Language of document : ECLI:EU:T:2012:585

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

7 novembre 2012 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Pêche – Conservation des ressources halieutiques – Reconstitution des stocks de thon rouge – Mesures d’urgence interdisant la pêche par les senneurs à senne coulissante – Comportement illicite – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑114/11,

Jean-François Giordano, demeurant à Sète (France), représenté par Mes D. Rigeade et J. Jeanjean, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouquet et D. Nardi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi à la suite de l’adoption du règlement (CE) n° 530/2008 de la Commission, du 12 juin 2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée (JO L 155, p. 9),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, V. Vadapalas (rapporteur) et K. O’Higgins, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 juillet 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Jean-François Giordano, est propriétaire du navire Janvier Giordano, faisant partie de la flotte de pêche française, autorisé à pratiquer la pêche du thon rouge à senne coulissante. Pour l’année 2008, un permis de pêche spécial (ci-après le « PPS ») lui a été délivré par les autorités françaises, l’autorisant à capturer, à détenir, à transborder, à transférer, à débarquer, à transporter, à stocker et à vendre du thon rouge de la Méditerranée, dans la limite des possibilités de pêche mises à sa disposition, à savoir 132,02 tonnes.

2        L’article 7 du règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59), est ainsi libellé :

« 1.      S’il existe des preuves qu’il existe une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin résultant des activités de la pêche et nécessitant une intervention immédiate, la Commission peut, sur demande dûment justifiée d’un État membre ou d’office, arrêter les mesures d’urgence pour une période maximale de six mois. La Commission peut prendre une nouvelle décision pour proroger les mesures d’urgence d’une durée maximale de six mois.

[...]

3.      Les mesures d’urgence prennent effet immédiatement. Elles sont notifiées aux États membres concernés et publiées au Journal officiel.

[...] »

3        En application dudit article 7, la Commission des Communautés européennes a, le 12 juin 2008, adopté le règlement (CE) n° 530/2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée (JO L 155, p. 9).

4        L’article 1er de ce règlement énonce :

« La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, ou enregistrés dans ces États membres, est interdite à compter du 16 juin 2008. »

5        Par décision du 16 juin 2008, les autorités françaises ont retiré le PPS dont était titulaire le requérant, qui ne pouvait donc plus exercer son activité à partir de cette date.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 février 2011, le requérant a introduit le présent recours.

7        Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a posé par écrit des questions au requérant. Ce dernier a notamment été invité à se prononcer sur les conséquences à tirer de l’arrêt de la Cour du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, non encore publié au Recueil). Le requérant n’a pas répondu aux questions qui lui ont été adressées dans les délais impartis.

8        Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 11 juillet 2012.

9        Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que l’adoption du règlement n° 530/2008 lui a causé un préjudice ;

–        condamner la Commission au paiement d’une indemnité d’un montant de 542 594 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts aux taux légaux et de la capitalisation desdits intérêts ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Observations liminaires

11      Le Tribunal rappelle que, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union européenne doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

12      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et du Tribunal du 14 décembre 2005, Beamglow/Parlement e.a., T‑383/00, Rec. p. II‑5459, point 95).

13      Dès lors que l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies (arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37 ; voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81). Par ailleurs, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 13).

14      Le Tribunal examinera d’abord si le requérant a prouvé la réalité du préjudice.

15      S’agissant de la condition relative à la réalité du préjudice, la responsabilité de l’Union ne saurait être engagée que si le requérant a effectivement subi un préjudice « réel et certain » ainsi qu’évaluable (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 9, et De Franceschi/Conseil et Commission, 51/81, Rec. p. 117, point 9 ; arrêt du Tribunal du 16 janvier 1996, Candiotte/Conseil, T‑108/94, Rec. p. II‑87, point 54). En revanche, un préjudice purement hypothétique et indéterminé ne donne pas droit à réparation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 73). Il incombe au requérant d’apporter des éléments de preuve au juge de l’Union afin d’établir l’existence et l’ampleur d’un tel préjudice (arrêt de la Cour du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission, 26/74, Rec. p. 677, points 22 à 24, et du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T‑575/93, Rec. p. II‑1, point 97).

16      En l’espèce, le requérant fait en substance valoir que, à la suite de l’adoption du règlement n° 530/2008 interdisant la pêche du thon rouge à partir du 16 juin 2008, il n’a pas pu exercer son activité du 16 au 30 juin 2008. Or, cette interdiction lui aurait causé un préjudice dès lors qu’il n’a pas été autorisé à pêcher la totalité du quota de 132,02 tonnes qui lui avait été alloué. Selon lui, il s’agirait d’un préjudice certain consistant en la part non pêchée et non vendue de son quota pour l’année 2008 qu’il évalue en multipliant le prix auquel il aurait pu vendre le thon rouge par la quantité de quota non pêchée.

17      Cependant, le Tribunal considère que ces éléments ne démontrent pas que le requérant a subi un dommage réel et certain.

18      En effet, le requérant part de la prémisse erronée selon laquelle il aurait un droit de pêcher et qu’il aurait nécessairement épuisé son quota. Or, il suffit de relever à cet égard que, contrairement à ce que sous-entend le requérant, les quotas ne confèrent aucune garantie aux pêcheurs de pouvoir pêcher la totalité du quota qui leur a été alloué. Un quota constitue uniquement une limite théorique de capture maximale qui ne doit, en aucun cas, être dépassée (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 19 octobre 2005, Cofradía de pescadores « San Pedro de Bermeo » e.a./Conseil, T‑415/03, Rec. p. II‑4355, point 118). En tout état de cause, il ne saurait être exclu que, même s’il avait pu pêcher jusqu’au 30 juin 2008, il n’aurait pas atteint son quota pour des raisons indépendantes de sa volonté.

19      Partant, le préjudice ainsi invoqué, calculé en fonction de la part de quota non pêchée, ne reflète qu’une situation hypothétique et ne saurait être considéré comme étant réel et certain, au sens de la jurisprudence citée au point 15 supra.

20      Il en résulte que le requérant n’a pas démontré que la condition relative à la réalité du préjudice était remplie en l’espèce.

21      Il s’ensuit que, l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union n’étant pas remplie, la demande en indemnité doit être rejetée comme non fondée, sans qu’il y ait lieu d’examiner si les deux autres conditions sont réunies en l’espèce (voir point 13 ci-dessus).

22      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

23      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Jean-François Giordano est condamné aux dépens.

Papasavvas

Vadapalas

O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 novembre 2012.

Signatures


** Langue de procédure : le français.