Language of document : ECLI:EU:T:2006:348

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

16 novembre 2006 (*)

« Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Programme TACIS – Services fournis en sous-traitance – Refus de paiement – Enrichissement sans cause – Gestion d’affaires – Répétition de l’indu – Confiance légitime – Devoir de diligence »

Dans l’affaire T‑333/03,

Masdar (UK) Ltd, établie à Eversley (Royaume-Uni), représentée par MM. A. Bentley, QC, et P. Green, barrister,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Enegren et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours au titre de l’article 235 et de l’article 288, deuxième alinéa, CE tendant à obtenir le paiement des services fournis par la requérante dans le cadre des contrats TACIS MO.94.01/01.01/B002 et RU 96/5276/00, la réparation du préjudice subi par la requérante en raison du non-paiement de ces services et le paiement des intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de M. M. Vilaras, président, Mmes M. E. Martins Ribeiro et K. Jürimäe, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 octobre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 28, paragraphe 2, du règlement financier, du 21 décembre 1977, applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 356, p. 1, ci-après le « règlement financier »), tel qu’en vigueur le 4 avril 2000, dispose :

« Toute créance identifiée comme certaine, liquide et exigible doit faire l’objet, de la part de l’ordonnateur compétent, d’une constatation de créance et d’un ordre de recouvrement […] »

 Faits à l’origine du litige

2        Au début de l’année 1994, dans le cadre du programme communautaire d’assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS), un contrat portant la référence MO.94.01/01.01/B0002 a été conclu entre la Commission, représentée par le directeur général adjoint de la direction générale (DG) « Relations économiques extérieures », et Helmico SA, représentée par son administrateur délégué. Ce contrat (ci-après le « contrat moldave ») s’intitulait « Assistance à l’organisation d’une association privée d’exploitants agricoles » et s’inscrivait dans le cadre du projet portant la référence TACIS/FD MOL 9401 (ci-après le « projet moldave »).

3        En avril 1996, Helmico et la requérante ont conclu un contrat par lequel Helmico sous-traitait à cette dernière la fourniture de certains des services prévus par le contrat moldave.

4        Le 27 septembre 1996, le contrat TACIS portant la référence RU 96-5276-00 a été conclu entre la Commission, représentée par le directeur général adjoint de la DG « Relations politiques extérieures », et Helmico, représentée par son administrateur délégué. En vertu de ce contrat (ci-après le « contrat russe »), Helmico s’est engagée à fournir des services en Russie dans le cadre d’un projet intitulé « Système fédéral de certification et d’essai de semences » et portant le numéro de référence FD RUS 9502 (ci-après le « projet russe »).

5        En décembre 1996, Helmico et la requérante ont conclu un contrat de sous-traitance pour le projet russe, sensiblement identique à celui conclu en avril 1996 à propos du projet moldave.

6        Vers la fin de l’année 1997, la requérante s’est inquiétée des retards de paiement de Helmico, qui a invoqué l’excuse selon laquelle ces retards étaient imputables à la Commission. La requérante a contacté les services de la Commission et a appris que celle-ci avait payé toutes les factures de Helmico à cette date. Des recherches plus approfondies ont permis à la requérante de découvrir que Helmico l’avait informée tardivement ou de manière incorrecte des paiements qu’elle avait reçus de la Commission. Il est notamment apparu que Helmico avait attendu pas moins de neuf mois pour informer la requérante de la réception des fonds versés par la Commission, en prétendant ne pas avoir reçu la totalité des paiements dus par cette dernière alors qu’elle avait été intégralement payée, en prétendant que la procédure de paiement était toujours en cours alors que les paiements avaient déjà été effectués par la Commission et en transmettant à la requérante des copies de factures envoyées à la Commission dont les montants ne correspondaient pas à ceux que la requérante avait facturés à Helmico. [

7        Le 2 octobre 1998, une réunion a eu lieu entre un administrateur de Masdar et des représentants de la Commission.

8        Le 5 octobre 1998, les services de la Commission ont envoyé une lettre par télécopieur à Helmico. Dans cette lettre, la Commission déclarait s’inquiéter du fait que des divergences de vues entre les membres du consortium Helmico risquaient de compromettre l’achèvement du projet russe et soulignait qu’elle attachait une grande importance au respect des termes du contrat russe et à la réussite du projet russe. Elle demandait à Helmico des assurances sous la forme d’une déclaration signée conjointement par Helmico et par la requérante indiquant que celles-ci étaient en parfait accord sur le respect des termes du contrat russe et que le projet russe serait mené à bien dans les délais impartis. La lettre précisait qu’à défaut de recevoir une telle assurance avant le lundi 12 octobre 1998 la Commission envisagerait de recourir à d’autres moyens pour garantir l’achèvement dudit projet, conformément aux termes du contrat russe.

9        Par télécopie du 6 octobre 1998, Helmico a répondu aux services de la Commission que les divergences de vues entre les membres du consortium avaient été réglées et que l’achèvement du projet russe n’était nullement compromis. Cette réponse précisait que les membres du consortium étaient convenus que tous les paiements à venir, y compris ceux des factures dont le traitement était toujours en cours en ce qui concernait le projet russe, seraient effectués sur un compte bancaire désigné de la requérante et non sur le compte bancaire de Helmico. Elle indiquait également ce qui suit :

« Il a également été convenu que la gestion des contrats serait transférée à la date d’aujourd’hui à M. S, le président de Masdar. Pourriez-vous nous contacter le plus rapidement possible pour confirmer que vous acceptez ces modifications. »

10      Cette lettre était signée par M. T en sa qualité d’administrateur délégué de Helmico et portait la mention manuscrite suivante : « Approuvé, M. S, Masdar, 6 octobre 1998 ».

11      Une lettre rédigée dans les mêmes termes, datée du même jour et contresignée par le président de Masdar, a été envoyée par Helmico à la Commission à propos des sommes à payer dans le cadre du contrat moldave.

12      Le 7 octobre 1998, Helmico a envoyé à la Commission deux autres lettres, signées par M. T et contresignées par M. S au nom de Masdar. Leur teneur était identique à celle des lettres du 6 octobre, si ce n’est que la lettre relative au contrat russe ne mentionnait aucun compte bancaire, tandis que la lettre concernant le contrat moldave indiquait un numéro de compte bancaire au nom de Helmico à Athènes pour les paiements futurs.

13      Le 8 octobre 1998, Helmico a écrit deux lettres aux gestionnaires des projets concernés du service « contrats » de la Commission pour leur demander d’effectuer tous les paiements ultérieurs dans le cadre des contrats russe et moldave sur un compte différent au nom de Helmico à Athènes. Ces lettres se terminaient par la déclaration suivante :

« Les présentes instructions ne peuvent être révoquées par Helmico sans l’approbation écrite du président de Masdar, M. S. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir informer Masdar de l’état d’avancement de la procédure de paiement et de la date à laquelle les paiements seront effectués. »

14      Le 8 octobre 1998, Helmico et la requérante ont signé une convention donnant une procuration au président de Masdar, pour transférer des fonds à partir des deux comptes mentionnés dans les lettres du 7 et du 8 octobre 1998, adressées à la Commission.

15      Le 10 novembre 1998, la Commission a émis son rapport de fin de projet concernant le projet russe. Sur les six rubriques soumises à une évaluation, quatre d’entre elles ont reçu l’appréciation « excellent », une autre « bien » et une autre « ensemble satisfaisant ». Le 26 février 1999, la Commission a émis son rapport de fin de projet concernant le projet moldave pour lequel deux des rubriques soumises à évaluation ont reçu l’appréciation « bien » et quatre autres « ensemble satisfaisant ».

16      En février 1999, les fonctionnaires de la Commission ont entrepris un audit des projets moldave et russe. L’audit du projet russe a été terminé en avril 1999. L’audit du projet moldave n’était pas terminé en juillet 1999.

17      Le 29 juillet 1999, les services de la Commission ont adressé à la requérante une lettre dans laquelle ils indiquaient que la Commission, ayant été informée de l’existence d’irrégularités financières entre Helmico et la requérante lors de l’exécution des contrats russe et moldave, avait suspendu tous les paiements non encore effectués et avait engagé un audit complet afin de déterminer si des fonds communautaires avaient été détournés dans le cadre de l’exécution des contrats russe et moldave. Consciente des difficultés financières de la requérante, la Commission lui faisait savoir qu’elle verserait dans le cadre du projet russe un acompte de 200 000 euros sur le compte de Helmico mentionné dans les instructions communiquées par cette société en date du 8 octobre 1998.

18      La somme de 200 000 euros a été versée en août 1999 sur ce compte, et a ensuite été virée sur le compte de la requérante.

19      Entre décembre 1999 et mars 2000, le président de Masdar a écrit à plusieurs fonctionnaires de la Commission, ainsi qu’au membre de la Commission en charge des relations extérieures, M. Patten. Parmi les diverses questions évoquées figurait celle du paiement des services fournis par Masdar.

20      Le 22 mars 2000, le directeur général du service commun des relations extérieures de la Commission a écrit au président de Masdar, pour l’informer de ce qui suit :

« Au terme d’intenses consultations (dans lesquelles plusieurs possibilités ont été envisagées, y compris la liquidation finale des deux contrats au moyen de paiements additionnels en faveur de Masdar, calculés en fonction des travaux effectués et des dépenses engagées par vous), les services de la Commission ont finalement décidé de procéder au recouvrement des fonds précédemment versés au contractant, Helmico. Sur le plan juridique, il semblerait que tout paiement effectué directement à Masdar (même par l’intermédiaire du compte bancaire de Helmico pour lequel vous disposez d’une procuration) serait considéré, en cas d’insolvabilité de Helmico, comme un acte collusoire de la part des administrateurs ou des créanciers de Helmico ; en outre, il n’est pas certain qu’en cas de litige entre Helmico et Masdar, les fonds versés par la Commission européenne resteraient définitivement acquis à Masdar, comme le souhaiterait la Commission ».

21      Le 23 mars 2000, la Commission a écrit à Helmico pour lui faire part de son refus de payer les factures en suspens et pour lui demander de rembourser un montant total de 2 091 168,07 euros. La Commission a pris cette initiative après avoir découvert que Helmico avait agi frauduleusement dans l’exécution des contrats moldave et russe.

22      Le 31 mars 2000, la requérante a formé un recours contre Helmico devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la magistrature royale du siège, Royaume-Uni], par lequel elle réclamait le paiement des services effectués en sous-traitance dans le cadre de l’exécution des contrats moldave et russe pour un montant total de 453 000 euros.

23      Le 4 avril 2000, la Commission a établi deux ordres de recouvrement officiels adressés à Helmico en vertu de l’article 28, paragraphe 2, du règlement financier. La teneur de ces documents a été communiquée aux avocats de la requérante le 1er février 2002 (voir point 36 ci-après).

24      Le 15 juin 2000, le président de Masdar, a adressé une télécopie au membre de la Commission en charge des relations extérieures, dans laquelle il a déclaré :

« Il y a 18 mois, nous avons alerté la Commission européenne des difficultés que nous rencontrions avec nos partenaires Helmico pour les deux projets susmentionnés. Nous avons reçu des assurances que, si nous poursuivions les projets, la Commission européenne s’assurerait que nous serions rémunérés pour nos services. Nous avons continué à financer et à mettre en œuvre les deux projets en votre nom au prix de surcoûts importants en dépit du fait que nous nous étions déjà rendus compte que Helmico avait escroqué Masdar et que ces fonds seraient probablement irrécupérables. »

25      La réponse du membre de la Commission, par courrier du 25 juillet 2000, confirme la position de la Commission, exprimée dans la lettre du 22 mars 2000.

26      Le 5 février 2001, le président de Masdar a adressé de nouveau une télécopie au membre de la Commission en charge des relations extérieures, faisant valoir les arguments selon lesquels, d’une part, la requérante était partie aux contrats russe et moldave conclus avec la Commission et, d’autre part, lors de la réunion du 2 octobre 1998, il lui avait été donné l’assurance qu’elle serait payée si elle poursuivait les projets russe et moldave.

27      En avril 2001, la requérante a pris contact avec la Commission pour examiner la possibilité de se faire directement payer par celle-ci pour les travaux effectués et facturés à Helmico.

28      Par lettre du 8 mai 2001, le membre de la Commission en charge des relations extérieures réitérait la position de la Commission selon laquelle la requérante n’était pas partie aux contrats russe et moldave.

29      Le 21 mai 2001, une réunion s’est tenue entre les avocats de la requérante et les services de la Commission pour examiner la possibilité de rémunérer directement la requérante pour les services fournis.

30      Le 1er août 2001, les avocats de la requérante ont réitéré la demande visant à obtenir un paiement à titre gracieux de la Commission. La requérante a demandé le paiement de 448 947,78 euros ou, à titre subsidiaire, de 249 314 euros. Le premier chiffre correspondait au montant total facturé par Helmico à la Commission qui restait impayé, tandis que le second chiffre correspondait au montant des travaux effectués après la découverte de la fraude.

31      Le 28 août 2001, une réunion a eu lieu entre les avocats de la requérante et les services de la Commission pour examiner la possibilité de rémunérer directement la requérante pour les services fournis.

32      Le 10 octobre 2001, les avocats de la requérante ont transmis aux services de la Commission la copie d’un rapport établi en 1998. Ce document était censé aider les services de la Commission à retrouver la trace des administrateurs de Helmico.

33      Le 16 octobre 2001, les services de la Commission ont répondu que les informations avaient été transmises aux services compétents de la DG « Budget », à l’Office européen de lutte antifraude et à l’unité des finances et des contrats qui s’occupait des programmes TACIS et que les services de la Commission entreprendraient toutes les démarches nécessaires pour rechercher les administrateurs de Helmico.

34      Le 16 octobre 2001, les avocats de la requérante ont écrit à la Commission qu’il existait entre les services de la Commission et la requérante un accord tacite selon lequel la Commission paierait la requérante à compter du 8 octobre 1998, à condition que celle-ci fasse en sorte que le projet russe et le projet moldave soient menés à bien. Les principaux arguments invoqués dans cette lettre visaient à démontrer que la Commission avait admis que la requérante était devenue le contractant principal du projet russe à partir de 1998. Cette lettre se terminait par la déclaration suivante :

« Je vous serais reconnaissant de me faire savoir si les services de la Commission accueillent l’argument développé dans la présente lettre et, le cas échéant, s’ils sont prêts à verser à Masdar Ltd un acompte de 279 711,85 euros en attendant la fin de la procédure de recouvrement engagée contre Helmico. »

35      Les arguments avancés par les avocats de la requérante ont été rejetés par les services de la Commission dans une lettre datée du 13 novembre 2001. La lettre se terminait par la déclaration suivante :

« La Commission procédera au recouvrement, auprès des représentants de Helmico, des sommes perçues par cette société, sur la base de l’ordre de recouvrement. En fonction de l’issue de cette procédure, de nouvelles dispositions pourront être envisagées quant à l’utilisation des sommes recouvrées. »

36      Le 1er février 2002, dans une réponse écrite à une demande formulée par les avocats de la requérante, les services de la Commission ont expliqué que deux ordres de recouvrement officiels avaient été émis le 4 avril 2000 à l’attention de Helmico, l’un concernant le contrat moldave pour un montant de 1 236 200,91 euros et l’autre concernant le contrat russe pour un montant de 854 967,16 euros, soit un total de 2 091 168,07 euros.

37      Dans une lettre du 27 février 2002 adressée aux services de la Commission, les avocats de la requérante ont constaté que les montants des deux ordres de recouvrement officiels correspondaient approximativement aux montants figurant sur le relevé des sommes payées par la Commission à Helmico. Ils en déduisaient que la Commission n’avait pas jugé nécessaire d’émettre des ordres de recouvrement pour les montants facturés par Helmico à la Commission mais non payés par cette dernière.

38      Le 11 mars 2002, les services de la Commission ont écrit aux avocats de la requérante pour confirmer que les deux ordres de recouvrement officiels émis par les services de la Commission le 4 avril 2000 à l’attention de Helmico ne couvraient pas les montants facturés par Helmico à la Commission mais non payés par cette dernière.

39      Le 17 décembre 2002, le service juridique de la Commission a transmis aux avocats de la requérante un relevé des montants facturés par Helmico à la Commission, ainsi que les dates, les montants des paiements et les montants des paiements non effectués.

40      Le 18 février 2003 une réunion a eu lieu entre les avocats de la requérante et les services de la Commission.

41      Le 23 avril 2003, les avocats de la requérante ont adressé aux services de la Commission une lettre recommandée se terminant par la déclaration suivante :

« [À] moins que les services de la Commission ne soient en mesure d’avancer, le 15 mai 2003 au plus tard, une proposition concrète de paiement de ma cliente pour les services fournis, un recours en réparation sera formé contre la Commission devant le Tribunal de première instance en vertu des articles 235 CE et 288 [CE] (ex-articles 178 et 215 du traité CE). »

42      Par télécopie datée du 15 mai 2003, la Commission a écrit aux avocats de la requérante pour leur proposer la tenue d’une réunion pour discuter d’un éventuel règlement amiable en vertu duquel la Commission verserait à la requérante la somme de 249 314,35 euros pour les travaux effectués après la découverte de la fraude de Helmico, si la requérante apportait la preuve d’un accord prévoyant qu’elle serait payée directement par la Commission si elle achevait les projets russe et moldave.

43      Par lettre recommandée du 23 juin 2003, les avocats de la requérante ont répondu aux services de la Commission qu’ils refusaient de poursuivre les négociations sur la base proposée par la Commission en exposant les détails de la demande de la requérante ainsi que les termes et conditions auxquels celle-ci consentirait à participer à une réunion.

44      Cette lettre recommandée a été suivie d’une télécopie du 3 juillet 2003 dans laquelle les avocats de la requérante ont sollicité la réponse de la Commission sur la possibilité d’organiser, avant le 15 juillet 2003, une réunion aux conditions proposées et qu’à défaut d’une telle réunion le Tribunal de première instance serait saisi d’un recours.

45      Par lettre du 22 juillet 2003, les services de la Commission ont répondu qu’ils ne pouvaient donner suite à la demande de paiement de la requérante.

 Procédure

46      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2003, la requérante a introduit le présent recours.

47      La procédure écrite a été close le 22 avril 2004.

48      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a invité les parties à produire certains documents et à répondre à certaines questions écrites avant l’audience. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

49      Le 6 octobre 2005, une réunion informelle a eu lieu, devant la cinquième chambre du Tribunal, au titre des mesures d’organisation de la procédure, pour explorer les possibilités d’un règlement à l’amiable de l’affaire.

50      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 6 octobre 2005.

51      À l’issue de l’audience, le Tribunal a accordé aux parties un délai expirant le 30 novembre 2005 en vue d’explorer les possibilités d’un règlement à l’amiable de l’affaire. Le président de la cinquième chambre a alors décidé de surseoir à la clôture de la procédure orale.

52      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 23 novembre 2005, la requérante a informé le Tribunal qu’à cette date les parties n’avaient pas encore trouvé un arrangement à l’amiable.

53      Par la même lettre, la requérante s’est désistée partiellement de ses demandes en indemnité, en modifiant ses conclusions en conséquence. Elle a notamment renoncé à réclamer totalement ou partiellement l’indemnisation au titre de certains chefs de préjudice indirect pour un montant total de 1 402 179,95 livres sterling (GBP), hors montant éventuellement accordé au tire de la réparation du préjudice moral.

54      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 29 novembre 2005, la Commission a informé le Tribunal que le règlement à l’amiable de l’affaire n’avait pas pu aboutir entre les parties.

55      Le 6 janvier 2006, la Commission a présenté ses observations sur le désistement partiel de la requérante de ses conclusions en indemnité. Elle a notamment indiqué qu’elle maintenait ses conclusions au principal visant au rejet du recours et à la condamnation de la requérante aux dépens. La Commission a fait valoir, à titre subsidiaire, que, si la requérante devait obtenir entièrement ou partiellement gain de cause, elle devrait néanmoins supporter au moins un tiers de ses propres dépens.

56      Le président de la cinquième chambre a clos la procédure orale le 16 janvier 2006. Les parties en ont été informées par lettre du 18 janvier 2006.

 Conclusions des parties

57      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        ordonner à la Commission de verser à la requérante :

–        la somme de 448 947,78 euros, à titre de demande principale ;

–        les intérêts dus sur cette somme au 31 juillet 2003, qui s’élèvent à 98 121,24 GBP, ainsi que les intérêts échus du 1er août 2003 à la date du prononcé de l’arrêt ;

–        au titre de l’indemnisation du préjudice indirect, les sommes suivantes :

–        un montant de 34 751,14 GBP au titre des honoraires d’avocats ;

–        un montant de 87 000 GBP au titre du préjudice résultant de la nécessité de vendre certains de ses biens immobiliers à un moment inapproprié ;

–        le montant que le Tribunal considère approprié à titre de préjudice moral ;

–        condamner la Commission aux dépens de la présente procédure.

58      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, si la requérante devait obtenir entièrement ou partiellement gain de cause, condamner la requérante à supporter au moins un tiers de ses propres dépens.

 En droit

 Observations liminaires du Tribunal

59      Il convient de rappeler au préalable que, comme il résulte d’une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20).

60      Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, points 19 et 81 ; arrêts du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37, et du 19 mars 2003, Innova Privat-Akademie/Commission, T‑273/01, Rec. p. II‑1093, point 23).

61      Pour satisfaire la condition de l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Groupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42).

62      Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêt de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 54, et arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134).

63      Il convient d’ajouter que l’article 288, deuxième alinéa, CE fonde l’obligation qu’il impose à la Communauté de réparer les dommages causés par ses institutions sur les « principes généraux communs aux droits des États membres », sans restreindre, par conséquent, la portée de ces principes au seul régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite desdites institutions.

64      Or, les droits nationaux de la responsabilité non contractuelle permettent aux particuliers, bien qu’à des degrés variables, dans des domaines spécifiques et selon des modalités différentes, d’obtenir en justice l’indemnisation de certains dommages, même en l’absence d’action illicite de l’auteur du dommage.

65      Dans l’hypothèse d’un dommage engendré par un comportement des institutions de la Communauté dont le caractère illégal n’est pas démontré, la responsabilité non contractuelle de la Communauté peut être engagée, dès lors que sont cumulativement remplies les conditions relatives à la réalité du préjudice, au lien de causalité entre celui-ci et le comportement des institutions communautaires, ainsi qu’au caractère anormal et spécial du préjudice en question (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, Rec. p. I‑4549, point 19).

66      S’agissant de ces deux notions, un préjudice est, d’une part, anormal lorsqu’il dépasse les limites des risques économiques inhérents aux activités dans le secteur concerné et, d’autre part, spécial lorsqu’il affecte une catégorie particulière d’opérateurs économiques d’une façon disproportionnée par rapport aux autres opérateurs (arrêts du Tribunal Förde-Reederei/Conseil et Commission, précité, point 56, et du 10 février 2004, Afrikanische Frucht-Compagnie et Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Conseil et Commission, T‑64/01 et T‑65/01, Rec. p. II‑521, point 151).

67      C’est sous le bénéfice de ces observations qu’il convient d’examiner la demande indemnitaire de la requérante.

68      La requérante fait valoir que son recours est fondé en raison de la violation par la Commission de principes de responsabilité non contractuelle, reconnus dans un grand nombre d’États membres. Elle se réfère, à cet égard, aux actions suivantes :

–        l’action civile fondée sur le principe de l’interdiction de l’enrichissement sans cause (de in rem verso) ;

–        l’action civile fondée sur la gestion d’affaires (negotiorum gestio) ;

–        l’action fondée sur la violation du principe de droit communautaire de protection de la confiance légitime ;

–        l’action civile fondée sur le fait que les actes des services de la Commission constituent une faute ou une négligence qui lui ont causé un préjudice.

69      Le Tribunal note que la demande indemnitaire de la requérante repose, d’une part, sur des régimes de responsabilité non contractuelle n’impliquant pas de comportement illicite de la part des institutions de la Communauté ou de ses agents dans l’exercice de leurs fonctions (l’enrichissement sans cause et la gestion d’affaires) et, d’autre part, sur le régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en raison du comportement illicite de ses institutions et de ses agents dans l’exercice de leurs fonctions (la violation du principe de protection de la confiance légitime et la faute ou la négligence de la Commission).

 Sur les demandes fondées sur la responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes (actions de in rem verso et negotiorum gestio)

 Arguments des parties

70      En ce qui concerne l’action civile de in rem verso, la requérante fait valoir que son exercice selon les principes de droit communs aux États membres présuppose la réunion de quatre conditions :

–        le défendeur s’est enrichi ;

–        le requérant s’est appauvri ;

–        il existe un lien entre l’enrichissement du défendeur et l’appauvrissement du requérant ;

–        ni l’enrichissement ni l’appauvrissement n’ont de base légale valable : en d’autres termes, l’enrichissement est injuste ou sans « cause ».

71      Concernant la première condition, la requérante soutient que la Commission s’est enrichie à hauteur de la valeur totale des services faisant l’objet des factures dont le paiement a été suspendu, soit 448 947,78 euros.

72      Concernant la deuxième condition, la requérante soutient que, puisque les factures dont la Commission a suspendu le paiement correspondent à des services qu’elle a fournis ou qu’elle a sous-traités à des tiers et payés, cette suspension l’a appauvrie des mêmes sommes. Les sommes n’ont pas pu être récupérées auprès de Helmico qui a invoqué la suspension de paiement et l’émission des ordres de recouvrement par la Commission comme moyens de défense dans le cadre du recours intenté par la requérante au Royaume Uni. La requérante ajoute que l’apparente faillite de Helmico, ainsi que la disparition de ses administrateurs, a rendu définitif son appauvrissement.

73      Concernant la troisième condition, la requérante soutient qu’il résulte de ce qui précède qu’il existe un lien direct entre le montant dont la Commission s’est enrichie et le montant dont la requérante s’est appauvrie.

74      Concernant la quatrième condition, la requérante soutient que le refus de la Commission d’effectuer les paiements pour les travaux réalisés après la découverte de la fraude en octobre 1998 ne trouve pas sa justification dans le règlement financier, puisque la régularité des factures ultérieures n’est pas mise en cause. La Commission aurait pu ainsi, en toute connaissance de cause, bénéficier des services fournis par la requérante sans jamais la rémunérer, en utilisant ses pouvoirs de suspension et de recouvrement au moment où la requérante avait achevé l’exécution de ses obligations et alors que le paiement était la seule obligation contractuelle qui lui restait à exécuter. La Commission se trouverait donc enrichie injustement et sans cause.

75      La requérante s’appuie également sur le principe général de droit communautaire selon lequel la Communauté ne doit pas injustement s’enrichir au détriment des tiers.

76      En ce qui concerne l’action civile basée sur la gestion d’affaires, la requérante fait valoir que son exercice selon les principes de droit communs aux États membres présuppose la réunion des cinq conditions suivantes :

–        la gestion des affaires du géré (ou maître de l’affaire), qu’elle soit d’ordre juridique ou matériel, doit profiter au géré ;

–        au moment des faits, le géré n’était pas en mesure de gérer ses propres affaires, mais elles devaient être gérées ;

–        le gérant n’avait pas l’intention d’agir à titre gratuit ; il n’y avait pas d’animus donandi ;

–        le gérant n’avait aucune obligation contractuelle de gérer les affaires du géré ;

–        on pouvait raisonnablement s’attendre que le géré agît comme le gérant s’il avait eu conscience de la nécessité d’agir.

77      La première condition serait remplie, car la Commission a émis des rapports de fin de projet favorables et a ainsi accepté le travail de la requérante.

78      La deuxième condition serait remplie parce qu’il ressortirait à l’évidence de la télécopie du 5 octobre 1998 que les services de la Commission, craignant que l’exécution des contrats russe et moldave ne soit pas achevée, auraient demandé à la requérante de prendre des mesures pour garantir leur achèvement.

79      La troisième condition serait remplie, puisque la requérante aurait fait part, en octobre 1998, de son inquiétude quant au défaut de paiement, ce qui montrerait qu’elle n’avait pas l’intention de fournir les services en question à titre gratuit. Cela serait corroboré par le fait qu’elle s’était arrangée avec Helmico pour ouvrir un compte spécial sur lequel elle avait une procuration de sorte que tous les paiements effectués par la Commission sur ce compte pouvaient lui être transférés.

80      La quatrième condition serait remplie dans la mesure où les services de la Commission eux-mêmes nient l’existence de toute relation contractuelle entre la Commission et la requérante.

81      La cinquième condition serait remplie étant donné que les services de la Commission ont écrit dans leur télécopie du 5 octobre 1998 :

« À défaut de recevoir une telle assurance d’ici le lundi 12 octobre, la Commission envisagerait de recourir à d’autres moyens pour garantir l’achèvement du projet, conformément aux termes du contrat. »

82      Selon la requérante, l’existence de la gestion d’affaires entraîne pour le gérant l’obligation de continuer à gérer les affaires du géré jusqu’à ce que ce dernier soit en mesure de s’en occuper lui-même et d’agir raisonnablement, en bon père de famille. Le géré doit indemniser le gérant pour les services rendus et pour les dépenses engagées du fait de cette gestion. En l’occurrence, la requérante ayant achevé les projets russe et moldave et ayant agi raisonnablement, elle aurait donc droit à une rémunération raisonnable pour le travail effectué et au remboursement de tous les frais engagés pour la réalisation de ce travail.

83      La requérante soutient que la mise en œuvre de ces principes généraux de responsabilité non contractuelle, communs aux États membres, n’est pas soumise à la condition relative à l’illégalité du comportement de l’enrichi ou du gérant. L’acte illégal surviendrait uniquement lorsque, et si, l’enrichi refuse de rembourser l’appauvri (action de in rem verso) ou le géré refuse d’indemniser le gérant (negotiorum gestio). Dès lors, la requérante conclut au bien-fondé de l’ensemble de ses demandes.

84      La Commission se réfère à la jurisprudence selon laquelle l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose que la partie requérante prouve l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec. p. II‑125, point 54, et du 27 février 2003, Vendedurías de Armadores Reunidos/Commission, T‑61/01, Rec. p. II‑327, point 40). Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de la responsabilité non contractuelle (voir arrêt Innova Privat Akademie/Commission, précité, point 23, et la jurisprudence citée).

85      La Commission soutient, à titre principal, que, puisque dans le cadre de ses demandes, fondées respectivement sur les actions de in rem verso et negotiorum gestio, la requérante n’avance aucune allégation précise quant à l’illégalité du comportement de la Commission, ces demandes doivent être rejetées au motif que la condition tenant à l’illégalité du comportement de l’institution n’est pas remplie. Quant à l’argument de la requérante, selon lequel le défaut d’indemnisation constituerait en soi l’acte illégal, il s’agit, selon la Commission, d’un raisonnement circulaire dans la mesure où le préjudice allégué et le fait générateur de la responsabilité ne font qu’un.

86      La Commission soutient, à titre subsidiaire, que les conditions pour intenter une action fondée sur le principe de l’interdiction de l’enrichissement sans cause ou sur la gestion d’affaires ne sont pas réunies.

87      On ne saurait notamment reprocher à la Commission de s’être enrichie injustement ou sans cause au détriment de la requérante, du fait de la suspension des paiements à Helmico et de l’émission des ordres de recouvrement à l’encontre de cette dernière, à la suite de la fraude dans le cadre de leur relation contractuelle. En agissant de la sorte, la Commission aurait rempli une obligation expressément prévue par le règlement financier qui n’aurait, contrairement à ce que soutient la requérante, pas engendré un droit en faveur du sous-traitant. La Commission considère au contraire qu’une telle obligation exclut la possibilité de prendre en considération les intérêts de toute tierce partie.

88      La requérante ne serait pas fondée à dire qu’elle a été « injustement » appauvrie, puisque la somme réclamée pour les travaux effectués en vertu de ses obligations contractuelles correspond à la somme qui lui est due par Helmico en vertu des contrats de sous-traitance. La Commission rappelle que la requérante a choisi de ne pas s’engager dans une relation contractuelle avec elle et ne peut, de ce fait, réclamer les garanties auxquelles elle aurait eu droit en tant que cocontractant.

89      Selon la Commission, l’action civile fondée sur la negotiorum gestio n’est pas conçue pour traiter la situation dans laquelle un sous-traitant exécute, en vertu d’un contrat, des travaux destinés à un tiers. La Commission se réfère aux articles rédigés en octobre 2003 par le groupe d’étude sur un code civil européen sur les principes de droit européen relatifs à l’intervention bénévole dans les affaires d’autrui. Ces articles excluent la responsabilité a priori « lorsque l’intervenant s’est engagé vis-à-vis d’un tiers à agir ». En l’espèce, puisque la requérante ne faisait qu’exécuter les obligations qui lui incombaient en vertu de son contrat avec Helmico, une responsabilité au titre de la negotiorum gestio serait exclue a priori.

90      Suivant ces articles, une responsabilité fondée sur la negotiorum gestio serait également exclue du fait que l’« intervenant » doit avoir un « motif raisonnable pour agir ». Or, « l’intervenant n’a pas de motif raisonnable pour agir s’il a la possibilité réelle de connaître les volontés du commettant, mais s’abstient de s’en enquérir ». En l’espèce, la Commission estime que, même à supposer que le contrat avec Helmico ait cessé d’exister (ce qui n’était pas le cas), la requérante pouvait parfaitement s’informer des souhaits de la Commission. En s’abstenant de le faire, elle aurait agi « déraisonnablement » ; en le faisant et en parvenant à la conclusion que la Commission souhaitait qu’elle agisse de la manière dont elle avait agi, ce chef de demande serait englobé dans le moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime.

 Appréciation du Tribunal

91      Il convient d’observer, tout d’abord, que le régime de la responsabilité non contractuelle, tel qu’il est prévu dans la plupart des systèmes juridiques nationaux, ne contient pas nécessairement de condition tenant à l’illégalité ou à la faute dans le comportement de la partie défenderesse. Les actions fondées sur l’enrichissement sans cause ou la gestion d’affaires sont conçues pour constituer, dans des circonstances particulières en droit civil, une source d’obligation non contractuelle pour celui qui se trouve dans la position de l’enrichi ou du géré, consistant en règle générale, respectivement, soit à restituer ce qu’il a indûment perçu, soit à indemniser le gérant.

92      Il n’en résulte donc pas que ces moyens tirés de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires, mis en avant par la requérante, devront être rejetés uniquement au motif que la condition tenant à l’illégalité du comportement de l’institution n’est pas remplie, comme le soutient, à titre principal, la Commission.

93      Ainsi qu’il a été exposé aux points 63 à 66 ci-dessus, l’article 288, deuxième alinéa, CE fonde l’obligation pour la Communauté de réparer les dommages causés par ses institutions sans restreindre le régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté à sa seule responsabilité pour faute. L’acte ou le comportement, même licite, d’une institution de la Communauté peut en effet causer un préjudice anormal et spécial, que la Communauté est tenue de réparer en vertu de la jurisprudence précitée.

94      En outre, le juge communautaire a eu déjà l’occasion d’appliquer certains principes de répétition de l’indu, notamment en matière d’enrichissement sans cause, dont l’interdiction constitue un principe général du droit communautaire (arrêt de la Cour du 10 juillet 1990, Grèce/Commission, C‑259/87, Rec. p. I‑2845, publication sommaire, point 26 ; arrêts du Tribunal du 10 octobre 2001, Corus UK/Commission, T‑171/99, Rec. p. II‑2967, point 55, et du 3 avril 2003, Vieira e.a./Commission, T‑44/01, T‑119/01 et T‑126/01, Rec. p. II‑1209, point 86).

95      Il convient dès lors d’examiner si les conditions de l’action de in rem verso ou celles de l’action fondées sur la negotiorum gestio sont réunies en l’espèce, afin de déterminer si ces principes trouvent à s’appliquer.

96      Force est, à cet égard, de constater, comme le soutient la Commission, que, dans le contexte factuel et juridique du présent litige, les actions fondées sur l’enrichissement sans cause ou la gestion d’affaires ne sauraient prospérer.

97      En effet, selon les principes généraux communs aux droits des États membres, ces actions ne peuvent être exercées lorsque le bénéfice de l’enrichi ou du géré puise sa justification dans un contrat ou dans une obligation légale. En outre, selon ces mêmes principes, de telles actions ne peuvent généralement être utilisées qu’à titre subsidiaire, c’est-à-dire dans le cas où la personne lésée ne peut disposer, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune autre action.

98      Or, il est constant dans le présent cas qu’il existe des relations contractuelles entre la Commission et Helmico, d’une part, et entre cette dernière et la requérante, d’autre part. Le prétendu préjudice direct correspond à la rémunération due à la requérante par Helmico en vertu des contrats de sous-traitance conclus entre ces deux parties, qui contiennent à cet égard une clause compromissoire, désignant les tribunaux anglais et gallois comme compétents pour les éventuels litiges contractuels. C’est donc incontestablement à Helmico qu’il incombe de rémunérer les travaux effectués par la requérante, et d’assumer la responsabilité éventuelle, résultant du défaut de paiement, comme le démontre en outre la procédure judiciaire que la requérante a engagée à cet effet contre Helmico, et qui est actuellement pendante, bien que suspendue, devant la High Court of Justice. Une éventuelle insolvabilité de Helmico ne saurait justifier que la Commission endosse cette responsabilité, la requérante ne pouvant avoir deux sources pour le même droit à la rémunération. En effet, il ressort des pièces du dossier, et il n’est pas contesté par les parties, que cette procédure judiciaire devant la High Court of Justice porte sur le paiement des services dont il est question dans le présent recours.

99      Il en résulte qu’un éventuel enrichissement de la Commission ou l’appauvrissement de la requérante, dès lors qu’il trouve son origine dans le cadre contractuel en place, ne saurait être qualifié de sans cause.

100    Un raisonnement analogue peut également être tenu pour écarter l’application des principes de l’action civile de la gestion d’affaires qui ne peut se prêter, selon les principes généraux communs aux droits des États membres, que très exceptionnellement à l’engagement de la responsabilité de la puissance publique en général, et plus particulièrement dans le contexte factuel et juridique du présent litige. Les conditions d’exercice de l’action civile basée sur la gestion d’affaires ne sont manifestement pas remplies pour les raisons suivantes.

101    Il convient de noter que l’exécution, par la requérante, de ses obligations contractuelles à l’égard de Helmico ne saurait être valablement qualifiée d’intervention bénévole dans les affaires d’autrui devant être impérativement gérées, comme l’exige l’action en question. En effet, avant de s’engager dans la poursuite des projets russe et moldave, la requérante a pris contact, en octobre 1998, avec les services de la Commission, ce qui ôte à son action le caractère d’initiative bénévole. Ensuite, la conclusion que la requérante tire de la lettre du 5 octobre 1998, selon laquelle la Commission n’était pas en mesure de gérer les projets en question, apparaît erronée au vu du contenu de cette lettre, dans laquelle la Commission faisait expressément état de la possibilité pour elle de « recourir à d’autres moyens pour garantir l’achèvement du projet ». Enfin, l’argumentation de la requérante est également contradictoire avec les principes de la gestion d’affaires en ce qui concerne la conscience du géré de l’action du gérant. En effet, l’action du gérant s’effectue en règle générale à l’insu du géré, ou du moins sans que ce dernier soit conscient de la nécessité d’agir immédiatement. Or, la requérante soutient elle-même que son choix de poursuivre les travaux en octobre 1998 résultait de l’incitation de la Commission.

102    Il n’est pas sans intérêt d’observer au surplus que, selon la jurisprudence, ce sont les opérateurs économiques eux-mêmes qui doivent supporter les risques économiques inhérents à leurs activités, eu égard aux circonstances de chaque espèce (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1998, Embassy Limousines & Services/Parlement, T‑203/96, Rec. p. II‑4239, point 75, et la jurisprudence citée).

103    Or, il n’a pas été établi que la requérante avait subi un préjudice anormal ou spécial, excédant les limites des risques économiques et commerciaux inhérents à son activité. Dans toute relation contractuelle, il existe un certain risque qu’une partie n’exécute pas le contrat de façon satisfaisante, ou devienne même insolvable. Il appartient aux contractants de pallier ce risque de façon appropriée dans le contrat même. La requérante n’ignorait pas que Helmico ne remplissait pas ses obligations contractuelles, mais a choisi en toute conscience de continuer à remplir les siennes, au lieu d’exercer un recours formel. Ce faisant, elle a pris un risque commercial qu’on pourrait qualifier de normal. La question de savoir si ce choix résultait de l’incitation de la Commission et/ou était entièrement ou partiellement motivé par sa croyance que la Commission assurerait la rémunération de ses services si Helmico n’était pas en mesure de le faire relève alors du moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime.

104    Il résulte de ce qui précède que les deux premiers moyens de la requérante, tirés des principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle sans faute, doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur les demandes fondées sur la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite de ses organes

 Sur la confiance légitime

–       Arguments des parties

105    La requérante se réfère à la jurisprudence selon laquelle le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire a fait naître chez lui certaines espérances fondées. Elle souligne par ailleurs que les opérateurs économiques doivent supporter les risques économiques inhérents à leurs activités compte tenu des circonstances propres à chaque affaire.

106    La requérante soutient que la réunion avec les services de la Commission le 2 octobre 1998 et la correspondance ultérieure relative à l’ouverture du compte bancaire spécial de Helmico sur lequel elle avait une procuration ont fait naître chez la requérante l’espérance que les services de la Commission veilleraient à ce qu’elle soit effectivement rémunérée pour le travail qu’elle avait effectué.

107    Selon la requérante, c’est en se fondant sur cette espérance qu’elle a mené à bonne fin les projets moldave et russe. Ce faisant, elle n’aurait pas supporté un risque inhérent à ses activités parce que, n’étant pas la cocontractante de la Commission et n’ayant pas été payée par Helmico, elle était libre de cesser de fournir les services en question. Dans la mesure où elle travaillait pour la Commission, la requérante aurait pu raisonnablement s’attendre à être traitée loyalement et à ne pas courir le risque de ne pas être rémunérée pour les services fournis à la demande pressante des services de la Commission.

108    En encourageant la requérante à mener les services à bonne fin, en refusant ensuite de payer ces services à Helmico et en ne prenant pas de mesures pour s’assurer que la requérante avait été dédommagée du travail qu’elle avait effectué, la Commission aurait commis une faute engageant sa responsabilité non contractuelle.

109    La requérante soutient que des assurances précises bien que non explicites découlaient de l’ensemble de la ligne de conduite de la Commission dans le cas d’espèce, y compris d’éléments constitués par toute absence de réaction de la part de cette dernière, résumés et interprétés comme suit :

–       a requérante a attiré l’attention des services de la Commission sur le fait que Helmico ne payait pas la requérante et qu’elle la trompait en produisant des documents falsifiés à propos des factures que Helmico avait transmises à la Commission ;

–       les services de la Commission ont considéré cela comme constitutif d’une fraude parce que des fonds communautaires avaient été versés à Helmico et que cette dernière n’avait pas payé le prestataire des services en cause, à savoir la requérante ;

–       la requérante a exprimé aux services de la Commission son intention de ne pas engager davantage de temps et de dépenses jusqu’à ce que puisse être trouvé un mécanisme assurant qu’elle serait payée ;

–       les services de la Commission ont été informés de la mise en place d’un tel mécanisme et n’ont soulevé aucune objection. Plus précisément, ce mécanisme a été réalisé en établissant le compte bancaire de Helmico sur lequel la requérante avait une procuration ;

–       un membre des services de la Commission s’était inquiété de ce que le projet russe pourrait ne pas être achevé et avait averti la requérante que la Commission pourrait étudier d’autres moyens afin d’achever les projets en question si les parties ne parvenaient pas à résoudre leurs différends ;

–       les services de la Commission ont autorisé la requérante à poursuivre l’exécution des projets russe et moldave et ne l’ont informée qu’une fois lesdits projets achevés que les paiements à Helmico seraient suspendus et que des ordres de recouvrement seraient émis ;

–       la requérante a effectivement achevé les projets russe et moldave et les rapports concernant leur exécution ont été acceptés par les services de la Commission ;

–       la Commission a effectué un paiement sur le compte bancaire de Helmico sur lequel la requérante avait une procuration ;

–       ainsi qu’il ressort de la lettre de la Commission du 22 mars 2000, ses services avaient envisagé de faire des versements supplémentaires à la requérante, calculés sur la base du travail qu’elle avait effectué et des frais qu’elle avait engagés, mais ils ont décidé qu’il existait des incertitudes juridiques quant à la question de savoir si ces paiements pouvaient être contestés par Helmico ou par ses syndics de faillite ;

–       c’est seulement une fois que la requérante a achevé les projets russe et moldave et que les rapports d’achèvement de projet ont été acceptés que la Commission a suspendu tous les autres paiements et émis en avril 2000 des ordres de recouvrement à l’encontre de Helmico ;

–       le 15 juin 2000, le président de Masdar a adressé une télécopie au membre de la Commission en charge des relations extérieures dans laquelle il a déclaré : « Il y a 18 mois, nous avons alerté la Commission européenne des difficultés que nous rencontrions avec nos partenaires Helmico pour les deux projets susmentionnés. Nous avons reçu des assurances que, si nous poursuivions les projets, la Commission européenne s’assurerait que nous serions rémunérés pour nos services. Nous avons continué à financer et à mettre en œuvre les deux projets en votre nom au prix de surcoûts importants en dépit du fait que nous nous étions déjà rendu compte que Helmico avait escroqué Masdar et que ces fonds seraient probablement irrécupérables » ;

–       la réponse du membre de la Commission par courrier du 25 juillet 2000 ne contestait pas la déclaration du président de Masdar selon laquelle cette dernière avait reçu l’assurance qu’elle serait payée.

110    La Commission rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les opérateurs économiques doivent supporter les risques économiques inhérents à leurs activités, eu égard aux circonstances de chaque espèce. Cette règle est toutefois tempérée par le principe du respect de la confiance légitime. Selon une jurisprudence constante, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire, notamment en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées.

111    La Commission considère que la réunion avec les services de la Commission du 2 octobre 1998 et la correspondance ultérieure invoquée par la requérante ne sauraient raisonnablement s’interpréter comme une « assurance précise » des services de la Commission selon laquelle ils auraient veillé à ce que la requérante soit effectivement rémunérée pour les travaux effectués.

112    Pour ce qui est de la réunion en question, la Commission estime qu’il incombe à la requérante de prouver que ces assurances, ou, du moins, des déclarations pouvant raisonnablement s’interpréter comme telles, ont effectivement été fournies lors de cette réunion, ce que la requérante n’a pas fait. La Commission indique qu’elle est toujours disposée à régler la présente affaire à l’amiable par le paiement de la somme de 249 314,35 euros, qui correspond à la valeur des services facturés par la requérante après cette réunion si celle-ci est en mesure de produire cette preuve.

113    Concernant la télécopie du 5 octobre 1998 envoyée à Helmico, la Commission aurait simplement déclaré qu’elle s’inquiétait du fait que des différends entre Helmico et la requérante risquaient de compromettre l’achèvement du contrat russe, d’une part, et aurait cherché à obtenir la garantie que Helmico et la requérante se conformeraient effectivement aux termes de leurs contrats respectifs, d’autre part.

114    Selon la Commission, la correspondance échangée ensuite ne saurait davantage être interprétée comme une telle assurance. En fait, elle consisterait soit en des lettres entre la requérante et Helmico, soit en des lettres adressées par Helmico à la Commission. Ces lettres contiendraient essentiellement la garantie que Helmico et la requérante avaient résolu leurs différends et que les contrats russe et moldave seraient exécutés. Elles contiendraient d’autres informations, notamment que la gestion des projets en question avait été transférée au président de Masdar et que certains paiements dus en vertu desdits contrats devaient dorénavant être versés sur un compte bancaire désigné appartenant à Masdar. Ces informations auraient simplement trait aux arrangements intervenus entre ces parties, dans le but vraisemblablement de faciliter la résolution de leurs divergences de vues, et elles ne sauraient s’interpréter comme une proposition de modification des conditions contractuelles initiales, soumise par ces parties à la Commission.

115    La Commission conteste également que son absence de réaction dans la lettre du 25 juillet 2000 à l’affirmation faite par Masdar dans sa lettre du 15 juin 2000 selon laquelle celle-ci avait «reçu l’assurance que, si[elle] poursuiv[ait] les projets, la Commission européenne veillerait à ce qu[’elle soit payée] pour [ses] services », puisse être considérée comme la garantie explicite ou une reconnaissance tacite de ce que Masdar avait noué des relations contractuelles avec la Commission ou de ce que la Commission s’était engagée à faire en sorte que la requérante soit rétribuée pour l’ensemble des travaux exécutés en vertu de son contrat avec Helmico (arrêt du Tribunal du 27 mars 1990, Chomel/Commission, T‑123/89, Rec. p. II‑131, point 27).

116    La Commission rappelle en outre que, pour pouvoir invoquer le principe de protection de la confiance légitime, la requérante doit établir l’existence d’un lien de causalité entre les assurances données et le préjudice subi. En d’autres termes, elle doit non seulement prouver que l’institution communautaire en cause a donné des assurances, mais qu’elle-même a subi un préjudice en agissant sur la foi desdites assurances (arrêt Embassy Limousines & Services/Parlement, précité).

117    De ce fait, même à supposer que la lettre du 25 juillet 2000 ait contenu l’assurance que la requérante serait payée, ladite assurance serait inopérante, car l’éventuel préjudice subi par la requérante du fait des dépenses qu’elle aurait exposées pour exécuter son contrat conclu avec Helmico serait survenu avant cette date.

118    La Commission conclut à l’absence des assurances précises données à la requérante et au rejet de l’action fondée sur la confiance légitime.

–       Appréciation du Tribunal

119    Selon une jurisprudence constante, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue un des principes fondamentaux de la Communauté, s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources autorisées et fiables (voir arrêt du Tribunal du 21 juillet 1998, Mellet/Cour de justice, T‑66/96 et T‑221/97, RecFP p. I‑A‑449 et II‑1305, points 104 et 107, et la jurisprudence citée). Il est également établi par la jurisprudence que le principe de confiance légitime constitue une règle de droit conférant des droits aux particuliers (arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Emesa Sugar/Conseil, T‑43/98, Rec. p. II‑3519, point 64). La violation de ce principe peut ainsi engager la responsabilité de la Communauté. Il n’en demeure pas moins que les opérateurs économiques doivent supporter les risques économiques inhérents à leurs activités compte tenu des circonstances propres à chaque affaire (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 25 mai 1978, HNL e.a./Conseil et Commission, 83/76 et 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, Rec. p. 1209, point 7, et du 24 juin 1986, Développement et Clemessy/Commission, 267/82, Rec. p. 1907, point 33).

120    Il ressort du dossier que les espérances alléguées de la requérante portaient sur le paiement, par la Commission, des services fournis contractuellement à Helmico. Force est de constater, en l’espèce, que les documents écrits, émanant de la Commission et dont le Tribunal dispose, ne peuvent en aucun cas être interprétés comme des assurances précises que la Commission s’engageait à rémunérer les services de la requérante, pouvant faire naître chez elle des espérances fondées.

121    En effet, la télécopie du 5 octobre 1998 était adressée à Helmico et contenait en outre une mise en garde indiquant que, si l’achèvement du projet russe se révélait compromis, la Commission pourrait, afin de le mener à bien, recourir à d’autres moyens que les services du consortium composé de Helmico et de la requérante. On ne saurait dès lors déduire de cette lettre ni « la demande pressante » de la Commission visant à ce que la requérante achève le projet russe à tout prix, ni l’assurance que, à défaut pour la requérante d’être rémunérée par Helmico, c’est la Commission qui s’en chargerait.

122    Le Tribunal estime également que la correspondance relative à l’ouverture du compte bancaire spécial de Helmico sur lequel la requérante avait une procuration ne saurait davantage être interprétée comme une assurance donnée à la requérante, puisque la Commission ne se prononçait pas dans le cadre de cette correspondance qui consistait soit en des lettres entre la requérante et Helmico, soit en des lettres adressées par Helmico à la Commission. Par ces lettres étaient portées à la connaissance de la Commission certaines informations ayant trait aux arrangements financiers entre ces parties. Le fait que la Commission a pris acte du changement du compte bancaire de Helmico, alors même qu’elle avait connaissance de la procuration de la requérante sur ce compte, ne peut toutefois s’interpréter comme une quelconque assurance supplémentaire donnée à cette dernière.

123    Une telle assurance ne peut pas être déduite de la lettre du 29 juillet 1999, adressée à la requérante par la Commission. En effet, cette lettre informait la requérante de la décision de la Commission de ne payer qu’un acompte de 200 000 euros, qui serait versé sur le compte de Helmico sur la base des factures émises par celle-ci, ainsi que de suspendre les paiements futurs jusqu’à ce que la question des irrégularités financières dans le cadre des projets moldave et russe soit clarifiée. Cette lettre indiquait ainsi clairement que les paiements futurs ne seraient pas effectués par référence aux travaux réalisés par la requérante, mais par référence à des factures émises par Helmico, et qu’ils seraient encore conditionnés par les résultats des audits sur l’utilisation des fonds communautaires.

124    Concernant ensuite la lettre envoyée à la requérante par la Commission le 22 mars 2000, l’analyse selon laquelle cette lettre contiendrait des assurances de paiement est contredite par le contenu même de cette lettre, par laquelle la Commission oppose un refus explicite à la demande de la requérante d’être payée directement par la Commission, notamment en raison des conséquences, sur le plan juridique, d’une éventuelle insolvabilité de Helmico, compte tenu des relations contractuelles entre celle-ci et Masdar.

125    Concernant enfin la lettre du 25 juillet 2000, comme la Commission l’observe à juste titre, son absence de réaction à l’affirmation, faite pour la première fois par la requérante, de l’existence d’assurances qu’elle aurait fournies ne saurait valoir confirmation de cette affirmation, pas plus que la lettre ne peut en elle-même être considérée comme une assurance précise fournie par la Commission.

126    Le Tribunal ne dispose pas non plus d’éléments permettant d’établir que lesdites assurances ont été fournies lors de la réunion du 2 octobre 1998.

127    En outre, au vu des autres éléments du dossier, cela apparaît comme hautement improbable. En effet, des assurances précises de rémunérer directement la requérante auraient a fortiori signifié le changement des conditions contractuelles initiales. Dans ces conditions, le cadre contractuel initial étant écrit, la modification de ce cadre aurait normalement dû être effectuée également par écrit. Or, la demande expresse de confirmer l’acceptation des modifications, adressée à la Commission par la télécopie du 6 octobre 1998, cosignée par Helmico et la requérante est restée sans réponse. On peut en déduire que la volonté réelle de la Commission n’était pas de s’écarter des droits et obligations en vigueur. L’attitude de la Commission, ainsi qu’il ressort de ces écrits et de ces faits, paraît cohérente en ce qu’elle a toujours évité de s’engager directement vis-à-vis de la requérante et a tenté de rester dans le cadre contractuel avec Helmico, tant en ce qui concerne la correspondance qu’en ce qui concerne les paiements ultérieurs à la réunion du 2 octobre 1998.

128    Il ressort de la réponse de la Commission aux questions écrites du Tribunal qu’aucun procès-verbal de cette réunion n’a été établi, ce qui confère à celle-ci un caractère informel. Dans de telles circonstances, le Tribunal considère qu’on ne pourrait raisonnablement admettre que la Commission ait pu s’engager pour des sommes aussi importantes lors d’une réunion de ce type, d’autant plus qu’aucune action ultérieure pouvant confirmer, le cas échéant, un tel engagement n’est intervenue. Enfin, même à admettre que, lors d’une réunion informelle, un fonctionnaire de la Commission ait donné des précisions orales concernant la question de la rémunération, il ne serait en tout état de cause pas raisonnable pour un opérateur économique prudent et avisé de s’engager, sur la base de telles affirmations, dans des travaux coûteux sans d’autres garanties à leur appui.

129    Enfin, en ce qui concerne l’offre faite par la Commission à la requérante dans sa télécopie du 15 mai 2003 d’un versement amiable de la somme de 249 314,35 euros pour les travaux effectués après la découverte de la fraude de Helmico, il ressort clairement de ladite télécopie que cette offre était soumise à la condition de disposer d’une preuve d’un accord entre la Commission et la requérante que cette dernière serait payée directement par la Commission si elle achevait les projets russe et moldave. Or, la requérante n’a pas été en mesure de produire une telle preuve devant la Commission pas plus que devant ce Tribunal, mais a dû se contenter de simples affirmations qui n’apparaissent pas probantes au vu des autres éléments du dossier.

130    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les éléments disponibles, examinés séparément ou dans leur ensemble, ne font pas apparaître d’assurances précises données par la Commission ayant pu faire naître chez la requérante des espérances fondées lui permettant de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime.

131    Le troisième moyen, tiré de la violation du principe de confiance légitime, doit par conséquent être rejeté comme non fondé.

 Sur la faute ou la négligence

–       Arguments des parties

132    Selon la requérante, il découlerait des principes généraux de la responsabilité non contractuelle pour faute en vigueur dans les systèmes de droit civil, et du principe de responsabilité délictuelle pour négligence en vigueur dans les systèmes anglo-saxons, que, si la Commission exerçait son pouvoir de suspendre le paiement d’un contrat dans les cas d’erreurs, d’irrégularités ou de fraude commises par le cocontractant, elle devrait faire preuve d’une diligence raisonnable pour s’assurer qu’elle ne fait pas de tort à des tiers ou, le cas échéant, dédommager les tiers de ce préjudice.

133    En l’espèce, les services de la Commission auraient normalement dû savoir que, du fait de la suspension des paiements à Helmico, la requérante ne serait pas rémunérée pour les services qu’elle avait fournis de bonne foi à la Commission en tant que sous-traitante de Helmico. On ne saurait soutenir que le préjudice subi par la requérante n’est rien de plus que le risque commercial normal lié au défaut de paiement par un débiteur. La présente affaire n’impliquerait pas la réalisation d’un risque de cette nature, mais l’usage conscient par la Commission de prérogatives dont ne disposeraient pas les opérateurs économiques de droit privé et c’est pour cette raison que la Commission aurait dû exercer les pouvoirs spéciaux que lui confère le règlement financier de manière à éviter ou à atténuer le préjudice qu’elle causerait, en toute connaissance de cause, à des tierces parties.

134    La Commission aurait pu payer Helmico en effectuant un transfert sur un compte spécial, sur lequel la requérante avait une procuration, à l’instar du paiement de 200 000 euros qu’elle avait effectué en septembre 1999. La Commission aurait ainsi pu s’acquitter de son obligation contractuelle envers Helmico et également de son obligation non contractuelle consistant à éviter de causer un préjudice à la requérante. Dans ce cas, toute action éventuelle en recouvrement de créances exercée par un syndic de faillite de Helmico aurait été dirigée contre la requérante, et non contre la Commission, parce que c’est la requérante qui aurait retiré les fonds du compte de Helmico.

135    Par ces motifs, la requérante soutient que la Commission est tenue de la dédommager pour le préjudice qu’elle lui a causé par sa décision de suspendre les paiements à Helmico.

136    La Commission conteste l’affirmation de la requérante. Elle considère tout d’abord que, lorsqu’elle détermine s’il y a lieu de suspendre des paiements, de refuser de payer ou de recouvrer des montants déjà versés en vertu d’un contrat, elle n’a pas de devoir de sollicitude envers les tiers. Elle estime ensuite que, même si tel était le cas, elle a fait preuve d’une sollicitude raisonnable dans les circonstances de l’espèce. Enfin, elle soutient que la requérante n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage qu’elle prétend avoir subi.

137    Selon la Commission, lorsqu’elle décide de suspendre ou de recouvrer des créances, elle a, en tant que dépositaire des deniers publics, certaines obligations qui n’incombent pas aux opérateurs économiques de droit privé. La Commission serait déjà soumise à une discipline qui n’est pas imposée aux opérateurs économiques. Cette discipline la dispenserait a fortiori de l’obligation de tenir compte des intérêts financiers des tiers tels que les sous-traitants lorsqu’elle examine s’il y a lieu d’exercer les pouvoirs dont elle dispose en vertu du règlement financier.

138    Même s’il y avait lieu de considérer qu’elle est tenue de prendre en compte les intérêts de la requérante lorsqu’elle examine s’il y a lieu de suspendre les paiements à Helmico – ce qui n’est pas le cas –, la Commission fait valoir qu’elle a, en tout état de cause, agi raisonnablement. Le rapport d’audit indiquerait qu’une fraude grave avait été commise par Helmico. Cette fraude, qui aurait consisté à facturer des travaux qui n’avaient jamais été effectués, aurait été importante et aurait eu une incidence directe sur les montants que Helmico était en droit de réclamer en vertu du contrat. La décision de la Commission ne saurait donc être qualifiée de déraisonnable.

139    Concernant le lien de causalité, la Commission relève que, si elle avait payé le solde du montant prétendument dû à Helmico, il n’est nullement certain que cette somme aurait été transférée à la requérante. Si elle avait payé directement à la requérante des sommes prétendument dues à Helmico, elle aurait, en l’absence d’obligation contractuelle de ce faire, couru le risque de se voir reconnaître débitrice de Helmico et d’avoir accordé un privilège collusoire à un créancier particulier, à savoir la requérante. Elle se serait ainsi exposée au risque de devoir payer deux fois la même dette si le liquidateur avait décidé de recouvrer les créances détenues par Helmico.

–       Appréciation du Tribunal

140    Il ressort des mémoires de la requérante que le comportement reproché à la Commission est la suspension des paiements à Helmico. L’illégalité de ce comportement consisterait pour la Commission en un défaut de diligence raisonnable pour s’assurer que, en procédant à cette suspension, elle ne faisait pas de tort à des tiers et, le cas échéant, pour dédommager ces tiers du préjudice ainsi subi.

141    Le Tribunal note, en premier lieu, que la requérante se borne à affirmer qu’un tel devoir de diligence existe sans en apporter la moindre preuve ou développer une argumentation juridique au soutien de sa thèse ni préciser la source et l’étendue de ce devoir. Le Tribunal considère qu’une référence en termes très vagues aux principes généraux de la responsabilité non contractuelle pour faute en vigueur dans les systèmes de droit civil et de responsabilité délictuelle pour négligence en vigueur dans les systèmes anglo-saxons ne permet pas de démontrer l’existence d’une obligation pour la Commission de prendre en compte les intérêts des tiers lors de la prise d’une décision concernant la suspension des paiements dans le cadre de ses relations contractuelles. La même considération vaut pour la prétendue obligation de la Commission de transférer de l’argent sur un compte, sur lequel la requérante avait une procuration. Le Tribunal constate également, à l’instar de la Commission, que la requérante n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation alléguée et le dommage invoqué. Au vu de ce qui précède, le Tribunal estime qu’il convient d’écarter le quatrième moyen comme non fondé.

142    Il résulte de ce qui précède que les troisième et quatrième moyens de la requérante, fondés sur le régime de la responsabilité délictuelle, doivent être rejetés.

 Sur l’offre de preuve

143    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 20 décembre 2004, la requérante a présenté une demande au titre de l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure, visant à faire témoigner M. W, un administrateur de la requérante, à propos de la teneur de la réunion qui a eu lieu le 2 octobre 1998 entre la requérante et les services de la Commission.

144    Dans ses observations sur la demande d’audition de témoin, déposées au greffe du Tribunal le 3 février 2005, la Commission ne s’oppose pas à l’audition de M. W pour autant que M. K et Mme H qui représentaient la Commission à cette réunion soient également entendus.

145    Selon l’article 68 du règlement de procédure, le Tribunal peut soit à la demande des parties soit d’office ordonner la vérification de certains faits par témoins. La nécessité d’une telle mesure d’instruction doit s’apprécier au regard des faits pertinents pour la solution du litige et dépend de la possibilité pour le Tribunal de se prononcer utilement sur la base des conclusions, moyens et arguments développés au cours de la procédure tant écrite qu’orale et au vu des documents produits [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 juin 2001, Ruf et Stier/OHMI (Image « DAKOTA »), T‑146/00, Rec. p. II‑1797, point 65].

146    La requérante motive sa demande par l’absence de preuves écrites sur la teneur de cette réunion. Selon la requérante, le témoignage de M. W permettrait d’élucider les circonstances factuelles concernant, d’une part, les intentions de la requérante quant à la poursuite des projets en cours et, d’autre part, les réactions du fonctionnaire de la Commission à propos de l’arrêt éventuel des travaux à la suite de cette réunion.

147    La requérante donne des indications sur le contenu du possible témoignage de M. W. Ce témoignage établirait que « les services de la Commission étaient très désireux de voir s’achever le projet russe et que M. W était prêt à ce que la requérante continue à travailler sur le contrat russe si celle-ci pouvait espérer être payée pour le travail effectué et les frais engagés ».

148    Les faits ultérieurs corroborent les informations qui auraient été obtenues à l’issue d’un tel témoignage, et la Commission ne conteste pas une telle interprétation des faits, ce qui permet de conférer à celui-ci une force probante. Mais, pour regrettable qu’il soit, même à admettre le contenu d’un tel témoignage comme un fait établi, cela démontrerait tout au plus l’existence, entre la requérante et la Commission, d’une volonté commune tendant à ce que la requérante achève les projets russe et moldave et soit rémunérée pour son travail malgré les problèmes de Helmico. D’ailleurs, à la lumière des autres éléments du dossier, l’existence d’une telle volonté entre ces deux parties ne fait pas de doute. Cela ne suffit pourtant pas à établir l’existence de renseignements précis, inconditionnels et concordants indiquant que la Commission s’engageait à rémunérer la requérante directement à compter de cette date.

149    Il découle de ce qui précède que la solution du litige ne peut en tout état de cause dépendre de ce seul témoignage et que le Tribunal est en mesure de se prononcer utilement sur la base des conclusions, moyens et arguments développés au cours de la procédure tant écrite qu’orale et au vu des documents produits. La demande d’audition du témoin de la requérante est, par conséquent, rejetée.

150    Il résulte de l’ensemble des développements précédents que le prétendu préjudice n’est pas imputable à une institution ou à un organe communautaire. Dans ces conditions, le recours doit être rejeté dans son intégralité comme non fondé, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté sont réunies en l’espèce.

 Sur les dépens

151    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

152    La requérante ayant succombé en ses conclusions, elle doit être condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante est condamnée aux dépens.


Vilaras

Martins Ribeiro

Jürimäe

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 novembre 2006.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      M. Vilaras


* Langue de procédure: l’anglais.