Language of document : ECLI:EU:T:2013:224

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

30 avril 2013 (*)

« Dumping – Importations de poudre de zéolithe A originaire de Bosnie-Herzégovine – Valeur normale – Caractère représentatif des ventes intérieures – Marge bénéficiaire – Opérations commerciales normales »

Dans l’affaire T‑304/11,

Alumina d.o.o., établie à Zvornik (Bosnie-Herzégovine), représentée par Mes J.‑F. Bellis et B. Servais, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J.-P. Hix, en qualité d’agent, assisté de Mes G. Berrisch et A. Polcyn, avocats,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier et H. van Vliet, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement d’exécution (UE) no 464/2011 du Conseil, du 11 mai 2011, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de poudre de zéolithe A originaire de Bosnie-et-Herzégovine (JO L 125, p. 1), dans la mesure où il concerne la requérante,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, F. Dehousse et J. Schwarcz, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 janvier 2013,

rend le présent

Arrêt

1        À la suite d’une plainte déposée le 4 janvier 2010, la Commission européenne a publié, le 17 février 2010, un avis d’ouverture d’une procédure concernant les importations de poudre de zéolithe A originaire de Bosnie-et-Herzégovine (JO C 40, p. 5).

2        La requérante, Alumina d.o.o., membre du groupe Birac, a fourni sa réponse au questionnaire antidumping le 9 avril 2010. La Commission a procédé à une vérification sur place au siège de la requérante du 29 juin au 1er juillet 2010.

3        En vertu du règlement (UE) no 1036/2010 de la Commission, du 15 novembre 2010, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de poudre de zéolithe A originaire de Bosnie-et-Herzégovine (JO L 298, p. 27, ci-après le « règlement provisoire »), la Commission a institué un droit antidumping provisoire de 28,1 % sur les importations de poudre de zéolithe A, également appelée poudre de zéolithe NaA ou de zéolithe 4A, originaire de Bosnie-et-Herzégovine. Selon le considérant 11 du règlement provisoire, la période d’enquête s’étale entre le 1er janvier et le 31 décembre 2009.

4        Il ressort des considérants 3 et 10 du règlement provisoire que le groupe Birac, auquel appartient la requérante, est le seul producteur exportateur du produit concerné en Bosnie-et-Herzégovine.

5        Dans le cadre du calcul de la valeur normale, la Commission a eu recours à la méthodologie décrite à l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 343, p. 51, rectificatif JO 2010, L 7, p. 22, ci-après le « règlement de base »), dès lors que les ventes de la requérante sur le marché intérieur n’étaient pas représentatives au sens de l’article 2, paragraphe 2, du même règlement. Aux fins de la construction de la valeur normale, la Commission a utilisé le bénéfice moyen pondéré réalisé sur les ventes intérieures du produit similaire effectuées par le groupe auquel appartient la requérante (considérants 21 à 26 du règlement provisoire).

6        Par lettre du 16 novembre 2010, la Commission a adressé à la requérante, en vertu de l’article 20 du règlement de base, une copie du règlement provisoire, une communication concernant le calcul spécifique de la marge de dumping, une communication concernant le calcul spécifique de la marge de préjudice et, enfin, une réponse aux arguments soulevés par la requérante au sujet de l’ouverture de l’enquête.

7        Par lettre du 1er décembre 2010, la requérante a soumis ses observations, faisant valoir une violation de l’article 2, paragraphes 3 et 6, du règlement de base, motif pris de l’utilisation, aux fins de la construction de la valeur normale, de la marge bénéficiaire réalisée lors des ventes à son seul client domestique affectées par un risque accru de non-paiement ou de paiement tardif et, par conséquent, ne constituant pas des opérations commerciales normales.

8        Par lettre du 16 mars 2011, la Commission a communiqué à la requérante, conformément à l’article 20 du règlement de base, un document d’information finale ainsi qu’une réponse rejetant les allégations concernant les ventes intérieures visées au point précédent. Par lettre du 18 mars 2011, la requérante a, notamment, réitéré sa position exposée au point précédent.

9        Un droit définitif de 28,1 % applicable au prix net franco frontière de l’Union européenne, avant dédouanement, a été appliqué aux produits cités au point 3 ci‑dessus en vertu du règlement d’exécution (UE) no 464/2011 du Conseil, du 11 mai 2011, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de poudre de zéolithe A originaire de Bosnie-et-Herzégovine (JO L 125, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »).

10      S’agissant de la construction de la valeur normale, le Conseil de l’Union européenne expose, aux considérants 19 et 20 du règlement attaqué, que le ventes intérieures prises en compte ont été effectuées au cours d’opérations commerciales normales et que les institutions pouvaient se fonder sur les données en résultant en dépit de leur absence de caractère représentatif au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base. Dès lors que les ventes en question étaient rentables, la valeur normale construite aurait été identique à celle qui aurait résulté de l’application de l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de base.

11      Par la décision 2011/279/UE de la Commission, du 13 mai 2011, portant acceptation d’un engagement offert dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de poudre de zéolithe A originaire de Bosnie-et-Herzégovine (JO L 125, p. 26), cette institution a accepté l’offre d’engagement sous forme de prix minimal soumise par la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 juin 2011, la requérante a introduit le présent recours.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 29 juillet 2011, la Commission a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien du Conseil. Par ordonnance du 12 septembre 2011, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué à son égard ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

15      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

16      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

17      Au soutien de son recours, la requérante soulève deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 2, paragraphes 3 et 6, du règlement de base et, le second, de la violation de la première phrase de l’article 2, paragraphe 6, du même règlement.

18      Dans le cadre du premier moyen, la requérante fait valoir que, selon l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base, lorsque les ventes intérieures sont insuffisantes, la valeur normale doit être construite en conformité avec le paragraphe 6 de la même disposition. Cet exercice, qui refléterait la pratique constante des institutions lorsque les ventes intérieures ne franchissent pas le seuil de représentativité, ne pourrait par définition être identique au calcul d’une valeur normale sur la base de ventes intérieures non représentatives au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base. En revanche, les circonstances de l’espèce appelleraient l’application d’une marge bénéficiaire raisonnable en vertu de l’article 2, paragraphe 6, sous c), du règlement de base. Or, la marge bénéficiaire moyenne pondérée du groupe de la requérante s’élevant au taux de 58,89 %, exprimée par rapport au coût de production, et de 37,06 %, exprimée par rapport au chiffre d’affaires, et utilisée aux fins du calcul de la valeur normale, serait manifestement déraisonnable, ce dont témoignerait par ailleurs une comparaison avec la marge de 5,9 % prise en compte pour calculer l’élimination du préjudice de l’industrie de l’Union.

19      Dans le cadre du second moyen, la requérante expose, dans le cadre d’une première branche, que, selon la jurisprudence de la Cour, des ventes non représentatives au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base ne sauraient être considérées comme ayant été effectuées au cours d’opérations commerciales normales. En effet, les notions de ventes représentatives, d’une part, et de ventes effectuées au cours d’opérations commerciales normales, d’autre part, seraient intrinsèquement liées. Dès lors que les ventes intérieures prises en compte par les institutions ne représentent que 1,9 % des exportations à destination de l’Union pendant la période d’enquête, force serait de constater que les institutions ont fondé le calcul de la valeur normale sur des transactions non représentatives et, par conséquent, non effectuées au cours d’opérations commerciales normales, en violation de la première phrase de l’article 2, paragraphe 6, du règlement de base.

20      La requérante ajoute, dans le cadre d’une seconde branche, que, en toute hypothèse, la Commission avait reçu durant la procédure administrative des éléments démontrant que les prix de vente à la société D, seul client domestique de la requérante pris en compte, étaient majorés de 25 % au titre de prime de risque de paiement tardif ou de non-paiement, de sorte que ces prix ne refléteraient pas des opérations commerciales normales. À cet égard, le fait que la Commission ait choisi de ne pas vérifier ces éléments lors de la visite sur place ne serait pas pertinent. En outre, selon les renseignements que la requérante a soumis à la Commission, les dettes de la société D vis-à-vis de la requérante auraient été réglées pendant une période prolongée par voie de compensation ou de cession de créances, de sorte que les ventes à ladite société relèvent des activités de troc et des arrangements de compensation créant une situation particulière du marché au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base.

21      Comme il ressort des points 27, 29 et 50 de la requête, les arguments développés par la requérante au sein de chaque moyen tendent à l’inapplicabilité de la première phrase de l’article 2, paragraphe 6, du règlement de base en l’espèce. La requérante fonde ses conclusions, en substance, sur deux motifs. Premièrement, au motif que la construction d’une valeur fondée sur la marge bénéficiaire réalisée au cours des ventes à la société D, seul client domestique de la requérante pris en compte, tiendrait compte exclusivement des transactions non représentatives, ce qui s’opposerait à l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base (premier moyen). Deuxièmement, au motif que les ventes à la société D ne seraient pas effectuées au cours d’opérations commerciales normales, puisque, d’une part, elles ne seraient pas représentatives et, d’autre part, leurs prix seraient majorés d’une marge supplémentaire liée à la situation économique dudit client (second moyen).

22      Interrogée à l’audience, la requérante a indiqué que, même si ses ventes intérieures franchissaient le seuil de représentativité établi par l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, elle contesterait encore l’appréciation selon laquelle elles ont été effectuées au cours d’opérations commerciales normales au motif que les institutions ont inclus la marge supplémentaire liée à la situation économique de la société D.

23      Dans ce contexte, il y a lieu de relever que l’examen du second moyen, lié, sous l’angle de la notion d’opérations commerciales normales, au caractère représentatif des ventes domestiques ainsi qu’à l’inclusion de la prime de 25 % dans le calcul de la marge bénéficiaire, répond au point central de l’argumentation de la requérante, de sorte qu’il y a lieu de l’examiner en premier lieu.

24      À cet égard, s’agissant de la première branche de ce moyen, il y a lieu de relever que, en principe, la question de la représentativité des ventes intérieures au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, qui établit un critère quantitatif, est distincte de celle de savoir si celles-ci ont été effectuées au cours d’opérations commerciales normales au sens de l’article 2, paragraphes 3 et 6, du règlement de base, qui établit un critère qualitatif lié au caractère des ventes considérées en elles-mêmes (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 février 1992, Goldstar/Conseil, C‑105/90, Rec. p. I‑677, point 13). Néanmoins, le volume des ventes intérieures constitue un facteur susceptible d’affecter la formation des prix, de sorte que les deux critères peuvent interagir lorsque, par exemple, le marché intérieur est tellement limité que les prix ne résultent pas du jeu de l’offre et de la demande (voir, en ce sens, arrêt Goldstar/Conseil, précité, points 15 à 18).

25      Toutefois, cette possibilité d’interaction n’implique pas que, lorsque le seuil de représentativité de 5 % n’est pas atteint, les ventes intérieures ne sont pas à considérer comme ayant été effectuées au cours d’opérations commerciales normales. En effet, il ne saurait être exclu dans l’absolu que, malgré le faible volume de ventes intérieures, celles-ci soient effectuées au cours d’opérations commerciales normales, si elles reflètent tout de même un comportement normal des opérateurs impliqués. Dans ces conditions, il y a lieu de se prononcer, tout d’abord, sur l’inclusion de la prime de 25 % dans le calcul de la marge bénéficiaire et, partant, d’examiner la seconde branche du second moyen, exposée au point 20 ci-dessus.

26      À cet égard, il y a lieu de relever que, selon la définition de la notion de dumping figurant à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement de base, le prix à l’exportation doit être comparé au prix pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour le produit similaire dans le pays exportateur, ce qui est repris à l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, et paragraphe 6, du même règlement et reflète son cinquième considérant, selon lequel la valeur normale devrait être fondée dans tous les cas sur des ventes représentatives effectuées au cours d’opérations commerciales normales.

27      Par ailleurs, lorsque la valeur normale ne peut être établie en vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement de base, sa construction en vertu de l’article 2, paragraphes 3 et 6, du règlement de base vise à établir une valeur normale qui soit la plus proche possible du prix de vente d’un produit, tel qu’il serait si le produit en question était vendu dans le pays d’origine ou d’exportation au cours d’opérations commerciales normales (arrêt de la Cour du 10 mars 1992, Minolta Camera/Conseil, C‑178/87, Rec. p. I‑1577, point 17).

28      Il en résulte que l’établissement de la valeur normale a pour but de permettre aux institutions d’apprécier si une pratique de dumping a été mise en œuvre pendant la période d’enquête, et ce en vertu de règles ayant une portée objective sans préjudice du résultat de cet exercice. La notion d’opérations commerciales normales vise donc à exclure, pour la détermination de la valeur normale, les situations dans lesquelles les ventes sur le marché intérieur ne sont pas conclues à de telles conditions, notamment lorsqu’un produit est vendu à un prix inférieur aux coûts de production ou lorsque des transactions ont lieu entre des partenaires qui sont associés ou qui ont conclu un arrangement de compensation (arrêt Goldstar/Conseil, point 24 supra, point 13). Ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 1, troisième alinéa, et de l’article 2, paragraphe 4, du règlement de base et comme le souligne le Conseil au point 57 du mémoire en défense, ces circonstances constituent des exemples de ventes pouvant être considérées comme non effectuées au cours d’opérations commerciales normales.

29      Dans ce contexte, la notion de ventes effectuées au cours d’opérations commerciales normales a une portée objective et peut être invoquée non seulement par les institutions afin de neutraliser des pratiques susceptibles de dissimuler le dumping ou son ampleur (arrangements de compensation présentant des prix de vente artificiellement bas, ventes intérieures à des prix inférieurs aux coûts de production pendant de longues périodes), mais également par les opérateurs ciblés en présence de circonstances affectant le caractère normal des opérations en question (voir, à titre d’illustration, arrêt de la Cour du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica, C‑76/00 P, Rec. p. I‑79, points 65 à 68 et 84 à 86).

30      Partant, les institutions sont tenues d’exclure du calcul de la valeur normale les ventes non effectuées au cours d’opérations commerciales normales, que le prix de vente soit supérieur ou inférieur au prix qui serait pratiqué au cours de telles opérations, quelle que soit la raison pour laquelle la transaction n’a pas lieu au cours d’opérations commerciales normales et quelle que soit l’incidence de cette exclusion sur la conclusion relative à l’existence d’un dumping ou à l’ampleur de celui-ci. En effet, comme l’a constaté l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à propos de l’article 2.1 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT) (JO L 336, p. 103), figurant à l’annexe 1 A de l’accord instituant l’OMC (JO 1994, L 336, p. 3), prendre en compte des ventes effectuées en dehors d’opérations commerciales normales, que ce soit à des prix bas ou élevés, fausserait ce qui est défini comme une valeur « normale » (rapport de l’organe d’appel de l’OMC du 24 juillet 2011, dans l’affaire « États Unis – Mesures antidumping appliquées à certains produits en acier laminés à chaud en provenance du Japon », points 144 et 145).

31      En l’espèce, la requérante a exposé, dans sa réponse au questionnaire antidumping du 9 avril 2010, que ses relations financières avec la société D, son seul client domestique, s’étaient dégradées à cause des retards de paiement, justifiant l’application d’une prime de risque majorant les prix de vente de zéolithe A. Un complément d’information a été fourni à cet égard dans les observations de la requérante soumises par lettre du 1er décembre 2010 (voir point 7 ci-dessus), auxquelles était annexé notamment un contrat, daté du 29 mai 2009, entre la requérante et la société D et fixant la prime en question à 25 %.

32      En réponse à ces arguments, la Commission a indiqué, dans sa lettre du 16 mars 2011 (voir point 8 ci-dessus), que, la société D étant le seul client domestique de la requérante, il n’a pas pu être vérifié si les prix de vente à cette entreprise incluaient effectivement une prime de risque de 25 %. Ainsi, la Commission a considéré que les allégations de la requérante devaient être écartées, sans qu’il soit même besoin d’examiner si les circonstances en cause justifiaient de considérer que les ventes s’y rapportant n’avaient pas été effectuées au cours d’opérations commerciales normales. Néanmoins, selon le considérant 20 du règlement attaqué, « l’enquête a révélé que les données et éléments de preuve fournis par Birac constituaient une base fiable pour déterminer la valeur normale », de sorte que l’argument de la requérante selon lequel les ventes intérieures ne devraient pas être considérées comme ayant été effectuées au cours d’opérations commerciales normales devait être rejeté.

33      À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qu’indique la Commission dans sa lettre du 16 mars 2011, l’absence de ventes domestiques à destination de clients autres que la société D ne rend pas la vérification s’y rapportant impossible. En effet, tout d’abord, l’information sur l’application d’une prime de risque avait déjà été donnée dans la réponse de la requérante au questionnaire antidumping, à savoir avant la visite de vérification. Ensuite, le contrat communiqué par la requérante à la Commission (voir point 31 ci-dessus) fait clairement état, dans son article 6, de la prime en question, le calcul d’une marge bénéficiaire de 58,89 % sur le coût de production ou de 37,06 % sur le chiffre d’affaires constituant par ailleurs des indices sérieux d’application effective de cette prime. Par ailleurs, il ressort des annexes 3.2 et 3.3 de la lettre de la requérante du 1er décembre 2010 que la société D acquittait ses dettes avec retard au moins depuis 2008 et cette tendance s’est poursuivie en 2009, comme en témoigne le tableau figurant en annexe 2 de la même lettre. Enfin, dans la lettre du 16 mars 2011, la Commission a accepté, et a même utilisé, l’argument tiré de la facturation effective de la prime de 25 %, afin de répondre à un autre argument de la requérante affectant le caractère normal des ventes en question tiré cette fois-ci des arrangements de compensation conclus avec la société D.

34      Deuxièmement, l’allégation de la Commission selon laquelle la requérante n’avait pas remis en cause le caractère normal des opérations commerciales en question méconnaît le fait que la requérante a exposé dans sa réponse au questionnaire antidumping que les prix facturés à la société D étaient majorés d’une prime de risque et a développé davantage cet argument aux pages 7 à 9 de sa lettre du 1er décembre 2010.

35      Troisièmement, le Conseil a indiqué, au point 30 de la duplique, que la Commission n’avait pas procédé à une vérification de ces éléments, dès lors qu’elle avait conclu au rejet des allégations de la requérante, puisque ces circonstances ne rendaient pas « anormales » les opérations commerciales en question. S’il y a lieu de comprendre en ce sens le considérant 20 du règlement attaqué (voir point 32 ci-dessus), il convient d’observer ce qui suit.

36      Une prime de risque telle que celle en cause constitue en réalité une contrepartie du risque que le fournisseur entreprend en vendant des produits à un client particulier et en lui accordant un délai pour le paiement. Cette prime ne représente donc pas une partie de la valeur du produit vendu ni n’est liée aux caractéristiques de celui-ci, mais doit son existence et son ampleur à l’identité du client et à l’appréciation que fait son fournisseur de sa capacité financière. Partant, la prise en compte d’une telle prime dans le cadre de la construction de la valeur normale a pour effet d’insérer dans le calcul un facteur n’ayant pas vocation à établir le prix auquel le produit serait vendu dans le pays d’origine (voir point 27 ci-dessus), mais concernant exclusivement la capacité financière de l’acheteur domestique particulier.

37      Dans ce contexte, l’affirmation du Conseil au point 58 du mémoire en défense selon laquelle un risque lié à la solidité financière du client peut être géré en ayant recours à des dommages et intérêts, à des lettres de crédit ou à des avances, mais pas à une prime de risque majorant le prix de vente n’explique pas pourquoi le choix d’appliquer une telle prime ne serait pas offert au vendeur ni, par conséquent, pourquoi l’existence d’un tel risque ne justifierait pas la majoration du prix de vente par une prime destinée à compenser tant ledit risque que les éventuels frais qu’exposerait le fournisseur au cas où il serait finalement contraint de poursuivre son client en justice.

38      Dans les circonstances de l’espèce, l’inclusion d’une prime de risque telle que celle en cause dans le calcul de la marge bénéficiaire établie aux fins de la construction de la valeur normale tient compte d’un élément ne reflétant pas une partie de la valeur du produit vendu, qui majore ainsi artificiellement le résultat du calcul de la valeur normale, de sorte que ce résultat ne reflète plus aussi fidèlement que possible, sous réserve de l’application ultérieure d’un ajustement approprié au titre de l’article 2, paragraphe 10, sous k), du règlement de base, le prix de vente d’un produit, tel qu’il serait si le produit en question était vendu dans le pays d’origine au cours d’opérations commerciales normales (voir points 27 à 30 ci-dessus).

39      Il convient d’ajouter que les arguments présentés par le Conseil et par la Commission lors de l’audience et tenant au fait que les raisons pour lesquelles un producteur met en œuvre des pratiques de dumping ne sont pas pertinentes aux fins de l’établissement des droits antidumping ne sauraient prospérer en l’espèce. À cet égard, s’il est vrai que les raisons pour lesquelles un exportateur a pu être amené à pratiquer du dumping sont indifférentes pour les calculs s’y rapportant, il n’en reste pas moins que la constatation d’un dumping, première étape dans l’examen de la question de savoir s’il convient d’imposer un droit antidumping, repose sur une comparaison purement objective entre la valeur normale et le prix à l’exportation (arrêt du Tribunal du 24 octobre 2006, Ritek et Prodisc Technology/Conseil, T‑274/02, Rec. p. II‑4305, point 59). En l’espèce, le vice lié à la prise en compte de la prime de risque dont se prévaut la requérante affecte la validité du calcul de la valeur normale établie aux fins de l’appréciation de l’existence d’un dumping et se situe ainsi en amont de la conclusion relative à l’existence d’une telle pratique, de sorte qu’il est de nature à affecter la validité de cette conclusion elle-même.

40      De même, le Conseil ne saurait se fonder sur la jurisprudence relative aux ventes intérieures effectuées à des prix prétendument augmentés par la protection dont jouissait le fabriquant du produit concerné en vertu d’un brevet (arrêt de la Cour du 3 mai 2001, Ajinomoto et NutraSweet/Conseil et Commission, C‑76/98 P et C‑77/98 P, Rec. p. I‑3223, et arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, Ajinomoto et NutraSweet/Conseil, T‑159/94 et T‑160/94, Rec. p. II‑2461). À cet égard, il y a lieu de rappeler que, comme l’ont observé le Tribunal et la Cour, les requérantes dans les affaires précitées n’ont pas fait valoir que l’existence dudit brevet ne traduisait pas la situation réelle sur le marché du pays tiers ciblé ni que les ventes prises en compte n’avaient pas été effectuées au cours d’opérations commerciales normales (arrêt Ajinomoto et NutraSweet/Conseil et Commission, précité, point 41, et arrêt Ajinomoto et NutraSweet/Conseil, précité, points 127 à 129). Dans ce contexte, il convient d’ajouter que le règlement (CEE) no 2423/88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1), dans le cadre duquel a été développée la jurisprudence précitée, se fondait sur ce point sur une philosophie différente de celle du règlement de base en ce qu’il ne prévoyait pas de possibilité d’ajuster la valeur normale lorsque les acheteurs paient systématiquement des prix différents sur le marché intérieur à cause de certains facteurs propres à ce marché et affectant la comparabilité des prix, possibilité que prévoit, en revanche, l’article 2, paragraphe 10, sous k), du règlement de base.

41      Eu égard aux considérations qui précèdent, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la légalité du recours à la première phrase de l’article 2, paragraphe 6, du règlement de base à l’aune des griefs formulés dans le cadre du premier moyen, il y a lieu d’accueillir le recours et d’annuler le règlement attaqué dans la mesure où il concerne la requérante.

 Sur les dépens

42      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante. Conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, de ce même règlement, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le règlement d’exécution (UE) no 464/2011 du Conseil, du 11 mai 2011, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de poudre de zéolithe A originaire de Bosnie-et-Herzégovine, est annulé dans la mesure où il concerne Alumina d.o.o.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Alumina.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Forwood

Dehousse

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2013.

Signatures


* Langue de procédure : le français.