Language of document : ECLI:EU:T:2018:90

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

21 février 2018 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation de motivation – Base juridique – Base factuelle – Erreur manifeste d’appréciation – Droits de la défense – Droit de propriété – Droit à la réputation – Proportionnalité – Protection des droits fondamentaux équivalente à celle garantie dans l’Union – Exception d’illégalité »

Dans l’affaire T‑731/15,

Sergiy Klyuyev, demeurant à Donetsk (Ukraine), représenté par MM. R. Gherson, T. Garner, solicitors, B. Kennelly, QC, et J. Pobjoy, barrister,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. Á. de Elera-San Miguel Hurtado et J.-P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2015/1781 du Conseil, du 5 octobre 2015, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2015, L 259, p. 23), et du règlement d’exécution (UE) 2015/1777 du Conseil, du 5 octobre 2015, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2015, L 259, p. 3), deuxièmement, de la décision (PESC) 2016/318 du Conseil, du 4 mars 2016, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 76), et du règlement d’exécution (UE) 2016/311 du Conseil, du 4 mars 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 1), et, troisièmement, de la décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 34), et du règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 1), dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 28 juin 2017,

rend le présent

Arrêt (1)

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine).

2        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

3        Le requérant, M. Sergiy Klyuyev, est un homme d’affaires ukrainien ainsi que le frère de M. Andriy Klyuyev, l’ancien chef de l’administration du président ukrainien. Il est également membre de la Verkhovna Rada (Parlement ukrainien).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil a [décidé] d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. » 

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 apparaissent sur la liste, identique, figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste avec les informations d’identification « homme d’affaires, frère de M. [Andriy Klyuyev] » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous la référence T‑341/14, ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2014/119 et du règlement no 208/2014, en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel des fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :  

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

14      La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés ultérieurement, respectivement, par la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015 (JO 2015, L 62, p. 25), et par le règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1). La décision 2015/364 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 juin 2015. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par la décision 2015/364 et le règlement d’exécution 2015/357, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « frère de M. [Andriy Klyuyev], homme d’affaires » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds ou d’avoirs publics et dans l’abus de pouvoir en qualité de titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou les avoirs publics ukrainiens. Personne liée à une personne désignée [Andriy Petrovych Klyuyev] faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Le 5 juin 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/876, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 142, p. 30), et le règlement d’exécution (UE) 2015/869, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 142, p. 1). La décision 2015/876 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 octobre 2015, et, d’autre part, modifié l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/869 a modifié en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

17      Par la décision 2015/876 et le règlement d’exécution 2015/869, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « frère de M. [Andriy Klyuyev], homme d’affaires » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds publics. Personne liée à une personne désignée [Andriy Petrovych Klyuyev] faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

18      Par lettre du 31 juillet 2015,le Conseil a communiqué au requérant une lettre, datée du 26 juin 2015,[confidentiel](2). Dans cette lettre, le Conseil a informé le requérant qu’il entendait maintenir les mesures restrictives à son égard, en lui précisant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations à cet égard. Par lettre du 31 août 2015, le requérant a présenté ses observations.

19      Le 5 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1781, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 259, p. 23), et le règlement d’exécution (UE) 2015/1777, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 259, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes d’octobre 2015 »). La décision 2015/1781 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, modifié l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/1777 a modifié en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

20      Par la décision 2015/1781 et le règlement d’exécution 2015/1777, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « frère de M. [Andriy Klyuyev], homme d’affaires » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds ou d’avoirs publics. Personne liée à une personne désignée [Andriy Petrovych Klyuyev] faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

21      Par lettre du 6 octobre 2015, le Conseil a transmis aux avocats du requérant une copie des actes d’octobre 2015, en les informant du maintien du nom du requérant sur la liste et en répondant à leurs observations en date du 31 août 2015. En outre, le Conseil a annexé à ce courrier une autre lettre [confidentiel] datée du 3 septembre 2015.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

22      Par lettre du 15 décembre 2015, le Conseil a communiqué au requérant une lettre [confidentiel] datée du 1er décembre 2015, en lui indiquant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations à cet égard.

23      Par arrêt du 28 janvier 2016, Klyuyev/Conseil (T‑341/14, EU:T:2016:47), le Tribunal a annulé la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, en ce qu’ils concernaient le requérant.

24      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

25      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives a été prorogée, notamment en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de sa désignation ait été modifiée par rapport à celle des actes d’octobre 2015.

26      Par courrier du 7 mars 2016, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a également répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes de mars 2016.

27      Par lettre du 12 décembre 2016, le Conseil a informé les avocats du requérant qu’il envisageait de renouveler les mesures restrictives à l’égard de ce dernier et a annexé deux lettres [confidentiel], l’une datée du 25 juillet 2016et l’autre datée du 16 novembre 2016 (ci-après les « lettres des 25 juillet et 16 novembre 2016 »), en rappelant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations en vue du réexamen annuel des mesures restrictives. Le requérant a présenté de telles observations au Conseil par lettre du 12 janvier 2017.

28      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

29      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives a été prorogée, notamment en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de sa désignation ait été modifiée par rapport à celle des actes d’octobre 2015 et de mars 2016.

30      Par courrier du 6 mars 2017, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a également répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes de mars 2017. Il a également indiqué le délai pour lui présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Procédure et conclusions des parties

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 2015, le requérant a introduit le présent recours.

32      Le 9 mars 2016, le Conseil a déposé le mémoire en défense. Le même jour, il a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certaines annexes de la requête ainsi que celui d’une annexe au mémoire en défense ne soient pas cités dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public avait accès.

33      La réplique a été déposée le 29 avril 2016.

34      Le 13 mai 2016, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, le requérant a présenté un premier mémoire en adaptation afin de demander également l’annulation des actes de mars 2016, en tant qu’ils le concernaient.

35      La duplique a été déposée le 27 juin 2016.

36      Le 5 juillet 2016, le Conseil a présenté des observations relatives au premier mémoire en adaptation. 

37      La phase écrite de la procédure a été close le 11 juillet 2016.

38      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 juillet 2016, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

39      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle, par conséquent, la présente affaire a été attribuée.

40      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

41      Par lettre du 24 février 2017, le requérant a demandé le report de l’audience fixée au 6 avril 2017. Le 1er mars 2017, le président de la sixième chambre du Tribunal a accueilli cette demande et a décidé de reporter l’audience au 18 mai 2017.

42      Le 4 mai 2017, le requérant a déposé un second mémoire en adaptation, afin de demander l’annulation des actes de mars 2017, en tant qu’ils le concernaient.

43      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 2017, le Conseil a demandé, d’une part, une prorogation du délai pour le dépôt des observations relatives au second mémoire en adaptation et, d’autre part, le cas échéant, le report de l’audience fixée au 18 mai 2017. Le 10 mai 2017, le président de la sixième chambre du Tribunal a décidé de reporter l’audience au 28 juin 2017.

44      Le 14 juin 2017, le Conseil a présenté des observations relatives au second mémoire en adaptation.

45      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 15 juin 2017, le requérant a demandé, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, de verser au dossier une copie de la décision [confidentiel], en date du 5 mars 2016, de suspendre [confidentiel].

46      Le 16 juin 2017, le Conseil a présenté une demande analogue à celle visée au point 32 ci-dessus, visant à obtenir que le contenu de certaines annexes au second mémoire en adaptation et celui des observations relatives à ce mémoire ne soient pas cités dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public avait accès.

47      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 23 juin 2017, le Conseil a excipé de l’irrecevabilité de l’offre de preuve du requérant en ce qu’elle serait tardive.

48      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 juin 2017.

49      À la suite des première et seconde adaptations de la requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes d’octobre 2015, de mars 2016 et de mars 2017, en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

50      À la suite des précisions fournies lors de l’audience, en réponse à des questions du Tribunal, le Conseil conclut à ce qu’il plaise à ce dernier :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes de mars 2017 devaient être annulés en ce qui concerne le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2017/381 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/374 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation des actes d’octobre 2015 et de mars 2016, en ce qu’ils visent le requérant

51      À l’appui de son recours en annulation, dans la requête, le requérant a invoqué cinq moyens, tirés, le premier, de l’absence de base juridique, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le quatrième, de l’absence de motivation adéquate et, le cinquième, de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation. Lors de la première adaptation de la requête, il a également invoqué, à l’encontre des actes de mars 2016, un moyen qu’il a qualifié de nouveau et qui a trait à la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

52      À titre subsidiaire, le requérant a soulevé une exception d’illégalité, en vertu de l’article 277 TFUE, visant à ce que le critère de désignation prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (ci-après le « critère pertinent »), qui serait dépourvu de base légale appropriée ou serait disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis par les actes en cause, soit déclaré inapplicable à son égard.

53      Tout d’abord, il convient d’examiner le quatrième moyen, ensuite, le premier moyen et les autres moyens dans l’ordre qui figure dans la requête, puis le moyen soulevé dans la première adaptation de la requête et, enfin, l’exception d’illégalité soulevée par le requérant à titre subsidiaire.

[omissis]

 Sur le deuxième moyen, tiré, en substance, d’une erreur manifeste d’appréciation

86      Le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que le critère pertinent était satisfait en ce qui le concerne. À cet égard, il allègue que les déclarations [confidentiel], que le Conseil aurait acceptées sans examen préalable et sans tenir compte des inexactitudes relevées par le requérant, ne constituent pas une base factuelle suffisamment solide à cette fin, alors même qu’il incombait au Conseil d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre du requérant, en tenant compte des observations et des éléments à décharge produits par celui-ci.Selon lui, le Conseil était tenu de mener des vérifications supplémentaires ainsi que de solliciter la communication d’éléments de preuve additionnels auprès des autorités de l’État tiers. Ce serait d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de proroger des mesures restrictives. Il n’y aurait d’ailleurs aucune preuve que le requérant serait « lié » d’une manière quelconque à son frère, M. Andriy Klyuyev, et que celui-ci aurait été identifié comme responsable d’un détournement de fonds publics. Le fait qu’il soit un membre de sa famille ne suffirait pas. Par ailleurs, le requérant souligne que le Conseil l’a soumis à une succession de mesures restrictives d’une inhabituellement courte durée, ce qui serait révélateur de l’inquiétude de celui-ci au regard des moyens de preuve nécessaires pour justifier des mesures plus longues.

87      Tout d’abord, selon le requérant, les lettres des 26 juin et 3 septembre 2015, en ce qui concerne les actes d’octobre 2015, et la lettre du 1er décembre 2015, en ce qui concerne les actes de mars 2016, [confidentiel], sont les seuls éléments de preuve fournis par le Conseil et elles ne sont pas, à leur tour, étayées d’autres éléments de preuve précis et concrets. Le Conseil n’aurait d’ailleurs pas non plus apporté la preuve que les faits allégués [confidentiel] dans ces lettres étaient susceptibles de remettre en cause l’État de droit en Ukraine.

88      Le requérant soutient que, selon la jurisprudence, si l’existence d’une enquête pour détournement de fonds menée par des autorités nationales d’un État tiers peut être suffisante pour que le critère de désignation soit satisfait, encore faut-il que cette enquête s’inscrive dans un contexte judiciaire. À cet égard, [confidentiel] ne saurait être considéré comme une « autorité judiciaire ». Selon le requérant, si ce critère devait être interprété plus largement, d’une part, la personne concernée serait privée des garanties essentielles découlant de l’implication d’une autorité judiciaire et, d’autre part, cela équivaudrait à transférer aux autorités nationales ukrainiennes le pouvoir de sélectionner à leur gré les personnes devant être visées par les mesures restrictives en cause. [confidentiel].

89      En particulier, afin de prouver que l’information contenue dans la lettre du 3 septembre 2015, qui ne différerait pas de celle du 26 juin 2015, était inadéquate, le requérant s’appuie sur un avis juridique d’un professeur de droit de l’Université de Kiev, selon lequel les poursuites engagées à l’encontre du requérant ne seraient pas justifiables. S’appuyant surun autre avis juridique rendu par un autre professeur de droit, le requérant soutient également que [confidentiel] a commis de sérieuses violations de ses droits procéduraux dans le cadre de [confidentiel], ce qui ne permettrait pas, en vertu du code de procédure pénale ukrainien, de le qualifier de personne soumise à « une procédure pénale ». Selon le requérant, ces avis contiennent des éléments de preuve objectifs et détaillés qui auraient été facilement vérifiables par le Conseil.

90      En outre, le requérant met en exergue plusieurs imprécisions et fausses déclarations émises par [confidentiel], s’agissant des enquêtes le concernant, qui soulèvent des doutes sur la fiabilité de celui-ci. Dans un arrêt du 11 décembre 2014, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) aurait relevé, de manière incidente, dans le cadre d’une procédure concernant le gel des avoirs du requérant en Autriche, que les accusations soulevées à l’égard de ce dernier par les autorités ukrainiennes n’étaient pas suffisamment étayées et semblaient avoir été fondées sur des présomptions. Cela aurait été confirmé par une lettre émanant du bureau du procureur de Vienne, datée du 4 avril 2016, annonçant l’abandon des poursuites à l’égard du requérant.

91      D’ailleurs, un rapport qui relate une enquête indépendante sur les activités commerciales du requérant et de la société concernée par la procédure pénale réfuterait toutes les accusations formulées par [confidentiel]. De même, le rapport d’audit des activités financières et commerciales de ladite société, en date du 28 juillet 2014, effectué par l’Inspection financière d’État (IFE) de l’Ukraine pour la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 17 juin 2014, ne mentionnerait aucune violation de la législation ni aucune action fautive commise par cette société.

92      Ensuite, selon le requérant, le Conseil n’a pas tenu compte du fait que le nouveau gouvernement ukrainien portait atteinte, précisément, à l’État de droit et aux droits de l’homme, et ce tant en ce qui concerne spécifiquement le requérant que sur un plan plus général.

93      S’agissant de sa situation spécifique, le requérant fait valoir qu’il a été victime d’une persécution politique, les autorités ukrainiennes ayant ouvert des enquêtes injustifiées et abusives à son égard, et que ces dernières ont violé son droit à la présomption d’innocence. Les lettres [confidentiel] sur lesquelles le Conseil s’appuie prouveraient cette violation, [confidentiel] étant tenus eux aussi d’appliquer ce principe et de s’abstenir d’accuser publiquement des personnes poursuivies, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH.

94      Le requérant expose également les différentes étapes ayant précédé la décision de la Verkhovna Rada de lever son immunité et, s’appuyant, notamment, sur un avis juridique d’un autre professeur de droit, fait valoir, d’une part, que chacun des stades de la procédure de levée de l’immunité a été marqué par des irrégularités et, d’autre part, que la décision finale était illégale.

95      S’agissant de la situation générale en Ukraine, il fait valoir que le nouveau gouvernement a pris des mesures concrètes entravant le bon fonctionnement du système judiciaire dans ce pays et portant atteinte à l’État de droit. Plus particulièrement, ainsi que l’aurait reconnu le Haut-Commissaire des Nations Unies chargé de la mission d’observation des droits de l’homme en Ukraine (ci-après le « Haut-Commissaire »), dans un rapport concernant la période comprise entre le 16 février et le 15 mai 2015, les juges ukrainiens ne seraient pas indépendants et subiraient des menaces qui nuiraient à leur impartialité, notamment en ce qui concerne la poursuite de fonctionnaires du gouvernement antérieur. Des constatations similaires figureraient dans un rapport du département d’État des États-Unis d’Amérique portant sur la situation en Ukraine en 2015. D’ailleurs, le simple fait que l’Ukraine est partie à la CEDH ne suffirait pas pour garantir que les droits fondamentaux soient respectés dans ce pays.

96      En outre, le requérant se réfère à une loi ukrainienne d’octobre 2014, dite « loi de lustration », permettant de démettre de leurs fonctions au sein de l’administration certaines personnes, dont des juges et des procureurs, en raison de leur comportement passé, notamment lorsque celui-ci a été favorable à l’ancien président, M. Viktor Yanukovych. Les insuffisances graves de cette loi auraient été reconnues par la Commission de Venise, dans un avis intérimaire du 16 décembre 2014. Cette même Commission, dans un avis rendu le 23 mars 2015 de manière conjointe avec la direction des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, aurait également soulevé des inquiétudes quant à l’indépendance des juges en Ukraine.

97      S’agissant de l’existence de problèmes systémiques au sein [confidentiel], elle serait confirmée par la démission, le 19 février 2016, du procureur général, M. Viktor Shokin, à la suite des pressions exercées par le président, M. Petro Porochenko, dans un contexte d’allégations de corruption, démission qui aurait été saluée notamment par le vice-président des États-Unis d’Amérique.

98      Enfin, le requérant fait remarquer que la nécessité pour le Conseil de procéder à un contrôle strict, complet et rigoureux, et de s’assurer que toute décision concernant l’adoption d’une mesure restrictive est prise sur une base factuelle suffisamment solide, s’impose plus particulièrement en l’espèce, étant donné, d’une part, le délai dont le Conseil a disposé pour présenter ou vérifier des éléments de preuve et d’information afin de justifier le maintien de son nom sur la liste en cause et, d’autre part, les éléments produits par le requérant, tant devant le Tribunal que devant le Conseil, afin de mettre en exergue les faiblesses des preuves utilisées par ce dernier.

99      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

100    À titre liminaire, il convient de rappeler que, si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux critères généraux à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 36 et jurisprudence citée).

101    Selon la jurisprudence, le Conseil n’est pas tenu d’entreprendre, d’office et de manière systématique, ses propres investigations ou d’opérer des vérifications en vue d’obtenir des précisions supplémentaires lorsqu’il dispose déjà d’éléments fournis par les autorités d’un pays tiers pour prendre des mesures restrictives à l’égard de personnes qui en sont originaires et qui y font l’objet de procédures judiciaires (arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 57).

102    À cet égard, il convient de relever que le BPG  est l’une des plus hautes autorités judiciaires en Ukraine. En effet, il agit, dans cet État, en qualité de ministère public dans l’administration de la justice pénale et il mène des enquêtes préliminaires dans le cadre de procédures pénales visant, notamment, le détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, points 45 et 111).

103    Certes, il peut être déduit, par analogie, de la jurisprudence en matière de mesures restrictives adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qu’il appartenait, en l’espèce, au Conseil d’examiner avec soin et impartialité les éléments de preuve qui lui avaient été transmis par les autorités ukrainiennes, [confidentiel], au regard, en particulier, des observations et des éventuels éléments à décharge présentés par le requérant. Par ailleurs, dans le cadre de l’adoption de mesures restrictives, le Conseil est soumis à l’obligation de respecter le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la Charte, auquel se rattache, selon une jurisprudence constante, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 58 et jurisprudence citée).

104    Toutefois, il résulte également de la jurisprudence que, pour apprécier la nature, le mode et l’intensité de la preuve qui peut être exigée du Conseil, il convient de tenir compte de la nature et de la portée spécifique des mesures restrictives ainsi que de leur objectif (voir arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 59 et jurisprudence citée).

105    À cet égard, ainsi qu’il ressort des considérants 1 et 2 de la décision 2014/119, celle-ci s’inscrit dans le cadre plus général d’une politique de l’Union de soutien aux autorités ukrainiennes destinée à favoriser la stabilisation politique de l’Ukraine. Elle répond ainsi aux objectifs de la PESC, qui sont définis, notamment, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, en vertu duquel l’Union met en œuvre une coopération internationale en vue de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 60 et jurisprudence citée).

106    C’est dans ce cadre que les mesures restrictives en cause prévoient le gel des fonds et des avoirs notamment de personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien. En effet, la facilitation de la récupération de ces fonds renforce et soutient l’État de droit en Ukraine (voir points 76 à 80 ci-dessus).

107    Il s’ensuit que les mesures restrictives en cause ne visent pas à sanctionner des agissements répréhensibles qui seraient commis par les personnes visées ni à les dissuader, par la contrainte, de se livrer à de tels agissements. Ces mesures ont pour seul objet de faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer le produit de ces détournements. Elles revêtent donc une nature purement conservatoire (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 62 et jurisprudence citée).

108    Ainsi, les mesures restrictives en cause, qui ont été édictées par le Conseil sur la base des compétences qui lui sont conférées par les articles 21 et 29 TUE, sont dépourvues de connotation pénale. Elles ne sauraient donc être assimilées à une décision de gel d’avoirs d’une autorité judiciaire nationale d’un État membre prise dans le cadre de la procédure pénale applicable et dans le respect des garanties offertes par cette procédure. Par conséquent, les exigences s’imposant au Conseil en matière de preuves sur lesquelles est fondée l’inscription du nom d’une personne sur la liste de celles faisant l’objet de ce gel d’avoirs ne sauraient être strictement identiques à celles qui s’imposent à l’autorité judiciaire nationale dans le cas susvisé (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 64 et jurisprudence citée).

109    En l’espèce, ce qu’il importe au Conseil de vérifier, c’est, d’une part, dans quelle mesure les lettres [confidentiel], sur lesquelles il s’est fondé, permettent d’établir que, comme l’indiquent les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste en cause, rappelés aux points 18 et 20 ci-dessus, celui-ci fait, notamment, l’objet d’enquêtes ou de procédures pénales de la part des autorités ukrainiennes pour des faits susceptibles de relever du détournement de fonds publics et, d’autre part, si ces enquêtes ou ces procédures permettent de qualifier les agissements du requérant conformément au critère pertinent. Ce n’est que si ces vérifications n’aboutissaient pas que, au regard du principe jurisprudentiel rappelé au point 103 ci-dessus, il appartiendrait au Conseil d’opérer des vérifications supplémentaires (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 65 et jurisprudence citée).

110    Par ailleurs, dans le cadre de la coopération régie par les actes en cause (voir point 105 ci-dessus), il n’appartient pas, en principe, au Conseil d’examiner et d’apprécier lui-même l’exactitude et la pertinence des éléments sur lesquels les autorités ukrainiennes se fondent pour conduire des procédures pénales visant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics. En effet, ainsi qu’il a été exposé au point 107 ci-dessus, en adoptant les actes en cause, le Conseil ne cherche pas à sanctionner lui-même les détournements de fonds publics sur lesquels les autorités ukrainiennes enquêtent, mais à préserver la possibilité pour ces autorités de constater lesdits détournements tout en en recouvrant le produit. C’est donc à ces autorités qu’il appartient, dans le cadre desdites procédures, de vérifier les éléments sur lesquels elles se fondent et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences en ce qui concerne l’aboutissement de ces procédures. Par ailleurs, ainsi qu’il résulte du point 108 ci-dessus, les obligations du Conseil dans le cadre des actes en cause ne sauraient être assimilées à celles d’une autorité judiciaire nationale d’un État membre dans le cadre d’une procédure pénale de gel d’avoirs, ouverte notamment dans le cadre de la coopération pénale internationale (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 66).

111    Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence dont il ressort qu’il n’appartient pas au Conseil de vérifier le bien‑fondé des enquêtes dont la personne concernée fait l’objet, mais uniquement de vérifier le bien-fondé de la décision de gel des fonds au regard du document fourni par les autorités nationales (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 77).

112    Certes, le Conseil ne saurait entériner, en toutes circonstances, les constatations des autorités judiciaires ukrainiennes figurant dans les documents fournis par ces dernières. Un tel comportement ne serait pas conforme au principe de bonne administration ni, d’une manière générale, à l’obligation, pour les institutions de l’Union, de respecter les droits fondamentaux dans le cadre de l’application du droit de l’Union, en vertu de l’application combinée de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 67).

113    Toutefois, il appartient au Conseil d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, la nécessité de mener des vérifications supplémentaires, en particulier de solliciter des autorités ukrainiennes la communication d’éléments de preuve additionnels si ceux déjà fournis se révèlent insuffisants ou incohérents. En effet, il ne pourrait être exclu que des éléments portés à la connaissance du Conseil, soit par les autorités ukrainiennes elles-mêmes, soit d’une autre manière, le conduisent à douter du caractère suffisant des preuves déjà fournies par ces autorités. Par ailleurs, dans le cadre de la faculté qui doit être conférée aux personnes visées de présenter des observations concernant les motifs que le Conseil envisage de retenir pour maintenir leur nom sur la liste en cause, ces personnes sont susceptibles de présenter de tels éléments, voire des éléments à décharge, qui nécessiteraient que le Conseil conduise des vérifications supplémentaires. En particulier, s’il n’appartient pas au Conseil de se substituer aux autorités judiciaires ukrainiennes dans l’appréciation du bien-fondé des procédures pénales mentionnées par les lettres [confidentiel], il ne peut être exclu que, au regard notamment des observations du requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant les éléments sur lesquels ces procédures sont fondées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 68).

114    En l’espèce, à titre liminaire, il convient de relever qu’il est constant que les lettres sur lesquelles le Conseil s’est fondé [confidentiel] font état de procédures pénales concernant le requérant, pour lesquelles sont précisés, en général, la date d’ouverture, le numéro d’enregistrement et les articles du code pénal ukrainien prétendument enfreints.

115    Les griefs principaux du requérant ont trait au fait que les lettres [confidentiel] des 26 juin, 3 septembre et 1er décembre 2015 ne contiendraient pas d’informations suffisantes ou suffisamment précises.

116    À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que la lettre [confidentiel] du 26 juin 2015 – qui est l’un des éléments de preuve principaux sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste, lors de l’adoption des actes d’octobre 2015 – contient, notamment, les informations suivantes :

–        [confidentiel]

–        [confidentiel]

117    En deuxième lieu, il doit être observé que la lettre [confidentiel] du 3 septembre 2015 – qui est l’autre élément de preuve sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste, lors de l’adoption des actes d’octobre 2015 – contient des informations similaires et indique également que, [confidentiel] (voir point 82 ci-dessus).

118    En troisième lieu, la lettre [confidentiel] du 1er décembre 2015 – qui est l’élément de preuve principal sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste, lors de l’adoption des actes de mars 2016 –, en plus de confirmer les informations contenues dans la lettre du 3 septembre 2015, fait référence pour la première fois, s’agissant des mêmes faits, à la violation de l’article [confidentiel] du code pénal ukrainien [confidentiel].

119    Il s’ensuit que les lettres [confidentiel] mentionnées aux points 115 à 118 ci-dessus contiennent des informations permettant de comprendre clairement, d’une part, que le requérant fait l’objet d’une enquête ayant trait, notamment, à la violation de l’article [confidentiel] du code pénal ukrainien, qui sanctionne le détournement de fonds publics, et, d’autre part, que, [confidentiel]. Bien que le résumé des faits à l’origine de ces violations soit synthétique et qu’il ne décrive pas en détail les mécanismes par lesquels le requérant est soupçonné d’avoir détourné des fonds de l’État ukrainien, il résulte de ces lettres, avec suffisamment de clarté, que les faits reprochés au requérant concernent le détournement [confidentiel]. Or, de tels comportements sont susceptibles d’avoir occasionné des pertes de fonds pour l’État ukrainien et correspondent ainsi à la notion de détournement de fonds publics, visée par le critère pertinent.

120    À cet égard, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel le critère pertinent n’aurait pas été satisfait dès lors que son nom a été inscrit sur la liste au regard non pas de poursuites ou de procédures judiciaires, mais d’une enquête préliminaire, il convient de relever que l’effet utile d’une décision de gel des fonds serait compromis si l’adoption de mesures restrictives était subordonnée au prononcé de condamnations pénales à l’encontre des personnes suspectées d’avoir détourné des fonds publics, dès lors que celles-ci auraient dans cette attente disposé du temps nécessaire pour transférer leurs avoirs dans des États ne pratiquant aucune forme de coopération avec les autorités de l’État dont elles sont ressortissantes ou résidentes (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 71). Par ailleurs, dès lors qu’il est établi que la personne en cause fait, comme en l’espèce, l’objet d’investigations, dans le cadre d’une procédure pénale, de la part des autorités judiciaires ukrainiennes, pour des faits de détournement de fonds publics, le stade exact auquel se trouve ladite procédure ne saurait constituer un élément susceptible de justifier son exclusion de la catégorie des personnes visées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 124).

121    Eu égard à la jurisprudence citée au point 120 ci-dessus et à la marge d’appréciation dont disposent les autorités judiciaires d’un État tiers dans les modalités de mise en œuvre de poursuites pénales, la circonstance que le requérant a fait l’objet d’une enquête préliminaire [confidentiel] n’est pas, en soi, de nature à conduire à constater une illégalité des actes en cause, découlant du fait que, dans de telles circonstances, le Conseil aurait dû exiger des vérifications supplémentaires de la part des autorités ukrainiennes quant aux actes reprochés à l’intéressé, étant donné que, ainsi qu’il sera précisé ci-après, le requérant n’a pas avancé d’éléments susceptibles de remettre en cause les motifs visés par les autorités ukrainiennes pour fonder les accusations portées contre lui concernant des faits bien précis ou de démontrer que sa situation particulière aurait été affectée par les problèmes allégués du système judiciaire ukrainien. À cet égard, le fait qu’un procureur général ukrainien ait démissionné à la suite d’accusations de corruption n’a d’ailleurs pas d’incidence sur la crédibilité [confidentiel].

122    Le Conseil n’a donc pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, par les actes d’octobre 2015 et de mars 2016, sur la base des informations, contenues dans les lettres [confidentiel] des 26 juin, 3 septembre et 1er décembre 2015, concernant notamment les faits de détournement de fonds publics qui justifiaient, [confidentiel], l’existence d’une enquête à l’égard du requérant. À cet égard, le grief du requérant tiré du prétendu défaut de preuve de ce qu’il était « lié » à son frère, M. Andriy Klyuyev, est par ailleurs inopérant. En effet, le nom du requérant est inscrit sur la liste non en raison exclusivement des liens familiaux avec son frère, mais aussi en raison d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes relative à son implication personnelle dans des faits qualifiables de détournement de fonds publics.

123    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les éléments à décharge produits par le requérant ou par les autres arguments invoqués par celui-ci.

124    S’agissant, premièrement, des avis juridiques que le requérant a joints à sa requête, il doit être observé que, selon la jurisprudence, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 161 et jurisprudence citée). En l’occurrence, il convient de relever, à l’instar du Conseil, que ces avis ont été établis aux fins de la défense du requérant et que, de ce fait, ils n’ont qu’une valeur probante limitée. En tout état de cause, ils ne sauraient remettre en cause la circonstance, [confidentiel], que le requérant fait l’objet d’une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics. En effet, ces avis concernent, pour l’essentiel, des questions liées au bien-fondé de cette enquête, lequel doit être apprécié, en principe, par les autorités ukrainiennes.

125    Deuxièmement, s’agissant de la décision de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), il convient de constater, à l’instar du Conseil, qu’elle ne portait pas sur des mesures nationales de gel d’avoirs, mais sur une ordonnance rendue par le parquet de Vienne, le 26 juillet 2014, au sujet de la divulgation d’informations relatives à des comptes et à des transactions bancaires, dans le cadre d’une enquête menée contre un grand nombre de personnes, dont le requérant, soupçonnées de crimes ou de délits de blanchiment d’argent au sens de la législation pénale autrichienne et de la loi sur les sanctions. Cette décision, portant sur des infractions pénales autres que celles ayant fondé les mesures restrictives en cause, ne se penche que de manière incidente sur les faits faisant l’objet de l’enquête [confidentiel]. Il s’ensuit qu’une telle décision, bien qu’elle ait été rendue par un organe judiciaire d’un État membre, n’était pas susceptible de susciter des interrogations légitimes concernant le résultat de l’enquête ou la fiabilité des informations transmises [confidentiel]. En ce qui concerne la décision du bureau du procureur de Vienne, datée du 4 avril 2016, annonçant l’abandon des poursuites à l’égard du requérant, il suffit d’observer qu’elle n’est pas pertinente dès lors qu’elle est postérieure aux actes de mars 2016. En effet, la légalité d’une décision de gel d’avoirs doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont le Conseil pouvait disposer au moment où il l’a arrêtée (arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 115).

126    Troisièmement, s’agissant, d’une part, du rapport d’audit, établi par l’IFE sur demande [confidentiel], daté du 28 juillet 2014 et ayant trait aux activités financières et commerciales de PJSC Semiconductor Plant, [confidentiel], et, d’autre part, du rapport d’une enquête indépendante portant sur les activités commerciales pertinentes du requérant et de cette société, daté du 16 octobre 2014 et préparé par une équipe d’enquêteurs et d’avocats indépendants (ci-après le « rapport Pepper Hamilton »), il convient de relever que le requérant est resté en défaut de préciser en quoi ces deux rapports seraient susceptibles de contredire les informations contenues dans [confidentiel], compte tenu du fait que tant un rapport sur les activités commerciales du requérant et de la société dont il est actionnaire qu’un rapport d’audit sur l’activité économique de celle-ci ne contiennent pas nécessairement des informations sur l’existence d’un détournement de fonds publics. [confidentiel]. D’autre part, s’agissant du rapport Pepper Hamilton, force est de constater, à l’instar du Conseil, qu’il a été établi à la demande d’une société détenue par le requérant et son frère et adressé à cette dernière et que, de ce fait, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 124 ci-dessus, il n’a qu’une valeur probante limitée.

127    Ces éléments à décharge, à eux seuls, ne sauraient donc justifier que le Conseil conduise des vérifications supplémentaires.

128    Quatrièmement, s’agissant des prétendues irrégularités entachant la décision de la Verkhovna Rada de lever l’immunité du requérant, il y a lieu de relever qu’elles n’affectent pas la légalité du maintien de son nom sur la liste, dès lors que la levée de l’immunité parlementaire ne constitue pas une condition préalable à l’adoption d’une mesure restrictive à l’égard d’une personne physique et que toute irrégularité de ce type doit être traitée dans le cadre du système ukrainien.

129    Cinquièmement, s’agissant de l’argument tiré de ce qu’aucune notification de suspicion n’aurait été adressée au requérant suivant les modalités prescrites par le code de procédure pénale ukrainien, il convient de relever que le requérant ne s’appuie que sur un avis juridique d’un professeur de droit. Or, indépendamment du fait qu’un tel avis a, ainsi qu’il a été précisé au point 124 ci-dessus, une valeur probante limitée, il ressort de celui-ci, ainsi que l’affirme du reste le requérant dans ses écritures, que la notification de suspicion serait viciée par des irrégularités de nature purement formelle.

130    À supposer que la notification de suspicion soit effectivement irrégulière, si elle a pour effet que [confidentiel] doit procéder à une nouvelle notification en bonne et due forme, cela ne signifie pas que la procédure pénale dont cet avis relève n’est plus en cours.

131    À supposer encore que, en raison d’un vice formel affectant la notification de suspicion, le requérant ne puisse pas être considéré comme étant un suspect au sens de l’article 42 du code de procédure pénale ukrainien, il ne s’ensuivrait pas que celui-ci ne fît pas l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes au sens du critère pertinent. En effet, la circonstance que, à la suite d’une notification irrégulière, [confidentiel] doive procéder à une nouvelle notification n’affecte pas le fait que ce dernier considérait disposer d’éléments suffisants pour soupçonner que le requérant avait commis un détournement de fonds publics.

132    Ainsi, le grief du requérant portant sur les irrégularités formelles affectant la notification de suspicion le concernant est inopérant.

133    Sixièmement, pour ce qui est de la prétendue violation du principe de la présomption d’innocence commise notamment [confidentiel], il convient de relever que le requérant se limite à invoquer que les autorités ukrainiennes l’ont défini comme étant coupable des violations qui lui sont reprochées, alors que sa culpabilité n’a pas été établie par une juridiction.

134    À cet égard, il doit être observé que, en dépit de quelques formulations maladroites, les lettres [confidentiel] font toujours état de procédures pénales en cours à l’égard du requérant, ce qui permet de conclure que [confidentiel] le requérant n’est que soupçonné d’avoir commis les violations en cause et qu’il pourra être considéré coupable seulement si les procédures pénales en cause se terminent par une condamnation, décidée par un tribunal. Ainsi, lues dans leur contexte, les affirmations contenues [confidentiel] ne violent pas le principe de la présomption d’innocence. En tout état de cause, même à supposer que de telles affirmations constituent des violations dudit principe, il suffit de relever qu’elles ne sauraient remettre en cause la légalité, et encore moins l’existence, des procédures pénales qui ont permis au Conseil de considérer que le requérant répondait au critère pertinent, ni justifier que le Conseil cherche à obtenir [confidentiel] des informations complémentaires.

135    Septièmement, quant à l’argument selon lequel le nouveau gouvernement ukrainien porterait lui-même atteinte à l’État de droit, il y a lieu d’observer, à titre liminaire, que l’Ukraine est un État membre du Conseil de l’Europe depuis 1995 et a ratifié la CEDH. En outre, le nouveau régime ukrainien a été reconnu comme étant légitime par l’Union ainsi que par la communauté internationale (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 93).

136    Ces circonstances ne suffisent pas, à elles seules, pour garantir que le nouveau régime ukrainien respecte l’État de droit en toute circonstance.

137    Cependant, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il appartient au juge de l’Union, dans le cadre de son contrôle juridictionnel des mesures restrictives, de reconnaître au Conseil une large marge d’appréciation pour la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de telles mesures (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41).

138    Il s’ensuit que, en principe, le requérant ne saurait remettre en cause le choix politique du Conseil d’apporter son soutien au nouveau régime ukrainien sans apporter des preuves irréfutables de violations des droits fondamentaux par les nouvelles autorités ukrainiennes.

139    Tout en contenant des critiques et tout en mettant en avant certaines défaillances affectant le fonctionnement des institutions, notamment judiciaires, ukrainiennes, les éléments invoqués par le requérant ne permettent toutefois pas de considérer que le nouveau régime ne saurait être soutenu par l’Union.

140    À cet égard, il y a d’ailleurs lieu de relever que les défaillances visées par les documents invoqués par le requérant apparaissent fortement réduites à la lumière des documents cités par le Conseil dans ses écritures et produits devant le Tribunal, qui font état de plusieurs améliorations introduites par le nouveau régime.

141    En effet, concernant le suivi de la « loi de lustration » par la Commission de Venise, il convient de constater que l’avis en date du 16 décembre 2014, invoqué par le requérant, n’est qu’un avis intérimaire de ladite Commission, étant donné que celle-ci n’avait pas eu accès, auprès des autorités ukrainiennes, à toutes les informations nécessaires à son examen. Cependant, ces autorités ayant engagé un dialogue constructif en vue de l’amélioration de la « loi de lustration » et ayant, depuis lors, donné accès au matériel nécessaire pour que la Commission de Venise puisse effectuer sa mission de veille, celle-ci a adopté un avis final sur cette loi le 19 juin 2015. Cet avis relate que de nombreux échanges de vues ont eu lieu et que les autorités ukrainiennes ont proposé des amendements à la « loi de lustration ». La Commission de Venise considère légitimes les objectifs de ladite loi que sont la protection de la société contre des personnes pouvant constituer une menace au nouveau régime démocratique ainsi que la lutte contre la corruption. Si la Commission de Venise met en exergue certains points à améliorer et à surveiller, elle souligne également les améliorations ayant déjà été apportées à la loi, notamment à la suite de l’adoption de son avis intérimaire.

142    Concernant les rapports du Haut-Commissaire sur les droits de l’homme en Ukraine, si celui ayant trait à la période allant du 16 février au 15 mai 2015, dans le passage auquel se réfère le requérant, fait état d’une préoccupation au regard des menaces subies par certains juges ukrainiens, il importe de préciser, à l’instar du Conseil, que ce passage concerne uniquement la région de l’Est de l’Ukraine, aux prises avec un conflit indépendantiste, où les menaces viennent d’activistes politiques soutenant l’unité de l’Ukraine. Ledit rapport fait d’ailleurs également mention de la réforme du système judiciaire qui, bien qu’imparfaite, « amène des éléments positifs ». En outre, les rapports subséquents ayant trait à l’année 2015 et au début de l’année 2016 font état de constantes améliorations en matière de droits de l’homme, notamment par l’élaboration et l’adoption, le 23 novembre 2015, de la première stratégie nationale en la matière, à la suite des recommandations émises par le Haut-Commissaire ainsi que de celles émanant de la Commission de Venise, dans divers domaines. En outre, ainsi qu’il a été relevé dans le rapport du Haut-Commissaire couvrant la période allant du 16 février au 16 mai 2016, le gouvernement ukrainien a créé officiellement un bureau national d’enquête, chargé d’enquêter sur les infractions commises par des hauts fonctionnaires, des membres des services répressifs, des juges et des membres du bureau national de lutte contre la corruption et du bureau spécial de lutte contre la corruption au sein du BPG.

143    Or, si ces progrès ne signifient pas que le système ukrainien ne présente plus de lacunes en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, il n’en reste pas moins que le juge de l’Union, au vu de la large marge d’appréciation dont bénéficie le Conseil (voir point 137 ci-dessus), ne peut pas, dans de telles circonstances, considérer comme manifestement erroné le choix politique de celui-ci de soutenir le nouveau régime ukrainien en adoptant des mesures restrictives qui s’appliquent, notamment, à des membres du régime antérieur faisant l’objet de procédures pénales pour détournement de fonds publics.

144    Huitièmement, s’agissant de la persécution politique dont le requérant prétend faire l’objet et qui serait à l’origine des procédures pénales entamées à son égard, il y a lieu de relever qu’il se limite à des affirmations, lesquelles ne peuvent pas suffire pour remettre en cause la vraisemblance des informations, [confidentiel], ayant trait aux accusations portées à l’encontre du requérant concernant des faits bien précis de détournement de fonds publics, ni pour démontrer que la situation particulière du requérant aurait été affectée par les problèmes relatifs au fonctionnement du système judiciaire ukrainien au cours des procédures qui le concernent (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, points 113 et 114).

145    Neuvièmement, au regard de l’argument du requérant portant sur le long délai dont le Conseil a disposé pour effectuer un contrôle rigoureux et complet des éléments de preuve sur lequel il s’est fondé, il suffit de relever que, ainsi qu’il résulte de ce qui précède, le Conseil s’est acquitté des obligations qui lui incombaient. Or, la portée de ces obligations n’est pas déterminée par le temps dont le Conseil dispose.

146    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen dans son intégralité.

[omissis]

 Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils visent le requérant

216    Par son second mémoire en adaptation, le requérant a demandé à étendre la portée de son recours afin que celui-ci vise l’annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils le concernent.

217    À l’appui de sa demande d’annulation des actes de mars 2017, le requérant soulève six moyens, soit les cinq moyens qu’il a invoqués, dans la requête, à l’appui de la demande d’annulation des actes d’octobre 2015 (voir point 51 ci-dessus), plus le nouveau moyen qu’il a soulevé, dans le cadre de son premier mémoire en adaptation, à l’appui de la demande d’annulation des actes de mars 2016 (voir point 192 ci-dessus).

218    Il convient d’examiner, tout d’abord, le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

219    Après avoir rappelé que le motif invoqué à l’appui du maintien de son nom sur la liste était identique à celui figurant dans les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 et que, dans la lettre du 6 mars 2017 justifiant la prorogation de la désignation, le Conseil avait confirmé qu’il s’était appuyé uniquement sur [confidentiel], le requérant fait valoir que celle-ci ne satisfait pas aux critères de désignation pour deux raisons.

220    Premièrement, le requérant ne ferait l’objet que d’une enquête préliminaire, ce qui ne suffirait pas à satisfaire au critère pertinent. En tout état de cause, cette enquête serait illégale, étant donné qu’aucune notification écrite de suspicion n’aurait jamais été valablement signifiée au requérant dans [confidentiel]. À la date de la prorogation de sa désignation, le requérant n’aurait été impliqué dans aucune enquête préliminaire en cours, dès lors que l’enquête dans ladite procédure avait été formellement suspendue depuis le 5 octobre 2015. [confidentiel]. Par ailleurs, les informations contenues dans les lettres [confidentiel] ne seraient pas fiables. D’une part, la lettre [confidentiel] du 25 juillet 2016 indiquerait que [confidentiel], alors que le parquet autrichien, tout comme les juridictions autrichiennes, a refusé de saisir les biens du requérant, ce dont [confidentiel] était tout à fait conscient et le Conseil avait été informé.  D’autre part, la lettre [confidentiel] du 16 novembre 2016 ne contiendrait aucune référence à [confidentiel]. En tout état de cause, la prétendue existence [confidentiel] dans le cadre de l’enquête préliminaire dans [confidentiel] ne serait pas de nature à remettre en cause le fait que cette enquête est suspendue depuis le 5 octobre 2015.

221    Deuxièmement, les lettres [confidentiel] des 25 juillet et 16 novembre 2016,sur lesquelles le Conseil aurait prétendument fondé sa décision de maintenir le nom du requérant sur la liste,ne seraient étayées d’aucun élément de preuve et ne fourniraient pas suffisamment de précisions concernant les actes visés par l’enquête et la prétendue responsabilité personnelle du requérant. En outre, elles seraient matériellement inexactes. En particulier, elles seraient contradictoires s’agissant [confidentiel].

222    En tout état de cause, le Conseil n’aurait pas démontré en quoi les allégations [confidentiel] étaient susceptibles de satisfaire au critère pertinent en ce qu’il viserait uniquement le détournement de fonds ou d’avoirs publics de nature à porter atteinte aux principes de l’État de droit en Ukraine, compte tenu du montant ou de la nature des fonds ou des avoirs détournés ou du contexte dans lequel l’infraction a été commise.

223    À cet égard, le requérant souligne que, en dépit du nombre significatif d’éléments à décharge qu’il lui a communiqués et que le Conseil aurait dû examiner avec soin et impartialité, compte tenu du contexte politique ukrainien et du fait qu’il s’appuyait exclusivement sur une enquête préliminaire suspendue, le Conseil a systématiquement refusé d’entreprendre la moindre enquête ou des vérifications supplémentaires à cet égard.

224    En définitive, le Conseil n’aurait pas apporté les preuves concrètes et les informations suffisantes justifiant le maintien du nom du requérant sur la liste.

225    Le Conseil rétorque, d’une part, que les motifs de désignation du requérant répondent aux critères de désignation et sont fondés sur une base factuelle suffisamment solide et, d’autre part, qu’il n’a pas commis d’erreurs d’appréciation en se fondant notamment sur les lettres [confidentiel] des 25 juillet et 16 novembre 2016.

226    Premièrement, le Conseil fait observer que ces lettres [confidentiel]. L’avis juridique sur lequel se fonderait le requérant pour soutenir que la notification de suspicion ne lui avait pas été valablement signifiée aurait une valeur probante limitée.

227    Deuxièmement, le fait que [confidentiel] était formellement suspendue à la date de la nouvelle désignation du requérant ne permettrait pas de démontrer, au sens de l’article 280 du code de procédure pénale ukrainien, que l’enquête préliminaire menée à l’encontre de celui-ci avait cessé d’exister.

228    Troisièmement, le Conseil fait valoir que les informations contenues dans les lettres [confidentiel] étaient fiables.

229    Quatrièmement, le Conseil estime que la nature et le caractère détaillé des informations figurant dans les lettres [confidentiel] étaient plus que suffisants pour conclure que, à la date d’adoption des actes de mars 2017, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et était associé à Andriy Klyuyev, lui-même désigné en vertu des mêmes actes.

230    Cinquièmement, le Conseil conteste l’argument du requérant selon lequel les lettres [confidentiel] seraient « matériellement inexactes ». En effet, l’information à laquelle se réfère le requérant ne concernerait pas [confidentiel]. En tout état de cause, faire l’objet [confidentiel] ne serait pas un critère de désignation.

231    Sixièmement, selon le Conseil, il ressort des lettres [confidentiel]. Dès lors, les infractions pour lesquelles le requérant est poursuivi pourraient être qualifiées de détournement de fonds ou d’avoirs publics de nature à porter atteinte aux principes de l’État de droit en Ukraine.

232    Septièmement, s’agissant de l’argument tiré de ce que le Conseil ne se serait pas penché sur les preuves à décharge, celui-ci souligne que, conformément à une jurisprudence bien établie, il n’est pas tenu de procéder à une évaluation indépendante supplémentaire ou à un examen approfondi des faits faisant l’objet d’une enquête pénale dans le pays tiers concerné. Le fait de vérifier si une enquête est fondée toucherait à des questions qui ne pourraient être véritablement examinés que dans le cadre des procédures pénales concernées, par les autorités nationales, y compris, dans le cas de l’Ukraine, dans le cadre de procédures devant la Cour EDH. S’agissant, plus particulièrement, de la décision de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), le Conseil fait observer que celle-ci avait trait à la divulgation d’informations portant sur des comptes et sur des transactions bancaires et que les conclusions de ce tribunal n’étaient pas de nature à démontrer que les informations contenues dans les lettres [confidentiel] étaient manifestement fausses ou détournées. Par ailleurs, tout en admettant que l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) a jugé que les éléments fournis aux autorités autrichiennes au cours de la période allant de 2010 à 2014 étaient peu étoffées, le Conseil estime néanmoins que cela ne permet assurément pas de démontrer que les lettres [confidentiel] étaient insuffisantes aux fins des procédures du Conseil conduisant à l’adoption des actes de mars 2017. Il n’aurait donc pas été nécessaire de procéder à des vérifications supplémentaires à cet égard.

233    À titre liminaire, il convient de rappeler que le critère pertinent, d’une part, dispose que des mesures restrictives sont adoptées à l’égard des personnes qui ont été « identifiées comme étant responsables » de faits de détournement de fonds publics – ce qui inclut les personnes « faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes » pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens (voir point 12 ci-dessus) – et, d’autre part, doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas de façon abstraite tout fait de détournement de fonds publics, mais plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics susceptibles de porter atteinte au respect de l’État de droit en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 91).

234    En l’espèce, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, par les actes de mars 2017, aux motifs suivants :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds ou d’avoirs publics. Personne liée à une personne désignée [Andriy Petrovych Klyuyev] faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

235    Il est constant que, s’agissant des actes de mars 2017, le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur les lettres [confidentiel]. Par ailleurs, le Conseil n’a pas fourni d’éléments [confidentiel] relatifs à la désignation de M. Andriy Klyuyev, à qui le requérant a été identifié comme étant « lié », comme une personne responsable de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien au sens du critère pertinent.

236    Ainsi, le Conseil n’a pas étayé de façon suffisamment précise et concrète le second motif de maintien du nom du requérant sur la liste, à savoir celui selon lequel il est une personne « liée », au sens du critère pertinent, à une personne faisant l’objet d’une procédure pénale de détournement de fonds publics. Il reste ainsi à vérifier le premier motif qui fonde le maintien du nom du requérant sur la liste, à savoir celui concernant le fait qu’il est une personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds ou d’avoirs publics, ainsi que l’appréciation portée par le Conseil sur les éléments en sa possession.

237    Une telle appréciation doit être faite à l’aune des principes jurisprudentiels rappelés aux points 100 à 113 ci-dessus.

238    Il y a lieu de rappeler que, en l’espèce, il s’agit d’une décision de maintien du nom d’une personne sur la liste et que, dans ces circonstances, lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, le Conseil a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci, une telle obligation se rattachant à celle de respecter le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la Charte (voir point 100 à 113 ci-dessus).

239    Plus particulièrement, ce qu’il importe au Conseil de vérifier, ainsi qu’il a été relevé au point 109 ci-dessus, c’est, d’une part, dans quelle mesure les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé permettent d’établir que la situation du requérant correspond au motif de maintien de son nom sur la liste et, d’autre part, si ces éléments de preuve permettent de qualifier les agissements du requérant conformément au critère pertinent. Ce n’est que si ces vérifications n’aboutissaient pas que, au regard du principe jurisprudentiel rappelé au point 103 ci-dessus, il appartiendrait au Conseil d’opérer des vérifications supplémentaires.

240    À cet égard, il ne pourrait être exclu que des éléments portés à la connaissance du Conseil, soit par les autorités ukrainiennes elles-mêmes, soit par les personnes visées par les mesures restrictives, soit d’une autre manière, le conduisent à douter du caractère suffisant des preuves déjà fournies par lesdites autorités. Si, en l’occurrence, il est vrai qu’il n’appartient pas au Conseil de se substituer aux autorités judiciaires ukrainiennes dans l’appréciation du bien-fondé de l’enquête préliminaire mentionnée dans les lettres [confidentiel], il ne saurait néanmoins être exclu que, au regard notamment des observations présentées par le requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant les éléments sur lesquels ladite enquête est fondée.

241    En l’espèce, le requérant admet que les lettres [confidentiel] font état, notamment, d’une procédure pénale dans le cadre de laquelle une enquête préliminaire est menée le concernant. Il y a donc lieu d’examiner si le Conseil a pu considérer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que les informations fournies [confidentiel] à l’égard de cette procédure pouvaient continuer à étayer le motif de désignation du requérant.

242    À titre liminaire, il y a lieu de préciser que la question n’est pas de savoir si, au vu des éléments portés à la connaissance du Conseil, celui-ci était tenu de mettre fin à l’inscription du nom du requérant sur la liste, mais seulement de savoir s’il était tenu de prendre en compte ces éléments et, le cas échéant, de procéder à des vérifications supplémentaires ou de solliciter des éclaircissements auprès des autorités ukrainiennes. À cet égard, il suffit que lesdits éléments soient de nature à susciter des interrogations légitimes concernant, d’une part, le résultat de l’enquête et, d’autre part, la fiabilité et l’état actualisé des informations transmises [confidentiel].

243    Or, dans son courrier en date du 6 mars 2017, qui répond aux observations du requérant en date du 12 janvier 2017, le Conseil se borne à affirmer qu’il ne partage pas le point de vue de celui-ci et qu’il entend confirmer les mesures restrictives à son égard. Il ne précise pas, par ailleurs, quels éléments il a pris en compte pour conclure qu’il ne partageait pas le point de vue du requérant et il confirme qu’il n’y a pas d’autres éléments sur lesquels il se soit fondé au-delà des lettres [confidentiel] des 25 juillet et 16 novembre 2016, déjà en possession du requérant.

244    En premier lieu, il convient de constater que ces lettres présentent un certain nombre d’incohérences et d’imprécisions. Premièrement, dans la lettre du 25 juillet 2016, [confidentiel] indique, pour la première fois, sans par ailleurs en préciser les raisons, que [confidentiel] a été séparée de [confidentiel], alors que cette séparation avait été effectuée le [confidentiel], ainsi qu’il résulte de la lettre elle-même. Deuxièmement, il convient de constater l’incohérence existant dans les deux lettres [confidentiel]. Troisièmement, la lettre [confidentiel] du 25 juillet 2016 fait référence, notamment, [confidentiel], alors que le parquet de Vienne a, en date du 4 avril 2016, abandonné les poursuites à l’égard du requérant.

245    Bien que ces incohérences ne soient pas susceptibles, en elles-mêmes, de soulever des interrogations légitimes concernant le résultat de l’enquête, elles sont néanmoins révélatrices d’un certain degré d’approximation [confidentiel] qui est susceptible d’amoindrir la fiabilité des informations [confidentiel] ainsi que de leur actualisation.

246    En deuxième lieu, il convient de constater que, dans la lettre du 16 novembre 2016, [confidentiel].

247    En troisième lieu, il ressort de la lettre du parquet de Vienne, du 4 avril 2016, que celui-ci, après avoir examiné les pièces justificatives communiquées dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire [confidentiel], en se fondant aussi sur le rapport Pepper Hamilton auquel il a fait explicitement référence, a considéré que ces pièces ne corroboraient pas les accusations formulées [confidentiel] et que les accusations rapportées dans les médias selon lesquelles le requérant et son frère auraient commis des infractions punissables en Ukraine, qui étaient à l’origine du grand nombre de cas de soupçons de blanchiment d’argent signalés en Autriche, ne sauraient être confirmées, bien que plusieurs opérations de collecte d’éléments de preuve aient été menées.

248    À cet égard, s’il est vrai, ainsi que le fait valoir le Conseil, que les mesures restrictives ne relèvent pas du droit pénal, il n’en reste pas moins que, en l’occurrence, la condition nécessaire pour le maintien du nom d’une personne sur la liste est qu’elle soit identifiée comme étant responsable, notamment, de détournement de fonds publics, étant considérée comme telle une personne faisant l’objet d’une enquête de la part des autorités ukrainiennes. Il s’ensuit que, si le Conseil est informé du fait que le parquet d’un État membre de l’Union soulève des doutes sérieux, comme cela a été le cas en l’espèce, à l’égard du caractère suffisamment étayé des éléments supportant l’enquête des autorités ukrainiennes qui a été à l’origine de la décision du Conseil de maintenir le nom du requérant sur la liste, celui-ci est tenu d’opérer des vérifications supplémentaires auprès desdites autorités ou, à tout le moins, de solliciter des éclaircissements de la part de celles-ci, afin d’établir si les éléments dont il dispose, à savoir des informations assez vagues, se limitant à confirmer l’existence d’une enquête préliminaire visant le requérant, demeurent une base factuelle suffisamment solide pour justifier le maintien du nom du requérant sur la liste.

249    En quatrième lieu, dans les deux lettres mentionnées aux points 246 et 247 ci-dessus, [confidentiel] n’a pas indiqué que [confidentiel] était suspendue, ce dont le Conseil avait été informé par le requérant par le biais des observations que celui-ci lui avait présentées, le 12 janvier 2017, en vue du réexamen annuel des mesures le concernant.

250    À titre liminaire, il convient de relever que le Conseil excipe de l’irrecevabilité de l’offre de preuve, faite par le requérant avant la tenue de l’audience, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, consistant en la décision [confidentiel] du 5 mars 2016 de suspendre [confidentiel], dès lors qu’elle serait tardive et que le retard dans la présentation de celle-ci ne serait pas justifié. En revanche, le Conseil, d’une part, ne conteste pas que le requérant l’avait informé, dans le délai fixé pour lui présenter des observations en vue du réexamen annuel des mesures restrictives, de ladite suspension et, d’autre part, ne prétend pas ne pas avoir tenu compte de cette information, lors dudit réexamen, car il l’aurait considérée comme non suffisamment étayée ou crédible. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la recevabilité dudit document, dès lors que son examen n’est pas nécessaire afin d’établir si le Conseil aurait dû solliciter des informations à l’égard de la suspension de la procédure auprès des autorités ukrainiennes.

251    À cet égard, s’il est vrai, ainsi que le prétend le Conseil, que le fait que [confidentiel] est formellement suspendue ne permet pas de démontrer que l’enquête préliminaire menée à l’encontre du requérant ait cessé, il n’en reste pas moins, d’une part, que le Conseil avait été informé par le requérant, [confidentiel], que cette procédure n’était pas formellement en cours et, d’autre part, qu’une telle circonstance n’était pas sans incidence aux fins de la décision du maintien d’une mesure restrictive de la part du Conseil, lequel risquerait autrement de prolonger une telle mesure, à son insu, indéfiniment, ce qui serait contraire à la nature provisoire des mesures restrictives. Par ailleurs, le fait que [confidentiel] s’est limité à répéter depuis toujours les mêmes informations sur l’enquête préliminaire sans avoir fait état des nouvelles concernant son déroulement, en l’occurrence sa suspension, amoindrit la fiabilité des informations [confidentiel] fournies ainsi que de leur actualisation.

252    Il s’ensuit que le Conseil aurait dû solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements sur les raisons ayant déterminé la suspension de la procédure ainsi que sur la durée de celle-ci afin d’établir si le critère pertinent était encore satisfait en l’espèce.

253    Il résulte de tout ce qui précède que les informations sur [confidentiel], énoncées dans les lettres [confidentiel], sont lacunaires et entachées d’incohérences telles qu’elles auraient dû faire douter le Conseil du caractère suffisant des éléments dont il disposait.

254    En revanche, les éléments invoqués par le requérant avant l’adoption des actes de mars 2017, d’autant plus lorsqu’ils sont pris ensemble avec les éléments à décharge mentionnés aux points 125 et 126 ci-dessus, à savoir, en particulier, la décision de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), le rapport d’audit établi par l’IFE et le rapport Pepper Hamilton, étaient de nature à susciter des interrogations légitimes, de la part du Conseil, justifiant qu’il procède à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes.

255    Ainsi, le Conseil, compte tenu, d’une part, de l’insuffisance de la base factuelle sur laquelle il s’est fondé ainsi que, d’autre part, des éléments à décharge invoqués par le requérant, aurait dû procéder à des vérifications supplémentaires et solliciter des éclaircissements auprès des autorités ukrainiennes, conformément à la jurisprudence citée, notamment, au point 113 ci-dessus.

256    Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant qu’il n’était pas tenu de prendre en compte les éléments produits par le requérant et les arguments développés par celui-ci ni de procéder à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes, alors que lesdits éléments et arguments étaient de nature à susciter des interrogations légitimes quant à la fiabilité des informations fournies [confidentiel].

257    Le deuxième moyen soulevé par le requérant dans son second mémoire en adaptation est donc fondé. Dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’examiner ni les autres moyens soulevés par le requérant au soutien de sa demande d’annulation des actes de mars 2017, ni l’exception d’illégalité invoquée à titre subsidiaire, il y a lieu d’accueillir le recours en ce qu’il vise à obtenir l’annulation des actes de mars 2017, en tant qu’ils concernent le requérant.

 Sur le maintien des effets de la décision 2017/381

258    À titre subsidiaire, le Conseil demande que, en cas d’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/374, pour des raisons de sécurité juridique, le Tribunal déclare que les effets de la décision 2017/381 soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/374.

259    Il résulte de l’article 60, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi n’a pas d’effet suspensif. L’article 60, second alinéa, de ce statut prévoit, cependant, que, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai pendant lequel un pourvoi peut être introduit ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci.

260    En l’espèce, le règlement d’exécution 2017/374 a la nature d’un règlement, dès lors qu’il prévoit qu’il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, ce qui correspond aux effets d’un règlement tels que prévus à l’article 288 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2016, Conseil/Bank Saderat Iran, C‑200/13 P, EU:C:2016:284, point 121).

261    L’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est donc bien applicable en l’espèce (arrêt du 21 avril 2016, Conseil/Bank Saderat Iran, C‑200/13 P, EU:C:2016:284, point 122).

262    Enfin, en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation de la décision 2017/381, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.

263    En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2017/374 et celle de la décision 2017/381 serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces deux actes infligeant au requérant des mesures identiques. Les effets de la décision 2017/381 doivent donc être maintenus, en ce qui concerne le requérant, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2017/374.

 Sur les dépens

264    Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

265    En l’espèce, le requérant ayant succombé en ce qui concerne les demandes en annulation formulées dans la requête et dans le premier mémoire en adaptation, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à ces demandes, conformément aux conclusions du Conseil. Celui-ci ayant succombé en ce qui concerne la demande d’annulation partielle des actes de mars 2017 formulée dans le second mémoire en adaptation, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à cette demande, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine et le règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine sont annulés,dans la mesure où le nom de M. Sergiy Klyuyev a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Les effets de l’article 1er de la décision 2017/381 et de l’article 1er du règlement d’exécution 2017/374 sont maintenus à l’égard de M. Klyuyev jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.


4)      M. Klyuyevest condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, en ce qui concerne les demandes en annulation formulées dans la requête et dans le premier mémoire en adaptation.

5)      Le Conseil est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Klyuyev, en ce qui concerne la demande d’annulation partielle de la décision 2017/381 et du règlement d’exécution 2017/374, formulée dans le second mémoire en adaptation.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 février 2018.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur les conclusions en annulation des actes d’octobre 2015 et de mars 2016, en ce qu’ils visent le requérant

Sur le quatrième moyen, tiré du non-respect de l’obligation de motivation

Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base juridique

Sur le deuxième moyen, tiré, en substance, d’une erreur manifeste d’appréciation

Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation

Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte

Sur l’exception d’illégalité

Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils visent le requérant

Sur le maintien des effets de la décision 2017/381

Sur les dépens



*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.


2 Données confidentielles occultées.