Language of document : ECLI:EU:C:2021:322

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 22 avril 2021 (1)

Affaire C30/20

RH

contre

AB Volvo,

Volvo Group Trucks Central Europe GmbH,

Volvo Lastvagnar AB,

Volvo Group España SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil no 2 de Madrid (tribunal de commerce no 2 de Madrid, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétences spéciales – Article 7, point 2 – Compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle – Lieu où le fait dommageable s’est produit – Lieu de la matérialisation du dommage – Demande en réparation du préjudice causé par une entente déclarée contraire à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen – Désignation directe de la juridiction compétente – Lieu de l’acquisition des biens – Lieu du siège social – Faculté pour les États membres d’instaurer une concentration des compétences »






I.      Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle du Juzgado de lo Mercantil no 2 de Madrid (tribunal de commerce no 2 de Madrid, Espagne) porte sur l’interprétation de l’article 7, point 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2).

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une action engagée par RH, établie à Cordoue (Espagne), en réparation du préjudice que lui aurait causé une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (3), contre quatre sociétés du groupe Volvo dont les sièges, pour trois d’entre elles, sont situés dans d’autres États membres que le Royaume d’Espagne.

3.        La Cour est saisie afin qu’elle précise si l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 désigne directement la juridiction compétente, sans renvoyer aux règles internes des États membres.

4.        Si la réponse à cette question paraît pouvoir être déduite de certaines décisions de la Cour et, plus spécialement, des plus récentes en matière délictuelle ou quasi délictuelle, il apparaît, notamment au regard des doutes exprimés par la juridiction de renvoi, qu’elle devrait être complétée sur trois autres points étroitement liés.

5.        En effet, les objectifs de sécurité juridique et d’efficacité du contentieux complexe de la réparation des dommages causés par des pratiques anticoncurrentielles justifient que soient apportées des précisions utiles aux juridictions nationales quant à la désignation de la juridiction territorialement compétente et à la coexistence de plusieurs points de rattachement retenus dans les décisions de la Cour. La question de la liberté des États membres de concentrer le traitement de ce contentieux devant des juridictions spécialisées, soulevée par certains d’entre eux dans leurs observations écrites, devra également être examinée à cette occasion.

6.        Je vais ainsi exposer les raisons qui me conduisent à considérer, pour l’essentiel :

–        que l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 détermine tant la compétence internationale que la compétence interne de la juridiction saisie ;

–        que, dans les circonstances de l’affaire au principal, la juridiction territorialement compétente est celle dans le ressort de laquelle se trouve le lieu de l’acquisition des biens en cause, et

–        que les États membres ont la faculté, dans le cadre de leur organisation juridictionnelle, de choisir de concentrer le traitement des litiges en matière de pratiques anticoncurrentielles devant certaines juridictions spécialisées, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

II.    Le règlement no 1215/2012

7.        Les considérants 15, 16 et 34 du règlement no 1215/2012 sont libellés comme suit :

« (15)      Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.

(16)      Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation.

[...]

(34)      Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (4), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (5)], le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (6),] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de [cette] convention [...] et des règlements qui la remplacent. »

8.        Au sein du chapitre I du règlement no 1215/2012, intitulé « Portée et définitions », l’article 1er, paragraphe 1, prévoit :

« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction [...] »

9.        Le chapitre II de ce règlement, intitulé « Compétence », contient au sein de la section 1, relative aux « [d]ispositions générales », les articles 4 à 6.

10.      L’article 4, paragraphe 1, dudit règlement dispose :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

11.      Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 :

« Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre. »

12.      La section 2 dudit chapitre, intitulée « Compétences spéciales », comprend les articles 7 à 9.

13.      L’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, est libellé comme suit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

[...]

2)      en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. »

14.      L’article 26 dudit règlement, qui figure au sein du chapitre II, section 7, intitulée « Prorogation de compétence », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 24. »

III. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

15.      Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, RH, établie à Cordoue, a acquis pour son activité de transport routier, entre l’année 2004 et l’année 2009, cinq camions auprès d’un concessionnaire de Volvo Group España SA. La propriété de l’un des camions a été transférée à RH en 2008, après avoir fait l’objet d’un contrat de crédit‑bail.

16.      Le 19 juillet 2016, la Commission européenne a adopté la décision relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire AT.39824 – Camions) [C(2016) 4673 final], dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 6 avril 2017 (7).

17.      Par cette décision, la Commission a déclaré l’existence d’une entente entre quinze constructeurs de camions, dont AB Volvo, Volvo Lastvagnar AB et Volvo Group Trucks Central Europe GmbH entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011, en ce qui concerne deux catégories de produits, à savoir les camions pesant entre 6 et 16 tonnes (utilitaires moyens) et les camions pesant plus de 16 tonnes (poids lourds), qu’il s’agisse de porteurs ou de tracteurs.

18.      Aux termes de ladite décision (8), « [l]’infraction a consisté à conclure des arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions dans l’[Espace économique européen (EEE)]. Elle concernait également le calendrier et la répercussion des coûts afférents à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les utilitaires moyens et les poids lourds imposées par les normes Euro 3 à 6. Jusqu’en 2004, les discussions sur les prix, leur augmentation et l’introduction des nouvelles normes d’émissions avaient lieu directement aux sièges des destinataires. Au moins à partir d’août 2002, des discussions se sont tenues par l’intermédiaire de filiales allemandes, qui faisaient rapport à leur siège à des degrés divers. Les échanges avaient lieu tant au niveau multilatéral qu’au niveau bilatéral. Ces arrangements collusoires comprenaient des accords et/ou des pratiques concertées concernant, d’une part, la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts afin d’aligner les prix bruts pratiqués dans l’EEE et, d’autre part, le calendrier et la répercussion des coûts afférents à l’introduction des technologies en matière d’émissions imposées par les normes Euro 3 à 6. L’infraction s’étendait à l’ensemble de l’EEE et a duré du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011. »

19.      Par conséquent, la Commission a infligé des amendes à toutes les entités participantes, y compris à Volvo, Volvo Lastvagnar et Volvo Group Trucks Central Europe, à l’exception d’une entité ayant bénéficié d’une immunité (9).

20.      RH a assigné Volvo, Volvo Lastvagnar et Volvo Group Trucks Central Europe, ainsi que la filiale espagnole de ces sociétés mères, Volvo Group España (ci-après les « sociétés Volvo »).

21.      Celles-ci ont contesté uniquement la compétence internationale (10) de la juridiction de renvoi. Elles ont invoqué l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 et la jurisprudence de la Cour dont il résulterait que le critère de compétence qui y est énoncé, à savoir le « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire », est une notion du droit de l’Union et qu’il s’agit du lieu de l’événement causal, en l’occurrence, le lieu où l’entente sur les camions a été conclue. Celui-ci ne pourrait être assimilé au lieu du domicile de la requérante et se situerait hors d’Espagne, dans d’autres États membres.

22.      La juridiction de renvoi relève que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la compétence internationale d’une juridiction espagnole pourrait être justifiée eu égard au lieu où le dommage s’est produit. Elle rappelle que ce lieu serait celui du lieu du siège social de la personne lésée, selon l’arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (11). Elle ajoute que, dans l’arrêt du 29 juillet 2019, Tibor-Trans (12), qui portait sur un recours dirigé en Hongrie contre un autre membre de la même entente et ayant un objet identique à celui formé par RH, la Cour a décidé que, « lorsque le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel se trouve dans l’État membre sur le territoire duquel le dommage allégué est prétendument survenu, il y a lieu de considérer que le lieu de la matérialisation du dommage, aux fins de l’application de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, se trouve dans cet État membre » (13).

23.      La juridiction de renvoi exprime des doutes sur la question de savoir si cette jurisprudence fait référence à la compétence internationale des juridictions de l’État membre dans lequel le dommage est survenu ou si elle établit aussi directement la compétence territoriale interne au sein de cet État membre.

24.      Elle précise que, selon la jurisprudence constante du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) (14), la règle fixée à l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 ne régit pas la compétence territoriale interne. Dès lors, en l’absence de règle nationale spécifique pour déterminer la compétence territoriale d’une juridiction en matière d’actions en droit privé de la concurrence, les règles de compétence adéquates sont celles qui sont applicables en matière de concurrence déloyale, prévues à l’article 52, paragraphe 1, point 12, de la loi de procédure civile 1/2000. Par conséquent, le juge compétent est celui du lieu où le dommage s’est produit, à savoir celui de l’acquisition du véhicule ou de la souscription du contrat de crédit-bail.

25.      La juridiction de renvoi estime que l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 pourrait être interprété dans le même sens que celui retenu par la Cour dans sa jurisprudence relative à la compétence juridictionnelle en matière contractuelle. Dans les arrêts du 3 mai 2007, Color Drack (15), et du 9 juillet 2009, Rehder (16), la Cour aurait décidé que l’article 5, point 1, sous b), du règlement no 44/2001 désigne directement le for compétent sans renvoyer aux règles internes des États membres. Si tel est le cas, le for compétent serait celui du siège social de la victime de l’entente.

26.      Dans ces conditions, le Juzgado de lo Mercantil no 2 de Madrid (tribunal de commerce no 2 de Madrid) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 7, point 2, du règlement [no 1215/2012], en ce qu’il prévoit qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre “en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire”, doit-il être interprété en ce qu’il établit uniquement la compétence internationale des juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le lieu en question, de sorte que, pour déterminer la juridiction nationale territorialement compétente au sein de cet État, il est renvoyé aux dispositions procédurales internes, ou doit-il être interprété en tant que règle mixte qui, par conséquent, détermine directement aussi bien la compétence internationale que la compétence territoriale nationale, sans qu’il soit nécessaire de renvoyer à la réglementation interne ? »

27.      Des observations écrites ont été soumises à la Cour par les sociétés Volvo, par les gouvernements espagnol, français et néerlandais ainsi que par la Commission.

28.      L’audience de plaidoiries, dont la tenue avait été initialement fixée au 17 décembre 2020, a été annulée en raison de la crise sanitaire et la question qui avait été posée pour réponse orale a été transformée en question pour réponse écrite et complétée par d’autres questions. Les sociétés Volvo ainsi que le gouvernement espagnol et la Commission ont répondu à ces questions dans les délais impartis.

IV.    Analyse

A.      Sur la recevabilité

29.      Les sociétés Volvo ont conclu à l’irrecevabilité de la demande au motif que la réponse à la question posée par la juridiction de renvoi serait claire.

30.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre celle-ci et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, premièrement, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Deuxièmement, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence, à moins qu’elles ne présentent pas de lien avec le litige au principal (17).

31.      En l’occurrence, la juridiction de renvoi a exposé précisément les motifs du doute qu’elle nourrit quant à sa compétence territoriale, qui a justifié sa demande de décision préjudicielle. Ils sont tirés de l’absence de décision expresse de la Cour en matière délictuelle ou quasi délictuelle quant à la portée de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, et de la jurisprudence constante du Tribunal Supremo (Cour suprême), selon laquelle cette disposition n’exclurait pas l’application des règles de compétence internes.

32.      Dans ces conditions, la question posée par la juridiction de renvoi est, selon moi, recevable.

B.      Sur le fond

33.      Par sa question, la juridiction de renvoi demande si l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il détermine, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, non seulement la compétence internationale des juridictions de l’État membre dans lequel se situe le critère de rattachement prévu par cette disposition, mais également la compétence territoriale des juridictions de cet État.

1.      Observations liminaires

34.      Au soutien de sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a rappelé, à juste titre, que, dans un cadre factuel identique à celui de l’affaire au principal, à savoir le cartel des camions, la Cour s’est prononcée dans l’arrêt Tibor-Trans sur la question de la compétence de la juridiction saisie d’une action en réparation d’un préjudice causé par l’infraction au droit de la concurrence. De même, elle a relevé que la réponse de la Cour, dans cet arrêt, ne porte pas expressément sur le caractère « mixte » de la règle de compétence prévue à l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, à la différence des décisions rendues en matière contractuelle, à savoir les arrêts du 3 mai 2007, Color Drack (18), et du 9 juillet 2009, Rehder (19).

35.      J’observe, d’une part, que cette question inédite n’est pas isolée (20). Il semblerait donc qu’une interprétation plus précise des dispositions du règlement no 1215/2012 soit attendue par les juridictions nationales. D’autre part, il convient, à mon sens, d’envisager de répondre à la juridiction de renvoi à la lumière des arrêts Verein für Konsumenteninformation et du 24 novembre 2020, Wikingerhof (21), qui ont été rendus après la saisine de la Cour.

36.      C’est pourquoi mon analyse sera consacrée, d’abord, à la question posée relative à la portée de la règle de compétence prévue à l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012. Ensuite, j’exposerai des considérations visant à préciser les critères de détermination de la juridiction territorialement compétente. Enfin, j’examinerai la suggestion du gouvernement français et de la Commission relative à la faculté des États membres de choisir une organisation matérielle des juridictions concentrant le traitement de certains contentieux auprès de juridictions spécialisées.

37.      Pour les besoins de l’examen de l’ensemble de ces points, je rappelle que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, dans la mesure où le règlement no 1215/2012 abroge et remplace le règlement no 44/2001, qui a lui-même remplacé la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces derniers instruments juridiques vaut également pour le règlement no 1215/2012 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » (22). Tel est le cas de l’article 5, point 3, de cette convention et du règlement no 44/2001, d’une part, et de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, d’autre part (23).

2.      Sur la détermination de la compétence judiciaire tant internationale quinterne

38.      Je suis d’avis que le doute exprimé par la juridiction de renvoi quant à l’objet de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 peut être aisément dissipé depuis que l’arrêt Wikingerhof a été rendu. La Cour a retenu que « le juge compétent au titre de l’article 7, point 2, [de ce règlement], à savoir [...] celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué, est le plus apte à statuer » (24).

39.      Par conséquent, j’estime, à l’instar de l’ensemble des parties et intéressés ayant déposé des observations écrites auprès de la Cour et des avocats généraux qui se sont exprimés incidemment sur cette question à l’occasion d’affaires précédentes (25), qu’il peut être expressément précisé que l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 a pour objet de régir la compétence des juridictions non seulement entre les États membres, mais également au niveau interne, les autres questions procédurales restant régies par le droit de l’État membre dans lequel siège la juridiction saisie (26).

40.      Ainsi, il pourrait suffire de relever, d’une part, comme dans l’arrêt du 9 juillet 2009, Rehder (27), rendu en matière contractuelle, s’agissant des dispositions du règlement no 44/2001, que les considérations de même nature que celles sur lesquelles la Cour s’est fondée pour parvenir à l’interprétation formulée dans l’arrêt du 3 mai 2007, Color Drack (28), sont valables en ce qui concerne les règles de compétence spéciale équivalentes dans le règlement no 1215/2012 en raison de leur genèse, de leur finalité et de leur place dans le système établi par ce règlement. D’autre part, ces motifs ont conduit la Cour à interpréter les règles de compétence en matière d’obligations alimentaires dans le même sens.

41.      Cependant, afin de favoriser la compréhension de l’articulation des dispositions du règlement no 1215/2012 dans leur ensemble, il me paraît opportun de détailler les éléments utiles à l’interprétation de l’article 7, point 2, de ce règlement en considération non seulement de son libellé, mais également du système qu’il établit et des objectifs qu’il poursuit (29).

42.      Premièrement, s’agissant du libellé de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, des enseignements doivent être tirés de sa comparaison avec celui de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. Dans cet article sont visées « les juridictions » de l’État membre sur le territoire duquel sont domiciliées les personnes attraites. Cette expression générale détermine la compétence des juridictions d’un État membre, prises dans leur ensemble (30). La désignation de la juridiction territorialement compétente est alors régie par des règles nationales.

43.      En revanche, à l’article 7 du règlement no 1215/2012, à l’exception du point 6, l’expression « devant la juridiction du lieu » (31) ou « devant la juridiction » a été retenue par le législateur de l’Union dès lors qu’il s’agit d’une option ouverte au demandeur, en considération d’un lieu concret, par exception à la règle de compétence générale (32), selon l’objet de la demande. Ainsi, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, à l’article 7, point 2, de ce règlement, le critère énoncé est celui « du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». De même, en vertu de l’article 7, point 1, sous a), dudit règlement, le défendeur peut être attrait « devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ».

44.      Deuxièmement, le caractère dérogatoire du système institué par le règlement no 1215/2012, qui permet au demandeur de se prévaloir de l’une des règles de compétence spéciale prévues par ce règlement, doit être relevé (33) en ce qu’il est réservé à certaines matières ou destiné à protéger une partie faible.

45.      Troisièmement, il convient de souligner que la formulation de ces règles de compétence spéciale est justifiée, ainsi qu’il est précisé au considérant 16 du règlement no 1215/2012, par l’objectif du législateur d’autoriser le choix d’un tribunal d’un État membre en fonction du lieu auquel le litige se rattache particulièrement et par souci de faciliter la bonne administration de la justice (34). Ces principes ont constamment guidé la Cour dans l’interprétation des règles de compétence spéciale en vue de reconnaître les points de rattachement adéquats afin d’unifier les règles de conflits de juridictions (35) et de désigner la juridiction la plus apte à statuer.

46.      Cette analyse est corroborée par le rapport de M. P. Jenard relatif à la convention de Bruxelles (36) dont l’analyse est confirmée dans le rapport de M. P. Schlosser sur la convention relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention de Bruxelles, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (37).

47.      Dans ces conditions et ainsi qu’il pouvait déjà être déduit de la motivation de précédents arrêts de la Cour tant en matière contractuelle (38) qu’en matière d’obligations alimentaires (39), il ne fait pas de doute que l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 désigne directement le for compétent (40), au regard des objectifs poursuivis par celui-ci.

48.      Une telle réponse, dès lors qu’elle impose à une juridiction d’un État membre saisie sur le fondement de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 de ne pas appliquer les règles internes de compétence territoriale, devrait, à mon sens, spécialement en raison de l’évolution de la jurisprudence de la Cour en matière de compétence en cas de violation du droit de la concurrence, être utilement complétée par des précisions sur le lieu de la matérialisation du dommage allégué (41) ainsi que sur la désignation concrète de la juridiction spécialement compétente.

3.      Sur la détermination du lieu de la matérialisation du dommage allégué et la désignation de la juridiction compétente

49.      Dans la motivation de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi s’est référée aux arrêts CDC Hydrogen Peroxide (42) et Tibor-Trans, relatifs à la détermination de la juridiction compétente pour statuer sur des actions en réparation de préjudices causés par des ententes sanctionnées par la Commission (43), sans opérer de distinction entre eux, alors que deux différentes localisations du dommage ont été retenues par la Cour et que les circonstances factuelles de l’affaire au principal imposaient un rapprochement avec le second arrêt.

50.      Par conséquent, à mon sens, est ainsi offerte à la Cour l’occasion d’apporter toutes les clarifications utiles pour les juridictions nationales sur la portée de l’arrêt Tibor-Trans, à la lumière des arrêts Verein für Konsumenteninformation et Wikingerhof rendus par la Cour après la demande de décision préjudicielle. La Cour devrait également préciser si plusieurs critères de compétence sont susceptibles d’être retenus afin d’atteindre l’objectif qui en justifie l’existence, à savoir privilégier le lien de proximité avec le litige.

a)      Larrêt Tibor-Trans

51.      Quand bien même l’arrêt Tibor-Trans a été rendu dans un contexte quasi identique à celui du litige au principal, son analyse mérite d’être détaillée à plusieurs égards.

52.      Premièrement, comme dans l’affaire au principal, dans celle qui a donné lieu à l’arrêt Tibor-Trans, la juridiction de renvoi avait été saisie d’une action visant à obtenir réparation de dommages, qui consistaient en des surcoûts payés en raison des prix artificiellement élevés appliqués à des camions, causés par les mêmes pratiques anticoncurrentielles.

53.      Si, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Tibor-Trans, la société requérante avait choisi de diriger son action contre un seul des participants de l’entente en cause auprès duquel elle ne s’était pas approvisionnée (44), en l’espèce, RH a assigné, parmi d’autres sociétés responsables de l’entente en cause, plusieurs d’entre elles établies hors d’Espagne auprès desquelles les camions, fabriqués par celles-ci, n’avaient pas été directement achetés. En outre, RH a assigné la filiale espagnole de ces sociétés (45) dont dépend le concessionnaire automobile espagnol auprès duquel RH s’est approvisionnée, ainsi qu’il peut en être déduit des pièces du dossier (46).

54.      Deuxièmement, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Tibor-Trans, la juridiction de renvoi doutait de l’application par analogie de l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide, dans lequel la Cour avait identifié comme juridiction compétente celle du siège social de la société requérante, en raison de l’absence de lien contractuel direct entre les parties et de l’obligation de ne pas retenir une règle de compétence favorisant le forum actoris (47).

55.      La Cour a dit pour droit que « l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une action en réparation d’un préjudice causé par une infraction au titre de l’article 101 TFUE, consistant notamment en des arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions, le “lieu où le fait dommageable s’est produit” vise, dans une situation telle que celle en cause au principal, le lieu du marché affecté par cette infraction, à savoir le lieu où les prix du marché ont été faussés, au sein duquel la victime prétend avoir subi ce préjudice, même si l’action est dirigée contre un participant à l’entente en cause avec lequel cette victime n’avait pas établi de relations contractuelles » (48).

56.      S’agissant de la détermination du dommage, la Cour a relevé que « le dommage allégué dans l’affaire au principal résulte pour l’essentiel des surcoût[s] payés en raison des prix artificiellement élevés et, de ce fait, apparaît comme étant la conséquence immédiate de l’infraction au titre de l’article 101 TFUE et constitue donc un dommage direct permettant de fonder, en principe, la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel il s’est matérialisé » (49).

57.      S’agissant de la localisation du dommage directement subi, la Cour a décidé que, « lorsque le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel se trouve dans l’État membre sur le territoire duquel le dommage allégué est prétendument survenu, il y a lieu de considérer que le lieu de la matérialisation du dommage, aux fins de l’application de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, se trouve dans cet État membre » (50).

58.      À l’appui de cette décision, la Cour a cité le point 40 de l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines. Par conséquent, je relève, d’une part, que, dans une affaire d’entente sur les prix de même nature et sanctionnée dans les mêmes conditions que celle qui servait de base à l’action en dommages et intérêts dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide (51), la Cour a étendu la solution qu’elle avait retenue dans une affaire dans laquelle un abus de position dominante avait été constaté par un conseil de la concurrence national et un accord anticoncurrentiel était allégué (52). D’autre part, cette solution est fondée sur la concordance de deux éléments, à savoir le lieu du marché affecté et celui où le dommage allégué est prétendument survenu (53).

59.      Plus généralement, dans l’arrêt Tibor-Trans, les nombreuses autres références à l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines traduisent l’évolution de la jurisprudence de la Cour en vue d’harmoniser les points de rattachement au lieu du dommage directement subi, qu’il s’agisse de surcoûts supportés lors d’achats (54) ou de perte de ventes (55), et sans opérer de distinction selon que les comportements anticoncurrentiels ont fait l’objet d’un constat par une décision préalable d’une autorité ou non (56).

60.      Ce courant jurisprudentiel en faveur de la référence au marché affecté par des pratiques anticoncurrentielles dont il est demandé réparation devant une juridiction a été très récemment confirmé dans l’arrêt Wikingerhof, d ans lequel la Cour a dit pour droit que relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, une action visant à faire cesser certains agissements mis en œuvre dans le cadre de la relation contractuelle liant le demandeur au défendeur et fondée sur une allégation dabus de position dominante commis par ce dernier, en violation du droit de la concurrence (57).

61.      La Cour a considéré que, dans les circonstances de l’affaire en cause au principal, « le juge compétent au titre de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, à savoir [...] celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué, est le plus apte à statuer sur la question principale du bien-fondé de cette allégation, et cela notamment en termes de collecte et dévaluation des éléments de preuve pertinents à cet égard » (58).

62.      J e note, d’une part, que, dans l’arrêt Wikingerhof, la Cour a attaché une importance particulière à cette précision sur la localisation du fait dommageable qui s’est produit ou risque de se produire dès lors qu’elle était interrogée sur l’applicabilité de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 selon la qualification des prétentions du demandeur (59) et non sur la détermination dun des critères de compétence tirés de cet article (60).

63.      D’autre part, des enseignements me paraissent devoir être tirés des renvois, au point 37 de l’arrêt Wikingerhof, aux arrêts Tibor-Trans et Verein für Konsumenteninformation afin de justifier, par analogie, la décision de la Cour quant à la compétence juridictionnelle.

b)      La justification du choix du lieu du marché affecté aux fins de localisation du dommage

64.      Au point 34 de l’arrêt Tibor-Trans, auquel l’arrêt Wikingerhof renvoie (61), qui doit être lu en combinaison avec les points 33 et 35 de ce premier arrêt, la Cour a considéré que le choix du lieu où se situe le marché affecté au sein duquel la victime prétend avoir subi un préjudice résulte de la nécessité de rechercher la juridiction la mieux placée pour examiner les actions en dommages et intérêts en lien avec un acte restreignant la concurrence, de s’assurer de la prévisibilité d’une telle règle pour l’opérateur économique en cause et de satisfaire aux exigences de cohérence avec la loi applicable à de tels recours indemnitaires (62).

65.      Au point 38 de l’arrêt Verein für Konsumenteninformation, auquel l’arrêt Wikingerhof renvoie également (63), la Cour a justifié l’interprétation qui l’a conduite à retenir comme lieu de la matérialisation du dommage celui où le véhicule en cause a été acquis (64) comme étant « également conforme aux objectifs de proximité et de bonne administration de la justice, visés par le considérant 16 du règlement no 1215/2012, dans la mesure où, pour déterminer le montant du préjudice subi, la juridiction nationale peut être amenée à évaluer les conditions du marché dans lÉtat membre sur le territoire duquel a été acheté ledit véhicule. Or, les juridictions de ce dernier État membre sont susceptibles davoir le plus facilement accès aux moyens de preuve nécessaires à la réalisation de ces évaluations » (65).

66.      Dans ces trois arrêts, l’évolution de la justification du point de rattachement retenu par la Cour révèle, à mon sens, la prise en considération concrète de la dimension particulière du contentieux en matière de concurrence. En effet, en cas de comportements illicites affectant un marché économique, l’accès facilité aux moyens de preuves nécessaires à l’évaluation des conditions de ce marché et des conséquences de tels comportements contribue à une organisation utile du procès (66). Il s’agit donc d’un élément déterminant quant au choix de la juridiction la plus apte à garantir le respect des règles d’une concurrence saine qui passe par la sanction de toute atteinte à celle-ci et par la garantie de l’effectivité du droit à la protection de la victime.

67.      Ainsi, la jurisprudence de la Cour, réitérée sur la base de telles considérations probatoires pragmatiques, doit être replacée dans un contexte dont l’importance a été soulignée encore très récemment (67). En effet, la construction jurisprudentielle de la Cour continue à contribuer à la mise en œuvre du droit de la concurrence et, spécialement, de la phase privée de l’application de l’article 101 TFUE (68), en ce qu’elle favorise le développement et la consolidation des actions en réparation engagées devant les juridictions nationales (69). À cet égard, il doit être souligné que la Cour a chargé ces juridictions de la sauvegarde de ce droit, qui renforce le caractère opérationnel des règles de concurrence de l’Union (70). De plus, la Cour a précisé que les actions en dommages et intérêts pour violation des règles de concurrence de l’Union, introduites devant les juridictions nationales, font partie intégrante du système de mise en œuvre de ces règles, qui vise à réprimer les comportements anticoncurrentiels des entreprises et à dissuader celles-ci de se livrer à de tels comportements (71).

68.      Enfin, l’action complémentaire des autorités de concurrence des États membres et des juridictions nationales a été consacrée par le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (72). De surcroît, aux fins de régir les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union, la directive 2014/104 a défini de nouvelles règles de procédure et de fond, qui devaient être transposées dans tous les États membres au plus tard le 27 décembre 2016 (73).

69.      Cependant, si ces normes visent à permettre aux entreprises lésées d’être indemnisées intégralement en prévoyant notamment des règles de preuve destinées à surmonter les importantes difficultés que présentent les conditions de mise en œuvre de la responsabilité dans le contentieux de la réparation des préjudices en droit de la concurrence, elles ne prévoient pas pour autant de dispositions particulières en matière de compétence.

70.      Par conséquent, si, en principe, la détermination, par la Cour dans l’arrêt Tibor-Trans, du lieu de la matérialisation du dommage comme étant celui du lieu du marché affecté par l’infraction, à savoir le lieu où les prix du marché ont été faussés, au sein duquel la victime prétend avoir subi un préjudice (74), est adaptée au contexte que je viens de rappeler pour déterminer quelle est la juridiction internationalement compétente (75), il me semble que cette localisation n’est pas assez précise pour désigner la juridiction territorialement compétente au sein de l’État membre concerné (76). Or, de mon point de vue, au regard d’autres arrêts de la Cour, ceci constitue une source d’insécurité juridique lors du choix de l’option de compétence prévue à l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 dont dispose le demandeur (77).

71.      Il me paraît, dès lors, opportun que la réponse de la Cour aux interrogations de la juridiction de renvoi, qui devrait, en raison des circonstances de l’affaire au principal, s’inscrire dans le droit fil de l’arrêt Tibor-Trans, soit complétée sur ce point afin que les juridictions nationales puissent disposer d’une réponse dépassant le strict cadre de l’affaire qui a justifié la demande de décision préjudicielle. Le nombre de procédures susceptibles d’être engagées du fait de l’importance de l’entente en cause doit également être pris en considération.

c)      La localisation précise du dommage allégué au sein du marché affecté aux fins de désignation de la juridiction compétente

72.      Dans l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines, qui constitue le socle de l’arrêt Tibor-Trans, la Cour a jugé que, « dans le cadre d’une action en réparation d’un préjudice causé par des comportements anticoncurrentiels, le “lieu où le fait dommageable s’est produit” vise, dans une situation telle que celle en cause au principal, notamment le lieu de la matérialisation d’un manque à gagner consistant en une perte de ventes, c’est-à-dire le lieu du marché affecté par lesdits comportements au sein duquel la victime prétend avoir subi ces pertes » (78).

73.      La localisation précise du dommage allégué pouvait aisément être déduite de cette interprétation. En effet, le litige résultait des comportements anticoncurrentiels d’un opérateur économique dans le marché sur lequel la victime de ceux-ci, une compagnie aérienne, développait l’essentiel de ses activités, à savoir des vols organisés au départ et à destination de Vilnius (Lituanie), capitale de l’État membre dans lequel cette compagnie était établie. La Cour a constaté qu’il s’agissait du « marché essentiellement affecté » (79).

74.      En outre, au point 40 de l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines, la Cour a relevé que cette solution est fondée sur la concordance de deux éléments que sont le lieu du marché affecté par des pratiques qui ont faussé la concurrence et celui de la survenance du dommage allégué causé par ces pratiques. En ce sens, sont garanties la limitation de la compétence au préjudice subi sur le territoire d’un seul État membre ainsi que l’existence d’un lien entre l’atteinte à l’intérêt général et celle des intérêts de l’entreprise ou, plus généralement, des intérêts privés.

75.      Cependant, dès lors que le marché affecté était celui sur lequel la victime développait l’essentiel de ses activités de vente de voyages aériens et qu’elle avait subi un manque à gagner (80), cette condition de concordance était nécessairement remplie (81). Celle-ci devait conduire, concrètement, à désigner la juridiction territorialement compétente comme étant celle du lieu où est établie l’entreprise victime des pratiques anticoncurrentielles (82), en raison de la nature du dommage allégué.

76.      Dans l’arrêt Tibor-Trans, un raisonnement semblable à celui retenu dans l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines a été adopté. L’existence d’un lien entre le marché affecté par l’infraction et celui où la victime alléguait avoir subi un surcoût a pu être constatée par la Cour du fait que, comme dans l’affaire au principal, le marché affecté par l’entente sur le prix des camions est celui de l’État membre dans lequel l’entreprise victime de celle-ci a acheté des véhicules, par l’intermédiaire d’un concessionnaire, établi dans le même État qui est également celui où elle exerce ses activités de transport (83).

77.      Ainsi, dans l’arrêt Tibor-Trans, la Cour a retenu comme lieu de la matérialisation du dommage le « lieu où les prix du marché ont été faussés, au sein duquel la victime prétend avoir subi [un] préjudice » (84), et non celui du lieu où le surcoût a été payé (85) qui aurait pu être tiré d’une adaptation directe du point 43 de l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlinest (86), sans toutefois préciser qu’il s’agit du lieu de la matérialisation du dommage (87).

78.      Or, force est de constater, d’une part, que la juridiction territorialement compétente dans l’État membre ainsi désigné n’est pas clairement identifiable, à la différence de ce que la Cour a décidé dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide, dans un cas similaire d’infraction sanctionnée par la Commission, à savoir retenir comme point de rattachement le lieu du siège social de la personne lésée.

79.      D’autre part, afin de dépasser le cadre factuel dans lequel la Cour est interrogée, il doit être tenu compte de la variété des circonstances dans lesquelles des dommages peuvent être subis en cas d’entente sur les prix, qui constitue une différence majeure avec les cas d’atteinte au développement d’une activité économique. En effet, spécialement dans le secteur de la vente de véhicules et du transport, le lieu du marché affecté par les pratiques anticoncurrentielles entraînant des surcoûts n’est pas nécessairement concordant avec le lieu d’achat des biens en cause ou celui de l’exercice des activités de l’acheteur final, à la différence de la situation de l’acheteur direct.

80.      Pour ces motifs, et eu égard au principe selon lequel la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » doit être interprétée de manière stricte (88), les critères d’identification de la juridiction que le demandeur peut saisir devraient être dégagés.

81.      À cette fin, à l’instar des sociétés Volvo, du gouvernement espagnol et de la Commission, j’invite la Cour à opérer un rapprochement avec l’arrêt Verein für Konsumenteninformation aux motifs que cet arrêt a été rendu dans une affaire qui a plusieurs points communs avec l’affaire au principal, ainsi que celle qui a donné lieu à l’arrêt Tibor-Trans, et qu’il se situe dans son prolongement (89). En effet, l’action en cause avait pour objet la réparation du préjudice causé par l’acquisition, auprès d’un tiers, de véhicules à un prix supérieur à leur valeur réelle (90) en raison d’un comportement illégal de leurs constructeurs (91).

82.      La Cour a décidé que le préjudice subi par l’acquéreur final, qui n’est ni indirect ni purement patrimonial, se matérialise lors de l’acquisition du véhicule en cause auprès d’un tiers (92). Ce critère constitue le seul point de rattachement pertinent, en raison de l’existence d’un lien avec un bien matériel qui justifie de ne pas rechercher d’autres circonstances particulières comme dans les affaires dans lesquelles des investissements financiers avaient entraîné une diminution des avoirs des personnes concernées (93).

83.      Ainsi, premièrement, il apparaît clairement désormais que, en cas de dommage matériel qui résulte de la perte de valeur d’un bien (94), qui n’est donc pas un préjudice purement patrimonial, le lieu de la matérialisation du dommage est celui de l’acquisition de ce bien (95).

84.      En outre, le fait dont découle le préjudice matériel est que le paiement effectué pour l’acquisition du bien en cause a pour contrepartie, avec la révélation du comportement illégal du fabricant de celui-ci, un bien ayant une valeur moindre (96).

85.      Deuxièmement, les circonstances de l’affaire au principal justifient de s’interroger sur la signification du terme « acquisition » dès lors que RH avait conclu des contrats de crédit-bail dans le cadre desquels elle est devenue propriétaire des camions.

86.      Le fait que la demande en réparation soit fondée sur le droit de la concurrence justifie, à mon sens, une approche économique (97) de la notion d’« acquisition » dès lors qu’elle se traduit par la comptabilisation à l’actif du bilan du bien faisant l’objet d’un contrat de crédit-bail.

87.      En ce sens, je partage l’avis exprimé par l’avocat général Campos Sánchez-Bordona selon lequel « [l]e point de départ correct réside [...] dans l’acte par lequel le bien est devenu partie intégrante du patrimoine de la personne concernée et a causé la perte. Le lieu de [la] matérialisation du dommage est celui où une telle transaction a été conclue » (98).

88.      Le lieu de la transaction pourrait être ainsi entendu largement comme étant celui où l’accord sur le bien et sur le prix est intervenu (99) et non celui du paiement du prix (100) ou de la mise à disposition du bien qui peuvent intervenir en d’autres lieux à un stade ultérieur à cet accord (101).

89.      L’exigence de prévisibilité (102) à l’égard du défendeur me paraît respectée dès lors que, de son point de vue, est retenu le lieu de commercialisation du bien et, en l’occurrence, par un concessionnaire des véhicules ou tout autre intermédiaire chargé de la vente de ceux-ci, indépendamment de tout transfert de propriété au sens juridique.

90.      L’exigence d’une bonne administration de la justice l’est tout autant en raison de l’intérêt majeur que peut présenter le fait que la juridiction soit compétente pour examiner également les éventuelles demandes de l’intermédiaire chargé de la transaction sur le même fondement ou la question de l’éventuelle répercussion des surcoûts par celui-ci sur l’acheteur en aval qui constitue un moyen de défense récurrent (103).

91.      Les objectifs du règlement no 1215/2012, tels que précisés par la Cour dans les arrêts les plus récents quant aux exigences probatoires dans les litiges en cause qui doivent être satisfaites dans les meilleures conditions (104), me paraissent également être atteints par la désignation du lieu de la matérialisation du dommage au lieu de la transaction, sans autres circonstances particulières en cas d’absence de transfert de propriété.

92.      En effet, à la différence des litiges dans lesquels le dommage purement patrimonial allégué justifie que plusieurs éléments concrets viennent pallier l’absence de lien avec un bien matériel, le rattachement au lieu de la transaction suffit, en principe, pour désigner la juridiction objectivement la mieux placée pour analyser les éléments constitutifs de la responsabilité du défendeur (105).

93.      En conséquence, identifier le juge compétent comme étant celui du lieu de l’acquisition des camions dont les prix ont été artificiellement élevés répond aux besoins probatoires du litige dès lors que la victime allègue avoir subi un préjudice lié à un surcoût des camions en un lieu au sein du marché affecté, qui est celui de son activité, pour les mêmes motifs que ceux retenus dans l’arrêt Verein für Konsumenteninformation (106). En l’occurrence, tel est le cas de RH.

94.      Dès lors, à l’issue de cette première partie de mon analyse portant sur la désignation de la juridiction compétente au sein du marché affecté par des pratiques anticoncurrentielles, je propose à la Cour de considérer que la juridiction compétente pour connaître d’une action aux fins de réparation des préjudices causés du fait de surcoûts payés par la personne lésée par une entente sur les prix est, en principe, celle du lieu de l’acquisition des biens en cause.

95.      Pour autant, ainsi que je l’ai déjà esquissé (107), il y a lieu, à mon sens, de réserver la situation dans laquelle le lieu de survenance du dommage allégué n’est pas concordant avec le lieu de l’activité de la victime des pratiques qui ont faussé les prix (108), par exemple, en cas d’achat de véhicules dans plusieurs États membres ou dans de multiples points d’approvisionnement au sein du même État membre ou encore en cas d’acquisition auprès d’un vendeur établi hors du marché affecté (109).

96.      Si, au lieu de chacune des transactions au sein du ou des marché(s) affecté(s), les conditions d’analyse de celui-ci (ceux-ci) sont identiques, il en va différemment de l’évaluation du préjudice subi par le demandeur, victime directe du dommage (110). Par hypothèse, l’analyse pourrait être plus difficile si la juridiction compétente n’était pas celle dans le ressort de laquelle est exercée l’activité économique de la personne lésée. Or, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, en cas d’entente illicite constatée de manière contraignante, cette évaluation constitue l’essentiel de l’office du juge saisi d’une demande de réparation du dommage qui en découle (111).

97.      Dans ces conditions, je suis d’avis que la question de savoir s’il peut encore être opportun de recourir au rattachement au lieu du siège social de l’entreprise lésée, retenu par la Cour dans des circonstances particulières (112), mérite d’être approfondie.

d)      La localisation du dommage au lieu du siège socialde la personne lésée

98.      Certaines circonstances justifient, à mon sens, au regard de l’objectif de proximité, fixé dans le règlement no 1215/2012 (113), que le point de rattachement au lieu du siège social de la victime de pratiques anticoncurrentielles puisse être encore pertinent afin de garantir l’efficacité du traitement de ces actions en réparation complexes par nature (114) et par leur objet en cas d’atteintes géographiquement très dispersées (115).

99.      En effet, en pratique, je ne vois pas comment serait conforme à cet objectif de proximité, qui apparaît très concrètement désormais dans la jurisprudence de la Cour (116), le choix d’un point de rattachement qui contraindrait une entreprise qui aurait acheté plusieurs camions dans différents États membres de saisir la juridiction dans le ressort de laquelle se situerait chaque lieu d’acquisition et que, de surcroît, l’entreprise lésée n’y exercerait pas d’activité (117). En outre, les règles de connexité, prévues à l’article 30 du règlement no 1215/2012, n’offrent pas de solutions satisfaisantes en raison de la condition fixée au paragraphe 2, dès lors que l’on considère que le juge ne peut connaître que du dommage réalisé dans son ressort (118).

100. Dans ces conditions, la décision de la Cour prise dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide mérite une attention renouvelée. L’affaire qui a donné lieu à cet arrêt avait pour objet des demandes en réparation de l’ensemble des dommages causé par une entente sur le prix du peroxyde d’hydrogène dans plusieurs États membres à des dates et à des endroits différents (119), constatée par la Commission (120), à des entreprises actives dans le secteur du traitement de la cellulose et du papier et qui avaient acheté entre l’année 1994 et l’année 2006 des quantités considérables de peroxyde d’hydrogène dans différents États membres de l’Union ou de l’EEE. En outre, pour certaines d’entre elles, le peroxyde d’hydrogène avait été livré dans des usines situées dans plusieurs États membres (121).

101. Dans ces circonstances, caractérisées par la multiplicité des lieux d’achat sur divers marchés affectés par l’entente en cause, la Cour a jugé que la juridiction du lieu où l’entreprise requérante a son siège social est compétente pour connaître, au titre de l’ensemble du dommage causé à celle-ci du fait des surcoûts qu’elle a payés pour s’approvisionner en produits faisant l’objet de l’entente concernée, d’une action introduite à l’encontre soit d’un quelconque auteur de cette entente, soit d’une pluralité de ceux-ci (122). Au point 52 de cet arrêt, la Cour avait considéré que le lieu où le dommage se manifeste concrètement, s’agissant d’un dommage consistant en ces surcoûts, se trouvera, « en principe », au siège social de celle-ci.

102. Par conséquent, premièrement, l’interprétation retenue dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide me paraît pouvoir être conciliée avec celle des arrêts rendus postérieurement en cas de concordance entre le lieu du marché affecté par la distorsion de concurrence et la survenance du dommage matérialisé par un surcoût ou une perte de ventes, à savoir tant l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines que l’arrêt Tibor-Trans, dès lors que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, les véhicules avaient été acquis dans un seul État membre, celui sur le territoire duquel la victime développait son activité (123). Autrement dit, si l’impératif de proximité justifie de privilégier le forum actoris, je ne vois pas quelle serait la difficulté (124).

103. Deuxièmement, s’agissant du lieu du siège social ou du principal établissement, tel que défini à l’article 63, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, ce lieu doit présenter un lien étroit avec celui du dommage (125). Plus précisément, l’activité développée en ce lieu, en rapport avec le litige, devrait être à l’origine de la transaction sur la base de laquelle la demande d’indemnisation du préjudice est fondée. Je suis également d’avis que le lieu où l’activité de l’entreprise est affectée ou le lieu à partir duquel s’organise l’activité est déterminant.

104. Troisièmement, l’étendue des lieux de survenance des dommages, qui caractérise les activités anticoncurrentielles au sein du marché intérieur (126), ainsi que le développement des transactions conclues par Internet (127) militent en faveur du choix de localiser la matérialisation du dommage au siège social. À cet égard, il me paraît concevable de tendre à une certaine cohérence avec la jurisprudence de la Cour qui tient compte de l’ampleur des atteintes aux droits réalisées dans le contexte d’Internet (128). La Cour a précisé que cette faculté pour la personne qui s’estime lésée de saisir les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts d’une action au titre de l’intégralité du dommage allégué se justifie dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et non aux fins de protéger spécifiquement le demandeur (129).

105. Quatrièmement, en matière de pratiques concurrentielles, le risque de voir prospérer des procédures abusives, supposées être plus facilement engagées au lieu du siège social (ou du domicile) de la personne lésée, qui justifie en partie le choix de privilégier le lieu du domicile du défendeur (130), ne me paraît pas dirimant. En effet, il doit être tenu compte du fait que, dans la majorité des cas, l’action en réparation est fondée sur le constat préalable d’une infraction au droit de la concurrence (131).

106. Par ailleurs, les suggestions de la doctrine en faveur de la possibilité de saisir la juridiction du lieu du siège social du demandeur me paraissent devoir être prises en considération dès lors qu’elles s’appuient sur le constat de la multiplicité des marchés affectés (132) ou sur le risque de saisine de la juridiction d’un État membre affecté par un cartel international dans lequel aucune des parties au litige n’est établie (133) ou encore sur la relativisation de l’objectif de dégager un critère de rattachement identique, à savoir celui du marché affecté, pour les conflits de lois et la compétence (134).

107. D’une manière plus générale, je trouve également très intéressante la suggestion de définir comme fil conducteur de la détermination de la compétence des juridictions celui de faciliter la réparation satisfaisante des actes illicites ou des atteintes à des principes fondamentaux (135). En effet, elle traduit l’idée que le renforcement de l’exercice effectif des droits dans ces domaines particuliers contribue à la mise en œuvre des politiques générales de prévention.

108. Il résulte de l’ensemble de ces considérations que deux critères de localisation du dommage pour déterminer la compétence juridictionnelle me paraissent pouvoir coexister, s’agissant des actions en réparation des pratiques anticoncurrentielles, en raison de l’objectif de proximité à satisfaire et, plus précisément, de celui de faciliter l’accès aux moyens de preuve. Une telle solution permet d’assurer une cohérence avec les objectifs de la directive 2014/104 qui comprend de nombreuses dispositions en matière de preuve, en raison des difficultés à collecter des données comptables et financières sur les entreprises ainsi que sur le marché en cause (136), et de contribuer à la résolution plus efficace de litiges dont la complexité ressort des documents élaborés par la Commission, conçus comme des aides pratiques destinées aux juridictions nationales (137).

109. Dans ces conditions, une telle interprétation des règles de compétence me paraît contribuer à la garantie d’une protection juridictionnelle effective du droit de la concurrence de l’Union (138).

110. À l’issue de mon analyse globale portant sur la détermination du lieu de la matérialisation du dommage allégué et sur la désignation de la juridiction compétente sur le territoire de l’État membre dans lequel il est situé, je propose à la Cour de considérer que l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une action en réparation du préjudice causé par une infraction au titre de l’article 101 TFUE consistant notamment en des arrangements collusoires sur la fixation et l’augmentation des prix de biens, le lieu de la matérialisation du dommage se situe dans l’État membre du marché affecté par cette infraction au sein duquel des surcoûts ont été subis. La juridiction territorialement compétente est, en principe, celle dans le ressort de laquelle se trouve le lieu de l’acquisition de ces biens, par l’entreprise exerçant son activité dans le même État membre, laquelle doit être déterminée en fonction de critères économiques. À défaut de concordance entre le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’activité de la personne lésée, l’action peut être introduite devant la juridiction dans le ressort de laquelle la personne lésée est établie.

111. Je vais maintenant expliquer les raisons qui me conduisent à proposer à la Cour de préciser que l’identification concrète de la juridiction, désignée en application de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, est régie par les règles internes d’organisation des juridictions que les États membres peuvent définir en vue d’une éventuelle spécialisation de celles-ci.

4.      Sur la concentration des compétences

112. Dans leurs observations écrites soumises à la Cour, le gouvernement français et la Commission soulignent, en substance, que, si l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 détermine la compétence internationale et territoriale des juridictions compétentes pour connaître des litiges transfrontaliers en matière délictuelle ou quasi délictuelle, il incombe, toutefois, aux seuls États membres, dans le cadre de leur organisation juridictionnelle, de définir le ressort des juridictions compétentes et, notamment, de celles spécialisées en matière d’actions en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence. Dans sa réponse à la question écrite de la Cour sur ce point, le gouvernement espagnol soutient cette analyse.

113. Je suis également de cet avis en raison du système institué par le règlement no 1215/2012 et de la spécificité des actions en matière de réparation des dommages causés par des pratiques anticoncurrentielles (139).

a)      Analyse systémique

114. Sur certains aspects, il me paraît pouvoir être adopté un raisonnement par analogie avec celui retenu par la Cour dans l’arrêt Sanders et Huber (140) ainsi que, dans une moindre mesure, dans l’arrêt du 9 janvier 2015, RG (141).

115. Dans l’arrêt Sanders et Huber, la Cour était saisie de questions portant sur une concentration des compétences juridictionnelles en matière d’obligations alimentaires transfrontalières en faveur d’une juridiction de première instance établie au siège de la juridiction d’appel (142).

116. La Cour a ainsi interprété l’article 3, sous b), du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (143), en vertu duquel la juridiction compétente pour statuer sur des litiges transfrontaliers portant sur les obligations alimentaires est celle du « lieu où le créancier a sa résidence habituelle ».

117. Il s’agit de l’une des dispositions relatives aux règles de compétence qui ont remplacé celles du règlement no 44/2001, lequel s’inscrit dans le prolongement de la convention de Bruxelles (144). La Cour a dit pour droit que « [c]ette disposition, qui détermine tant la compétence internationale que la compétence territoriale, vise à unifier les règles de conflit de juridictions (voir, en ce sens, arrêt Color Drack, C‑386/05, EU:C:2007:262, point 30) » (145).

118. Dans l’arrêt Sanders et Huber, la Cour a constaté que, si les règles de conflit de juridictions ont été harmonisées au moyen d’une détermination des critères communs de rattachement, l’identification concrète de la juridiction compétente demeure de la compétence des États membres, sous réserve que cette législation nationale ne remette pas en cause les objectifs du règlement no 4/2009 ou ne prive pas ce dernier de son effet utile (146).

119. La Cour a précisé que la mise en œuvre des objectifs de proximité et de bonne administration de la justice n’implique pas que les États membres doivent instituer des juridictions compétentes en chaque lieu (147) et qu’il importe que la juridiction compétente soit celle qui assure un lien de rattachement particulièrement étroit avec le lieu où le créancier d’aliments a sa résidence habituelle, visé à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 (148).

120. À cet égard, la Cour a considéré de manière positive la concentration des compétences, dès lors que, en matière d’obligations alimentaires, un tel choix d’organisation peut contribuer à développer une expertise particulière qui répond à une partie des objectifs poursuivis par le règlement no 4/2009 et à une bonne organisation de la justice (149).

121. Par conséquent, pour les mêmes motifs, il suffit, à mon sens, s’agissant de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, de considérer que la juridiction saisie se reconnaisse compétente, à ce titre, à raison du point de rattachement pertinent situé dans son ressort (150), c’est-à-dire dans la partie du territoire national sur l’étendue de laquelle elle exerce ses attributions (151). Il s’agit également de ne pas faire du critère géographique un point de rattachement, entendu strictement, qui privilégie la proximité au détriment de la bonne administration de la justice (152).

122. Cependant, dans l’arrêt Sanders et Huber, la Cour a retenu que, en cas de concentration des compétences, un examen concret de la situation existant dans l’État membre concerné s’impose afin de s’assurer que la législation nationale ne prive pas de son effet utile le règlement applicable au litige (153).

123. Cette réserve a été à nouveau exprimée dans l’arrêt du 9 janvier 2015, RG (154), relatif à l’attribution à une juridiction spécialisée de la compétence pour examiner les questions du retour ou de la garde de l’enfant, alors même qu’une cour ou un tribunal était déjà saisi(e) d’une procédure au fond relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant (155), à l’occasion de l’examen de dispositions relatives à la détermination de la juridiction nationale compétente qui relève du choix des États membres. Il est intéressant de noter que, dans ce cas, l’objectif de célérité des procédures, tiré du règlement no 2201/2003, a été retenu par la Cour (156).

124. Or, en matière de violation des droits de la concurrence, le cadre législatif dans lequel la concentration des compétences est instituée dans un État membre (157) est très différent. Il y a lieu, à mon sens, de relever l’absence de limites en matière délictuelle ou quasi délictuelle telles que celles résultant de l’objet spécifique notamment du règlement no 4/2009 (158) et, s’agissant de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sanders et Huber, les particularités de la législation nationale en cause au regard des objectifs de ce règlement (159).

125. En ce sens, je partage les avis exprimés précédemment par d’autres avocats généraux sur l’autonomie des États membres en matière de concentration des compétences territoriales résultant ou non de la répartition des compétences matérielles, limitée par l’absence d’atteinte à l’effet utile du règlement no 1215/2012 et par le principe d’équivalence (160).

126. En outre, dès lors que l’objet des actions en cause prend une part importante dans l’analyse de la Cour (161), il convient de souligner les éléments qui caractérisent plus particulièrement le contentieux relatif à la réparation de pratiques anticoncurrentielles.

b)      La spécificité des actions en réparation de pratiques anticoncurrentielles

127. Premièrement, il y a lieu de rappeler l’absence de réglementation des conditions procédurales de mise en œuvre des actions en matière du droit de la concurrence qui justifie de considérer que les États membres, dans le cadre de leur organisation juridictionnelle, déterminent quelle est la juridiction compétente ratione materiae et quelle est l’étendue de son ressort, sous réserve du respect des principes d’équivalence (162) et d’effectivité (163).

128. Deuxièmement, je considère, à l’instar de la Commission, qu’il doit être tenu compte de l’entrée en vigueur et de la transposition de la directive 2014/104 (164) ainsi que de la complexité technique des règles applicables aux actions en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence (165).

129. Pour ces motifs, il me paraît indispensable que, pour répondre à la juridiction de renvoi, la Cour s’inspire de la rédaction des arrêts du 16 mai 2013, Melzer (166), ou CDC Hydrogen Peroxide, relatifs à la compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle, dans lesquels est utilisée l’expression « la juridiction dans le ressort de laquelle ».

130. Au vu de l’ensemble de ces considérations relatives à la concentration des compétences des juridictions, je propose à la Cour d’interpréter l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 en ce sens que, s’il détermine la compétence territoriale sur le plan tant international qu’interne des juridictions compétentes pour connaître des litiges transfrontaliers en matière délictuelle ou quasi délictuelle, les États membres ont la faculté de choisir de concentrer le traitement de ces litiges devant certaines juridictions, dans le cadre de leur organisation juridictionnelle, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité. En particulier, dans le domaine du droit de la concurrence, les États membres doivent veiller à ce que les règles qu’ils établissent ou qu’ils appliquent ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 et 102 TFUE.

V.      Conclusion

131. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Juzgado de lo Mercantil no 2 de Madrid (tribunal de commerce no 2 de Madrid, Espagne) de la manière suivante :

L’article 7, point 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens :

–        qu’il désigne la juridiction compétente de l’État membre dans le ressort de laquelle, notamment, le dommage direct s’est matérialisé ;

–        que, dans le cadre d’une action en réparation du préjudice causé par une infraction au titre de l’article 101 TFUE consistant notamment en des arrangements collusoires sur la fixation et l’augmentation des prix de biens, le lieu de la matérialisation du dommage se situe dans l’État membre du marché affecté par cette infraction au sein duquel des surcoûts ont été subis. La juridiction territorialement compétente est, en principe, celle dans le ressort de laquelle se trouve le lieu de l’acquisition de ces biens, par l’entreprise exerçant son activité dans le même État membre, laquelle doit être déterminée en fonction de critères économiques. À défaut de concordance entre le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’activité de la personne lésée, l’action peut être introduite devant la juridiction dans le ressort de laquelle la personne lésée est établie, et

–        que les États membres ont la faculté de choisir de concentrer le traitement des litiges devant certaines juridictions, dans le cadre de leur organisation juridictionnelle, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité. En particulier, dans le domaine du droit de la concurrence, les États membres doivent veiller à ce que les règles qu’ils établissent ou qu’ils appliquent ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 et 102 TFUE.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2012, L 351, p. 1.


3      JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE ».


4      JO 1972, L 299, p. 32.


5      Ci-après la « convention de Bruxelles ».


6      JO 2001, L 12, p. 1.


7      JO 2017, C 108, p. 6, ci-après la « décision sur le cartel des camions ».


8      Points 9 à 11.


9      Voir point 15 de la décision sur le cartel des camions. Selon les indications fournies par la Commission, en 2019 (https://ec.europa.eu/competition/cartels/statistics/statistics.pdf, p. 3), le montant total de ces amendes était le plus élevé de ceux fixés depuis l’année 1969.


10      La juridiction de renvoi a souligné que les défenderesses n’ont pas remis en cause sa compétence territoriale, de sorte qu’elles doivent être réputées faire élection tacite de for en sa faveur en vertu de l’article 56 de la Ley de Enjuiciamiento Civil 1/2000 (loi de procédure civile 1/2000), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575).


11      C‑352/13, ci-après l’« arrêt CDC Hydrogen Peroxide », EU:C:2015:335, points 52 et 53.


12      C‑451/18, ci-après l’« arrêt Tibor-Trans », EU:C:2019:635.


13      Arrêt Tibor-Trans (point 33).


14      La juridiction de renvoi cite l’ordonnance du Tribunal Supremo, Sala de lo Civil (Cour suprême, chambre civile, Espagne) du 26 février 2019, no 262/2018, et des décisions identiques récentes, notamment, celles des 8 et 15 octobre 2019. Le gouvernement espagnol cite également cette décision no 262/2018, mais aussi d’autres décisions de la même juridiction, à savoir les décisions du 7 mai 2019, no 16/2019, du 9 juillet 2019, no 100/2019, et du 4 février 2020, no 266/2019.


15      C‑386/05, EU:C:2007:262.


16      C‑204/08, EU:C:2009:439.


17      Voir, notamment, arrêts du 14 février 2019, Milivojević (C‑630/17, EU:C:2019:123, points 47 et 48), ainsi que du 9 juillet 2020, Verein für Konsumenteninformation (C‑343/19, ci-après l’« arrêt Verein für Konsumenteninformation », EU:C:2020:534, point 19).


18      C‑386/05, EU:C:2007:262.


19      C‑204/08, EU:C:2009:439.


20      Voir, notamment, affaire Allianz Elementar Versicherung (C-652/20), actuellement pendante devant la Cour.


21      C‑59/19, ci-après l’« arrêt Wikingerhof », EU:C:2020:950.


22      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (point 22 et jurisprudence citée).


23      Voir arrêt Wikingerhof(point 20 et jurisprudence citée). Il est aussi utile de préciser que l’article 4 et l’article 7, point 1, du règlement no 1215/2012 correspondent respectivement à l’article 2 et à l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001.


24      Voir arrêt Wikingerhof (point 37 et jurisprudence citée). Italique ajouté par mes soins. À cet égard, il y a lieu de relever la différence de rédaction par rapport à celle de l’arrêt Tibor-Trans, auquel s’est référée la juridiction de renvoi. Au point 34 de cet arrêt figurent les expressions « les juridictions de l’État membre dans lequel se situe le marché affecté » et « les juridictions du lieu où [les] comportements [d’un opérateur économique] ont faussé les règles d’une concurrence saine » tirées de l’arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑27/17, ci-après l’« arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines », EU:C:2018:533, point 40), qui y est cité.


25      Voir, notamment, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Melzer (C‑228/11, EU:C:2012:766, point 34) et de l’avocat général Campos Sánchez‑Bordona dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑343/19, EU:C:2020:253, point 74), ainsi que dans l’affaire Vereniging van Effectenbezitters (C‑709/19, EU:C:2020:1056, point 18).


26      Voir, également en ce sens, Thode, R., « Art. 7 [Besondere Gerichtsstände] », Beck’scher Online-Kommentar ZPO, Brüssel Ia-VO, C.H. Beck, Munich, 2020, point 6.


27      C‑204/08, EU:C:2009:439, point 36.


28      C‑386/05, EU:C:2007:262.


29      Voir arrêt Wikingerhof (point 25, première phrase, et jurisprudence citée).


30      Voir, également, en matière de compétences exclusives, arrêt du 28 avril 2009, Apostolides (C‑420/07, EU:C:2009:271, points 48 et 50). Ainsi, la Cour a jugé que l’article 22 du règlement no 44/2001, équivalent à l’article 24 du règlement no 1215/2012, qui contient une liste impérative et exhaustive de fors de compétence judiciaire internationale exclusive des États membres ne fait que désigner l’État membre dont les juridictions sont compétentes ratione materiae, sans cependant répartir les compétences au sein de l’État membre concerné et qu’il appartient à chaque État membre de déterminer sa propre organisation juridictionnelle. La Cour a précisé que la règle du forum rei sitae prévue à l’article 22, point 1, du règlement no 44/2001 concerne la compétence judiciaire internationale des États membres et non pas la compétence judiciaire interne de ceux-ci.


31      Italique ajouté par mes soins.


32      Voir, à cet égard, Gaudemet‑Tallon, H., et Ancel, M.-E., Compétence et exécution des jugements en Europe, Règlements 44/2001 et 1215/2012, Conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1998 et 2007), 6e éd., Librairie générale de droit et de jurisprudence, collection « Droit des affaires », Paris, 2018, point 180, p. 246 et 247. Voir, à titre de comparaison, d’autres dispositions du règlement no 1215/2012 qui visent le tribunal d’un lieu, à savoir l’article 11, paragraphe 1, sous b), et l’article 12, en matière d’assurances, l’article 18, paragraphe 1, en matière de contrat conclu par un consommateur, ainsi que l’article 21, paragraphe 1, sous b), en matière de contrats individuels de travail.


33      Voir arrêts du 14 février 2019, Milivojević (C‑630/17, EU:C:2019:123, point 81), ainsi que Wikingerhof (points 26 et 27).


34      Voir, à titre de rappel de la jurisprudence constante de la Cour relative à la compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle, arrêts Verein für Konsumenteninformation (point 38), ainsi que Wikingerhof (point 28 et jurisprudence citée).


35      Voir arrêt du 3 mai 2007, Color Drack (C‑386/05, EU:C:2007:262, point 30).


36      Rapport sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 1), en particulier, p. 22.


37      JO 1979, C 59, p.71, en particulier, p. 98, point 81 bb).


38      Voir, s’agissant de l’article 7, point 1, sous b), second tiret, du règlement no 1215/2012, arrêt du 15 juin 2017, Kareda (C‑249/16, EU:C:2017:472, point 46).


39      Voir arrêt du 18 décembre 2014, Sanders et Huber (C‑400/13 et C‑408/13, ci-après l’« arrêt Sanders et Huber », EU:C:2014:2461, point 30 et jurisprudence citée).


40      Voir, à cet égard, précisions figurant dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide (point 55).


41      La Cour, dans sa jurisprudence relative à la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit », a jugé qu’elle vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (voir arrêt Verein für Konsumenteninformation, point 23 et jurisprudence citée), ce qui suppose qu’ils ne coïncident pas (voir, notamment, arrêt du 30 novembre 1976, Bier, 21/76, EU:C:1976:166, points 24 et 25).


42      Voir, pour un exposé détaillé de cette affaire, points 100 et 101 des présentes conclusions.


43      Voir point 22 des présentes conclusions.


44      Voir arrêt Tibor-Trans (point 36).


45      Je souligne que les doutes de la juridiction de renvoi ne portent pas sur le choix de l’assignation de la filiale espagnole. À cet égard, à l’instar du gouvernement espagnol, je précise que sera prochainement tranchée par la Cour [affaire Sumal (C‑882/19)] la question de savoir si, dans le cadre d’actions privées en réparation du dommage subi par une victime d’une pratique anticoncurrentielle constatée par la Commission, en l’occurrence, la décision sur le cartel des camions, cette victime est en droit de demander réparation pour ce préjudice non pas à la société mère spécifiquement visée dans la décision de la Commission, mais aux filiales faisant partie du même groupe de sociétés, sur le fondement de la théorie de l’unité économique en droit de la concurrence [voir conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Sumal (C‑882/19, EU:C:2021:293)].


46      Il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Tibor-Trans (voir point 30), les concessionnaires espagnols répercutaient l’augmentation des prix sur les acheteurs finaux. L’absence de procédure diligentée par ou contre les acheteurs directs milite en faveur d’une uniformité des pratiques.


47      Voir arrêt Tibor-Trans (point 19).


48      Arrêt Tibor-Trans (point 37).


49      Arrêt Tibor-Trans (point 31).


50      Arrêt Tibor-Trans (point 33).


51      Voir arrêt CDC Hydrogen Peroxide (point 10).


52      Voir arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (points 20 et 34).


53      Voir, sur l’incidence de l’absence de concordance, point 95 des présentes conclusions.


54      Voir arrêts CDC Hydrogen Peroxide (point 52) et Tibor-Trans (point 26).


55      Voir arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (point 36).


56      Sur le droit pour toute personne s’estimant lésée par une infraction aux règles du droit de la concurrence de demander réparation du préjudice subi qui est indépendant du constat préalable d’une telle infraction par une autorité de la concurrence, voir point 67 et note en bas de page 68 des présentes conclusions. Voir, également, considérants 3, 12 et 13 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1).


57      Voir arrêt Wikingerhof (points 36 et 38).


58      Arrêt Wikingerhof (point 37). Italique ajouté par mes soins.


59      Voir arrêt Wikingerhof (points 33 à 35).


60      À cet égard, voir conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Wikingerhof (C‑59/19, EU:C:2020:688, note en bas de page 20).


61      Le point 34 de l’arrêt Tibor-Trans reproduit en partie le point 40 de l’arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines.


62      Au point 35 de l’arrêt Tibor-Trans sont visés le considérant 7 et l’article 6, paragraphe 3, sous a), du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO 2007, L 199, p. 40). Cet article, applicable à partir du 11 janvier 2009, prévoit que la loi applicable en cas d’actions en dommages et intérêts en lien avec un acte restreignant la concurrence est celle du pays dans lequel le marché est affecté ou susceptible de l’être.


63      À ce point, il était renvoyé au point 34 de l’arrêt Tibor-Trans.


64      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (point 35).


65      Italique ajouté par mes soins.


66      Voir arrêts CDC Hydrogen Peroxide (point 53) et flyLAL-Lithuanian Airlines (point 27, ainsi que jurisprudence citée en matière de responsabilité délictuelle).


67      Voir rapport de la Commission sur la mise en œuvre de la directive 2014/104 [SWD(2020) 338 final], disponible à l’adresse Internet suivante : https://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/report_on_damages_directive_implementation_en.pdf, ainsi que présentation de celui-ci par Ronzano, A., « Dommages : La Commission européenne publie un rapport transitoire sur l’évaluation de la directive “dommages” et de sa transposition par les États membres (directive 2014/104/EU) », Concurrences, Institut de droit de la concurrence, Paris, 2021, no 1, et communiqué de presse de la Commission : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_2413.


68      La Cour a jugé que la pleine efficacité de l’article 101 TFUE et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence [arrêt du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, point 26)] lorsqu’il existe un lien de causalité entre le préjudice subi et une entente ou une pratique interdite par l’article 101 TFUE [arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, points 25 et 26, ainsi que jurisprudence citée)].


69      Voir rapport de la Commission cité à la note en bas de page 67 des présentes conclusions, dans lequel elle constate que le nombre d’actions privées devant les juridictions nationales en réparation d’un dommage à la suite d’infractions aux règles de concurrence est passé, après l’adoption de la directive 2014/104, d’environ 50 affaires au début de l’année 2014 à 239 pendant l’année 2019. Voir, également, Wurmnest, W., « Forum Shopping bei Kartellschadensersatzklagen und die Kartellschadensersatzrichtlinie », Neue Zeitschrift für Kartellrecht, C.H. Beck, Munich, 2017, no 2, sous III, 2, c), et note en bas de page 64.


70      Voir arrêts du 30 janvier 1974, BRT et Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (127/73, EU:C:1974:6, points 15 et 16), ainsi que du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, point 25).


71      Voir arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, point 45), et, par analogie, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export (C‑308/19, EU:C:2021:47, point 56).


72      JO 2003, L 1, p. 1. Voir considérant 7 et article 6 de ce règlement. Voir, également, s’agissant de la modernisation des règles et des procédures relatives à l’application des articles 101 et 102 TFUE, opérée par le règlement no 1/2003, conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Whiteland Import Export (C‑308/19, EU:C:2020:639, point 50).


73      Voir rapport de la Commission cité à la note en bas de page 67 des présentes conclusions. Celle-ci y relève que la transposition de la directive 2014/104 a été tardive dans 21 États membres et que le nombre de cas d’application de la directive transposée par les juridictions nationales n’est pas encore assez significatif. La Commission souligne qu’il se passe en moyenne treize années entre le début d’une pratique anticoncurrentielle et la décision judiciaire d’octroi de dommages et intérêts. Voir, également, point 108 des présentes conclusions.


74      Voir points 33 et 37 de cet arrêt.


75      Voir point 39 des présentes conclusions.


76      Ce constat est partagé par la Commission dans sa réponse aux questions écrites de la Cour. Voir, d’une manière plus générale, sur la difficulté de localiser l’atteinte en cause, Ancel, M.-E., « Un an de droit international privé du commerce électronique », Communication Commerce électronique, LexisNexis, Paris, 2021, no 1, point 4.


77      Voir, à cet égard, Heuzé, V., Mayer, P., et Remy, B., Droit international privé, 12e éd., Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 2019, point 296, p. 203 et 204. Voir, également, s’agissant de la casuistique de la jurisprudence de la Cour, Thode, R., op. cit., points 93 et 95a.


78      Arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (point 43).


79      Voir arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (points 38 et 39).


80      Voir arrêt flyLAL-Lithuanian Airlines (point 39).


81      Voir, s’agissant de la coïncidence du dommage subi sur le marché parce qu’un dommage est causé au marché, analyse de Farnoux, E., Les considérations substantielles dans le règlement de la compétence internationale des juridictions : réflexions autour de la matière délictuelle, Tome I, thèse de doctorat soutenue le 20 octobre 2017, point 303. À cet égard, il précise, à juste titre selon moi, que l’« [o]n pourrait même renverser la proposition : le marché étant constitué des relations des acteurs économiques, c’est parce que ces relations sont affectées (certains acteurs y subissent un dommage) que le marché est affecté. En définitive, l’effet sur le marché peut s’analyser comme le dommage causé aux victimes (indéfinies), sachant que la victime (définie) qui demande réparation fait forcément partie des victimes (indéfinies) ».


82      Voir, également en ce sens, s’agissant de la portée de l’arrêt Wikingerhof, dont, notamment, Ronzano, A., a déduit qu’« un hôtel utilisant la plateforme Booking.com peut en principe attraire celle-ci devant une juridiction de l’État membre dans lequel cet hôtel est établi pour faire cesser un éventuel abus de position dominante, et ce, quand bien même le comportement dénoncé serait mis en œuvre dans le cadre d’une relation contractuelle » [« Compétence : la Cour de justice de l’Union européenne dit pour droit qu’une action en responsabilité fondée sur l’obligation légale de s’abstenir de tout abus de position dominante relève de la matière délictuelle au sens du règlement Bruxelles I bis (Wikingerhof/Booking) », Concurrences, Institut de droit de la concurrence, Paris, 2021, no 1].


83      Voir arrêt Tibor-Trans (points 12, 30 et 33).


84      Arrêt Tibor-Trans (point 37).


85      Voir, à cet égard, même observation dans les conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑343/19, EU:C:2020:253, point 52). À comparer avec l’arrêt Tibor-Trans (points 31 et 33), dont il résulte que le lieu de la matérialisation du dommage est situé dans l’État membre dans lequel se trouve le marché affecté par l’infraction en cause, sur le territoire duquel le dommage résultant de surcoûts payés est survenu.


86      Voir point 72 des présentes conclusions.


87      À comparer également avec le point 55 de l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide et le point 40 de l’arrêt Verein für Konsumenteninformation.


88      Voir arrêts flyLAL-Lithuanian Airlines (point 26) et Verein für Konsumenteninformation (point 26).


89      Voir points 38 et 39 de l’arrêt Verein für Konsumenteninformation, dont les renvois aux points 34 et 35 de l’arrêt Tibor-Trans contribuent à en préciser le sens.


90      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (point 30).


91      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (points 29, 34 et 37).


92      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (points 35, 37 à 39).


93      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (point 33).


94      Cette expression entendue dans son sens large recouvre les hypothèses de prix artificiellement élevés.


95      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (point 35). Par conséquent, doivent être considérés comme étant écartés les critères évoqués dans la demande de décision préjudicielle dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Verein für Konsumenteninformation (points 10 et 12), tels que le lieu de la conclusion du contrat ou de la livraison du véhicule. Pour une analyse de ces critères, voir conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑343/19, EU:C:2020:253, note en bas de page 31 relative au lieu où l’obligation a été contractée, ainsi que, pour le lieu de livraison, points 78 et 79). Sur ce dernier point, voir, aussi, arrêt du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a. (C‑51/97, EU:C:1998:509, points 33 et 34). Dans cet arrêt, la Cour a écarté le lieu de livraison finale. S’agissant du lieu d’exécution du contrat, voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2014:2443, point 50).


96      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (point 34).


97      Voir, à cet égard, s’agissant de la compétence spéciale en matière contractuelle de la détermination du lieu de la livraison principale en fonction de critères économiques, arrêt du 3 mai 2007, Color Drack (C‑386/05, EU:C:2007:262, points 40 et 45). Voir, également, conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑343/19, EU:C:2020:253, point 36), selon lequel « l’acquisition d’un objet apporte au patrimoine dans lequel il s’intègre une valeur au moins équivalente à la valeur de ce qui en sort (et qui, dans le cas d’une vente, est représentée par le prix payé pour l’objet) ».


98      Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑343/19, EU:C:2020:253, point 74). Voir, s’agissant du terme « transaction », article 101, paragraphe 1, sous a), TFUE.


99      L’expression « lieu où l’obligation contractuelle est née » ou celle de « lieu où le prix de vente a été déterminé », résultant de l’arrêt du 16 juin 2016, Universal Music International Holding (C‑12/15, EU:C:2016:449, respectivement, points 30 et 31), pourraient aussi être utilisées.


100      Voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2016, Universal Music International Holding (C‑12/15, EU:C:2016:449, points 32 et 39). Voir, également, arrêt du 9 juillet 2009, Rehder (C‑204/08, EU:C:2009:439, point 39).


101      À rapprocher de l’arrêt du 16 juin 2016, Universal Music International Holding (C‑12/15, EU:C:2016:449, point 38).


102      Sur le respect de cette exigence qui devrait être relativisé et la prise en considération de la constatation du comportement illicite, voir Racine, J.-B., « Le forum actoris en droit international privé », Droit international privé, années 2016-2018, éditions Pedone, collection « Travaux du Comité français de droit international privé », Paris, 2019, respectivement points 79, p. 68, et 57, p. 57.


103      Voir Amaro, R., et Laborde, J.-F., La réparation des préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles, recueil de décisions commentées, 2e éd., Institut de droit de la concurrence, Paris, 2020, point 245, p. 147. Sur l’importance de cette question dont témoignent les travaux de la Commission, voir note en bas de page 67 des présentes conclusions.


104      Voir point 66 des présentes conclusions. Voir, également, arrêt du 16 juin 2016, Universal Music International Holding (C‑12/15, EU:C:2016:449, point 27 et jurisprudence citée).


105      Voir arrêt Verein für Konsumenteninformation (point 33 et jurisprudence citée).


106      Voir point 38 de cet arrêt.


107      Voir point 79 des présentes conclusions.


108      À l’instar du gouvernement espagnol dans sa réponse aux questions écrites de la Cour.


109      Voir, plus généralement, sur la spécificité des actions en dommages et intérêts en cas d’infractions aux règles de concurrence européenne qui concernent différents États membres, Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-E., op. cit., point 235, p. 357. S’agissant de la multiplicité des lieux d’achat susceptible d’être liée à l’absorption de sociétés, voir, à titre d’illustration, circonstances de fait rappelées au point 14 de l’arrêt Tibor-Trans.


110      S’agissant du dommage d’une victime indirecte, matérialisé en un lieu différent du dommage causé à la victime directe qui a subi initialement un préjudice, qui ne pourrait pas fonder la compétence juridictionnelle, voir, notamment, arrêts Tibor-Trans (point 29 et jurisprudence citée), ainsi que Verein für Konsumenteninformation (point 27 et jurisprudence citée).


111      Voir arrêt CDC Hydrogen Peroxide (points 53 et 54).


112      Voir points 100 et 101 des présentes conclusions.


113      À mon sens, le respect de l’exigence de prévisibilité ne fait pas difficulté dès lors que, du point de vue des défendeurs, membres de l’entente, les marchés affectés par celle-ci sont connus ainsi que les lieux d’activité des acheteurs directs et indirects, compte tenu des produits en cause. De plus, je partage le point de vue exprimé par Racine, J.-B., op. cit., point 79, p. 68, selon lequel cette exigence ne doit pas conduire à favoriser l’auteur d’actes illicites. Enfin, dans l’arrêt Verein für Konsumenteninformation, la Cour a privilégié l’objectif de proximité [voir, à titre de comparaison, points 78 et 79 des conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans cette affaire (C-343/19, EU:C:2020:253)].


114      Voir point 108 et note en bas de page 118 des présentes conclusions. Voir, également, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export (C‑308/19, EU:C:2021:47, point 51, ainsi que, par analogie, points 52, 53 et 65).


115      Voir, à cet égard, éléments de discussion soumis à la Cour par l’avocat général Jääskinen dans l’affaire CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2014:2443, points 47 et 50).


116      Voir points 66 et 67 des présentes conclusions. À mon sens, le niveau de proximité est nécessairement variable. Voir, à cet égard, Farnoux, E., op. cit., points 163 et 164.


117      Voir, s’agissant du fait que les préjudices de la victime à évaluer sont liés à l’activité de la victime et du marché sur lequel elle opère, Amaro, R., et Laborde, J.-F., op. cit., point 289, p. 167, et illustration point 460, p. 248 et 249. Voir, également, questions relatives à la détermination de la masse des achats (point 442, p. 239) et à la répercussion des surcoûts (point 457, p. 246).


118      Voir Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-E., op. cit., points 236 et 237, p. 358 à 360. Voir, à cet égard, arrêt du 7 mars 1995, Shevill e.a. (C‑68/93, EU:C:1995:61, point 33). Voir, cependant, arrêt CDC Hydrogen Peroxide (point 54). La Cour a jugé que la juridiction du lieu du siège social est compétente « au titre de l’ensemble du dommage causé [...] du fait des surcoûts », à l’encontre soit d’un quelconque auteur de cette entente, soit d’une pluralité de ceux-ci. Sur la simplification opérée par la Cour, approuvée par Amaro, R., voir « Actions privées en matière de pratiques anticoncurrentielles – Aspects internationaux : juridiction compétente, loi applicable (droit international privé européen) », JurisClasseur Concurrence – Consommation, LexisNexis, Paris, 2015, Fascicule 318 du 14 septembre 2015, point 26. Voir, également, s’agissant de la diversité des conséquences dommageables, Amaro, R., et Laborde, J.-F., op. cit., point 90, p. 59 et 60.


119      Voir arrêt CDC Hydrogen Peroxide (point 56).


120      Décision 2006/903/CE de la Commission, du 3 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre d’Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Chemicals Holding AB, EKA Chemicals AB, Degussa AG, Edison SpA, FMC Corporation, FMC Foret SA, Kemira OYJ, L’Air Liquide SA, Chemoxal SA, Snia SpA, Caffaro Srl, Solvay SA/NV, Solvay Solexis SpA, Total SA, Elf Aquitaine SA et Arkema SA (Affaire COMP/F/C.38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate) (JO 2006, L 353, p. 54). La Commission a constaté que, s’agissant du peroxyde d’hydrogène et du perborate de sodium, les défenderesses au principal et d’autres entreprises ont pris part à une infraction unique et continue et violé ainsi l’interdiction des ententes visée à l’article 81 CE [devenu 101 TFUE] et à l’article 53 de l’accord EEE.


121      Voir arrêt CDC Hydrogen Peroxide (point 11).


122      Voir arrêt CDC Hydrogen Peroxide (points 53 et 54).


123      Voir point 76 des présentes conclusions.


124      Voir, en ce sens, Racine, J.-B., op. cit., points 62 à 64, p. 59 et 60. Voir, également, Heuzé, V., Mayer, P., et Remy, B. op. cit., point 297, p. 204 et 205.


125      À rapprocher de l’arrêt du 9 juillet 2009, Rehder (C‑204/08, EU:C:2009:439, point 39).


126      Voir, s’agissant des effets de la mondialisation, rapport spécial de la Cour des comptes européenne no 24/2020, intitulé « Contrôle des concentrations dans l’UE et procédures antitrust de la Commission : la surveillance des marchés doit être renforcée », disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR20_24/SR_Competition_policy_FR.pdf et communiqué de presse : https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/INSR20_24/INSR_Competition_policy_FR.pdf.


127      Ce cas de figure est évoqué dans la réponse de la Commission aux questions écrites de la Cour.


128      Voir arrêts du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685, points 47 à 50), ainsi que du 17 octobre 2017, Bolagsupplysningen et Ilsjan (C‑194/16, EU:C:2017:766, point 32). La Cour a jugé que, en cas d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la personne qui s’estime lésée doit avoir la faculté de saisir d’une action en responsabilité les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts que l’émetteur du contenu en cause est en mesure de connaître au moment de sa mise en ligne. Voir, s’agissant de l’analyse de la perte de matérialité d’une partie au moins du litige, Farnoux, E., op. cit., point 291.


129      Arrêt du 17 octobre 2017, Bolagsupplysningen et Ilsjan (C‑194/16, EU:C:2017:766, point 38).


130      Voir Racine, J.-B., op. cit., point 72, p. 64 et 65. Voir commentaires de Amaro, R., et Laborde, J.-F., op. cit., relatifs à la preuve de la faute au point 249, p. 148.


131      Voir Laborde, J.-F., « Cartel damages actions in Europe : How courts have assessed cartel overcharges (2019 ed.) », Concurrences, Institut de droit de la concurrence, Paris, 2019, no 4, en particulier, p. 4. En 2019, sur 239 affaires provenant de treize États membres, 57 % ont suivi une décision d’infraction prise par une autorité nationale, 40 % ont suivi une décision de la Commission et seulement 2 % étaient des actions isolées (la plupart des affaires isolées correspondent à des actions civiles intentées devant les tribunaux pénaux français). Les tribunaux ont statué sur des actions en dommages et intérêts pour entente qui ont suivi au moins 63 décisions d’infraction (parfois, une décision d’infraction sanctionne plusieurs ententes. En conséquence, le nombre d’affaires d’ententes aboutissant à au moins une affaire est légèrement supérieur).


132      Voir Idot, L., « Le contentieux international des actions en réparation pour violation du droit de la concurrence : l’arrêt CDC revisité », Revue critique de droit international privé, Dalloz, Paris, 2019, no 3, p. 786 à 815, en particulier, point 22.


133      Voir Idot, L., « Contentieux en réparation pour violation du droit de la concurrence : de nouvelles précisions sur le lieu de matérialisation du dommage », Revue critique de droit international privé, Dalloz, Paris, 2020, no 1, p. 129 à 138, en particulier, point 8.


134      Voir Amaro, R., et Thomas, B., « Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (juin 2019 – nov. 2019) », Concurrences, Institut de droit de la concurrence, Paris, 2020, no 1, point 35 « deuxième série de questions ».


135      Voir Racine, J.-B., op. cit., points 57, p. 57, et 70, p. 64.


136      Voir Amaro R., et Laborde, J.-F., op. cit., points 144 et 145, p. 85 et 86. Voir, également, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export (C‑308/19, EU:C:2021:47, point 51).


137      Voir guide pratique concernant la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 [TFUE] [SWD(2013) 205], accompagnant la communication de la Commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 [TFUE] (JO 2013, C 167, p. 19), qui se concentre sur le surcoût, tandis que la répercussion des surcoûts est traitée dans la communication de la Commission intitulée « Orientations à l’intention des juridictions nationales sur la façon d’estimer la part du surcoût répercutée sur les acheteurs indirects » (JO 2019, C 267, p. 4).


138      À cet égard, je renvoie aux propos liminaires de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2014:2443, points 26 et 27, ainsi que 32). Voir, également dans le même sens, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export (C‑308/19, EU:C:2021:47, point 53).


139      Voir point 108 des présentes conclusions.


140      Voir, également, en ce sens, conclusions de l’avocat général Campos Sánchez‑Bordona dans l’affaire Vereniging van Effectenbezitters (C‑709/19, EU:C:2020:1056, point 94).


141      C‑498/14 PPU, EU:C:2015:3.


142      Voir arrêt Sanders et Huber (points 22 et 38). Concrètement, la juridiction compétente, en vertu de la disposition nationale en cause, était l’Amtsgericht (tribunal de district, Allemagne) établi au siège de l’Oberlandesgericht (tribunal régional supérieur, Allemagne) territorialement compétent devant lequel le créancier devrait éventuellement se présenter dans le cadre d’une procédure d’appel.


143      JO 2009, L 7, p. 1.


144      Voir arrêt Sanders et Huber (point 23). L’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 est libellé en des termes semblables à ceux des règles de « [c]ompétences spéciales » en matière d’obligations alimentaires qui figuraient à l’article 5, point 2, de la convention de Bruxelles et à l’article 5, point 2, du règlement no 44/2001.


145      Arrêt Sanders et Huber (point 30).


146      Voir arrêt Sanders et Huber (point 32 et jurisprudence citée). Voir, également, point 22 de cet arrêt s’agissant de la législation nationale en cause. Celle-ci répartissait la compétence territoriale pour des litiges relatifs aux obligations alimentaires en fonction de la présence ou de l’absence d’éléments d’extranéité. Pour les situations transfrontalières, un transfert de compétence territoriale existait au profit d’une juridiction de première instance autre que celle dont l’intéressé relevait en principe en raison du lieu de sa résidence.


147      Voir arrêt Sanders et Huber (point 35).


148      Voir arrêt Sanders et Huber (point 36).


149      Voir arrêt Sanders et Huber (points 44 et 45).


150      À rapprocher de l’arrêt du 16 mai 2013, Melzer (C‑228/11, EU:C:2013:305, point 28). Voir, en matière contractuelle, arrêt du 3 mai 2007, Color Drack (C‑386/05, EU:C:2007:262, points 37 et 44).


151      Le ressort d’une juridiction comprend plusieurs localités ou entités administratives réparties sur un territoire national. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans les affaires jointes Sanders et Huber (C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2171, points 55 et 56).


152      Au point 29 de l’arrêt Sanders et Huber, la Cour a souligné que « l’objectif de bonne administration de la justice doit être entendu non seulement du point de vue d’une optimisation de l’organisation juridictionnelle, mais également [...] au regard de l’intérêt des parties, qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur, lesquels doivent avoir la possibilité de bénéficier, notamment, d’un accès facilité à la justice et d’une prévisibilité des règles de compétence ».


153      Voir points 32 et 46 de cet arrêt. Voir, à titre d’illustration d’une analyse du respect du principe d’effectivité en cas de concentration du contentieux en matière d’aides agricoles devant une juridiction spécialisée en la matière, arrêt du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04 (C‑93/12, EU:C:2013:432, points 50 à 58).


154      C‑498/14 PPU, EU:C:2015:3, points 41 et 51.


155      La Cour a interprété l’article 11, paragraphes 7 et 8, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1).


156      Voir arrêt du 9 janvier 2015, RG (C‑498/14 PPU, EU:C:2015:3, point 52).


157      À cet égard, la Commission a précisé, dans ses observations écrites, que, d’après les informations dont elle dispose, « en Belgique, en Allemagne, en Grèce, en Espagne, en France, en Italie, au Portugal, en Suède et en Slovaquie, les actions en dommages et intérêts sont traitées par des sections spécialisées des juridictions civiles ordinaires, tandis qu’au Danemark, en Lituanie, en Lettonie, en Roumanie et au Royaume-Uni, elles sont traitées par des juridictions spécialisées ». Voir, s’agissant de la France, de l’Italie, et de l’Irlande, précisions apportées par Riffault‑Silk, J., « Les actions privées en droit de la concurrence : obstacles de procédure et de fond », Revue Lamy de la concurrence, janvier/mars 2006, no 6, p. 84 à 90, en particulier, p. 87. Il y est aussi précisé que, dans d’autres matières, les États membres ont pu choisir de concentrer les compétences matérielles des juridictions, notamment, en matière de propriété industrielle. Pour le droit maritime, voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans les affaires jointes Sanders et Huber (C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2171, note en bas de page 72).


158      Ce règlement a pour origine la volonté de développer un instrument spécifique, distinct du règlement no 44/2001, en vue de renforcer la protection des créanciers d’aliments, considéré comme la partie la plus faible, spécialement en matière de reconnaissance et d’exécution des décisions rendues en la matière. Voir arrêt Sanders et Huber (point 41) et conclusions de l’avocat général Jääskinen dans les affaires jointes Sanders et Huber (C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2171, points 38 et 40).


159      Voir note en bas de page 146 des présentes conclusions et arrêt Sanders et Huber (point 46).


160      Voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2014:2443, note en bas de page 74) et, pour des considérations relatives à divers instruments applicables, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Guaitoli e.a. (C‑213/18, EU:C:2019:524, point 74, ainsi que notes en bas de page 67 et 68).


161      Voir points 122 et 123 des présentes conclusions.


162      Selon ce principe, les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ; voir, notamment, arrêt du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04 (C‑93/12, EU:C:2013:432, point 36). En cas de pratiques anticoncurrentielles, il pourrait s’agir de recours engagés sur la base de décisions d’autorités nationales. Voir Blumann, C., et Dubouis, L., Droit matériel de l’Union européenne, 8e éd., Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 2019, point 938, p. 665.


163      Voir, pour le rappel de ces principes généraux destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit de la concurrence, arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, points 62 et 71, ainsi que jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export (C‑308/19, EU:C:2021:47, point 46).


164      Voir point 68 des présentes conclusions.


165      Voir note en bas de page 137 des présentes conclusions.


166      C‑228/11, EU:C:2013:305.