Language of document : ECLI:EU:T:2007:128

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

8 mai 2007 (*)

« Responsabilité contractuelle – Clause compromissoire – Contrat de bail – Irrecevabilité – Responsabilité non contractuelle – Négociations précontractuelles – Exception d’illégalité – Confiance légitime – Bonne foi – Abus de droit – Préjudice matériel – Perte d’une chance »

Dans l’affaire T‑271/04,

Citymo SA, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes P. Van Ommeslaghe, I. Heenen et P.-M. Louis, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. L. Parpala et E. Manhaeve, en qualité d’agents, assistés de Mes D. Philippe et M. Gouden, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une action en responsabilité contractuelle tendant à la condamnation de la Commission à payer à la requérante des dommages-intérêts au titre de la résiliation d’un contrat de bail prétendument conclu entre celle-ci et la Communauté européenne, représentée par la Commission, et, à titre subsidiaire, une action en responsabilité non contractuelle tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par la requérante à la suite de la décision de la Commission de mettre fin aux négociations précontractuelles visant à la conclusion dudit contrat de bail,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij, N. J. Forwood, Mme I. Pelikánová et M. S. Papasavvas, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 mai 2006,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante est une société anonyme de droit belge spécialisée dans les opérations immobilières. Elle fait partie du groupe Fortis qui, dans les pays du Benelux, est actif dans les domaines de l’assurance et des services financiers.

2        À la fin de l’année 2002, la requérante a rénové, à Bruxelles, un complexe immobilier, dont elle est propriétaire, dénommé le « City Center » et composé de deux bâtiments B 1 et B 2.

3        Au début de l’année 2003, le Parlement européen est entré en négociations avec la requérante afin de prendre en location l’ensemble des surfaces du bâtiment B 1 du City Center, soit 16 954 m2 de locaux à usage de bureaux ainsi que 205 places de parking (ci-après l’« Immeuble »). Par la suite, le Parlement a toutefois renoncé à louer l’Immeuble tout en indiquant que la Commission souhaitait poursuivre à son compte les négociations. Dans le cadre de la coopération interinstitutionnelle entre les deux institutions communautaires, il a été convenu que le déménagement de certains services de la Commission vers l’Immeuble permettrait au Parlement d’occuper les locaux laissés vacants par ceux-ci.

4        Le 13 mai 2003, la Commission, par l’intermédiaire de M. C. (ci-après le « négociateur »), un agent de l’Office « Infrastructures et logistique » – Bruxelles (OIB), organisme créé par la décision 2003/523/CE de la Commission, du 6 novembre 2002 (JO 2003, L 183, p. 35), est entrée en contact avec la requérante et Fortis Real Estate, le département spécialisé en immobilier de la société de droit belge Fortis AG (ci-après la « société Fortis »), une société sœur de la requérante au sein du groupe Fortis, aux fins de finaliser la négociation des termes du contrat de bail portant sur l’Immeuble (ci-après le « contrat de bail »).

5        Au cours de trois réunions, organisées respectivement les 16 mai, 3 et 6 juin 2003, le négociateur et la société Fortis (ci-après les « parties aux négociations ») ont discuté des termes du contrat de bail, ainsi que des travaux d’aménagement intérieur de l’Immeuble à réaliser. La Commission a demandé que le contrat de bail stipule que ces travaux seraient effectués au nom et pour le compte de la requérante et que leur montant serait ensuite remboursé par le paiement d’un loyer additionnel. En outre, la Commission a souhaité que le contrat de bail prévoie que ces travaux devraient être achevés le 31 octobre 2003, soit juste avant la date prévue de prise d’effet du contrat de bail, et qu’une pénalité serait due en cas de retard.

6        Dans un message électronique du 11 juin 2003, la société Fortis indiquait au négociateur que les commandes relatives à l’exécution des travaux ne pouvaient raisonnablement pas être passées avant confirmation de l’accord de la Commission sur les termes du contrat de bail.

7        En annexe à un courrier du 16 juin 2003, la société Fortis a adressé à la Commission un projet de contrat de bail, qui avait été préalablement communiqué à cette dernière par voie électronique. Ce projet de contrat mentionnait, à l’article 4.4, que les travaux d’aménagement intérieur de l’Immeuble souhaités par la Commission, excepté ceux relatifs à la cafétéria et à la sécurité (ci-après les « travaux d’aménagement »), devraient être achevés le 31 octobre 2003 et que, à défaut, une indemnité de retard serait due à partir du 1er novembre 2003, date de prise d’effet du contrat de bail. Cependant, le courrier de la société Fortis précisait que le délai de réalisation des travaux d’aménagement et le point de départ des indemnités de retard prévus dans le projet de contrat étaient notamment soumis à la condition suivante : « un double du présent courrier simplement signé par vos soins et confirmant ainsi votre accord sur les termes et conditions du [contrat de] bail nous parviendra pour le 30 juin 2003 au plus tard ». La société Fortis indiquait en outre : « Dès réception [du document demandé], nous passerons, comme vous nous l’avez demandé, les commandes de travaux [d’aménagement] sans attendre la signature formelle du bail. » Il était également précisé dans le courrier que, faute de recevoir le document demandé dans le délai fixé, « le délai de réalisation des travaux et la date de prise en cours des indemnités de retard seraient reportés en tenant compte de la date de réception [du document demandé] et des congés du bâtiment, et ce sans modification de la date de prise en cours du bail ».

8        Le 19 juin 2003, certains aspects ayant été précisés entre les parties aux négociations, la société Fortis a transmis une deuxième version du projet de contrat de bail, laquelle apportait quelques modifications à l’article 4.5, tel que figurant dans la version du 16 juin 2003.

9        Le 23 juin 2003, à la suite de nouvelles discussions entre services techniques, la société Fortis a communiqué au négociateur une troisième version du projet de contrat de bail, qui apportait des modifications aux articles 4.3, 11 et 12, tels que figurant dans les versions antérieures des 16 et 19 juin 2003, ainsi qu’une annexe récapitulant l’accord des parties à la négociation sur le budget et le descriptif des travaux d’aménagement. Dans le courrier électronique de transmission, la société Fortis précisait que ce troisième projet de contrat annulait et remplaçait les projets précédemment transmis mais que le contenu de son courrier du 16 juin 2003 restait d’entière application.

10      Par note du 25 juin 2003, l’OIB a saisi pour avis les services et directions générales (DG) de la Commission devant être consultés dans le cadre de toute procédure immobilière, à savoir le service juridique, la DG « Budget » et la DG « Personnel et administration » (ci-après, pris ensemble, les « autorités de contrôle »), du projet de lettre d’intention et de contrat de bail.

11      Par télécopie du 26 juin 2003, le négociateur a retourné à la société Fortis une copie de son courrier du 16 juin 2003 qui portait sa signature sous la mention manuscrite suivante :

« Les termes du bail sont satisfaisants pour l’OIB. Celui-ci a été soumis aux [a]utorités de contrôle. »

12      Par courrier électronique du 30 juin 2003, à la suite d’une réunion avec les autorités de contrôle, le négociateur a saisi la société Fortis d’une question relative à la récupération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les travaux d’aménagement. Il précisait, en outre, que le service juridique aurait souhaité modifier l’article 7 du projet de contrat de bail. Il indiquait enfin :

« Il y a d’autres remarques mais sans trop d’importance. Attention, ceci ne veut pas dire que ce dossier est déjà approuvé. »

13      Par courrier électronique du 1er juillet 2003, la société Fortis a répondu négativement au négociateur au sujet de la récupération éventuelle de la TVA et de la modification de l’article 7 du projet de contrat de bail.

14      Le même jour, le service juridique a rendu un avis favorable sur le projet de contrat de bail, sous réserve des modifications proposées au projet de lettre d’intention, lesquelles visaient à renforcer le caractère conditionnel de celle-ci, et au contrat de bail lui-même, lesquelles incluaient une modification de la clause de compétence au profit des tribunaux de Bruxelles.

15      Le 4 juillet 2003, la requérante a passé les premières commandes nécessaires à la réalisation des travaux d’aménagement auprès des sociétés B. et A.

16      Le même jour, la DG « Budget » a rendu un avis favorable sur le projet de location de l’Immeuble, sous réserve de la prise en compte de ses commentaires. Ces derniers portaient sur l’obligation de respecter la procédure d’engagement budgétaire, sur la nécessité de renforcer le caractère conditionnel de la lettre d’intention et sur quelques propositions de modifications du contrat de bail.

17      À cette même époque, la Commission a préparé un projet de communication au Conseil et au Parlement, pris en leur qualité d’autorités budgétaires, portant sur une demande d’extension de budget. Cette démarche était rendue nécessaire par le surcoût important induit, en 2003, par la prise en location de l’Immeuble.

18      Le 4 juillet 2003 également, un agent de l’OIB, M. F., confirmait par télécopie à la société Fortis son acceptation des frais de gardiennage du chantier de l’Immeuble.

19      Le 5 juillet 2003, la DG « Budget » a rendu un avis favorable au sujet du projet de communication au Conseil et au Parlement portant demande d’extension de budget.

20      Le 7 juillet 2003, la DG « Personnel et administration » a rendu un avis favorable sur le projet de location de l’Immeuble, sous réserve que soient étudiées et prises en compte les conséquences du projet sur les budgets en cours et à venir et la stratégie générale d’implantation des services de la Commission et sous réserve qu’il soit répondu aux questions soulevées, le 25 juin 2003, par le Comité de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail de Bruxelles (CSHT) quant à certains problèmes techniques et de sécurité posés par l’Immeuble et son implantation géographique.

21      Lors d’un entretien téléphonique du 10 juillet 2003, le négociateur a indiqué à la requérante que l’approbation du principe de la location connaissait un certain retard en raison de la découverte de fraudes au sein de la Commission et que cette approbation n’interviendrait, selon toute vraisemblance, pas avant la mi-septembre 2003.

22      Par courrier électronique du 14 juillet 2003, le négociateur a confirmé à la société Fortis que l’approbation du contrat de bail était suspendue et qu’il était difficile de prévoir quand une décision pourrait être prise à cet égard. Il précisait, cependant, que, à ce stade, le principe même de la location n’était pas remis en cause. Il concluait comme suit : « Je vous laisse juge de prendre toutes les mesures que vous jugeriez utiles et nécessaires pour tenir compte de cette suspension. » Dans le même temps, l’OIB entreprenait des négociations avec d’autres bailleurs afin de trouver une autre solution éventuelle permettant un déménagement dans les délais les plus brefs.

23      Le jour même, la société Fortis a pris acte de la suspension de la procédure d’approbation du contrat de bail. Elle indiquait au négociateur avoir, en conséquence, immédiatement notifié à ses fournisseurs la suspension de toutes les commandes passées pour la réalisation des travaux d’aménagement et l’arrêt de tout engagement de frais en rapport avec l’exécution de ces commandes. Elle précisait également que la réalisation des travaux d’aménagement et le point de départ des indemnités de retard devraient être reportés à une date qui serait déterminée ultérieurement en tenant compte des congés du bâtiment, de la date de fin de suspension de la procédure de signature formelle du contrat de bail et du délai de réactivation des commandes, et ce sans modification de la date de prise d’effet du contrat de bail. La société Fortis demandait enfin au négociateur, dans l’hypothèse où le principe même de la location viendrait à être remis en cause, de l’en informer dans les meilleurs délais.

24      Le 16 juillet 2003, le Building Policy Group (BPG, groupe de la politique immobilière de l’OIB) a tenu une réunion au cours de laquelle il a été décidé, compte tenu du retard de deux mois pris pour l’occupation de l’Immeuble, d’examiner sérieusement et très rapidement la possibilité de louer un autre bâtiment, dénommé « M. », situé à Bruxelles et, en conséquence, de suspendre les commandes déjà effectuées par les propres services de la Commission en vue de l’aménagement intérieur de l’Immeuble.

25      Dans un courrier reçu le 23 juillet 2003, le négociateur a informé la société Fortis que la Commission refusait toute responsabilité quant au préjudice que celle-ci pouvait éventuellement subir du fait du retard intervenu dans l’approbation du contrat de bail. À cet égard, il précisait :

« L’accord donné par moi-même sur les termes du contrat de bail ne signifiait en aucun cas son approbation définitive mais seulement une garantie de la part de l’OIB de faire progresser ce dossier dans le circuit décisionnel de la Commission qui comprend, comme vous le savez, plusieurs étapes sans lesquelles un contrat ne peut être signé par l’OIB. »

26      Par courrier du 27 août 2003, la société Fortis a informé le négociateur qu’elle tiendrait la Commission pour responsable du préjudice qu’elle pourrait éventuellement subir du fait d’une renonciation de celle-ci à la conclusion du contrat de bail. Elle informait en outre le négociateur que certains de ses fournisseurs avaient déjà engagé des frais à la suite du lancement des travaux d’aménagement.

27      Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 9 septembre 2003, adressée au directeur de l’OIB, M. V., et au négociateur, la société Fortis a fait part à ces derniers d’informations selon lesquelles l’OIB aurait, après le 14 juillet 2003, entamé des négociations portant sur la prise à bail d’un autre bâtiment, lesquelles auraient été en voie de finalisation. Elle indiquait, à cette occasion, que toute renonciation de la Commission à la location négociée serait analysée par elle comme une rupture unilatérale du contrat de bail qui avait été conclu.

28      Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 16 septembre 2003, le directeur de l’OIB a répondu aux deux courriers précédents de la société Fortis en soutenant que le contrat de bail n’avait jamais été conclu entre les parties, de sorte que les relations entre ces dernières étaient toujours restées au stade des négociations. Il indiquait également que l’OIB était, de par ses fonctions, en contact permanent avec les promoteurs immobiliers et en discussion avec ceux-ci sur plusieurs projets menés en parallèle. Incidemment, le directeur de l’OIB indiquait :

« [J]e vous confirme que le Projet City Center ne fait plus partie des priorités actuelles de la Commission pour l’installation de ses propres services [mais] le City Center reste, aux yeux de la Commission, une option très intéressante que nous ne manquerons pas de […] proposer [aux autres organisations européennes existantes ou en voie de création]. À cet égard, nous devrions reprendre contact avec vous très rapidement. »

29      Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 24 septembre 2003, adressée en réponse au directeur de l’OIB, la société Fortis a pris acte de la renonciation de la Commission à la location et a indiqué son intention de saisir en conséquence son conseil.

30      Par courrier du 26 septembre 2003, la société B. a indiqué à la société Fortis qu’elle souhaitait lui facturer la somme de 297 000 euros correspondant aux coûts des matériaux et de la main-d’œuvre employés. Par courrier du 12 novembre 2003, la société B. a communiqué à la société Fortis une évaluation détaillée des frais exposés s’élevant à un montant de 302 870 euros. Dans un courrier du 18 juin 2004, confirmé par un courrier du 14 janvier 2005, la société B. a ensuite revu à la baisse cette évaluation, laquelle a été ramenée à la somme de 16 842 euros à la suite du réemploi d’une grande partie des matériaux.

31      Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 14 octobre 2003, adressée au directeur de l’OIB, la société Fortis a demandé à la Commission de prendre en charge l’indemnisation de la société B.

32      Par courrier du 20 novembre 2003, la société A. a, à son tour, demandé à la société Fortis l’indemnisation du préjudice subi à raison des commandes annulées, qu’elle estimait s’élever à la somme de 24 795,77 euros.

33      Par courrier du 24 novembre 2003, le directeur de l’OIB a refusé de donner une suite favorable à la demande de la société Fortis portant sur l’indemnisation de la société B., estimant que la responsabilité contractuelle de la Commission n’était pas engagée. Il indiquait notamment que « toute initiative prise par [la société] Fortis quant à la présumée location de l’immeuble ou quant à la commande éventuelle de travaux, [avait] un caractère purement unilatéral et n’[était] pas opposable à l’OIB » et que « les conséquences dommageables d’une interprétation erronée sur l’étendue des engagements de l’OIB dans le cadre des négociations [étaient] exclusivement imputables à [la société] Fortis ».

34      Dans un courrier du 10 décembre 2003, la société Fortis a maintenu sa position selon laquelle la Commission aurait engagé sa responsabilité contractuelle en refusant d’exécuter le contrat de bail.

35      Dans un courrier du 22 décembre 2003, le directeur de l’OIB a également maintenu sa position selon laquelle l’OIB n’avait méconnu aucune obligation à l’égard de la société Fortis.

36      Par courrier du 18 février 2004, adressé au négociateur, le conseil de la requérante a conclu à l’engagement de la responsabilité contractuelle de la Commission et a mis cette dernière en demeure de verser à sa cliente la somme de 1 137 039 euros à titre de réparation du préjudice que celle-ci aurait prétendument subi.

37      Par courrier du 19 mars 2004, le directeur de l’OIB a refusé d’accéder à la demande d’indemnisation formulée par le conseil de la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

38      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juillet 2004, la requérante a introduit le présent recours.

39      Le 16 février 2005, la requérante a introduit une demande visant à la production du contrat de bail portant sur une partie de l’Immeuble qu’elle venait de conclure avec la Communauté française de Belgique, ainsi qu’une note expliquant l’impact de la conclusion de ce contrat sur l’estimation de son dommage. Le 10 mars 2005, la Commission entendue, le président de la deuxième chambre du Tribunal a accueilli la demande de la requérante. Celle-ci a produit les documents mentionnés dans sa demande dans le délai imparti.

40      Le 17 janvier 2006, sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a invité les parties à répondre par écrit à une série de questions et la partie requérante à produire certains documents. Les parties ont répondu à cette invitation dans les délais fixés.

41      Le 7 février 2006, les parties entendues, le Tribunal a renvoyé l’affaire à la deuxième chambre élargie.

42      Le 27 mars 2006, la requérante a introduit une nouvelle demande de production d’un contrat de bail conclu avec la société Fortis sur la partie non encore louée de l’Immeuble ainsi qu’une courte note expliquant l’impact de la conclusion de ce dernier contrat sur l’estimation de son dommage. Par décision du Tribunal du 4 avril 2006, la Commission entendue, la requérante a été admise en sa demande. Le 26 avril 2006, elle a déposé les documents mentionnés dans sa demande au greffe du Tribunal.

43      Lors de l’audience du 17 mai 2006, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal. Dans le procès-verbal d’audience, le Tribunal a pris acte des modifications apportées par la requérante à ses conclusions en indemnisation, lesquelles n’ont pas soulevé d’objections de la part de la Commission, ainsi que de la renonciation de la requérante à ses conclusions alternatives en indemnisation, prenant en compte l’indexation des loyers, qui avaient été présentées pour la première fois le 26 avril 2006.

44      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal, à titre principal :

–        déclarer que la responsabilité contractuelle de la Commission a été engagée par sa faute et la condamner à lui payer en dernier lieu la somme de 8 853 399,44 euros, montant du préjudice estimé, augmentée des intérêts au taux légal applicable en Belgique à partir de la date de la requête jusqu’à la date du paiement effectif ;

–        le cas échéant, citer le négociateur à comparaître afin qu’il soit entendu au sujet des propos qu’il aurait tenus lors de la réunion du 6 juin et de l’entretien téléphonique du 10 juillet 2003.

45      À titre subsidiaire, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer que la responsabilité non contractuelle de la Communauté, représentée par la Commission, est engagée et condamner la Commission à lui verser la somme de 6 731 448,46 euros à titre de réparation du dommage subi, ainsi que les intérêts moratoires sur cette somme depuis la date du jugement à intervenir jusqu’à celle du paiement effectif, au taux de 6 % ;

–        le cas échéant, ordonner la mesure d’instruction suggérée dans la demande principale.

46      En tout état de cause, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal condamner la Commission aux dépens.

47      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer la demande de la requérante irrecevable en ce qu’elle est fondée sur l’engagement de sa responsabilité contractuelle ;

–        déclarer la demande de la requérante non fondée en ce qu’elle est fondée sur l’engagement de sa responsabilité non contractuelle ;

–        condamner la requérante aux dépens, en ce compris les frais nécessaires à sa défense s’élevant à 15 000 euros.

 Sur l’action principale en responsabilité contractuelle

48      Dans sa requête, la requérante indique que son recours en responsabilité est introduit devant le Tribunal, à titre principal, en vertu de la clause compromissoire contenue dans l’article 17 du contrat de bail qu’elle aurait conclu, au plus tard le 26 juin 2003, avec la Communauté, représentée par la Commission et, partant, sur le fondement de l’article 225, paragraphe 1, CE et de l’article 238 CE.

49      La Commission soutient que l’action en responsabilité contractuelle introduite par la requérante est irrecevable.

A –  Arguments des parties

50      La Commission prétend que le Tribunal est incompétent pour statuer sur la base d’une clause compromissoire stipulée dans un contrat qui n’aurait pas été valablement conclu entre les parties.

51      La requérante soutient que le Tribunal est compétent pour statuer sur son recours en responsabilité contractuelle en vertu de la clause compromissoire contenue dans le projet de contrat qu’elle a adressé à la Commission le 16 juin 2003. En effet, ce projet de contrat aurait correspondu à une offre de contracter émise par la requérante, représentée par la société Fortis, qui aurait ensuite été acceptée, au plus tard le 26 juin 2003, par la Communauté européenne, représentée par la Commission. L’accord de la Commission ressortirait de la mention manuscrite et de la signature apposées par le négociateur sur la lettre de couverture jointe au projet de contrat adressé à la Commission le 16 juin 2003. La requérante se prévaut donc de l’article 17 du projet de contrat, intitulé « Clause de compétence et loi applicable », qui stipule notamment que, « [e]n cas de litige, et à défaut d’un accord à l’amiable, la Cour de justice des Communautés européennes sera compétente ».

52      Lors de l’audience, la Commission a contesté l’existence de la clause compromissoire invoquée par la requérante, motif pris de ce qu’aucun accord ne serait intervenu sur cette clause entre les parties à l’action introduite devant le Tribunal sur le fondement de l’article 238 CE, à savoir la Communauté européenne, représentée à cette fin par la Commission, et la requérante. Dans ses écritures, la Commission a notamment fait valoir que les parties aux négociations n’étaient pas, en l’absence des autorisations ou approbations nécessaires, habilitées à engager contractuellement les parties au présent litige de sorte qu’aucun contrat n’a pu valablement être formé entre ces dernières.

B –  Appréciation du Tribunal

53      En vertu des dispositions combinées de l’article 225, paragraphe 1, CE et de l’article 238 CE, le Tribunal est compétent pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par la Communauté ou pour son compte. La jurisprudence précise que seules les parties à la clause compromissoire peuvent être parties à l’action introduite sur le fondement de l’article 238 CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 décembre 1976, Pellegrini/Commission, 23/76, Rec. p. 1807, point 31). À défaut d’expression de la volonté des parties de lui attribuer compétence pour statuer sur un litige contractuel, le Tribunal ne saurait donc admettre sa saisine dans le litige (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 3 octobre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission, T‑186/96, Rec. p. II‑1633, point 46), faute de quoi il étendrait sa compétence juridictionnelle au-delà des litiges dont la connaissance lui est limitativement réservée par l’article 240 CE, cette disposition conférant aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels la Communauté est partie (arrêt de la Cour du 21 mai 1987, Rau e.a., 133/85 à 136/85, Rec. p. 2289, point 10, et ordonnance Mutual Aid Administration Services/Commission, précitée, point 47). Cette compétence communautaire étant dérogatoire du droit commun, elle doit en outre être interprétée restrictivement (arrêt de la Cour du 18 décembre 1986, Commission/Zoubek, 426/85, Rec. p. 4057, point 11).

54      Il convient donc d’examiner si la clause compromissoire alléguée par la requérante a été valablement conclue entre la Commission ou ses représentants, agissant au nom et pour le compte de la Communauté, et la requérante ou ses représentants.

55      À cet égard, il résulte de la jurisprudence que, si, dans le cadre d’une clause compromissoire conclue en vertu de l’article 238 CE, la Cour peut être appelée à trancher le litige en appliquant un droit national régissant le contrat, sa compétence pour connaître d’un litige concernant ce contrat s’apprécie au vu des seules dispositions de l’article 238 CE et des stipulations de la clause compromissoire, sans que puissent lui être opposées des dispositions du droit national qui feraient prétendument obstacle à sa compétence (arrêt de la Cour du 8 avril 1992, Commission/Feilhauer, C‑209/90, Rec. p. I‑2613, point 13).

56      Si l’article 238 CE ne précise pas la forme que doit revêtir la clause compromissoire, il découle de l’article 44, paragraphe 5 bis, du règlement de procédure, qui impose que la requête introduite sur le fondement de l’article 225, paragraphe 1, CE et de l’article 238 CE soit accompagnée d’un exemplaire de la clause attribuant compétence aux juridictions communautaires, que celle-ci doit en principe être stipulée par écrit. L’article 44, paragraphe 5 bis, du règlement de procédure poursuit toutefois une finalité probatoire et la formalité qu’il prescrit doit être réputée accomplie lorsque les documents produits par la requérante permettent à la juridiction communautaire saisie de prendre une connaissance suffisante de l’accord intervenu entre les parties au litige de soustraire le différend qui les oppose au sujet du contrat aux juridictions nationales pour les soumettre aux juridictions communautaires (voir, en ce sens, arrêt Pellegrini/Commission, point 53 supra, point 10).

57      En l’espèce, il est stipulé dans l’article 17 du projet de contrat de bail que, à défaut d’accord amiable entre les parties, les litiges qui pourraient surgir au sujet du contrat seront soumis à la compétence de la « Cour de justice ». Selon la jurisprudence, ces derniers termes doivent être interprétés en ce sens qu’ils désignent l’institution visée à l’article 238 CE, laquelle comprend notamment le Tribunal (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 mars 2005, Commission/AMI Semiconductor Belgium e.a., C‑294/02, Rec. p. I‑2175, points 43 à 53), qui est, en l’espèce, la juridiction compétente en vertu de l’article 225, paragraphe 1, CE.

58      Cependant, les parties au présent litige sont en désaccord sur le fait que la stipulation figurant dans l’article 17 du projet de contrat de bail valait conclusion de la clause compromissoire alléguée.

59      À cet égard, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas valablement contesté les affirmations de la Commission selon lesquelles l’ordonnateur compétent pour conclure le contrat était, en l’espèce, le directeur de l’OIB, lesquelles sont corroborées par les dispositions de l’article 16 de la décision 2003/523 et du titre V de la deuxième partie du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (ci-après le « Règlement financier ») (JO L 248, p. 1), auquel ce dernier article renvoie. Il importe en outre de relever que, interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante s’est uniquement prévalue de ce que la clause compromissoire a « apparemment » été conclue, le négociateur lui étant toujours apparu comme ayant le pouvoir d’engager contractuellement la Commission et, finalement, la Communauté aux fins de la présente transaction immobilière. Dans ses écritures, la Commission a contesté que la requérante puisse, en l’espèce, se prévaloir de la théorie du mandat apparent, faute d’avoir démontré en quoi l’attitude adoptée par le négociateur aurait pu laisser croire qu’il était habilité à engager contractuellement la Commission.

60      Dans l’hypothèse où la théorie de l’apparence devrait être reconnue en droit communautaire, notamment en matière de représentation des parties à un contrat, l’application de celle-ci supposerait nécessairement que le tiers qui invoque l’apparence établisse que les circonstances de la cause l’autorisaient à croire que ladite apparence concordait avec la réalité. Il s’ensuit, en l’espèce, que la requérante, qui a introduit son action sur le fondement d’une clause compromissoire « apparemment » conclue entre elle et la Commission, doit tout au moins établir que, compte tenu des circonstances de la cause, elle pouvait légitiment croire que le négociateur avait le pouvoir d’engager contractuellement la Commission, agissant au nom et pour le compte de la Communauté.

61      Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la requérante n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui de ses allégations selon lesquelles le négociateur se serait présenté vis-à-vis d’elle comme étant l’ordonnateur compétent détenant les pouvoirs nécessaires pour engager contractuellement la Commission et la Communauté. Ainsi, il n’est pas établi que l’erreur invoquée par la requérante sur les limites exactes des pouvoirs du négociateur aurait été induite par le comportement de ce dernier.

62      Par ailleurs, la requérante n’a pas établi que les faits de la cause justifiaient qu’elle ait pu, sans imprudence ou négligence de sa part, se méprendre sur les limites exactes des pouvoirs du négociateur et la portée de la mention manuscrite et de la signature apposées par celui-ci, le 26 juin 2003, sur la lettre de couverture du projet de contrat (voir point 11 ci-dessus). Ainsi qu’il ressort du dossier, la société Fortis, qui représentait la requérante lors des négociations précontractuelles, est un professionnel averti et un opérateur important sur le marché bruxellois de l’immobilier. Avant les présentes négociations, elle avait déjà mené, entre 1999 et 2002, plusieurs négociations semblables avec les services de la Commission. Les documents produits à cet égard par la Commission attestent de ce qu’il est habituel, dans ce type de transactions, de négocier les termes du contrat à intervenir et toute convention attributive de juridiction relative à ce dernier avant de lancer la procédure interne de contrôle et de décision qui aboutit à l’engagement contractuel de la Commission. Compte tenu de son expérience en la matière, la société Fortis savait ainsi que l’accord sur les termes du contrat et de la convention attributive de juridiction précède l’engagement juridique de la Commission, qui n’intervient qu’après la phase de contrôle et de décision interne à l’institution. En l’espèce, la mention manuscrite du 26 juin 2003, par laquelle le négociateur précisait notamment que les termes de la convention attributive de juridiction négociée avaient été soumis aux autorités de contrôle, était suffisamment claire et précise pour permettre à la société Fortis de comprendre que la phase de contrôle et de décision interne à la Commission avait été déclenchée et que, selon la pratique habituelle, l’engagement contractuel ne serait conclu par l’ordonnateur compétent qu’à l’issue de ladite procédure.

63      Cette conclusion ne saurait être remise en cause au motif que la Commission n’aurait pas communiqué expressément à son partenaire, à l’occasion des présentes négociations, les règles précises de sa procédure interne de contrôle et de décision ou que les présentes négociations auraient été menées avec un nouvel organisme, spécifiquement créé par la Commission pour gérer les transactions immobilières. En effet, dès lors que la situation apparente invoquée par la requérante dérogeait à la pratique habituelle en la matière (voir point 62 ci-dessus), laquelle était connue de la requérante, celle-ci aurait dû susciter la méfiance de cette dernière et l’inciter à vérifier, en l’espèce, les limites exactes des pouvoirs du négociateur. En ne procédant pas à un tel contrôle dans les circonstances de l’espèce, la requérante a commis une négligence dont elle ne saurait légitimement se prévaloir à l’occasion du présent recours.

64      Au vu de ce qui précède, la requérante n’est pas fondée à soutenir qu’elle a légitimement cru que le pouvoir de négocier les termes du contrat concordait avec celui d’engager contractuellement la Commission et que l’accord intervenu, le 26 juin 2003, entre les parties aux négociations valait engagement contractuel de la Commission. Elle n’est donc pas fondée à se prévaloir, en l’espèce, de ce que la clause compromissoire alléguée aurait « apparemment » existé à son égard à compter du 26 juin 2003.

65      En conséquence, et sans même qu’il soit nécessaire de statuer sur l’éventuelle habilitation de la société Fortis à représenter la requérante aux fins de stipuler la clause compromissoire alléguée, il y a lieu de conclure que, faute pour la requérante d’avoir démontré l’existence d’une clause compromissoire valablement conclue entre les parties au présent litige et faute d’avoir respecté, à cet égard, les dispositions de l’article 44, paragraphe 5 bis, du règlement de procédure, son recours est irrecevable pour autant qu’il est introduit sur le fondement des dispositions combinées de l’article 225, paragraphe 1, CE et de l’article 238 CE.

 Sur l’action subsidiaire en responsabilité non contractuelle

66      Dans sa requête, la requérante a indiqué que son recours en responsabilité était introduit devant le Tribunal, à titre subsidiaire et dans l’hypothèse où le Tribunal considérerait que le contrat de bail n’a pas été conclu entre les parties, sur le fondement des articles 225 CE et 235 CE ainsi que de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

67      En conséquence, il y a lieu de statuer sur l’action en responsabilité non contractuelle régulièrement introduite par la requérante sur le fondement des articles susmentionnés.

A –  Sur le fond

1.     Arguments des parties

68      La requérante reproche à la Commission d’avoir violé l’obligation d’agir de bonne foi dans le cadre de négociations précontractuelles et d’avoir abusé de son droit de ne pas contracter en rompant les négociations précontractuelles à un stade très avancé de celles-ci. Tout d’abord, la Commission ne lui aurait pas indiqué, dès réception de l’offre émise le 16 juin 2003, qu’elle ne pouvait accepter celle-ci en raison des impératifs de sa procédure interne de prise de décision, mais aurait, au contraire, contresigné l’offre en sachant que, sur cette base, la requérante engagerait les travaux d’aménagement. Ensuite, elle aurait laissé se poursuivre jusqu’au 14 septembre 2003 des négociations, dont elle aurait su qu’elles étaient vouées à l’échec depuis le début du mois de juillet 2003. Enfin, elle n’aurait jamais communiqué le motif réel de la rupture des négociations et se serait engagée à la légère dans celles-ci en ne prenant pas en compte l’opposition des fonctionnaires à la localisation de l’Immeuble. La requérante conteste que le Règlement financier confère à la Commission le droit absolu de ne pas mener à son terme le processus de conclusion d’un contrat, sans devoir d’indemnités. Elle excipe, à cet égard, de l’illégalité des dispositions du titre V de la première partie du Règlement financier soit en ce qu’elles ont été adoptées sur une base juridique inappropriée, en violation du principe de la compétence d’attribution de la Communauté, soit en ce qu’elles violent l’article 288 CE en exonérant illégalement la Commission d’une part de sa responsabilité. À titre subsidiaire, la requérante soutient que la Commission ne peut lui opposer en l’espèce la règle contenue à l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier dans la mesure où elle n’a pas, elle-même, respecté les prescriptions du second alinéa de cet article, qui impose la communication des motifs de la décision de renoncer au marché aux soumissionnaires intéressés.

69      Au stade de la réplique, la requérante fait, en outre, valoir que la Commission a violé les principes généraux du droit communautaire qui interdisent le retrait d’un acte administratif ayant conféré des droits subjectifs à des particuliers en ce qu’elle a retiré son acceptation de l’offre.

70      La requérante soutient que la Commission a également violé le principe de protection de la confiance légitime en rompant les négociations après avoir fait naître chez elle, le 26 juin 2003, l’espérance fondée que la signature formelle du contrat allait suivre l’accord de principe qui avait été donné sur les termes du contrat. La Commission l’aurait tout d’abord induite en erreur sur l’étendue de ses obligations en s’étant abstenue de l’informer que, en raison des impératifs de sa procédure interne, elle ne serait engagée juridiquement qu’à la signature formelle du contrat de bail par l’ordonnateur compétent et que toute initiative prise par la requérante dans l’intervalle le serait à ses propres risques. Ensuite, la Commission l’aurait incitée à passer les commandes nécessaires aux travaux d’aménagement. Ainsi, elle aurait insisté, à de multiples reprises, pour que ces travaux soient réalisés rapidement afin que l’installation des fonctionnaires s’effectue à la date d’entrée en vigueur du contrat de bail, le 1er novembre 2003. En outre, le négociateur aurait contresigné, sans émettre la moindre réserve, la lettre du 16 juin 2003 qui précisait : « Dès réception [de la lettre contresignée], nous passerons, comme vous nous l’avez demandé, les commandes de travaux sans attendre la signature formelle du bail. » De plus, lors de la réunion du 6 juin 2003 visée au point 5 ci-dessus, le négociateur aurait, d’une part, indiqué à la société Fortis que, bien que la signature du contrat ne puisse intervenir avant le 15 juin 2003, la conclusion du contrat était certaine et il aurait, d’autre part, suggéré à ses interlocuteurs de se fonder sur sa parole pour passer les commandes nécessaires aux travaux d’aménagement. Ce serait sur le fondement de la confiance légitime ainsi nourrie, et non remise en cause par la suite, que la requérante aurait passé, à partir du 4 juillet 2003, les commandes nécessaires aux travaux d’aménagement afin de pouvoir s’acquitter, dans les délais impartis, de ses obligations en vertu du contrat de bail. Ce ne serait qu’ensuite, implicitement à partir du 10 juillet 2003, puis explicitement le 14 septembre 2003, que la Commission aurait émis des doutes sur la signature formelle du contrat.

71      Au titre du dommage ayant résulté de ces illégalités, la requérante réclame, tout d’abord, l’indemnisation de sa perte de chance de conclure le contrat de bail par l’attribution de 75 % du montant du gain contractuel attendu, soit une somme s’élevant à 6 608 821,25 euros.

72      La requérante demande par ailleurs le remboursement des frais qu’elle a engagés vainement dans les négociations. S’agissant, en premier lieu, des frais réclamés par ses fournisseurs, les sociétés B. et A., à la suite des commandes passées et s’élevant à une somme de 41 637,77 euros, ceux-ci auraient été engagés sur le fondement de la confiance légitime qu’elle a nourrie dans le fait que la signature du contrat de bail allait intervenir. S’agissant, en second lieu, du coût des prestations accomplies par la société anonyme Fortis Real Estate Property Management (ci-après « FREPM »), une société du groupe Fortis qui serait intervenue en tant que chef de projet dans les négociations, pour un montant s’élevant à 19 298,76 euros hors TVA, et par le personnel de la société Fortis pour une somme évaluée à 21 690,68 euros, ces frais auraient été engagés au seul bénéfice de la Commission, sur le fondement de la confiance légitime que le contrat de bail allait être conclu.

73      Enfin, la requérante demande l’indemnisation de la perte de chance de louer l’Immeuble à un tiers, à des conditions équivalentes, pendant la durée des négociations, à savoir la période allant du 13 mai jusqu’au 14 septembre 2003. Pendant cette période, elle aurait renoncé à mener des négociations sur l’Immeuble avec des tiers et ainsi conféré à la Commission une exclusivité qui aurait été justifiée par l’empressement manifesté par celle-ci à conclure le contrat de bail. La requérante évalue le préjudice, ex aequo et bono, à un montant s’élevant à 40 000 euros.

74      La Commission soutient, en premier lieu, que, en rompant les négociations entamées avec la requérante, elle n’a pas adopté un comportement fautif au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

75      L’article 101 du Règlement financier lui conférerait le droit absolu de ne pas conclure le contrat de bail, sans devoir d’indemnisation. Ce droit de renoncer au marché, qui s’exercerait sans préjudice de l’application de l’article 288, deuxième alinéa, CE, serait opposable à la requérante. En l’espèce, la Commission estime qu’elle a respecté les prescriptions de l’article 101 du Règlement financier même en s’abstenant de communiquer à la requérante les motifs de sa décision de renoncer au marché dès lors que cette dernière ne lui avait pas adressé de demande écrite préalable en ce sens.

76      La Commission conteste l’exception d’illégalité soulevée par la requérante. Les règles applicables à la passation des marchés publics communautaires et aux engagements juridiques des autorités de l’Union européenne fixées dans le Règlement financier auraient été légalement adoptées sur le fondement des articles 274 CE et 279 CE de sorte qu’il n’y aurait pas lieu d’en écarter l’application en l’espèce.

77      La Commission fait valoir que, dès lors qu’elle n’a fait qu’exercer ses droits, dans le respect des procédures de passation des marchés publics communautaires, en renonçant au contrat de bail en raison de considérations très concrètes liées à des problèmes techniques posés par l’Immeuble et son implantation géographique, qu’elle a informé la requérante, le 26 juin 2003, du début du processus de consultation et de décision et qu’elle a, sans tarder, tenu celle-ci informée de la suspension de cette procédure, puis de la renonciation à la conclusion du contrat de bail, aucune méconnaissance grave et manifeste des limites qui s’imposaient, en l’espèce, à son pouvoir d’appréciation ne peut lui être imputée. De même, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir informé expressément la requérante que l’approbation définitive du contrat était soumise à un processus de consultation et de décision dès lors que les règles correspondantes seraient obligatoires pour tous les justiciables, publiées au Journal officiel et donc connues de tous et, notamment, de la requérante, qui en aurait, par ailleurs, pris connaissance à l’occasion de précédentes négociations. Dans ces conditions, la Commission ne pourrait être considérée comme ayant eu un comportement contraire à la bonne foi à l’occasion des négociations précontractuelles litigieuses.

78      La Commission estime également qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir retiré son consentement à la conclusion du contrat de bail, puisqu’elle n’aurait jamais donné son consentement, contrairement à ce qu’allègue la requérante.

79      La Commission soutient encore qu’elle n’a pas violé le principe de protection de la confiance légitime dans les circonstances de l’espèce. En effet, elle n’aurait jamais incité la requérante à exposer des frais en vue de réaliser les travaux d’aménagement, ni suscité chez elle une confiance légitime dans le fait que le contrat de bail allait être conclu. En particulier, elle n’aurait fourni aucune assurance précise sur l’aboutissement du processus de consultation et de décision. Le négociateur aurait en revanche émis des réserves sur la conclusion du contrat dans sa mention manuscrite du 26 juin 2003 et son message électronique du 30 juin 2003. En outre, il aurait indiqué à la requérante, au cours des négociations, que le souhait de celle-ci de voir le contrat approuvé dans un certain délai ne pouvait être exaucé compte tenu de l’obligation de respecter le processus de consultation et de décision.

80      En deuxième lieu, la Commission conteste que la requérante ait rapporté la preuve qui lui incombe d’un lien causal direct entre le comportement illégal et le dommage allégués. S’agissant de la perte de chance de contracter, le préjudice résultant de l’inoccupation d’un immeuble, subi plusieurs années après la rupture des négociations précontractuelles, ne saurait être considéré comme la suite normale de cette dernière. S’agissant des frais encourus par les fournisseurs, ce serait la requérante qui, par son comportement, aurait directement causé ce dommage en décidant de lancer les commandes à un moment où elle aurait été consciente que le contrat n’était pas encore approuvé, et ce malgré les réserves émises par le négociateur. Enfin, s’agissant des frais de FREPM et du personnel de la société Fortis, la requérante n’aurait pas démontré en quoi les prestations alléguées auraient été accomplies à l’occasion des négociations du contrat de bail.

81      En troisième lieu, la Commission conteste que la requérante ait rapporté la preuve qui lui incombe de l’existence d’un préjudice réel et certain.

82      En droit communautaire, la perte du profit espéré de l’exécution d’un contrat ne serait pas indemnisable en l’absence de contrat. En outre, l’indemnisation d’une perte de chance serait contestable en l’espèce, car la requérante n’aurait jamais perdu la possibilité de louer l’Immeuble à un tiers. En tout état de cause, la requérante n’aurait pas démontré l’étendue du dommage allégué.

83      En ce qui concerne les frais réclamés par les fournisseurs, la requérante n’aurait pas démontré la réalité du dommage qu’elle allègue, à savoir le paiement des matériaux et le fait qu’ils auraient été commandés en pure perte.

84      Les frais encourus par FREPM ou par la société Fortis à l’occasion des négociations ne constitueraient pas un préjudice indemnisable en raison du droit de la Commission de renoncer, sans indemnisation, à la passation de marchés publics. En outre, la requérante n’aurait pas démontré à suffisance de droit qu’elle aurait encouru un préjudice réel et personnel, ni établi la pertinence des éléments utilisés pour évaluer le préjudice allégué.

85      Enfin, la requérante ne pourrait prétendre à aucune somme au titre de la perte prétendue d’une chance de louer l’Immeuble à un tiers pendant la durée des négociations, la perte de profit résultant d’un contrat non formé n’étant pas indemnisable. En tout état de cause, elle n’aurait pas apporté la preuve de ce qu’elle aurait eu une réelle chance de louer l’Immeuble à un tiers pendant la durée des négociations.

2.     Appréciation du Tribunal

86      Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44 ; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20).

87      Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de ladite responsabilité (arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37), le Tribunal n’étant en outre pas tenu d’examiner les conditions de responsabilité de la Communauté dans un ordre déterminé (arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 13).

a)     Sur le comportement illégal allégué

 Observations liminaires

88      Il y a lieu, à titre liminaire, de préciser le contexte dans lequel se sont inscrites les présentes négociations précontractuelles.

89      Aux termes de l’article 104 du Règlement financier et de l’article 116, paragraphe 7, du règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du Règlement financier (ci-après les « Modalités d’exécution ») (JO L 357, p. 1), les institutions communautaires et leurs services sont considérés comme pouvoirs adjudicateurs pour les marchés passés pour leur propre compte.

90      L’article 88, paragraphe 1, du Règlement financier dispose que les marchés publics sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit par un pouvoir adjudicateur, en vue d’obtenir, contre le paiement d’un prix payé en tout ou partie à la charge du budget, la fourniture de biens mobiliers ou immobiliers, l’exécution de travaux ou la prestation de services. Selon ce même article, ces marchés comprennent notamment ceux portant sur l’achat ou la location d’un immeuble.

91      En l’espèce, il n’est pas contesté que le contrat de bail devait être conclu entre la requérante, une société immobilière de droit belge, et la Communauté européenne et qu’il avait pour objet la location d’un bâtiment existant, à savoir le bâtiment B 1 du City Center, et ce pour le compte de la Commission, qui souhaitait y loger certains de ses services.

92      Il résulte de ce qui précède que la Commission a agi, en l’espèce, comme un « pouvoir adjudicateur » au sens de l’article 104 du Règlement financier et de l’article 116, paragraphe 7, des Modalités d’exécution et que le contrat de bail doit être qualifié de « marché public » au sens de l’article 88, paragraphe 1, du Règlement financier ou, plus précisément, de « marché immobilier » au sens de l’article 116, paragraphe 1, des Modalités d’exécution.

93      Sans qu’il y ait lieu, à ce stade, de se prononcer sur la nature ou la légalité du titre V de la première partie du Règlement financier et des Modalités d’exécution (voir, respectivement, points 114 à 117 et 118 à 125 ci‑après), force est de constater que le contrat de bail était assujetti à ces dispositions, qui régissent les procédures de passation de marchés conclus pour le propre compte d’une institution communautaire, y compris les marchés publics immobiliers (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 juillet 2005, TQ3 Travel Solutions Belgium/Commission, T‑148/04, Rec p. II‑2627, point 1).

94      L’article 126, paragraphe 1, des Modalités d’exécution dispose que, lorsqu’ils passent des marchés immobiliers, les pouvoirs adjudicateurs peuvent, sans limite de seuil, recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, après prospection du marché local. Dans le cadre d’une telle procédure, le pouvoir adjudicateur peut choisir librement la ou les entreprises avec lesquelles il souhaite entrer en négociations.

95      En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la Commission a choisi de recourir à la procédure négociée, sans publication préalable d’un avis de marché et après prospection du marché local, pour satisfaire à ses besoins de logement d’une partie de son personnel.

96      C’est dans le contexte particulier de cette procédure de passation de marché qu’il convient d’examiner les griefs d’illégalité soulevés par la requérante.

 Sur le retrait d’une acceptation valablement donnée, le défaut de communication des motifs de la rupture et l’engagement inconsidéré dans les négociations précontractuelles

97      Quant au grief tiré de ce que la Commission aurait méconnu l’interdiction de retrait d’une acceptation valablement donnée, il y a lieu de constater d’emblée qu’il a été soulevé pour la première fois au stade de la réplique. Or, aux termes de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

98      En l’espèce, le grief en cause aurait pu être soulevé dès le stade de la requête, introduite le 5 juillet 2004. En effet, il ressort des éléments du dossier que c’est à la date du 24 septembre 2003 que la requérante a pris acte, par lettre adressée à la Commission, de ce que le directeur de l’OIB l’avait officiellement informée que « le Projet City Center ne fai[sait] plus partie des priorités […] de la Commission pour l’installation de ses propres services ». C’est donc à cette même date qu’elle a eu connaissance de l’illégalité qu’elle allègue, à savoir la méconnaissance de l’interdiction du retrait d’une acceptation qui aurait été valablement donnée.

99      En conséquence, il y a lieu de rejeter le présent grief de la requérante, soulevé tardivement au cours de la présente procédure, comme étant irrecevable.

100    S’agissant du grief selon lequel la Commission aurait violé le principe de bonne foi et abusé de son droit de ne pas contracter en ne communiquant pas à la requérante les motifs réels de sa décision de renoncer au marché pour lequel des négociations précontractuelles avaient été entamées et, partant, de rompre lesdites négociations, il convient de souligner que celui-ci s’apparente, en substance, dans les circonstances de l’espèce, à un grief tiré d’un défaut de motivation de la décision de renoncer à la passation du marché. En effet, en vertu des dispositions de l’article 101, second alinéa, du Règlement financier et, plus généralement, de l’obligation générale de motivation qui découle de l’article 253 CE, la Commission avait l’obligation de communiquer à la requérante, en même temps que la décision de renoncer à la passation du marché auquel elle soumissionnait, les motifs de cette décision.

101    Il y a cependant lieu de constater que la requérante n’a fait valoir aucun préjudice (voir point 157 ci-après) susceptible de résulter, par un lien de cause à effet, du défaut de communication par la Commission des motifs de sa décision de renoncer au marché et, partant, de rompre les négociations précontractuelles. Par conséquent, les conditions relatives à l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ce préjudice et le comportement illégal de l’institution communautaire, qui sont nécessaires à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté (voir points 86 et 87 ci‑dessus), font, en l’espèce, défaut. La responsabilité non contractuelle de la Communauté ne saurait donc être engagée à raison de cette prétendue illégalité.

102    En conséquence, il y a lieu de rejeter le grief pris d’un défaut de communication des motifs de la rupture des négociations précontractuelles comme étant inopérant.

103    De même, le grief selon lequel la Commission aurait violé le principe de bonne foi et abusé de son droit de ne pas contracter en s’engageant à la légère dans des négociations précontractuelles qu’elle a ensuite dû rompre doit être écarté. Ce grief repose sur l’hypothèse que la rupture des négociations précontractuelles aurait été motivée par la seule opposition des fonctionnaires à la localisation de l’Immeuble, laquelle aurait été connue de la Commission au moment où elle a entamé les négociations. Or, la réalité de cette allégation n’est pas établie. Il ressort, en revanche, de la duplique et des éléments du dossier que la rupture des négociations précontractuelles découle de toute une série de problèmes techniques, liés notamment à l’implantation géographique de l’Immeuble, qui ont été relevés par certaines autorités de contrôle (voir point 20 ci-dessus), lorsqu’elles ont été saisies dans le cadre de la procédure interne de contrôle et de décision.

104    C’est donc en considération des autres griefs soulevés par la requérante qu’il convient d’examiner si la Commission a adopté un comportement illégal en l’espèce.

 Sur la communication tardive de la décision de rompre les négociations précontractuelles, le défaut de communication des règles internes de prise de décision et les assurances données sur la conclusion du contrat de bail et/ou la prise en charge des investissements qui y sont relatifs

105    S’agissant de la condition d’un comportement illégal, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42). Le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêt de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 54 ; arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134).

106    Au regard des critères dégagés par la jurisprudence, il importe, en premier lieu, d’examiner si les violations invoquées par la requérante portent sur des règles de droit conférant des droits aux particuliers. À cet égard, il importe de souligner que l’invocation d’un abus de droit qui résulterait des circonstances ayant entouré la renonciation à la conclusion du contrat et la rupture des négociations précontractuelles ne revêt, dans l’argumentation de la requérante, aucune portée autonome par rapport au grief tiré d’une violation du principe de bonne foi. L’invocation d’un abus de droit se confond donc, en l’espèce, avec ce dernier grief.

–       Sur la nature des règles dont la violation est alléguée

107    Dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 15 juillet 1960, Von Lachmüller e.a./Commission CEE (43/59, 45/59 et 48/59, Rec. p. 933, p. 956), et du 16 décembre 1960, Fiddelaar/Commission CEE (44/59, Rec. p. 1077, p. 1099), la Cour a considéré que l’action de l’autorité publique communautaire, dans le domaine administratif comme dans le domaine contractuel, est toujours soumise au respect du principe de bonne foi. Il se dégage en outre de la jurisprudence communautaire une règle selon laquelle les justiciables ne sauraient abusivement se prévaloir des normes communautaires (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 3 décembre 1974, Van Binsbergen, 33/74, Rec. p. 1299, point 13 ; du 10 janvier 1985, Leclerc e.a., 229/83, Rec. p. 1, point 27 ; du 21 juin 1988, Lair, 39/86, Rec. p. 3161, point 43 ; du 3 mars 1993, General Milk Products, C‑8/92, Rec. p. I‑779, point 21 ; du 5 octobre 1994, TV10, C‑23/93, Rec. p. I‑4795, point 21 ; du 12 mai 1998, Kefalas e.a., C‑367/96, Rec. p. I‑2843, point 20 ; du 23 mars 2000, Diamantis, C‑373/97, Rec. p. I‑1705, point 33, et du 21 février 2006, Halifax e.a., C‑255/02, Rec. p. I‑1609, point 69). À l’occasion de négociations visant à la conclusion d’un contrat entre l’autorité publique communautaire et un soumissionnaire dans le cadre d’une procédure de passation de marché public, ces règles de droit confèrent des droits au soumissionnaire concerné en imposant certaines limites à l’action du pouvoir adjudicateur communautaire qui décide de renoncer au marché et de ne pas contracter.

108    Il ressort, par ailleurs, de la jurisprudence que le principe de protection ou de respect de la confiance légitime est un principe général de droit communautaire qui confère des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C‑104/89 et C‑37/90, Rec. p. I‑3061, point 15 ; arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Emesa Sugar/Conseil, T‑43/98, Rec. p. II‑3519, point 64 et 87). À l’occasion d’une procédure de passation de marché public, ce principe confère des droits à tout soumissionnaire qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 17 décembre 1998, Embassy Limousines & Services/Parlement, T‑203/96, Rec. p. II‑4239, points 74 et suivants).

109    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la requérante invoque en l’espèce la violation de règles qui confèrent des droits aux particuliers.

110    Les critères dégagés par la jurisprudence impliquent, en second lieu, de préciser la marge de manœuvre dont disposait en l’espèce la Commission, en vertu notamment de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier, pour renoncer à la conclusion du contrat et rompre, en conséquence, les négociations qu’elle avait engagées.

–       Sur la portée, la nature, la légalité et l’opposabilité de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier

111    Il découle notamment de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier que, dans le cadre d’une procédure négociée, sans publication préalable d’un avis de marché, après prospection du marché local, telle que celle qui a été légalement mise en œuvre en l’espèce, le pouvoir adjudicateur dispose d’un très large pouvoir d’appréciation pour renoncer à conclure le contrat et, partant, rompre les négociations précontractuelles engagées (voir, également en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 16 septembre 1999, Fracasso et Leitschutz, C‑27/98, Rec. p. I‑5697, points 23 à 25, et arrêt Embassy Limousines & Services/Parlement, point 108 supra, point 54).

112    Il en résulte que, pour que la condition relative à l’existence d’un comportement illégal soit remplie, la requérante doit non seulement établir que la Commission a violé l’une des règles de droit qu’elle invoque, compte tenu des circonstances ayant entouré sa décision de renoncer à conclure le contrat et de rompre, en conséquence, les négociations précontractuelles, mais encore que cette violation a constitué une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposaient à cette institution dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

113    Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments ou exceptions soulevés, en l’espèce, par la requérante.

114    Quant à l’argumentation de la requérante selon laquelle, à l’instar des autres dispositions du titre V de la première partie du Règlement financier, l’article 101, premier alinéa, dudit règlement n’est pas applicable à la conclusion du contrat de bail en ce qu’il n’édicte que des mesures d’organisation interne des institutions communautaires qui, en raison de leur nature même, ne peuvent être source d’effets juridiques pour les tiers, il suffit de constater que cet article contient, bien au contraire, des prescriptions de nature réglementaire, lesquelles sont, en vertu de l’article 249 CE, de portée générale, obligatoires et directement applicables dans tous leurs éléments à la situation objective qu’elles régissent.

115    Il résulte en effet des dispositions finales du Règlement financier que, de même que toutes les dispositions de celui-ci, les dispositions de l’article 101, premier alinéa, sont obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tout État membre. Elles ont été publiées au Journal officiel au titre des actes dont la publication est une condition de leur applicabilité.

116    Il ressort en outre du considérant 24 du Règlement financier que l’article 101, premier alinéa, régit les marchés publics passés par les institutions communautaires pour leur propre compte. Par son objet même, cet article a donc vocation à produire des effets de droit à l’égard de tous les tiers qui soumissionnent à ces marchés. De plus, il y a lieu de relever que l’article 101, premier alinéa, définit précisément les droits du pouvoir adjudicateur dans ses relations avec les soumissionnaires au marché public. Or, comme le relève à juste titre la Commission, ces dispositions n’auraient aucun sens ni aucune portée si elles avaient la nature d’une simple règle de fonctionnement interne aux institutions. Il découle donc du contenu même de l’article 101, premier alinéa, que celui-ci a vocation à produire des effets de droit à l’égard des tiers qui soumissionnent à un marché public passé par une institution communautaire pour son propre compte et qu’il a, dans cette mesure, une portée générale.

117    En l’espèce, les dispositions de l’article 101, premier alinéa, étaient opposables à la requérante et applicables à la procédure de passation de marché en cause dans la présente affaire dès lors que les négociations précontractuelles ont été engagées postérieurement à la date de publication et d’application du Règlement financier. En effet, ce dernier a été publié au Journal officiel le 16 septembre 2002 et il est entré en application à partir du 1er janvier 2003, conformément aux dispositions de son article 187, alors que les négociations précontractuelles entre la Commission et la requérante n’ont été engagées qu’au mois de mai 2003.

118    Par ailleurs, il y a lieu d’écarter les exceptions d’illégalité soulevées par la requérante au soutien de l’inapplicabilité, dans le cas d’espèce, de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier ainsi que des autres dispositions du titre V de la première partie de ce même règlement.

119    Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre du système de compétences de la Communauté, le choix de la base juridique d’un acte doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel et que, parmi de tels éléments, figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte (voir arrêt de la Cour du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil, C‑84/94, Rec. p. I‑5755, point 25, et la jurisprudence citée).

120    L’article 279 CE habilite « [l]e Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et avis de la Cour des comptes [à arrêter] les règlements financiers spécifiant notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes ». Cet article donne une compétence générale au Conseil pour fixer les règles régissant l’ensemble du domaine budgétaire couvert par le traité CE, lequel inclut non seulement les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget ainsi qu’à la reddition et à la vérification des comptes, mais également, comme cela est exprimé par l’emploi de l’adverbe « notamment », toute autre question étroitement liée.

121    Ainsi qu’il résulte de l’article 88, paragraphe 1, du Règlement financier, les marchés publics régis par le Règlement financier sont des contrats qui sont financés, en tout ou partie, par le budget communautaire. Dans le cadre d’un marché public communautaire, la conclusion du contrat donne donc naissance à une obligation (engagement juridique) de laquelle résulte une dépense qui est mise à la charge du budget (engagement budgétaire). En vertu du principe d’unité et de vérité budgétaire, la dépense correspondant à l’engagement juridique doit donc être inscrite au budget. Dans cette mesure, la passation des marchés publics par les institutions communautaires pour leur propre compte et la conclusion des contrats correspondants se rattachent étroitement à l’exécution, en dépenses, du budget.

122    Si, en règle générale, la réglementation des marchés publics n’est pas considérée comme partie intégrante du droit budgétaire, lequel est conçu de manière plus étroite, il y a lieu de relever que, en droit communautaire, le respect des principes qui découlent de l’économie des dispositions financières du traité CE et, en particulier, des principes de transparence et de bonne gestion financière justifie que les marchés publics passés pour le propre compte des institutions communautaires, qui peuvent être rattachés à l’exécution du budget, soient soumis à des règles transparentes et garantissant le respect de procédures protectrices des fonds communautaires. En outre, et bien que, dans la plupart des cas, il ne soit pas dans la nature du droit financier ou budgétaire de créer des droits ou des obligations pour les personnes n’appartenant pas à la sphère publique, rien ne s’oppose à ce que de telles règles puissent produire des effets juridiques propres à l’égard des tiers qui acceptent de soumissionner à un marché public communautaire financé, en tout ou partie, par le budget communautaire.

123    Il ressort précisément de l’article 89 du Règlement financier que les dispositions du titre V de la première partie de ce même règlement, telles que complétées par les dispositions correspondantes des Modalités d’exécution, ont pour but et pour objet que tous les marchés publics financés totalement ou partiellement par le budget respectent les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination et que toute procédure de passation de marchés s’effectue par la mise en concurrence la plus large, sauf dans les cas de recours à la procédure négociée. Elles visent ainsi à soumettre les marchés publics passés pour le propre compte des institutions communautaires à des règles transparentes et garantissant le respect de procédures protectrices des fonds communautaires.

124    Il résulte de ce qui précède que l’article 279 CE a constitué une base juridique appropriée pour l’adoption des dispositions du titre V de la première partie du Règlement financier. En outre, il y a lieu de constater que, en adoptant les règles précitées, le Conseil a agi sur la base et dans la limite des compétences qui lui sont conférées par l’article 279 CE.

125    Quant à l’argumentation de la requérante selon laquelle l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier viole l’article 288 CE en exonérant illégalement la Commission d’une part de sa responsabilité, il suffit de constater que le droit de renoncer à un marché public et de ne pas conclure le contrat y afférent s’exerce sans préjudice de l’application de l’article 288, deuxième alinéa, CE. Il en résulte que, si la Commission dispose d’un très large pouvoir d’appréciation pour rompre les pourparlers, elle peut néanmoins engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté lorsqu’il résulte des circonstances mêmes de la rupture qu’elle a, ce faisant, adopté un comportement illégal au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

126    Enfin, quant à l’argumentation de la requérante selon laquelle la Commission ne saurait lui opposer la règle contenue à l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier dans la mesure où elle n’a pas, elle-même, respecté les prescriptions du second alinéa de ce même article, qui impose la communication des motifs de la renonciation au marché aux soumissionnaires intéressés, il y a lieu de constater que cette dernière disposition impose en effet que la décision de renoncer au marché soit motivée et portée à la connaissance des candidats ou soumissionnaires. La violation de l’obligation de motivation ainsi énoncée est susceptible d’entacher la validité de la décision de renoncer au marché et de ne pas conclure le contrat. En revanche, elle ne saurait exclure à ce stade l’application de dispositions qui ont, en l’espèce, vocation à s’appliquer à la conclusion du contrat de bail en raison de leur nature réglementaire.

–       Sur la violation du principe de bonne foi et de l’interdiction de l’abus de droit

127    Il y a lieu d’examiner, en premier lieu, au regard des critères précédemment énoncés (point 112 ci-dessus) le grief de la requérante selon lequel la Commission aurait outrepassé les limites imposées en l’espèce à son droit de ne pas contracter par le principe de bonne foi et l’interdiction de l’abus de droit, en poursuivant, pendant plus de deux mois, des pourparlers qu’elle savait voués à l’échec.

128    Il importe tout d’abord de rappeler que la Commission a informé la requérante de sa décision de renoncer au marché et, partant, a rompu les négociations précontractuelles le 24 septembre 2003 (voir point 98 ci-dessus).

129    Cette constatation n’est pas remise en cause par les allégations de la Commission selon lesquelles l’information litigieuse aurait été communiquée à la requérante au cours d’une réunion tenue au début du mois de juillet. Outre leur manque de précision, ces allégations ne sont étayées par aucun élément de preuve et sont contredites par les échanges de courriers intervenus, en juillet 2003, entre l’OIB et la société Fortis. S’ils mentionnent un retard ou une suspension de l’approbation du contrat, ceux-ci ne font jamais état d’une quelconque renonciation au principe même du contrat. Bien au contraire, il résulte de ceux-ci que, le 14 juillet 2003, le négociateur indiquait à son partenaire dans les négociations que le principe de la conclusion du contrat de bail n’était pas, jusqu’alors, remis en cause. En outre, dans un courrier non daté, reçu par la société Fortis le 23 juillet 2003, le négociateur informait encore celle-ci qu’il la tiendrait informée de l’évolution du dossier.

130    Il importe ensuite de déterminer la date à laquelle la Commission a pris sa décision de renoncer au marché. La requérante soutient que cette décision a été prise en juillet 2003, mais n’a pu produire aucun élément de preuve à cet égard. Il résulte cependant des propres écritures de la Commission que, « début juillet 2003 » et « [e]n raison de l’ensemble des difficultés apparues au cours de la procédure, [elle] a[vait] finalement décidé de renoncer à la prise de location de l’[Immeuble] ». Il ressort de ces mêmes écritures que c’est dans le courant du mois de juillet que « l’OIB [a] essay[é] de rechercher une autre solution éventuelle [à la location de l’Immeuble] qui devait permettre un déménagement dans les délais les plus brefs et [que] dans ce cadre des négociations ont été entreprises avec d’autres bailleurs éventuels ». Il ressort en outre des documents produits par la Commission en cours de procédure que, lors de la réunion du 16 juillet 2003, citée au point 24 ci-dessus, le BPG a décidé, compte tenu du retard de deux mois pris pour l’occupation de l’Immeuble, d’examiner sérieusement et très rapidement la possibilité de louer le bâtiment M. et de suspendre, en conséquence, les commandes effectuées en vue de l’aménagement intérieur de l’Immeuble. En réponse aux questions posées par le Tribunal, la Commission a d’ailleurs confirmé que, après l’analyse du BPG, « l’OIB a finalement lancé le processus de consultation et de décision pour le bâtiment M. ». Il y a donc lieu de constater que c’est à la date du 16 juillet 2003 que la Commission a pris la décision de renoncer au marché qu’elle négociait avec la requérante et d’engager une nouvelle procédure négociée concernant un autre bâtiment.

131    Au vu du délai de plus de deux mois intervenu entre la prise de la décision et sa communication à la requérante, force est de constater que la Commission a tardé à informer son partenaire dans les négociations de sa décision de renoncer au marché. Elle a ainsi poursuivi des négociations précontractuelles qu’elle savait vouées à l’échec en privant la requérante de la possibilité de rechercher un autre locataire éventuel pour l’Immeuble dès le 16 juillet 2003. Dans le cadre d’un marché immobilier négocié avec la seule requérante et portant sur un bien immobilisé aux fins des négociations précontractuelles, un tel comportement de la Commission viole le principe de bonne foi et révèle un exercice abusif, par celle-ci, de son droit de ne pas contracter.

132    Eu égard aux règles de droit dont la violation a été constatée, cette violation constitue, en l’espèce, une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposaient au pouvoir d’appréciation de la Commission dans l’exercice de son droit de renoncer au marché négocié avec la requérante et, partant, de rompre les négociations entreprises avec elle.

133    Il convient, en second lieu, d’examiner le grief selon lequel la Commission aurait outrepassé les limites imposées en l’espèce à l’exercice de son pouvoir de ne pas contracter par le principe de bonne foi et l’interdiction de l’abus de droit en n’indiquant pas, dès réception du projet de contrat du 16 juin 2003, qu’elle ne pouvait accepter celui-ci en raison des impératifs de sa procédure interne d’approbation, mais en ayant, au contraire, contresigné la lettre de couverture en sachant que, sur cette base, la requérante passerait les commandes relatives aux travaux d’aménagement. Par ce grief, la requérante reproche en substance à la Commission d’avoir rompu les négociations précontractuelles après l’avoir, par manque d’informations, induite en erreur sur l’étendue des obligations qu’elle aurait effectivement souscrites, lui causant ainsi un préjudice. Cette argumentation pose la question de savoir si le principe de bonne foi imposait, en l’espèce, à la Commission un devoir d’information particulier à l’égard de son partenaire s’agissant des obligations qu’elle a effectivement souscrites dans le cadre des négociations précontractuelles.

134    À titre liminaire, il convient de préciser que la Commission ne pourrait être tenue, en vertu du principe de bonne foi ou de l’interdiction de l’abus de droit, à une obligation d’information spécifique à l’égard de la requérante que si l’information en cause était indisponible ou, à tout le moins, très difficilement accessible pour cette dernière.

135    En application de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier, la Commission pouvait renoncer à passer le marché et à conclure le contrat de bail jusqu’au jour de la signature de ce dernier. Il en résulte que la Commission ne pouvait être juridiquement engagée dans les liens de ce contrat avant ladite date. En outre, ainsi qu’il a déjà été précisé au point 117 ci-dessus, les dispositions de cet article étaient applicables et opposables à la requérante. En conséquence, il y a lieu de considérer que la requérante savait ou devait savoir, même en l’absence d’informations spécifiques fournies par la Commission, que cette dernière pouvait renoncer au marché, sans devoir d’indemnités, jusqu’au jour de la signature du contrat, de sorte que l’engagement juridique ne pouvait formellement naître que de la signature du contrat par la Commission. Or, il n’est pas contesté entre les parties que la signature formelle du contrat n’est jamais intervenue en l’espèce.

136    Il y a donc lieu de conclure que la requérante n’est pas fondée à invoquer en l’espèce une violation du principe de bonne foi ou de l’interdiction de l’abus de droit qui résulterait d’un seul manque d’informations fournies par la Commission sur les obligations qu’elle a effectivement souscrites dans le cadre des négociations précontractuelles.

137    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la Commission a violé, de manière suffisamment caractérisée, le principe de bonne foi et abusé de son droit de ne pas contracter en ayant informé tardivement la requérante de sa décision de rompre les négociations précontractuelles.

–       Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

138    Selon la jurisprudence, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants qui émanent de sources autorisées et fiables. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration (voir arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, Innova Privat-Akademie/Commission, T‑273/01, Rec. p. II‑1093, point 26, et la jurisprudence citée). En outre, il ressort de la jurisprudence que des assurances ne tenant pas compte des dispositions applicables ne sauraient créer une confiance légitime chez l’intéressé, même à supposer qu’elles soient prouvées (voir, dans le contentieux de la fonction publique, arrêt de la Cour du 6 février 1986, Vlachou/Cour des comptes, 162/84, Rec. p. 481, point 6, et arrêts du Tribunal du 27 mars 1990, Chomel/Commission, T‑123/89, Rec. p. II‑131, point 30, et du 7 mai 1991, Jongen/Commission, T‑18/90, Rec. p. II‑187, point 34).

139    Il résulte en outre de la jurisprudence que les opérateurs économiques doivent en principe supporter les risques économiques inhérents à leurs activités, eu égard aux circonstances de chaque cas d’espèce. Dans le cadre d’une procédure d’adjudication, ces risques économiques comprennent notamment les coûts liés à la soumission d’une offre. Les dépenses ainsi engagées restent donc à la charge de l’entreprise qui a choisi de participer à la procédure, la faculté de concourir pour un marché n’impliquant pas la certitude de l’adjudication qui en résulte (arrêt Embassy Limousines & Services/Parlement, point 108 supra, point 75). Cependant, si, avant l’attribution au lauréat du marché en cause, un soumissionnaire est incité par l’institution adjudicatrice à effectuer par anticipation des investissements irréversibles et, partant, à excéder les risques inhérents aux activités considérées, consistant à soumettre une offre, la responsabilité non contractuelle de la Communauté peut être engagée (arrêt Embassy Limousines & Services/Parlement, point 108 supra, point 76).

140    En l’espèce, la requérante se prévaut, en premier lieu, de ce que la Commission ne l’a pas informée du droit qui aurait été le sien de renoncer au marché jusqu’à la signature de celui-ci, et ce sans devoir aucune indemnisation.

141    Cependant, comme il a été relevé aux points 117 et 135 ci-dessus, la requérante devait savoir, même en l’absence d’informations spécifiques, que la Commission avait le droit de renoncer au marché, sans devoir d’indemnités, jusqu’à la signature du contrat et que, par conséquent, l’engagement juridique ne pouvait naître que de la signature du contrat par la Commission. Elle ne saurait donc se prévaloir d’assurances précises, de nature à faire naître une espérance fondée dans la conclusion du contrat de bail, qui auraient résulté du seul silence gardé par la Commission sur la réglementation applicable à la conclusion dudit contrat.

142    La requérante se prévaut, en deuxième lieu, de ce que le négociateur l’aurait incitée à engager immédiatement les travaux lors de la réunion du 6 juin 2003, évoquée au point 5 ci-dessus. Il suffit, à cet égard, de constater que, à supposer même que le négociateur ait effectivement tenu les propos qui lui sont imputés, ceux-ci n’ont pas été de nature à nourrir la confiance légitime alléguée par la requérante. En effet, il résulte du message électronique du 11 juin 2003, évoqué au point 6 ci-dessus, que, postérieurement à la réunion concernée, la société Fortis indiquait encore au négociateur qu’elle ne pouvait pas raisonnablement commander l’exécution des travaux avant que la Commission ne confirme son accord sur les termes du contrat de bail. De plus, dans ses écritures, la requérante elle-même ajoute que, lorsqu’elle a posé certaines conditions dans son courrier du 16 juin 2003, cité au point 7 ci-dessus, elle souhaitait se réserver la preuve de l’accord intervenu entre les parties aux négociations, ne pouvant accepter de se contenter de la parole du négociateur lors de la réunion du 6 juin 2003. Au vu de ses propres déclarations, la requérante ne saurait donc prétendre que les propos du négociateur auraient été de nature à faire naître chez elle des espérances fondées dans le fait que le contrat allait être conclu et l’auraient incitée à passer les commandes en vue de la réalisation des travaux d’aménagement.

143    La requérante affirme, en troisième lieu, que la Commission aurait insisté, à de multiples reprises, pour que les travaux soient commandés rapidement de manière à ce que l’installation de ses fonctionnaires ait lieu à la date d’entrée en vigueur du contrat de bail.

144    Il ressort du dossier et, notamment, de l’accord de coopération interinstitutionnel conclu avec le Parlement, que le respect de la date du 1er novembre 2003 pour l’entrée dans les lieux était une condition essentielle à l’engagement de la Commission. Il en résulte que l’attribution du marché à la requérante et la conclusion du contrat de bail avec celle-ci dépendaient, en principe, de la capacité de cette dernière à achever les travaux d’aménagement le 31 octobre 2003 au plus tard.

145    Il ressort également du dossier et des propres affirmations de la Commission que, jusqu’à la mi-juillet 2003, la Commission ne négociait qu’avec la requérante pour satisfaire à son besoin de logement d’une partie de son personnel. Il s’ensuit que, jusqu’à ce moment, la Commission et, plus précisément, l’OIB se comportaient et agissaient comme si le marché allait être attribué à la requérante et exécuté par celle-ci. En outre, il ressort des documents produits en cours de procédure par la Commission que, jusqu’au 7 juillet 2003, date à laquelle est intervenu l’avis de la DG « Personnel et administration », l’OIB n’avait pas de raisons de penser que les problèmes techniques liés notamment à l’implantation géographique de l’Immeuble qui ont, ensuite, été invoqués par la Commission comme étant la cause de la rupture des négociations précontractuelles risquaient de compromettre l’attribution du marché à la requérante et la conclusion du contrat de bail.

146    Il ressort, en outre, du dossier que, avant d’avoir eu connaissance des négociations parallèles entreprises par la Commission avec d’autres opérateurs immobiliers sur le marché bruxellois, la requérante n’avait aucune raison de penser que des problèmes autres que la réalisation des travaux dans les délais pouvaient compromettre la conclusion du contrat de bail. En effet, c’est dans le cadre de la présente procédure et donc postérieurement à la date invoquée comme étant celle de la naissance de la confiance légitime, à savoir le 26 juin 2003, que la requérante a pu prendre connaissance des problèmes qui auraient motivé la décision de la Commission de renoncer au marché et à la conclusion du contrat de bail.

147    C’est à la lumière de ces constatations qu’il convient d’apprécier la pertinence des éléments avancés par la requérante au soutien de ses allégations selon lesquelles la Commission l’aurait incitée à réaliser les travaux d’aménagement sans attendre la signature formelle du contrat de bail.

148    La requérante fait valoir que le négociateur a contresigné, sans émettre la moindre réserve, la lettre du 16 juin 2003 qui précisait que, dès réception de la lettre contresignée, elle passerait, comme il lui avait été demandé, les commandes de travaux d’aménagement sans attendre la signature formelle du contrat de bail (voir point 7 ci-dessus). La Commission conteste les allégations de la requérante et soutient que cette dernière a pris l’initiative de lancer les travaux d’aménagement sans attendre la conclusion du contrat et qu’elle a ainsi accepté de prendre le risque que ces travaux d’aménagement ne lui soient pas remboursés en application des clauses contractuelles.

149    En ce qui concerne l’absence de réaction de l’OIB à la mention figurant dans la lettre du 16 juin 2003 d’où il résulte que la Commission aurait demandé à la requérante de lancer les travaux d’aménagement sans attendre la signature formelle du contrat de bail, il y a lieu de constater que non seulement le négociateur n’a pas contesté celle-ci, mais encore qu’il a fait en sorte de respecter les conditions posées par la requérante pour accepter de se soumettre à des délais de rigueur déclenchant les indemnités de retard ainsi que pour passer les commandes de travaux d’aménagement sans attendre la signature formelle du contrat de bail. L’ensemble de ces circonstances infirme la thèse de la Commission selon laquelle la requérante aurait pris une initiative non sollicitée en lançant les commandes sans attendre la signature du contrat. En effet, ces circonstances attestent de l’existence d’une incitation émanant de l’OIB pour que la requérante passe les commandes nécessaires à la réalisation des travaux d’aménagement sans même attendre la signature formelle du contrat de bail stipulant que ceux-ci seraient mis à la charge de la Commission par le paiement d’un loyer additionnel.

150    Comme la requérante l’a relevé à juste titre, l’incitation au lancement des travaux d’aménagement est confirmée par l’acceptation donnée, le 4 juillet 2003 (voir point 18 ci-dessus), par un autre agent de l’OIB à une offre de la société Fortis portant sur le coût horaire des frais de gardiennage du chantier de l’Immeuble, les montants correspondant à ces frais devant être pris sur le poste « Installation de chantier » du budget des travaux d’aménagement. Cet accord exprès atteste que les agents de l’OIB ont fait en sorte que toutes les conditions soient réunies pour que la requérante puisse réaliser les travaux d’aménagement sans attendre la signature formelle du contrat.

151    L’incitation ainsi donnée, le 26 juin 2003, par l’OIB et, finalement, la Commission à une exécution anticipée des travaux d’aménagement était de nature à faire naître, à cette date, chez la requérante une confiance légitime dans le fait que les investissements réalisés avant même la signature formelle du contrat de bail allaient lui être remboursés par la Commission.

152    Ces constatations ne sauraient être remises en cause, comme le soutient la Commission, par la mention manuscrite apposée par M. S. sur la lettre du 16 juin 2003, telle que contresignée, le 26 juin 2003, par le négociateur, et qui posait la question de savoir si les commandes pouvaient être établies. En effet, compte tenu de l’ambiguïté et du caractère laconique de la formule en question, l’interprétation de la Commission, selon laquelle cette mention traduirait les doutes de la requérante quant à la possibilité d’engager, sans risque juridique, les commandes sur le fondement de l’accord intervenu le 26 juin 2003, apparaît trop spéculative et aléatoire pour pouvoir être retenue. Ainsi que l’a relevé à juste titre la requérante, une telle mention peut aussi bien être interprétée comme une demande pure et simple visant à ce que les commandes soient désormais établies.

153    Au vu des circonstances de l’espèce, il y a lieu de conclure que la requérante a été incitée par la Commission, prise en sa qualité de pouvoir adjudicateur, à effectuer par anticipation des investissements irréversibles et, partant, à excéder les risques inhérents aux activités considérées, consistant à soumettre une offre dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public. En outre, il y a lieu de considérer que la requérante a agi de manière raisonnable et réaliste en acceptant d’effectuer par anticipation les investissements nécessaires pour être en mesure d’exécuter le contrat de bail conformément aux exigences de la Commission. En effet, celle-ci avait préalablement reçu des assurances précises de la Commission en ce sens que les travaux d’aménagement qu’elle était amenée à effectuer en dehors de la couverture contractuelle allaient lui être remboursés par la Commission.

154    Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que la Commission pouvait renoncer à passer le marché et, partant, à conclure le contrat, sans devoir d’indemnités, jusqu’au jour de la signature de celui-ci, conformément aux dispositions de l’article 100 et de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier. En effet, l’existence d’une telle faculté ne fait pas obstacle à ce que, par son comportement, la Commission a pu donner l’impression à son partenaire qu’elle n’exercerait pas celle-ci dans un cas déterminé (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Embassy Limousines & Services/Parlement, point 108 supra, points 54 et 86).

155    Il y a donc lieu de constater que la Commission a violé, de manière suffisamment caractérisée, le principe de protection de la confiance légitime en rompant les négociations précontractuelles après avoir incité la requérante à réaliser les travaux d’aménagement pour être en mesure de louer l’Immeuble dès le 1er novembre 2003.

156    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et s’agissant de la condition d’un comportement illégal, il y a lieu de conclure que, à l’occasion de la rupture des négociations précontractuelles, la Commission a adopté un comportement illégal susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté en laissant se poursuivre des négociations précontractuelles qu’elle savait vouées à l’échec et en rompant les négociations précontractuelles après l’avoir incitée à réaliser les travaux d’aménagement nécessaires à la mise en location de l’Immeuble dès le 1er novembre 2003. L’argumentation de la requérante doit être rejetée pour le surplus comme étant non fondée.

b)     Sur le dommage allégué et le lien de causalité entre le comportement illégal et ce dommage

157    La requérante demande l’indemnisation de la perte de chance de conclure le contrat, des frais encourus à l’occasion des négociations précontractuelles et de la perte de chance de louer l’Immeuble à un tiers pendant la durée de ces négociations.

158    À cet égard, il importe de rappeler que le lien de causalité exigé par l’article 288, deuxième alinéa, CE suppose qu’il existe un lien direct de cause à effet entre le comportement illégal de la Communauté et le dommage invoqué, c’est-à-dire que le dommage découle directement dudit comportement (arrêt du Tribunal du 17 décembre 2003, DLD Trading/Conseil, T‑146/01, Rec. p. II‑6005, point 72 ; voir également, en ce sens, arrêts de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier frères e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029, point 51, et arrêt du Tribunal International Procurement Services/Commission, point 86 supra, point 55).

159    En outre, il convient de souligner que, selon une jurisprudence constante, il appartient au premier chef à la partie qui met en cause la responsabilité de la Communauté d’apporter des preuves concluantes quant à l’existence ou à l’étendue du préjudice qu’elle invoque et d’établir le lien de causalité entre ce dommage et le comportement illégal des institutions communautaires (arrêts de la Cour du 7 mai 1998, Somaco/Commission, C‑401/96 P, Rec. p. I‑2587, point 71, et du Tribunal du 18 septembre 1995, Blackspur e.a./Conseil et Commission, T‑168/94, Rec. p. II‑2627, point 40).

160    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les demandes d’indemnisation présentées par la requérante.

 Sur la demande d’indemnisation de la perte de chance de contracter

161    La rupture unilatérale des pourparlers contractuels relève, en l’espèce, du pouvoir de l’autorité adjudicatrice de ne pas conclure le contrat de bail projeté en vertu des dispositions de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier. La requérante n’a, en conséquence, jamais acquis aucun droit à la conclusion de ce contrat. Par ailleurs, en l’absence d’accord ferme et définitif entre les parties, la requérante n’a pu acquérir aucun droit en vertu du contrat ni, par conséquent, aucun droit à obtenir le gain contractuel attendu.

162    Il en résulte que le comportement illégal adopté par la Commission, qui procède des seules circonstances qui ont entouré l’exercice par celle-ci de son droit de renoncer au marché et de rompre unilatéralement les pourparlers précontractuels, ne peut être regardé comme la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de contracter et de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat. Le préjudice subi par la requérante du fait de ce comportement illégal ne saurait donc inclure les gains que celle-ci pouvait espérer tirer de la location de l’Immeuble ni même la perte d’une chance d’obtenir ces gains (voir, en ce sens, arrêt Embassy Limousines & Services/Parlement, point 108 supra, point 96).

163    Cette solution n’est pas remise en cause par les éléments présentés, en l’espèce, par la requérante. D’une part, les documents produits par la requérante au soutien de sa demande concernent seulement les droits belge et français et n’établissent pas que ceux-ci consacreraient le principe de l’indemnisation des gains manqués du fait du défaut de conclusion du contrat. Ces documents attestent, en revanche, que la doctrine majoritaire s’oppose à une telle solution, qui n’est d’ailleurs pas consacrée par la jurisprudence. D’autre part, le fait que l’indemnisation demandée en l’espèce par la requérante ne corresponde qu’à une fraction du manque à gagner n’est pas de nature à remettre en cause la solution précitée, puisqu’elle aboutirait, en tout état de cause, à donner effet, même partiellement, à un contrat qui n’a jamais été conclu et à la conclusion duquel la requérante n’a jamais acquis aucun droit.

164    Au vu de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres arguments soulevés par la Commission, il y a lieu de rejeter la demande d’indemnisation de la perte de chance de se voir attribuer le marché et de réaliser le profit attendu de l’exécution de celui-ci.

 Sur la demande d’indemnisation des charges et frais encourus

165    Il ressort de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier que, en principe, les charges et frais vainement encourus par un soumissionnaire à l’occasion de sa participation à une procédure de passation d’un marché public ne sauraient constituer un préjudice susceptible d’être réparé par l’octroi de dommages-intérêts (voir, par analogie, arrêts du Tribunal du 29 octobre 1998, TEAM/Commission, T‑13/96, Rec. p. II‑4073, point 71, et Embassy Limousines & Services/Parlement, point 108 supra, point 97). Cependant, ladite disposition ne saurait, sans risquer de porter atteinte aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, s’appliquer dans les cas où une violation du droit communautaire dans la conduite de la procédure de passation de marché a affecté les chances d’un soumissionnaire de se voir attribuer un marché (voir, par analogie, arrêt TEAM/Commission, précité, point 72), ou a directement amené ce dernier à exposer des frais ou charges injustifiés.

166    S’agissant des frais de personnel de la société Fortis encourus dans le cadre des négociations précontractuelles, force est de relever que la requérante n’a fourni aucun élément permettant de constater que ceux-ci résultent directement d’un comportement illégal de la Commission. Ainsi, il n’a pas été établi ni même allégué par la requérante que ces frais auraient été encourus pendant la période durant laquelle la Commission a laissé se prolonger des négociations précontractuelles qu’elle savait vouées à l’échec. Par ailleurs, en l’absence d’éléments fournis en ce sens par la requérante, il ne saurait être considéré que les frais de personnel de la société Fortis ont été engagés de manière injustifiée en ce qu’ils auraient excédé les risques inhérents à la soumission d’une offre dans le cadre d’une procédure de passation de marché.

167    En tout état de cause, il y a lieu de constater que, dans la requête, la requérante s’est bornée à évaluer le montant du préjudice qui aurait correspondu aux frais de personnel de la société Fortis encourus dans le cadre des négociations précontractuelles, sans soumettre le moindre élément de preuve à l’appui. Au stade de la réplique, elle a fait valoir que cette évaluation aurait été établie sur la base du temps consacré aux négociations précontractuelles par MM. S. et D., deux membres du personnel de la société Fortis, soit respectivement 150 et 100 heures, et d’une estimation du taux horaire de ceux-ci, soit respectivement 62 et 124 euros, sans produire aucun élément concret et détaillé à cet égard. Or, une telle évaluation, dont il n’est pas possible d’apprécier la pertinence ou la crédibilité en l’absence d’éléments suffisamment concrets et détaillés fournis par la requérante, ne saurait suffire à établir la réalité et l’ampleur du dommage correspondant aux frais de personnel de la société Fortis pour la réparation duquel une indemnité est réclamée.

168    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter comme étant non fondée la demande de la requérante visant à l’indemnisation des frais de personnel de la société Fortis.

169    S’agissant des frais réclamés par les fournisseurs, les sociétés B. et A., il y a lieu de préciser que la requérante se prévaut uniquement de ce que les commandes correspondantes ont été passées en raison de la confiance légitime dans la conclusion du contrat de bail, laquelle a été déçue lorsque la Commission a ensuite rompu les négociations précontractuelles. Il n’est pas contesté, en revanche, que ce préjudice est sans lien causal avec la violation du principe de bonne foi et l’abus de droit qui ont été constatés (voir point 137 ci-dessus). Comme il a déjà été relevé au point 153 ci-dessus, la requérante est bien fondée à faire valoir que c’est sur le fondement de la confiance légitime dans le fait que les travaux d’aménagement allaient lui être remboursés par la Commission qu’elle a lancé, le 4 juillet 2003, les commandes relatives à ces travaux. Contrairement à ce que soutient la Commission, il existe donc un lien causal direct entre le préjudice dont la requérante demande réparation, qui résulte des commandes ainsi passées, et l’illégalité consistant en une violation par la Commission du principe de protection de la confiance légitime. Celui-ci justifie dès lors que les frais en cause fassent l’objet d’une indemnisation.

170    Cependant, les éléments fournis par la requérante n’établissent pas, à suffisance de droit, la réalité et l’ampleur du préjudice réellement subi par celle-ci en conséquence de l’illégalité susmentionnée. D’une part, elle n’a produit, au soutien de sa demande, que de simples états de frais établis par ses fournisseurs et adressés à la société Fortis qui ne sont pas de nature à attester l’existence d’un préjudice réellement subi par la requérante. D’autre part, elle a reconnu qu’elle n’avait jusqu’à présent remboursé à ses fournisseurs aucune somme correspondant à ces états de frais et qu’elle ne le ferait pas avant qu’il soit statué sur le présent recours. Elle fait valoir en effet que, en vertu d’accords qu’elle aurait conclus avec les fournisseurs concernés, le paiement aurait été suspendu jusqu’à ce qu’elle soit éventuellement indemnisée par la Commission. Cependant, la requérante n’a fourni aucun élément à l’appui de ses allégations et il ne peut donc être exclu, comme le soutient la Commission, que l’absence de paiement ne résulte pas d’une autre cause, telle qu’une remise de dette ou le réemploi des matériaux.

171    En conséquence, il y a lieu de constater que la requérante n’est pas fondée en sa demande d’indemnisation des frais réclamés par les fournisseurs s’élevant, en dernier lieu, à la somme de 41 637,77 euros.

172    S’agissant enfin de la demande d’indemnisation correspondant aux frais d’intervention de FREPM, il importe de souligner que, selon la requérante, ces frais auraient été encourus par elle au bénéfice de la seule Commission eu égard à l’assurance donnée par le négociateur que le contrat serait conclu. Le dommage serait donc là encore une conséquence directe de la violation, par la Commission, du principe de protection de la confiance légitime. Il convient également d’examiner si le dommage n’est pas une conséquence directe de la violation du principe de bonne foi et de l’abus de droit relevés au point 137 ci-dessus.

173    Or, ainsi qu’il ressort du dossier, cette demande d’indemnisation ne correspond pas à des frais encourus par FREPM, mais à deux notes d’honoraires d’architectes directement adressées à la requérante. La première note d’honoraires n° 37-2003, datée du 1er septembre 2003, émane de la société G. Elle se réfère au dossier « Travaux locataire City Center – Botannique 1 » pour des prestations accomplies durant les mois de mai et de juin 2003. La seconde note d’honoraires n° 242-2003, également datée du 1er septembre 2003, émane de la société P. Elle se réfère au projet « Aménagements bureaux Commission » pour des prestations accomplies durant les mois d’avril, de mai, de juin, de juillet, et d’août 2003. Ces deux factures correspondent donc à des prestations qui ont débuté et, partant, ont été commandées à une date antérieure à celle à laquelle est née la confiance légitime de la requérante dans le fait que les investissements réalisés relèveraient de la responsabilité de la Commission, à savoir le 26 juin 2003. En outre, ces frais ont été engagés antérieurement à la décision de la Commission de renoncer au marché.

174    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas subi de dommage en exposant, sans y être incitée par la Commission, des frais qui n’excèdent pas les risques économiques inhérents à l’activité consistant à soumissionner à un marché public. En effet, les honoraires d’architectes correspondant aux notes précitées sont des charges et frais encourus par la requérante à l’occasion de sa participation à une procédure de passation d’un marché public, lesquels lui incombent et ne sauraient constituer un préjudice susceptible d’être réparé par la Communauté par l’octroi de dommages-intérêts. En outre, il y a lieu de constater que, dans un tel contexte, la requérante n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre le comportement illégal de la Commission et l’engagement de frais qui auraient été exposés en pure perte.

175    Par conséquent, il y a lieu de rejeter comme étant non fondée la demande d’indemnisation des charges et frais encourus par la requérante dans le cadre des négociations précontractuelles.

 Sur la demande d’indemnisation de la perte de chance de louer à un tiers

176    À titre liminaire, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence, la perte d’une chance est susceptible de constituer un préjudice réparable (voir arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, C/Commission, T‑47/93, RecFP p. I‑A‑233 et II‑743, point 54, et la jurisprudence citée).

177    Quant à l’argumentation de la requérante faisant valoir que, pendant la période des négociations précontractuelles allant du 13 mai jusqu’au 14 septembre 2003, elle a perdu la chance de pouvoir louer l’Immeuble à un tiers à des conditions équivalentes à celles négociées avec la Commission, il y a lieu de constater que, à supposer que l’Immeuble soit resté sur le marché de l’immobilier de bureau à Bruxelles pendant la période litigieuse, la requérante aurait eu une réelle chance de pouvoir louer celui-ci à un tiers. Cette chance de la requérante de louer l’Immeuble à un tiers découle du fait que, comme l’a reconnu la Commission, le marché de l’immobilier de bureau à Bruxelles est un marché en évolution permanente et qui croît de manière régulière, notamment pour répondre à une demande croissante de la part des institutions européennes.

178    Toutefois, en l’espèce, la requérante a indiqué dans ses écritures avoir « renoncé à [la] chance [réelle de louer l’Immeuble à un tiers] pendant toute la période où […] elle a mené des négociations exclusives avec la Commission », d’où il résulte qu’elle a elle-même pris la décision, dès le début des négociations précontractuelles, de retirer l’Immeuble du marché de l’immobilier de bureau bruxellois. À cet égard, la requérante n’est pas fondée à se prévaloir de ce que sa décision aurait été déterminée par l’empressement de la Commission et les assurances qui lui auraient été données par celle-ci que le contrat allait être signé.

179    En conséquence, la perte de chance de louer l’Immeuble pendant la durée des négociations précontractuelles, qui résulte de l’exclusivité que la requérante a consentie à la Commission sur l’Immeuble et de l’immobilisation consécutive de ce dernier résulte de la propre décision de la requérante, qui a ainsi accepté de prendre le risque de perdre la possibilité de louer l’Immeuble à un autre locataire.

180    Néanmoins, en n’avertissant pas immédiatement la requérante de la décision qu’elle avait prise, le 16 juillet 2003, de renoncer à passer le marché et, partant, à prendre l’Immeuble à bail, la Commission a privé la requérante de la possibilité de remettre l’Immeuble sur le marché locatif deux mois plus tôt qu’elle ne l’a fait. Il en résulte que la Commission a effectivement privé la requérante d’une chance de pouvoir louer l’Immeuble à un tiers pendant une période qui peut être raisonnablement évaluée à deux mois.

181    Aux fins d’évaluer le montant du préjudice réellement subi par la requérante, il y a lieu de tenir compte des difficultés inhérentes au marché locatif de l’époque. Dans la mesure où ces difficultés ont été reconnues et prises en compte par la requérante, l’allocation d’un montant de 10 000 euros pour chaque mois concerné, qui correspond à l’évaluation même de la requérante, apparaît comme une indemnisation adéquate du préjudice effectivement subi par celle-ci. Il y a donc lieu de fixer le préjudice indemnisable au titre de la perte de chance de louer l’Immeuble à un tiers, entre la mi-juillet et la mi-septembre 2003, à la somme de 20 000 euros.

182    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de fixer l’ensemble du préjudice indemnisable en l’espèce par la Communauté à la somme de 20 000 euros.

183    La requérante demande que la somme allouée en réparation de son préjudice soit assortie d’intérêts depuis la date du prononcé de l’arrêt jusqu’à celle du paiement effectif, au taux de 6 %.

184    Le montant de l’indemnité due doit être assorti d’intérêts moratoires, dont le taux ne peut pas être supérieur à celui demandé dans les conclusions du recours (arrêt Mulder e.a./Conseil et Commission, point 108 supra, point 35).

185    Il s’ensuit qu’il y a lieu, en l’espèce, de majorer le montant de l’indemnité précitée du montant des intérêts moratoires courant à compter de la date du prononcé du présent arrêt jusqu’à celle du paiement effectif, au taux fixé par la Banque centrale européenne pour les opérations principales de refinancement, majoré de 2 points, sous réserve de ne pas excéder un taux de 6 %, conformément aux conclusions de la requérante.

B –  Sur la demande de mesure d’instruction

186    La requérante a conclu à ce que le négociateur soit cité à comparaître afin qu’il soit entendu au sujet des propos qu’il aurait tenus lors de la réunion du 6 juin et de l’entretien téléphonique du 10 juillet 2003. La défenderesse n’a pas réagi à cette demande de mesure d’instruction.

187    Selon une jurisprudence constante, c’est au Tribunal qu’il appartient d’apprécier l’utilité de mesures d’instruction, au sens des articles 65 et suivants du règlement de procédure, aux fins de la solution du litige (arrêts du Tribunal du 28 septembre 1999, Hautem/BEI, T‑140/97, RecFP p. I‑A‑171 et II‑897, point 92, et du 22 février 2000, ACAV e.a./Conseil, T‑138/98, Rec. p. II‑341, point 72).

188    En l’espèce, le Tribunal constate que la mesure d’instruction sollicitée par la requérante n’est pas nécessaire pour statuer sur le présent litige. Il n’y a donc pas lieu d’y recourir.

 Sur les dépens

189    En vertu de l’article 87, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

190    En l’espèce, la requérante a succombé en une partie de ses prétentions, le recours principal ayant été rejeté comme irrecevable et une partie des demandes indemnitaires ayant également été rejetée comme étant non fondée dans le cadre du recours subsidiaire. Compte tenu de ces circonstances, il y a lieu, en l’espèce, de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La Commission est condamnée à payer à la requérante une somme de 20 000 euros majorée des intérêts moratoires courant à compter de la date du prononcé du présent arrêt jusqu’au paiement effectif, à un taux annuel égal au taux fixé par la Banque centrale européenne pour les opérations principales de refinancement, majoré de 2 points, sous réserve de ne pas dépasser un taux de 6 %.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Pirrung

Meij

Forwood

Pelikánová

 

      Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mai 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      J. Pirrung

Table des matières

Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

Sur l’action principale en responsabilité contractuelle

A –  Arguments des parties

B –  Appréciation du Tribunal

Sur l’action subsidiaire en responsabilité non contractuelle

A –  Sur le fond

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur le comportement illégal allégué

Observations liminaires

Sur le retrait d’une acceptation valablement donnée, le défaut de communication des motifs de la rupture et l’engagement inconsidéré dans les négociations précontractuelles

Sur la communication tardive de la décision de rompre les négociations précontractuelles, le défaut de communication des règles internes de prise de décision et les assurances données sur la conclusion du contrat de bail et/ou la prise en charge des investissements qui y sont relatifs

–  Sur la nature des règles dont la violation est alléguée

–  Sur la portée, la nature, la légalité et l’opposabilité de l’article 101, premier alinéa, du Règlement financier

–  Sur la violation du principe de bonne foi et de l’interdiction de l’abus de droit

–  Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

b)  Sur le dommage allégué et le lien de causalité entre le comportement illégal et ce dommage

Sur la demande d’indemnisation de la perte de chance de contracter

Sur la demande d’indemnisation des charges et frais encourus

Sur la demande d’indemnisation de la perte de chance de louer à un tiers

B –  Sur la demande de mesure d’instruction

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.