Language of document : ECLI:EU:T:2024:467

Affaire T104/22

Hongrie

contre

Commission européenne

  (neuvième chambre élargie) du 10 juillet 2024

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents relatifs à la correspondance adressée à la Commission par les autorités hongroises concernant un projet d’appel à propositions cofinancé par l’Union dans le cadre des fonds structurels et d’investissement européens – Documents émanant d’un État membre – Opposition manifestée par l’État membre – Exception relative à la protection du processus décisionnel – Notion de “document ayant trait à une question sur laquelle l’institution n’a pas encore pris de décision” – Obligation de motivation – Coopération loyale »

1.      Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Refus d’accès – Obligation de motivation – Portée – Décision sur une demande confirmative d’accès s’écartant de la réponse à une demande initiale d’accès – Violation de l’obligation de motivation – Absence

[Art. 296, 2e al., TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 2, c) ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 3]

(voir points 24, 27, 30, 35-37)

2.      Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Documents émanant d’un État membre – Faculté de l’État membre de demander à l’institution la non-divulgation de documents – Obligation de coopération loyale entre l’institution et l’État membre

(Art. 4, § 3, TUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 1 à 3 et 5)

(voir points 41-43)

3.      Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Documents émanant d’un État membre – Faculté de l’État membre de demander à l’institution la non-divulgation de documents – Implications procédurales – Obligation de motivation incombant à l’État membre

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 5)

(voir points 44-46, 49)

4.      Cohésion économique, sociale et territoriale – Interventions structurelles – Financement par l’Union – Fonds structurels et d’investissement européens – Gestion partagée – Prise d’une décision relative à l’appel à propositions – Responsabilité exclusive des États membres

[Règlements du Parlement européen et du Conseil no 1306/2013, art. 4, § 4, 34, § 3, d), 73-75, 110, § 2, a), et 125 § 3 ; 2018/1046, art. 63, § 1]

(voir points 66, 75, 76)

5.      Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection du processus décisionnel – Portée – Documents relatifs à la correspondance adressée à la Commission européenne par les autorités nationales concernant un projet d’appel à propositions cofinancé par les fonds structurels et d’investissement européens – Exclusion

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, 4, § 3, 1er al.)

(voir points 92, 93, 100, 101)

6.      Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection du processus décisionnel – Notion – Portée – Processus décisionnel des autorités de gestion nationales – Exclusion

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 3, 1er al.)

(voir points 110-113, 126, 127)

7.      Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection du processus décisionnel – Conditions – Atteinte concrète, effective et grave audit processus – Absence en cas de divulgation des documents relatifs à la correspondance adressée à la Commission européenne par les autorités nationales concernant un projet d’appel à propositions cofinancé par les fonds structurels et d’investissement européens

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 3, 1er al.)

(voir points 130-133, 136, 137, 140)

8.      Procédure juridictionnelle – Requête introductive d’instance – Exigences de forme – Identification de l’objet du litige – Exposé sommaire des moyens invoqués – Énonciation abstraite – Irrecevabilité

[Statut de la Cour de justice, art. 21 ; règlement de procédure du Tribunal, art. 76, d)]

(voir point 145)

Résumé

En rejetant le recours en annulation de la Hongrie contre la décision de la Commission européenne octroyant à un tiers demandeur l’accès à la correspondance adressée par les autorités hongroises à cette institution à propos d’un projet d’appel à propositions financé par des fonds de l’Union européenne (ci-après la « décision attaquée »), le Tribunal précise la portée de l’exception relative à la protection du processus décisionnel prévue par le règlement no 1049/2001 (1), notamment au regard de la définition précise de la notion de « processus décisionnel de l’institution ». En outre, ce litige, relativement rare, par lequel un État membre manifeste son opposition à la divulgation, par une institution de l’Union, de documents émanant de ses propres autorités donne l’occasion au Tribunal de se prononcer sur la question inédite de savoir si cette exception peut être invoquée par un État membre pour s’opposer à la divulgation de documents relatifs à un appel à propositions élaboré par une autorité nationale de gestion des fonds structurels et d’investissement européens (ci-après les « Fonds ESI »), dans le cadre de la gestion partagée du budget de l’Union.

En 2021, une demande d’accès a été adressée à la Commission, visant la correspondance officielle entre celle-ci et les autorités hongroises concernant un appel à propositions relevant d’un programme opérationnel financé par des Fonds ESI (2) en vertu du règlement no 1303/2013 (3). Lors de leur consultation en vertu du règlement no 1049/2001 (4), les autorités hongroises se sont opposées à la divulgation des documents émanant d’elles, sur le fondement de l’exception relative à la protection du processus décisionnel. Elles ont relevé que, étant donné que le processus décisionnel concernant l’appel à propositions en cause était toujours en cours, la divulgation desdits documents aurait pu porter gravement atteinte aux principes d’égalité de traitement, de non discrimination et de transparence.

La Commission a tout d’abord accordé au tiers demandeur l’accès à six des onze documents identifiés comme relevant de la demande de divulgation, mais a refusé de lui accorder l’accès aux documents émanant des autorités hongroises. Toutefois, à la suite d’une demande confirmative et d’une nouvelle consultation des autorités hongroises, malgré leur opposition manifeste, la Commission a accordé l’accès aux documents émanant des autorités hongroises, y compris les documents nouvellement identifiés.

Appréciation du Tribunal

Statuant sur le moyen par lequel la Hongrie reproche à la Commission de ne pas avoir appliqué, en l’occurrence, l’exception relative à la protection du processus décisionnel, le Tribunal constate, en premier lieu, qu’aucun processus décisionnel de la Commission n’était en cours au moment de l’adoption de la décision attaquée.

À cet égard, il note que, si les Fonds ESI relèvent de la gestion partagée, les dispositions du règlement no 1303/2013 (5) relatives aux critères à respecter en vue de la sélection des opérations ayant vocation à être financées par ces Fonds montrent que les appels à propositions relèvent de la responsabilité exclusive des États membres. Ainsi, le règlement no 1303/2013 ne confère pas de compétence particulière à la Commission dans le processus de finalisation d’un appel à propositions régi par ce règlement.

De plus, aux termes d’une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, le Tribunal observe que l’application de l’exception prévue par cette disposition est subordonnée à l’identification d’un processus au terme duquel une institution de l’Union est habilitée par le droit de l’Union à adopter une décision déterminée. Or, la simple participation de la Commission à une procédure régie par les règles budgétaires de la gestion partagée ne saurait justifier que cette procédure relève du processus décisionnel de cette institution. En effet, la délégation, par la Commission, aux autorités de gestion nationales, qui caractérise la gestion partagée, demeure sans incidence sur les compétences respectives de celle-ci et des États membres clairement définies par les dispositions du règlement no 1303/2013, de sorte que les processus décisionnels de l’une et des autres ne sauraient être confondus.

Dès lors, le Tribunal conclut que, en l’espèce, la Commission n’était pas amenée à adopter une décision. Ainsi, les documents qu’elle a reçus ne peuvent pas être considérés comme ayant trait à un processus décisionnel d’une institution de l’Union en cours. Par conséquent, ils ne peuvent pas être regardés comme « [ayant] trait à une question sur laquelle [une institution de l’Union] n’a pas encore pris de décision » (6).

En second lieu, le Tribunal rejette l’argumentation de la Hongrie relative à l’applicabilité de l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 au processus décisionnel des autorités de gestion nationales.

À cet égard, il relève que cette disposition ne vise pas à protéger les processus décisionnels des États membres ou des personnes morales autres que les institutions de l’Union, le libellé même de cette disposition visant uniquement les documents ayant trait à « une question sur laquelle [l’institution] n’a pas encore pris de décision ». Interpréter cette exception comme protégeant également le processus décisionnel des autorités de gestion nationales reviendrait à réintroduire, d’une manière détournée, la règle de l’auteur abolie par le législateur de l’Union, pour tout document affectant la prise de décision d’un État membre. Or, une telle interprétation ne serait compatible ni avec l’objet ni avec la finalité de l’article 15 TFUE et du règlement no 1049/2001, qui est d’accorder au public un droit d’accès aux documents des institutions dans tous les domaines d’activité de l’Union qui soit le plus large possible. En outre, toute interprétation de cette disposition allant au-delà du libellé même conduirait à une interprétation extensive de l’exception prévue par cette disposition qui ne permettrait pas de circonscrire la portée du motif de refus concerné.


1      Article 4, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).


2      Appels à proposition « EFOP 2.2.5 », intitulé « Amélioration de la transition des soins en établissement vers les services de proximité - remplacement de l’hébergement institutionnel d’ici 2023 ».


3      Règlement (UE) no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320, rectificatif JO 2016, L 200, p. 140).


4      Article 4, paragraphes 4 et 5, du règlement no 1049/2001.


5      Article 110, paragraphe 2, sous a), et article 125, paragraphe 3, du règlement no 1303/2013.


6      Au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.