé et de la perception du public auquel ils s’adressent (5).

19.      Dans la première partie de cette analyse, le Tribunal a rappelé que le signe litigieux était constitué par son apparence, c’est-à-dire par la représentation d’un bonbon de forme ovale et de couleur marron clair, caractérisé par des bords bombés, un enfoncement circulaire au centre et une face intérieure plane. Il a également rappelé que les bonbons s’adressent à une clientèle potentiellement illimitée, de tout âge et qu’ils constituent un aliment destiné à tous (6).

20.      Par la suite, après avoir indiqué que, selon la jurisprudence, les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles fondées sur l’apparence du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques (7), le Tribunal a pris acte cependant de la nécessité de pondérer de façon nuancée la sensation que le public ressent devant les signes en trois dimensions, en général quelque peu confuse, par rapport aux signes verbaux et figuratifs, dans la mesure où il perçoit ces derniers immédiatement comme se référant au produit (8).

21.      Puis le Tribunal a apprécié l’impression d’ensemble (9) que cause la combinaison de la forme et de la couleur, afin de déterminer si elle laisse l’impression d’une indication d’origine et il a confirmé l’argumentation de la chambre de recours selon laquelle, en présence de produits de consommation largement répandus, le client n’attache pas beaucoup d’attention à l’aspect et à la pigmentation des confiseries et il est, dès lors, improbable que le choix du consommateur moyen soit conditionné par la forme du bonbon (10).

22.      Selon le Tribunal, la chambre de recours a établi qu’aucune des caractéristiques de forme de marque en cause, prise seule ou en combinaison avec les autres, ne possédait de caractère distinctif et que, de surcroît, le public pertinent était habitué à la couleur marron ou à ses différents tons pour ce type de confiserie (11).

23.      À la lumière de ces réflexions et du fait que la forme en question ne se différencie pas substantiellement de certaines formes de base habituellement utilisées dans le commerce, dont elle n’est qu’une variante, le Tribunal a conclu que l’acheteur ne distinguait pas de façon immédiate et certaine les bonbons de la requérante de ceux ayant une autre origine commerciale (12). Par conséquent, le Tribunal a souligné l’absence de caractère distinctif du signe demandé et il a rejeté le premier moyen du recours.

24.      Il a également rejeté le second moyen, fondé sur la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement nº 40/94, au motif qu’August Storck KG n’établissait pas que le signe avait acquis cette capacité d’identification par l’usage.

25.      En premier lieu, le Tribunal a récapitulé (13) les exigences jurisprudentielles conditionnant ce caractère et qui sont relatives à l’attribution d’une origine commerciale explicite (14), à la mention de la partie de l’Union européenne où elle est dépourvue de caractère distinctif  (15) et à la prise en compte de certains facteurs objectifs pour apprécier l’existence de cette qualité (16).

26.      En deuxième lieu, le Tribunal a réfuté les allégations d’August Storck KG relatives aux données sur les chiffres de vente et sur les frais publicitaires élevés engagés pour promouvoir le bonbon au caramel «Werther’s Original» («Werther’s Echte»), éléments qui ne prouvaient pas la force d’identification dérivée de l’usage. De surcroît, il a considéré que le matériel publicitaire produit par la requérante ne contenait aucun indice de l’usage de la marque telle qu’elle a été demandée, puisqu’il s’accompagnait de signes verbaux et figuratifs (17).

27.      En troisième lieu, le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel les sondages fournis par la requérante dans le cadre de la procédure démontreraient que la connaissance du bonbon commercialisé par August Storck KG, en tant que titre de propriété industrielle, serait fondée sur sa forme et non sur son appellation «Werther’s» (18).

IV – La procédure devant la Cour

28.      Le pourvoi d’August Storck KG a été déposé au greffe de la Cour le 26 janvier 2005. L’OHMI y a répondu le 18 avril 2005 et il n’est pas apparu nécessaire de présenter des mémoires en réplique et en duplique.

29.      L’audience, à laquelle ont assisté les représentants des deux parties, s’est tenue le 16 février 2006, conjointement avec celle de l’affaire C-25/05 P, dans laquelle les mêmes parties s’opposent.

V –    Analyse des moyens de cassation

30.      L’entreprise requérante fait valoir quatre motifs de cassation portant sur la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, celle de l’article 74, paragraphe 1, première phrase; celle de l’article 73 et celle de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement.

31.      L’OHMI ayant conclu à l’irrecevabilité de la seconde branche du premier moyen, ainsi qu’à celle du deuxième et du troisième moyen dans leur totalité, il convient d’analyser préalablement ces allégations.

A –    Examen de la recevabilité de certains moyens

1.      Sur l’irrecevabilité de la seconde branche du premier moyen de cassation

32.      Dans le pourvoi, August Storck KG intitule cette section «Appréciation du caractère distinctif» et il critique le Tribunal en ce qu’il n’a pas recherché si le signe litigieux possédait un caractère distinctif intrinsèque minimal. Il lui reproche d’avoir considéré le bonbon comme une forme géométrique de base et d’avoir approuvé la thèse de la chambre des recours selon laquelle le consommateur moyen ne prête pas beaucoup d’attention à la forme ou à la couleur des confiseries.

33.      Pour l’OHMI, toutes ces affirmations visent des appréciations portant sur des éléments non juridiques, dont l’appréciation échappe à la compétence de la Cour.

34.      En vertu de l’article 58 du statut de la Cour de justice, le pourvoi doit se limiter à des questions de droit et, partant, toute incursion dans le domaine de l’appréciation des faits est prohibée, à l’exception des cas dans lesquels il est reproché au Tribunal d’avoir commis une inexactitude matérielle ou une dénaturation des données et des preuves (19).

35.      Outre le fait que cet élément n’a pas été invoqué, l’évaluation des faits opérée par le Tribunal ne laisse entrevoir aucune erreur de ce type. Lorsqu’il analyse l’aspect du bonbon en cause, il ne fait que le décrire, et il considère qu’il relève d’une forme géométrique de base; lorsqu’il s’interroge sur la perception du public, il confirme la validité du raisonnement de la chambre de recours, en vertu de l’exercice légitime de sa faculté d’appréciation. Ainsi, aucune altération du sens d’une information donnée ou d’une preuve n’est caractérisée au sens de la jurisprudence Hilti/Commission (20).

36.      Par conséquent, la requérante demande à la Cour de modifier l’appréciation du Tribunal, ce qui n’est pas possible eu égard aux attributions conférées à l’une ou l’autre des juridictions (21). Par conséquent, il convient de refuser d’examiner cette branche du premier moyen de cassation.

2.      Sur l’irrecevabilité des deuxième et troisième moyens

37.      August Storck KG dénonce, d’une part, le fait que la chambre de recours n’a présenté aucune preuve établissant le caractère ordinaire de la forme du bonbon et a ainsi violé le principe de l’examen d’office contenu à l’article 74, paragraphe 1, première phrase, du règlement nº 40/94. D’autre part, dans le troisième moyen, elle conteste cette appréciation, au motif que le manque d’éléments qui la corroborent l’a empêchée de faire valoir ses observations et a violé l’article 73 dudit règlement ainsi que les droits de la défense. August Storck KG soutient que, en approuvant les appréciations de l’OHMI, le Tribunal a également violé les normes précitées.

38.      Cependant, les affirmations avancées maintenant dans le cadre du pourvoi n’ont pas été formulées devant le Tribunal et il convient donc de les déclarer irrecevables.

39.      En effet, en vertu de l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut pas modifier l’objet du litige tranché devant le tribunal.

40.      La jurisprudence a déjà déclaré que permettre à l’une des parties de soulever pour la première fois en cassation un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à étendre le domaine de la procédure et à ignorer ainsi le caractère limité de ce recours (22).

41.      Il convient de signaler que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a abordé les deux moyens expressément allégués par la requérante en première instance, à savoir la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), et de celle de l’article 7, paragraphe 3, du règlement nº 40/94 (23). De surcroît, il résulte du pourvoi que les affirmations relatives à la violation des articles 73 et 74 de ce règlement sont adressées à la chambre de recours de l’OHMI et ce n’est que de façon secondaire qu’elles le sont au Tribunal, en ce qu’il a confirmé les raisonnements de cette organisme.

42.      Ainsi, étant donné que la requérante a eu l’occasion de contester devant le Tribunal la démonstration faite par ladite chambre de recours, et qu’aucune raison ne justifie qu’elle en ait été empêchée, August Storck KG doit assumer les conséquences d’une telle omission.

43.      Par conséquent, les deuxième et troisième moyens semblent manifestement irrecevables, sans qu’il soit nécessaire de procéder à leur analyse sur le fond, pas même à titre subsidiaire.

44.      Cependant, je suis d’avis que les chambres de recours de l’OHMI devraient disposer d’une certaine marge pour invoquer des faits notoires dans le cadre de l’instruction des dossiers, ce qui les déchargerait de devoir apporter systématiquement la preuve de circonstances relevant du domaine public.

B –    Sur les autres moyens de cassation

1.      Sur la première partie du moyen, fondée sur la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94

45.      La requérante reproche au Tribunal d’avoir renforcé les exigences relatives au caractère distinctif du signe, en conditionnant celui-ci à l’existence de différences substantielles par rapport aux autres bonbons, alors qu’il résulte de l’article 7, paragraphe 1, sous b), qu’un caractère distinctif faible est suffisant pour enregistrer un signe communautaire.

46.      L’OHMI considère que cette critique se fonde sur une lecture partielle de l’arrêt, lequel, par ailleurs, est conforme à une jurisprudence constante en matière de marques tridimensionnelles.

47.      Il est certain que la teneur littérale de la norme litigieuse semble militer pour l’enregistrement de tout signe présentant un pouvoir d’individualisation minimal (24). Cependant, l’évolution jurisprudentielle postérieure relative aux marques en trois dimensions a clos ce débat et, par conséquent, il n’y a pas lieu d’approfondir la question de la délimitation entre le caractère distinctif minimal et son défaut absolu, problème qui continue de se poser pour les marques figuratives et verbales (25).

48.      Bien que les critères d’appréciation du caractère distinctif des signes constitués par la forme du produit ne soient pas différents de ceux applicables aux autres catégories de signes (26), il y a un certain consensus pour considérer que, en pratique, il est plus difficile d’établir ce caractère distinctif pour ce type de signe que pour une marque verbale ou figurative (27).

49.      De surcroît, la Cour a admis à plusieurs reprises que la perception du consommateur moyen, paramètre déterminant pour apprécier le caractère distinctif des signes dont l’enregistrement est demandé, n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle que pour celles d’une autre nature pour lesquelles les signes ne correspondent pas à l’aspect des produits désignés, dès lors que les clients n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se basant sur leur forme, en l’absence de tout élément graphique ou textuel (28).

50.      Or, aux points 35 à 44 de l’arrêt attaqué, le Tribunal confirme ce qui a été exposé aux points précédents des présentes conclusions et il le transpose au cas concret sans le dénaturer ni renforcer les conditions applicables aux marques tridimensionnelles. Par conséquent, le moyen invoqué par August Storck KG est dépourvu de fondement.

51.      Par conséquent, je propose à la Cour de rejeter la première branche du moyen au motif qu’elle est infondée.

2.      Sur le quatrième moyen de cassation, à savoir la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement nº 40/94

52.      Dans le quatrième moyen, la requérante conteste l’arrêt du Tribunal en ce que celui-ci a soumis la justification de l’usage qui donne son caractère distinctif aux signes tridimensionnels à des exigences de preuve plus strictes que pour les autres signes. Elle critique également le fait que cette décision se limite uniquement à la perception du bonbon par le public au moment de l’acheter, alors que d’autres moments devraient être pris en compte, en particulier, celui de la diffusion par des publicités et celui de sa déglutition.

53.      Avant tout, la contestation par la requérante de l’appréciation des faits et des preuves contenues dans l’arrêt attaqué (29) doit être rejetée, au motif que la compétence de la Cour en matière de cassation se limite aux questions juridiques, comme je l’ai déjà indiqué. Par conséquent, il convient de ne pas censurer le Tribunal s’agissant des données portant sur les chiffres de vente, les frais publicitaires élevés et les sondages fournis par la requérante, dès lors que leur dénaturation n’a pas été invoquée. La même réflexion peut être retenue quant aux affirmations relatives à l’impression de la marque sur les emballages.

54.      Une fois les moyens du recours ainsi circonscrits au domaine strictement juridique, il convient de s’intéresser à l’analyse des deux allégations fondamentales exposées par August Storck KG.

55.      La première dénonce une prétendue erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en refusant que soit établi, par le biais de deux preuves précédemment abordées au point 53 des présentes conclusions, le caractère distinctif acquis par l’usage de la forme de la confiserie au motif que la documentation faisant sa publicité n’a jamais présenté de façon isolée cette forme en tant que marque, mais l’a accompagnée d’autres éléments, en particulier du signe verbal «Werther». En ne reconnaissant pas l’acquisition du caractère distinctif, le Tribunal se voit reprocher par la requérante d’avoir refusé par principe cette possibilité aux marques tridimensionnelles lorsqu’elles apparaissent juxtaposées à d’autres signes traditionnels.

56.      L’interprétation de l’arrêt attaqué que propose la requérante paraît, pour le moins, singulière, dès lors que ladite décision n’interdit nullement l’enregistrement des objets tridimensionnels lorsqu’ils sont employés conjointement avec d’autres signes sur le marché.

57.      Une affirmation de cette nature serait contraire à la jurisprudence récente de la Cour qui, dans l’affaire Nestlé, a déclaré, dans le cadre de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 89/104/CEE (30), que l’acquisition du caractère distinctif n’implique pas nécessairement l’usage de la marque de façon indépendante, mais peut résulter également de l’utilisation d’un élément correspondant à une partie d’une marque enregistrée, ou de l’usage d’un autre signe en combinaison avec une marque enregistrée (31).

58.      Cependant, aux points 63 et 64 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, n’a apprécié que les preuves présentées dans le cas présent et n’a pas eu l’intention de dégager une règle générale. Par ailleurs, il n’incombe pas à la Cour d’apprécier la pertinence ou l’exactitude de ces appréciations de fait, comme je l’ai déjà expliqué. Par conséquent, cette idée ne saurait être retenue.

59.      De surcroît, la critique portant sur le moment décisif dans lequel le consommateur est confronté à la marque, afin d’examiner son caractère distinctif acquis par l’usage, fait l’objet d’une réponse dans le propre arrêt Nestlé, dans lequel le Tribunal considère qu’il suffit que, en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent le produit ou le service, désigné par la seule marque dont l’enregistrement est demandé, comme provenant d’une entreprise déterminée (32).

60.      Indépendamment du fait que cette discussion m’apparaît plus pertinente dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Ruiz-Picasso e.a./OHMI, la Cour a approuvé la thèse du Tribunal relative au risque de confusion, selon laquelle le public pertinent perçoit également les produits et les marques y afférentes dans des circonstances étrangères à tout acte d’achat, même s’ils font preuve, à cette occasion, d’un intérêt moindre, ce qui ne s’oppose pas à la prise en compte du degré particulièrement élevé d’attention déployé par le consommateur moyen lorsqu’il prépare et exerce son choix entre différents produits d’une même catégorie (33).

61.      Dans un marché sans distorsion de concurrence, auquel aspire le législateur communautaire, comme l’indique le premier considérant du règlement nº 40/94, il est évident que la protection des titulaires de ce type de droits de propriété industrielle se focalise à l’instant culminant de la décision du consommateur, à savoir l’achat du produit ou la conclusion du contrat de service, la publicité préalable constituant une mesure pour l’inciter à privilégier une acquisition donnée, de sorte qu’il est difficilement concevable qu’elle soit prise en considération sur un pied d’égalité avec l’acte d’achat du produit.

62.      L’exigence de la requérante visant à analyser également, dans le cadre du caractère distinctif, la portée de la dégustation de la confiserie est encore moins compréhensible, dès lors que, pour une marque tridimensionnelle comme celle en cause, composée par le produit lui-même, le goût résultant de la qualité de son élaboration se confondrait avec la déglutition du signe, mais j’ai le sentiment que ce n’est pas la délicatesse de cette dernière action qui est vantée mais celle du bonbon; laquelle exalte, par la suite, l’excellence de la marque. La Cour a exprimé cette idée de façon générale dans l’affaire Mag Instrument/OHMI, lorsqu’elle déclare que plus la forme dont l’enregistrement est demandé se rapproche de celle du produit, plus il est vraisemblable qu’elle est dépourvue de caractère distinctif (34).

63.      Par conséquent, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas commis d’erreur en appréciant la situation du client qui achète le bonbon pour déterminer l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.

64.      Dans la mesure où il n’y a pas lieu de faire droit à la seconde branche, le quatrième moyen doit être rejeté en ce qu’il est infondé.

65.      À la lumière du résultat de l’examen des moyens de cassation, en partie manifestement irrecevables et en partie infondés, le Tribunal ne peut que rejeter le pourvoi dans son ensemble.

VI – Dépens

66.      En application des dispositions de l’article 122, lues en combinaison avec l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable au pourvoi en vertu de l’article 118, la partie qui succombe doit supporter les dépens. Si, comme je le suggère, les moyens invoqués par la requérante sont rejetés, elle devra prendre en charge les frais occasionnés par cette procédure.

VII – Conclusion

67.      Eu égard à ce qui a été exposé, je suggère à la Cour de rejeter le pourvoi formé par August Storck KG contre l’arrêt rendu par le Tribunal le 10 novembre 2004, dans l’affaire Storck/OHMI (forme d’un bonbon) (T-396/02), au motif qu’il est en partie manifestement irrecevable et en partie infondé et de condamner la requérante au paiement des dépens.


1 – Langue originale: l’espagnol.


2 – Arrêt Storck/OHMI (forme d’un bonbon) (T-396/02, Rec. p. II‑3821, ci‑après l’«arrêt attaqué»).


3 – Décision du 14 octobre 2002 (affaire R 187/2001-4).


4 – Règlement (CE) nº 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993 (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) nº 3288/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, en vue de mettre en œuvre les accords conclus dans le cadre du cycle d’Uruguay (JO L 349, p. 83), et par le règlement (CE) nº 422/2004 du Conseil, du 19 février 2004 (JO L 70, p. 1).


5 – Points 30 à 32 de l’arrêt attaqué, lesquels suivent la méthodologie définie dans les arrêts du 8 avril 2003, Linde e.a. (C‑53/01 à C‑55/01, Rec. p. I‑3161, point 41); du 12 février 2004, Koninklijke KPN Nederland (C‑363/99, Rec. p. I‑1619, point 34), et Henkel (C‑218/01, Rec. p. I‑1725, point 50).


6 – Points 33 et 34 de l’arrêt attaqué.


7 – Arrêts du 18 juin 2002, Philips (C-299/99, Rec. p. I-5475, point 48), et Linde e.a., précité, points 42 et 46.


8 – Points 35 et 36 de l’arrêt attaqué.


9 – Au sens des arrêts du 11 novembre 1997, SABEL (C-251/95, Rec. p. I‑6191, point 23), et du 29 avril 2004, Henkel/OHMI (C‑456/01 P et C‑457/01 P, Rec. p. I‑5089, point 49).


10 – Points 38 et 39 de l’arrêt attaqué.


11 – Idem, points 40 et 41.


12 – Idem, points 44 et 45.


13 – Idem, points 56 à 58.


14 – Arrêts du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, (C-108/97 et C‑109/97, Rec. p. I‑2779, point 52), et Philips, précité, points 61 et 62.


15 – En application des arrêts du Tribunal du 30 mars 2000, Ford Motor/OHMI (OPTIONS) (T-91/99, Rec. p. II-1925, point 27), et du 29 avril 2004, Eurocermex/OHMI (forme d’une bouteille de bière) (T-399/02, Rec. p. II‑1391, points 43 à 47).


16 – Tels que la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de ce signe, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce au signe, ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles, conformément aux arrêts précités Windsurfing Chiemsee, points 51 et 52, et Philips, points 60 et 61.


17 – Points 61 et 64 de l’arrêt attaqué.


18 – Idem, point 66.


19 – Arrêt du 19 septembre 2002, DKV/OHMI (C‑104/00 P, Rec. p. I‑7561, point 22). Sur la portée du contrôle de cassation, voir également mes conclusions dans cette affaire, points 58 à 60.


20 – Arrêt du 2 mars 1994 (C‑53/92 P, Rec. p. I‑667, point 42).


21 – Arrêt DKV/OHMI , précité, point 22.


22 – Arrêt du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (C‑136/92 P, Rec. p. I‑1981, points 57 à 59).


23 – Points 25 et suiv. de l’arrêt attaqué.


24 – En doctrine, voir Von Mühlendahl, A., et Ohlgart, D. C., Die Gemeinschaftsmarke, Verlag C. H. Beck/Verlag Stämpfli + Cie AG, Bern/Munich, 1998, p. 28.


25 – Au point 20 de l’arrêt DKV/OHMI, précité, la Cour a éludé la controverse, libérant ainsi le Tribunal de toute obligation d’engager l’examen d’une limite aussi délicate à établir, en dépit des explications exposées aux points 44 à 57 des conclusions que j’avais lues dans cette affaire.


26 – Arrêts précités Philips, point 48, et Linde e.a., point 42.


27 – Arrêt Linde e.a., point 48, et point 31 des conclusions que j’ai lues dans cette affaire.


28 – Arrêts Henkel/OHMI, précité, point 52, s’agissant des emballages, et du 6 mai 2003, Libertel (C-104/01, Rec. p. I-3793, point 65), pour ce qui a trait à une couleur.


29 – C’est-à-dire points 61 et suiv.


30 – Première directive du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1). La disposition correspond à l’article 7, paragraphe 3, du règlement nº 40/94.


31 – Arrêt du 7 juillet 2005, Nestlé (C-353/03, Rec. p. I‑6135, points 27 et 30, première phrase).


32 – Point 30, deuxième phrase.


33 – Arrêt du 12 janvier 2006 (C-361/04 P, non encore publié au Recueil, point 41).


34 – Arrêt du 7 octobre 2004 (C-136/02 P, Rec. p. I‑9165, point 31).