Language of document :

ORDONNANCE DE LA COUR (première chambre)

16 mai 2013 (*)

«Taxation des dépens»

Dans l’affaire C-498/07 P-DEP,

ayant pour objet une demande de taxation des dépens récupérables au titre de l’article 145 du règlement de procédure de la Cour, introduite le 6 août 2012,

Deoleo SA, établie à Saint-Sébastien (Espagne), représentée par Me M. Fernández de Béthencourt, abogado,

partie requérante,

contre

Aceites del Sur-Coosur SA, établie à Vilches (Espagne), représentée par Me R. Jiménez Díaz, abogado,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, Mme M. Berger, MM. A. Borg Barthet, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Le 26 avril 1996, Aceites del Sur SA (devenue Aceites del Sur-Coosur SA, ci-après «Aceites del Sur»), une entreprise espagnole productrice d’huiles végétales, a présenté, sur le fondement du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), une demande de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) afin d’obtenir l’enregistrement de la marque figurative La Española pour certains produits au nombre desquels figuraient les «huiles et graisses comestibles».

2        Le 23 février 1999, l’entreprise Aceites Carbonell [devenue Koipe Corporación SL (ci-après «Koipe»), puis Deoleo SA (ci-après «Deoleo»)] a formé opposition à ladite demande, en invoquant un risque de confusion entre la marque dont l’enregistrement était demandé par Aceites del Sur et la marque figurative antérieure Carbonell dont elle était titulaire.

3        Par la décision n° 2084/2000, du 21 septembre 2000, la division d’opposition de l’OHMI a rejeté l’opposition de Koipe, en considérant que les signes en cause produisaient une impression visuelle globalement différente, qu’ils étaient totalement dépourvus d’éléments similaires sur le plan phonétique et que le lien conceptuel lié à la nature et à l’origine agricole des produits était faible, de sorte que tout risque de confusion entre les marques en conflit était exclu.

4        Le 19 janvier 2001, Koipe a introduit un recours devant l’OHMI contre la décision de rejet de la division d’opposition. La quatrième chambre de recours de l’OHMI a rejeté ce recours par une décision du 11 mai 2004 (affaire R1109/2000-4) (ci-après la «décision litigieuse»), qui confirmait, en substance, que l’impression visuelle produite par les signes en cause était globalement différente et que, par conséquent, il n’y avait pas de risque de confusion entre les signes en conflit.

5        Le 31 août 2004, Koipe a introduit un recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Au soutien de ce recours, elle soutenait notamment que l’OHMI n’avait tenu compte ni du fait que les marques en conflit étaient globalement similaires à première vue, ce qui était de nature à créer une confusion sur le marché, ni du fait que le produit faisant l’objet de la demande d’enregistrement, à savoir de l’huile d’olive, était identique au produit désigné par la marque antérieure Carbonell. 

6        Par son arrêt du 12 septembre 2007, Koipe/OHMI – Aceites del Sur (La Española) (T‑363/04, Rec. p. II‑3355), le Tribunal a accueilli le recours introduit par Koipe et a réformé la décision litigieuse en ce sens qu’il devait être fait droit à l’opposition de cette société.

7        En particulier, le Tribunal a estimé, au point 103 dudit arrêt, que «l’ensemble des éléments communs aux deux marques en cause produit une impression visuelle globale d’une grande similitude, puisque la marque La Española reproduit avec une grande précision l’essentiel du message et l’impression visuelle transmise par la marque Carbonell». Le Tribunal en a déduit, aux points 104 et 105 du même arrêt, que cette impression globale similaire du point de vue figuratif était susceptible de créer chez le consommateur un risque de confusion entre les marques en conflit et que ce risque de confusion n’était pas diminué par l’existence d’un élément verbal différent, eu égard au très faible caractère distinctif d’un élément verbal faisant référence à l’origine géographique du produit.

8        Le 12 novembre 2007, Aceites del Sur a formé un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal Koipe/OHMI – Aceites del Sur (La Española), précité.

9        Par arrêt du 3 septembre 2009, Aceites del Sur-Coosur/Koipe (C‑498/07 P, Rec. p. I‑7371), la Cour a rejeté ce pourvoi et a condamné Aceites del Sur à supporter les dépens de la procédure afférente au pourvoi.

10      Aucun accord sur le montant des dépens récupérables afférents à ladite procédure n’étant intervenu entre Aceites del Sur et Koipe, aux droits de laquelle se trouve désormais Deoleo, cette dernière demande à la Cour de fixer ce montant.

 Argumentation des parties

11      Deoleo demande à la Cour de fixer les dépens récupérables à la somme de 41 590,51 euros. Ce montant correspondrait aux frais indispensables, notamment aux honoraires d’avocats et aux autres dépens, engagés afin d’assurer sa défense devant la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Aceites del Sur-Coosur/Koipe, précité, pour la période allant de sa constitution comme partie défenderesse à la date de l’audience dans ladite affaire. Ce montant se décomposerait comme suit:

–        27 300 euros correspondant aux honoraires d’avocat de Me Fernández de Béthencourt constitué dans ladite affaire, relatifs à 78 heures de travail, calculées sur la base d’un taux horaire moyen s’élevant à 350 euros, dédiées à l’étude du pourvoi, à la rédaction du mémoire en réponse à celui-ci, à la préparation de l’audience et à la comparution devant la Cour;

–        6 600 euros correspondant aux honoraires d’avocat de Me Macias Bonilla, relatifs à 44 heures de travail, calculées sur la base d’un taux horaire moyen s’élevant à 150 euros, dédiées à la recherche de décisions des juridictions européennes applicables à l’espèce, à la compilation et à la préparation de documents et de décisions devant être joints au mémoire en réponse ainsi qu’à la rédaction et à l’envoi de différentes communications à la Cour;

–        6 102 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») afférente aux honoraires des deux avocats susmentionnés;

–        1 558,51 euros correspondant aux frais de déplacement et de séjour au Luxembourg de Me Fernández de Béthencourt en vue de la participation à l’audience qui a eu lieu devant la Cour le 14 octobre 2008.

12      Au soutien de sa demande, Deoleo fait valoir que, compte tenu de l’ampleur du travail de ses conseils ainsi que de l’importance de l’affaire tant du point de vue du droit de l’Union que de son incidence pratique sur ses intérêts propres, le montant demandé de 41 590,51 euros est raisonnable et pleinement justifié.

13      En ce qui concerne, en premier lieu, l’importance de l’affaire du point de vue du droit de l’Union, Deoleo soutient notamment que l’arrêt Aceites del Sur-Coosur/Koipe, précité, apporte des précisions importantes quant aux critères d’appréciation du risque de confusion entre deux marques.

14      S’agissant, en deuxième lieu, de l’importance pratique de l’affaire à l’égard de Deoleo, cette dernière fait valoir que, à la suite dudit arrêt de la Cour, Aceites del Sur n’a pas pu enregistrer la marque La Española auprès de l’OHMI. En outre, en se fondant sur ledit arrêt, l’Office espagnol des brevets et des marques aurait fait droit à certaines oppositions formées par Deoleo contre les demandes d’enregistrement de signes distinctifs nationaux «La Española» présentées par Aceites del Sur.

15      Aceites del Sur soutient que la demande de taxation des dépens pour un montant tel que celui demandé par Deoleo n’est pas fondée.

16      À cet égard, Aceites del Sur fait valoir, d’une part, que Deoleo demande le remboursement non pas des «frais indispensables», au sens des dispositions du règlement de procédure de la Cour, mais plutôt des honoraires que cette société aurait librement établis avec ses conseils.

17      D’autre part, s’agissant de l’importance pratique de l’affaire, Aceites del Sur affirme que celle-ci n’a eu aucun impact sur ses intérêts économiques ni sur la possibilité pour cette société de continuer à enregistrer auprès de l’OHMI de nouvelles marques communautaires sous le nom «La Española».

18      À cet égard, Aceites del Sur demande à la Cour d’utiliser les critères adoptés par le barreau de Madrid (Espagne) pour calculer le montant des dépens récupérables, ce qui conduirait à fixer ceux-ci à 9 102,61 euros.

 Appréciation de la Cour

19      Aux termes de l’article 144, sous b), du règlement de procédure, applicable aux procédures ayant pour objet un pourvoi en vertu du renvoi opéré par l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, sont considérés comme des dépens récupérables «les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat».

20      Le droit de l’Union ne prévoyant pas de dispositions de nature tarifaire ou relatives au temps de travail nécessaire, la Cour est libre d’apprécier les données de l’affaire, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit de l’Union ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer aux agents ou aux conseils intervenus et des intérêts économiques que le litige a présentés pour les parties (voir, notamment, ordonnance du 28 février 2013, Commission/Marcuccio, C‑432/08 P-DEP, point 23).

21      C’est à la lumière de ces éléments qu’il y a lieu d’évaluer le montant des dépens récupérables en l’espèce au titre des honoraires d’avocat.

22      En premier lieu, quant à l’objet et à la nature du litige, il importe de rappeler que la Cour a été saisie de ce litige dans le cadre d’une procédure de pourvoi. Or, une telle procédure est, en raison de sa nature même, limitée aux questions de droit et n’a donc pas pour objet la constatation des faits. En outre, antérieurement à ce pourvoi, le litige né de l’opposition formée par Koipe avait déjà donné lieu à un examen, successivement, par la division d’opposition de l’OHMI, par la quatrième chambre de recours de ce dernier et par le Tribunal.

23      En deuxième lieu, en ce qui concerne l’importance du litige sous l’angle du droit de l’Union et des difficultés des questions examinées dans le pourvoi, il y a lieu de constater que, dans celui-ci, Aceites del Sur invoquait deux moyens, dont le premier et la première branche du second moyen ne soulevaient pas de questions de droit complexes.

24      En revanche, l’examen de la seconde branche du second moyen portait sur une question plus complexe consistant à vérifier si le Tribunal avait commis une erreur de droit ayant consisté à apprécier l’existence du risque de confusion entre deux marques en accordant une importance décisive à leurs éléments figuratifs. Il s’agissait, en substance, de vérifier si le Tribunal avait méconnu la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en cas de risque de confusion entre marques complexes, il y a lieu d’opérer une comparaison en examinant les marques en cause chacune dans son ensemble et non pas de se limiter à considérer uniquement un composant d’une marque complexe et à le comparer avec une autre marque (voir ordonnance du 28 avril 2004, Matratzen Concord/OHMI, C‑3/03 P, Rec. p. I‑3657, point 32; arrêts du 6 octobre 2005, Medion, C‑120/04, Rec. p. I‑8551, point 29, et du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, Rec. p. I‑4529, point 41).

25      En troisième lieu, s’agissant des intérêts économiques concernés, il est constant que, eu égard à l’importance des marques en question dans le commerce, Koipe avait un intérêt certain à obtenir la confirmation, au stade du pourvoi, de l’arrêt Koipe/OHMI – Aceites del Sur (La Española), précité, ayant annulé la décision litigieuse par laquelle l’OHMI avait rejeté son opposition à l’enregistrement de la marque La Española.

26      En quatrième lieu, s’agissant de l’ampleur du travail fourni par les conseils de Koipe, il convient d’observer que Deoleo a inclus dans le calcul du montant des dépens récupérables les honoraires relatifs aux heures de travail de deux conseils.

27      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si, en principe, la rémunération d’un seul agent, conseil ou avocat est recouvrable, il se peut que, suivant les caractéristiques propres à chaque affaire, au premier rang desquelles figure sa complexité, la rémunération de plusieurs avocats puisse être considérée comme entrant dans la notion de «frais indispensables», au sens de l’article 144, sous b), du règlement de procédure (ordonnance du 3 septembre 2009, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑326/05 P-DEP, point 47 et jurisprudence citée).

28      Il s’ensuit que, lors de la fixation du montant des dépens récupérables, il convient de tenir compte du nombre total d’heures de travail pouvant apparaître comme objectivement indispensables aux fins de la procédure, indépendamment du nombre d’avocats entre lesquels ledit travail a été réparti (ordonnances du 11 janvier 2008, CEF City Electrical Factors et CEF Holdings/Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch et Technische Unie, C‑105/04 P-DEP et C-113/04 P-DEP, point 42, ainsi que Industrias Químicas del Vallés/Commission, précitée, point 48).

29      À cet égard, il y a lieu de relever que les 86 heures de travail dédiées par les conseils de Koipe à la préparation du mémoire en défense aussi bien que les 32 heures consacrées à la préparation de l’audience n’apparaissent pas «indispensables […] aux fins de la procédure», au sens de l’article 144, sous b), du règlement de procédure. En effet, il convient de rappeler, tout d’abord, que la rédaction du mémoire en réponse a comporté l’examen d’un nombre limité de questions de droit. Ensuite, il importe de considérer que le conseil constitué par Koipe à titre principal avait déjà une connaissance approfondie de l’affaire étant donné qu’il avait représenté cette société lors de la procédure en première instance, ce qui aurait dû lui faciliter la tâche dans le cadre de la procédure de pourvoi.

30      En outre, il convient de rappeler que le juge de l’Union est habilité non pas à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces rémunérations peuvent être récupérées auprès de la partie condamnée aux dépens (voir, notamment, ordonnances du 10 septembre 2009, C.A.S./Commission, C‑204/07 P-DEP, point 13, et du 7 juin 2012, France Télévisions/TF1, C‑451/10 P-DEP, point 19).

31      À cette fin, selon une jurisprudence constante de la Cour, cette dernière n’a pas à prendre en considération, contrairement à ce que suggère Aceites del Sur, un tarif national fixant les honoraires des avocats (voir ordonnances du 9 janvier 2008, Pucci/El Corte Inglés, C‑104/05 P-DEP, point 11, et du 19 mai 2011, BSH/Royal Appliance International, C‑448/09 P-DEP, point 17).

32      Enfin, s’agissant de la TVA afférente aux honoraires des conseils de Deoleo, il importe de relever que cette société, en tant qu’entreprise commerciale, est assujettie à la TVA et, en conséquence, elle est en droit de récupérer la TVA versée à l’occasion du paiement des honoraires de ses avocats, de sorte que le montant correspondant ne doit pas être pris en compte aux fins du calcul des dépens récupérables (voir ordonnance du 12 septembre 2012, Klosterbrauerei Weissenohe/Torresan, C‑5/10 P-DEP, point 30).

33      Eu égard à ce qui précède, il est approprié de fixer à 20 000 euros le montant des honoraires d’avocat récupérables.

34      S’agissant des débours autres que les honoraires d’avocat, Deoleo réclame une somme de 1 588,51 euros au titre des frais de déplacement et de séjour au Luxembourg exposés par son conseil afin de participer à l’audience devant la Cour. Un tel montant, qui est accompagné des pièces justificatives requises et qui n’est pas contesté par Aceites del Sur, n’apparaît pas disproportionné.

35      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il sera fait une juste appréciation des dépens récupérables en fixant leur montant total à 21 588,51 euros.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) ordonne:

Le montant total des dépens que Aceites del Sur-Coosur SA doit rembourser à Deoleo SA est fixé à la somme de 21 588,51 euros.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.