Language of document : ECLI:EU:T:2011:228

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

19 mai 2011 (*)

« Accord d’association CEE-Turquie – Importation de téléviseurs couleur en provenance de Turquie – Recours en indemnité – Prescription – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑210/09,

Formenti Seleco SpA, établie à Milan (Italie), représentée par Mes A. Malatesta, G. Terracciano et S. Malatesta, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Scharf et D. Grespan, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par la requérante en raison de l’absence d’adoption, par la Commission, de mesures empêchant les autorités turques de violer l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, lors de la détermination de l’origine des téléviseurs couleur importés dans la Communauté en provenance de Turquie,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. J. Azizi (rapporteur), président, Mme E. Cremona et M. S. Frimodt Nielsen, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 1er décembre 1964 est entré en vigueur l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie signé à Ankara, le 12 septembre 1963, par la République de Turquie, d’une part, et les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part (ci-après l’« accord d’association »). Cet accord avait été approuvé par la Communauté européenne par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963, portant conclusion de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie (JO 1964, 217, p. 3685). Il a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes. Il prévoit à cet effet trois différentes phases de rapprochement et de renforcement des politiques économiques, dont la mise en place progressive d’une union douanière ainsi que la création d’un conseil d’association, composé, d’une part, de membres des gouvernements des États membres, du Conseil des Communautés européennes et de la Commission des Communautés européennes et, d’autre part, de membres du gouvernement turc, qui, statuant à l’unanimité, dispose, pour la réalisation des objectifs fixés par l’accord d’association, d’un pouvoir de décision.

2        Le 23 novembre 1970, les parties à l’accord d’association, à savoir la République de Turquie, d’une part, et la Communauté et ses États membres, d’autre part, ont signé un protocole additionnel en vue d’arrêter les conditions, modalités et rythmes de la réalisation de la phase transitoire prévue par ledit accord (ci-après le « protocole additionnel »). Il a été approuvé par le règlement (CEE) n° 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972, portant conclusion du protocole additionnel ainsi que du protocole financier, signés le 23 novembre 1970, annexés à l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie et relatif aux mesures à prendre pour leur entrée en vigueur (JO L 293, p. 1). Il prévoit que ses dispositions relatives à l’élimination des droits de douane et des restrictions quantitatives (ci-après le « régime préférentiel ») s’appliquent également aux marchandises obtenues dans la Communauté ou en Turquie dans la fabrication desquelles sont entrés des produits en provenance de pays tiers qui ne se trouvaient en libre pratique ni dans la Communauté ni en Turquie. Il est toutefois stipulé que l’admission desdites marchandises au bénéfice du régime préférentiel est subordonnée à la perception, dans l’État d’exportation, d’un prélèvement compensateur dont le taux est égal à un pourcentage des droits du tarif douanier commun prévus pour les produits de pays tiers entrés dans leur fabrication (ci-après le « prélèvement compensateur ») (voir article 3 du protocole additionnel).

3        Par décision n° 5/72, du 29 décembre 1972, relative aux méthodes de coopération administrative pour l’application des articles 2 et 3 du protocole additionnel à l’accord d’Ankara (JO 1973, L 59, p. 74), le conseil d’association a conditionné l’obtention du régime préférentiel à la présentation d’un titre justificatif délivré à la demande de l’exportateur par les autorités douanières de la République de Turquie ou d’un État membre. Ce titre justificatif est le certificat de circulation des marchandises A.TR.1 (ci-après le « certificat A.TR.1 »). Il est octroyé pour les marchandises obtenues dans l’État d’exportation et dans la fabrication desquelles sont entrés des produits qui n’ont pas été soumis aux droits de douane et taxes d’effet équivalent qui leur étaient applicables ou qui ont bénéficié d’une ristourne totale ou partielle de ces droits ou taxes, sous réserve que soit perçu, s’il y a lieu, le prélèvement prévu à leur égard [voir le formulaire annexé à la décision du conseil d’association n° 1/78, du 18 juillet 1978, modifiant la décision n° 5/72 (JO L 253, p. 2)].

4        Depuis 1991 et jusqu’au début de l’année 1994, des téléviseurs couleur fabriqués en Turquie ont été importés dans la Communauté à l’aide de certificats A.TR.1, de sorte qu’ils ont bénéficié de l’exonération des droits de douane prévue par l’accord d’association et le protocole additionnel.

5        À la suite d’un certain nombre de plaintes et de communications d’irrégularités, la Commission a procédé, du 18 octobre au 9 novembre 1993, à une mission de vérification en Turquie.

6        À l’occasion de cette mission, il a été constaté que les autorités turques authentifiaient les certificats A.TR.1 sans qu’aucun droit compensateur ne soit perçu.

7        La Commission a dès lors conclu dans le rapport de mission que les certificats présentés étaient invalides et que les téléviseurs couleur fabriqués en Turquie dont les composants étaient d’origine tierce ne pouvaient pas bénéficier du régime de la libre circulation lors de leur importation dans la Communauté.

8        Par ailleurs, jusqu’au 15 janvier 1994, le gouvernement turc n’avait pas instauré de réglementation prévoyant la perception, en conformité avec le protocole additionnel, d’un prélèvement compensateur pour les marchandises obtenues à partir de composants d’origine tierce qui n’avaient pas été mis en libre pratique en Turquie. Au contraire, le gouvernement turc avait instauré un programme d’aide à l’exportation et adopté, en juin 1992, deux décrets ayant trait, l’un, à la perception d’un droit compensateur s’il ressortissait d’un examen technique spécifique de la chambre de commerce que la valeur des composants venant de pays tiers excédait 56 % de la valeur totale des téléviseurs et, l’autre, à la suspension des droits à l’importation sur les tubes cathodiques destinés aux téléviseurs couleur importés en Turquie.

9        Le 12 janvier 1994, le gouvernement turc a adopté le décret n° 94/5168 prévoyant la perception d’un prélèvement compensateur sur les composants originaires de pays tiers incorporés dans des téléviseurs couleur destinés à la Communauté. Le taux du prélèvement correspondait au taux prévu par le tarif douanier commun pour ce genre de produit.

10      Le 27 septembre 1994, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 2376/94 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations d’appareils récepteurs de télévision en couleurs originaires de Malaisie, de la république populaire de Chine, de la république de Corée, de Singapour et de Thaïlande (JO L 255, p. 50). Ledit règlement a été adopté à la suite d’une enquête sur des pratiques antidumping concernant les importations dans la Communauté de téléviseurs couleur exportés ou originaires de Malaisie, de Chine, de Corée du Sud, de Singapour, de Thaïlande et de Turquie pendant la période comprise entre le 1er juillet 1991 et le 30 juin 1992. Dans les considérants de ce règlement, la Commission a estimé qu’il n’existait pas d’éléments suffisants pour justifier l’institution de mesures provisoires contre la République de Turquie.

11      Le 27 mars 1995, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 710/95 instituant un droit antidumping définitif sur les importations d’appareils récepteurs de télévision en couleurs originaires de Malaisie, de la république populaire de Chine, de la république de Corée, de Singapour et de Thaïlande et portant perception définitive du droit provisoire (JO L 73, p. 3). Dans les considérants dudit règlement, le Conseil a indiqué avoir fait une nouvelle analyse de la situation des exportations de téléviseurs couleur originaires de Turquie et a confirmé les faits établis à l’occasion de la détermination provisoire. Partant, l’importation desdits téléviseurs provenant de Turquie n’a pas été soumise à des droits antidumping.

12      Le 22 décembre 1995, le conseil d’association a adopté la décision n° 1/95 relative à la mise en place de la phase définitive de l’union douanière (JO 1996, L 35, p. 1). En application de cette décision, les droits de douane à l’importation ou à l’exportation ainsi que les taxes d’effet équivalent à un droit de douane sont totalement supprimés entre la Communauté et la République de Turquie à la date d’entrée en vigueur.

13      Le 10 mai 2001, le Tribunal a rendu un arrêt dans les affaires jointes Kaufring e.a./Commission dans lequel il a, notamment, jugé que la Commission avait commis de graves manquements dans le cadre de son contrôle de l’application de l’accord d’association et du protocole additionnel qui ont contribué à la survenance des irrégularités lors de l’importation des téléviseurs couleur en provenance de Turquie durant les années 1991 à 1993 et au début de l’année 1994 (arrêt du Tribunal du 10 mai 2001, Kaufring e.a./Commission, T‑186/97, T‑187/97, T‑190/97 à T‑192/97, T‑210/97, T‑211/97, T‑216/97 à T‑218/97, T‑279/97, T‑280/97, T‑293/97 et T‑147/99, Rec. p. II‑1337, points 1, 7, 25 et 257 à 273).

14      Le 28 septembre 2001, la Commission a adopté la décision 2001/725/CE clôturant la procédure antidumping concernant les importations de récepteurs de télévision en couleurs originaires de Turquie (JO L 272, p. 37). Cette décision faisait suite à une plainte introduite en juin 2000 par les Producers of European Television in Cooperation (Poetic) dans laquelle les principaux producteurs d’appareils de télévision européens considéraient que les importations dans la Communauté de téléviseurs couleur originaires de Turquie faisaient l’objet d’un dumping préjudiciable. Dans ladite décision, la Commission a indiqué que, en application des règles antidumping en vigueur, tous les téléviseurs couleur exportés vers la Communauté entre le 1er juillet 1999 et le 30 juin 2000 étaient d’une origine autre que turque et a clos la procédure antidumping concernant les importations de téléviseurs couleur originaires de Turquie sans instituer de mesures.

15      Le 14 août 2002, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1531/2002 instituant un droit antidumping définitif sur les importations d’appareils récepteurs de télévision en couleurs originaires de la République populaire de Chine, de la République de Corée, de Malaisie et de Thaïlande et clôturant la procédure concernant les importations d’appareils récepteurs de télévision en couleurs originaires de Singapour (JO L 231, p. 1). Ledit règlement a été adopté après que Poetic a demandé un réexamen au titre de l’expiration des mesures antidumping en vigueur sur les importations de téléviseurs couleur originaires de Chine, de Corée du Sud, de Malaisie et de Thaïlande. L’enquête sur le dumping pour les enquêtes de réexamen a couvert la période du 1er janvier au 31 décembre 1999. L’enquête sur le dumping a couvert la période du 1er juillet 1999 au 30 juin 2000 en ce qui concerne la procédure antidumping contre la Turquie (voir considérants 5 et 18 du règlement n° 1531/2002).

16      Dans le règlement n° 1531/2002, le Conseil a précisé que, même si, dans la décision 2001/725, tous les téléviseurs couleur exportés de Turquie vers la Communauté pendant la période d’enquête avaient été déclarés d’origine turque, lors de l’enquête ayant conduit à l’adoption dudit règlement, toutes les sociétés turques ont déclaré que leurs téléviseurs couleur n’étaient pas d’origine turque. En outre, le Conseil a indiqué que l’origine des téléviseurs couleur était, dans la pratique, déterminée par l’origine de leur tube cathodique et que la Turquie ne produisait pas de tubes cathodiques pour des téléviseurs couleur, mais les importait tous. Par conséquent, le Conseil a indiqué que, pour les téléviseurs couleur exportés de Turquie et originaires de pays pour lesquels les mesures antidumping en vigueur faisaient l’objet du présent réexamen (Chine, Corée du Sud et Malaisie), les quantités exportées de Turquie vers la Communauté avaient été considérées comme relatives à des téléviseurs couleur originaires de ces pays.

17      Enfin, le règlement n° 1531/2002 reprend, dans la liste des téléviseurs couleur originaires de Malaisie et de Corée du Sud soumis à des droits antidumping, ceux fabriqués par des sociétés turques.

18      Le 25 mai 2004, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a adopté un rapport final à la suite d’une enquête dont l’objectif principal était d’établir la véritable origine des téléviseurs couleur provenant de Turquie. Cette enquête a été entreprise à la suite d’une plainte déposée en septembre 2001 par Poetic au motif que les téléviseurs couleur originaires de Chine et de Corée du Sud étaient frauduleusement déclarés comme originaires de Turquie, avec pour conséquence d’éluder les droits antidumping imposés par la Communauté.

19      Dans son rapport final du 25 mai 2004, l’OLAF a constaté que, au moins jusqu’en octobre 2001, certains producteurs turcs avaient utilisé des tubes cathodiques chinois ou coréens lors de l’assemblage de leurs téléviseurs couleur. Il a également estimé que cette pratique avait perduré après cette date, puisqu’il a fait état de la faible utilisation par lesdits producteurs des tubes cathodiques chinois ou coréens lors de l’assemblage de leurs téléviseurs couleur après la publication des résultats de l’enquête antidumping en octobre 2001.

20      Par ailleurs, l’OLAF a indiqué que la Turquie avait retardé les enquêtes douanières et les demandes d’assistance mutuelle et que son comportement impliquait une « inexécution des obligations en matière de collaboration découlant d’un accord international ».

21      Enfin, l’OLAF a précisé que les plaintes de Poetic trouvaient une « confirmation » dans les conclusions de la procédure antidumping et que, au cours de l’enquête antidumping, les producteurs turcs avaient accepté les résultats, parce que « cette issue était avantageuse pour les sociétés », dès lors qu’aucun droit antidumping n’était imposé aux téléviseurs couleur originaires de Turquie, puisque les téléviseurs assemblés dans ce pays devaient être considérés comme originaires de pays tiers en raison de leurs composantes.

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal, le 26 mai 2009, la requérante a introduit le présent recours. Elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la défenderesse à lui verser la somme de 156 208 915,03 euros à titre d’indemnité à majorer des intérêts au taux légal à compter de la déclaration de faillite ou, subsidiairement, à tout autre montant que le Tribunal jugera approprié ;

–        condamner la défenderesse aux dépens.

23      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 31 août 2009, la défenderesse a soulevé une exception d’irrecevabilité en application de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Elle a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal de déclarer le recours manifestement irrecevable ou, à titre subsidiaire, de déclarer le recours irrecevable et de condamner la requérante aux dépens.

24      La requérante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité le 9 octobre 2009 et a demandé au Tribunal, en substance, de la rejeter.

 En droit

25      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

26      En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

27      Par le présent recours, la requérante demande à la Communauté une indemnisation pour le préjudice que la Commission lui aurait causé par ses manquements dans le cadre de l’exécution de l’accord d’association.

28      Premièrement, en ce qui concerne les graves manquements à l’obligation de la Commission de contrôler l’application par les autorités turques de l’accord d’association et du protocole additionnel qui ont été constatés, jusqu’au début de l’année 1994, par le Tribunal dans l’arrêt Kaufring e.a./Commission, point 13 supra (points 257 à 269), la requérante estime, en substance, qu’ils ont perduré de façon continue après le début de l’année 1994. Ainsi, après la réalisation complète de l’union douanière entre la Communauté et la République de Turquie en 1995, cette dernière aurait continué à ne pas percevoir les droits de douane applicables aux produits en provenance des pays tiers utilisés dans la fabrication de téléviseurs et à permettre que soient certifiés d’origine turque des téléviseurs qui ne l’étaient pas au regard des règles du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1), et la Commission aurait continué à s’abstenir de mettre en place les contrôles et les vérifications de l’application correcte de la législation douanière par les autorités turques. Cette abstention de la Commission violerait l’accord d’association, la décision n° 1/95 du conseil d’association, l’article 211 CE, le principe de diligence et le principe de confiance légitime.

29      De plus, la requérante estime, en substance, que la Commission a appliqué de façon erronée les règles en matière de dumping et a manqué à son devoir de diligence en n’imposant pas dans la décision 2001/725 de droits provisoires sur les téléviseurs importés de Turquie et en ne soumettant les téléviseurs à des droits qu’un an plus tard en adoptant le règlement n° 1531/2002.

30      Deuxièmement, la requérante soutient, en substance, que les manquements de la Commission sont la cause de sa perte progressive et anormale de parts importantes du marché, de la perte de valeur de son fonds de commerce et de la perte définitive de sa clientèle, avec pour conséquence sa mise en liquidation.

31      Troisièmement, la requérante considère, en substance, que la perte matérielle et le manque à gagner causés par les manquements de la Commission doivent être évalués par un expert, mais s’élèvent, au jour du dépôt de la requête, à 156 208 915,03 euros.

32      La défenderesse estime que le recours en indemnité de la requérante est prescrit car celui-ci a été introduit environ quinze années après la réalisation des conditions dont découle la responsabilité non contractuelle de la Communauté et non dans un délai de cinq années comme le requiert l’article 46 du statut de la Cour de justice. Partant, la défenderesse estime que ledit recours est irrecevable.

33      La requérante conteste que le recours en indemnité soit prescrit.

34      À titre principal, la requérante fait valoir que le dommage s’est réalisé le 29 décembre 2004, date de la déclaration de faillite, et que le recours en indemnité a été introduit dans le délai de cinq années à compter de cette date.

35      La requérante estime, en substance, que la Commission dénature la requête en considérant que celle-ci ne comporte pas de griefs à l’encontre de la Commission pour des comportements postérieurs à 1994 ou à 2002, date de l’adoption du règlement n° 1531/2002. Elle soutient que, dans la requête, elle fait principalement, même si ce n’est pas exclusivement, grief à la Commission de n’avoir jamais mis en place les contrôles requis. Les omissions reprochées seraient ainsi continues et n’auraient jamais cessé jusqu’au 29 décembre 2004, date de la déclaration d’insolvabilité de la requérante. Cette absence continue de contrôles serait démontrée par les réponses de la Commission du 22 août 2006 et du 25 avril 2007 à des questions parlementaires, desquelles il apparaîtrait que, à cette époque, aucune initiative n’avait été prise à l’égard des violations commises par la République de Turquie de l’accord d’association et de ses mesures d’exécution.

36      À titre subsidiaire, la requérante estime que, s’il devait être considéré que son dommage est un dommage continu, seules les cinq dernières années précédant l’introduction du recours en indemnité devraient être prises en compte, de sorte que ledit recours ne serait pas prescrit pour le préjudice qu’elle a subi entre le 26 mai et le 29 décembre 2004.

37      La requérante conteste que le principe selon lequel la prescription s’applique à la période antérieure de plus de cinq ans à la date de l’acte interruptif ne puisse lui être appliqué au motif que le dommage qu’elle a subi ne résulte pas du maintien en vigueur d’un acte illégal.

38      En premier lieu, la requérante rappelle que le préjudice qu’elle invoque consiste essentiellement dans le fait qu’elle a été déclarée en faillite le 29 décembre 2004. Le damnum emergens et le lucrum cessans subis au cours des années présenteraient seulement un rapport de causalité avec sa mise en liquidation et sa mise en faillite. Le dommage serait dès lors certain et irréparable. En outre, il se serait concrétisé à la suite de la déclaration de faillite. L’évaluation des dommages sur une base annuelle n’interviendrait qu’aux fins de leur quantification.

39      Selon la requérante, cette appréciation ne peut être remise en cause par l’arrêt de la Cour du 17 juillet 2008, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a. (C‑51/05 P, Rec. p. I‑5341, points 59 et suivants), selon lequel le point de départ du délai de prescription doit être fondé sur des critères objectifs. Cette jurisprudence ne consacrerait pas un principe général. En outre, elle aurait pour objet un cas de responsabilité au titre d’actes de portée générale, dans lequel les exigences de sécurité juridique qui servent de fondement à la solution adoptée sont plus marquées. En l’espèce, en revanche, le dommage ne résulterait pas de comportements actifs, mais d’un comportement purement passif et il ne serait pas raisonnable d’attendre d’un opérateur économique diligent qu’il accepte que la perte de marchés au profit de producteurs étrangers soit imputable à la violation d’obligations de ce type par la Commission. Partant, ladite jurisprudence ne serait pas applicable au cas d’espèce. La requérante fait également valoir que ce n’est qu’après la déclaration de faillite que les organes chargés de l’administrer ont pu se rendre compte des causes effectives de son appauvrissement patrimonial. Raisonner autrement viderait de sa substance l’effectivité de la protection juridictionnelle qui est à la disposition des particuliers.

40      En revanche, la requérante estime que s’applique sans conteste en l’espèce le principe selon lequel l’article 46 du statut de la Cour doit être interprété en ce sens que la prescription ne saurait être opposée à la victime d’un dommage qui n’aurait pu prendre connaissance du fait générateur de ce dommage qu’à une date tardive et n’aurait pu disposer ainsi d’un délai raisonnable pour présenter la requête ou la demande avant l’expiration du délai de prescription (arrêt de la Cour du 7 novembre 1985, Adams/Commission, 53/84, Rec. p. 3595, point 50).

41      Enfin, la requérante rappelle qu’il incombe à la Communauté de réparer, conformément aux principes généraux des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions. Or, dans le cadre d’un « droit incontestablement important » tel que le droit italien, la tendance en matière de prescription serait exactement celle indiquée au point précédent (arrêt de la Corte di Cassazione du 2 février 2007, n° 2305).

42      Partant, la requérante estime que son dommage s’est produit le 29 décembre 2004, date de la déclaration de sa faillite, et que, à supposer même qu’il se soit produit à un moment antérieur, la date à partir de laquelle courrait le délai de prescription serait toujours le 29 décembre 2004.

43      En second lieu, la requérante considère que, même si le dommage devait être considéré comme continu, le recours en indemnité ne serait pas prescrit en ce qui concerne les dommages qu’elle a subis entre le 26 mai et le 29 décembre 2004.

44      D’une part, la requérante estime qu’il ne peut être déduit des arrêts du Tribunal du 9 décembre 1997, Quiller et Heusmann/Conseil et Commission (T‑195/94 et T‑202/94, Rec. p. II‑2247), et du 11 janvier 2002, Biret International/Conseil (T‑174/00, Rec. p. II‑17), un principe selon lequel la prescription est concrètement acquise en raison du fait que le dommage n’a pas été causé par le maintien en vigueur d’un acte illégal. Ces arrêts ne feraient qu’expliquer les circonstances de fait des affaires en question.

45      D’autre part, la requérante estime que, même s’il pouvait être déduit de ces arrêts un tel principe, il n’en resterait pas moins que son application au cas d’espèce serait totalement inappropriée, parce que la responsabilité de la Communauté ne découlerait pas d’un acte de portée générale, mais d’un comportement passif, consistant en des omissions. Par conséquent, il ne saurait lui être reproché de ne pas identifier de comportements ou d’actes illégaux de la Commission et d’en tirer la conséquence que l’acte interruptif de la prescription, à savoir la requête, serait inapte à préserver les droits nés dans la période postérieure aux cinq ans qui précèdent la date de la requête, jusqu’à l’épuisement de tout dommage.

 Appréciation du Tribunal

46      Aux termes de l’article 46 du statut de la Cour, « les actions contre la Communauté en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est interrompue uniquement par une requête formée devant la Cour ou une demande préalable de dédommagement adressée à l’institution compétente des Communautés ».

47      Le délai de prescription prévu à l’article 46 du statut de la Cour ne saurait commencer à courir avant que ne soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation (arrêt du Tribunal du 16 avril 1997, Hartmann/Conseil et Commission, T-20/94, Rec. p. II-595, point 107). En application de l’article 288, deuxième alinéa, CE, ces conditions sont relatives à l’existence d’un comportement illégal des institutions, à la réalité du dommage allégué et à l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 18 juillet 2002, Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, C‑136/01 P, Rec. p. I‑6565, point 29, et la jurisprudence y citée).

48      Tel que cela a été constaté par une jurisprudence constante, le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle ne saurait commencer à courir, notamment, avant que le dommage à réparer ne soit concrétisé, c’est-à-dire avant que les effets dommageables de cet acte ne se soient produits. Partant, ce délai ne saurait commencer à courir avant le moment où les intéressés ont dû subir un préjudice certain [voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 10, du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec. p. I‑2941, points 29 et 30, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., point 39 supra, point 54, et du 11 juin 2009, Transports Schiocchet – Excursions/Commission, C‑335/08 P, non publié au Recueil, point 33].

49      Ce moment doit être fondé sur des critères exclusivement objectifs et ne peut dépendre de la perception qu’une partie prétendument lésée a eu des effets dommageables d’un acte. En effet, s’il en allait différemment, cela risquerait de porter atteinte au principe de sécurité juridique sur lequel s’appuient précisément les règles de prescription et qui exige que les règles du droit communautaire soient claires et précises, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique communautaire (voir, en ce sens, arrêt Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., point 39 supra, points 59 et 62).

50      Enfin, lorsque le préjudice n’a pas été causé instantanément, mais s’est poursuivi quotidiennement pendant une certaine période, du fait du maintien en vigueur d’un acte illégal, la prescription prévue par l’article 46 du statut de la Cour s’applique, en fonction de la date de l’acte interruptif, à la période antérieure de plus de cinq ans à cette date, sans affecter les droits nés au cours des périodes postérieures (arrêts Hartmann/Conseil et Commission, point 47 supra, point 132, et Biret International/Conseil, point 44 supra, point 41).

51      C’est au regard de ces principes qu’il convient de déterminer, en l’espèce, la date à laquelle le délai de prescription, au sens de l’article 46 du statut de la Cour, a commencé à courir.

52      La requérante estime que, d’une part, le manque de surveillance par la Commission du respect des règles prévues par l’accord d’association, par le protocole additionnel et par la décision n° 1/95 en matière de perception de droits de douane lors de l’importation de téléviseurs couleur en provenance de Turquie et, d’autre part, la non-imposition de droits antidumping dans la décision n° 2001/725 constituent des illégalités et sont à l’origine des dommages qu’elle a encourus. Ces dommages correspondraient à la perte de parts de marché, à la perte de la valeur de son fonds de commerce, à la perte définitive de clientèle et à la perte de recettes à cause de la concurrence déloyale. Ces dommages se seraient produits le 29 décembre 2004, date à laquelle elle aurait été déclarée en faillite, car ce serait à partir de cette date que les organes chargés d’administrer sa faillite auraient pu se rendre compte des causes effectives de l’appauvrissement patrimonial et, partant, que le dommage se serait pleinement matérialisé. Dès lors, le délai de prescription, au sens de l’article 46 du statut de la Cour, aurait commencé à courir le 19 décembre 2004.

53      À cet égard, il convient d’observer qu’un manque de surveillance par la Commission, à le supposer établi, est, en principe, susceptible d’affaiblir la situation concurrentielle de la requérante, dès lors que pouvaient être mis sur le marché européen des téléviseurs importés de Turquie à des prix inférieurs à ceux qui auraient été pratiqués si des droits de douane avaient été perçus lors de leur importation. Un tel manque de surveillance aurait donc pu, dans un premier temps, entraîner une baisse des ventes des téléviseurs couleur de la requérante se traduisant par une perte de parts de marché et/ou une perte de revenus. Toutefois, sa faillite ne pourrait être que la conséquence ultime de ces pertes, ce que la requérante reconnaît dans la requête, puisqu’elle indique que « les raisons de [son] insolvabilité […] sont à imputer à l’acquisition progressive de parts de marché de plus en plus importantes par certains producteurs de téléviseurs couleur de nationalité turque […], grâce à une politique de prix à la limite du dumping social ».

54      Par conséquent, il importe de déterminer à partir de quel moment une perte de revenus s’est produite pour la requérante en raison des prétendus manquements commis par la Commission dans la surveillance de l’application des règles de l’accord d’association et de ses mesures d’exécution.

55      À cet égard, il convient de considérer s’agissant de la perte de revenus alléguée par la requérante qu’elle ne pourrait s’être réalisée qu’à compter du moment où celle-ci a vu ses ventes de téléviseurs couleur baisser à la suite de la mise sur le marché et de la vente de téléviseurs couleur importés de Turquie de façon irrégulière. En effet, ce n’est qu’à partir de ce moment que le prétendu préjudice aurait pu se matérialiser objectivement dans le patrimoine de la requérante et qu’il pourrait être considéré comme certain.

56      Or, s’il peut être considéré sur la base de l’arrêt Kaufring e.a./Conseil, point 13 supra, du règlement n° 1531/2002, du rapport de l’OLAF du 25 mai 2004 et de la réponse de la Commission à une question parlementaire du 25 avril 2007 que, jusqu’en 2002, des téléviseurs importés de Turquie ont été mis sur le marché communautaire à la suite de leur importation de façon irrégulière, la requérante n’a pas avancé d’éléments permettant de soutenir qu’après l’année 2002 des téléviseurs couleur originaires de Turquie ont été importés de façon irrégulière dans la Communauté.

57      Par ailleurs, dans son rapport d’enquête du 25 mai 2004, l’OLAF a indiqué que les sociétés turques ont très peu utilisé des tubes cathodiques provenant de Chine et de Corée du Sud depuis la publication de l’enquête antidumping d’octobre 2001 et que, concernant un des producteurs turcs de téléviseurs, il y avait lieu de conclure que, s’agissant des téléviseurs couleur exportés vers la Communauté entre 2000 et 2002, 1 070 000 téléviseurs étaient d’origine chinoise et 59 000 téléviseurs étaient d’origine sud-coréenne, étant donné que le tube cathodique était un élément décisif pour la détermination de l’origine desdits téléviseurs. Toutefois, ces indications ne sont de nature à démontrer ni des importations irrégulières de téléviseurs originaires de Turquie après l’année 2002 ni la date jusqu’à laquelle de telles importations ont eu lieu.

58      En outre, dans ses réponses aux questions parlementaires du 22 août 2006 et du 25 avril 2007, la Commission a indiqué que l’enquête de l’OLAF concernait l’importation au sein de la Communauté pour la période comprise entre janvier 2000 et août 2002 et que, à partir de cette dernière date, la République de Turquie et elle-même ont fait des progrès significatifs en ce qui concerne le fonctionnement de l’union douanière entre la Communauté et la République de Turquie. De plus, la Commission a assuré à l’intervenant parlementaire que ces progrès contribuaient à résoudre les carences reconnues par le Tribunal dans l’arrêt Kaufring e.a./Commission, point 13 supra. Contrairement à ce que prétend la requérante, ces réponses ne permettent pas d’étayer l’affirmation selon laquelle, à cette époque, aucune initiative n’avait été prise à l’égard des violations commises par la République de Turquie de l’accord d’association et de ses mesures d’exécution. En outre, à supposer même que la Commission ait manqué à ses obligations de surveillance après 2002, cela ne suffit pas à établir que des téléviseurs couleur originaires de Turquie ont été importés de façon irrégulière dans la Communauté après cette date.

59      Enfin, s’agissant du rapport d’expertise annexé à la requête pour illustrer quel serait le résultat net de la requérante en cas de respect des obligations douanières par les producteurs turcs, qui serait directement proportionnel au pourcentage moyen des droits qui auraient été éludés en l’absence de contrôle par la Commission, il y a lieu d’observer qu’il ne contient aucun élément permettant d’étayer l’affirmation de la requérante selon laquelle des téléviseurs ont été importés de façon irrégulière de Turquie et mis sur le marché européen après 2002. En effet, il ne contient que des extrapolations permettant de faire une approximation du manque à gagner de la requérante en raison de telles importations pour les années 1995 à 2004 et n’indique pas sur quelle base il devrait être considéré que ces importations ont eu lieu.

60      Par ailleurs, en ce que la requérante invoque, comme illégalité imputable à la Commission, l’absence d’imposition de droits antidumping dans l’adoption de la décision 2001/725 à la suite de l’enquête antidumping de 1999-2000, il convient d’observer que la prétendue illégalité aurait eu lieu le 28 septembre 2001, date de l’adoption de ladite décision. Il s’ensuit que cette prétendue illégalité aurait pu produire ses effets tant que la Commission n’imposait pas de droits antidumping sur les téléviseurs importés de Turquie.

61      Toutefois, comme le reconnaît la requérante, le règlement n° 1531/2002, qui est entré en vigueur le 30 août 2002, a imposé aux producteurs turcs des droits antidumping. Par conséquent, la prétendue illégalité commise par la Commission ne pourrait avoir eu des effets que pendant la période comprise entre le 28 septembre 2001 et le 30 août 2002. En outre, même si la prétendue illégalité avait pu avoir des conséquences dommageables pour la requérante, lesdites conséquences consisteraient en la mise sur le marché communautaire de téléviseurs couleur importés de Turquie sans imposition de droits antidumping affectant sa position concurrentielle. Or, la requérante n’avance aucun élément concret permettant d’établir que de telles mises sur le marché ont eu lieu après le 30 août 2002. À défaut de tels éléments, il ne peut être donc considéré que les dommages prétendument causés par l’illégalité alléguée par la requérante ont perduré au-delà de cette date.

62      En outre, en l’absence de démonstration par la requérante que des téléviseurs importés de Turquie ont été mis sur le marché communautaire de façon irrégulière après l’année 2002, il ne saurait être considéré que la requérante a pu subir un préjudice continu jusqu’à la date à laquelle elle a été déclarée en faillite, soit le 29 décembre 2004.

63      Force est donc de constater que le présent recours en indemnité, qui a été introduit le 26 mai 2009, l’a été plus de cinq ans à compter de la survenance des faits qui y ont donné lieu, au sens de l’article 46 du statut de la Cour.

64      Il s’ensuit que l’action de la requérante contre la Communauté en matière de responsabilité non contractuelle est prescrite et que le présent recours doit donc être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

65      En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

66      La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Formenti Seleco SpA est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 19 mai 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Azizi


* Langue de procédure : l’italien.