Language of document : ECLI:EU:T:2024:372

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

12 juin 2024 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Exclusion des services SWIFT – Obligation de motivation – Article 2, paragraphe 1, sous b) et d), de la décision 2014/145/PESC – Article 1er sexies de la décision 2014/512/PESC – Erreur d’appréciation – Égalité de traitement – Proportionnalité – Droit de propriété – Droit à une protection juridictionnelle effective – Détournement de pouvoir »

Dans l’affaire T‑288/22,

State Development Corporation “VEB.RF”, établie à Moscou (Russie), représentée par Mes J. Iriarte Ángel, L. Rodríguez Jiménez, F. Rodríguez González et L. García López, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Saez Moreno, P. Mahnič et H. Marcos Fraile, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par Mme M. Carpus Carcea et M. G. Luengo, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, I. Gâlea et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme P. Nuñez Ruiz, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 17 janvier 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, State  Development Corporation “VEB.RF”, demande l’annulation, en premier lieu, premièrement, de la décision (PESC) 2022/265 du Conseil, du 23 février 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 42 I, p. 98), et du règlement d’exécution (UE) 2022/260 du Conseil, du 23 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 42 I, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes individuels initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « premiers actes individuels de maintien »), troisièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « deuxièmes actes individuels de maintien »), et, quatrièmement, de la décision 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil du 13 septembre 2023 mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « troisièmes actes individuels de maintien »), en tant que ces actes (ci-après les « actes individuels attaqués ») la concernent.

2        En second lieu, la requérante sollicite, en substance, l’annulation premièrement, de l’article 1er sexies de la décision 2014/512/PESC du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), telle que modifiée par la décision (PESC) 2022/346 du Conseil, du 1er mars 2022 (JO 2022, L 63, p. 5), lu en combinaison avec l’annexe VIII de ladite décision, ainsi que de l’article 5 nonies, du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2013, L 229, p. 1), tel que modifié par règlement (UE) 2022/345 du Conseil, du 1er mars 2022 (JO 2022, L. 63, p. 1), lu en combinaison avec l’annexe XIV de ce règlement (ci-après, pris ensemble, les « actes sectoriels initiaux »), deuxièmement, de l’article 1er sexies, de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision (PESC) 2022/1313 du Conseil, du 26 juillet 2022 (JO 2022, L 198, p. 17), lu en combinaison avec l’annexe VIII de cette décision, ainsi que de l’article 5 nonies, du règlement no 833/2014, tel que modifié par le règlement (UE) 2022/1269 du Conseil du 21 juillet 2022 (JO 2022, L 193, p. 1), lu en combinaison avec l’annexe XIV de ce règlement, troisièmement, de l’article 1er sexies de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision (PESC) 2023/191 du Conseil, du 27 janvier 2023 (JO 2023, L 26, p. 44), lu en combinaison avec l’annexe VIII de cette décision, ainsi que de l’article 5 nonies, du règlement no 833/2014, tel que modifié par le règlement (UE) 2022/2474 du Conseil du 16 décembre 2022 (JO 2022, L 322 I, p.1), lu en combinaison avec l’annexe XIV de ce règlement, et, quatrièmement, de l’article 1er sexies, de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision (PESC) 2023/1517 du Conseil, du 20 juillet 2023 (JO 2023, L 184, p. 40), lu en combinaison avec l’annexe VIII de cette décision, ainsi que de l’article 5 nonies, du règlement no 833/2014, tel que modifié par le règlement (UE) 2023/1214 du Conseil, du 23 juin 2023 (JO 2023, L 159 I, p. 1), lu en combinaison avec l’annexe XIV de ce règlement et, en tant que l’ensemble de ces actes (ci-après les « actes sectoriels attaqués ») la concernent.

 Antécédents du litige

3        À la suite de l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/145/PESC, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), sur le fondement de l’article 29 TUE.

4        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        De même, le 31 juillet 2014, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/512 afin d’introduire des mesures restrictives ciblées dans les domaines de l’accès aux marchés de capitaux de l’Union européenne, de la défense, des biens à double usage et des technologies sensibles, notamment dans le secteur énergétique.

6        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement no 833/2014 qui contient des dispositions plus détaillées afin de donner effet, tant au niveau de l’Union que des États membres, aux prescriptions de la décision 2014/512.

7        Le 8 septembre 2014, le Conseil a modifié la décision 2014/512 par la décision 2014/659/PESC du Conseil (JO 2014, L 271, p.54), ainsi que le règlement n° 833/2014 par le règlement (UE) no 960/2014 du Conseil (JO 2014, L 271, p. 3), afin d’étendre l’interdiction portant sur certains instruments financiers, qui avait été décidée le 31 juillet 2014, et d’imposer des restrictions supplémentaires relatives à l’accès au marché des capitaux.

8        L’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision 2014/659, est rédigé comme suit :

« Sont interdits l’achat direct ou indirect ou la vente directe ou indirecte, la fourniture directe ou indirecte de services d’investissement ou l’aide à l’émission ou toute autre opération portant sur des obligations, actions ou instruments financiers similaires dont l’échéance est supérieure à 90 jours s’ils ont été émis après le 1er août 2014 et jusqu’au 12 septembre 2014, ou dont l’échéance est supérieure à 30 jours, s’ils ont été émis après le 12 septembre 2014 par :

a) les principaux établissements de crédit ou institutions financières de développement établis en Russie, détenus ou contrôlés à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, dont la liste figure à l’annexe I ;

b) toute personne morale, toute entité ou tout organisme établi en dehors de l’Union qui est détenu à plus de 50 % par une entité figurant à l’annexe I ;

c) toute personne morale, toute entité ou tout organisme agissant pour le compte ou sur les instructions d’une entité de la catégorie visée au point b) du présent paragraphe ou figurant à l’annexe I. »

9        Le 8 septembre 2014, le nom de la requérante a été inscrit au point 4 de l’annexe I de la décision 2014/512.

10      L’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 833/2014, tel que modifié par le règlement n° 960/2014, contient des dispositions, en substance similaires à celles mentionnées au point 8 ci-dessus. Le 8 septembre 2014, la requérante a été inscrite sur la liste figurant à l’annexe III du règlement n° 833/2014.

11      À la suite de l’arrêt du 13 septembre 2018, Vnesheconombank/Conseil (T‑737/14, non publié, EU:T:2018:543), le Tribunal a rejeté le recours en annulation introduit par la requérante à l’encontre de la décision 2014/512, dans sa version résultant de la décision 2014/659, et du règlement n° 833/2014, dans sa version résultant du règlement n° 960/2014, et la Cour a, par l’arrêt du 25 juin 2020, Vnesheconombank/Conseil (C‑731/18 P, non publié, EU:C:2020:500), rejeté son pourvoi.

12      Le 23 février 2022, le Conseil a adopté les actes individuels initiaux et la requérante a été inscrite, sous le numéro 55, dans le tableau relatif aux entités figurant à l’annexe de la décision 2014/145 et, sous le même numéro, dans le tableau relatif aux entités figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014.

13      À cette date, l’article 2 de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision (PESC) 2021/2196 du Conseil, du 13 décembre 2021 (JO 2021, L 445 I, p. 14), se lisait comme suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[...] b)      à des personnes morales, des entités ou des organismes qui soutiennent matériellement ou financièrement des actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ;

[...]

d)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Est de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ; [...] »

14      L’article 3, paragraphe 1, sous b) et d), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2021/2193 du Conseil, du 13 décembre 2021 (JO 2021, L 445 I, p. 4), contient des dispositions en substance similaires à celles prévues par l’article 2, paragraphe 1, sous b) et d) de la décision 2014/145 (ci-après, respectivement, le « critère b) » et le « critère d) »).

15      La décision du Conseil d’appliquer des mesures restrictives à l’égard de la requérante était motivée dans les actes individuels initiaux comme suit (ci-après la « motivation contestée ») :

« VEB.RF est un grand établissement de développement financier dont le président est directement nommé par le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, et reçoit directement des instructions de ce dernier. VEB.RF génère une importante source de revenus pour le gouvernement russe et gère ses fonds de pension d’État.

VEB.RF joue un rôle actif dans la diversification du secteur de la défense de la Fédération de Russie et a des projets avec des entreprises de l’industrie de la défense, y compris la société Rostec, qui apportent un soutien aux actions qui compromettent et menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

VEB[.RF] a accordé des prêts à des petites et moyennes entreprises en Crimée, qu’elle considère comme une “région prioritaire”, et a des partenariats avec le ministère des affaires de Crimée, responsable de l’intégration, dans la Fédération de Russie, de la “République autonome de Crimée” annexée.

En cette qualité, VEB.RF apporte un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Est de l’Ukraine, ou tire avantage de ces décideurs. »

16      Le 24 février 2022, le Conseil a indiqué à la requérante qu’il avait adopté à son égard les actes individuels initiaux et lui a notifié le dossier WK 2610/2022 INIT (ci-après le « dossier WK initial »).

17      Le même jour, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

18      Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin, notamment, de modifier les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

19      Les critères b) et d), figurant dans la décision 2014/145 , telle que modifiée par la décision 2022/329, ainsi que dans le règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, sont similaires à ceux prévus dans la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2021/2196, ainsi qu’à ceux prévus dans le règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement d’exécution 2021/2193 à l’exception près que, d’une part, l’adjectif « actif » a été retiré du critère d) et que, d’autre part, la référence faite à l’Est de l’Ukraine a été étendue à la totalité de cet État.

20      Le 1er mars 2022, le Conseil a adopté les actes sectoriels initiaux.

21      La décision 2022/346, qui est l’un des deux actes sectoriels initiaux, a inséré, dans la décision 2014/512, un nouvel article 1er sexies libellé comme suit :

« À partir du 12 mars 2022, il est interdit de fournir des services spécialisés de messagerie financière, qui sont utilisés pour échanger des données financières, aux personnes morales, entités ou organismes énumérés à l’annexe VIII ou à toute personne morale, toute entité ou tout organisme établis en Russie et dont plus de 50 % des droits de propriété sont détenus, directement ou indirectement, par une entité mentionnée à l’annexe VIII. »

22      L’annexe VIII de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision 2022/346, intitulée « liste des personnes morales, entités ou organismes visés à l’article 1er sexies », mentionne la Vnesheconombank (VEB), également connue sous le nom de VEB.RF.

23      Les considérants 4 et 5 de la décision 2022/346 indiquent :

« (4) Dans ses conclusions du 24 février 2022, le Conseil européen a condamné avec la plus grande fermeté l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Par ses actions militaires illégales, la Russie viole de façon flagrante le droit international et les principes de la charte des Nations unies, et porte atteinte à la sécurité et à la stabilité européennes et mondiales. Le Conseil européen a appelé à l’élaboration et à l’adoption en urgence d’un nouveau train de sanctions individuelles et économiques.

(5)       Compte tenu de la gravité de la situation, et en réaction à l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine, il convient d’instaurer de nouvelles mesures restrictives en ce qui concerne la fourniture de services spécialisés de messagerie financière à certains établissements de crédit russes ainsi qu’à leurs filiales russes, qui sont importants pour le système financier russe et font déjà l’objet de mesures restrictives imposées par l’Union ou par des pays partenaires, et, sous réserve de certaines exceptions, en ce qui concerne les relations avec le Russian Direct Investment Fund. Il y a également lieu d’interdire, sous réserve de certaines exceptions, la fourniture de billets de banque libellés en euros à la Russie. »

24      Le règlement 2022/345, qui est également un des deux actes sectoriels initiaux, a inséré, dans le règlement n° 833/2014, l’article 5 nonies et l’annexe XIV, dont la teneur est similaire à l’article 1er sexies de la décision 2014/512 et à l’annexe VIII de cette décision.

25      Les considérants 3 et 4 du règlement 2022/345 indiquent, en substance, que, à la suite de l’adoption de la décision 2022/346, qui a eu pour effet d’instaurer de nouvelles mesures restrictives en ce qui concerne la fourniture de services spécialisés de messagerie financière à certains établissements de crédit russes ainsi qu’à leurs filiales russes, qui sont importants pour le système financier russe et font déjà l’objet de mesures restrictives imposées par l’Union ou par des pays partenaires, il est nécessaire d’adopter une action réglementaire au niveau de l’Union, notamment afin d’en garantir l’application uniforme.

26      Par la décision (PESC) 2022/884 du Conseil, du 3 juin 2022, modifiant la décision 2014/512 (JO 2022, L 153, p. 128), et le règlement (UE) no 2022/879 du Conseil, du 3 juin 2022, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2022, L 153, p. 53), le Conseil a respectivement modifié la rédaction de l’article 1er sexies de la décision 2014/512 et celle de l’article 5 nonies, du règlement n° 833/2014, sans pour autant modifier substantiellement le contenu des dispositions mentionnées aux points 21 et 24 ci-dessus.

27      Le 30 juin 2022, le Conseil a informé la requérante de son intention de maintenir à son encontre les mesures restrictives prévues par les actes sectoriels initiaux et lui a transmis le dossier WK 9336/2022 INIT du 28 juin 2022, qui est identique au dossier WK initial mentionné au point 16 ci-dessus.

28      Le 26 juillet 2022, le Conseil a adopté la décision 2022/1313.

29      Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les premiers actes individuels de maintien et maintenu la requérante, sous le numéro 55, sur la liste figurant en annexe de la décision 2014/145 et à l’annexe I du règlement no 269/2014, pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 15 ci-dessus.

30      Le 27 janvier 2023, le Conseil a adopté la décision 2022/1269.

31      Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté les deuxièmes actes individuels de maintien et maintenu la requérante, sous le numéro 55, sur la liste figurant en annexe de la décision 2014/145 et à l’annexe I du règlement no 269/2014.

32      Le 19 juin 2023, le Conseil a fait part à la requérante de son intention de maintenir les mesures sectorielles dont elle faisait l’objet et l’a invitée à lui transmettre ses observations éventuelles avant le 4 juillet 2023. Il lui a en outre notifié le dossier WK 7599/23 INIT (ci-après le « dossier WK2 »).

33      Le 20 juillet 2023, le Conseil a adopté la décision 2023/191.

34      Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté les troisièmes actes individuels de maintien.

 Conclusions des parties

35      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes individuels attaqués et les actes sectoriels attaqués (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

36      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

37      La Commission conclut au rejet du recours et à la condamnation de la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

38      Il convient de prendre acte de ce que, lors de l’audience, le Conseil, a indiqué se désister des irrecevabilités, qu’il avait soulevées dans ses observations sur les mémoires en adaptation en date des 6 octobre 2022 et 19 avril 2023, ce que la requérante n’a pas contesté.

 Sur le fond

39      À l’appui de son recours, la requérante fait valoir six moyens, tirés, le premier, d’une erreur d’appréciation, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective, le quatrième, d’une violation du droit de propriété, le cinquième, d’une violation du principe d’égalité de traitement et, le sixième, du détournement de pouvoir.

40      Le Tribunal estime opportun d’examiner, dans un premier temps, le deuxième moyen, relatif à la violation de l’obligation de motivation, dans un deuxième temps, le premier moyen, relatif à la prétendue erreur d’appréciation, dans un troisième temps, le quatrième moyen, relatif à la violation du droit de propriété au regard du principe de proportionnalité, pour analyser, dans un quatrième temps, le cinquième moyen, relatif à la violation du principe d’égalité de traitement et, dans un cinquième temps, le troisième moyen, relatif à la prétendue violation du droit à une protection juridictionnelle effective et le sixième moyen, relatif à un détournement de pouvoir.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

41      Ce moyen peut être divisé en deux branches, la première, tirée d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation des actes individuels attaqués et la seconde, d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation des actes sectoriels attaqués.

–       Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation des actes individuels attaqués

42      Par la première branche de ce moyen, la requérante fait, en substance, valoir que les actes individuels attaqués ne sont pas suffisamment motivés, dans la mesure où la motivation contestée ne repose sur aucun fait concret, mais est formulée de manière imprécise et générique, ce qui l’empêche de comprendre avec précision ce qui lui est réellement reproché et, en conséquence, les raisons pour lesquelles elle fait l’objet de mesures restrictives.

43      Dans ses mémoires en adaptation, la requérante maintient les arguments mentionnés aux points 42 ci-dessus en ce qui concerne les actes individuels attaqués.

44      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

45      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 65 et jurisprudence citée).

46      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 66 et jurisprudence citée).

47      La jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 66 et jurisprudence citée).

48      Enfin, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, points 73 et 74 et jurisprudence citée).

49      En l’espèce, il y a d’emblée lieu de relever que la motivation des actes individuels attaqués est restée inchangée depuis l’adoption des actes individuels initiaux, de sorte que l’analyse de la motivation de ces actes individuels initiaux vaut pour l’ensemble des actes individuels attaqués.

50      En outre, il y a lieu de souligner que chacun des actes individuels attaqués précise le contexte, dans le cadre des considérants desdits actes, et les fondements juridiques sur lesquels ils ont été adoptés.

51      Par ailleurs, le dernier paragraphe de la motivation contestée, qui revêt un caractère conclusif, reprend la formulation du critère d). Cela implique que, en procédant ainsi, le Conseil a considéré que l’ensemble des développements figurant dans la motivation contestée permettait de répondre à ce critère.

52      Quant au critère b), il y a lieu de relever que le Conseil y a fait référence en indiquant que la requérante avait des projets avec des entreprises du secteur de la défense, qui, elles-mêmes, apportent un soutien aux actions qui compromettent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

53      Ainsi, par la mention faite au soutien aux actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la requérante pouvait comprendre que le Conseil a fondé les mesures restrictives individuelles tant sur le critère b) que sur le critère d) et que la référence, notamment, aux prêts à des petites et moyennes entreprises en Crimée se rattachait à ces deux critères.

54      D’ailleurs, le dossier WK initial, communiqué à la requérante au moment de l’adoption des actes individuels initiaux, confirme cette analyse, dès lors qu’il se réfère explicitement à ces deux critères.

55      Il s’ensuit que la motivation contestée permettait à la requérante de comprendre, de manière suffisamment précise, les faits que lui reprochait le Conseil pour chacun des deux critères concernés.

56      À cet égard, il y a lieu de rejeter l’allégation selon laquelle la motivation contestée ne repose sur aucun fait concret et manque de précision.

57      En effet, cette motivation se réfère à des faits objectifs, spécifiques et concrets, en l’espèce, notamment, au fait, premièrement, que la requérante entretient des liens institutionnels et fonctionnels avec le président de la Fédération de Russie, deuxièmement, qu’elle participe à des projets avec les industries de la défense russe, y compris Rostec, et collabore ainsi à la diversification de ce secteur économique et, troisièmement, qu’elle participe au financement des petites et moyennes entreprises (ci-après les « PME ») de Crimée. De plus, ladite motivation permet de comprendre, comme mentionné aux points 51 à 54 ci-dessus, les raisons pour lesquelles le Conseil considère que les critères b) et d) sont constitués.    

58      Il en résulte qu’il y a lieu de considérer la motivation contestée comme étant suffisante, ce qui, ainsi que rappelé au point 48 ci-dessus, ne préjuge en rien du bien-fondé des motifs des actes individuels attaqués.

59      S’agissant du grief selon lequel il n’est pas possible pour la requérante de comprendre le lien existant entre le fait qu’elle est un important établissement de développement financier, que son président est nommé par le président de la Fédération de Russie ou qu’elle aurait octroyé des prêts en Crimée, d’une part, et le critère d), d’autre part, il y a lieu de relever que ce grief porte non pas sur la motivation en tant que telle, mais sur la question de savoir si la conclusion de la motivation contestée, qui s’appuie sur ce critère est bien fondée, ce qui sera examiné à dans le cadre de l’analyse du premier moyen tiré de l’erreur d’appréciation.

60      Eu égard aux éléments figurant aux points 49 à 59 ci-dessus, il y a lieu de rejeter la première branche du deuxième moyen.

–       Sur la seconde branche du deuxième moyen, tirée d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation des actes sectoriels attaqués

61      Par la seconde branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que les actes sectoriels attaqués sont dépourvus de toute motivation et que le Conseil ne saurait se prévaloir du fait que la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté.

62      À cet égard, la requérante souligne que, à la différence des modifications apportées, le 8 septembre 2014, à la décision 2014/512 et au règlement n° 833/2014, telles que mentionnées aux points 7 à 10 ci-dessus, son inscription sur la liste de l’annexe VIII de la décision 2014/512 et sur l’annexe XIV du règlement n° 833/2014 n’est justifiée par aucun élément objectif, dans la mesure où figurent dans ces annexes seulement deux des cinq établissements bancaires inscrits sur la liste de l’annexe I de la décision 2014/512 et sur celle de l’annexe III du règlement n° 833/2014, toutes deux mentionnées aux points 9 et 10 ci-dessus. 

63      Elle ajoute qu’elle est la seule, parmi les sept entités inscrites à l’annexe VIII de la décision 2014/512, à ne pas être une banque et qu’elle ne présente, en tout état de cause, aucune des caractéristiques de chacune des six autres entités.

64      À cet égard, elle fait valoir, premièrement, qu’elle ne figure pas sur la liste des 50 premiers établissements de crédit de la Fédération de Russie, deuxièmement, qu’elle n’a pas été inscrite sur la liste des établissements d’importance systémique et, troisièmement, qu’elle ne participe ni aux prêts hypothécaires financés par l’État pour le personnel militaire ni à la fourniture de services en faveur du ministère de la défense ou de l’industrie de la défense.

65      Dans la réplique, la requérante soutient que le Conseil ne saurait se prévaloir de simples considérants, qui n’ont aucune valeur normative, pour satisfaire à son obligation de motivation, et que, du fait de la nature répressive des mesures restrictives, de tels considérants devraient être interprétés de manière restrictive.

66      Elle ajoute que le premier des deux motifs mentionnés au considérant 5 de la décision 2022/346, à savoir celui relatif aux établissements financiers qui sont importants pour le système financier russe, est trop flou. À cet effet, elle indique qu’il est impossible de déterminer le seuil à partir duquel un tel établissement peut être considéré comme important et que, en tout état de cause, elle n’est pas une banque et ne fait pas partie du système financier russe.

67      La requérante déclare qu’il en serait de même en ce qui concerne le second motif, relatif aux établissements financiers qui font déjà l’objet de mesures restrictives imposées par l’Union ou par des pays partenaires, dans la mesure où, faisant l’objet de mesures restrictives tant de la part de l’Union que d’États tiers, elle est incapable d’identifier la mesure restrictive à laquelle le Conseil se réfère pour justifier la nouvelle mesure restrictive dont elle fait l’objet.

68      Dans ses mémoires en adaptation, la requérante maintient les arguments déjà formulés. 

69      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut au rejet de la seconde branche du deuxième moyen.

70      Il y a lieu de constater, d’emblée, que, de manière générale, l’objet des mesures restrictives résultant des actes sectoriels attaqués est défini par référence à des entités spécifiques, étant donné qu’elles interdisent, notamment, l’exécution de diverses opérations financières à l’égard d’entités inscrites à l’annexe VIII des décisions sectorielles et à l’annexe XIV des règlements sectoriels, mentionnés au point 2 ci-dessus, parmi lesquelles figure la requérante. Il s’agit donc de mesures restrictives individuelles (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 100 et 119). Partant, les principes jurisprudentiels exposés aux points 45 à 47 ci-dessus demeurent valables. Le Conseil était donc tenu de fournir notamment les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il a considéré, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que la requérante devait faire l’objet des mesures en cause.

71      En l’espèce, premièrement, il convient de rappeler que les mesures restrictives découlant des dispositions pertinentes des actes sectoriels initiaux attaqués s’inscrivent dans le contexte, connu de la requérante, de grave tension internationale, rappelé aux points 3 à 34 ci-dessus. Il ressort également des considérants 4 et 5 de la décision 2022/346 (voir point 23 ci-dessus) que les mesures restrictives en cause s’inscrivent dans les finalités poursuivies par la stratégie globale de riposte rapide, unifiée, graduée et coordonnée, mise en place par l’Union, moyennant l’adoption d’une série de mesures restrictives, dans le but ultime d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 163).

72      Deuxièmement, les considérants 4 et 5 de la décision 2022/346, cités au point 23 ci-dessus, mettent en évidence que cette décision a été adoptée dans le contexte de l’aggravation de la crise ukrainienne et de la volonté du Conseil d’instaurer de nouvelles mesures restrictives à l’encontre « de certains établissements de crédit russes [...] qui sont importants pour le système financier russe et font déjà l’objet de mesures restrictives imposées par l’Union ou par des pays partenaires ».

73      De plus, la lecture des considérants 3 et 4 du règlement 2022/345 permet de comprendre que l’adoption de ce règlement est liée à la mise en œuvre des mesures restrictives prévues par la décision 2022/346.

74      Or, indépendamment du fait que la motivation en cause ne se réfère pas expressément à la requérante, il y a lieu de considérer, cependant, que les « raisons spécifiques et concrètes » pour lesquelles le Conseil a estimé, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que la requérante devait faire l’objet des actes sectoriels initiaux correspondent en l’espèce aux critères qui sont mentionnés dans les considérants 4 et 5 de la décision 2022/346. Ainsi, les éléments mentionnés aux points 72 et 73 ci-dessus sont suffisamment précis et concrets pour permettre à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles le Conseil a adopté, à son égard, les actes sectoriels initiaux et de les contester devant le Tribunal, ce qu’elle fait d’ailleurs par le présent recours.

75      En effet, la requérante a pu comprendre qu’elle était concernée par les actes sectoriels initiaux, au motif qu’elle remplissait les conditions spécifiques et concrètes prévues aux considérants pertinents desdits actes et qu’elle était visée dans leurs annexes respectives. À cet égard, même si, comme l’indique la requérante, les considérants n’ont pas de valeur normative à eux seuls, ils ont contribué à lui permettre de comprendre la motivation des actes sectoriels initiaux et de l’adoption des mesures restrictives à son égard, la question de leur nature répressive ou non étant inopérante.

76      En outre, il y a lieu de relever que le fait d’avoir recours aux mêmes considérations pour adopter des mesures restrictives visant plusieurs personnes n’exclut pas que lesdites considérations donnent lieu à une motivation suffisamment spécifique pour chacune des personnes concernées (arrêt du 13 septembre 2018, Vnesheconombank/Conseil, T‑737/14, non publié, EU:T:2018:543, point 76).

77      De même, il importe peu de déterminer à quelles mesures restrictives le Conseil s’est référé en particulier pour adopter les actes sectoriels attaqués. En effet, le considérant 5 de la décision 2022/346 se réfère à une mesure restrictive déjà prise par l’Union ou par des « pays partenaires » et, au moment de l’adoption des actes sectoriels initiaux, la requérante faisait déjà l’objet de mesures restrictives, ainsi que cela résulte des points 7 à 10 ci-dessus, ainsi que, selon ses dires, de mesures restrictives de la part d’un État tiers.

78      S’agissant de l’allégation selon laquelle la requérante ne serait pas une banque présentant un risque systémique ou qu’elle ne présenterait aucune des caractéristiques des autres banques inscrites sur chacune des listes des deux annexes des actes sectoriels initiaux attaqués, il suffit de relever que de tels griefs relèvent non pas d’un défaut de motivation, mais de la contestation au fond de la décision de l’inscrire sur ces listes.

79      Eu égard aux éléments mentionnés aux points 70 à 78 ci-dessus, il y a lieu de rejeter le moyen tiré du défaut de motivation des actes sectoriels initiaux.

80      S’agissant de la décision 2022/1313, de la décision 2023/191 et de la décision 2023/1517 et, partant, du maintien des mesures restrictives dont fait l’objet la requérante au titre de l’article 5 nonies et de l’annexe XIV du règlement no 833/2014, il y a lieu de relever que les considérants de ces trois décisions se réfèrent à la persistance de la situation en Ukraine du fait de la Fédération de Russie et, par conséquent, à la nécessité de maintenir les mesures en cours.

81      Or, de tels éléments sont suffisants, compte tenu du contexte que la requérante ne saurait ignorer et des éléments figurant dans la décision 2022/1313, la décision 2023/191 et la décision 2023/1517, rappelés aux points 23 à 25 ci-dessus, pour considérer la motivation de ces trois décisions et, partant, la motivation du maintien du requérant sur la liste de l’annexe XIV des règlements modifiés se rapportant à ces trois décisions comme étant suffisantes.

82      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le moyen relatif au défaut ou à l’insuffisance de motivation des actes sectoriels de maintien attaqués et, partant, le deuxième moyen dans son ensemble.

 Sur le premier moyen, tiré de l’erreur d’appréciation

83      Le premier moyen, tiré de l’erreur de l’appréciation, se divise en deux branches, la première porte sur les actes individuels attaqués et, la seconde, sur les actes sectoriels attaqués.

–       Sur la première branche du premier moyen, tirée de l’erreur d’appréciation dans les actes individuels attaqués

84      Par la première branche du premier moyen, la requérante fait, en substance, valoir que les éléments factuels, dont se prévaut le Conseil, dans la motivation contestée, sont insuffisants pour caractériser tant le critère b) que le critère d).

85      À cet égard, la requérante fait valoir que son capital est distinct du patrimoine de la Fédération de Russie, qu’elle n’est pas une banque, mais une entité publique sans but lucratif, qui œuvre à des fins d’utilité sociale et qui ne peut exercer d’activité commerciale que pour contribuer à la réalisation de ses objectifs clés, tout en supportant, dans la limite du montant de son capital et de manière indépendante, ses engagements financiers.

86      Elle ajoute ne pas participer à la vie politique, ne pas faire partie de l’organisation institutionnelle de l’État russe, ne pas recevoir d’instructions du président de la Fédération de Russie, contrairement à ce qu’indique le Conseil, sur la base de l’exploitation détournée des pièces nos 2 et 7 du dossier WK initial.

87      Quant à l’affirmation selon laquelle la requérante génère une importante source de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, elle indique que cette affirmation ne repose sur aucun fait concret. Cela est d’autant plus vrai que, en tant qu’organisation à but non lucratif, ainsi que cela résulte de l’article 3, paragraphe 1, de la loi fédérale relative au statut de VEB.RF (ci-après « la loi fédérale »), elle ne peut pas distribuer de bénéfices, dès lors qu’elle ne peut les affecter qu’à la réalisation de ses objectifs principaux, ce qui exclut tout transfert de revenus en faveur du gouvernement de la Fédération de Russie.

88      La requérante ajoute que ni la Fédération de Russie ni son gouvernement, non plus qu’aucun homme politique de cette fédération, ne tire profit des bénéfices qu’elle génère, dès lors que cela ne répond pas à son objet social, tel que défini à l’article 3, paragraphe 1, de la loi fédérale.

89      S’agissant des fonds de pension russes, la requérante indique que la gestion de ces fonds a été confiée à 19 sociétés de gestion, parmi lesquelles elle figure. De plus, les bénéfices, dont fait état la pièce n° 9 du dossier WK initial, désignent, selon elle, le rendement des placements de l’épargne-retraite, qui constitue le bénéfice des futurs retraités et non celui de VEB.RF.

90      En ce qui concerne le grief relatif au fait que la requérante investirait dans le secteur de la défense, cette dernière fait, en substance, valoir, d’une part, que, ainsi que cela résulte des pièces n° 1, 3 et 4 du dossier WK initial, elle n’investit que dans les activités déployées dans le secteur civil des industries militaires, en participant ainsi à la conversion de ces industries vers l’activité civile. Elle ajoute que la motivation contestée et les éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’appuie ne concernent que des projets pour l’avenir, non réalisés et donc hypothétiques, ce qui n’est pas suffisant pour justifier qu’elle fasse l’objet de mesures restrictives.

91      S’agissant du grief relatif aux prêts à des PME de Crimée effectués par la requérante, cette dernière indique, notamment, que ces prêts représentent une activité dérisoire par rapport au montant global de ceux qu’elle a consentis aux PME de la Fédération de Russie. Elle ajoute qu’elle n’a pas de bureau de représentation dans cette région et que le ministère des Affaires de la Crimée a été dissout en 2015, sans que l’accord qu’elle a conclu avec lui se concrétise. Elle conclut que, dès lors qu’il n’est pas prouvé qu’elle a poursuivi une politique spéciale de crédit ou une telle politique qui serait significativement importante en Crimée, il ne saurait être considéré qu’elle soutient les décideurs russes responsables de l’invasion de l’Ukraine.

92      Elle indique que, au contraire, par l’intermédiaire de deux de ses filiales, elle a investi massivement dans l’économie ukrainienne à partir de 2012 et fait valoir avoir subi des pertes massives du fait de l’invasion de l’Ukraine.

93      Dans ses mémoires en adaptation des 10 novembre 2022, 29 mai 2023 et 5 octobre 2023, la requérante maintient les arguments mentionnés ci-dessus.

94      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

95      À titre liminaire, il importe de relever que le premier moyen doit être considéré comme étant tiré de l’erreur d’appréciation et non de l’erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont satisfaits, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

96      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme étant suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

97      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

98      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

99      C’est à l’aune des éléments mentionnés aux points 95 à 98 ci-dessus que sera analysée la question de savoir si le Conseil a, sans erreur d’appréciation, adopté les actes individuels attaqués.

100    En ce qui concerne le critère b), les pièces nos 2, 5 et 6 du dossier WK initial, respectivement, extraites d’une page du site Internet de la requérante, datée d’avril 2019, qui restitue les extraits d’un entretien entre le président de la Fédération de Russie et le président de VEB.RF, d’une dépêche de l’agence TASS, datée de juillet 2021, et d’un rapport d’activités non daté de VEB.RF, sont utiles pour appréhender le statut et l’activité de cet organisme financier.

101    En effet, la lecture conjointe de ces trois éléments de preuve met en évidence que la requérante est présentée comme une entreprise publique à but non lucratif et comme une « institution de développement économique national de Russie », qui, en étroite collaboration fonctionnelle et institutionnelle avec le président de la Fédération de Russie et le gouvernement de cette fédération, et dans le cadre de la politique économique que le premier détermine et que le second conduit, agit pour l’intérêt public en apportant, notamment, son concours financier aux régions dont le développement économique est prioritaire, au nombre desquelles figure la Crimée.

102    De plus, s’agissant de la situation institutionnelle de la requérante, en général, et de la fonction du président de cette institution, en particulier, il y a lieu de relever que la pièce no 5 du dossier WK initial met en évidence que, dans la continuation de ses fonctions de vice-Premier ministre, la nomination du président de VEB.RF a été décidée par le président de la Fédération de Russie.

103    De plus, la pièce no 2 du dossier WK initial démontre que la requérante et son président agissent en rapport étroit dans le cadre de la politique économique que détermine le chef de l’État russe et que conduit le gouvernement.

104    En effet, à plusieurs reprises lors de l’entretien entre le président de la Fédération de Russie et le président de VEB.RF, la requérante, en la personne de son président, se réfère aux instructions et à l’accord du président de la Fédération de Russie sur la teneur et la conduite de projets d’ampleur nationale qu’elle mène, tels que le développement des nouvelles technologies ou de l’économie urbaine. De même, elle indique qu’elle prend une part active « dans presque toutes les activités du [g]ouvernement » et qu’elle fait régulièrement un rapport sur l’état d’avancement de ces projets au président de ladite fédération et que les membres du directoire sont également nommés et démis de leurs fonctions par décision du conseil de surveillance, sur proposition du président de VEB.RF, de sorte qu’il est possible de conclure que l’ensemble des dirigeants et des administrateurs de cette société sont directement ou indirectement nommés ou révoqués par le président de la Fédération de Russie ou par le gouvernement de cette fédération.

105    La liaison existante entre le gouvernement de la Fédération de Russie et les instances dirigeantes de VEB.RF est confirmée également par un document joint au mémoire en défense, qui démontre que, en pratique, la totalité des membres du conseil de surveillance de ladite société, à l’exclusion d’un seul, qui est un assistant du président de la Fédération de Russie, sont des ministres du gouvernement de cette fédération.

106    Quant à l’activité de la requérante, la lecture combinée des articles 3, 4 et 12 de la loi fédérale met en évidence le fait que, par son objet social, elle soutient la politique économique déterminée par le président de la Fédération de Russie et conduite par le gouvernement de cette fédération.

107    En effet, l’article 3, paragraphe 1, de la loi fédérale prévoit que la requérante a, notamment, pour fonction de faciliter le développement socio-économique de la Fédération de Russie et de créer des conditions favorables pour une croissance économique durable au sein de cette fédération. L’article 3, paragraphe 4, alinéa 8, de cette loi oblige ainsi la requérante, notamment, à participer à des projets destinés à développer des zones économiques spéciales et à apporter un soutien financier à des « zones de développement socio-économique ultra prioritaires ». De plus, l’article 3, paragraphe 5, de ladite loi prévoit que la requérante participe, sur demande du président de la Fédération de Russie, aux projets « d’importance nationale, stratégique ou revêtant une haute importance pour l’économie russe ».

108    De même, l’article 4, paragraphe 6, de la loi fédérale prévoit que les investissements clés et les domaines dans lesquels la requérante consent des prêts « sont spécifiés dans le mémorandum de la politique financière de VEB.RF approuvé par le [g]ouvernement de la Fédération de Russie ».

109    Il résulte ainsi des points 100 à 108 ci-dessus que tant la composition des organes décisionnels et administratifs de la requérante que son activité sont étroitement liées à la politique déterminée par le président de la Fédération de Russie et conduite par le gouvernement de cette fédération.

110    Quant à la question de savoir si la requérante participe au financement de l’économie de la Crimée et soutient en conséquence, d’un point de vue matériel ou financier, la politique d’annexion de cette région par le gouvernement russe, il y a lieu de relever que la pièce no 6 du dossier WK initial, non datée et tirée du site Internet de VEB.RF, permet d’établir que, en ce qui concerne l’exercice de l’année 2015, cette société a consenti des prêts à hauteur de 12 millions de roubles russes (RUB) (environ 150 000 euros) à des PME de trois régions prioritaires, dont la Crimée, sur un total de prêts concédés par VEB.RF aux PME de la Fédération de Russie d’un montant de 105 millions de RUB (environ 1,3 million d’euros).

111    Interrogée à l’audience sur ce sujet, la requérante a confirmé que des crédits étaient toujours en cours au profit de la Crimée, sans pour autant en donner le montant exact.

112    De plus, il y a lieu de relever que, ainsi que cela résulte de la pièce no 6 du dossier WK initial, ces prêts sont consentis dans le cadre d’un programme qui, « principalement, vise à rendre les ressources financières à long terme plus abordables pour les PME qui opèrent dans les secteurs économiques priorisés par le gouvernement », donc à des conditions plus intéressantes que celles offertes par le marché.

113    Or, les crédits en cause sont constitutifs, au moins par leur importance qualitative, d’un soutien actif aux actions ou aux politiques qui compromettent l’intégrité territoriale, l’indépendance ou la souveraineté de l’Ukraine en permettant le développement économique de la Crimée nouvellement annexée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 140).

114    À cet égard, il importe peu que, antérieurement à 2014, la requérante ait consenti des prêts à des entités de l’Ukraine. En effet, outre que ces prêts sont antérieurs à 2014, il résulte des points 100 à 113 ci-dessus que, en finançant encore aujourd’hui l’économie de la Crimée, la requérante a participé et continue à participer au développement économique de ce territoire de l’Ukraine depuis son invasion par la Fédération de Russie et a, ainsi soutenu et continue à soutenir activement les actions ou les politiques qui menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

115    Un tel soutien matériel ou financier à la politique d’annexion de la Crimée est confirmé, si besoin était, par la pièce no 3 du dossier WK2, notifié à la requérante avant l’adoption des troisièmes actes individuels de maintien. En effet, cette pièce, qui est un extrait du site Internet de la requérante, établit, en substance, que cette société agit en tant qu’agent du gouvernement russe en ce qui concerne l’établissement de la dette souveraine de la Fédération de Russie et qu’elle assure la gestion, l’administration et la performance des garanties de la dette souveraine ainsi que le recouvrement de cette dette, notamment à l’égard, d’une part, des crédits obtenus par les entités de la défense au titre du programme « développement du complexe de l’industrie de la défense de la Fédération de Russie 2011-2020 » et, d’autre part, des crédits ou des emprunts affectés au développement et à la production de la société Rostec, qui est un conglomérat de l’industrie de la défense russe, ainsi que des crédits obtenus par les entités de l’industrie de la défense dans le cadre du programme de la défense, pris en application du règlement, n° 1215, du 31 décembre 2010.

116    Bien que lors de l’audience, la requérante a fait valoir que sa participation au titre du programme militaire pour la période 2011-2020, mentionné au point 115 ci-dessus, était arrivée à échéance, il y a lieu de constater que les éléments de preuves du dossier WK initial, à savoir les pièces nos 1, 3 et 4, attestent que ses activités au soutien de la diversification de l’industrie de la défense russe et de l’avancement technologique de celle-ci, y compris la coopération avec Rostec, perdurent.

117    En outre, la pièce no 3 du dossier WK2 ne spécifie aucune échéance quant aux deux programmes mentionnés au point 115 ci-dessus et n’indique pas non plus que ces programmes sont uniquement destinés au développement civil de l’industrie de la défense. Cette affirmation est corroborée, contrairement à ce qu’indique la requérante, par le fait qu’elle peut, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, alinéa 12, de la loi fédérale, participer à des projets de l’industrie de la défense qui poursuivent à la fois un but civil et militaire.

118    Il en résulte que le Conseil a prouvé que la requérante participait à des projets avec des entreprises de l’industrie militaire et que, ce faisant, elle apportait un soutien aux actions qui compromettaient ou menaçaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

119    Au vu de tout ce qui précède, il convient de considérer que le motif d’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, fondé sur son soutien matériel ou financier aux actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, correspondant au critère b), est suffisamment étayé.

120    Indépendamment du fait que le critère b) est en l’espèce fondé à l’égard de la requérante, le Tribunal estime utile d’apprécier si le critère d), correspondant au soutien matériel ou financier apporté aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Est de l’Ukraine, est également fondé.

121    À cet égard, il y a lieu de relever que ce critère n’exige pas que le soutien matériel ou financier soit lié à l’annexion de la Crimée ou à la déstabilisation de l’Est de l’Ukraine, mais uniquement que ce soutien profite aux décideurs russes responsables de cette annexion ou de cette déstabilisation (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 87).

122    En effet, s’il fallait, pour que ce critère s’applique, démontrer l’existence d’un tel lien, celui-ci perdrait tout intérêt par rapport au critère b), lequel exige un lien entre les actions commises par les personnes désignées et la situation qui s’est produite en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 88).

123    De plus, et dans la mesure où le critère d) fait état d’un soutien matériel ou financier sans apporter d’autre précision sur la nature de ce soutien, le critère litigieux doit être compris en ce sens qu’il vise tout appui qui, bien que n’ayant aucun lien direct ou indirect avec l’invasion de l’Ukraine, permet aux décideurs russes, du fait de son importance quantitative et qualitative de poursuivre cette politique (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 140).

124    En l’espèce, il y a lieu de relever que les pièces nos 1 et 3 du dossier WK initial sont des articles de la requérante publiés sur son site Internet respectivement aux mois d’avril 2017 et de mai 2020. S’agissant de la pièce no 4 de ce dossier, datée de février 2022, constituée d’un extrait du livre blanc de VEB.RF, et de la pièce no 7 du même dossier, qui est une capture d’écran d’une video sur Youtube, accompagnée d’un résumé écrit et publiée en décembre 2021, aujourd’hui non accessible au public, ces deux éléments ont trait à l’allégation du Conseil selon laquelle la requérante participe à la diversification du secteur de l’industrie de la défense, qui est une priorité du président de la Fédération de Russie en tant que décideur russe.

125    En premier lieu, s’agissant, de la pièce no 7 du dossier WK initial, il convient de relever que la requérante ne conteste pas sa teneur et, notamment, le résumé qui a été publié par son diffuseur, selon lequel, le président de la Russie a déclaré à son interlocuteur, le président de la banque Pomsvyazbank, qu’il était nécessaire de soutenir l’industrie de la défense en diversifiant ses activités. En outre, cette pièce, même si elle ne concerne pas directement la requérante, dans la mesure où l’interlocuteur du président de la Fédération de Russie ne dépend pas de VEB.RF, établit toutefois que ce dernier est intervenu auprès d’un financeur pour qu’il soutienne l’industrie de la défense en matière de diversification de ses activités, ce qui est en soi suffisant pour prouver qu’une telle diversification est personnellement soutenue par le président de la Fédération de Russie.

126    En second lieu, s’agissant des pièces nos 1, 3 et 4 du dossier WK initial, il y a lieu de relever que les documents qui y figurent sont de nature à démontrer, d’une part, que la diversification du secteur de la défense russe vers des activités civiles constitue une priorité pour la requérante depuis 2017, ainsi que cela résulte des pièces nos 3 et 4 de ce dossier, et que, d’autre part, cette dernière est active dans cette activité, dès lors que, ainsi qu’il résulte de la pièce no 1 du même dossier, elle participe depuis mai 2020 à un projet d’implantation de 25 usines modernes de valorisation des déchets en Russie en partenariat avec la société Rostec, dont la valeur est estimée à plus de 600 milliards de RUB (environ 6,7 milliards d’euros).

127    À cet égard, la requérante ne saurait reprocher au Conseil de ne pas prouver la matérialisation de ce projet, alors même qu’elle n’allègue ni ne prouve que ce projet a été abandonné.

128    Il est ainsi possible de considérer, au regard des points 124 à 127 ci-dessus, que tant la politique d’investissement de la requérante que les projets auxquels elle participe, qui consistent à favoriser la diversification du secteur militaro-industriel russe, correspondent à la volonté du président de la Fédération de Russie et de la politique économique qu’il détermine.

129    Il résulte ainsi des points 120 à 128 ci-dessus qu’il existe des indices suffisamment concrets, précis et concordants pour considérer que la requérante apporte un soutien matériel ou financier au président de la Fédération de Russie dans la conduite de la politique économique qu’il détermine et que, partant, le critère d) est constitué à son égard.

130    Ainsi, dans la mesure où le Conseil a prouvé à suffisance que les critères b) et d) étaient constitués à l’égard de la requérante, il convient de rejeter la première branche du premier moyen.

–       Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de l’erreur d’appréciation dans les actes sectoriels attaqués

131    Par la seconde branche de son premier moyen, la requérante fait valoir que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en adoptant les actes sectoriels attaqués.

132    À cet effet, s’agissant du motif selon lequel elle serait une grande banque, elle fait valoir que, parmi les entités inscrites sur la liste de l’annexe VIII de la décision 2014/512 et de l’annexe XIV du règlement 2022/345, elle est la seule à ne pas être une banque, dans la mesure où elle est un organisme à but non lucratif qui ne présente aucune caractéristique de ces banques, notamment au regard du risque systémique.

133    Elle ajoute que, lorsque le Conseil a modifié l’article 1er sexies de la décision 2014/512, par la décision 2022/884, à l’occasion de laquelle le Conseil a rajouté trois autres entités à la liste de l’annexe VIII, il n’en a pas profité pour donner les motifs individualisés pour lesquels les entités inscrites à cette annexe, y compris la requérante, l’avaient été.

134    Dans ses mémoires en adaptation, la requérante maintient les arguments déjà développés et mentionnés aux points 131 à 133 ci-dessus.

135    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

136    En l’espèce, la requérante est, certes, un organisme public à but non lucratif. Il n’en demeure pas moins que, ainsi que cela ressort des pièces nos 1, 2, 3, 6 et 8 du dossier WK initial, dont le Conseil a disposé lors de l’adoption des actes sectoriels initiaux (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non-publié, EU:T:2022:317, point 52 et jurisprudence citée) et qui ont été notifiées à la requérante lors de l’adoption des actes sectoriels de maintien, cet organisme public concède plus de mille milliards de RUB (environ 10 milliards d’euros) à des entités publiques ou privées pour, notamment, soutenir la politique économique menée par le président de la Fédération de Russie et le gouvernement de cette fédération, ainsi que cela résulte des points 100 à 107 ci-dessus.

137    Or, de tels éléments sont suffisants pour conclure que la requérante constitue un établissement de crédit important pour le système financier russe, indépendamment du fait que, selon elle, les entités inscrites sur la liste de l’annexe VIII de la décision 2014/512 et de l’annexe XIV du règlement 2022/345 ne présenteraient pas des caractéristiques similaires aux siennes.

138    De plus, il est constant que, à l’époque de l’adoption des actes sectoriels initiaux et encore aujourd’hui, la requérante faisait déjà et fait encore l’objet de mesures restrictives, que ce soit au titre de celles adoptées le 8 septembre 2014, mentionnées aux points 9 et 10 ci-dessus, ou au titre des actes individuels initiaux et des actes de maintien y afférents.

139    Ainsi, au moment de l’adoption des actes sectoriels initiaux et des décisions 2022/1313, 2022/191 et 2023/1517, la requérante était, et demeure toujours, un établissement de crédit important pour le secteur financier russe qui fait l’objet de mesures restrictives, de sorte qu’elle répond aux conditions édictées par la motivation du Conseil figurant au considérant 5 de la décision 2022/346  et au considérant 3 du règlement 2022/345, mentionnés aux points 23 et 25 ci-dessus.

140    Eu égard à ces éléments, il y a lieu de rejeter la seconde branche du premier moyen et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du droit de propriété au regard du principe de proportionnalité

141    Par son quatrième moyen, la requérante fait, en substance, valoir que le gel de ses biens sur le territoire de l’Union ainsi que l’interdiction de mettre à disposition des biens ou des ressources économiques constituent des atteintes majeures à son droit de propriété, puisque les mesures restrictives dont elle fait l’objet l’empêchent d’opérer sur le marché de l’Union.

142    S’agissant de la violation du principe de proportionnalité, la requérante fait notamment valoir que les mesures restrictives ne permettent pas d’atteindre les objectifs poursuivis par l’Union, dans la mesure où, depuis l’institution de ces mesures, la situation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine s’est largement détériorée et où l’analyse historique de mesures similaires a prouvé leur inefficacité.

143    Le caractère disproportionné des actes individuels attaqués tiendrait également au fait que, en pratique, les effets liés aux mesures de gel de fonds causent à la requérante un préjudice allant bien au-delà des effets normaux d’une mesure conservatoire.

144    La requérante ajoute que le Conseil ne saurait se prévaloir du fait que l’article 4 du règlement n° 269/2014, tel que modifié, donne la possibilité aux autorités nationales de débloquer les fonds, alors même qu’un tel dispositif entraîne une insécurité juridique du fait de la possibilité d’un traitement très différent selon l’autorité nationale saisie.

145    S’agissant des actes sectoriels attaqués, la requérante fait valoir que la priver des services de messagerie utilisés pour l’échange de données pour les établissements financiers de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (ci-après les « services SWIFT ») revient à restreindre son activité économique et, en conséquence, son droit de propriété.

146    Dans la réplique, la requérante indique que son exclusion des services SWIFT a pour effet d’affecter une multitude d’opérations dans lesquelles les intéressés sont des particuliers russes, qui n’ont aucun lien avec les événements concernant l’Ukraine.

147    Dans ses mémoires en adaptation, la requérante maintient les arguments déjà développés et mentionnés ci-dessus.

148    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

149    À cet égard, il convient de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 17 de la Charte (arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 166).

150    En premier lieu, s’agissant des actes individuels attaqués, les mesures restrictives frappant notamment la requérante constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété. Toutefois, les mesures en cause entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 167).

151    Cependant, selon une jurisprudence constante, ce droit fondamental ne jouit pas, en droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société (voir arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 113 et jurisprudence citée).

152    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

153    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à quatre conditions. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre le droit de propriété d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel du droit de propriété. Troisièmement, cette limitation doit répondre effectivement à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 145 et jurisprudence citée).

154    En l’espèce, ces conditions sont remplies.

155    En effet, premièrement, les mesures restrictives individuelles en cause sont prévues par la loi, puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, ainsi que d’une motivation suffisante en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application à la requérante, ainsi que cela résulte des points 49 à 59 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée).

156    Deuxièmement, les mesures restrictives en cause constituent des restrictions temporaires et réversibles du droit de propriété. En effet, les actes initiaux, comme les actes de maintien de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, s’appliquent pour une durée de six mois et font l’objet d’un suivi constant, comme prévu à l’article 6 de la décision 2014/145, telle que modifiée.

157    De plus, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145, telle que modifiée, et l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement 269/2014, tel que modifié, prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou pour satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

158    Troisièmement, les mesures restrictives en cause visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit là d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes de droit international ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale et de la protection des populations civiles.

159    Quatrièmement, s’agissant du principe de proportionnalité, il doit être rappelé que celui-ci, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée).

160    En l’espèce, en ce qui concerne le caractère approprié des mesures en cause, au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que ceux mentionnés au point 158 ci-dessus, ces mesures ne sauraient, en tant que telles, passer pour inadéquates (voir, par analogie, arrêt du 3 février 2021, Boshab/Conseil, T‑111/19, non publié, EU:T:2021:54, point 150 et jurisprudence citée).

161    En outre, s’agissant du caractère nécessaire des mesures en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, par analogie, arrêt du 3 février 2021, Boshab/Conseil, T‑111/19, non publié, EU:T:2021:54, point 151 et jurisprudence citée).

162    De plus, comme indiqué aux points 156 et 157 ci-dessus, il s’agit de restrictions temporaires et réversibles avec des possibilités de dérogations accordées par les États membres. Partant, les inconvénients causés à la requérante n’apparaissent pas comme étant disproportionnés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi par les actes individuels attaqués.

163    Quant au grief relatif aux prétendues pratiques différentes, adoptées par les autorités nationales en ce qui concerne le déblocage des fonds, il suffit de relever que la requérante ne s’appuie sur aucun élément concret permettant de considérer ce grief comme étant avéré.

164    En second lieu, s’agissant des actes sectoriels attaqués, outre le fait que ces mesures sont révisées tous les six mois, ainsi que cela résulte de l’article 9 de la décision 2014/512, notamment au vu des observations formulées par les personnes inscrites sur les listes des mesures restrictives, il y a lieu de relever que la requérante ne prouve pas que son exclusion des services SWIFT porte atteinte à son droit de propriété. En effet, la seule restriction à l’accès à des services et la perte éventuelle de gains liés à une telle restriction ne sauraient caractériser à eux seuls une atteinte à ce droit.

165    Ainsi, dès lors qu’aucun élément n’est de nature à caractériser l’existence d’une violation du droit de propriété au regard du principe de proportionnalité, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination

166    Par son cinquième moyen, la requérante fait valoir que, s’agissant des actes individuels attaqués, le Conseil a violé le principe d’égalité de traitement, dès lors qu’il n’est pas prouvé que les critères b) et d) sont remplis en ce qui la concerne.

167    En ce qui concerne les actes sectoriels attaqués, la requérante fait valoir que la violation du principe d’égalité découle du manque complet de motivation de ces actes amenant ainsi le Conseil à inscrire sur les listes de l’annexe de la décision 2022/346 et de l’annexe XIV du règlement n° 833/2014 des entités qui ne lui sont pas comparables. Aucun élément objectif ne justifie, selon la requérante, l’application des mêmes mesures à des entités qui sont très différentes d’elle.

168    Dans ses mémoires en adaptation, la requérante maintient ses arguments.

169    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

170    Il y a lieu de rappeler que le fait que des personnes morales qui ne partagent pas les mêmes caractéristiques que la requérante font l’objet de mesures restrictives n’est pas de nature à caractériser la violation du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination, dès lors que ces principes doivent se concilier avec le principe de légalité. Cela implique que si ce dernier principe est respecté en ce qui concerne les mesures litigieuses contestées, il est indifférent que d’autres personnes morales qui ne partagent pas les mêmes caractéristiques que la requérante fassent l’objet de telles mesures (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 59 et jurisprudence citée).

171    En l’espèce, il y a lieu de relever que, par les arguments que la requérante développe, elle tente en réalité de contester le bien-fondé des mesures restrictives dont elle fait l’objet ainsi que la motivation des actes attaqués. Elle ne démontre pas en quoi le Conseil aurait violé le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination, alors même que, pour les raisons mentionnées aux points 49 à 58, 70 à 81, 100 à 129 et 136 à 139 ci-dessus, le Conseil a correctement motivé les actes attaqués et prouvé à suffisance le bien-fondé de ces actes.

172    Il résulte de ce qui précède qu’il convient de rejeter le cinquième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, et le sixième moyen, tiré du détournement de pouvoir

173    Par son troisième moyen, la requérante fait, en substance, valoir que le Conseil l’a privée de son droit à une protection juridictionnelle effective dans la mesure où les actes attaqués ne sont ni motivés ni étayés par des éléments de preuve suffisants et violent son droit de propriété.

174    Concernant le sixième moyen, la requérante fait valoir que, en ne fournissant pas de preuves suffisantes pour justifier l’édiction des mesures restrictives individuelles à son encontre et, en conséquence, en commettant une erreur d’appréciation, ainsi qu’en ne motivant pas les actes attaqués, le Conseil a commis un détournement de pouvoir.

175    Dans ses mémoires en adaptation, la requérante maintient les arguments précédemment développés.

176    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

177    En l’espèce, il y a lieu de relever que, par les arguments que la requérante développe dans ces deux moyens, elle tente en réalité de contester le bien-fondé et la motivation des mesures restrictives dont elle fait l’objet. Toutefois, elle ne démontre pas que le Conseil a violé le droit à une protection juridictionnelle effective ou commis un détournement de pouvoir, alors même que, ainsi que mentionné au point 171 ci-dessus, le Conseil a correctement motivé les actes attaqués et prouvé à suffisance le bien-fondé des actes attaqués.

178    De plus, s’agissant spécifiquement du moyen tiré du détournement de pouvoir, il y a lieu de relever qu’aucun élément du dossier ne permet de considérer que les actes individuels attaqués ont été adoptés dans le but exclusif ou, à tout le moins, déterminant d’atteindre d’autres fins que celles excipées par le Conseil ou d’éluder une procédure spécialement prévue pour parer aux circonstances de l’espèce.

179    Il s’ensuit qu’il convient de rejeter ces deux moyens et, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

180    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

181    En l’espèce, dès lors que le requérant a succombé et que le Conseil a conclu en ce sens, il convient de le condamner aux dépens. Par ailleurs, en tant qu’institution intervenante, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      State Development Corporation “VEB.RF” est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Spielmann

Gâlea

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juin 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.