Language of document : ECLI:EU:T:2011:80

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

9 mars 2011(*)

« Référé – Marchés publics – Procédure d’appel d’offres – Rejet d’une offre – Demande de sursis à exécution – Méconnaissance des exigences de forme – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑591/10 R,

Castiglioni Srl, établie à Busto Arsizio (Italie), représentée par Me G. Turri, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme S. Delaude et M. N. Bambara, en qualité d’agents, assistés de Me D. Gullo, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires formée dans le cadre de la procédure de passation de marché relative à la conclusion d’un accord-cadre multiple pour l’exécution de travaux de construction, de rénovation et de manutention de bâtiments et d’infrastructures sur le site d’Ispra (Italie) du Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne,



LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        Le 26 juin 2010, la Commission européenne a publié un avis de marché (2010/S 123-187173), rectifié le 28 juillet 2010 (2010/S 144-221158), en ce qui concerne la conclusion d’un accord-cadre multiple pour l’exécution de travaux de construction, de rénovation et de manutention de bâtiments et d’infrastructures sur le site d’Ispra (Italie) de son Centre commun de recherche (CCR). Il était prévu que le marché en cause soit attribué par adjudication, selon le critère du prix le plus bas.

2        Le 2 septembre 2010, les enveloppes de tous les soumissionnaires ont été ouvertes. L’offre de la requérante, Castiglioni Srl, s’est avérée être celle indiquant le prix le plus bas.

3        Par lettre du 29 octobre 2010, la Commission a cependant informé la requérante que son offre n’avait pas été sélectionnée dans la procédure de passation de marché en cause, car il avait été constaté qu’elle ne remplissait pas les critères de capacité technique requis dans l’appel d’offres.

4        Par lettres des 18 novembre et 17 décembre 2010, la Commission a confirmé, en réponse aux réclamations introduites par la requérante les 3 et 25 novembre 2010, la teneur de la lettre du 29 octobre 2010.

5        Le 21 décembre 2010, la Commission a signé l’accord-cadre avec deux des trois opérateurs économiques sélectionnés dans le cadre de la procédure d’appel d’offres.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 décembre 2010, la requérante a introduit un recours visant, en substance, à l’annulation des décisions que contiendraient les lettres de la Commission des 29 octobre, 18 novembre et 17 décembre 2010, ainsi qu’à celle de tout acte connexe et/ou préalable, et à la réparation du prétendu préjudice subi.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 4 janvier 2011, la requérante a introduit une demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal d’ordonner le sursis à l’exécution des actes attaqués ou toute autre mesure provisoire appropriée.

8        Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 20 janvier 2011, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de mesures provisoires présentée par la requérante ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

9        Il ressort d’une lecture combinée de l’article 278 TFUE et de l’article 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

10      Dès lors que le non-respect du règlement de procédure du Tribunal constitue une fin de non-recevoir d’ordre public, il appartient au juge des référés d’examiner d’office, in limine litis, si les dispositions applicables de ce règlement ont été respectées (ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 43, et du 2 août 2006, BA.LA. di Lanciotti Vittorio e.a./Commission, T‑163/06 R, non publiée au Recueil, point 35).

11      À cet égard, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit (fumus boni juris) justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes en référé doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

12      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit de l’Union européenne ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

13      Dans les circonstances de l’espèce, il convient de vérifier si la demande en référé est recevable et, en particulier, si elle contient un exposé suffisamment précis des éléments permettant l’examen de la condition relative à l’urgence.

14      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé, énoncé à l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite des mesures provisoires. Il n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences de cette disposition d’alléguer seulement que l’exécution de l’acte dont le sursis à l’exécution est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende la partie qui sollicite des mesures provisoires présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (ordonnance du président du Tribunal du 14 novembre 2008, Stowarzyszenie Autorów ZAiKS/Commission, T‑398/08 R, non publiée au Recueil, points 31 et 43).

15      En l’espèce, s’agissant de la condition relative à l’urgence, la requérante se limite à indiquer ce qui suit :

« Quant à l’existence du periculum in mora, nous relevons que seule une protection préventive prompte et efficace peut garantir à la requérante le respect de son droit, qui est celui de pouvoir être l’adjudicataire du marché : en effet, Castiglioni […] ne pourrait espérer, une fois écartée la situation d’illégalité, se voir adjuger le marché en question que s’il était sursis à l’exécution des actes. […] L’existence du préjudice grave et irréparable ne peut en outre être exclue sur la base de la possibilité abstraite reconnue à la requérante d’obtenir la réparation du préjudice. […] La possibilité d’obtenir la réparation du préjudice injuste par équivalent n’exclut pas la possibilité d’un préjudice grave et irréparable : le caractère réparable de l’intérêt légitime lésé, en effet, intervient sur un plan différent et ultérieur par rapport à l’objectif premier poursuivi par Castiglioni […] et assuré par la protection préventive, laquelle tend à garantir provisoirement les effets de la décision sur le fond, qui peut tout à fait avoir pour effet de remettre les choses en l’état et de réparer le préjudice causé par l’action administrative : or, un tel résultat ne peut être atteint à travers la procédure en réparation du préjudice, fût-elle victorieuse ».

16      Force est de constater que, en se limitant à avancer de tels arguments génériques, relatifs à l’utilité inhérente à toute action préventive qui est d’éviter la survenance d’un événement redouté, comme celui d’une perte de chance, la requérante s’abstient de fournir des indications concrètes susceptibles de permettre au juge des référés d’apprécier le caractère grave et irréparable du préjudice allégué dans le cas d’espèce, alors que de telles indications sont indispensables à l’appréciation de l’urgence et auraient dû être présentées dans la demande en référé elle-même.

17      En effet, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, en matière de procédure d’appel d’offres, la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave (ordonnances du président du Tribunal du 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T‑195/05 R, non publiée au Recueil, point 150 ; du 15 juillet 2008, CLL Centres de langues/Commission, T‑202/08 R, non publiée au Recueil, point 72, et du 10 juillet 2009, TerreStar Europe/Commission, T‑196/09 R, non publiée au Recueil, point 80). Par conséquent, c’est à la condition que l’entreprise qui sollicite des mesures provisoires ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres en cause que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de ladite entreprise (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 20 janvier 2010, Agriconsulting Europe/Commission, T‑443/09 R, non publiée au Recueil, point 30, et la jurisprudence citée).

18      En l’espèce, il y a lieu d’observer que la requérante n’a pas produit d’éléments permettant d’apprécier si, compte tenu en particulier de sa taille, l’éventuel préjudice résultant pour elle de la perte de chance encourue serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires. Or, s’agissant d’éléments essentiels de fait et de droit constitutifs d’une éventuelle urgence, de telles précisions, étayées par des données chiffrées, auraient dû figurer dans la demande en référé (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R, Rec. p. II‑15, point 34 ; du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 52, et du 23 mai 2005, Dimos Ano Liosion e.a./Commission, T‑85/05 R, Rec. p. II‑1721, point 37).

19      Dès lors, à défaut d’éléments pertinents figurant dans la demande en référé, le juge des référés n’est pas en mesure d’apprécier si, pour la requérante, la perte d’une chance de percevoir les revenus résultant de l’exécution du marché en cause serait telle que le préjudice serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires.

20      Enfin, une demande en référé, qui ne remplit pas les conditions édictées par l’article 104, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure, ne saurait non plus être utilement remplacée ou complétée, en vue de remédier à sa déficience formelle, par un mémoire postérieur, déposé par la partie qui sollicite des mesures provisoires, le cas échéant, en réponse aux observations de la partie adverse. L’ouverture d’une telle possibilité de simple « rattrapage » serait incompatible non seulement avec la célérité requise en matière de référé, mais aussi, et surtout, avec l’esprit de l’article 109 du règlement de procédure en vertu duquel, en cas de rejet d’une demande en référé, la partie qui sollicite des mesures provisoires ne peut présenter une autre demande que si cette dernière est « fondée sur des faits nouveaux » (ordonnances du président du Tribunal du 23 janvier 2009, Pannon Hőerőmű/Commission, T‑352/08 R, non publiée au Recueil, point 31 ; du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, point 62, et Reagens/Commission, précitée, point 51).

21      Il résulte de tout ce qui précède que la présente demande en référé ne satisfait pas aux exigences de l’article 104, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure et doit donc être rejetée comme irrecevable.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 9 mars 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’italien.