Language of document : ECLI:EU:C:2021:323

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 22 avril 2021 (1)

Affaires jointes C152/20 et C218/20

DG,

EH

contre

SC Gruber Logistics SRL (C152/20)

et

Sindicatul Lucrătorilor din Transporturi, TD

contre

SC Samidani Trans SRL (C218/20)

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunalul Mureş (tribunal de grande instance de Mureș, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Loi applicable aux obligations contractuelles – Règlement (CE) no 593/2008 – Choix de la loi par les parties – Contrats individuels de travail – Travailleur qui accomplit son travail dans plusieurs États membres – Lieu de travail habituel – Dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord – Notion – Salaire minimal »






1.        Par ces deux renvois préjudiciels, une juridiction roumaine demande à la Cour l’interprétation des articles 3 et 8 du règlement (CE) no 593/2008 (2). Elle estime cette interprétation nécessaire pour trancher deux litiges relatifs aux réclamations de salaires de plusieurs chauffeurs routiers à l’encontre de leur employeur, une entreprise établie en Roumanie, qui les emploie à son service et les envoie dans d’autres États membres pour effectuer du transport de marchandises.

2.        Les décisions de renvoi omettent, dans la description des faits, quelques détails susceptibles d’être pertinents. Le plus important est celui qui permettrait de distinguer les travailleurs détachés, d’une part, de ceux qui, sans avoir cette qualité, accomplissent habituellement leur travail dans un pays autre que celui du siège de l’employeur et du lieu de conclusion du contrat, d’autre part.

3.        Les informations fournies à la Cour étant imprécises, il ne saurait être soutenu de manière catégorique que la situation des salariés requérants dans ces litiges relève de l’une ou l’autre de ces catégories. En toute hypothèse, il ne serait pas exclu qu’il s’agisse d’un détachement transfrontalier de travailleurs, au sens de la directive 96/71/CE (3), mais la juridiction de renvoi ne semble pas l’entendre ainsi, puisqu’elle n’inscrit ses questions que dans le cadre du règlement Rome I.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union. Le règlement Rome I

4.        Le règlement Rome I a remplacé la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles (4). Il s’inscrit largement dans la continuité de celle-ci, même s’il ne contient aucune indication générale à cet égard. Pour ce qui nous intéresse, les articles 3 et 8 du règlement Rome I correspondent essentiellement aux articles 3 et 6 de la convention de 1980, de sorte que les décisions de la Cour relatives à ces derniers valent pour les premiers (5).

5.        Aux termes du considérant 11 du règlement Rome I :

« La liberté des parties de choisir le droit applicable devrait constituer l’une des pierres angulaires du système de règles de conflit de lois en matière d’obligations contractuelles. »

6.        Le considérant 23 de ce règlement énonce :

« S’agissant des contrats conclus avec des parties considérées comme plus faibles, celles-ci devraient être protégées par des règles de conflit de lois plus favorables à leurs intérêts que ne le sont les règles générales. »

7.        Aux termes du considérant 35 dudit règlement :

« Les salariés ne devraient pas être privés de la protection des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord ou auxquelles il ne peut être dérogé qu’à leur bénéfice. »

8.        Aux termes du considérant 36 du même règlement :

« S’agissant des contrats individuels de travail, l’accomplissement du travail dans un autre pays devrait être considéré comme temporaire lorsque le travailleur est censé reprendre son travail dans le pays d’origine après l’accomplissement de ses tâches à l’étranger [...] »

9.        Aux termes du considérant 37 du règlement Rome I :

« Des considérations d’intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l’exception d’ordre public et les lois de police. La notion de “lois de police” devrait être distinguée de celle de “dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord” et devrait être interprétée de façon plus restrictive. »

10.      L’article 3 de ce règlement (« Liberté de choix ») est libellé comme suit :

« 1.      Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.

[...] »

11.      L’article 8 dudit règlement (« Contrats individuels de travail ») prévoit :

« 1.      Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.

2.      À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

3.      Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur.

4.      S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s’applique. »

B.      Le droit roumain

12.      La section N de l’annexe 1 de l’Ordinul ministrului muncii și protecției sociale nr. 64/2003 pentru aprobarea modelului-cadru al contractului individual de muncă (6) dispose que les contrats individuels de travail conclus en Roumanie doivent obligatoirement contenir la clause suivante : « [l]es dispositions du présent contrat individuel de travail sont complétées par les dispositions de la loi no 53/2003 portant code du travail » (7).

II.    Les faits, les litiges et les questions préjudicielles

A.      Affaire C152/20

13.      DG et EH, des chauffeurs routiers résidant en Roumanie, ont conclu des contrats individuels de travail avec l’entreprise SC Gruber Logistics SRL, établie elle aussi en Roumanie.

14.      Les contrats, rédigés tant en langue roumaine qu’en langue italienne, prévoyaient que leurs clauses soient complétées par les dispositions du code du travail roumain.

15.      Quant au lieu de travail, les contrats prévoyaient que l’activité serait exercée au siège d’Oradea (Roumanie) ou à toute autre adresse, située dans ce pays ou à l’étranger, où les services seraient requis.

16.      DG et EH soutiennent que, bien que leurs contrats aient été conclus en Roumanie, ils ont habituellement exercé leurs fonctions en Italie, pays à partir duquel ils effectuaient leurs missions. Une fois celles-ci accomplies, ils y retournaient, et recevaient leurs instructions et effectuaient la plupart de leurs tâches de transport dans ce pays.

17.      Ils estiment donc que la législation italienne sur le salaire minimal devrait leur être appliquée, conformément à l’article 8 du règlement Rome I.

18.      L’entreprise employeuse conteste ces demandes en faisant valoir que les deux chauffeurs ont travaillé à son service au volant de camions immatriculés en Roumanie et sur la base de licences de transport délivrées conformément à la législation roumaine. Elle ajoute qu’elle a elle‑même donné toutes les instructions et que l’activité des requérants a été organisée en Roumanie. Les contrats de travail en cause devraient donc être soumis au droit roumain.

19.      C’est dans ce contexte que le Tribunalul Mureș (tribunal de grande instance de Mureș, Roumanie) pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 8 du règlement [Rome I] doit-il être interprété en ce sens que le choix de la loi applicable au contrat individuel de travail écarte l’application de la loi du pays dans lequel le salarié a accompli habituellement son travail ou [que] l’existence d’un choix de la loi applicable écarte l’application de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, dudit règlement ?

2)      L’article 8 du règlement [Rome I] doit-il être interprété en ce sens que le salaire minimal applicable dans le pays où le salarié a accompli habituellement son travail constitue un droit qui relève des “dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable”, au sens de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, dudit règlement ?

3)      L’article 3 du règlement [Rome I] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’indication dans le contrat individuel de travail des dispositions du code du travail roumain revienne à choisir la loi roumaine, alors qu’il est notoire en Roumanie qu’il existe l’obligation légale d’insérer cette clause relative au choix dans le contrat individuel de travail ? En d’autres termes, l’article 3 du règlement [Rome I] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des réglementations et à des pratiques nationales consistant à inclure obligatoirement dans les contrats individuels de travail la clause relative au choix de la loi roumaine ? »

B.      L’affaire Sindicatul Lucrătorilor din Transporturi, C218/20

20.      TD, membre du Sindicatul Lucrătorilor din Transporturi, a été embauché par la société SC Samidani Trans SRL en qualité de chauffeur routier pour exercer son activité sur le territoire de l’Union européenne.

21.      Le contrat individuel de travail, conclu en Roumanie, ne mentionnait pas explicitement le lieu où le travailleur exercerait son activité.

22.      Selon ses clauses, « les dispositions du présent contrat individuel de travail sont complétées par les dispositions de la loi no 53/2003 portant code du travail et par celles de la convention collective applicable au niveau d’établissement/branche [et] les conflits liés à la conclusion, à l’exécution, à la modification, à la suspension ou à la cessation du présent contrat individuel de travail sont tranchés par la juridiction matériellement et territorialement compétente, conformément à la loi ».

23.      Le syndicat demande la condamnation de l’entreprise employeuse à verser à DT la différence entre le salaire qu’il a réellement perçu et le salaire minimal auquel il aurait eu droit en vertu de la législation allemande. En outre, il indique que DT a droit au paiement des salaires afférents aux « treizième » et « quatorzième » mois prévus par la législation allemande.

24.      Dans la requête, il est soutenu que les règles allemandes sur ces questions sont applicables au contrat de travail de DT en application de l’article 8 du règlement Rome I. Si le contrat individuel de travail a été conclu en Roumanie, c’est bien en Allemagne que l’employé aurait normalement accompli ses fonctions et aurait reçu des instructions. En outre, les camions qu’il utilisait étaient stationnés en Allemagne et les missions de transport étaient effectuées à l’intérieur des frontières allemandes.

25.      L’entreprise défenderesse fait valoir que les parties ont spécifiquement prévu que la loi applicable au contrat individuel de travail était la loi roumaine.

26.      Dans ce contexte, la même juridiction adresse à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le choix de la loi applicable au contrat individuel de travail écarte-t-il l’application de la loi du pays dans lequel le salarié a accompli habituellement son travail ou l’existence d’un choix de la loi applicable écarte-t-elle l’application de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, [du règlement Rome I] ?

2)      Le salaire minimal applicable dans le pays où le salarié a accompli habituellement son travail constitue-t-il un droit qui relève des “dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable”, au sens de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, [du règlement Rome I] ?

3)      L’indication dans le contrat individuel de travail des dispositions du code du travail roumain revient-elle à choisir la loi roumaine, alors qu’il est notoire en Roumanie que l’employeur préétablit le contenu du contrat individuel de travail ? »

III. Procédure

27.      Les demandes de décision préjudicielle ont été enregistrées au greffe de la Cour le 30 mars 2020 (C‑152/20) et le 27 mai 2020 (C‑218/20) et les affaires ont été jointes.

28.      Des observations ont été déposées par les gouvernements roumain et finlandais ainsi que par la Commission. La tenue d’une audience n’a pas été jugée nécessaire.

IV.    Analyse

A.      Considérations liminaires

29.      Le débat porte, en substance, sur la loi applicable aux rémunérations salariales (notamment au salaire minimal) des chauffeurs routiers salariés lorsque les conditions suivantes sont réunies :

–        les chauffeurs ont conclu en Roumanie des contrats individuels de travail avec une entreprise établie dans ce pays, mais ont exercé leur activité dans un autre État membre (8) pendant la période pertinente pour le litige ;

–        les contrats, conclus selon un modèle prédéterminé par l’arrêté no 64/2003, comportent une clause qui prévoit que le code du travail roumain est applicable en complément des dispositions contractuelles ; et

–        selon cet arrêté, les contrats individuels de travail conclus en Roumanie doivent comporter cette clause. L’interprétation de cet arrêté n’est toutefois pas paisible.

30.      Avant d’aborder les questions préjudicielles, et comme je l’ai déjà dit, je suis d’accord avec les gouvernements roumain et finlandais (9) sur le fait qu’on ne saurait écarter que la directive 96/71 régissant le détachement transfrontalier de travailleurs soit applicable à quelques, voire à tous les travailleurs concernés (10).

31.      La question n’est pas sans incidence, car, sous l’empire de la directive 96/71, les règles relatives au salaire minimal en vigueur dans le pays de détachement du travailleur s’appliquent indépendamment du régime juridique auquel est soumis le contrat individuel de travail (11).

32.      La directive 96/71 n’écarte pas le règlement Rome I, mais impose de combiner les deux actes (12). Dans une situation impliquant un conflit de lois, la loi applicable au contrat de travail doit être déterminée conformément à l’article 8 du règlement Rome I. La portée de cette loi applicable est toutefois limitée puisque l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 impose de garantir certaines conditions de travail, régies par les règles de l’État d’accueil, quel que soit le droit applicable à la relation de travail.

33.      La juridiction de renvoi, qui ne qualifie pas les situations en cause de « détachement », pose ses questions à la lumière du règlement Rome I, laissant entendre, implicitement, que ces situations ne relèvent pas de la directive 96/71 (13).

34.      En l’absence d’autres informations, il convient donc de prendre comme prémisse celle sur laquelle se fonde la juridiction nationale ; par conséquent, je limiterai mon analyse à l’incidence du règlement Rome I sur les litiges (14).

B.      Première question préjudicielle

35.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement Rome I.

36.      En particulier, la question qu’elle pose se résume au fait de savoir si, dans l’hypothèse où « un employé accomplit habituellement le travail faisant l’objet du contrat de travail dans un pays autre que celui dont la loi a été expressément choisie par les parties, le juge national peut écarter [...] la loi choisie par les parties lorsqu’il ressort de l’ensemble des circonstances qu’il existe un lien plus étroit entre ledit contrat et un autre pays » (15).

37.      La juridiction de renvoi présuppose que les parties ont choisi que leur relation contractuelle soit régie par le droit roumain. Cette prémisse étant établie, elle se demande s’il est possible de contrer les effets de ce choix à l’aide de règles applicables dans d’autres pays dans lesquels le travailleur a exercé son activité.

38.      L’article 8 du règlement Rome I vise à protéger le travailleur, à savoir la partie « structurellement faible » de la relation contractuelle (16), au moyen d’un mécanisme de règles de conflit de loi (17). Ces règles s’appliquent lorsque, en exécution d’un contrat individuel, le travail est fourni dans un État (ou plus) autre que celui de la loi choisie.

39.      La Cour s’est référée à ce mécanisme dans le cadre de l’article 6 de la convention de 1980, qui est le précurseur direct du règlement Rome I, en des termes qui peuvent être appliqués s’agissant de ce dernier (18).

40.      Les règles de conflit visées à l’article 8 du règlement Rome I ont le caractère de lex specialis par rapport à celles des articles 3 et 4 de ce règlement (19). Elles visent à équilibrer les intérêts des employés et des employeurs (20), en déterminant que le choix de la loi par les parties est le point de rattachement à préférer (paragraphe 1). La loi ainsi choisie s’applique même si les travailleurs accomplissent leur travail dans un autre État membre, sous réserve de ce que je vais immédiatement exposer.

41.      L’accord quant à la loi applicable à la suite de ce choix ne doit toutefois pas pénaliser le travailleur. À cette fin, même s’il ne restreint pas l’éventail des ordres juridiques pouvant être choisis (21), le règlement Rome I, en son article 8, paragraphe 1, seconde phrase, veille à ce que le travailleur ne soit pas privé de la protection prévue par les dispositions impératives (plus exactement les « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord ») de la loi qui aurait été applicable en l’absence d’un tel choix (22).

42.      Ainsi, la protection minimale offerte est celle prévue par l’ordre juridique qui aurait été applicable au contrat en l’absence de choix de la loi par les parties. Cet ordre juridique entre en jeu :

–        en tant que loi du pays dans lequel (ou, à défaut, à partir duquel) le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail ; ou

–        en tant que loi du pays de l’établissement qui a embauché le travailleur, lorsque le droit applicable ne peut être déterminé au regard du critère précédent (23) ; ou

–        en tant que loi d’un pays qui, au vu des circonstances, présente des liens plus étroits que ceux désignés par les deux premiers critères (24).

43.      Si les règles impératives (au sens susmentionné) de la loi qui serait applicable en l’absence de choix offrent au travailleur une meilleure protection que celles de la loi choisie, elles l’emportent sur celles de cette dernière. La loi choisie demeure applicable au reste de la relation contractuelle (25).

44.      Le fonctionnement de ce mécanisme nécessite donc une opération en trois temps : a) identifier la loi qui aurait été applicable en l’absence de choix ; b) déterminer, selon celle-ci, les règles auxquelles il ne peut pas être dérogé par accord ; et c) comparer le niveau de protection dont bénéficie le travailleur avec celui qui est offert par la loi choisie par les parties (26).

45.      Au vu de la manière dont la juridiction de renvoi motive sa question, il semble que, selon elle, la loi italienne (dans l’affaire C‑152/20) et la loi allemande (dans l’affaire C‑218/20) pourraient être la référence dans la comparaison avec la loi roumaine choisie par les parties.

46.      Il en irait ainsi, indifféremment, parce que l’Italie et l’Allemagne correspondraient soit au lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail (article 8, paragraphe 2, du règlement Rome I) (27), soit au lieu qui présente des liens plus étroits avec les contrats individuels de travail (article 8, paragraphe 4, de ce règlement).

47.      Les paragraphes 2 et 4 de l’article 8 du règlement Rome I ne sont pas interchangeables. C’est en ce sens que la Cour a interprété, dans l’arrêt Schlecker, l’article 6 de la convention de 1980, en indiquant que « [c]ette interprétation se concilie également avec le libellé de la nouvelle disposition sur les règles de conflit relatives aux contrats de travail, introduite par le règlement Rome I » (28).

48.      Selon cet arrêt :

–        ainsi qu’il découle de la lettre et de l’objectif de cette disposition, le juge doit, dans un premier temps, « procéder à la détermination de la loi applicable sur la base des critères de rattachement spécifiques figurant au paragraphe 2, sous a) et, respectivement, sous b) de cet article, lesquels répondent à l’exigence générale de prévisibilité de la loi et donc de sécurité juridique dans les relations contractuelles » (29) ;

–        dans un second temps, lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, il appartient au juge national d’écarter ces critères de rattachement et d’appliquer la loi de cet autre pays (30).

49.      Les éléments de fait figurant dans les décisions de renvoi ne permettent pas d’apporter une réponse certaine sur ces points. Je dois donc me borner à exposer l’interprétation in abstracto de l’article 8 du règlement Rome I, dans les termes que je viens de présenter.

C.      Deuxième question préjudicielle

50.      La deuxième question porte également sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement Rome I. La juridiction de renvoi cherche notamment à savoir si les règles relatives au salaire minimal peuvent être qualifiées de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord ».

51.      La réponse nécessite d’interpréter l’expression susmentionnée et d’en déterminer la portée (31). À partir de là, ainsi que l’ont souligné certains intervenants (32), il appartiendra au juge national de déterminer si, concrètement, une certaine règle de son propre ordre juridique (ou, le cas échéant, de l’ordre juridique d’un autre État) relève de cette notion.

1.      Le libellé et l’objectif de la disposition

52.      Le libellé de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement Rome I est clair : il inclut les règles non facultatives (c’est‑à‑dire non disponibles) pour les parties, auxquelles elles ne peuvent pas déroger.

53.      Ces règles n’ont pas à être celles qui s’appliquent « par défaut » lorsque les parties ne se mettent pas d’accord (33). L’objectif de la disposition corrobore cette interprétation : elle vise à garantir au travailleur un certain niveau de protection et non pas à fournir un régime de droit supplétif pour des aspects non régis par le contrat individuel de travail.

54.      Il est donc possible d’affirmer que seules relèvent de la catégorie des règles auxquelles les parties ne peuvent pas déroger celles qui, étant susceptibles d’être considérées comme telles dans un ordre juridique donné, protègent spécifiquement le travailleur (34).

2.      La genèse de la disposition

55.      L’expression « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » trouve son précurseur immédiat dans l’expression « dispositions auxquelles la loi de ce pays [(35)] ne permet pas de déroger par contrat » figurant à l’article 3, paragraphe 3, de la convention de 1980, qui les dénommait également « dispositions impératives ».

56.      L’application de ces règles opère comme une solution de compromis lorsque les parties choisissent une loi étrangère pour un contrat qui, au moment du choix, n’a objectivement aucun contact (ou contact pertinent) avec plus d’un ordre juridique. C’est, en réalité, un contrat purement domestique.

57.      Dans ce contexte, qui a priori ne semble pas relever des situations « comportant un conflit de lois » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la convention de 1980 (36), le conflit résulte du propre choix de la loi étrangère pour le contrat.

58.      Comme tout choix, celui qui intervient dans ces circonstances permettrait aux contractants de contourner complètement la loi qui, en son absence, aurait été applicable. Ce contournement a donné lieu à quelques discussions lors de la négociation de la convention de 1980 : face aux arguments visant à admettre le choix de la loi dans des contrats purement domestiques, il était craint, de manière tout aussi raisonnable, que cela puisse entraîner un risque d’abus et de fraude (37).

59.      Le texte final a retenu la solution intermédiaire que j’ai déjà exprimée : a) d’une part, l’accord sur la loi applicable est accepté, b) d’autre part, une réserve est prévue en ce qui concerne les dispositions, en vigueur dans le pays où tous les éléments du contrat sont situés au moment du choix, auxquelles les parties n’auraient pas pu déroger par accord compte tenu de leur nature impérative.

60.      Pour les contrats de consommation et les contrats individuels de travail, régis respectivement par les articles 5 et 6 de la convention de 1980, la présence d’un contractant « faible » a contraint les négociateurs de cette convention à modifier la liberté de choix consacrée à l’article 3.

61.      L’option retenue à l’article 6 de la convention de 1980 autorisait le choix, tout en le limitant à travers la technique inaugurée par l’article 3, paragraphe 3. D’ailleurs, la solution s’adapte au contexte :

–        s’agissant de la loi dont les dispositions impératives doivent en tout état de cause être respectées (38);

–        et s’agissant du périmètre d’intervention d’une telle loi, qui ne comprend pas toutes les règles à caractère impératif , mais seulement celles concernant la protection de la partie faible.

62.      L’emploi des termes « dispositions impératives » à l’article 6, paragraphe 1, de la convention de 1980 ne devait pas soulever de problème, puisque, aux termes de l’article 3, paragraphe 3, cette expression équivaut aux « dispositions auxquelles la loi de ce pays ne permet pas de déroger par contrat ».

63.      En revanche, des règles matériellement impératives, ou « lois de police », visées à l’article 7 de la convention de 1980, ne seraient pas applicables par cette voie.

3.      « Dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » et « lois de police »

64.      L’analyse systématique permet de cerner la catégorie des « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord ». Elle impose de faire une distinction entre celles-ci et les « lois de police » mentionnées à l’article 9 du règlement Rome I, qui reprend (avec certaines modifications) l’article 7 de la convention de 1980 (39).

65.      Les lois de police, en tant que règles impératives « quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement » (40), rendent inopérant (dans leur champ d’application) le choix d’un droit étranger que les parties aient formulé dans leur contrat.

66.      La gravité de cette conséquence explique les restrictions que le règlement Rome I impose à la catégorie des lois de police (41):

–        seules les lois de police du for peuvent être pleinement applicables (42);

–        il pourra également être donné effet aux lois de police de l’État d’exécution du contrat, mais uniquement dans la mesure où lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale (43).

67.      Par contre, les règles « auxquelles il ne peut être dérogé par accord » de l’article 3, paragraphes 3 et 4, de l’article 6, paragraphe 2, de l’article 8, paragraphe 1, et de l’article 11, paragraphe 5, sous b), du règlement Rome I, sont celles auxquelles il ne pourrait pas être dérogé dans un contrat domestique mais auxquelles, en revanche, il pourrait être dérogé dans un contrat international, moyennant le choix de l’ordre juridique régissant le contrat.

68.      Dans ce cas, les règles facultatives et les règles non susceptibles de dérogation de l’ordre juridique choisi sont applicables, sauf si (et dans la mesure où) le règlement Rome I le prévoit autrement, ce qui est exceptionnel (44).

4.      Identification des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord des parties

69.      Dans le respect du droit de l’Union, les autorités nationales décident dans quels domaines, et pour quelles raisons, elles conféreront à une règle un caractère impératif, auquel il ne peut pas être dérogé par accord inter partes.

70.      Pour déterminer si une règle nationale présente ou non un tel caractère, il est indispensable de l’interpréter. Or, le règlement Rome I ne fournit pas des indications précises à cet égard, se bornant à signaler que les « lois de police » doivent être comprises dans un sens plus restrictif que les « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » (45).

71.      La juridiction de renvoi devra donc identifier le caractère impératif ou facultatif d’une règle selon les critères herméneutiques habituels, tout en réalisant son analyse au prisme du droit d’origine de la règle examinée, qui peut éventuellement être un droit étranger.

72.      Sans vouloir me substituer à la juridiction de renvoi s’agissant de cette appréciation, au vu des circonstances de ces affaires, je tiens à souligner que :

–        en matière de contrats individuels de travail, l’origine ou la source d’une règle ne révèlent pas nécessairement son caractère impératif ou facultatif. Des règles impératives peuvent se trouver non seulement dans la loi proprement dite, mais aussi dans d’autres textes déclarés d’application générale, pourvu qu’une valeur équivalente leur soit reconnue (46)

–        les règles relatives au salaire minimal servent, dans les États qui en disposent, à protéger le travailleur et, eu égard à leur nature même, on ne saurait y déroger par accord entre les parties, au détriment de celui-ci ;

–        pour les États membres qui se sont dotés de règles relatives au salaire minimal, le caractère impératif de celles-ci ressort, indirectement, de la jurisprudence de la Cour à propos de l’article 3 de la directive 96/71, dont l’objet est d’assurer aux travailleurs détachés « le respect d’un noyau de règles impératives de protection minimale » (47) de l’État membre d’accueil ;

–        parmi ces dispositions impératives applicables à certaines conditions de travail et d’emploi, les taux de salaire minimal étaient justement mentionnés.

73.      Je dois néanmoins rappeler que le règlement Rome I est d’« application universelle », conformément à son article 2 (48), de sorte que les dispositions auxquelles il ne peut pas être dérogé au sens de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, peuvent être celles d’un État tiers.

74.      En tout état de cause, il n’existe pas, dans le cadre de l’Union, de notion unique de « salaire minimal » ni d’obligation d’en instaurer un (49). Dans le cadre de la directive 96/71, l’absence de définition uniforme a conduit à remplacer la notion de « taux de salaire minimal » par celle de « rémunération », à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de cette directive, telle que modifiée par la directive 2018/957 (50).

75.      Il ne saurait être exclu que des éléments du salaire qualifiés dans un État comme « non dérogeables » par accord entre les parties, parce qu’ils relèvent de cette notion-là, le soient dans un autre (51).

76.      Toutefois, je réitère que, même lorsque le caractère non dérogeable des règles relatives au salaire minimal dans un État membre aurait été confirmé, leur application n’est pas automatique, puisqu’elle nécessite une comparaison entre le niveau de protection que lesdites règles offrent aux travailleurs et celui fournit par les règles équivalentes de la loi choisie.

D.      Troisième question préjudicielle

77.      La troisième question préjudicielle n’est pas exactement la même dans les deux renvois :

–        dans l’affaire C‑152/20, la juridiction de renvoi estime que la référence, dans les contrats litigieux, au code du travail roumain vaut choix de la loi roumaine par les parties. Elle demande si l’article 3 du règlement Rome I s’oppose à la législation nationale qui impose d’inclure obligatoirement une telle clause d’élection de la loi dans les contrats individuels de travail ;

–        dans l’affaire C‑218/20, avec ce même point de départ, la question tourne autour du choix de la loi par les parties lorsqu’il est notoire que c’est l’employeur qui détermine, de manière unilatérale, le contenu des contrats individuels de travail.

78.      En dépit des formulations différentes, l’argument de fond est le même pour les deux questions : savoir si un choix, dans les termes décrits, peut être considéré comme libre, au sens de l’article 3 du règlement Rome I (et, par extension, de son article 8).

79.      Pour aborder ce point, j’analyserai : a) la viabilité, en général, du choix implicite de la loi dans le règlement Rome I ; et b) si, dans les circonstances de l’espèce, il est possible de considérer que la loi a bien été choisie de cette manière.

80.      Au préalable, je souligne qu’il ne semble pas ressortir du dossier soumis à la Cour que les travailleurs requérants se soient, en réalité, opposés à l’application de la loi roumaine, en tant que loi choisie.

81.      Comme je l’ai déjà indiqué, la juridiction de renvoi reconnaît elle‑même (dans les première et deuxième questions préjudicielles) que les parties ont choisi la loi roumaine comme étant applicable à leurs contrats. Le différend ne porterait, partant de cette prémisse, que sur les limites de ce choix en matière de rémunération des travailleurs dont l’activité est exercée en Italie et en Allemagne.

82.      Il peut être déduit des décisions de renvoi que c’est la juridiction de renvoi elle‑même qui s’interroge sur le choix de la loi roumaine. Elle ne le met pas en question au regard de l’incertitude résultant de la formule inscrite dans le contrat, mais parce qu’elle a des doutes sur le caractère genuine ou, par contre, imposé, du choix.

1.      Choix implicite de loi dans le règlement Rome I

83.      Dans le prolongement de la convention de 1980, le règlement Rome I unifie les règles (de conflit) servant à déterminer, devant les juridictions de tout État membre (52), le droit national applicable à un contrat en présence d’un conflit de lois.

84.      Le règlement Rome I crée ainsi un système qui offre une prévisibilité quant à l’issue d’un éventuel litige et la sécurité juridique quant à la loi applicable. Il facilite également, en dernière instance, la circulation des décisions judiciaires entre les États membres, dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur (53).

85.      La pierre angulaire de ce système est le fait que les parties qui concluent le contrat peuvent désigner (choisir) la loi applicable (54). L’article 3 du règlement Rome I consacre le principe de l’autonomie de la volonté en matière de conflits de lois, et ce pour tous les contrats. Il établit de même le régime juridique applicable à ce choix (55), que ce soit en général ou pour certaines relations contractuelles (56).

86.      Cet article est généreux quant à la forme du choix de la loi : il peut être explicite comme implicite. Dans ce dernier cas, le choix doit « résulte[r] de manière non équivoque des termes du contrat ou des circonstances de l’espèce » (57).

87.      Il n’existe pas de liste de critères pour « déterminer si le choix de la loi ressort clairement des termes du contrat » (58). Hormis une référence à l’élection du for comme indice du choix de la loi (59), le règlement Rome I ne donne aucune précision sur d’autres éléments révélateurs de la volonté des parties de choisir implicitement le droit applicable à leur contrat.

2.      Choix de la loi dans ces deux litiges

88.      Une clause d’un contrat individuel de travail en vertu de laquelle celui-ci sera complété par les dispositions d’une réglementation nationale (60) pourrait, en principe, indiquer un choix de loi applicable.

89.      Toutefois, comme le relève la Commission (61), cette clause pourrait également être interprétée comme exprimant simplement la volonté d’incorporer au contrat certaines dispositions matérielles d’un ordre juridique, ayant la même valeur que toute autre clause contractuelle (« intégration par référence ») (62).

90.      Il appartient au juge national de déterminer la véritable intention des parties dans chaque cas d’espèce. Dans ce cadre, j’estime qu’une clause telle que celle figurant dans les contrats litigieux ne suffirait pas pour conclure qu’il y a eu incontestablement un choix de loi (63).

91.      En effet, pour qu’une telle clause puisse être comprise comme l’expression implicite de la volonté des parties de choisir la loi régissant leur relation, il faudrait trouver appui sur d’autres données (64). Cela est d’autant plus nécessaire lorsque certains éléments significatifs du contrat, tels que le lieu d’exécution des prestations principales, semblent désigner un autre ordre juridique.

92.      Les contrats individuels de travail en cause sont conformes à un formulaire prédéterminé, dont l’utilisation est prévue par l’arrêté no 64/2003. La clause de choix (présumé) de la loi applicable est l’une des dispositions prévues dans ce formulaire.

93.      Rien ne s’oppose, dans le règlement Rome I, à ce que le choix de la loi figure dans un contrat en tant que condition non négociée individuellement puisque comprise, par défaut, dans un modèle commun au secteur concerné (65).

94.      Les doutes qui peuvent naître quant à l’existence et à la validité du consentement s’agissant d’une telle clause doivent être levés au regard de la loi hypothétiquement applicable, à savoir celle qui serait applicable si ce choix était valable : par conséquent, la même loi que celle qui a été apparemment choisie (66).

95.      Une autre question, préalable naturellement, est de savoir si une clause de choix de la loi dont l’inclusion dans le contrat est imposée par la loi, ou qui découle de la décision unilatérale d’une des parties, est valide.

96.      La réponse du règlement Rome I à cet égard exige de faire une distinction entre ces deux hypothèses.

a)      Clause imposée ex lege

97.      La juridiction de renvoi décrit la référence au code du travail roumain, dans les contrats litigieux, comme le résultat d’une législation nationale qui prescrit « inclure obligatoirement dans les contrats individuels de travail la clause relative au choix de la loi roumaine » (affaire C‑152/20).

98.      Dans un tel cas, il n’y aurait pas eu de libre choix de la loi par les parties au contrat, au sens de l’article 3 du règlement Rome I. Une telle clause imposée par la loi apparaît incompatible avec l’idée de liberté de choix.

99.      Toutefois, cela ne semble pas être la seule interprétation de la règle interne. Dans ses observations, le gouvernement roumain soutient que les parties au contrat individuel de travail n’ont pas l’obligation de choisir la loi roumaine comme loi applicable. Ce n’est que s’ils font ce choix, librement consenti, qu’ils doivent se conformer à l’arrêté no 64/2003 et conclure leur contrat conformément au formulaire qui y est annexé.

100. Selon cette interprétation, la présence dans le contrat (par l’intermédiaire du formulaire) de la clause prévoyant l’application complémentaire du code du travail serait une conséquence du choix préalable, et libre, des parties, lesquelles ont désigné le droit roumain pour régir leur relation contractuelle. Elle apporterait, en même temps, la preuve d’un tel choix.

101. Il appartient à la juridiction de renvoi, et non pas à la Cour, d’interpréter le droit interne. Ce n’est que si la seconde de ces deux interprétations devait prévaloir que la clause pourrait être comprise comme un exercice de l’autonomie de la volonté des parties, au sens de l’article 3 du règlement Rome I.

b)      Clause préalablement rédigée par l’employeur

102. La question se pose sous une lumière différente si la clause est insérée dans le contrat non pas parce que la loi l’impose, mais suite à une décision de l’employeur, hypothèse à laquelle la troisième question dans l’affaire C‑218/20 fait spécifiquement référence.

103. Les contrats de travail sont généralement rédigés au préalable par l’employeur sous une forme standard. L’insertion d’une clause de choix de la loi de l’État (et d’élection du for) où ils ont été conclus facilite la gestion des relations de travail et réduit les coûts d’information légale.

104. La liberté d’élection – qui, en principe, appartient aux deux parties – peut être exercée, lorsqu’il s’agit d’une clause type d’un contrat individuel de travail (qui, lui‑même, peut inclure les dispositions d’une convention collective), en y consentant, et ce même s’il n’y a pas vraiment eu de négociation préalable à propos de son contenu (67).

105. L’application de l’article 3 du règlement Rome I aux contrats individuels de travail ne saurait faire abstraction de cette réalité. Sauf dans des cas exceptionnels, la plupart des travailleurs n’ont, de facto, pas le pouvoir d’obliger l’employeur à choisir la loi applicable à leurs contrats individuels. L’élection de la loi par ces travailleurs se traduira donc par l’acceptation, par le biais de leur consentement, du choix exprimé au préalable par l’employeur.

106. Il en va de même dans le domaine, relativement parallèle, des contrats de consommation auxquels se réfère l’article 6 du règlement Rome I. La Cour n’a pas, s’agissant de ces contrats, mis en cause « la validité d’une clause de choix de la loi précédemment rédigée qui désigne le droit de l’État membre du siège du professionnel », pour autant qu’elle n’est pas abusive (68).

V.      Conclusion

107. Eu égard à ce qui précède, je propose de répondre au Tribunalul Mureș (tribunal de grande instance de Mureș, Roumanie) de la manière suivante :

1)      L’article 8 du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) doit être interprété en ce sens que, lorsque la loi régissant le contrat individuel de travail a été choisie, il y a lieu d’exclure les autres lois qui, à défaut de choix, auraient été applicables en vertu des paragraphes 2, 3 ou 4 de cet article, pourvu que la première offre au travailleur un niveau de protection égal ou supérieur à celui assuré par les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord de la loi qui aurait été appliquée en l’absence de choix.

2)      Les règles relatives au salaire minimal du pays où le travailleur salarié a exercé habituellement son activité peuvent, en principe, être qualifiées de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable », au sens de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 593/2008. La primauté de ces règles dépendra de leur configuration dans l’ordre juridique de référence, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

3)      Les articles 3 et 8 du règlement no 593/2008 doivent être interprétés en ce sens que le choix, explicite ou implicite, de la loi applicable à un contrat individuel de travail doit être libre pour les deux parties, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une disposition nationale impose d’insérer dans ce contrat une clause de choix de la loi. Ces articles n’empêchent toutefois pas qu’une telle clause soit préalablement rédigée dans le contrat par décision de l’employeur, à laquelle le travailleur donne son consentement.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6 ; ci-après le « règlement Rome I »).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).


4      Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1, ci-après la « convention de 1980 »).


5      Dans l’arrêt du 12 septembre 2013, Schlecker (C‑64/12, ci-après l’« arrêt Schlecker », EU:C:2013:551, point 38), la Cour a relevé que les critères de rattachement de la convention de 1980 se concilient avec la nouvelle disposition sur les règles de conflit relatives aux contrats de travail, introduite par le règlement Rome I, qui n’était toutefois pas applicable dans cette affaire ratione temporis.


6      Arrêté du ministre du Travail et de la Protection sociale no 64/2003, portant approbation du contrat-cadre du contrat individuel de travail, ci-après l’« arrêté no 64/2003 ».


7      Legea nr. 53/2003 privind Codul muncii.


8      L’Italie (C‑152/20) et l’Allemagne (C‑218/20). Dans la première affaire, la demande d’EH concerne également le salaire minimal applicable en Allemagne pour la période au cours de laquelle cette personne y a travaillé. Toutefois, la juridiction de renvoi limite ses questions à la situation des requérants en Italie.


9      Observations écrites, points 7 et 5, respectivement.


10      L’arrêt du 1er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976), a confirmé l’applicabilité de la directive 96/71 aux prestations de services transnationales dans le domaine des transports routiers, après l’analyse des circonstances dans lesquelles des travailleurs du secteur sont « détachés » au sens de cette directive. La directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, modifiant la directive 96/71 (JO 2018, L 173, p. 16), s’appliquera au secteur des transports routiers conformément à son article 3, paragraphe 3, à partir du 2 février 2022.


11      Article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 96/71, lequel ne fait pas obstacle à l’application de conditions d’emploi et de travail plus favorables (voir son paragraphe 7). Cette disposition connaît des exceptions.


12      Je renvoie à mes conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:392), points 191 et suiv.. Sur la relation entre le règlement Rome I et la directive 96/71, voir le considérant 34 et l’article 23 de ce règlement ainsi que les considérants 7 et 11 de cette directive.


13      Certes, dans la description du cadre juridique national, elle cite des dispositions qui transposent cette directive telles que l’article 4 de la Legea nr. 344/2006 privind detașarea salariaților în cadrul prestării de servicii transnaționale (loi no 344/2006 sur le détachement des salariés dans le cadre d’une prestation de services transnationale). Toutefois, elle ne soutient pas expressément qu’elles soient applicables, et il se peut que cette référence ne vienne qu’au soutien de l’article 7 bis de cette loi, applicable à des situations de transport international relevant d’un régime autre que celui du détachement.


14      La description succincte des faits figurant dans les décisions de renvoi laisse apparaître que les travailleurs n’ont pas effectué la prestation de services à l’occasion d’un simple voyage occasionnel dans un pays étranger. Dès lors, j’estime que les situations examinées sont de nature à entraîner un conflit de lois au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome I.


15      Ordonnance de renvoi, affaire C‑152/20, p. 10.


16      La faiblesse se reflète surtout en termes de pouvoir de négociation.


17      La protection du travailleur peut également résulter d’autres dispositions : ainsi, les « lois de police », que je traiterai plus loin, ou l’exception d’ordre public du for (articles 9 et 21 du règlement Rome I, respectivement).


18      S’il existe des disparités entre les textes de la convention de 1980 et du règlement en vigueur, elles ne modifient pas substantiellement cet article ni n’affectent ce que j’aborde ici.


19      Arrêts du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2011:151, point 34) ; du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, ci-après l’« arrêt Voogsgeerd », EU:C:2011:842, point 24), et Schlecker, point 22.


20      La disposition n’obéit pas seulement à l’idée de favoriser le travailleur. Elle instaure un mécanisme sophistiqué qui donne la priorité, en tant que point de rattachement, à l’accord des parties et, si cela se révèle nécessaire pour protéger une partie, corrige le résultat de ce choix à la lumière du droit le plus étroitement lié au contrat.


21      Il ne le restreint pas non plus s’agissant des contrats de consommation visés à l’article 6, paragraphe 1. La technique de protection du consommateur, « partie faible » au sens du règlement, correspond à celle prévue pour les travailleurs à l’article 8. L’une et l’autre posent les mêmes problèmes de mise en œuvre. Voir les conclusions de l’avocate générale Trstenjak dans l’affaire Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:564, point 49) pour les contrats de travail, et la proposition visant à une application différente, pour les contrats de consommation, de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans les conclusions de l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑191/15, EU:C:2016:388, point 100).


22      Arrêt Voogsgeerd, point 25.


23      Sur la subsidiarité de cette règle par rapport à la précédente, résultant de la volonté du législateur de garantir au travailleur une protection adéquate, voir l’arrêt Voogsgeerd, points 32, 34 et 35.


24      L’article 8, paragraphe 4, ne s’applique pas de façon subsidiaire : il permet de remplacer l’un quelconque des deux points de rattachement précédents dès lors qu’il existe, réellement, un pays avec lequel le contrat présente des liens plus étroits qu’avec celui désigné par ces points-là.


25      Il s’agit alors d’une situation dite de « dépeçage » ou d’application de plusieurs systèmes juridiques à plusieurs aspects d’une même relation contractuelle. Les difficultés d’adaptation qu’une telle situation implique dans la pratique n’ont pas découragé le législateur européen : au contraire, l’article 3, paragraphe 1, du règlement Rome I permet aux parties contractantes de choisir ellesmêmes plusieurs systèmes juridiques pour différentes parties du contrat.


26      C’est ce qu’expliquait l’avocat général Wahl dans ses conclusions dans l’affaire Schlecker (C‑64/12, EU:C:2013:241, point 24).


27      Sur la question de savoir comment identifier le pays à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail au sens de l’article 8, paragraphe 2, voir arrêts du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2011:151, points 45, 48 et 49), et Voogsgeerd, points 37 à 40.


28      Arrêt Schlecker, point 38. La Cour écarte l’idée d’une valeur différente de la clause relative aux « liens plus étroits » visée dans le règlement, par comparaison avec la convention de 1980, qui se manifesterait par le fait que cette clause figure à l’article 8 dans un paragraphe qui lui est propre et distinct. Cette interprétation était sous-entendue dans la proposition de la Commission qui, outre la séparation du texte, remplaçait l’obligation d’écarter certaines lois par une autorisation, par l’intermédiaire du verbe « peut » (« may ») : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) [COM(2005) 650 final], article 6, paragraphe 3.


29      Arrêt Schlecker, point 35.


30      Arrêt Schlecker, points 36 et suiv..


31      L’expression figure également à l’article 3, paragraphes 3 et 4, du règlement Rome I, à son article 6, paragraphe 2, et à l’article 11, paragraphe 5, sous b). Si sa signification est partout la même, ce n’est pas forcément le cas pour l’ensemble des règles en cause puisque l’article 6, paragraphe 2, et l’article 8, paragraphe 1, exigent, outre le fait qu’il ne puisse y être dérogé, qu’elles soient de « protection » du consommateur et du travailleur, respectivement. L’article 11, quant à lui, concerne exclusivement des dispositions sur la forme des contrats portant sur des droits réels ou des baux d’immeuble, en vigueur dans la loi du pays où l’immeuble est situé.


32      Observations de la Commission, points 35 à 37, et du gouvernement finlandais, points 21 et 22.


33      Cette notion est donc différente de celle de « dispositions législatives ou réglementaires impératives » qui est utilisée dans d’autres domaines, comme à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29) : voir, à cet égard, arrêt du 9 juillet 2020, Banca Transilvania (C‑81/19, EU:C:2020:532).


34      Le rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles de M. Giuliano et P. Lagarde (JO 1992, C 327, p. 1, ci-après le « rapport Giuliano-Lagarde »), p. 23, proposait comme exemples les règles relatives aux préavis ou à l’hygiène et à la sécurité du travail. L’avocat général Wahl, dans ses conclusions dans l’affaire Schlecker (C‑64/12, EU:C:2013:241, point 34), ajoutait celles concernant les conditions d’octroi d’indemnités de licenciement. Selon l’avocate générale Trstenjak dans ses conclusions dans l’affaire Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:564, point 50), la règle relative au délai de forclusion de l’action en réparation pour résiliation abusive du contrat pourrait avoir ce même caractère.


35      Celui où se trouvent tous les éléments de la situation au moment du choix.


36      Identique à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome I.


37      Rapport Giuliano Lagarde, p. 17.


38      Celles visées à l’article 6, paragraphe 2.


39      Dans le cadre de la convention de 1980, au point 47 de l’arrêt du 17 octobre 2013, Unamar (C‑184/12, EU:C:2013:663), la Cour a défini les lois de police comme étant « les dispositions dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national dudit État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci [...] ». L’article 9 du règlement Rome I codifie cette définition.


40      Article 9, paragraphe 1, in fine.


41      Arrêt du 18 octobre 2016, Nikiforidis (C‑135/15, EU:C:2016:774, points 42 et suiv., ainsi que dispositif) : « L’article 9, paragraphe 3, du règlement no 593/2008 doit être interprété en ce sens qu’il exclut que des lois de police autres que celles de l’État du for ou de l’État dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, puissent être appliquées, en tant que règles juridiques, par le juge du for, mais ne s’oppose pas à la prise en compte par ce dernier de telles autres lois de police en tant qu’élément de fait dans la mesure où le droit national applicable au contrat, en vertu des dispositions de ce règlement, la prévoit [...] »


42      Conformément à son article 9, paragraphe 2, le règlement Rome I ne restreint pas l’application de ces règles la loi du for, mais ne l’impose pas non plus.


43      Article 9, paragraphe 3, du règlement Rome I.


44      C’est le cas des articles cités au point 67 des présentes conclusions.


45      Considérant 37 du règlement Rome I.


46      Dans l’affaire C‑152/20, les parties soutenaient que les règles italiennes contenues dans une convention collective étaient applicables.


47      Arrêt du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C‑396/13, EU:C:2015:86, point 29). Dans la doctrine, la question de savoir si les dispositions nationales transposant ce « noyau de protection » destiné aux travailleurs nationaux et étrangers détachés sont non seulement impératives au sens de l’article 8 du règlement Rome I, mais aussi des véritables « lois de police », au sens de l’article 9, paragraphe 1, n’est pas tranchée. Voir Piir, R., « Safeguarding the posted worker. A private international law perspective », European Labour Law Journal, 2019, p. 101 à 115, en particulier p. 111 et 112.


48      « La loi désignée par le présent règlement s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un État membre. »


49      En ce qui concerne le salaire minimum dans une « Europe sociale », voir la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne, COM(2020) 682 final, du 28 octobre 2020.


50      Je renvoie à mes conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:392) et à l’arrêt du 8 décembre 2020, rendu dans cette affaire (EU:C:2020:1001).


51      La juridiction de renvoi ne précise pas quels éléments constituent le « salaire minimal » dans l’ordre roumain, ni quel serait, selon elle, le terme de comparaison dans les systèmes italien et allemand.


52      À l’exception du Danemark.


53      Considérant 6 du règlement Rome I.


54      Arrêt du 17 octobre 2013, Unamar (C‑184/12, EU:C:2013:663, point 49).


55      Le choix est régi directement au moyen de règles matérielles, comme en ce qui concerne sa forme, sa portée et le moment de l’opérer, à l’article 3, paragraphes 1 et 2, ou, indirectement, le paragraphe 5 du même article prévoyant la manière dont il convient identifier l’ordre juridique au regard duquel seront appréciées l’existence et la validité du consentement quant au choix, si elles sont contestées.


56      Afin de refléter les caractéristiques particulières de la relation contractuelle, le régime s’adapte à l’article 5, paragraphe 2 (contrats de transport de passagers), à l’article 6, paragraphe 2 (quelques contrats conclus par les consommateurs, sous conditions spécifiques), à l’article 7, paragraphe 3 (certains contrats d’assurance), et à l’article 8, paragraphe 1 (contrats individuels de travail).


57      Voir, à l’inverse, les exigences de forme de la clause de choix dans d’autres instruments : ainsi, l’article 7 du règlement (UE) no 1259/2010 du Conseil, du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (JO 2010, L 343, p. 10) ou l’article 23 du règlement (UE) 2016/1103 du Conseil, du 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux (JO 2016, L 183, p. 1).


58      Considérant 12 du règlement Rome I.


59      Considérant 12 du règlement Rome I.


60      Dans ces affaires, il est complété par le code du travail roumain.


61      Points 20 et suiv. de ses observations écrites.


62      La technique de l’« intégration par référence » suppose un exercice d’autonomie de la volonté matérielle (et non pas en matière de conflits). Le règlement Rome I la prévoit au considérant 13 : les parties peuvent « intégrer par référence dans leur contrat un droit non étatique ou une convention internationale ».


63      Qu’une référence soit faite de manière générale à un « code », et non pas à certaines dispositions isolées, ne change rien à mon point de vue ; ce qui compte, c’est le poids ou la signification que les règles expressément citées dans le contrat ont dans l’ensemble d’un système légal.


64      Comme je l’ai déjà exposé, il n’y a pas de liste fermée de facteurs révélateurs d’un choix. Il doit s’agir, bien évidemment, de facteurs liés au contrat et aux circonstances dans lesquelles il a été conclu et exécuté. Outre le choix du for, susmentionné, on peut citer la langue du contrat (notamment l’utilisation de la terminologie légale spécifique d’un certain ordre juridique), les lieux de conclusion et d’exécution des obligations contractuelles, l’existence de précédents contrats entre les parties pour lesquels un ordre juridique particulier a été appliqué ou (comme dans ces affaires) l’utilisation d’un formulaire qui est associé à un système légal spécifique.


65      Voir points 103 à 106 des présentes conclusions.


66      Article 3, paragraphe 5, du règlement Rome I, qui renvoie à l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement.


67      Je partage donc la position exprimée par la Commission lorsqu’elle souligne (point 19 de ses observations écrites) que l’insertion par l’employeur, dans un contrat type de travail préalablement rédigé, d’une clause prévoyant le choix de la loi applicable est admissible et n’invalide pas l’exigence, visée à l’article 3 du règlement Rome I, relative à l’existence d’un consentement réel.


68      L’arrêt du 28 juillet 2016, Verein für Konsumenteninformation (C‑191/15, EU:C:2016:612), fait référence, à son point 67, aux conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans cette affaire (C‑191/15, EU:C:2016:388). La clause préalablement rédigée est abusive si « elle présente certaines spécificités, propres à son libellé ou à son contexte, engendrant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ».